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AccueilNumérosN° 1, vol. 11EnquêtesLes rapports sociaux dans les quarti(…)

Les rapports sociaux dans les quartiers de mixité sociale programmée

Social relations in districts of planned social mixing
Joanie Cayouette-Remblière

Résumés

Cet article prend pour objet les ensembles neufs construits en zone urbaine dense au sein desquels une partie des logements est réservée au secteur social, des espaces que nous proposons de nommer quartiers de mixité sociale programmée. Il s’appuie sur l’étude de deux d’entre eux. Après avoir décrit la genèse de la construction de ces projets, il montre que, si l’étude de leur composition sociale met en évidence une mixité sociale arithmétique « quasi parfaite », celle-ci n’est acquise qu’en faisant venir des classes moyennes et supérieures dans des villes de la « banlieue rouge » où elles étaient peu nombreuses. L’étude des choix résidentiels des habitant∙es des quartiers de mixité sociale programmée révèle ensuite que les propriétaires qui s’y installent sont au début de leur carrière immobilière alors que les locataires HLM sont relativement sur-sélectionnés. Ces différences de trajectoires charrient avec elles des différences de structures par âges : les 10-24 ans sont largement plus nombreux au sein des ménages locataires HLM que chez les autres. À rebours des idéaux prêtés à la mixité sociale, l’analyse des réseaux de sociabilité montre, d’une part, la faiblesse des relations sociales parmi les habitant∙es et, d’autre part, le caractère structurant du statut d’occupation dans celles-ci. Pour autant, ces quartiers ont bien des effets socialisateurs, notamment sur les représentations sociales des classes moyennes et supérieures, amenées à revisiter leurs conceptions des classes populaires et par-delà, leur position dans l’espace social.

Social relations in districts of planned social mixing

This paper looks at two districts of “planned social mixing” –new housing projects built in dense urban areas where a set percentage of apartments is earmarked for social housing. After discussing the ideological, socioeconomic and historical reasons behind these projects’ construction, the article goes on to show that their social composition is almost perfectly representative of the overall population of the greater Paris area. This has been achieved by attracting middle and upper class families to settle in the former working-class. An analysis of the residential choices of the districts’ inhabitants reveals that the owners are at the beginning of their real-estate careers and that the social housing renters tend to be relatively well off. This difference entails a disparity in age structures: 10 to 24 years-olds are much more numerous in the social housing households than in any of the other housing categories. Despite the ideals associated with social mixing, the analysis of the inhabitants’ social networks reveals weak social ties between inhabitants, largely structured by occupancy status. Nevertheless, these neighborhoods do manifest socializing effects namely on middle and upper class inhabitant’ representations of working classes and of their own position in the social space.

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Texte intégral

Ce mélange bizarre, ça fait des propriétaires avec des moyens plus élevés – et ça se voit – et des familles en difficultés – et ça se voit aussi. Moi, j’ai grandi en cité donc on a tous le même niveau de vie en moyenne, ceux qui ont plus d’argent quittent les cités. Ici, c’est un bâtiment planté au milieu [l’immeuble HLM où elle habite]. C’est bien, en soi, c’est une bonne idée, […] mais ça donne une ambiance bizarre (femme, ancienne auxiliaire de puériculture en arrêt maladie, locataire HLM).

  • 1 Affirmation du promoteur immobilier à propos du Carré de Soie à Lyon.
  • 2 Déclaration de la mairie à propos des nouveaux quartiers du projet Euroméditérranée à Marseille.

1Depuis le début des années 2000, une nouvelle forme urbaine voit le jour en France. Censés répondre à la fois aux impératifs de mixité sociale tout comme à ceux de densification du tissu urbain, des quartiers neufs sont créés en zone urbaine dense ; en leur sein, une partie conséquente des logements est réservée aux bailleurs sociaux. Éco-quartiers ou non, ces espaces, que je nomme « quartiers de mixité sociale programmée » sont régulièrement présentés comme l’idéal architectural et urbanistique de ce début de siècle et sont tour à tour décrits comme des « quartier[s] exemplaire[s] sur le plan sociétal, social et environnemental1 » ou encore des « laboratoires à ciel ouvert, symbole d’une nouvelle mixité sociale et d’une pratique résidentielle inconnue2 ». À ce titre, ils interrogent le regard sociologique.

  • 3 La loi s’applique aux communes de plus de 3500 habitants (ou 1500 habitants en Île-de-France) appar (...)

2La construction de ces quartiers s’inscrit dans un ensemble plus large de dispositifs législatifs et de politiques publiques dont l’objectif est de créer ou de maintenir la mixité sociale. À cet égard, la version consolidée de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « SRU 2 », votée en 2013, qui fixe à 25 % le quota de logements sociaux par commune3 (Desponds, 2010 ; Gobillon & Vignolles, 2016) est assurément la plus emblématique, mais les opérations de rénovation urbaine (Gilbert, 2009) ou encore les politiques de « rééquilibrage des logements sociaux » (Launay, 2011) méritent également d’être mentionnées. Les quartiers de mixité sociale programmée s’en distinguent du fait de leur création ex nihilo sur d’anciennes friches industrielles.

  • 4 Les anciens travaux de Michel Pinçon (1981) ou plus récemment, ceux de Lydie Launay (2011) et de Je (...)

3Lorsqu’elle s’intéresse à la mixité sociale et ses contradictions, la littérature française se penche sur les situations de gentrification (Authier & Lehman-Frisch, 2013 ; Collet, 2015 ; Giroud, 2007 ; Vermeersch, 2011) ou encore sur les ambiguïtés des opérations de rénovation urbaine (Gilbert, 2013 ; Lelévrier, 2010). La mixité sociale programmée, entendue comme l’idée consistant à « fixer par avance un objectif en ce qui concerne la composition sociale du peuplement, à l’échelle de la ville ou bien dans un cadre résidentiel plus restreint » (Dansereau et al., 2002, p. 49) est quant à elle peu étudiée sur le territoire national4. Il s’agit pourtant d’une des formes les plus actuelles et les plus abouties de production d’un peuplement mixte.

4À travers l’étude statistique et ethnographique de deux quartiers de mixité sociale programmée construits dans la banlieue parisienne entre 2006 et 2013 (voir encadré « Terrains et méthodes »), cet article s’inscrit dans la littérature sur les effets de la mixité sociale en interrogeant ce que ces nouveaux espaces font à la structure urbaine et aux rapports entre groupes sociaux. Comment se reconfigurent les rapports de classe au sein de ces quartiers ? Pour répondre à cette question, nous procéderons en quatre temps. En retraçant la genèse de ces quartiers et en décrivant la structure de leur population, nous verrons dans une première partie qu’ils sont en réalité pris dans une tension entre ségrégation, mixité et embourgeoisement de la « banlieue rouge ». Puis, nous étudierons les logiques et circonstances qui ont mené différentes catégories de population dans ces quartiers et les différences sociodémographiques entre statuts d’occupation que celles-ci charrient. Nous questionnerons dans une troisième partie les relations sociales qui se nouent entre habitant·es. Dans un dernier temps, les rapports de classe qui s’y expriment seront mis à jour à travers, d’une part, la manière dont ces quartiers renvoient les membres des classes moyennes et supérieures à des questions sociales et scolaires qu’elles regardaient auparavant avec distance et, d’autre part, l’absence de référence dans les discours des classes populaires à la présence des classes moyennes et supérieures dans le quartier.

Terrains et méthodes

Cet article s’appuie sur l’étude de deux quartiers de mixité sociale programmée. Le premier, nommé les Sablièresa, est un ensemble de 830 logements dont la moitié relève du logement social. Les habitations de ce quartier ont été livrées entre 2007 et 2013 mais le quartier est encore en chantier puisque des bureaux s’y construisent. Il est situé dans la commune de Lassalle. Le second, les Moulins (commune de Sorigny), est un ensemble de 560 logements dont le tiers relève du logement social. Les habitations étudiées ont été livrées entre 2006 et 2012 mais le quartier est également encore en chantier au moment de l’enquête ; y sont construits une nouvelle école maternelle et de nouveaux logements. Dans les deux cas, les cages d’escalier ne mélangent pas les statuts d’occupation – chaque entrée correspondant soit à du logement social, soit à du logement privé –, mais la typo-morphologie des bâtiments ne permet pas de distinguer ce qui relève de l’un ou de l’autre. Aux Sablières, le projet impliquait une mixité à l’échelle de l’îlot, c’est-à-dire que chaque bâtiment ou groupe de bâtiments intègre tous les statuts d’occupation, si bien que les uns et les autres peuvent parfois partager des espaces communs comme un jardin privé collectif. Aux Moulins, à chaque îlot correspond un statut d’occupation. Ces deux quartiers sont construits dans des communes traditionnellement et aujourd’hui encore gérées par des maires communistes, sont situés en proche banlieue parisienne et sont reliés à Paris par le RER en une dizaine de minutes.
Trois dispositifs de recherche ont été mis en place. (1) Une enquête ethnographique, comportant des entretiens, auprès d’élu·es et d’habitant·es, ainsi que des observations dans les espaces publics et privés, a été menée. (2) Nous avons passé un questionnaire long, d’une durée moyenne d’1 heure 15, en face à face auprès de 90 habitant·es des Moulins. Nommée « Entre voisins » et réalisée en collaboration avec Aurélie Santos au printemps 2016, cette étude se distingue par son protocole destiné à étudier les réseaux de voisinageb. En effet, nous avons d’abord tiré au sort 100 logements sur les 560 que compte le quartier. Puis, nous avons cherché à enquêter auprès de cet échantillon (taux de réponse de 52 %), au moyen d’un questionnaire qui permet d’identifier les voisin·es avec lesquels l’enquêté·e est en contact. Enfin, nous avons enquêté auprès des voisin·es cité·es ; ce faisant, nous avons reconstitué des réseaux de sociabilité au sein du quartier étudié. Lors de la passation des questionnaires, nous avons également recueilli de manière ad hoc de nombreux commentaires des enquêté·es et tenu un journal de terrainc. Afin de distinguer ces commentaires ad hoc des propos tenus en entretien et enregistrés, nous n’avons pas attribué de nom aux enquêté·es par questionnaire ; seuls sont mentionnés le sexe, la profession et le statut d’occupation de l’enquêtéd. (3) Les données du recensement à l’échelle la plus fine ont été exploitées.
Le fait de travailler sur deux quartiers à la fois présente deux avantages principaux. D’abord, cela permet d’allier prise en compte des spécificités locales et montée en généralité : dès lors que les deux analyses localisées conduisent à des résultats similaires, comme c’est souvent le cas ici, la démonstration de la preuve en devient plus convaincante ; si au contraire, les deux quartiers en venaient à présenter des spécificités fortes, il conviendrait de les interpréter et de nuancer le propos. Ensuite, ce choix autorise la mise en œuvre de protocoles différents dans les deux quartiers, sans pour autant épuiser ou « griller » le terrain pour une analyse à plus long terme. Du fait des différences dans la nature des matériaux empiriques récoltés sur l’un et l’autre des terrains, il aurait cependant été peu prudent de les utiliser pour conduire une analyse comparative entre les deux quartiers.

a Les noms de lieux et de personnes ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.
b Si cette étude peut être considérée comme l’enquête pilote d’une collecte à plus grande échelle réalisée dans quatorze sites au printemps 2018 (enquête Mon quartier, mes voisins) et coordonnée par Jean-Yves Authier et moi-même, elle a été construite en 2016 indépendamment de ce programme de recherche. De même, les entretiens et observations ainsi que l’analyse des données du recensement ne font pas partie de ce dernier.
c Au total, 36 pages de notes détaillées ont été prises à la suite des passations de questionnaires réalisées par mes soins, permettant de traiter de manière qualitative une partie des cas les plus développés.
d
La liste des matériaux récoltés sur le terrain est consultable en annexe électronique 1, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/​sociologie/​6557.

Créer de la mixité sociale ou accompagner l’embourgeoisement ?

5La genèse des quartiers de mixité sociale programmée renvoie à la désindustrialisation de la banlieue parisienne. Les usines, les lieux de stockage de substances toxiques et autres espaces industriels accompagnés de leurs nuisances et risques technologiques ne sont plus les bienvenus au sein des agglomérations. Leur départ des banlieues, où ils occupaient un territoire important jusque dans les années 1980, laisse des friches que les maires ont vite soin de réinvestir. Dans un contexte où l’ancien « partage social et politique » de la population des banlieues parisiennes fait courir sur les communes anciennement industrielles le risque de la dégradation et de la stigmatisation (Oberti & Préteceille, 2016), les élu·es ont à cœur de redynamiser ces territoires en créant de nouveaux logements et en construisant des bureaux à destination des entreprises. Le cas du quartier des Sablières l’illustre particulièrement bien.

L’« esprit » de la mixité sociale

6Ce sont d’abord des logiques d’aménagement urbain qui concourent à la création de ce nouveau quartier. Jules Rioux, maire communiste de Lassalle de 1996 à 2014, raconte en entretien le besoin de répondre à la « désertification industrielle » et de trouver une issue pour une « zone dans une situation économique épouvantable » :

Il ne restait que le port limité à ses faiblesses, à ses fameuses sablières, la partie batelière et puis c’est tout. Le reste, c’était des usines complètement à l’abandon […]. C’est le grand problème de la désindustrialisation des années 1970, 1980, 1985. Notre ville a terriblement souffert de cette désindustrialisation puisqu’ils ont perdu à l’époque 10 000 emplois industriels. […] J’ai l’habitude de dire à mes adjoints, qu’on a subi un véritable « bombardement », cette partie […] a explosé. Il y avait de grandes usines [qui ont été délocalisées].

  • 5 Lettre d’information, Les Sablières.

7Construire un nouveau quartier devait ainsi permettre de faire valoir le « potentiel économique et démographique5 » de cette zone à proximité de la Seine et de densifier l’espace urbain en réallouant une fonction aux territoires abandonnés. Dans les documents présentant le nouveau quartier aux habitant·es de la ville ainsi que dans les entretiens auprès des élu·es, le terme « attractif » est récurrent, comme s’il s’agissait de redorer le blason de cette ancienne ville industrielle. Le fleuve, autrefois atout pour l’industrialisation, devient un argument urbanistique et esthétique.

  • 6 Il évoque la longueur de la file d’attente de logement social.

8Lorsqu’ils envisagent de construire un nouveau quartier, les élu·es sont également en quête d’un nouveau modèle urbain. En effet, leur ville est divisée entre, d’une part, des quartiers de grands ensembles décrits comme des zones cumulant les « problèmes sociaux », ne répondant qu’imparfaitement aux aspirations des habitant·es et sujettes à la stigmatisation et, d’autre part, des quartiers pavillonnaires décrits comme trop étalés et trop isolés, où les classes moyennes tendent à rester entre elles. Selon Jules Rioux, la ville avait un « déficit » de logements intermédiaires mais aussi d’espaces qui correspondent à son idéal politique, à savoir des quartiers où l’on peut loger la population en demande de logements sociaux6 sans pour autant créer des poches de pauvreté dites « intenables », « invivables ».

  • 7 Le même constat vaut pour Sorigny.

9Les analyses de la région parisienne menée par Edmond Préteceille (2003) et Pauline Clech (2015) avant la construction du quartier des Sablières confirment l’hétérogénéité des territoires présents dans la commune de Lassalle. Les typologies construites par ces auteur·es témoignent toutes deux de l’absence d’espaces concentrant les classes supérieures et attestent de la division spatiale interne de la ville et de la diversité des espaces moyens et populaires présents sur le territoire. Ainsi, parmi les cinq catégories synthétiques que propose P. Clech, Lassalle en rassemble trois sur son territoire : les « quartiers populaires des cités HLM en rétraction », les « quartiers pavillonnaires de classes moyennes autochtones » et les « quartiers anciens populaires-mélangés en mutation ». Par ailleurs, les « « beaux quartiers » exclusifs de la grande bourgeoisie » et les « quartiers en extension des catégories supérieures » y sont absents7.

10La reconversion de l’ancien territoire industriel est ainsi vue comme l’occasion de faire « cohabiter » des populations qui d’ordinaire se mélangent peu dans la ville et de créer un nouveau type d’espace. Régine Martin, actuelle adjointe au maire et fille de Roger Martin qui fut maire (PCF) de 1979 à 1996, raconte ainsi : « dans les années 1990, [mon père] m’a dit “tu habiteras un jour aux Sablières ! Parce que tu vois, toutes ces friches, on va en faire un beau quartier” ».

  • 8 Nadine Paté, responsable du service urbanisme de la commune.

11« Un beau quartier », c’est donc un « quartier complet, mixte […] avec la création d’espaces publics et d’équipements8 ». Cela correspond non seulement aux objectifs préconisés par le Schéma directeur de la Région Île-de-France (SDRIF) mais également à l’image que se font les élu·es d’un « vrai » quartier. On retrouve ici la quête d’authenticité et la recherche d’un « paradis perdu » (Béhar et al., 2004) qui animait les concepteur·rices des « villes nouvelles » (Desponds & Auclair, 2017). Dans les deux cas, un « vrai » quartier (une « vraie » ville) se doit d’être doublement mixte : avec une mixité « fonctionnelle » (la construction simultanée et au même endroit d’habitations, de commerces, d’équipements publics et d’activités économiques) et une mixité sociale (la coprésence de différentes populations).

  • 9 Brochure de présentation du quartier.

12Pour cette ville de « banlieue rouge » ayant connu le « bombardement » de la désindustrialisation, cet objectif ambitieux est l’occasion de se repositionner parmi les espaces « attractifs », tirant « profit d’une localisation très enviée9 ». Ainsi que l’indique Olivier Masclet (2006), les communes ouvrières gérées par le PCF adhèrent à partir des années 1960 à l’objectif de mixité sociale puisque cela leur permet, d’une part, de réguler leur parc social en privilégiant les populations ouvrières considérées les plus respectables, d’autre part, de garder sur leur territoire les ménages en ascension sociale en quête de logement intermédiaire et/ou d’accession à la propriété et enfin d’assurer leur propre respectabilité en contrant la stigmatisation dont certains de leurs quartiers font l’objet.

13C’est ainsi que ce choix des élu·es de la majorité communiste d’imposer 50 % de logements sociaux et 50 % de logements privés se fait sur le mode de l’évidence. « Dans l’esprit, c’était quelque chose de mixte », peut ainsi dire Régine Martin, adjointe au maire impliquée dans la construction du quartier. Or, à y regarder de plus près, construire un quartier mixte sur ce territoire « envié » était loin d’être mécanique ; il s’agit au contraire d’une orientation politique qui implique la baisse des prix de vente foncière aux bailleurs sociaux et qui est contestée par les élu·es de la droite républicaine qui réclame un quartier « type Kauffman & Broad », « moins dense », composé essentiellement de logements privés et plus « stylés ». Contrairement à ce qui s’observe dans d’autres contextes (Béhar et al., 2004), la programmation de la mixité sociale à Lassalle ravive des clivages gauche/droite et relève moins du « bricolage » (Germain & Rose, 2010) institutionnel et du compromis entre groupes divers que d’un choix politique assumé.

Les vertus attribuées à ce modèle urbain

  • 10 Ceux-ci assurent une circulation de l’information entre projets immobiliers et participent à constr (...)
  • 11 Soit 1) les prêts locatifs social (PLS), autrefois appelés « logements intermédiaires », 2) les prê (...)

14L’« esprit » qui guide ce choix politique est en réalité inspiré par la croyance aux vertus de ce modèle urbain. Cette croyance repose sur un imaginaire social-historique auquel participent le personnel politique aux différents échelons territoriaux, les architectes, urbanistes et promoteurs immobiliers10. C’est en collaboration avec un architecte urbaniste proche du PCF que l’équipe municipale de Lassalle construit, entre 1999 et 2004, le schéma directeur du quartier qui prend acte de cette volonté du « 50/50 », de la mixité à l’échelle de l’îlot et de la répartition dans chaque îlot des logements sociaux relevant de différents types de financement11. Des architectes reconnus pour leurs positions publiques en faveur de la coprésence et du métissage participent également au projet.

  • 12 Roland Castro va jusqu’à décrire les grands ensembles comme la mise en œuvre d’un « troisième total (...)
  • 13 Sur le rapport de l’État aux quartiers populaires, voir (Tissot, 2007).
  • 14 La notion de ségrégation ne qualifie alors que la concentration des classes populaires, non celle d (...)

15Deux registres argumentaires sont ainsi régulièrement convoqués pour justifier ce choix de la mixité. Le premier consiste à comparer ce nouveau type d’espace avec les quartiers de grands ensembles, alors décrits en termes uniquement négatifs12 (« poches de pauvreté », « intenables »…)13. Construire de la mixité sociale se présente ainsi comme une façon de résoudre les problèmes sociaux concentrés dans ces quartiers (chômage, conditions de travail difficiles, difficultés scolaires, voire délinquance) par le traitement de l’espace (Tissot & Poupeau, 2005). Suivant le « couple notionnel ségrégation-mixité » (Genestier, 2010), il suffit de démontrer les problèmes des quartiers ségrégués14 pour que la mixité sociale apparaisse comme une solution. Dans cette perspective, « la transformation de l’habitat ne capte pas seulement l’essentiel des efforts financiers mais aussi la plupart des attentes en termes de changement social : meilleure image, rééquilibrage social, réduction des inégalités scolaires par la mixité résidentielle… » (Driant & Lelévrier, 2006, p. 186). Or on sait depuis Robert Castel (1995) que ce déplacement de la question sociale laisse dans l’ombre les causes structurelles de ces problèmes sociaux.

16Le second registre omniprésent positionne le quartier dans une optique « civilisationniste » et « citoyenne », lui assignant le mandat de construire du « lien social ». Dans le même registre sémantique que la « cohésion sociale » et le « vivre ensemble », la mixité sociale est alors présentée comme le signe et le produit de la cohabitation harmonieuse d’un éventail de catégories sociales (Arpaillange et al., 2017). C’est le sens du propos de l’architecte Roland Castro qui construit le plus grand îlot d’habitation du quartier : il considère que la ville devrait être le berceau de la démocratie, qu’il lui revient d’être le lieu du métissage et du rassemblement, et qu’elle devrait permettre ce qu’il nomme dès le titre de son ouvrage, « la civilisation » (Castro, 1994, chap. 1 et 17). C’est également une grille de lecture récurrente dans les propos de Yacine Alami, adjoint (Europe écologie les verts) au maire de Lassalle depuis 2014 et résident du quartier des Sablières. Après avoir invoqué à de nombreuses reprises la nécessité de travailler à créer du « lien social » et à favoriser le « vivre ensemble », il indique : « Moi ce que je veux, c’est la mixité, enfin, ce que je veux, c’est la mixité sociale quoi. […] Tu vois, que les gens se rencontrent, se parlent, s’enrichissent, se fréquentent, que sais-je, se marient. » Dans ce discours, le quartier est censé faire « sortilège » (Genestier, 1999), et la proximité physique permettre la reconnaissance mutuelle et déboucher sur des liens de sociabilité, allant jusqu’à des relations conjugales.

17En posant ainsi la mixité sociale en « forme urbaine de l’idéal républicain » (Ascher, 2008, p. 102) permettant de dépasser les antagonismes de classe ou d’origine, les concepteur·rices de ce quartier réactivent un des postulats de la mixité sociale énoncé dès 1968 et suivant lequel la mixité pourrait venir à bout des conflits de classe et créer non seulement de la coprésence mais aussi de la solidarité et de la coopération, les riches comprenant mieux la pauvreté et la réconciliation des classes pouvant s’opérer (Sarkissian, 1976).

Une mixité sociale arithmétique quasi parfaite…

  • 15 Voir aussi la variété des profils enquêtés grâce au tirage au sort au sein des logements du quartie (...)

18En contrôlant la proportion de logements sociaux ainsi que la diversité de ceux-ci, les concepteur·rices du quartier sont parvenu·es à faire cohabiter une large variété de positions sociales dans les deux quartiers étudiés. Plus que les programmes qui diversifient les modes de financement du logement social, les quartiers de mixité sociale programmée produisent non seulement une diversification des franges des classes populaires et des classes moyennes mais également la venue de certaines fractions des classes supérieures. La répartition de la population par catégories socioprofessionnelles, diplômes et selon leur rapport à l’immigration (Tableau 1) démontre que le peuplement de ces quartiers correspond au peuplement moyen de la région parisienne15.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques de deux quartiers de mixité sociale programmée (en %)

Les Sablières

Les Moulins

Ensemble de
la région parisienne

Catégories socioprofessionnelles des actif∙ves

Agriculteur·rices

0

0

0,1

Artisan·es, commerçant·es et chef·fes d’entreprise

3

2

5

Cadres et professions intellectuelles supérieures

24

26

27

Professions intermédiaires

31

31

26

Employé·es

28

27

28

Ouvrier·ières

14

15

14

Total

100

100

100

Rapport à l’immigration

% d’immigré·es

20

17

19

% d’étranger·ères

14

11

14

Niveaux de diplômes des 20-49 ans

Sans diplôme ou CEP, BEPC,
brevet élémentaire, brevet des collèges

14

13

17

CAP, brevet de compagnon, BEP

14

13

14

Baccalauréat ou équivalent

22

24

21

Diplôme universitaire de 1er cycle, BTS, DUT, diplôme des professions sociales ou de santé, d'infirmier(ère)

18

20

17

Diplôme universitaire de 2ème ou 3ème cycle
(y compris médecine, pharmacie, dentaire), diplôme d'ingénieur, d'une grande école, doctorat, etc.

32

30

31

Total

100

100

100

Champs : CS : ensemble des actif∙ves de 15 ans et plus ; Rapport à l’immigration : population totale ; Niveaux de diplôme : population de 20 à 49 ans. Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

19Trois spécificités sociodémographiques distinguent ces quartiers de l’ensemble de la région francilienne. La première est la jeunesse de leurs habitant·es, qui va de pair avec la quasi-absence de retraité·es. Les trentenaires y sont très fortement surreprésenté·es (Figure 1). Ce type de structure par âges rappelle celles d’autres nouveaux ensembles urbains : Henri Lefebvre (1960) puis Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire (1970) le remarquaient pour les grands ensembles des années 1950 et 1960 alors qu’Hervé Le Bras et Jean-Claude Chesnais (1976) décrivaient une structure similaire dans les « villes nouvelles » au moment de leur construction.

Figure 1 : La structure par âges des habitant·es des quartiers de mixité sociale programmée

Figure 1 : La structure par âges des habitant·es des quartiers de mixité sociale programmée

Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

20S’ensuit la surreprésentation des familles à un enfant qui représentent respectivement 24 % et 17 % des ménages aux Sablières et aux Moulins, contre 13 % en région parisienne. Enfin, en termes de catégories sociales, notons une légère surreprésentation des professions intermédiaires et sous-représentation des indépendant·es, par rapport à la moyenne de la région parisienne (Tableau 1).

… qui accompagne l’embourgeoisement de la « banlieue rouge »

21Hormis ces quelques spécificités, les deux quartiers de mixité sociale programmée étudiés fabriquent effectivement, au niveau « quartier », la coprésence de catégories sociales souvent séparées. Dans le même temps, ils participent à l’embourgeoisement de la « banlieue rouge » en contribuant à faire venir les classes moyennes et supérieures dans des communes populaires. En comparant la population des quartiers étudiés à celle de leur commune (Figure 2), on observe en effet que ces espaces neufs attirent des cadres là où ils sont peu nombreux et logent moins d’employé·es et d’ouvrier·ières que les autres quartiers de la ville, y compris lorsque l’on restreint la comparaison aux individus ayant emménagé dans leur logement sur la même période. Les quartiers de mixité sociale programmée rompent ainsi avec le modèle de construction des « banlieues rouges » dans lesquelles ils sont pourtant construits.

Figure 2 : Comparaison des structures sociales des quartiers de mixité sociale programmée avec celles des villes dans lesquelles ils sont construits

Figure 2 : Comparaison des structures sociales des quartiers de mixité sociale programmée avec celles des villes dans lesquelles ils sont construits

Champ : ensemble des actif·ves de 15 ans et plus. Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

22C’est à la fin du xixe siècle que s’est opérée la distinction entre banlieue bourgeoise et banlieue ouvrière, qui accueille l’activité industrielle alors en plein développement (Magri & Topalov, 2000). La spécificité de la « banlieue rouge » se forme des années 1950 aux années 1970 lorsque ces communes incarnent un modèle social municipal fortement intégré et reposant sur la présence importante d’une classe populaire qui accédait, grâce au communisme municipal, au logement, à la culture, à la santé, aux sports et aux loisirs (Mischi & Bellanger, 2013). La « banlieue rouge » fonctionne alors comme une « configuration sociale et politique particulière reposant sur l’existence d’une identité collective fondée sur des rapports au travail, des modes de sociabilité et un réseau organisationnel spécifiques et charpentée par une politique municipale » (Demoulin et al., 2017, p. 85). Depuis la désindustrialisation de ces espaces, la crise économique et son accentuation ainsi que le déclin du communisme municipal, les villes de la « banlieue rouge » sont prises dans une double dynamique contradictoire : leurs espaces les mieux localisés tendent à se recomposer tant en termes de population que d’activités économiques, alors que les autres accueillent une population de plus en plus précarisée (Bacqué & Fol, 1997). Les quartiers étudiés dans cet article participent de ce mouvement de différenciation interne des villes comme Lassalle et Sorigny.

23Le paradoxe mérite donc d’être souligné : en créant, à l’échelle locale, une mixité sociale arithmétique quasi parfaite, ces quartiers participent à l’embourgeoisement de communes populaires. Cette conclusion interroge, d’une part, sur la nécessité pour les communes de satisfaire à de nouvelles exigences, à savoir celles des classes moyennes et supérieures nouvellement installées sur leur territoire et, d’autre part, sur les conséquences de cette cohabitation avec de nouvelles catégories sociales.

La rencontre entre une opération de peuplement et des trajectoires individuelles

24Il ne suffit pas de produire une offre de logements à destination d’une population spécifique pour que celle-ci réponde à l’appel. L’enquête d’Anne Lambert (2015) sur la construction de lotissements pavillonnaires qui ne rencontrent pas la population pour lesquels ils étaient pensés avant la crise de 2008 en donne un contre-exemple éclatant. Pourtant, aux Sablières comme aux Moulins, les logements construits ont trouvé preneurs chez leur population cible, même si celle-ci présente en même temps d’autres caractéristiques qui avaient été peu anticipées. Pour étudier les trajectoires individuelles que ces quartiers neufs rencontrent, nous interrogerons séparément le peuplement des logements sociaux, l’arrivée des propriétaires et l’installation de locataires du secteur privé.

Le peuplement des logements sociaux

25On peut noter trois principales voies d’accès aux logements sociaux parmi la population enquêtée. Premièrement, aux Moulins comme aux Sablières, les premières résidences de logement social construites ont coïncidé avec des opérations de renouvellement urbain (ANRU) en cours dans d’autres quartiers de la ville ; elles ont ainsi d’abord accueilli des ménages relogés. Deux lots du quartier des Sablières leur étaient réservés prioritairement, alors que près du tiers des enquêté·es du logement social des Moulins est arrivé dans le quartier dans ces conditions. Néanmoins, ce que l’enquête menée ne dit pas, c’est quelle sélection a été opérée au sein de la population à reloger. Dans son enquête ethnographique auprès des bailleurs lors d’opérations de relogement, Camille François a observé que ceux-ci cherchent à « recomposer autant que faire se peut des collectifs “stables” et “intégrés” d’habitation selon des critères maîtrisés, et ce grâce au surplus d’information et à la vision globale […] de la population à reloger qu’offre la procédure » (François, 2014, p. 116). Il constate également que la population qui accède aux logements neufs est plus âgée, mieux dotée économiquement, plus stable professionnellement et a une plus forte ancienneté résidentielle dans l’immeuble que les autres. Aux Moulins, les enquêté·es arrivé·es dans le quartier dans le cadre d’un relogement sont tous actif·ves et presque tous employé·es. Légèrement plus vieux que les autres locataires du secteur du quartier, ils occupent une position sociale médiane au sein de cette catégorie : ils n’appartiennent jamais aux catégories les plus précaires (ouvrier·ères ou inactif·ves) ni aux catégories les plus favorisées, les cadres et professions intellectuelles supérieures étant à la fois peu nombreux au sein des quartiers concernés par l’ANRU et les premiers à profiter des possibilités d’accession à la propriété (Gilbert, 2013).

26Deuxièmement, nous avons rencontré, lors des questionnaires réalisés aux Moulins, nombre de locataires du logement social qui attendaient depuis longtemps un reclassement au sein du secteur, du fait de l’agrandissement de leur famille. Ainsi en est-il d’un ancien technicien en support informatique, actuellement invalide, et de sa femme, gestionnaire, qui, malgré la naissance de leurs deux enfants, vivaient dans un « grand F2 » au sein du secteur social : ils avaient déposé une demande pour un logement plus grand depuis quatre ans lorsque l’office HLM leur a proposé un logement de quatre pièces dans ce quartier. Les enquêté∙es dans cette situation appartiennent plus souvent aux professions intermédiaires et sont plus souvent fonctionnaires que les autres. Cette sursélection récente des demandeurs de logements sociaux rejoint les analyses de Liliane Bonnal et ses collègues (2012) qui montrent que le fait de voir sa demande de logement social satisfaite alors même que l’on est déjà locataire du secteur va de pair avec l’absence de problèmes de loyers, davantage de ressources économiques ainsi qu’un plus haut niveau de diplôme que l’ensemble de la population en demande de logement social.

27Troisièmement, plusieurs enquêté·es ont connu, avant d’accéder au logement social dans ce quartier, des conditions de logement dégradées ou inadaptées à leur situation dans le secteur privé. Pour celles et ceux qui « rêvent » du logement social pour se sortir de ces conditions (Dietrich-Ragon, 2013), l’accès à un logement dans ces quartiers de mixité sociale programmée est souvent décrit dans des termes très positifs, toujours en comparaison avec leur ancienne situation.

28Au final, ces filières d’accès laissent peu de place aux plus précaires ; en même temps, elles font de l’arrivée au sein des logements sociaux de ces quartiers une ascension sociale. Les propos d’une enquêtée par questionnaire, une ancienne ambulancière désormais sans emploi qui vivait auparavant dans un appartement non adapté au handicap de son fils et qui a obtenu un logement dans ce quartier en 2011, cinq ans après le dépôt de sa demande, l’illustrent particulièrement bien :

On nous a proposé l’appartement, on a mis notre GPS, on tournait et on est arrivé, on a dit « Wow ! C’est à côté de chez ma tante [qui est propriétaire] ! ».

Devenir propriétaire

29Aucun des 28 propriétaires interrogé·es n’était déjà propriétaire lorsqu’ils ont acheté dans le quartier, ce qui s’explique surtout par leur jeune âge. Ils ont découvert le quartier au moment de leur recherche pour leur premier achat et décrivent, dans les questionnaires et entretiens, tous les avantages qu’ils y ont alors vus : un appartement neuf, « clé en main », moins cher qu’à Paris ou dans les villes voisines de la capitale qu’ils visaient souvent en priorité, un environnement en construction mais présenté comme agréable pour construire une famille. La proximité de la gare RER et l’isolement des quartiers de grands ensembles permettent à celles et ceux qui viennent de Paris ou de banlieues plus cossues de progressivement déconnecter ces quartiers de l’image dégradée qu’ils se faisaient de Lassalle ou de Sorigny. Une artiste propriétaire aux Moulins raconte : « [tel fait divers particulier médiatisé], c’était [dans une cité de Sorigny]. Jamais j’aurais imaginé vivre à Sorigny ! Mais bon y’a Sorigny et Sorigny… »

30Loin d’une logique d’« aventure » ou de « conquête » (Bidou, 1985), les jeunes propriétaires des quartiers de mixité sociale programmée se situent alors dans une logique de « placement » (Collet, 2015). Ils intègrent, lors de leur décision, leurs projections de la valeur de leur bien et de l’évolution du quartier sur le long terme, d’une part, et la comparaison des prix de vente dans le quartier avec d’autres secteurs plus prisés où ils avaient d’abord prospecté, d’autre part.

31Par ailleurs, lors de la commercialisation des logements du quartier, les communes ont mis en place des aides pour leurs résidant∙es qui souhaitaient accéder à la propriété. Certains locataires aux revenus pourtant contraints ont profité de l’« occasion » et passé le pas de la propriété. C’est le cas d’un enquêté par questionnaire, technicien en sécurité incendie et père de deux enfants qui, alors locataire HLM à Sorigny, cherchait à acheter « un truc pas cher » et s’était inscrit sur plusieurs sites afin d’être informé des opérations immobilières. Mis au courant de cette construction et de la promotion pour les Sorignois·es, il s’est lancé dans l’achat le temps d’un week-end.

L’arrivée de locataires dans le secteur privé

  • 16 Les 20-29 ans représentent 33 % des habitant·es de logement occupé par des locataires du privé aux (...)
  • 17 Aux Moulins, l’ancienneté moyenne dans leur logement des locataires du privé est de 2,8 ans, contre (...)

32Si les propriétaires situent souvent cet achat comme une première étape dans une carrière immobilière, le caractère transitoire de l’installation dans le quartier est encore plus marqué pour les locataires du secteur privé. Cela se voit à la fois à la surreprésentation des 20-29 ans16 et à leur moindre ancienneté dans le quartier17. Ils partagent pourtant avec les propriétaires le fait d’avoir d’abord cherché un logement à Paris ou dans les villes voisines avant de s’être rabattu·es sur Sorigny ou Lassalle. Lors de la passation des questionnaires, ils justifient le choix du quartier d’habitation en évoquant la petitesse des logements parisiens (« dès que y’a des enfants, Paris, c’est plus possible »), le différentiel de prix avec les villes environnantes (« on n’avait pas étendu nos recherches à Sorigny, mais vu les prix… ») et l’attrait du neuf. La rhétorique du coup de cœur (« on a flashé », « j’ai craqué ») pour l’appartement est parfois évoquée pour marquer la distance qui a ainsi pu se construire avec l’image qu’ils avaient de Sorigny. Plusieurs enquêté·es sont déjà « sur le départ » au moment où nous les rencontrons, à l’image de cette jeune journaliste qui a acheté un appartement sur plan dans une autre ville et qui en attend la construction.

33Ainsi, tout comme l’observaient dans les quartiers de grands ensembles des années 1960 J.-C. Chamboredon et M. Lemaire, au sein des quartiers de mixité sociale programmée, « la coexistence dans l’espace exprime la rencontre momentanée de trajectoires sociales fort différentes » (Chamboredon & Lemaire, 1970, p. 10-11).

Les différences sociodémographiques entre statuts d’occupation

34De façon logique, la structure sociale des habitant∙es de chaque statut d’occupation diffère (Tableau 2). En plus des premières différences attendues, deux résultats attirent notre attention. D’abord, les différences de structures par âges selon les statuts d’occupation (Figures 3 et 4) sont plus importantes que ce qui s’observe en moyenne en région parisienne. Dans les deux quartiers, les propriétaires sont très souvent des adultes de 30 à 45 ans qui ont des enfants de 0 à 10 ans. Seule respectivement 10 % et 12 % de la population vivant dans des logements occupés par leur propriétaire aux Sablières et aux Moulins a plus de 49 ans, contre 24 % pour la moyenne de la population francilienne, et 16 % a entre 0 à 4 ans, contre 7 % en Île-de-France. Au contraire, la population des 10-25 ans représente moins de 10 % de la population des ménages propriétaires, contre 19 % de la population francilienne. La structure par âges des habitant·es dans les logements HLM est plus diverse. La population des 10-25 ans y est représentée comme dans l’ensemble de l’agglomération : ils représentent 20 % des habitant·es des HLM du quartier. Par conséquent, les adolescent·es et jeunes adultes du quartier sont pour la très grande majorité des enfants des locataires HLM.

Figure 3 : La structure par âges dans les logements occupés par des propriétaires

Figure 3 : La structure par âges dans les logements occupés par des propriétaires

Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

Figure 4 : La structure par âges dans les logements HLM

Figure 4 : La structure par âges dans les logements HLM

Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

35Ensuite, les propriétaires qui achètent dans ces quartiers sont plus diplômés que la moyenne des individus emménageant dans la région sur la même période dans un logement dont ils sont propriétaires : alors que 21 % des individus de 15 ans et plus dans des ménages occupés par leur propriétaire ayant emménagé en Ile-de-France dans les quatre dernières années sont diplômé∙es du 2e ou 3e cycle universitaire, ce taux atteint 33 % aux Moulins et même 47 % aux Sablières. De fait, ces écarts de niveaux de diplôme clivent les différentes sous-populations : aux Sablières, la moitié des individus de 15 ans et plus en HLM n’ont pas le baccalauréat quand 47 % des propriétaires ont un diplôme de 2e ou 3e cycle universitaire. Même si les membres des ménages de propriétaires sont légèrement moins diplômé·es aux Moulins qu’aux Sablières, les différences restent très marquées avec les locataires HLM.

Tableau 2 : Structure socioprofessionnelle des habitant·es selon leur statut (en %)

Groupes socioprofessionnels

Propriétaires

Locataires du privé

Locataires HLM

Sablières

Moulins

Sablières

Moulins

Sablières

Moulins

Artisan·es, commerçant·es et chef·fes d’entreprise

3

4

2

1

3

1

Cadres et professions intellectuelles supérieures

46

36

25

28

10

8

Professions intermédiaires

30

31

40

34

27

25

Employé·es

14

21

22

25

41

37

Ouvrier·ières

7

8

11

12

20

29

Total

100

100

100

100

100

100

Champ : ensemble des actif·ves de 15 ans et plus habitant les Sablières ou les Moulins. Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

Tableau 3 : Niveau de diplôme des habitant·es selon le statut de leur logement (en %)

Les Sablières

Les Moulins

Propriétaires

Locataires du privé

Locataires HLM

Propriétaires

Locataires du privé

Locataires HLM

Aucun diplôme, certificat d’études primaires ou BEPC, brevet élémentaire, brevet des collèges

10

16

29

13

15

31

CAP, BEP, brevet de compagnon

8

9

22

9

13

24

Baccalauréat ou équivalent

14

24

23

23

19

25

Diplôme universitaire de 1er cycle, BTS, DUT, diplôme des professions sociales ou de santé, d'infirmier(ère)

21

17

13

22

17

11

Diplôme universitaire de 2ème ou 3ème cycle (y compris médecine, pharmacie, dentaire), diplôme d'ingénieur, d'une grande école, doctorat, etc.

47

34

13

33

36

9

Total

100

100

100,0

100

100

100

Champ : population de 15 ans et plus habitant les Sablières ou les Moulins. Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.

36L’étude des logiques de peuplement montre que les locataires HLM de ces quartiers appartiennent rarement aux franges les plus défavorisées des classes populaires et qu’ils se situent dans une trajectoire ascendante. Les locataires du privé, de leur côté, n’investissent que peu le quartier et se vivent dans une position transitoire, alors que les propriétaires, particulièrement bien doté·es en capital culturel, se vivent aussi dans une position temporaire mais investissent le quartier, notamment parce qu’ils doivent veiller à la valeur de leur bien immobilier.

37Pour autant, il ne suffit pas de rassembler une population pour qu’elle se côtoie. Avant de prêter un quelconque effet à ces quartiers, nous devons nous interroger sur les relations qu’entretiennent entre eux les habitant·es.

L’entre-soi en contexte de mixité sociale

38Considérant que la mixité sociale est trop souvent appréhendée comme un « objectif en lui-même », Emmanuelle Lenel (2013) appelle à questionner l’expérience ordinaire de la mixité – et de l’altérité – et à inscrire la mixité dans une « sociologie de l’existence ou de l’expérience ordinaire » (Lenel, 2011), comme l’ont fait dès 1970 J.-C. Chamboredon et M. Lemaire. C’est en suivant cette démarche que nous avons souhaité interroger de façon fine les relations que les habitant·es de ces quartiers neufs entretiennent entre eux. Pour ce faire, nous nous sommes inspirée de l’approche méthodologique mise en œuvre par Daniel Courgeau (1975) dans son étude de la sociabilité d’un village dans les années 1960 et nous avons reconstitué les réseaux de relations dans le quartier des Moulins.

Un quartier où les relations sociales ne sont pas si nombreuses

  • 18 Nous employons le mot personne pour simplifier la lecture, mais les enquêté·es étaient invités à re (...)
  • 19 En restreignant à 4 contacts cités, on aurait obtenu ici 1,4 contacts en moyenne.

39Alors que les logements de ce quartier ont été livrés entre 2006 et 2012, il apparaît en 2016 que les habitant·es du quartier entretiennent relativement peu de relations entre eux. Interrogé·es sur les habitant·es du quartier avec lesquels « ils sont le plus en contact et/ou qui comptent le plus pour eux », les enquêté·es pouvaient citer autant de personnes qu’elles/ils le souhaitaient. Les enquêtrices les incitaient à mentionner tous les types de liens entretenus dans le quartier, y compris les liens faibles ; ont ainsi par exemple été mentionnées des personnes avec lesquelles les enquêté∙es échangent seulement dans le hall ou dans l’ascenseur sans même savoir où elles habitent exactement, des parents que d’autres ont coutume de saluer à la sortie des classes, etc. En pratique, le nombre de contacts cités dans des logements différents a varié de 0 à 9 personnes18 et il s’est établi en moyenne à 1,7 personne. Il n’est pas simple de disposer de valeur comparative à un tel nombre, mais les travaux ethnographiques sur les quartiers populaires traditionnels (Hoggart, 1991 ; Schwartz, 1990 ; Young & Willmott, 2010), les quartiers bourgeois (Pinçon & Pinçon-Charlot, 2007), ou encore dans les situations de gentrification (Collet, 2015 ; Tissot, 2011) et dans les espaces périurbains (Lambert, 2015), tendent à laisser penser que les relations sociales de quartier, dans ces espaces, dépassent 1,7 personne en moyenne. Par ailleurs, l’enquête Mon quartier, mes voisins (Ined/CNRS), réalisée dans 14 quartiers différents confirme que le nombre moyen de 1,7 est faible. Contrairement à ce qui était le cas ici, les enquêté∙es ne pouvaient alors citer, par construction du questionnaire, que quatre contacts maximum. Malgré cette contrainte, la moyenne s’élève à 2,2 contacts cités par enquêté∙e et varie entre 1,5 et 3,1 selon les quartiers19. Par ailleurs, cette valeur absolue de 1,7 contact cité est une première étape vers la réfutation du mythe du quartier-village où « toutes les catégories sociales se côtoient » (Dansereau et al., 2002) dans un espace d’intenses interrelations.

  • 20 Ce qui n’empêche pas que ce soit lorsqu’ils sont locataires du secteur privé que les CPIS citent le (...)

40Le nombre de contacts cités varie cependant en fonction des caractéristiques de l’enquêté·e, au premier rang desquelles se situe son statut d’occupation : les propriétaires citent en moyenne 2,4 personnes, contre moitié moins pour les locataires du privé. Les statuts d’occupation ne jouent cependant pas de la même façon pour tous les groupes sociaux : parmi les propriétaires, le nombre de contacts cités varie peu en fonction du groupe socioprofessionnel de l’enquêté·e, ce qui n’est pas le cas parmi les locataires. Dans le secteur privé, toutes les catérogies sociales apparaissent très isolées dans leur quartier, à l’exception des cadres et professions intellectuelles supérieures (CPIS) qui nouent malgré tout quelques relations dans le quartier20. Au sein du logement social, ce sont les professions intermédiaires qui citent le plus de relations, deux fois plus en moyenne que les employé·es ou ouvrier·ières. Ces résultats rappellent la conclusion de François Héran (1988) établie en population générale selon laquelle la sociabilité fonctionne comme une pratique culturelle : ce sont les mieux doté·es en d’autres espèces de capitaux qui accumulent le plus de relations.

Tableau 4 : Nombre moyen de contacts cités selon le statut d’occupation et le sexe

Caractéristiques

Nombre moyen de contacts cités

Statuts d’occupation

Propriétaires

2,4

Locataires du privé

1,2

Locataires HLM

1,9

Sexe

Hommes

1,6

Femmes

1,9

Total

1,7

Source : enquête Entre Voisins, Ined, 2016.

41Il semble néanmoins que, contrairement à d’autres espaces et à l’instar des quartiers refondés étudiés par Bruno Cousin (2014, p. 92), les quartiers de mixité sociale programmée ne produisent qu’une « sociabilité minimale ». Ce premier résultat entame de questionner l’idée selon laquelle de la mixité sociale arithmétique découle des relations entre toutes les catégories sociales.

Deux principaux réseaux de relations sociales

  • 21 Nos résultats rejoignent ceux de Jacqueline Vischer (1984) qui observe, dans un quartier mixte de V (...)

42Cet idéal est d’autant plus battu en brèche lorsque l’on s’intéresse aux caractéristiques des contacts cités. La figure 5 synthétise les liens cités par les enquêté·es. Elle montre la faiblesse des liens entre immeubles et par conséquent, entre individus relevant de statuts d’occupation différents21. En effet, deux réseaux denses se dessinent : le premier au sein d’un immeuble HLM (au sud-ouest), le second, au sein de la résidence privée où les logements se sont vendus le plus cher (au nord-est). Ces deux réseaux ne sont pas liés entre eux, sauf par l’intermédiaire de certains membres des professions intermédiaires (les individus 80, 111 et 120). Par ailleurs, les habitant·es les plus exclu·es des relations sociales au sein du quartier semblent être les locataires du privé, a fortiori lorsqu’ils sont concentrés au sein des mêmes immeubles.

Figure 5 : Structure des relations déclarées par les enquêté·es

Figure 5 : Structure des relations déclarées par les enquêté·es

Source : enquête Entre voisins, Ined, 2016. Graphique créé en collaboration avec Aurélie Santos.

  • 22 Les caractéristiques sociales et le statut d’occupation n’épuisent cependant pas les variables susc (...)

43Contrairement aux contextes de gentrification couramment étudiés, le contexte des quartiers de mixité sociale programmée se caractérise par l’absence d’opposition entre « anciens » et « nouveaux » (Élias & Scotson, 1997). Pour autant, on y observe, comme dans l’enquête d’Anne Clerval (2013) sur les quartiers gentrifiés de Paris ou de Lina Raad (2012) sur Saint-Denis, des réseaux de relations caractérisés par l’entre-soi22.

44En étudiant une opération de diversification des types de logements sociaux dans un grand ensemble neuf, M. Pinçon souligne qu’une des spécificités de cette mixité sociale programmée est qu’elle se fait dans un contexte d’anonymat avec plusieurs centaines d’arrivées concomitantes. « L’arrivée, c’est une plongée brusque dans l’anonymat, d’où un recours obligé à la symbolique sociale comme série de repères permettant d’identifier et de situer autrui » (Pinçon, 1981, p. 546). Or, dans ces conditions, des potentialités d’interactions différenciées (la participation au conseil syndical et réunions de copropriétaires, les rencontres fortuites dans les espaces communs, les visites à l’occasion d’incidents tels que dégâts des eaux ou objets tombés par les fenêtres) ou encore des éléments immédiatement visibles (le style vestimentaire, le port de signes religieux, le style de vie…) fonctionnent comme de premiers critères de tris pour gérer la multitude des rencontres. Et dans les deux cas, ces critères de tri ne peuvent que constituer des réseaux internes aux immeubles et peu diversifiés socialement.

45Cette construction sociale des réseaux de relations est à la fois spontanée et impensée. Avec certaines enquêtées membres des classes moyennes et supérieures, le questionnaire a été l’occasion de s’en rendre compte :

Je me faisais la réflexion en vous parlant, ils sont tous propriétaires. Dans le quartier, je ne connais pas les gens locataires (femme, cadre d’entreprise, propriétaire).

46Si la mixité sociale présente dans ces quartiers ne se traduit pas dans des relations sociales aussi variées que ce que la structure de la population pourrait faire croire, elle n’est cependant pas sans effets sur les individus et groupes sociaux qui y vivent.

Mixité sociale et rapports de classe

47Dans la lignée des travaux de B. Cousin (2014) sur les sociabilités affinitaires des cadres dans les espaces refondés et de Marie Cartier et ses collègues (2008) sur la recomposition des représentations des groupes sociaux au sein des voisinages de « petits-moyens » propriétaires, il est possible d’interroger ce que ces espaces font aux visions du monde et de l’autre des individus qui y vivent. On ambitionne dans cette dernière partie d’étudier la contribution de ces quartiers à la « construction des identités individuelles et sociales » (Authier, 2012, p. 13), en montrant comment s’y fabrique et s’y travaille les représentations de l’altérité sociale.

48Dans les entretiens et questionnaires, le recours à des catégories sociales telles que les « bobos », les « femmes voilées », les « Africains », etc. pour se désigner soi-même ou pour qualifier les « autres » est récurrent. Ce constat invite à interroger les opérations sociales et mentales de construction de l’« autre » en « différent de soi » (Van Zanten, 2009). Pour ce faire, nous discuterons d’abord le rapport aux classes populaires et/ou aux immigré·es des classes moyennes et supérieures en les replaçant dans leurs trajectoires sociales et résidentielles, schématiquement distinguées en deux groupes. Nous montrerons également comment ces contradictions se traduisent par un recours dit « contraint » à l’école privée. Nous verrons ensuite qu’à l’inverse, les références aux classes moyennes et supérieures sont absentes des entretiens réalisés avec les membres des classes populaires, si ce n’est à travers un sentiment diffus de jugement.

La fabrique de l’altérité

49Une partie des membres des classes moyennes et supérieure qui s’installent dans ces quartiers n’a auparavant vécu qu’à Paris ou dans des grandes villes de province, dans des quartiers où ils ont été peu amenés à côtoyer dans leur quotidien des membres des classes populaires et/ou des immigré·es. C’est le cas de Stéphanie Leroy (psychologue libéral, locataire dans le secteur privé aux Sablières, ayant toujours vécu à Paris, en couple avec un technicien indépendant, 5000 euros mensuels au niveau du ménage), dont l’entretien est truffé de catégories sociales et ethnico-religieuses qu’elle développe d’elle-même sans que je n’aie amené le sujet de la mixité sociale dans la discussion. Sa rencontre avec une population décrite comme « différente » l’amène à douter de « sa place » et à se sentir en « minorité » :

Je vois bien que dans le style, oui, y a un décalage. Enfin, même le niveau social, voilà, il se voit. […] Pourtant, je veux dire, on ne gagne pas des milles et des cents non plus, mais […] dans le bus par exemple, y a quand même vachement de précarité. Je monte avec mes petits garçons [des jumeaux de 15 mois], franchement ce n’est pas habillé en BCBG, machin, mais ouais, je vois bien. Puis les remarques, les trucs. Je ne sais pas comment le dire mais le décalage, il y est quoi.

50Stéphanie Leroy décrit ici un certain malaise à se sentir parmi les très favorisé·es alors qu’elle ne se percevait pas comme riche auparavant. L’altérité sociale est doublée d’une altérité ethnico-religieuse qu’elle évoque d’elle-même à sept moments différents de l’entretien.

Je trouve qu’y a très peu de mélange. C’est quand même très très majoritairement Maghreb, Afrique noire, un peu. Mais la première fois, c’est assez impressionnant quand on n’est pas habituée, parce que vraiment moi j’ai été saisie par le peu de mixité. […] De peu de mixité et de la précarité aussi. […]

Ça fait de l’effet d’être la seule femme qui n’a pas de voile sur la tête, la seule femme même pas maghrébine. Bien sûr que ça joue sur comment on se sent, est-ce qu’on se sent chez soi, pas chez soi et tout ça. […]

Ce n’est pas une majorité, mais j’en croisais l’autre jour qui avaient des gants. Mais tout en noir, y en a quand même pas mal. Donc voilà. Ça, c’est par rapport à se sentir à sa place et à se sentir bien. […] Si c’est un peu parmi d’autres ok, ça a à voir avec du mélange. Si c’est souvent, ça commence… […] Je ne sais pas comment je peux dire ça, mais je n’aime pas. Ça ne correspond ni à mes valeurs, ni à ma culture.

51Pour situer sociologiquement ces propos, rappelons que les immigré·es et étranger·ères ne sont pas plus nombreux dans le quartier que dans l’ensemble de la région parisienne et qu’ils sont loin de constituer la majorité de la population (Tableau 1). Pour autant, il ne faut pas non plus renvoyer ces paroles à du fantasme ou de l’intolérance ; ce qui s’exprime ici est la découverte des classes populaires et/ou des immigré·es ainsi que de leurs styles vestimentaires et comportements.

52D’autres membres des classes moyennes et supérieures du quartier se situent dans une trajectoire d’ascension sociale qui passe souvent par l’immigration. Ces derniers expriment en entretien se situer dans une forme d’entre-deux social, rappelée par la présence des classes populaires. D’un côté, ils ont du mal à sentir qu’ils n’en sont plus : Tyana Traore, interne en médecine et locataire aux Sablières, dont les parents, immigrés sénégalais, étaient joaillier et vendeuse dans le prêt-à-porter, dit « commencer à appartenir aux classes moyennes ». De l’autre côté, ils se rendent compte de tout ce qui les en distingue (ce qu’ils peuvent s’acheter, l’agencement de leur intérieur, leur sécurité financière…). La proximité avec des membres des classes populaires qui leur rappelle leur enfance les place dans une position d’inquiétude face à l’avenir et notamment à la situation scolaire de leurs enfants, comme l’observaient M. Cartier et ses collègues (2008) à propos des petits-moyens.

Enquêtrice : Diriez-vous que vos voisins vous ressemblent ou sont différents de vous ?
Latifa Boumaza, pharmacienne, propriétaire aux Sablières :
[rire] Question très difficile. Je ne vois pas comment je pourrais répondre. Physiquement ? Nan trop compliqué. Moi je suis noire donc moi je dirais noirs ou pas ? J’en vois. Depuis [nomme un bailleur social], les logements sociaux juste à côté. Après… À l’école, je vois bien que y’a de la mixité car je parle une autre langue et j’entends cette langue parlée. Je leur ressemblais plus quand j’étais petite, en condition sociale et économique, mais aujourd’hui je suis plus aisée car pharmacienne. Mais ils peuvent me ressembler de prime abord mais après en parlant on n’aura pas les mêmes opinions. Je ne sais pas, je botte en touche !

53Qu’ils découvrent dans leur nouveau quartier les classes populaires ou qu’ils en soient issus, les membres des classes moyennes et supérieures rencontrées ont donc en commun d’exprimer, souvent d’eux-mêmes, des différences sociales et/ou ethnico-religieuses en construisant des catégories distinguant un « eux » et un « je » – voire un « nous » qui comprend conjoint·e et enfant·s. C’est donc leur propre identité sociale qui est revisitée et leur position dominante qui est objectivée à l’aune de ces « autres ». Le cas de Julien Dumas, propriétaire aux Moulins, chargé de mission collaborateur d’élu·es en couple avec une infirmière libérale et dont les parents étaient employé des PTT et femme au foyer, l’illustre. Il exprime un malaise à accepter sa position de dominant, particulièrement visible dans l’extrait suivant où il développe dans le même temps une logique de hiérarchisation sociale et culturelle suivant laquelle il a monté dans l’échelle des situations sociales et des connaissances culturelles et la négation de cette hiérarchie au profit d’une lecture suivant laquelle toutes les situations se valent (« je me sens égal »).

Je parlais des bobos, je sens que je fais partie d’une classe favorisée. J’ai aidé une dame qui va se faire expulser de son logement en avril […]. Elle m’a invité à boire un café. Le décalage est marquant, je me dis « je suis à côté de la plaque », j’essaye d’être ouvert… Mes parents étaient d’une catégorie inférieure je pense à ma catégorie actuelle. On est monté d’un cran mais pas que financièrement mais aussi socialement, culturellement. […] Mais quand je suis face à des gens qui sont dans une situation de précarité, ça me renvoie à ça. Et je ne me dis pas « super j’ai réussi ». Je me dis « comment on peut en être là ? », « comment on peut laisser des gens dans cette situation ». Ça me rend un peu en colère contre la société, la mauvaise répartition des richesses. J’appartiens à cette classe privilégiée qui peut se permettre de pas regarder les prix quand il achète à manger mais qui est toujours dans le rouge avec la banque, c’est complètement abruti. Et qui peut se payer des vacances trois, quatre fois par an, et des allers/retours en train deux fois par semaine. Mes enfants ont la chance de connaitre les grands monuments parisiens, voir la plage le week-end, voir des spectacles, le cirque du soleil le week-end dernier, des concerts, des expos… Ce que je ne faisais pas moi. J’ai l’impression d’être un inculte sur la question de l’art. Je sais que quand j’entends ma fille à 3-4 ans dire « j’adore Niki de Saint-Phalle » parce qu’elle l’a étudiée à l’école, ou au petit déj « maman tu sais Kandisky, tu sais ce qu’il fait, c’est super »… Voilà ce n’est pas qu’une question d’argent mais d’ouverture au monde. Et à côté de ça les gens que je croise… très intelligents mais qui n’ont pas forcément cette ouverture-là. « Ouais, vas-y viens, monte là. » [imite un accent de « racaille »] Ils n’ont pas la même manière de s’exprimer. Je pense qu’ils sont très intéressants. Je ne me sens pas au-dessus ou en-dessous d’eux, je me sens égal quand je parle avec eux mais c’est pas la même CS, c’est clair, c’est évident.

  • 23 Sur les vertus éducative de la mixité, voir (Rivière, 2018).

54Ces constructions mentales et identités sociales ne sont pas produites mécaniquement par la simple juxtaposition d’individus aux positions sociales différentes ; y contribuent certaines situations ou configurations qu’il est possible d’identifier. C’est d’abord lorsque l’altérité est valorisée comme principe éducatif que, paradoxalement, elle peut être produite. Fils de commerçants au Benin, immigré en France depuis qu’il est venu y passer son bac, responsable en génie civil et propriétaire aux Sablières, Omar Ba indique à plusieurs reprises l’importance de la mixité sociale du quartier pour montrer à ses enfants « le revers de la médaille », « ce qui se passe chez les autres23 » :

Quand on voit quelqu’un en train de balayer, [on s’arrête]. Ou je ramène mes enfants au foyer des travailleurs, pour qu’ils voient. […]
Quel que soit où on en est au niveau professionnel, au niveau socioculturel, moi, je pensais qu’il fallait mélanger. Et c’est comme ça qu’on apprend la vraie vie. […] Quand on est entre gens bien élevés – je n’aime pas le mot –, on pense que ça se passe comme ça. Et les enfants aussi pensent que ça se passe comme ça. Mais quand ils voient à côté que ça fait beaucoup de bruits, qu’il y en a qui ont des difficultés, notamment la vie est plus difficile.

55En valorisant la mixité sociale, Omar Ba, qui avant d’acheter dans le quartier en 2007 résidait en logement social, construit des frontières sociales entre « eux » (qui font du bruit, ont des difficultés, occupent des emplois dégradants…) et sa famille, et se positionne parmi ceux qui n’en sont pas (ou plus).

56L’altérité se construit ensuite par des situations de rencontre, comme la fête des voisins qu’a organisée Stéphanie Leroy dans son immeuble :

Le jour de la fête des voisins, c’était assez marquant. On avait mis des tables en bas, on a mis un peu à manger et tout. Y a une bande de gamins – c’était vraiment des enfants du quartier – qui sont rentrés, qui sont venus, qui ont commencé à prendre à manger et tout, comme ils peuvent le faire, des enfants qui ont un peu envie de profiter de la fête. C’est vrai qu’y avait des ballons, des trucs, OK. On a dit : « Vous prenez un peu et puis vous allez… » Et puis vraiment, ils n’ont pas entendu. Ils sont restés, à venir un peu dans le dos, à prendre, etc. C’était assez pénible. Ça s’est un peu transformé en truc de clans, un peu. Ils étaient un peu à défier. Enfin, il a fallu être vraiment ferme pour qu’ils… Ils insistaient beaucoup, pour prendre à manger, à boire.

57Lorsque Stéphanie Leroy décide d’organiser cette fête, c’est pour rencontrer ses voisins qu’elle connaît peu. Elle ne croyait pas si bien faire dans la mesure où l’arrivée de ces « enfants du quartier » a contribué à rompre l’anonymat entre les habitant·es de son immeuble pour les amener à construire un « clan » contre ceux qui les « défient ».

  • 24 Selon l’analyse des questionnaires de l’enquête Entre Voisins, Ined, 2016.

58Plus globalement, la fabrique de l’altérité doit beaucoup à l’investissement différentiel que les propriétaires et les locataires font du quartier. Bien que les locataires HLM soient ceux qui s’imaginent le moins le quitter dans un avenir proche24, ils ne font que rarement référence à ses perspectives d’évolution ; les critiques formulées à son égard (dégradations matérielles des espaces communs, gênes à l’égard de certaines odeurs, difficiles conditions d’accueil dans les écoles…) sont situées dans le présent. Au contraire, les craintes des propriétaires partent de critiques du présent et gagnent en gravité lorsqu’elles sont projetées vers un avenir probable :

Plusieurs habitants ont exprimé leur souhait de quitter le quartier avant que les adolescents deviennent des chefs de bandes et que toute possibilité de dialogue soit définitivement rompue (compte-rendu du conseil de quartier du 2 juin 2016, Les Sablières).
Ils ont moins trié sur les derniers immeubles sociaux construits. Il faut de la mixité, mais là y’a un minimum, les ordures sur les balcons et les épaves de voitures, on n’avait pas ça avant dans le quartier, et ça dévalorise l’immobilier ici, les petits jeunes en moto à fond la caisse... Même ceux qui sont locataires dans notre immeuble donc pas logement social, mais juste locataires, ben ils prennent moins soin, ils en ont rien à foutre (« levurier » [ouvrier qualifié], propriétaire, les Moulins).

59Pour comprendre ces projections, il faut rappeler que les propriétaires sont au début de leur carrière d’achats et que le prix de revente de leur appartement est pour eux un enjeu. Par ailleurs, ils n’avaient pas choisi le quartier pour la mixité qui le caractérise (nombreux l’ignoraient au moment de l’achat) et craignent que le quartier glisse vers la ghettoïsation et se rapproche des « cités » de Sorigny ou Lassalle. Cette crainte de la dégradation du quartier renvoie donc moins à leurs conditions actuelles de vie qu’au risque qu’elle fait peser sur leurs stratégies immobilières. Une enquêtée aux Moulins raconte que lorsque les propriétaires ont appris qu’un des immeubles HLM seraient occupés par les habitant·es relogé·es d’une « cité » de Sorigny, les panneaux à vendre se sont multipliés de crainte que « [la cité] arrive ». Ce repli pour préserver la valeur de leur bien agit comme un principe de division entre les propriétaires et les locataires.

60Loin d’être automatiques, ces constructions sociales de l’altérité sont donc produites en situation et s’inscrivent dans des positions sociales locales et stratégies patrimoniales. Les membres des classes moyennes et supérieures interrogés disent avoir eu une vision de la société avec moins de frontières et regrettent cette construction de catégories. C’est « à [son] grand désespoir » que Julien Dumas se rend compte qu’il appartient à une classe sociale, Omar Ba regrette que l’on crée un « fossé » entre les propriétaires et les locataires HLM, Stéphanie Leroy « fantasmait sur l’esprit village », Tyana Traore déplore nouer des relations liées à ses origines sénégalaises.

  • 25 D’autres enquêté∙es évoquent la fréquentation d’AMAP, de théâtres, d’une association d’histoire loc (...)

61Lorsqu’ils tentent de s’investir localement afin de dépasser ces frontières, elles les rattrapent, leurs pratiques les situant en décalage avec une partie de la population. Ainsi, Stéphanie Leroy décrit une forte envie de « rencontrer des gens » aux Sablières. Pour ce faire, elle organise la fête des voisins dans son immeuble, se rend aux premières réunions sur les jardins partagés et fait des lectures dans une librairie25. Dans tous les cas, elle ne rencontre que des personnes « de son profil », « blancs ».

[À la librairie, j’ai surtout rencontré] des gens classe moyenne, enfin plutôt un peu favorisés et tout ça. Des gens qui achètent des livres quoi. L’idée de faire ces lectures, c’était aussi de faire le lien un peu avec des gens qui peut-être vont moins à la librairie. Je ne sais pas...

62Avec ces pratiques socialement situées, non seulement Stéphanie Leroy et les autres enquêté∙es de classes moyennes et supérieures ratent-ils les rencontres souhaitées, mais en outre, ils mesurent l’écart qui les séparent de celles et ceux qu’elles/ils ne parviennent pas à fréquenter. D’un côté, cela les amène à redéfinir leur représentation de leur propre position sociale et à se confronter, au moins localement, à leur situation dominante. De l’autre côté, le fait de voir les différences rend plus visibles les logiques affinitaires à l’œuvre, alors même que celles-ci ne correspondent pas à l’image des relations sociales que se font ces enquêté∙es.

Le recours « contraint » à l’école privée : un facteur d’identification aux classes moyennes

63Alors que cette question était laissée dans l’ombre dans le célèbre article de J.-C. Chamboredon et M. Lemaire (1970), les ambiguïtés à l’égard de la mixité sociale s’expriment aussi aujourd’hui dans l’espace scolaire (Clerval, 2013 ; Oberti, 2007 ; van Zanten, 2001, 2009). Les spécialistes de la gentrification soulignent souvent que la mixité s’arrête aux portes de l’école (Collet, 2015). Dans cette enquête, cette question est d’abord apparue secondaire par rapport à la critique, peu située socialement, des conditions de scolarisation dans les établissements du quartier.

64En effet, comme le montrent les pyramides des âges des deux quartiers étudiés, les enfants en âge de fréquenter l’école maternelle ou élémentaire sont très nombreux. Sans anticipation en termes d’équipements, les écoles de secteur des deux communes connaissent des situations de surpeuplement, qui se traduisent par la construction de préfabriqués (mal-chauffés, mal isolés…) et la transformation de tous les lieux de vie (salles de sieste, bibliothèque, etc.) en salles de classe. Ce n’est qu’avec un décalage de plusieurs années que les deux mairies ont entrepris de construire des extensions durables aux écoles existantes, en cours ou tout juste terminées au moment de l’enquête. Face à cette situation, les parents de toutes les classes sociales tiennent des discours similaires et s’entendent pour parler « d’écoles-usines ». Cette apparente unité se fissure lorsque l’on constate, d’une part, que les parents propriétaires sont plus nombreux que les locataires HLM à « fuir » l’école publique et à recourir au privé et, d’autre part, que leurs justifications articulent des rapports à l’école et à la mixité qui condensent les contradictions mises en évidence.

65Alors que la majorité des enquêté∙es de classes moyennes et supérieures déclare une préférence pour l’école publique, la fréquentation de l’école privée fonctionne comme un principe d’identification aux classes moyennes du quartier. C’est chez Omar Ba, père de deux collégiens scolarisés dans le privé depuis l’élémentaire, que cette tension est la plus vive. Il se décrit comme « contraint » (mot répété quatre fois) d’avoir dû mettre ses enfants dans le privé, à cause des changements de carte scolaire qui entraînaient des « problèmes organisationnels ». Mais au fil de l’entretien, on perçoit la place que les logiques d’identification aux classes moyennes et de distanciation aux logements sociaux jouent dans le choix de ce secteur.

[Dans les logements sociaux], ce n’est pas forcément la classe moyenne de propriétaires qui peut s’occuper de leurs enfants. Et la tendance aujourd’hui dans le quartier, on voit quand même que la classe moyenne qui sont des propriétaires en général, leurs enfants sont tous à l’école privée.

66Omar Ba oppose ainsi les adolescents des propriétaires, qui passent le bac « brillamment » et intègrent ensuite « une école privée ou une classe prépa », à ceux des logements sociaux, « qui sont en apprentissage ou un truc technique ». Il reprend là le processus mis en évidence par Norbert Elias et John L. Scotson suivant lequel « un groupe installé a tendance à attribuer à son groupe intrus, dans sa totalité, les “mauvaises” caractéristiques de ses “pires” éléments […]. À l’inverse, le groupe installé a tendance à calquer l’image qu’il a de lui sur sa section exemplaire […], sur la minorité des “meilleurs” » (Elias & Scotson, 1997, p. 34). De fait, si le groupe au sein duquel Omar Ba s’inclut ne se distingue pas par l’ancienneté de sa présence, il conquiert, par l’espace scolaire et le recours au privé, une plus forte légitimité symbolique.

67C’est aussi l’anticipation du secteur privé au plus tôt des parcours qui joue comme logique d’identification desdites classes moyennes :

Les classes moyennes, les propriétaires en général, ils anticipent à partir du CM1 où ils les sortent du public (Omar Ba).
J’entends tout le monde dire que tous les gens mettent leurs enfants en école privée, quand même. C’est aussi une question pour nous. Parce que voilà, je n’ai pas trop envie que les enfants […] soient, voilà, dans des écoles où ça dysfonctionne, où les instits sont très pris par des enfants qui auraient trop de problèmes de comportement ou voilà, en niveau en français. […] [Il faut les mettre] dès le départ, alors avec comme idée aussi, de les mettre dès tout petits pour avoir une place en primaire et au collège. […] Des gens, je vous dis, de niveau social qui correspond à peu près au nôtre : personne n’a mis ses enfants dans le public (Stéphanie Leroy, mère de jumeaux de 15 mois).

68Cette logique d’identification combinée à ce besoin d’anticipation crée une inquiétude scolaire précoce – ici alors même que ses jumeaux n’ont que 15 mois – et permet à Stéphanie Leroy d’envisager le recours au privé « à regrets », alors même qu’elle indique plus loin n’avoir jamais eu aucun retour concret de l’école publique (« Non, je ne connais personne qui y a ses enfants ») ni même savoir où elle est située exactement.

69En plus des logiques d’identification, les classes moyennes en ascension sociale comme Omar Ba valorisent également le « cadre » que l’école privée est supposée apporter à leurs enfants afin d’éviter les « dérives » qui « arrivent vite » (« ils vont se retrouver dans les kebabs, ben oui, ils vont consommer de la drogue comme ça… »). Omar Ba compte sur « le privé » pour contrôler à la fois leurs fréquentations (leurs amis sont au privé), leurs activités extrascolaires (avec des enfants d’autres écoles privées), leurs emplois du temps (dits plus chargés que dans l’école publique), etc.

70Pour autant, de la même façon qu’ils constatent à contrecœur participer à la construction de frontières sociales, les parents interrogés répètent que le choix du privé ne correspond pas à leurs « valeurs », leur « devise », leurs « principes ». C’est bien là toute la force socialisatrice des quartiers de mixité sociale programmée que de rendre « concrètes » des questions que ces enquêté∙es pouvaient auparavant regarder avec distance.

Des classes moyennes invisibles

71On aurait pu imaginer un discours symétrique au sein des classes populaires qui pour partie cohabitent pour la première fois avec des membres des classes moyennes et supérieures. Or, les effets de la coprésence sont ici dissymétriques : alors que les quartiers de mixité sociale programmée renforcent la conscience de leur position sociale chez les classes moyennes et supérieures, ils ne produisent rien d’équivalent pour les classes populaires. En effet, ce qui frappe est l’invisibilité des classes moyennes et supérieures dans les propos des classes populaires. Au contraire, nombreux sont celles et ceux qui construisent des frontières à l’intérieur des classes populaires afin de s’en distinguer, à l’instar de ce que note Pierre Gilbert (2013) dans les quartiers de rénovation urbaine :

  • 26 L’enquêtée ignore que d’autres bâtiments sont en fait des HLM.

Ce bâtiment, il fait tâche dans ce quartier, c’est le seul HLM26. Ils tiennent les murs, ils vont grandir comme ça. Je le sais, j’ai grandi en cité. Des conneries de cité, mais y’avait pas ça ici... (femme, ancienne auxiliaire de puériculture en congé maladie longue durée, locataire HLM).
C’est plutôt des gens d’une certaine éducation qui ne me ressemble pas et du coup, je m’y approche pas. Même pour mon fils, j’ai peur. Je voudrais qu’il fréquente des personnes, pas forcément du même milieu social, financier, mais avec un meilleur niveau d’éducation. (femme au foyer, en couple avec un chef de poste en sécurité incendie, locataire HLM).
On n’a pas les mêmes points de vue sur plein de choses, ils ne sont pas très respectueux. C’est un environnement pas très sain, une agressivité au quotidien, des déchets dans la rue et dans l’herbe devant la résidence (homme, chef d’équipe électricien, locataire HLM).

72En entretien, j’ai pourtant cherché, à quelques reprises, à susciter un discours sur le fait que, dans le quartier, une partie des habitant∙es sont « différent∙es », mais les enquêté∙es en ont alors profité pour se situer par rapport à moins doté∙es qu’eux. C’est ce qui se passe avec Saadia Touati, assistante maternelle et immigrée algérienne en couple avec un machiniste conducteur. Avant d’être relogé dans les HLM des Sablières et depuis son arrivée en France pour ses 18 ans, elle a toujours vécu dans le grand ensemble HLM de Lassalle, mais lorsque je l’interroge sur les personnes d’un « autre milieu » qu’elle croise aux Sablières, elle évoque « la dame en bas » et précise :

Quand elle est arrivée, la pauvre, c’était très difficile pour elle. J’étais souvent avec elle, la rassurer, lui dire au début, ce n’est pas facile mais… avec des gestes. Aujourd’hui, elle parle mieux. Quand je vois quelqu’un de triste ou malheureux, j’essaye d’aider.

73Deux autres formes de rapports à l’autre se dégagent au sein de ce groupe social. La première consiste à assumer de maintenir des relations fondées sur l’origine ethnique et par là-même, d’ignorer, dans l’entretien, la présence des classes moyennes et supérieures. C’est le cas de Hawa Ben Raim (assistante de vie sociale à domicile, locataire HLM) qui dit n’« aller [que] chez les Africains ».

  • 27 Connaissant des difficultés financières, il a pris l’habitude d’acheter tout le nécessaire en début (...)

74La seconde forme de réaction implique de se refermer sur la sphère domestique pour se protéger du jugement des autres à la suite d’un sentiment plus ou moins diffus de stigmatisation. C’est ce qu’exprime un enquêté par questionnaire, technicien en sécurité incendie, propriétaire aux Moulins et ancien locataire HLM, déjà évoqué plus haut pour avoir acheté son appartement le temps d’un week-end. Ce dernier vit difficilement le regard des autres dans son nouveau quartier et multiplie les paravents et recouvrements sur ses fenêtres pour éviter d’être « vu » par ses voisins. Il raconte également être gêné lorsqu’il croise des voisins au supermarché avec son panier du début du mois27 : « un voisin, je le croise – je le connaissais à peine ! –, il me dit : “Dis donc, tu fais vraiment de grosses courses !” Mais ça ne le regarde pas ! ». On en trouve également d’autres traces dans les réponses aux questionnaires :

Ils n’ont pas la même religion, pas le même mode de vie. Ils ne pensent pas comme nous, ne sont pas serviables. Et ils n’aiment pas les familles nombreuses. On les fréquente plus (homme invalide, en couple avec une femme au foyer, locataire HLM, 6 enfants).
C’est leur façon de regarder les gens, ils vous regardent comme si j’étais un extraterrestre, des étrangers. Surtout quand j’ai des amis sur le balcon, on est surveillé ! (homme, employé de magasin, locataire du secteur privé).

75C’est seulement dans cette dernière forme de réaction à la mixité sociale exprimée au sein des classes populaires que la présence des classes moyennes et supérieures semble être visible à leurs yeux. Et malgré tout, contrairement aux longues descriptions des classes populaires dans les discours des classes moyennes et supérieures (voir supra), celles-ci ne sont ici mentionnées qu’en creux, sans jamais être explicitement désignées. En effet, dans la scène de la rencontre au supermarché, l’enquêté décrit davantage son propre caddie et son organisation pour les courses que ce voisin ; dans les autres jugements évoqués, les classes moyennes et supérieures sont évoquées au moyen de pronoms personnels (« ils », « eux »).

76Aux identités de « bobos », de « classes moyennes » et de « propriétaires » dégagées plus haut ne répondent donc pour les classes populaires aucune catégorisation ni en termes de classes, ni en termes de statuts d’occupation. À l’exception des constructions liées à l’origine ethnique, le rapport à soi s’arrête bien souvent au frontière du foyer, alors que le rapport à l’autre n’intègre pratiquement jamais explicitement la présence de classes moyennes et supérieures dans le quartier.

Conclusion

77Le croisement des données sociodémographiques, d’une enquête par réseaux ainsi que d’entretiens approfondis a permis d’étudier la reconfiguration des rapports sociaux dans deux quartiers de mixité sociale programmée. À rebours de l’idéal du village et de l’effacement des rapports de classe prêtés à la mixité que partagent en partie les élu∙es et concepteur∙rices du quartier interrogé∙es, les analyses montrent, d’une part, la faiblesse des liens sociaux qui se nouent dans ces quartiers ainsi que leur caractère homolalique et, d’autre part, que la proximité physique peut aller de pair avec des opérations sociales et mentales de construction de l’« autre » en « différent de soi ».

78Ces résultats mériteraient d’être complétés et approfondis avec d’autres investigations empiriques afin notamment de replacer les effets socialisateurs de ces quartiers par rapport à ceux qui ont cours dans d’autres espaces résidentiels socialement mixtes (quartiers en rénovation urbaine, gentrifiés, etc.) et dans des lieux caractérisés par l’entre-soi. L’analyse pourrait également gagner en finesse si elle parvenait à mieux distinguer plusieurs fractions de classes et notamment les divisions internes aux classes moyennes et supérieures. Les résultats mériteraient enfin d’être réinterrogés dans plusieurs années lorsque le temps aura – peut-être – modifié la composition sociale des logements du quartier et les formes de la vie locale. Les résultats obtenus entre 2015 et 2017 établissent à quel point les logiques de peuplement des logements privés sont fragiles et comment celles des logements sociaux limitent la venue des populations les plus précaires. Dans le même temps, les données montrent qu’une partie des clivages en fonction des statuts d’occupation, notamment les écarts de structures par âges, sont liés à la jeunesse des propriétaires. Qu’en sera-t-il dans dix, quinze, vingt ans ?

79Comme l’allongement des scolarités sans réduction des inégalités scolaires et la tertiarisation des emplois des classes populaires qui les met davantage en présence des membres des classes moyennes, les incitations politiques et sociales à la déségrégation spatiale dont sont issues les nouveaux quartiers de mixité sociale programmée sont susceptibles de produire des effets ambivalents dans la mesure où elles induisent des « formes de déségrégation et de franchissement des frontières, par suite desquels les membres des classes populaires sont mis en contact avec des éléments ou des systèmes culturels qui peuvent être étrangers à leur univers familier » (Schwartz, 1998, p. 119). Si Olivier Schwartz a entrepris d’analyser les conséquences de ces transformations sociales sur les classes populaires, cet article invite à poursuivre leur étude en intégrant leurs effets sur les classes moyennes et supérieures.

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Notes

1 Affirmation du promoteur immobilier à propos du Carré de Soie à Lyon.

2 Déclaration de la mairie à propos des nouveaux quartiers du projet Euroméditérranée à Marseille.

3 La loi s’applique aux communes de plus de 3500 habitants (ou 1500 habitants en Île-de-France) appartenant à des agglomérations ou intercommunalités de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants.

4 Les anciens travaux de Michel Pinçon (1981) ou plus récemment, ceux de Lydie Launay (2011) et de Jeanne Demoulin et ses collègues (2017) pourraient être considérés comme des analyses d’opérations de mixité sociale programmée. À l’inverse des quartiers de mixité sociale programmée, les programmes étudiés par ces auteur·es ne concernent cependant que (ou quasiment que) du logement social, que l’on a cherché à diversifier.

5 Lettre d’information, Les Sablières.

6 Il évoque la longueur de la file d’attente de logement social.

7 Le même constat vaut pour Sorigny.

8 Nadine Paté, responsable du service urbanisme de la commune.

9 Brochure de présentation du quartier.

10 Ceux-ci assurent une circulation de l’information entre projets immobiliers et participent à construire des modèles. Ainsi, Jules Rioux indique que les promoteurs leur ressortaient régulièrement le « modèle d’Euroméditerranée », à Marseille.

11 Soit 1) les prêts locatifs social (PLS), autrefois appelés « logements intermédiaires », 2) les prêts locatifs à usage social (PLUS), pour les ménages cibles du logement social et 3) les prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI), pour les ménages disposant des plus faibles ressources.

12 Roland Castro va jusqu’à décrire les grands ensembles comme la mise en œuvre d’un « troisième totalitarisme » (p. 31), certes involontaires, mais au niveau des idéologies nazies et staliniennes (Castro, 1994, p. 27‑29).

13 Sur le rapport de l’État aux quartiers populaires, voir (Tissot, 2007).

14 La notion de ségrégation ne qualifie alors que la concentration des classes populaires, non celle des classes supérieures, pourtant plus importante et plus structurante (Préteceille, 2006).

15 Voir aussi la variété des profils enquêtés grâce au tirage au sort au sein des logements du quartier des Moulins (voir annexe électronique 2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/6557).

16 Les 20-29 ans représentent 33 % des habitant·es de logement occupé par des locataires du privé aux Moulins, contre 9 % des habitant·es de logement occupé par leur propriétaire et 13 % des résident·es en HLM. Aux Sablières, ces proportions sont respectivement de 30 %, 12 % et 17 % (source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012).

17 Aux Moulins, l’ancienneté moyenne dans leur logement des locataires du privé est de 2,8 ans, contre 6,0 ans pour les locataires du parc social et 5,9 ans pour les propriétaires (source : enquêtes Entre Voisins, 2016).

18 Nous employons le mot personne pour simplifier la lecture, mais les enquêté·es étaient invités à regrouper dans le même contact les couples ou personnes vivant dans le même logement.

19 En restreignant à 4 contacts cités, on aurait obtenu ici 1,4 contacts en moyenne.

20 Ce qui n’empêche pas que ce soit lorsqu’ils sont locataires du secteur privé que les CPIS citent le plus faible nombre de contacts.

21 Nos résultats rejoignent ceux de Jacqueline Vischer (1984) qui observe, dans un quartier mixte de Vancouver, que la mixité n’a pas permis de créer des sociabilités au-delà des îlots d’habitation.

22 Les caractéristiques sociales et le statut d’occupation n’épuisent cependant pas les variables susceptibles d’être partagées entre les enquêté·es et leurs contacts : même si les données ne permettent pas d’approfondir l’analyse ici, on peut émettre l’hypothèse que les relations sont également liées au sexe et à la situation familiale.

23 Sur les vertus éducative de la mixité, voir (Rivière, 2018).

24 Selon l’analyse des questionnaires de l’enquête Entre Voisins, Ined, 2016.

25 D’autres enquêté∙es évoquent la fréquentation d’AMAP, de théâtres, d’une association d’histoire locale, du conservatoire…

26 L’enquêtée ignore que d’autres bâtiments sont en fait des HLM.

27 Connaissant des difficultés financières, il a pris l’habitude d’acheter tout le nécessaire en début de mois afin d’éviter les tentations et d’assurer un minimum à manger pour ses enfants.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : La structure par âges des habitant·es des quartiers de mixité sociale programmée
Légende Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/6492/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Titre Figure 2 : Comparaison des structures sociales des quartiers de mixité sociale programmée avec celles des villes dans lesquelles ils sont construits
Légende Champ : ensemble des actif·ves de 15 ans et plus. Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/6492/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 192k
Titre Figure 3 : La structure par âges dans les logements occupés par des propriétaires
Légende Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/6492/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 68k
Titre Figure 4 : La structure par âges dans les logements HLM
Légende Source : recensement de la population, fichier détails individus, 2012.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/6492/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 72k
Titre Figure 5 : Structure des relations déclarées par les enquêté·es
Légende Source : enquête Entre voisins, Ined, 2016. Graphique créé en collaboration avec Aurélie Santos.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/6492/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 276k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Joanie Cayouette-Remblière, « Les rapports sociaux dans les quartiers de mixité sociale programmée », Sociologie [En ligne], N° 1, vol. 11 |  2020, mis en ligne le 03 février 2020, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/6492

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Auteur

Joanie Cayouette-Remblière

joanie.cayouette-rembliere@ined.fr
Chargée de recherches, sociologie, Ined, Campus Condorcet, 9 cours des Humanités, 93322 Aubervilliers cedex, France

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