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AccueilNumérosN° 4, vol. 11EnquêtesLa traduction manquée d’Edward Saïd (…)

La traduction manquée d’Edward Saïd en France

The missed translation of Edward Saïd in France
Anne-Claire Collier

Résumés

Cet article analyse la trajectoire éditoriale mouvementée d’Edward Saïd en France. Si l’ouvrage Orientalisme est traduit rapidement par les éditions du Seuil, deux ans après sa parution en anglais, ses autres écrits sont ignorés par les éditeurs français. Aucun de ses ouvrages n’est publié pendant seize ans alors que durant cette même période il publie douze ouvrages en langue anglaise, aussi bien théoriques que politiques. Face à ce silence éditorial, l’étude des archives personnelles d’Edward Saïd souligne paradoxalement un fort investissement de celui-ci auprès des éditeurs français : recours à un agent spécifique, contact personnel avec des éditeurs, envoi de manuscrits. Plusieurs missives montrent qu’Edward Saïd interprète ce silence comme une conséquence de ses engagements politiques en faveur de la Palestine. À partir de l’étude des archives d’Edward Saïd, de celles des maisons d’édition et d’entretiens menés auprès de ses éditeurs, cette étude cherche à rendre compte des conditions d’(im)possibilité de la traduction de cet auteur dans l’espace français mêlant à la fois le contexte intellectuel français, les contraintes économiques pesant sur l’espace éditorial ainsi que l’assignation identitaire subit par Edward Saïd croisant postcolonialisme, critique néolibérale et militant pour la cause palestinienne, le rendant difficilement « classable ».

The missed translation of Edward Saïd in France

This article analyses Edward Saïd’s tumultuous editorial trajectory in France. Even though his Orientalism was swiftly translated by Les éditions du Seuil, only two years after its English release, the author’s other writings have been ignored by French publishers: for the following sixteen years, none of his books were published although during this period he published twelve books in English, both theoretical and political. The study of Edward Saïd’s personal archives however shows that despite the editorial silence he entertained keen negotiations with French publishers as testified by his engaging a literary agent, contacting publishers and shipping manuscripts in person. Several letters show that Edward Saïd interpreted this silence as a consequence of his political commitment to the Palestinian cause. Based on the study of Edward Saïd’s and publishing companies’ archives as well as on interviews conducted with his former publishers, this article uncovers the conditions that made the translation of Saïd’s work impossible in France, that is the French intellectual context, the economic constraints weighing on the editorial world, and the difficulty to “classify” Saïd as an intellectual because of the multiple labels pinned on him.

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Texte intégral

  • 1 Discours en l’honneur d’Edward Said par Sonia Dayan Herzbrun.
  • 2 Sur la même période, l’Index Translationum de l’Unesco indique par exemple 8 traductions en alleman (...)

1Lors de la cérémonie de réception du Doctorat Honoris Causa de l’université Paris Diderot en avril 2003, Sonia Dayan-Herzbrun, professeure de sociologie à l’université Paris 7, amie d’Edward Saïd le présente ainsi : « L’œuvre littéraire d’Edward Saïd est aussi riche que diverse. Il est en effet l’auteur de plus de vingt livres, traduits en trente-cinq langues. Elle excède largement les barrières académiques, puisqu’il y est également question des problèmes les plus ardus qui se posent aujourd’hui au Proche et au Moyen-Orient […] Frontières disciplinaires, frontières linguistiques, frontières géographiques, Edward Saïd n’a cessé de les franchir toute sa vie.1 » Ces quelques phrases insistent sur la richesse et la diversité de l’œuvre d’Edward Saïd. Néanmoins, en 2003, seul trois de ses ouvrages majeurs sont traduits en français2. C’est pourquoi cet article souhaite revenir sur ce décalage entre un auteur très prolifique et bénéficiant d’une forte reconnaissance académique dans le monde entier et son absence dans l’espace éditorial français.

2Revenir sur la trajectoire éditoriale d’un auteur amène à s’intéresser aux phénomènes de circulations et de traduction des idées (Bourdieu, 2002 ; Sapiro, 2009 ; Popa, 2010). Ce champ d’études, particulièrement dynamique ces dernières années que ce soit par le biais d’études prosopographiques revenant sur la réception d’un auteur en particulier (Joly, 2012 ; Cousin & Vitale, 2014) ou d’un courant de pensée (Lamont, 1987 ; Pinto, 2002 ; Hauchecorne, 2011), met en avant les déformations que subissent les auteurs lors de leur passage d’un espace social à un autre. Ce passage ne peut cependant pas avoir lieu sans traduction que l’on considérera comme processus social (Heilbron, 2010), à la fois comme le passage d’une langue à une autre, mais également comme celui d’un espace social à un autre mettant ainsi en lumière un ensemble de distorsions, de réfractions et de frontières. Réinsérer la traduction dans un espace social amène à s’interroger sur deux points essentiels : d’une part, sur la présence de passeurs qui s’emparent de l’auteur et le font circuler (Charle, 1992) et, d’autre part, sur la construction sociale de l’identité de l’auteur traduit dans le nouvel espace social (Bourdieu, 2002). Dans le cas d’Edward Saïd nous montrerons comment l’identité sociale des passeurs ainsi que leurs ressources ont participé au renforcement d’une forme d’identification sociale de cet auteur. La notion de trajectoire éditoriale doit être comprise comme le passage, non linéaire, d’un éditeur à un autre et permet d’interroger les raisons de ces passages ainsi que l’identité des passeurs, montrant que l’action éditoriale est un acte collectif (Becker, 2006). En effet, l’édition d’un ouvrage implique un certain nombre d’acteurs au-delà de l’auteur de l’ouvrage : en premier lieu l’éditeur, mais aussi l’agent, les comités de lecture des maisons d’édition, les traducteurs, les directeurs de collection, les critiques littéraires, mais également, plus largement, le lectorat potentiel. Toutes ces personnes participent et modèlent la réception d’un ouvrage dans un nouvel espace national.

3Sur la base d’entretiens menés auprès des principaux éditeurs d’Edward Saïd, l’étude d’archives et d’un corpus de texte, cet article analyse la trajectoire éditoriale française d’Edward Saïd en la réinsérant dans l’espace éditorial français.

Retracer une trajectoire : méthodologie d’enquête

Sur le plan méthodologique cet article repose sur la réalisation d’entretiens ethnographiques menés auprès de quatre des six éditeurs d’Edward Saïd en France (Éric Hazan pour La Fabrique, Alain Gresh et Henri Trubert pour les éditions Fayard/Le Monde Diplomatique, Pierre Astier pour les éditions du Serpent à Plume et Farouk Mardam Bey pour les éditions Actes Sud et Sindbad). Ces entretiens ont été complété par des entretiens auprès de proches d’Edward Said à commencer par sa femme Myriam Said et deux de ses amis ayant joué un rôle important dans la circulation de ses œuvres : Tzvetan Todorov et Sonya Dayan. Enfin, l’analyse est éclairée par un travail d’archive. Dans un premier temps, nous avons travaillé sur les archives des éditions du Seuil, éditeur historique d’Edward Saïd en France, conservées à l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). Cela a permis de contourner les refus d’entretiens – toutes les demandes d’entretiens envoyées auprès des personnes identifiées au sein des éditions du Seuil ont été soit sans réponse, soit négatives – et d’apporter un autre éclairage au travail en sciences sociales sur l’édition en appuyant l’argumentation sur les comptes rendus de lectures, sur les dossiers de presses mais également sur les contrats et les échanges épistolaires conservées. Dans un second temps, ce travail a été approfondi grâce à la consultation du fond Edward Saïd conservé à l’Université de Columbia à New-York. Ces archives rassemblent l’ensemble des documents de travail, brouillon, notes, correspondances. Dans le présent article nous avons analysé principalement les éléments de la correspondance entre Edward Saïd et l’espace français. Cela regroupe de manière assez large aussi bien ses échanges avec les maisons d’édition, que celles avec ses traductrices, ou encore son agent mais également les correspondances avec d’autres intellectuels français ayant parfois un caractère privée donnant ainsi à voir les réseaux dans lequel il était inséré.

4L’accent porté sur cet auteur vise à mettre en lumière la (non)réception des théories critiques par l’espace éditorial français entre 1980 et 2010. L’argument que nous déployons est qu’une trajectoire éditoriale ne peut se comprendre sans articuler différents niveaux d’analyse : l’état et l’économie de l’espace éditorial français, les questions spécifiques aux traductions, le rôle des intermédiaires – éditeurs, agents, traducteurs, rôle du réseau d’interconnaissance –, et enfin la perception de l’auteur dans l’espace de réception – et pour les auteurs critiques la difficulté de les positionner entre penseurs dominant de l’espace scientifique et leurs prises de position parfois radicales. En articulant ces dimensions, nous souhaitons esquisser trois temps de la réception d’Edward Saïd. Le premier, ambigu, est caractérisé par une traduction très précoce d’Orientalisme chez un éditeur généraliste et central des sciences sociales français, Le Seuil, suivi par un relatif silence éditorial face aux autres publications. Le second temps montre comment la création de maisons d’édition indépendantes et critiques ouvre un nouvel espace éditorial pour des ouvrages à la croisée entre théorie et politique. Enfin, le troisième temps de notre argumentation met en lien l’accélération des traductions d’Edward Saïd avec le tournant discursif de l’année 2005. Il s’agit de montrer comment l’évolution du débat public sur la question coloniale – caractérisé par le vote de la loi no 2005-158 et les pétitions qui ont suivi, la publication de l’Appel des Indigènes de la République et également par les analyses portées sur les émeutes dans les banlieues – et la traduction des auteurs issus des études postcoloniales font évoluer la perception des œuvres d’Edward Saïd dans l’espace éditorial et favorisent ses traductions.

La réception ambiguë d’Orientalisme en France

  • 3 Pour plus d’information sur la trajectoire éditoriale de Covering Islam voir Thomas Brisson ( 2013) (...)
  • 4 Cet engagement politique est connu des intellectuels français : en mars 1979 il est invité à partic (...)
  • 5 Pour plus d’informations sur l’articulation entre l’engagement en faveur de la Palestine et la rech (...)

5Edward Saïd est né en 1935 à Jérusalem d’une mère libanaise chrétienne et d’un père palestinien naturalisé américain. Il grandit au Caire en Égypte avant d’être envoyé dans un lycée aux États-Unis où il poursuit ses études universitaires. Il obtient son doctorat en littérature puis un poste de professeur en littérature comparée à l’Université de Columbia. Baigné dans la culture anglo-saxonne dès son plus jeune âge, il étudie également tout au long de sa scolarité le français et les auteurs classiques français (Saïd, 2003). En 1978, il publie l’ouvrage Orientalism, aujourd’hui considéré comme un livre majeur du champ littéraire anglophone du xxe siècle (Cusset 2003 ; Brisson, 2018). Dans cette œuvre, il revient sur l’analyse de la construction de la représentation de l’Orient en France et en Angleterre à travers la mobilisation d’un corpus de textes littéraires et politiques (Napoléon, Flaubert, Nerval, Lamartine). Cette étude est étayée par la mobilisation des auteurs de la French Theory et notamment par des références à Michel Foucault et Jacques Derrida. Francophile convaincu, il participe à la circulation de ces théories en organisant à différentes reprises des rencontres avec ces deux penseurs au sein du département de littérature comparée de Columbia. Orientalism, qui fait partie d’une trilogie, est suivi par la publication aux États-Unis de The Question of Palestine (1979) puis de Covering Islam: How the Media and the Experts Determine How We See the Rest of the World (1981)3. Ainsi que le souligne Thomas Brisson, cette publication constitue une « coupure radicale » dans la carrière intellectuelle d’Edward Saïd. Pour Pierre Robert Baduel (2018), cet ouvrage constitue le « moment orientalisme » qui lie l’œuvre scientifique d’Edward Saïd à sa réflexion sur le rôle de l’intellectuel dans l’espace public. Intellectuel reconnu internationalement et installé institutionnellement, il convertit ce « capital symbolique sur la scène publique » en s’engageant dans le conflit israélo-palestinien (Brisson, 2013) à la suite de la première Intifada4. Il rejoint le Conseil national palestinien en 1977 et publie des articles dénonçant la position américaine. Il devient progressivement « un représentant intellectuel de la Palestine dans le monde » (Brisson, 2013). Cet engagement politique, fortement relayé médiatiquement, tend à éclipser pendant un temps son positionnement intellectuel, notamment sur la scène française5.

  • 6 François Wahl participe à l’essor des éditions du Seuil en créant de nouvelles collections comme «  (...)

6Orientalism est traduit en 1980 par les éditions du Seuil. Cette maison d’édition a été créée en 1935. Elle défend un positionnement critique et politique ancré dans une tradition catholique de gauche (Serry, 2008). Cette traduction paraît dans la collection « philosophie », dirigée à l’époque par François Wahl6, et se fait par l’intermédiaire de Tzvetan Todorov. En effet, ce dernier est publié aux éditions du Seuil depuis 1970 et rencontre Edward Saïd lorsqu’il est Visiting Professor à Columbia en 1977 :

  • 7 Entretien avec Tzvetan Todorov, Paris, le 6 janvier 2014.

On appartenait à la même génération, on avait des points comme ça, un parcours suffisamment en commun pour sympathiser et donc j’ai très vite connu l’existence de l’Orientalisme. Ça m’a tout à fait convaincu d’être un livre indispensable, utile, nécessaire, donc je l’ai proposé à celui qui était mon éditeur à l’époque, les éditions du Seuil, où ça a été accepté sans difficulté7. 

  • 8 « Puis je lui ai trouvé une traductrice qui était Catherine Malamoud, une femme qui avait traduit d (...)
  • 9 Cette première publication est suivie quelques années plus tard d’une publication par Edward Saïd d (...)
  • 10 L’opération de marquage est définie par Pierre Bourdieu comme « une opération de marquage (d’un pro (...)
  • 11 Le dossier de presse pour la publication d’Orientalisme dans les archives des éditions du Seuil dén (...)
  • 12 Archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, Dossier SEL2S2B125D2, L’Orientalisme, fiche de (...)
  • 13 François Gèze et Catherine Portevin, « la crise de l’édition des livres en sciences humaines et les (...)

7Plus qu’un simple passeur de livre, Tzvetan Todorov participe à son travail éditorial en sélectionnant une traductrice, Catherine Malamoud, et en rédigeant la préface de l’ouvrage8. Le moment de la « mise en livre » – c’est-à-dire l’ensemble du paratexte choisi par l’éditeur qui orientent la lecture : choix de la collection, du préfacier, rédaction de la quatrième de couverture, présentation de l’auteur – est une étape déterminante de sa réception (Chartier, 2003 [1985], p. 104). Les éditions du Seuil en la personne de François Walh et la préface de Tzvetan Todorov participent à la transmission d’un capital symbolique fort et d’un transfert de légitimité pour cette première traduction9 en suivant la logique du « marquage10 » (Bourdieu, 2002). Cela constitue à la fois une forme d’« adoubement » d’un nouvel entrant dans l’espace français (Todorov, 1980) et une volonté d’éviter les malentendus inhérents à la traduction d’un ouvrage dans un nouvel espace intellectuel (Chartier, 2003 [1985]). La réception de ce premier ouvrage connaît un écho médiatique important avec la publication de comptes rendus dans la plupart des grands quotidiens nationaux et dans les hebdomadaires. Il donne lieu également à des émissions de radio11. Les archives du Seuil mettent en lumière le rythme des ventes de ce titre sur les cinq premières années de sa publication. Ainsi, le titre est vendu à 2502 exemplaires en 1980, 423 en 1981, 596 en 1982, 878 en 1983 et 530 en 1984, ce qui fait un total de 4929 sur cinq ans12. Mis en regard avec les chiffres moyens de vente en sciences humaines et sociales à l’époque, l’ouvrage se vend relativement bien. En effet, François Gèze souligne qu’en 1980, un livre était vendu sa première année 2200 exemplaires, en 1988 1200 exemplaires et en 1999 entre 600 et 700 exemplaires13.

8Malgré une diffusion et une couverture médiatique importantes, l’ouvrage reçoit un accueil mitigé au sein de l’espace scientifique (Brisson 2009 ; Dartigues, 2018 ; Baduel, 2018) – même si le silence tant dénoncé est à relativiser. Alain Roussillon (1990) dans son analyse de la réception d’Edward Saïd dans le champ intellectuel arabe montre que les chercheurs français y ont été hostiles, dénonçant l’absence de nouveauté et la simplicité de cette analyse. Thomas Brisson (2011) explique également cette position par différents facteurs. Pour ces scientifiques, l’ouvrage semble rouvrir une question déjà abordée et débattue lors de la publication en 1960 de l’article « L’orientalisme en crise » d’Abd-el-Malek. Dans celui-ci, l’auteur avait prôné une décolonisation scientifique et l’inversion des rapports de domination dans la production des savoirs. Le champ des études arabes a également subi des transformations et des métamorphoses entre 1960 et 1980 qui expliquent ces difficultés. Thomas Brisson (2008a) montre que l’orientalisme a été remis en cause de deux manières : de « l’extérieur » avec l’apparition de nouveaux thèmes de recherches et méthodes et de « l’intérieur » par le biais d’un nouveau regard porté sur les objets traditionnels de l’orientalisme. Lorsqu’Orientalisme est publié en français, il semble donc rouvrir un débat qui a déjà eu lieu dans l’espace français et qui ne correspond plus aux préoccupations contemporaines. Enfin, l’œuvre d’Edward Saïd est avant tout une œuvre issue de l’espace intellectuel américain qui s’inscrit dans les débats propres à cet espace dans les années 1970 (Brisson, 2018). Pour la critique française, cet ouvrage s’adresse principalement un public anglophile et anglophone.

  • 14 La consultation de la base Index Translatium, un outil de l’UNESCO qui recense les traductions des (...)

9Alors que ce premier ouvrage est traduit plus rapidement en France que dans d’autres pays européens14, Orientalisme ne donne pas lieu à une relecture critique des classiques de la littérature comme prônée dans l’ouvrage. À la suite de cette première traduction, les nouvelles œuvres d’Edward Saïd ne sont pas traduites en français pendant seize ans. Pourtant il publie durant cette période douze ouvrages aux États-Unis (Tableau 1). L’analyse des archives et des entretiens menés avec les éditeurs permet de souligner l’entremêlement entre des raisons politiques et des raisons propres à l’économie de la traduction dans ce retard français.

Tableau 1 : Principaux ouvrages d’Edward Saïd en anglais et en français

Titre

Première publication

Traduction

Beginnings: Intention and Methods

1975

NT

Orientalism

1978

1980 (Seuil)

The Question of Palestine

1979

2010 (Sindbad)

Covering Islam: How the Media and the Experts Determine How We See the Rest of the World?

1981

2011

The World, the Text and the Critic

1983

NT

After the Last Sky

1986

NT

Musical Elaborations

1991

NT

Culture and Imperialism

1993

2000 (Fayard/Le Monde Diplomatique)

Representation of the Intellectuals

1994

1996 (Seuil)

The Politics of Dispossession

1994

NT

Peace and its Discontents: Essays on Palestine in the Middle East Peace Process

1995

NT

Out of Place. A Memoir

1999

2002 (Serpent à Plumes)

Reflection on Exile and Other Essays

2000

2008 (Actes Sud)

The End of the Peace Process Oslo and After

2000

NT

Freud and the Non-European

2003

2004 (Serpent à Plumes)

From Oslo to Iraq and the Road Map

2004

2004 (Fayard)

Humanism and Democratic Criticism

2004

2005 (Fayard)

On the Late Style

2006

2012 (Actes Sud)

NT – non traduit.

10Pour Edward Saïd les raisons de ce silence ne font aucun doute, elles sont d’ordre politique. Dans un échange avec Micheline Paunet, rédactrice en chef au Monde Diplomatique de 1981 à 1995, il écrit :

  • 15 Archives Edward Saïd, Columbia University, box 19, folder 27, lettre du 20 septembre 1994.

Quant à mes malheurs avec les éditeurs français, c’est une histoire assez banale. Depuis la traduction de l’Orientalisme (Seuil) paru en 1980, aucun éditeur, surtout Le Seuil, a voulu me traduire pour des raisons (je suppose) entièrement politiques. Figurez-vous qu’au moins 10 maisons d’édition ont refusé récemment Culture and Imperialism, et il s’agit de 9 livres en plus. Si vous pouvez m’aider pour Politics of Dispossession, je serai éternellement reconnaissant15.

  • 16 Malgré la mention dans cette lettre de nombreux refus de traduction, nous n’avons pas pu retrouver (...)
  • 17 Entretien avec Farouk Mardam Bey, 19 juin 2013.
  • 18 Michelle Zancarini-Fournel (2012) revient sur le retard de traduction des Subaltern Studies en Fran (...)

11Le refus de traduire les œuvres suivantes par les éditeurs français serait, selon Edward Saïd, lié à ses prises de position considérées comme trop radicales. Ces raisons politiques sont également soulevées par tous les éditeurs ultérieurs d’Edward Saïd rencontrés en entretien. Ainsi, Pierre Astier des éditions du Serpent à Plumes explique qu’il était « persona non grata », Éric Hazan des éditions La Fabrique parle de « censure16 » et Farouk Mardam Bey le qualifie « d’auteurs qui sentaient le souffre17 ». Cette critique de la radicalité de ses positions peut être reliée au contexte intellectuel de l’époque et notamment de la perte de légitimité du marxisme (Keucheuyan, 2016, 2018), un phénomène qui a également des conséquences sur les traductions d’autres penseurs anglo-saxons comme la publication de La transformation de la classe ouvrière anglaise d’Edward P. Thompson ou L’Âge des extrêmes d’Eric Hobsbawn18. La citation précédente renseigne également sur le sens de la circulation éditoriale. Edward Saïd a personnellement contacté plusieurs maisons d’édition pour qu’elles traduisent ses ouvrages et celles-ci ont, selon Edward Saïd, déclinées. Il cherche activement à installer ses ouvrages sur le marché français, ce dont témoignent ses archives au sein desquelles sont conservées plusieurs correspondances avec des éditeurs français. Les délais de traduction sont donc l’effet d’un refus de traduction et non d’une ignorance.

12Néanmoins, une interprétation complémentaire à la lecture proposée par Edward Saïd peut être avancée. En effet, les éditeurs œuvrent dans une logique de sélection des ouvrages. Les refus peuvent être associés à ce qu’Anne Simonin et Pascal Fouché (1999) appellent une « lecture éditoriale ». Les éditeurs participent ainsi à la co-création de l’œuvre, la sélection des ouvrages étant partie prenante de la production de la valeur dans l’espace éditorial (Serry, 2012).

13Les archives personnelles d’Edward Saïd consultées à l’Université de Columbia montrent une attention permanente d’Edward Saïd pour la traduction de ses œuvres en français. Alors que toutes ses autres traductions sont gérées par une agence londonienne, il engage une agence française spécifiquement pour la diffusion de ses textes en France. Les nombreux échanges épistolaires avec les éditeurs et les responsables de collections présents dans les archives personnelles d’Edward Said renforcent cette impression. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cet investissement. Edward Saïd a été scolarisé dans les langues anglaise et française. Il maîtrise les codes culturels de la France comme ceux du Royaume-Uni et de l’Amérique du Nord. La publication d’Orientalisme met en avant son érudition vis-à-vis de la littérature française. Être traduit en français lui permettrait d’ouvrir un espace de dialogue avec les universitaires français. De plus, Paris est un centre important pour la production intellectuelle arabe grâce à la présence de chercheurs, de journalistes, d’étudiants et le développement d’instituts comme celui du Monde Arabe fondé en 1987. De fait, en 1980, Paris devient, selon Thomas Brisson (2008b), une « capitale de la presse arabe » avec l’exil de nombreux titres de presse qui y trouvent refuge face aux répressions. Ainsi, au-delà du seul public français, la traduction de ces œuvres pourrait lui permettre de toucher un lectorat plus large et de sensibiliser les intellectuels arabes en migration à la remise en cause des épistémologies dominantes occidentales. Enfin, cette volonté d’être traduit en français s’inscrit également dans les logiques de circulation internationale des savoirs, le français étant une langue dominante de cet espace (Casanova, 2015).

14Ces trois hypothèses – le goût personnel pour le français, l’élargissement de son lectorat et la place de la langue française dans la circulation internationale des idées – pourraient expliquer l’investissement particulier d’Edward Saïd dans la traduction française de ses œuvres.

15Si Edward Saïd dénonce dans ses missives une censure politique, il nous semble que les questions de traduction doivent être réintégrées dans l’analyse de l’économie du champ éditorial. En effet, les éditeurs concilient deux injonctions contradictoires qui sont celles de la rentabilité économique et de l’innovation littéraire et scientifique. Il convient alors de réinsérer ce moment particulier situé entre 1980 et 1995 dans le contexte de l’histoire de l’édition française et des crises qui ont pu la secouer. Entre 1960 et 1975, l’édition française connaît une période d’essor de la publication des sciences sociales qui repose sur un double phénomène : l’apparition de nouveaux auteurs et l’arrivée d’un nouveau lectorat, les étudiants (Rieffel, 1993 ; Barluet, 2004). Les années qui suivent, et ce jusqu’en 1995, apparaissent comme des années de crise et de reconfiguration de l’espace éditorial, avec la fusion de grands groupes (Reynaud, 1999) et une importance croissante accordée aux livres d’actualité (Rieffel, 1994). La part des traductions a tendance à augmenter sur cette période. Ainsi, entre 1980 et 2000, le nombre de traductions en français double et la part des ouvrages venus de l’espace anglophone passe de 57 % à 66 % (Sapiro et al., 2008 ; Hauchecorne, 2011). Cette hausse des traductions peut s’expliquer par la multiplication des aides financières, notamment celles du Centre national du livre (CNL). Simultanément, la traduction devient progressivement un recours pour les petites maisons d’édition comme stratégie de niches éditoriales (Sapiro, 2012 ; Noël, 2012a). En effet, Sylvie Bosser (2012) montre que les éditeurs généralistes se détournent des traductions à partir des années 1970 car elles représentent un risque financier trop important dans un contexte de contractions des ventes.

16Les archives des éditions du Seuil, et particulièrement les comptes rendus des lecteurs, soulignent plusieurs raisons liées à ce refus de traduction. Alors que les comptes rendus permettent ou non à un ouvrage d’être publié et qu’ils donnent un aperçu d’une réception particulière ancrée aussi bien dans un contexte externe que de dégager le contexte interne d’une maison d’édition (Cachin, 2002), l’intérêt porté aux lecteurs professionnels est relativement récent dans les études sur le monde de l’édition (Serry, 2012). Ainsi, dans une lettre adressée à Michelle Lapautre, agent littéraire en France d’Edward Saïd, Michel Chodkiewicz, PDG du Seuil à l’époque, souligne :

  • 19 Archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, carton SEL 3954.1, correspondance du 7 février  (...)

Malheureusement, le dernier ouvrage [The World, the Text and the Critic] que vous venez de nous adresser ne me paraît pas à retenir pour une traduction française. Tout d’abord, son caractère assez disparate ne facilitera pas la tâche de l’éditeur : d’autre part et surtout, ce livre me paraît essentiellement écrit pour des universitaires américains et avec une prédominance de références purement américaines. Les anglicistes français que ces débats intéressent évidemment n’auront aucune difficulté à prendre connaissance de l’édition de Harvard19. 

  • 20 Idem, correspondance du 7 février 1983 entre Michel Chodkiewicz et Edward Saïd.
  • 21 Archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, carton Des Intellectuels et du pouvoir, corresp (...)

17Cet extrait met en évidence la difficulté du monde de l’édition à concilier des exigences de rentabilité économique avec un potentiel lectorat restreint et spécialisé. Une lettre adressée à Edward Saïd par Michel Chodkiewicz concernant ce même livre mentionne cela : « Commercialement nous n’avons guère de chances de trouver suffisamment de lecteurs en France pour équilibrer les frais d’une traduction20 ». Cette question du coût de la traduction est également soulignée dans une lettre envoyée à la traductrice Dominique Eddé qui travaille sur Des Intellectuels et du Pouvoir en 1996 : « Nous vous rappelons que, par contrat, le volume de corrections d’auteurs auquel vous pouvez procéder est limité : trop nombreuses, elles peuvent entraîner un retard de parution et un surcoût financer21 ». Les obstacles éditoriaux comme le coût de la traduction et la peur de l’absence de lectorat semblent être les raisons avancées par les éditions du Seuil pour repousser la traduction des ouvrages d’Edward Saïd. Elles finissent par publier l’ouvrage Des Intellectuels et du pouvoir en 1996.

  • 22 Archives Edward Said, Columbia University, box 22, folder 19, lettre du 19 septembre 1996.

18À la fin des années 1990, Edward Saïd bénéficie néanmoins d’une forte notoriété intellectuelle en France. Deux évènements scientifiques facilitent la circulation de ses écrits dans l’espace scientifique. Le premier est un colloque international organisé par Abdelwahab Meddeb, intellectuel public et multipositionnel, les 29, 30 mai et 1er juin 1996 intitulé Postcolonialisme. Lors de ces trois jours, Abdelwahab Meddeb invite les intervenants à réfléchir à la circulation de la grille de lecture postcoloniale : « Pourquoi le terme postcolonialisme qui pourrait éclairer l’état du monde en cette fin de siècle, ne résonne-t-il pas de la même manière en Europe et en Amérique ? » Dans un échange de correspondance entre Abdelwahab Meddeb et Edward Saïd à la suite du colloque, le premier insiste sur le rôle du second dans la fondation de ce courant de pensée et lui demande un article sur les fondements du concept postcolonial pour la revue Dédale qu’il dirige22. Quelques mois plus tard, en novembre 1996, Pierre Bourdieu organise une série de conférences au collège de France intitulées : « Pour une interprétation des formes culturelles » dans laquelle il développe quatre axes : 1) L’expérience de l’histoire : l’impérialisme et l’imaginaire, 2) L’Islam, l’occident et l’orientalisme ; 3) Du rapport entre l’exil et le style tardif : Adorno, Lampedusa, Cavafy ; 4) « Cosi Fan Tutte » aux extrêmes limites. Ce cycle de conférences souligne la dualité de la réception d’Edward Saïd en France : d’une part, il a une reconnaissance centrale au sein des institutions les plus prestigieuses et, d’autre part, les maisons d’édition sont réticentes à sa traduction. Le cycle de conférences participe à la popularisation des thèses d’Edward Saïd auprès d’un public plus large, d’autant que les conférences sont suivies d’une série d’entretiens dans la presse (Le Monde, Les Inrockuptibles). Ces conférences devaient donner lieu à une publication aux éditions du Seuil. Pourtant le projet éditorial échoue à nouveau – une publication des conférences dans les pages du journal Le Monde est un temps envisagée avant d’être également abandonnée. À la suite de ces conférences, les archives d’Edward Saïd révèlent un certain nombre de courriers d’invitation à participer à des conférences sur le racisme et l’islam en France.

19Ainsi, malgré une traduction précoce d’Orientalisme en français grâce aux réseaux personnels d’Edward Saïd, cet ouvrage ne parvient pas à s’imposer comme un classique dans l’espace intellectuel français notamment en raison des décalages scientifiques qui existent entre les États-Unis et la France sur la manière d’aborder l’Orient. De plus, l’absence de traduction des deux autres ouvrages de son triptyque, The Question of Palestine et Covering Islam: How the Media and the Experts Determine How We See the Rest of the World entrave la circulation des réflexions sur la déconstruction des représentations médiatiques de l’islam et du Proche-Orient. Si Edward Saïd ne propose qu’une interprétation en termes de censure politique de ses œuvres, nous avons montré que la circulation et la traduction d’un ouvrage sont également contingentes de l’économie de l’édition, particulièrement précaire. Dans ce sens, les prises de position politique de l’auteur ont pu être perçues comme des obstacles à la rentabilité économique des traductions dans le contexte intellectuel d’un affaiblissement du marxisme. Les raisons du silence éditorial sont multiples et entremêlent à la fois les contextes intellectuel, politique et économique qui font que les ouvrages d’Edward Saïd sont lus de manière ambiguë. Cette difficulté est renforcée par le fait que les traductions suivantes seront le fait de petites maisons d’édition politisées.

Résister à la résistance : la traduction comme acte de « bravoure » éditorial

20La fin des années 1990 est marquée par une transformation de l’espace éditorial critique. En effet, de nouveaux éditeurs investissent la traduction d’auteurs critiques anglo-saxons, souvent issus du marxisme comme Fredric Jameson, David Harvey, Perry Anderson ou encore Slavoj Zizek, tels que les éditions Amsterdam, Les Prairies ordinaires ou encore La Fabrique. Ce nouvel espace critique peut être défini à la suite de Sophie Noël (2012b, p. 75) comme « sont désignées les structures indépendantes publiant dans le domaine des sciences humaines et des essais, animés par une conception politique (globalement de gauche) ou “engagée” de leur métier, dont la production se situe au carrefour des secteurs universitaires, militant et grand public ». Les auteurs recherchés par ces maisons d’édition se situent ainsi à la croisée entre espace savant et militant, une position qu’incarne parfaitement Edward Saïd. De plus, ces petites maisons capitalisent sur la traduction pour se construire un catalogue rapidement avec un capital symbolique important. Si la formation de cet espace éditorial de gauche favorise la traduction d’Edward Saïd, elle la conditionne également.

21Ce positionnement est renforcé par l’identité des maisons d’édition qui prennent en charge ses traductions. Les deux premiers livres publiés par Edward Saïd après 1996 sont Entre guerre et paix : retour sur Israël/Palestine, publié par les éditions Arléa en 1997, et Israël/Palestine : l’égalité ou rien, publié par La Fabrique en 1999. Ces deux publications identifient Edward Saïd à son rôle dans le conflit israélo-palestinien. En effet, toutes deux sont des collections d’articles de presse traduits en français et non pas la traduction de ses ouvrages théoriques. La première publication est prise en charge par les éditions Arléa, fondée par Jean-Claude et Catherine Guillebaud. Entre guerre et paix : retour sur Israël/Palestine relie et traduit deux articles publiés pour l’un dans The Observer, en octobre-novembre 1992, et pour le second dans The London Review of Books, en septembre 1996. Cette nouvelle traduction est portée par le réseau d’Edward Saïd au sein des éditions du Seuil puisque l’édition est prise en charge par Tzvetan Todorov, qui rédige à nouveau la préface de l’ouvrage, et Jean-Claude Guillebaud, également auteur et directeur littéraire aux éditions du Seuil.

  • 23 La maison d’édition La Fabrique est l’héritière des éditions Hazan. Éric Hazan, fils et petit-fils (...)
  • 24 Entretien avec Éric Hazan, Paris, 14 avril 2013.
  • 25 Entretien réalisé par le journal Rue 89, 16 septembre 2012, https://www.dailymotion.com/video/xtejp (...)
  • 26 Entretien avec Éric Hazan, Paris, 14 avril 2013.
  • 27 Aujourd’hui, la maison d’édition édite vingt-sept ouvrages dans la collection Proche et Moyen-Orien (...)

22L’autre ouvrage, Israël/Palestine : l’égalité ou rien, inscrit de manière plus tranchée Edward Saïd au sein des réseaux politiques pro-palestiniens. En effet, le chercheur obtient un contrat avec les éditions La Fabrique créées en 199623. Cette maison d’édition propose de nouveaux espaces d’expression à une pensée qui pouvait jusqu’alors paraître « placardisée ». Elle se situe au carrefour de l’édition universitaire, militante et grand public (Noël, 2012b). Les premiers pas d’Éric Hazan dans la publication d’ouvrages à propos du conflit israélo-palestinien ont pour but de faire un état des lieux « de la souffrance du peuple palestinien24 ». L’ouvrage d’Edward Saïd publié à cette occasion est l’un des tout premiers ouvrages édités par La Fabrique et correspond pour Éric Hazan à un « livre qui lui a ouvert les yeux » et « permis d’aller de l’avant25  ». Sa posture éditoriale est en effet la suivante : un éditeur doit être « en résistance » et contre la « marchandisation de la production éditoriale26 ». Ce positionnement correspond aux formes traditionnelles de l’engagement des éditeurs entrants qui les amènent à insister sur l’édition comme lieu d’engagement artistique, politique, et qui vise à nier la dimension financière (Bourdieu, 1999). Le recours à la traduction est une stratégie souvent adoptée par les petites maisons d’édition (Noël, 2012a). Éric Hazan explique : « [qu’] il y avait une volonté de sortir du provincialisme français, mais la traduction était aussi une nécessité au début, parce que les bons auteurs français avaient leurs éditeurs attitrés » (Hazan & Potte-Bonneville, 2005, p. 91). Cela lui permet également d’accumuler un capital symbolique (Noël, 2012c ; Simonin, 2004). Israël-Palestine : l’égalité ou rien est donc le tout premier livre d’une longue série sur la condition palestinienne publié par cette maison27. L’ouvrage traduit rassemble un ensemble d’articles traitant de la question palestinienne à la suite de la signature des accords d’Oslo. Le livre ne connaît qu’un succès « semi-confidentiel », sa vente avoisine les 3000 exemplaires. La presse reste muette à sa sortie, même Le Monde Diplomatique au sein duquel Edward Saïd a l’habitude de publier des articles et dont la ligne éditoriale sur la question palestinienne est proche de ses idées ne rédige pas de compte rendu.

  • 28 Dominique Eddé est née à Beyrouth en 1953. Elle joue un rôle de passeure dans la circulation des te (...)
  • 29 Archives Edward Saïd, Columbia University, Box 24, Folder 14, Lettre du 4 janvier 1999.
  • 30 Archives Edward Saïd, Columbia University, Box 24, Folder 17, Lettre du 6 avril 1999.

23Alors que jusque-là les ouvrages d’Edward Saïd étaient accompagnés par le travail de son agent, Michelle Lapautre, cette publication marque une rupture. En effet, Éric Hazan traite directement avec l’auteur, par l’intermédiaire d’une amie commune, Dominique Eddé. Celle-ci a déjà participé à la traduction des ouvrages d’Edward Saïd aux éditions du Seuil28. Dans les archives, elle apparaît comme plus qu’une traductrice. En effet, elle réalise également le travail d’édition – choix de la couverture, écriture de la quatrième de couverture, relecture, mise en page. Elle s’impose comme l’intermédiaire privilégiée entre Éric Hazan et Edward Saïd : « Back from Palestine, Dominique told me you could accept my proposal to publish your work in our small “La Fabrique”29 », « Grâce à D., l’editing sera je crois, fidèle à tes idées30  ». De par la taille de la structure des éditions La Fabrique, la publication de cet ouvrage se fait de manière plus artisanale. Éric Hazan et Dominique Eddé garantissent la traduction, la publication et la promotion de l’ouvrage. Après la mort d’Edward Said, Éric Hazan envisage de publier un autre recueil d’articles politique de l’auteur mais les négociations financières menées d’abord avec Whylie, la nouvelle agence qui représente Edward Saïd, puis directement avec la femme d’Edward Saïd échouent. Le différent portent sur le coût d’achat des droits de traduction : « Ils [L’agence Whylie] sont d’horribles gens, des ennemis de la pensée, mais de vrais ennemis de la pensée, […] c’était véritablement la Stasi […] puis j’ai contacté la femme de Saïd pour qu’elle intercède en ma faveur, mais c’est une banquière, elle a mis un point final à tout ça. » Là encore la difficulté de traduction s’apparente plutôt à un rapport de force dans l’espace éditorial, entre un petit éditeur militant qui souhaiterait acquérir à moindres frais les droits de traduction, d’une part, et un agent qui défend les intérêts financiers de son client – en l’occurrence la femme d’Edward Saïd après la mort de ce dernier.

  • 31 Les titres de ses articles témoignent de cette spécialisation : « La Palestine n’a pas disparu », m (...)
  • 32 Alain Gresh, né au Caire en 1948, est un journaliste spécialiste du Moyen-Orient. Il est le rédacte (...)

24Ces deux ouvrages popularisent l’engagement politique d’Edward Saïd en faveur de la Palestine en France – même si celui-ci a quitté en 1992 l’OLP et est depuis un acteur critique indépendant. À partir de 1993, Edward Saïd devient un collaborateur régulier du Monde Diplomatique. Cette prise de parole médiatique entre en résonnance avec sa conception de l’engagement intellectuel (Brisson, 2013). À partir des années 1970, il publie de nombreux articles, parfois polémiques ou du moins à contre-courant des idées dominantes, au sein de la presse nationale américaine. En France, sa participation au Monde Diplomatique intervient dans le cadre d’une réorientation de ce titre sur la question israélo-palestinienne (Harvey, 2014). Samuel Ghiles-Meilhac (2009) montre que Le Monde Diplomatique adopte un nouveau regard sur le conflit à la suite de l’évolution de la position géopolitique de la France à l’égard d’Israël après 1967 et également sous l’influence de son nouveau directeur Claude Julien qui affirme la dimension militante du titre et donne un point central à la question du Tiers Monde dans ses colonnes. Suite à la seconde Intifada, le ton adopté par le journal se durcit à l’égard d’Israël. Edward Saïd intervient alors comme spécialiste de la question palestinienne31. Cette collaboration avec Le Monde Diplomatique et son amitié avec le rédacteur en chef de ce journal, Alain Gresh32, contribuent à imposer la figure d’Edward Saïd à la croisée de l’espace intellectuel – Le Monde Diplomatique est traditionnellement un média dans lequel les intellectuels interviennent –, de l’espace politique de la gauche radicale et de l’espace des luttes en faveur de la Palestine. Cette amitié et leurs collaborations professionnelles et militantes les amènent à travailler ensemble à l’édition de Culture et impérialisme, traduit et publié aux éditions Fayard.

  • 33 Les éditions Complexe sont une maison d’édition belges de sciences sociales fondée en 1971 par Dani (...)
  • 34 Pierre Nora (1997, p. 94) dans un dossier de la revue Le Débat (qu’il dirige alors) écrit : « La Fr (...)

25En effet, à la fin des années 1990, et pendant une dizaine d’années, Le Monde Diplomatique noue des partenariats avec des maisons d’édition pour traduire et éditer des auteurs anglo-saxons qui rencontrent des difficultés à être traduits en France. Ainsi, il publie en 1999, en collaboration avec les éditions Complexe33 l’ouvrage d’Eric Hobsbawm, L’Âge des extrêmes. Histoire du court xxe siècle – un ouvrage déjà traduit dans dix-neuf langues à l’époque et refusé notamment par les éditions Gallimard34. La comparaison entre la trajectoire éditoriale d’Eric Hobsbawm et celle d’Edward Saïd apporte des éclairages sur la situation éditoriale française et souligne les difficultés rencontrées par les auteurs critiques anglophones à trouver un espace éditorial en France. En effet, alors que les premiers ouvrages d’Eric Hobsbawm sont traduits dans les années 1960-1970 et sont un large succès éditorial, il connaît un silence éditorial avant la publication par Le Monde Diplomatique. Lorsqu’il est publié, comme pour Edward Saïd, il s’agit de recueils d’articles ou d’entretiens marginaux (Minard, 2006). La réaction de Pierre Nora sur « un environnement intellectuel et historique peu favorable » mis en regard avec les chiffres de ventes des ouvrages d’Eric Hobsbawm donne de l’étoffe à ceux qui dénoncent un conservatisme des maisons d’édition généralistes (Bosser, 2012).

  • 35 À l’époque Henri Trubert est éditeur de sciences sociales chez Fayard. En 2009, il créé la maison d (...)
  • 36 Entretien réalisé avec Alain Gresh, Paris, 8 janvier 2013.

26Le Monde Diplomatique publie d’autres ouvrages critiques tels quel Elias Khoury, Les Portes du soleil (Actes Sud 2003), Moshe Lewin, Le Siècle soviétique (Fayard 2003) ou encore Kristin Ross, Mai 68 et ses vies ultérieures (Complexe 2005). L’ouvrage Culture et Impérialisme d’Edward Saïd est quant à lui traduit en partenariat avec les éditions Fayard en 2000. Edward Saïd est édité grâce à l’intervention d’Alain Gresh qu’il côtoie dans le cadre de son engagement en faveur de la Palestine. Ce dernier se rapproche des éditions Fayard car il connaît personnellement l’éditeur Henri Trubert avec qui il a déjà collaboré sur d’autres projets35. En traduisant Culture et Imperialisme le choix de publication se porte sur un de ses ouvrages à la jonction entre théorie et politique, et non une œuvre militante ou un recueil d’articles. Ainsi, l’acte militant semble porter à la fois sur la symbolique du nom de l’auteur et sur le contenu même de la traduction. La publication de cet ouvrage dix ans après sa publication en langue anglaise est considéré comme un acte de bravoure : « à l’époque il [Henri Trubert éditeur chez Fayard] n’avait pas peur de prendre de risques politiques entre guillemets36 ». Alain Gresh évoque en entretien sa volonté de poursuivre ce travail de traduction d’autres ouvrages d’Edward Saïd comme l’Islam dans les médias : comment les médias et les experts façonnent notre regard sur le reste du monde mais il n’est pas parvenu à obtenir les droits de traduction et a abandonné le projet. Cette question de l’obtention des droits d’auteur à des prix considérés comme raisonnables par Alain Gresh et Éric Hazan précédemment met l’accent sur la fragilité économique de cet espace éditorial fortement contraint dans ses budgets.

27Le dernier ouvrage traduit de son vivant est À Contre-Voix, son autobiographie, par les éditions du Serpent à Plumes. Cette maison d’édition a été créée par quatre nouveaux entrants dans l’espace éditorial parisien (Ducournau, 2012). Éditeurs d’une revue fondée en 1988, ils font évoluer leur structure pour qu’elle devienne une maison d’édition en 1993. Ils misent sur la publication d’auteurs étrangers et principalement africains, forgeant une large place à « la littérature postcoloniale ». Après une dizaine d’années passées à publier de la fiction, les éditeurs souhaitent créer une nouvelle collection de non-fiction consacrée à la critique littéraire. Les deux premiers auteurs de cette collection sont Noam Chomsky et Edward Saïd, auteurs critiques peu traduits à cette époque. L’orientation de cette collection qui regroupe finalement une quinzaine de titres porte sur la politique étrangère des États-Unis dans le monde. Ainsi, l’ouvrage de Noam Chomsky est un entretien publié à la suite des attentats du 11 septembre, Pouvoir et terreur : entretiens après le 11 septembre.

  • 37 Entretien réalisé avec Pierre Astier, Paris, 30 mars 2013.
  • 38 Entretien avec Farouk Mardam-Bey, Paris, 19 juin 2013.
  • 39 Idem.

28Selon Pierre Astier, qui se charge de l’édition de l’ouvrage au Serpent à Plumes, pour que l’agent littéraire se tourne vers une maison d’édition aussi marginale que la sienne dans l’espace éditorial, c’est que l’ensemble des éditeurs parisiens avait dû refuser le manuscrit37. Farouk Mardam-Bey, éditeur chez Sindbad, souligne ce moment en disant : « C’est parce que c’est lui [Pierre Astier] qui a tendu la main à Edward Saïd au moment où il était pratiquement boycotté en France38 » signifiant ainsi bien le rejet d’Edward Saïd « le Palestinien qui écrit sur la Palestine39 ». À la suite de cette publication, Pierre Astier prend contact avec les éditions du Seuil afin de racheter les droits d’édition d’Orientalisme qui est alors épuisé. Le Seuil refuse ce rachat et face à la demande, décide d’assurer lui-même une réédition de l’ouvrage qui sort en 2004 dans le format poche. Ainsi, ce nouvel entrant dans l’espace éditorial permet par sa requête de sortir les éditions du Seuil de leur immobilisme et forme un nouvel espace de concurrence autour des œuvres d’Edward Saïd. Les archives du Seuil révèlent qu’à la suite de cet épisode Edward Saïd prend la décision de transférer la publication de ses ouvrages exclusivement au Serpent à Plumes.

  • 40 Archives du Seuil, conservées à l’IMEC, dossier SEL2S2B125D2 L’orientalisme, échange de mail du 6 j (...)

X de l’Agence Michelle Lapautre vient de m’informer que l’auteur ne signera pas l’addendum au contrat que nous lui avons proposé, puisqu’il souhaite que désormais le Serpent à Plumes soit son éditeur en France40. 

29Cette décision peut être interprétée comme la rupture d’Edward Saïd avec les maisons d’édition les mieux installées dans l’espace éditorial, rupture aussi bien économique que symbolique. De 1996 à 2003, l’identité politique d’Edward Saïd se construit et se renforce en France aussi bien par le biais des multiples sollicitations qu’il reçoit – politique, associative, colloque –, que par les choix éditoriaux qu’il est amené à faire suite au silence des maisons traditionnelles qu’il a pourtant sollicitées tout au long de sa carrière.

Le dernier voyage éditorial : la reprise par Actes Sud

30Lors du décès d’Edward Saïd, le 24 septembre 2003, peu de journaux publient des nécrologies : Libération, Le Figaro, Politis et Le Monde. Les trois premiers présentent Edward Saïd uniquement par le biais de son identité militante dans la lutte en faveur de la Palestine, décrivant les grandes étapes de ses engagements politiques – « le réveil de l’identité palestinienne », son entrée dans le Conseil national palestinien, sa rupture avec Yasser Arafat et son positionnement face aux accords d’Oslo – et ne donnent que peu de détails sur sa carrière universitaire et intellectuelle. À l’opposé, l’article du Monde rédigé par Sylvain Cypel, spécialiste des relations entre les Palestiniens et leurs intellectuels, revient de manière plus détaillée sur la généalogie intellectuelle de cet auteur et les grands ouvrages qu’il a publiés tout au long de sa carrière. Il insiste sur son identité d’homme complexe et multiple, notamment en raison de son identité d’« exilé » entre l’Égypte, les États-Unis, la Palestine, mais également de par son engagement intellectuel et militant. L’étude des nécrologies (Hauchecorne, 2010) souligne la multipositionnalité d’Edward Saïd et illustre la prédominance des représentations le réduisant à une identité de militant dans l’espace français. L’espace savant lui rend également hommage avec l’organisation d’un colloque les 25 et 26 septembre à la Bibliothèque nationale de France, en partenariat avec l’Université Paris Diderot et l’Université de Columbia à Paris, Reid Hall. Lors de ces journées, certains de ses principaux passeurs français prennent la parole comme Tzvetan Todorov, Dominique Eddé ou encore Sonya Dayan-Herzbrun.

  • 41 Voir le programme du colloque international « Edward Said » du 14 au 16 mai 2014 à l’ENS de Lyon.
  • 42 Voir notamment Makrâm Abbes et Jérome Dartigues (2018) ou Yves Clavaron (2016).
  • 43 Voir notamment le numéro de Sociétés et Représentations (2014), ou encore celui de Tumultes (2010).

31Les ouvrages d’Edward Saïd connaissent un regain d’intérêt après son décès. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène. La reconnaissance internationale manifeste de l’auteur au moment de sa mort ne peut plus être ignorée par les éditeurs français. Le dynamisme éditorial peut également s’expliquer par le changement discursif des années 2000 en France. En effet, à la fin des années 1990 et le début des années 2000 le débat public est traversé par la montée de revendications mémorielles et identitaires (Martigny, 2012), portées par des groupes minoritaires et minorisés. Ils réclament notamment la reconnaissance de l’histoire complexe de la France, comme en témoigne, en 2001, les mobilisations précédant le vote de la loi Taubira relative à la mémoire de l’esclavage en France. L’année 2005 constitue un moment de cristallisation autour de ces débats que ce soit à cause du vote de la loi no 2005-158 et notamment son article 4 relatif au caractère positif de la colonisation, lors de la diffusion de l’Appel des Indigènes ou encore lors des émeutes dans les banlieues. Ces trois moments sont relus ensemble par le prisme de l’identité mémorielle (Dufoix, 2006). C’est dans ce contexte que le vocable postcolonial est traduit et s’impose en France comme nouvelle grille de lecture du monde social (Collier, 2018). Les revues et les éditeurs participent à la circulation des auteurs rassemblés sous le vocable de la « sainte trinité » (Young, 1995). Les traductions des ouvrages d’Homi Bhabha, de Gayatryi Chakravorty Spivak ou encore d’Arjun Appadurai donnent une nouvelle visibilité aux travaux d’Edward Saïd, considéré par beaucoup comme le père fondateur du courant de pensée postcoloniale. La découverte de ces auteurs entraîne une relecture d’Edward Saïd dans l’espace universitaire avec l’organisation de journées d’étude et de colloques41 et la publication d’ouvrages42 ou de numéros thématiques de revues43 revenant sur ses œuvres et leurs réceptions. De plus, ses ouvrages font l’objet de plusieurs thèses de doctorat. Il est aujourd’hui un auteur incontournable pour qui souhaite travailler sur la question des représentations de l’altérité. Or, Bruno Auerbach souligne la corrélation qui existe entre le chiffre d’affaires d’un ouvrage et le nombre d’étudiants. Ainsi, en devenant un « classique » du curriculum universitaire tant en littérature, en études anglophones, qu’en sciences sociales – aussi bien en histoire, en sociologie, en anthropologie et en science politique –, s’ouvre un nouveau marché pour les œuvres d’Edward Said, celui des étudiants. Alors qu’auparavant les lecteurs du Seuil avaient jugé que les ouvrages ne seraient lus que par un segment de lectorat très spécialisé (voir supra), les changements discursifs des années 2000 le positionne comme un auteur rentable économiquement.

32Les œuvres d’Edward Saïd changent alors d’éditeur pour la dernière fois. En 2004, la maison d’édition Le Serpent à Plumes rencontre des difficultés économiques et est rachetée par les éditions du Rocher. À la suite de ce rachat, Pierre Astier quitte la structure et est embauché comme directeur de collection auprès des éditions Actes Sud. Claire Ducournau insiste sur la proximité qui existe entre ces deux maisons d’édition : marginales dans le champ éditorial, elles acquièrent une reconnaissance grâce à leur catalogue d’auteurs d’origine africaine qui sont aussi bien des succès critiques que publics – en témoigne aussi bien le rythme de ventes des titres que les prix littéraires acquis. La ligne éditoriale suivie par ces deux maisons est proche et facilite le transfert de l’une (le Serpent à Plumes) vers l’autre (Actes Sud) (Ducournau, 2012). C’est à ce poste que Pierre Astier continue de faire traduire et publier les œuvres d’Edward Saïd et qu’il assure notamment la publication des Réflexions sur l’exil. Il quitte Actes Sud au bout de quelques années pour devenir agent littéraire indépendant. Après le départ de Pierre Astier, les éditions Actes Sud poursuivent la publication des œuvres d’Edward Saïd, à un rythme plus soutenu ces dernières années. Si les œuvres de cet auteur connaissent une stabilité éditoriale, la dichotomie entre un Edward Saïd universitaire et un Edward Saïd militant perdure. Les ouvrages les plus classiques sont publiés dans les collections d’Actes Sud comme Du style tardif. À l’inverse, ceux qui s’ancrent plus dans un questionnement sur l’islam sont eux publiés par Farouk Mardam-Bey dans la collection Sindbad, comme Réflexions sur l’Exil ou La Question de la Palestine, rejouant ainsi la dichotomie entre un Edward Saïd savant et un Edward Saïd militant.

33Finalement, la trajectoire éditoriale qui a été retracée ici met en évidence les effets du brouillage identitaire d’Edward Saïd en France entre chercheur, intellectuel et militant. Son absence de traduction et sa marginalisation en France semblent paradoxales face à sa renommée intellectuelle internationale. Si la trajectoire éditoriale d’Edward Saïd est mouvementée en France, cet article montre néanmoins qu’elle est dépendante de différents réseaux d’influences, que ce soit au sein des éditions du Seuil grâce à Tzvetan Todorov ou lors de son passage aux éditions La Fabrique. Les difficultés éditoriales de cet auteur sont liées à l’entremêlement de différentes causes : le contexte intellectuel français, l’économie propre aux traductions, l’organisation de l’espace éditorial français mais également l’identité complexe d’Edward Saïd conjuguant ses recherches universitaires et un engagement militant actif ce qui le rend difficilement classable. Les éditeurs classiques, que ses capitaux académiques auraient du séduire ont alors été réticents à l’éditer de peur d’un trop fort engagement militant et d’une faible rentabilité économique. Finalement, sa traduction comme sa publication passent par les maisons d’édition critiques qui voient le jour à la fin des années 1990 et dans lesquels certains amis des réseaux militants d’Edward Saïd travaillent ou sont publiés. Après sa mort néanmoins, les œuvres d’Edward Saïd retrouvent une stabilité éditoriale grâce à Actes Sud, même si la multipositionnalité de l’auteur est encore mise en avant à travers la classification de l’auteur entre Sindbad et Actes Sud. Ce silence éditorial a également rendu plus difficile l’émergence d’un pôle d’épistémologie critique qui aurait permis d’interroger la production des savoirs et qui aurait in fine rendu la circulation des études postcoloniales plus aisées.

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Notes

1 Discours en l’honneur d’Edward Said par Sonia Dayan Herzbrun.

2 Sur la même période, l’Index Translationum de l’Unesco indique par exemple 8 traductions en allemand, 7 en espagnol et 12 en japonais.

3 Pour plus d’information sur la trajectoire éditoriale de Covering Islam voir Thomas Brisson ( 2013).

4 Cet engagement politique est connu des intellectuels français : en mars 1979 il est invité à participer à un séminaire sur la paix au Moyen-Orient organisé par Jean-Paul Sartre et les Temps modernes. Il fait le récit de ce séminaire dans un article publié par le journal Al Ahram Weekly, « Sartre and the Arabs: a Footnote », n° 482, 18-24 mai 2000.

5 Pour plus d’informations sur l’articulation entre l’engagement en faveur de la Palestine et la recherche scientifique, voir Claire Gallien (2018).

6 François Wahl participe à l’essor des éditions du Seuil en créant de nouvelles collections comme « L’ordre Philosophique » en 1966 et participe à la publication de philosophes tels que Michel Foucault, Louis Althusser, Jacques Lacan ou encore d’autres auteurs comme Tzvetan Todorov dont il publie en 1970 l’ouvrage Introduction à la littérature fantastique puis la Théorie du symbole en 1977. Il prend la tête du département de sciences sociales en 1980 (Julliard & Winock, 2009).

7 Entretien avec Tzvetan Todorov, Paris, le 6 janvier 2014.

8 « Puis je lui ai trouvé une traductrice qui était Catherine Malamoud, une femme qui avait traduit différents ouvrages d’anthropologie ou d’histoire déjà et qui s’est pris vraiment de passion aussi pour le livre donc on a bien travaillé à cette traduction. Enfin je ne sais pas si elle est parfaite. Je crois que nous avons omis ici et là quelques courts passages pour un peu alléger le livre, pour alléger le volume. Ça me paraissait possible sans mal et Saïd était d’accord. Et donc j’ai écrit une préface parce que je voulais éviter les malentendus, je voulais encadrer un petit peu, donner une idée de l’intention générale du texte » (rntretien avec Tzvetan Todorov, Paris, le 6 janvier 2014).

9 Cette première publication est suivie quelques années plus tard d’une publication par Edward Saïd d’un ouvrage de Tzvetan Todorov dans sa collection aux éditions Harvard, soulignant ainsi l’existence d’échanges de publications entre directeurs de collection et l’importance des réseaux et un transfert de légitimité et de reconnaissance intellectuelle et institutionnelle.

10 L’opération de marquage est définie par Pierre Bourdieu comme « une opération de marquage (d’un produit préalablement “dégriffé”) à travers la maison d’édition, la collection, le traducteur et le préfacier (qui présente l’œuvre en se l’appropriant et en l’annexant à sa propre vision et, en tout cas, à une problématique inscrite dans le champ d’accueil et qui ne fait que très rarement le travail de reconstruction du champ d’origine » (Bourdieu, 2002).

11 Le dossier de presse pour la publication d’Orientalisme dans les archives des éditions du Seuil dénombre cinquante-trois articles de presse (presse quotidienne, hebdomadaire, nationale, régionale ou étrangère francophone confondue) et onze émissions de radios sur le livre (archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, carton SEL 4531.1).

12 Archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, Dossier SEL2S2B125D2, L’Orientalisme, fiche de réimpression.

13 François Gèze et Catherine Portevin, « la crise de l’édition des livres en sciences humaines et les difficultés de la critique », Politique Autrement, octobre 1999, http://www.politique-autrement.org/Lettre-no-17-La-crise-de-l-edition-des-livres-en-sciences-humaines-et-les-difficultes-de-la-critique (consulté le 4 décembre 2019).

14 La consultation de la base Index Translatium, un outil de l’UNESCO qui recense les traductions des ouvrages montre qu’Orientalisme est traduit en 1981 en allemand, en 1982 en turc, en 1986 en japonais, en 1990 en espagnol, en 1991 en coréen, en 1993 en suédois, en 1994 en norvégien, en 1996 en portugais et slovène, en 1999 en hébreu, en serbe et en hongrois, etc.

15 Archives Edward Saïd, Columbia University, box 19, folder 27, lettre du 20 septembre 1994.

16 Malgré la mention dans cette lettre de nombreux refus de traduction, nous n’avons pas pu retrouver ces courriers dans les archives d’Edward Saïd, nous ne savons pas quels ouvrages ont essuyés des refus ni par quelles maisons d’édition ou encore quels étaient les arguments invoqués. Les seuls refus que nous pouvons analyser sont ceux des éditions du Seuil car nous avons pu avoir accès à cette correspondance présente dans les archives de l’IMEC.

17 Entretien avec Farouk Mardam Bey, 19 juin 2013.

18 Michelle Zancarini-Fournel (2012) revient sur le retard de traduction des Subaltern Studies en France et explique que, dans les années 1980-1990, le contexte intellectuel, politique et social n’était pas propice à la traduction et à la circulation des auteurs identifiés comme appartenant aux Subaltern Studies ce qui n’empêche pas le développement d’une histoire sociale française adoptant les mêmes intérêts de recherche (sources orales, intérêt pour les rébellions populaires).

19 Archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, carton SEL 3954.1, correspondance du 7 février 1983 entre Michel Chodkiewicz et Michelle Lapautre.

20 Idem, correspondance du 7 février 1983 entre Michel Chodkiewicz et Edward Saïd.

21 Archives des éditions du Seuil conservées à l’IMEC, carton Des Intellectuels et du pouvoir, correspondance du 27 juin 1996 entre les éditions du Seuil et Dominique Eddé.

22 Archives Edward Said, Columbia University, box 22, folder 19, lettre du 19 septembre 1996.

23 La maison d’édition La Fabrique est l’héritière des éditions Hazan. Éric Hazan, fils et petit-fils d’éditeur, reprend la maison d’édition paternelle spécialisée dans les livres d’art avant de créer une seconde maison d’édition orientée vers la théorie critique. Militant de la première heure contre la guerre d’Algérie aux côtés du FLN, il s’engage également dans le conflit israélo-palestinien en créant l’association médicale franco-palestinienne.

24 Entretien avec Éric Hazan, Paris, 14 avril 2013.

25 Entretien réalisé par le journal Rue 89, 16 septembre 2012, https://www.dailymotion.com/video/xtejpi (consulté le 27 mai 2019).

26 Entretien avec Éric Hazan, Paris, 14 avril 2013.

27 Aujourd’hui, la maison d’édition édite vingt-sept ouvrages dans la collection Proche et Moyen-Orient, dont Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948 de Tanya Reinhardt ; L’Identité palestinienne de Rashid Khalidi ou encore Un Boycott légitime. Pour le BDS universitaire et culturel de l’État d’Israël par Armelle Laborie et Eyal Sivan.

28 Dominique Eddé est née à Beyrouth en 1953. Elle joue un rôle de passeure dans la circulation des textes d’Edward Said par son rôle de traductrice : elle participe au travail éditorial aussi bien des éditions du Seuil, de La Fabrique que du Serpent à Plumes. Cette hypothèse de son rôle déterminant dans la trajectoire de diffusion des œuvres d’Edward Saïd en France est renforcée par sa récente publication d’un ouvrage sur l’auteur (Eddé, 2017).

29 Archives Edward Saïd, Columbia University, Box 24, Folder 14, Lettre du 4 janvier 1999.

30 Archives Edward Saïd, Columbia University, Box 24, Folder 17, Lettre du 6 avril 1999.

31 Les titres de ses articles témoignent de cette spécialisation : « La Palestine n’a pas disparu », mai 1998, « Israel-Palestine, une troisième voie », août 1998.

32 Alain Gresh, né au Caire en 1948, est un journaliste spécialiste du Moyen-Orient. Il est le rédacteur en chef du Monde Diplomatique entre 1995 et 2005. Engagé politiquement proche du mouvement altermondialiste, il prend position en faveur de la Palestine et écrit de nombreux ouvrages sur la question dont notamment Israël-Palestine, vérités sur un conflit, ou encore Palestine 1947, un partage avorté. À la croisée entre l’espace académique et journalistique, il organise également de nombreux colloques et tables rondes en collaboration étroite avec l’Institut du monde arabe.

33 Les éditions Complexe sont une maison d’édition belges de sciences sociales fondée en 1971 par Danielle Vincken et André Versailles. Elles comptent à leur catalogue plusieurs ouvrages d’historiens tel que Raymond Aron, Pierre Milza ou encore Pierre Vidal-Naquet. La maison d’édition cesse son activité en 2007. L’ouvrage d’Eric Hobsbawn est la meilleure vente de la maison d’édition avec 80 0000 exemplaires vendus.

34 Pierre Nora (1997, p. 94) dans un dossier de la revue Le Débat (qu’il dirige alors) écrit : « La France ayant été le pays le plus longtemps et le plus profondément stalinisé, la décompression, du même coup, a accentué l’hostilité à tout ce qui de près, ou de loin, peut rappeler cet âge du philosoviétisme ou procommunisme de naguère, y compris le marxisme le plus ouvert. Cet attachement, même distancié, à la cause révolutionnaire, Eric Hobsbawm le cultive certainement comme un point d’orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l’air du temps ; mais en France en ce moment, il passe mal. C’est ainsi on y peut rien. Ce n’est pas à un grand historien qu’on rappellera le poids du passé ». Dans sa préface à l’édition française Eric Hobsbawm revient sur cette critique avec ironie et dénonce lui aussi une censure politique sous couvert d’arguments économiques : « Était-il probable, comme des éditeurs français l’on suggéré, que ce livre, à la différence des précédents titres de l’auteur, eut été publié à perte ? […] Que Hobsbawm soit demeuré un homme de gauche impénitent serait “une gêne” pour la mode intellectuelle en vogue aujourd’hui à Paris. […] On observera au passage que les éditeurs de pays au moins aussi profondément “stalinisés” en leur temps que la France, et exposés à une “décompression” encore plus spectaculaire, à savoir les anciens États communistes, n’ont pas hésité à le publier » (Hobsbawm, 2003, p. 8-9).

35 À l’époque Henri Trubert est éditeur de sciences sociales chez Fayard. En 2009, il créé la maison d’édition de gauche critique Les liens qui libèrent. Henri Trubert et Alain Gresh travaillent ensemble lors de l’édition de deux ouvrages d’Alain Gresh au sein des éditions Fayard : Islam, Palestine, vérités sur un conflit (2001), L’Islam, la République et le monde (2004).

36 Entretien réalisé avec Alain Gresh, Paris, 8 janvier 2013.

37 Entretien réalisé avec Pierre Astier, Paris, 30 mars 2013.

38 Entretien avec Farouk Mardam-Bey, Paris, 19 juin 2013.

39 Idem.

40 Archives du Seuil, conservées à l’IMEC, dossier SEL2S2B125D2 L’orientalisme, échange de mail du 6 juin 2003.

41 Voir le programme du colloque international « Edward Said » du 14 au 16 mai 2014 à l’ENS de Lyon.

42 Voir notamment Makrâm Abbes et Jérome Dartigues (2018) ou Yves Clavaron (2016).

43 Voir notamment le numéro de Sociétés et Représentations (2014), ou encore celui de Tumultes (2010).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Claire Collier, « La traduction manquée d’Edward Saïd en France », Sociologie [En ligne], N° 4, vol. 11 |  2020, mis en ligne le 06 octobre 2020, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/7623

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Auteur

Anne-Claire Collier

anneclaire.collier@gmail.com
Docteure en sociologie, ATER au CNAM, rattachée au laboratoire Sophiapol - Sophiapol, Université Paris Nanterre, 200 avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, France

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