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L’espace social du genre

Annexe électronique de l’article « L’espace social du genre. Diversité des registres d’action et d’identification dans la population trans’ en France »

Emmanuel Beaubatie

Texte intégral

1Dans l’espace social du genre, il existe différents pôles. Chacun d’entre eux détient un pouvoir de prescription dans lequel s’entremêlent des normes de conformisme, de réalisme et de contestation. Transcrit dans son intégralité, l’entretien biographique de Camille illustre cette intrication des rapports au genre à partir d’une trajectoire sociale singulière. Le registre conforme y est prédominant, mais cette femme trans’ a également recours à certaines formes de stratégie et d’engagement.

Annexe : Entretien biographique avec Camille, trans’ male-to-female

2Camille, 30 ans, est ingénieure. Elle a deux enfants, Lucie et Patrick qu’elle a conçu.e.s avec deux ex-compagnes.

Tu as poursuivi un parcours de transition. Est-ce que tu peux me dire comment tout a commencé ?

Je ne sais pas... Je sais juste que depuis ma plus tendre enfance, la question existe. Toujours la même rengaine. J’ai eu le sentiment qu’on m’ait dit que c’était très mal. Mais pas en me disant "c’est mal de faire ça". J’ai eu ce sentiment-là... Par exemple, j’étais attirée par les poupées. Mes parents ne se posaient pas de question, mais j’ai des oncles et tantes qui ont fait des réflexions. "Ça n’est pas pour toi. Sois comme un garçon !" Donc très rapidement... Même avec mes copains en maternelle, j’ai des souvenirs... Du coup, je me suis très vite bloquée là-dessus. J’ai dit : "bon bah je ne fais rien, parce que c’est mal vu. Je vais tellement décevoir, être montrée du doigt, être rejetée..." Donc je me suis enfermée dans un stéréotype masculin. Mais je n’arrivais pas à m’enfermer complètement, parce qu’il y avait des choses qui étaient vraiment contre-nature pour moi. Bon, ça, c’est le modèle un peu inverse. Il y en a qui expriment beaucoup. Moi, je me suis renfermée pour ne pas que ça se voie. Du coup, la relation humaine... J’ai beaucoup souffert. Surtout, les images que j’avais, c’était soit des images... Quand on tape "transsexuel" sur Internet, ce qu’on voit, c’est "tu veux voir une femme avec une bite ?"

Des sites pornos.

Oui. Et encore, je n’avais pas Internet à l’époque. Mais quand j’ai eu Internet, j’avais vingt-deux ans, beaucoup plus tard, quand j’étais sur Paris. Parce que j’étais en province.

Où ça ?

Vers Colmar. Donc Internet n’existait pas et j’étais en pleine campagne. Aucune information à part TF1. Et sur TF1, ils montraient que si une personne le faisait, elle se faisait arrêter par les policiers et mettre en prison à cause de la carte d’identité. Moi, je ne savais même pas que c’était possible de changer. Donc j’ai mis un gros coffre avec plein de gène et surtout, ça ne sort pas. Ce qui est quasiment impossible hein. Mais je l’ai fait parce que j’avais peur de finir en hôpital psychiatrique, d’être dingue. C’était l’image que j’avais. J’avais peur d’être rejetée. Donc je me suis mise à fond dans mes études. J’ai fait une classe préparatoire maths sup maths spé et j’ai fait une école d’ingénieur. Du coup, je rêvais un peu. J’aimais l’informatique. Je trouvais ça magique. Donc du coup, je me suis lancée dans l’informatique et j’ai fait une école spécialisée là-dedans. Après, le vrai déclic, c’est arrivé... En fait, c’est arrivé à deux endroits. J’ai trouvé quelqu’un, une femme. Elle a fait en sorte de tomber enceinte. Je n’avais pas encore mon diplôme. Du coup, ma fille est arrivée... Ma fille, Lucie, était là quand j’ai reçu mon diplôme d’ingénieur. Ça a commencé comme ça parce que... J’ai eu une fille. J’ai toujours rêvé d’avoir une fille. Bon, je rêvais plutôt de la porter, bien sûr. Et donc là, du coup, ça m’a permis d’être bien. Mon diplôme, un enfant... Je commençais à avoir une vie de famille et je me dis "ça n’est pas ça que je veux." Et là, j’ai commencé à taper "transsexualisme", mais au travail. Je travaillais chez (Entreprise 1), mon client, c’était (Entreprise 1). Il faut savoir que dans le monde de l’entreprise, il y a plein de filtres qui t’empêchent d’aller sur les sites pornos justement. Et là, j’ai pu accéder aux vrais sites. Grâce au boulot. Ces filtres, ça m’a beaucoup aidé en fait. Et là, j’ai passé un mois et demi à ne pas travailler et à ne consulter que les sites Internet, à emmagasiner toute l’information. J’avais vingt-six ans. Et c’est là que j’ai commencé à savoir que c’était possible. Du coup, j’ai appelé une association. J’ai appelé la première association LGBT. Comme j’avais lu qu’il fallait que je voie un psy (psychiatre) avant de faire quoi que ce soit. J’avais bien compris qu’il ne fallait pas suivre le truc officiel (le protocole hospitalier de changement de sexe) parce que j’avais un enfant. Ils sont très discriminants à cause de ça.

Comment tu as su ça ?

J’ai passé du temps sur les forums à lire. J’étais très curieuse, tout le temps à vouloir lire, lire, lire. J’ai passé un temps fou là-dessus. Du coup, j’ai pris contact avec un psychiatre qui m’a été conseillé par une association LGBT. Le problème, c’est qu’il n’était pas du tout familiarisé avec les trans’. Je pense qu’il était plutôt familiarisé avec les homosexuels. Du coup, ça n’est pas passé. C’était grand silence. C’était un peu... du coup, j’ai laissé tomber. J’en ai profité pour en parler à ma compagne de l’époque, qui a très mal pris la chose.

Ta compagne de l’époque...

La maman de Lucie. Elle l’a très mal pris. Extrêmement violent de sa part. Physiquement. À plusieurs niveaux. Mais je crois que c’est un peu... je crois que ça arrive souvent.

Comment ça s’est passé l’annonce ?

Ça a commencé, j’ai dit "voilà, j’ai appelé un psy." Tu vois, j’étais quand même montée dans ma tête, tu vois : j’ai appelé d’une cabine téléphonique (rires). C’est très mafieux.

Comment elle s’appelle ton ex-compagne ?

Aurélie.

C’était donc avant que tu le dises à Aurélie.

Oui. Je l’ai appelé juste avant. Le jour où je l’ai appelé, du coup, j’en ai parlé. J’ai dit "depuis ma plus tendre enfance, je me sens une fille". Au début, elle ne l’a pas vraiment mal pris. Elle pensait que c’était une passade. Et elle a vu que ça n’était pas une passade. J’ai commencé à avoir le sourire, à être contente. Elle l’a mal pris. Du coup, je l’ai ré-intériorisé. Je l’ai exprimé de façon différente. J’ai commencé à faire l’épilation du visage manuelle. Au début, je voulais commencer par étapes. Comme j’avais mis beaucoup de temps avant d’avancer, je me dis "je n’ai pas envie de me laisser faire par mon inconscient. J’ai envie de savoir si j’en ai besoin, est-ce que c’est vraiment ça dont j’ai envie ?" Donc j’y suis allée par étapes. La première étape a été l’épilation du visage. Mais pas tout de suite au laser. Ça a été manuel. Après, ça a été l’achat de vêtements. Je l’ai fait avec mon ex. Enfin, au début, on l’a commencé avec Aurélie. Bon, elle n’a pas aimé. Elle ne voulait plus que je les porte. Du coup, avec elle, je ne pouvais pas.

Donc tu as quand même fait du shopping avec elle ?

Un tout petit peu. Un tout petit peu avec elle. Une fois en fait. Après, elle ne pouvait plus supporter. Je peux comprendre hein. Là-dessus, je ne jette pas la pierre. Je jette la pierre sur la violence qu’il y a eu après.

Et comment elle est arrivée, cette violence ?

En fait, elle était aussi étudiante. Elle n’avait pas son diplôme. Donc elle était jeune. Moi, je travaillais. J’avais un salaire d’ingénieur. Elle voulait exploiter un peu ma situation. Après, je pense que c’est parce qu’elle a été éduquée comme ça. Sa mère vit un peu aux crochets de son père. Elle aurait bien voulu vivre à mes crochets. Et là, elle se retrouvait... Selon ses termes, je lui échappais des doigts. Du coup, oui, il fallait qu’elle revienne chez ses parents et qu’elle assume cet échec. Parce qu’elle refusait de vivre avec moi dans cette transition.

Donc vous vous êtes séparées ?

Oui, on s’est séparées. Du coup, moi, ça m’a libérée. Avant la séparation, j’avais acheté des hormones sur Internet. J’avais fait un peu des bêtises. J’avais commencé à suivre une psychothérapie avec un psychologue. Parce que j’avais demandé à voir un spécialiste pour me suivre, pour voir des choses profondes. Mon médecin généraliste, je lui ai demandé l’adresse d’un psychiatre, il a refusé. Il m’a donné une adresse de psychologue.

Pourquoi il a refusé, le psychiatre ?

Il a refusé le psychiatre. Il a voulu un psychologue. En gros, je voulais faire une psychothérapie pour lui et il estimait qu’un psychologue était plus adapté.

Comment ça s’est passé ?

Ça ne s’est pas trop mal passé, mais en fait, je n’ai pas le sentiment d’en avoir eu vraiment besoin. Après si, j’en ai eu besoin vis-à-vis des enfants. Parce que c’était intéressant d’essayer d’accompagner l’évolution de l’enfant dans ce changement. C’est quand même quelque chose d’assez hors du commun. Ça mérite quand même, je pense, de réfléchir, d’être en harmonie vis-à-vis de l’enfant. Ça n’est pas d’être en harmonie, mais... non pas de prendre des pincettes, parce qu’il faut être clair avec l’enfant, clair avec soi-même, comme ça l’enfant est au clair, il sait où il va et d’où il vient. Mais en revanche, je pense qu’il faut être attentif à l’enfant. Essayer de l’accompagner, lui faire comprendre, ne pas jouer dans les tabous, bien lui faire comprendre que je suis son père. Accessoirement. Malheureusement. Génétiquement. Après, de mon point de vue, je pense qu’il n’est pas sain que l’enfant m’appelle papa. Là, je ne faisais aucun changement. J’ai commencé un peu les hormones, mais je n’ai pas fini, j’ai arrêté en plein milieu en 2009. Mais en 2009, j’ai commencé le laser en juillet. Je te fais le parcours hein ?

Oui oui.

Donc je commence le laser. À la séparation en fait. Comme elle avait décidé qu’on se sépare, je dis "ok, je commence mon parcours et fuck off." Je voulais commencer par le laser parce que... Toujours dans ma démarche originelle, de faire les choses petit à petit, de voir si c’est ce dont j’ai besoin. Est-ce que je voulais vraiment être transsexuelle ? Sachant que je voulais l’opération très profondément, mais... Est-ce que c’était vraiment ça mon objectif ? Je voulais y aller par étapes. Donc je me suis fixée à chaque fois des dates et des étapes. Pour plusieurs raisons. Les enfants. Je ne voulais pas être en difficulté vis-à-vis des enfants. Et la deuxième raison : le boulot. Ne pas se griller au travail, ne pas se mettre en porte-à-faux. Il y a un risque de perte de crédibilité etc. Parce que je suis ingénieure, je dirige des équipes, je fais travailler plusieurs équipes les unes avec les autres. Donc même si les compétences sont les mêmes... Mais ça, c’est venu après. En 2009, je n’avais rien fait encore au niveau du boulot. En 2009, je rencontre une très vieille copine. On s’était plues sept ans avant. Et elle m’a fait "moi aussi, tu m’avais plu à ce moment là, c’était un amour manqué. On se remet ensemble ?" Je lui dis que j’ai un secret horrible et au bout de quelques semaines, je lui dis ce que c’est. Elle me dit "ça ne te passera pas, c’est ça ? Je dis "non, ça va être difficilement passable." Et elle décide de m’accompagner. Mais ça ne se passe pas si bien après (rires).

Qu’est ce qui se passe mal après ?

Là, même si j’avais commencé l’épilation laser, j’avais encore une apparence androgyne masculine. En 2009, j’ai commencé à le dire à mes parents aussi. Je leur ai dit "j’ai un truc horrible à vous dire. Qu’est-ce que vous pensez de moi, de mon enfance etc. ?" Jusqu’à quatre heures du matin. Ça n’est qu’à quatre heures que j’ai réussi à le dire. Ça n’était pas facile. C’était une grosse épreuve. Eux, ils pensaient que c’était la fin du monde, que j’étais meurtrière ou je ne sais quoi (rires).

Ils devaient deviner ton secret ?

Bah oui. "Qu’est-ce qu’il y a dans mon enfance ?" Eux en revanche, ils ne m’ont fait aucun retour. Ils n’ont rien vu. En revanche, mon grand frère avait vu beaucoup de frustration et de souffrance en moi. Quand je lui ai parlé, il m’a dit "c’est ça qui t’a fait souffrir toute ton enfance. C’est ça qui t’a enfermée." Donc ça, c’est vis-à-vis de mes frères.

Tu en as combien ?

J’ai deux frères. Un petit frère et un grand frère. Mon grand frère l’a bien accepté. Mon petit frère, je n’ai pas osé lui dire. Il l’a appris par des tierces personnes (rires).

De la famille ?

Oui, je pense par mon grand frère. Je n’ai pas eu le courage de lui dire. Parce que comme c’était mon petit frère, je sais que j’étais un modèle pour lui. Je me suis beaucoup occupée de lui pendant l’enfance. Du coup, j’étais très présente. C’est moi qui allais le chercher à l’école, qui l’emmenait au parc. On a sept ans de différence. Du coup, j’étais plus qu’une grande sœur. J’étais un peu son modèle. Du coup, c’était un peu difficile. J’ai transposé beaucoup vis-à-vis de lui. J’avais peur de le faire souffrir. C’est pour ça que je n’ai pas eu le courage de le dire. Ça n’est peut-être pas super, mais bon. Mon frère lui a dit. Il a dit "il faut lui dire de toute façon."

Et du coup, les parents, à quatre heures du mat’… ?

Ils ont été soulagés parce qu’ils s’attendaient au pire (rires). En revanche, après, il a fallu le digérer. Ils ne le digèrent toujours pas. Il n’y a pas de rejet à proprement parler, mais... Mon père essaye de l’accepter, mais encore aujourd’hui, il trébuche. Ma mère, elle, en revanche, elle n’arrive pas. Elle commence à l’accepter, mais le problème, c’est qu’elle a une vie publique. Et du coup, dans sa vie publique, elle n’arrive pas à l’accepter vis-à-vis d’autrui. Elle est complètement bloquée sur elle même. Elle arrive difficilement à s’ouvrir. Moi, je lui ai un peu imposé. Elle est maire-adjointe de son village. Et je lui ai imposé parce qu’une fois, je suis allée voter en jupe.

Et ça s’est passé comment ?

Je n’avais pas changé mon état civil. C’est un petit village en plus. Tout le monde me connaît, enfin beaucoup de gens me connaissent. Du coup, la bonne blague. Les gens devaient trouver mon prénom. Je m’appelais Martin avant, donc c’était marqué Martin. Et puis le maire me connaît parce que ma mère est maire adjointe. Donc le maire qui me connait dit "allez c’est bon, c’est ça." Et c’était fait. C’est pour ça que je continue à voter là-bas. Parce que j’étais connue. Je n’ai pas besoin de répondre à "ça n’est pas vous". Je sais qu’ils sont tous au courant. Donc je lui ai un peu imposé ça, à ma mère. Mais ça n’était pas volontaire. Pour moi, le droit de vote était un peu l’origine. Donc on n’a rien à dire. On a le droit de voter. C’est un droit, donc je l’ai fait. Aujourd’hui, j’ai vraiment changé d’identité depuis juin juillet. Mais moi, j’ai tout organisé pour que ça se fasse en temps et en heure, rapidement. Du coup, je me suis retrouvée en 2009 avec une nouvelle personne qui s’appelle Fanny, qui elle, avait un petit garçon. On a essayé de se battre entre guillemets pour que j’aie la garde de ma fille, mais ça ne s’est pas bien passé du tout. Donc là, on a eu un conflit. Et Fanny me dit "bon avant que tu prennes les hormones..." En fait, on a essayé de voir la possibilité de garder des spermatozoïdes quelque part. En France, c’était impossible. En Belgique, ils n’ont pas donné suite. Au début, ils donnaient suite. Et puis quand on a été clair avec eux "c’est pour un changement nininin", ils n’ont pas donné suite. Après, j’ai appris qu’en Hollande, il y avait possibilité. Peut-être en Espagne. Mais avec la barrière de la langue, on a laissé tomber. Et puis comme on a eu ce rejet-là en Belgique, on s’est dit qu’avec des changements de politiques ou quoi que ce soit, tout de suite, c’est foutu. Il y a peu de chances qu’on les retrouve. Donc on s’est dit : "si on veut faire un enfant, c’est maintenant." Parce que moi, j’avais prévu de prendre mes hormones en 2010. Pourquoi ? Parce que ça faisait à peu près une année que j’étais suivie par la même psychologue, que je me laissais un peu de temps et puis voilà. Je voulais le faire vers ce moment-là. Du coup, elle est tombée enceinte. Donc j’ai commencé mes hormones.

Tu as pris les hormones sur Internet ?

Non, là je suis allée voir l’endocrinologue.

En libéral ?

Oui. À Paris. Je travaillais à Paris. J’habitais en banlieue.

Tu habites encore là ?

Non, j’habite en province. Mais je travaille toujours à Paris. C’est un peu compliqué (rires). Justement, après, ça s’est compliqué. Moi, je commence mon changement, mes hormones. Avec Fanny, les enfants m’appelaient déjà Camille. Le sien. Plus ma fille. Patrick n’était pas encore né. Il est né en 2011.

Ta fille t’appelle Camille donc ?

3Oui. "Mamounette" maintenant. Mais c’est au grand damne d’Aurélie, qui ne supporte pas. Je ne peux pas négocier avec la mère. Donc on négocie avec Lucie et Lucie dit qu’elle aime bien "Mamounette". Sinon, j’aurais proposé autre chose, genre "Dadoune". Daddy dadoune, transformer un peu. Mais elle ne veut pas, Lucie (rires). C’est ma fille qui ne veut pas. C’est elle qui veut "Mamounette". Si ça vient d’elle... Elle a cinq ans et je pense qu’elle est en capacité de dire maintenant ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut pas là-dessus. Et puis on a bien séparé les choses. Elle sait qui je suis, clairement. Elle n’a pas de doutes. Elle sait qui est sa mère, qui est son père, d’où elle vient, comment elle a été créée. Quand elle parle de moi, elle dit "quand tu étais un papa avant" (rires). C’est clair. Elle a vu le changement. Du coup, on va avoir un bébé et moi, je vis mon truc. Au travail, en parallèle... Quand je commence à prendre les hormones, je commence à en parler à mon ancien chef de projet qui avait quitté le projet. J’avais le feeling. J’avais senti quelque chose. En fait, lui, il en profite pour me dire qu’il est homosexuel. Je me dis que c’est peut-être pour ça que j’ai senti un feeling, une certaine sensibilité, que ça passait quoi. Ça ne passe pas toujours, mais là, ça passait. Ça ne passe pas toujours avec les gens homosexuels, ça n’est pas un critère. Mais c’est vrai que... il a cette sensibilité, cette ouverture-là. Il a une facilité avec les gens. Du coup, on avait vraiment des discussions, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce monde-là. Du coup, j’avais ressenti que c’était possible d’en parler avec lui. En plus, en dehors du projet, il me connaissait bien. Donc je me suis dit "je commence par lui". Du coup, on a pu parler de comment annoncer à mon équipe, à l’équipe que j’avais guidée. On a discuté de comment faire la chose.

4(Son téléphone sonne. Elle répond.)

Donc je disais, professionnellement, je suis passée par lui. Du coup, il m’a un peu rassurée sur la réaction de certaines personnes potentiellement. Il dirigeait une équipe. Il me disait "avec lui, ça pourra marcher. On peut faire ça comme ça etc." Donc du coup, ce qu’on faisait des fois, c’est qu’on faisait des soirées. On allait dans un bar, on faisait une soirée, ils avaient des DS, des petites consoles, on jouait à Mario. Je trouvais ça sympa, je participais. Et j’ai profité d’une soirée comme ça. Bon, ça n’était pas tous les jours. C’était trois ou quatre fois en trois ou quatre ans. Et j’ai profité d’une soirée comme ça pour le dire. Le chef de projet dit "Camille a quelque chose à vous dire." Silence. Je commence à le dire (rires), ça a mis un gros blanc (rires). Donc mon premier coming-out au boulot, c’était ça. J’ai dit quoi ? "Bon ben voilà, je vais commencer une hormonothérapie, je vais changer de prénom, je vais changer. Je vous en parle parce que morphologiquement, je vais me transformer. Je voulais vous le dire pour ne pas que vous soyez étonnés." Il y avait aussi... On faisait des activités sportives. C’est le grand luxe là-bas. Piscine, terrain de badminton machin. Du coup, je savais que ça allait se voir à un moment ou à un autre. C’était une évidence. Donc du coup, je voulais devancer les choses pour le faire en bonne et due forme. Bon, il y a des gens mal à l’aise avec le sujet et il y a des gens qui s’en foutent. Voilà comment j’ai fait ça. Ma première étape au travail, c’était ça. Je continue avec le travail ?

Oui oui.

Au travail, j’ai commencé comme ça. Après, donc j’avais une équipe qui était dans les locaux de mon entreprise. Parce que j’étais prestataire chez (Entreprise 1). Et moi, j’étais donc dans les locaux de (Entreprise 1), à l’intérieur d’une équipe là-bas. Donc il fallait que j’en parle à l’équipe. D’abord, j’en ai parlé à l’équipe, après, je suis montée jusqu’au directeur de mon entreprise. On en a parlé. Il m’a dit "pas de souci, on t’accompagne. S’il y a un problème, on te fait quitter, on te donne un bureau. Tu es sous notre aile." Ça, c’était mon directeur. C’était le directeur du contrat. Ok, donc là, du coup, je commence à faire l’annonce. D’abord au client. C’est le chef de l’équipe. Je dis "c’est ça qui va se passer", "pas de souci. Salut, bonne soirée !" (Rires). En gros, c’est comme ça que ça s’est passé. J’ai attendu que le bureau se vide, qu’on soit tous les deux et je lui ai dit directement. "Je ne sais pas si tu as remarqué ?" "Non, je n’ai rien vu." "Ben en fait il y a ça." "Ah bon, pas remarqué." Sachant qu’il y avait un membre de mon équipe qui l’avait remarqué. Parce que je l’avais aidé à déménager et sa femme lui avait dit "c’est une femme." En parlant de moi, elle a dit "c’est une femme". Ça faisait six mois que j’étais sous hormones, donc ça n’était pas vraiment... C’est pour ça, ça remonte à un bout de temps la transformation. Ça s’est fait petit à petit. Moi-même, je ne m’en suis pas rendue compte. J’ai fait en sorte que ça se fasse petit à petit, j’ai fait en sorte que quand les gens s’en rendent compte, ça soit déjà fini. C’était ça, l’objectif. Petit à petit, par étapes. J’ai programmé. J’ai pris sur moi pour pouvoir faire les choses de façon... pour que ça ne perturbe pas les gens, que ça ne perturbe pas le déroulement du travail, qu’on ne puisse pas me reprocher d’avoir mal agi.

Tu voulais le rendre facile pour les autres.

Exactement. C’est déjà tellement difficile pour moi que je comprends pertinemment que pour les autres, ça doit être très compliqué. C’est la démarche que j’ai voulu avoir. Pas facile. Et puis ça n’est jamais sans casse. Je pense que j’ai réussi le mieux possible, mais j’ai eu pas mal de frottements.

C’est-à-dire ? Il y a eu de la casse dans quel domaine ?

Au niveau du travail, il n’y a pas eu trop de casse. Il y a eu une casse avec un gars... Justement, sa femme lui a dit "c’est une femme". Elle l’a vu, il l’a vu. Lui, en revanche, il a pris des distances à ce moment-là. Il ne voulait plus me parler. Quand on était au boulot, ça se passait sans souci, mais dans la vie privée, il a fait la coupure. C’est un mâle, un vrai. Du coup, il était vraiment... Il dit "je ne comprends pas." Du coup, tout est là. Du coup, il ne cherchait plus à avoir des relations. En dehors du professionnel, il n’y avait plus de relation.

J’imagine que le milieu de l’ingénierie, c’est beaucoup d’hommes. Ça complique les choses… ?

Oui et non. Parce que là, j’étais dans un autre univers, j’étais dans l’univers (Entreprise 1). Donc ce sont majoritairement des hommes, mais on travaillait pour des équipes, pour des femmes. On travaillait avec des femmes, parce que je travaillais avec le business. Après, la directrice, la grande chef chez (Entreprise 1), c’était une femme, mais côté business. Et côté équipe projet, informatique, c’était un homme. Du coup, j’avais affaire autant à la femme qu’à l’homme. Du coup, ça s’est passé comme ça. On a fait l’annonce et ça s’est passé comme ça. Chez (Entreprise 1), ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de souci. Phase trois : j’ai demandé à changer de prénom au sein de mon entreprise. Ils ont accepté sans le changement d’état civil. Donc changement d’adresse e-mail, changement de badge, des choses toutes bêtes, mais c’était une fierté d’avoir mon badge. Et puis changement du prénom dans l’Intranet. Le seul problème, c’est qu’on ne pouvait pas changer pour les fiches de paie et dans pas mal de documents officiels ou dans les interactions avec les entreprises etc. À partir de là, on dit "on change et après je sors de chez (Entreprise 1) et je vais sur une autre mission avec ma nouvelle identité". C’était ça l’idée, au début. Du coup, j’en parle à mon client en disant : "j’ai changé de prénom chez (Entreprise 2)." (Entreprise 2), c’est ma boîte. "Je vais demander de changer de prénom ou je quitte (Entreprise 1)." Il me dit "ok, tu changes de prénom ici. On t’accompagne. J’en parle à mes directeurs." Il en a parlé à ses directeurs. Ses directeurs en ont parlé à mes directeurs. Ils ont dit "pas de souci." Mais tous quoi, c’était hallucinant. "Pas de souci, on te suit. S’il y a le moindre problème, tu viens nous voir" (rires). Il y a la compétence, il y a l’humanité. Je pense qu’il y a aussi que... J’ai fait les choses bien. Je n’ai pas imposé. J’ai imposé quand j’ai dit que je changeais de prénom, parce que j’ai commencé à avoir un changement physique et tout. Et puis je l’ai fait aussi pour le changement d’état civil, parce que pareil, je réfléchissais. Je commençais déjà à faire mes factures sur un an ou deux, pour pouvoir faire mon changement d’état civil. Pareil, j’avais prévu de faire des opérations à partir du début de cette année. Je voulais faire les opérations début 2012 et je voulais faire en même temps le changement d’état civil. Je savais qu’il y avait des délais de six mois un an, donc je voulais commencer tout en même temps. Pour pouvoir commencer tout en même temps, il fallait prouver que tu avais fait le changement avant, dans ta vie quotidienne. Donc il fallait le faire au travail. Donc j’ai tout fait comme ça. J’ai expliqué et tout.

Il fallait faire le changement d’identité sociale avant alors.

Oui, devant un juge, ça passe mieux. C’est beaucoup plus crédible. Ça n’est pas facile quand même. C’est un gros coup de stress (rires), le changement de prénom au travail. C’est super dur. Tous les jours, les gens, ils t’appellent Martin, tu les reprends, tu dis "c’est Camille".

Tu as fait une annonce ?

C’est mon truc (rires) : j’ai fait un pot de départ. J’ai fait un petit-déj de départ. J’ai offert le petit-déj, juste avant les vacances. J’ai dit "voilà, je m’en vais et quand je reviens, c’est Camille." Après, beaucoup de gens m’ont dit "on s’en doutait." Physiquement, j’avais tellement changé... Beaucoup s’y attendaient. Ça a pas mal jasé. Parce que le fait d’en avoir parlé à mes équipes un mois en avance, en fait, ils ont fait mes petits soldats. Parce qu’en fait, il y avait des gens qui derrière, ont dit "qu’est-ce qu’il a ? On dirait une fille. C’est bizarre". Et les autres répondaient "non non, tout se passe très bien". En gros, ils faisaient mur pour me protéger, parce que je les avais avertis en avance. Je les avais mis dans le secret. Ils portaient mon secret. Ils portaient mon parcours. Comme on avait de "bonnes relations" entre guillemets, que ça se passait bien, en gros, ils m’ont protégée. J’ai vraiment eu ce sentiment de protection. Et ça a vraiment fonctionné. J’ai eu des moments où justement, ça n’était pas bien et j’ai fait intervenir mon processus de... j’ai fait fonctionner ça quand j’ai eu des petits problèmes.

Quel type de problème ?

J’ai changé de nom chez (Entreprise 1) et du jour au lendemain... Bon après, on a eu le projet... Je ne sais pas si c’est de la persécution ou si c’est moi qui me sens persécutée parce que je change de prénom, ou si c’est parce qu’on augmente en difficulté... En gros, on avait trois fois plus de travail. Mais comme on avait déjà fait ce travail-là, on était beaucoup plus industrialisés. Donc on avait trois fois plus de change, mais dans des processus plus industrialisés, donc normalement, on devait pouvoir l’absorber plus facilement. Mais au début, il fallait quand même le réintégrer, on avait du retard. Honnêtement, j’étais reconnue comme parfaite dans mon travail. On ne revenait jamais sur mon travail. Et j’ai fait deux trois erreurs ou alors, j’étais surchargée. Je disais "je suis surchargée, je n’y arriverai pas". Il y avait du stress. Je ne rendais pas les choses à l’heure parce que j’étais surchargée. Du coup, la personne qui pilotait l’équipe a commencé à vraiment m’engueuler. C’était la première fois que ça m’arrivait. Et là, je me suis demandé si ça n’était pas lié au changement. Je l’ai super mal vécu. Plus possible de rentrer dans ce bureau. Ça m’a bloquée. Du coup, j’en ai parlé à mes directeurs. Mon ancien chef de projet est venu chercher mon portable, il l’a pris et il l’a mis dans les locaux de ma boîte. Et là, j’ai pu travailler à distance pendant quelques jours. Le temps que le client nous re-canalise. J’ai fait trois heures de réunion. Bon, le gars, il ne voulait pas perdre la face donc il a dit "oui, je t’ai un peu piquée. Je ne vais plus t’engueuler, on discute si ça ne va pas." Ça a aplani le truc et je suis retournée bosser.

Tu penses qu’il avait un problème avec ton changement d’identité ?

Honnêtement, je ne pense pas. Je pense qu’il y avait le stress. Bon, il y avait ce changement d’identité, ce changement de prénom. Là, il y a eu beaucoup de stress vis-à-vis des autres équipes en revanche. Par exemple, il y avait un gars qui ne voulait plus me dire bonjour. Il ne me répondait pas quand je parlais. J’ai fait intervenir le chef de projet, qui a essayé de lui parler. Ça n’a pas trop marché. En revanche, je n’ai pas vu, mais c’est la fameuse directrice de chez (Entreprise 1), dont je parlais, qui a dû le prendre à part et le recadrer. Après, il me répondait. Il n’acceptait pas, mais ça devenait au moins... Après, elle, justement, elle a fait une réflexion dans le bureau. C’est quand même la grande directrice du projet. "Ça n’est pas comme Bruno", il s’appelait Bruno, "qui n’avait pas bien accepté. Mais bon, ça s’est arrangé hein ?" On sent que...

Elle est passée par là.

Oui. J’avais un appui complet du client, de ma direction. Parce que le travail était bien fait. Ils appréciaient beaucoup le travail. Et je pense qu’humainement, c’était correct aussi. Ça correspondait à leurs attentes. Je disais, par rapport à mon stress, parce que sentimentalement, à côté, en parallèle, il y a mon fils qui est né. Mais la fille, donc Fanny, tout d’un coup, au début, elle disait "on sera deux mamans", après, elle disait "non, je veux que ça soit moi, maman, toi, tu seras mamounette", d’où le mamounette pour Lucie, et après elle a dit "non, mamounette, c’est trop proche de maman", à la naissance, "tu te feras appeler Camille". Et trois mois après la naissance : "je te quitte". Elle ne supportait pas que je sorte avec Patrick, que je m’occupe de Patrick, que je sois en public avec lui, parce que quand j’étais en public avec lui, j’étais la maman.

Avec Patrick son fils ?

Notre fils. Son fils d’avant, c’est Ludovic.

Ok d’accord. Elle avait l’impression que tu lui volais sa place.

Exactement. Alors que je faisais juste le rôle de parent. Mais ça a été horrible. Je pense qu’elle l’a super mal vécu. Juste une anecdote. On est allées au baptême... elle était marraine du fils de sa sœur. Donc moi, je m’occupais de mon fils. En plus, elle l’allaitait. Je ne l’allaitais moi, elle, elle l’allaitait. Je m’en suis occupée. Je m’étais habillée de façon féminine mais pas trop, parce que sa famille n’acceptait pas. J’avais mis un tailleur et une chemise noire, mais pas de soutien-gorge. Je n’étais pas... C’était androgyne. On me disait plutôt Madame, mais c’était très androgyne. Pas de maquillage, rien. Par respect. Pareil, les chaussures, je n’ai pas mis de talons, j’avais mis des baskets. J’étais au maximum, le plus neutre possible, pour ne pas m’imposer. En sachant que c’était Camille pour les enfants, donc il fallait être cohérent avec l’ensemble. Mais là où je dis que c’était terrible pour elle, c’est que du coup, elle a Patrick dans les bras, et il y a une fille qui vient s’asseoir à côté d’elle, qui dit "j’ai vu le bébé tout à l’heure avec sa maman". Elle a le bébé dans les bras et on lui dit que ça n’est pas elle, la maman. Elle l’a très mal vécu. Et ce qui explique tout ça, c’est qu’elle était aussi en conflit de garde sur son premier fils, avec l’ancien père et qu’il faisait jouer moi, devant le juge. Pour info, elle a perdu la garde du gamin et il y a de fortes chances que ça soit dû à moi, parce que j’étais là. Elle l’a perdue après, huit mois après. On s’est séparées et voilà. Donc moi, c’était atroce. C’est pour ça aussi que sentimentalement, une personne qui m’avait extrêmement accompagnée, qui m’avait dit "pas de souci", qui faisait même mon coming-out à ma place à nos amis... Elle était extrêmement active, volontaire dans la démarche. Ça a été extrêmement violent qu’elle s’en aille. Non pas juste qu’elle s’en aille, mais qu’elle me coupe de mon fils. Parce qu’elle m’a vraiment coupé de mon fils. C’était compliqué. Elle l’allaitait, donc je ne voulais pas trop le déplacer. Je n’étais pas très riche pour pouvoir avoir un super immeuble. Je ne voulais pas être chez mes parents. Elle est partie à trois cent kilomètres de Paris. C’est pour ça que j’ai pris un appartement en province. Je me suis rapprochée de mon fils. Et de ma fille aussi, pour le coup. C’est pour me rapprocher d’eux. Après, il y a eu d’autres complications qui compliquent encore plus, mais je pense que ça n’est pas le sujet.

Et donc Patrick, tu le vois ?

Alors premier jugement, parce qu’en fait c’est un jugement en deux temps. Le premier jugement, ils m’ont fait une expertise psychiatrique encore cet été pour voir si je n’étais pas dingue.

Par rapport à la garde ?

Oui. Un week-end sur deux sans la nuit. Samedi dimanche sans la nuit. Donc là, il y a le psy qui a dit... parce qu’ils ont peur... le psy a dit "il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas la nuit". Parce qu’en plus, elle a porté plainte pour violences, pour menaces, genre je l’étranglais la nuit. Elle a fait monter la sauce. Le psy a dit qu’il n’y avait pas de problème. En revanche, il disait quand même de faire attention parce que j’étais en plein changement d’identité et que je vivais des choses perturbantes, donc il disait d’y aller petit à petit. Il prend un peu des pincettes. Au début, je suis arrivée, il m’a dit "mais c’est quoi ce jugement ? Vous avez vu tout ce qu’elle retient contre vous ?" J’ai dit "ça n’est pas tout à fait ça." Il était embarrassé, mais on ne pouvait pas non plus mettre une expertise en disant "open bar" à tout le monde. Sachant qu’ils ont fait un jugement tellement horrible, je pense qu’il a pris des pincettes. En fait, il n’y a personne qui ne veut prendre de risque. On sent que c’est une gestion du risque dans leur façon de faire. Des pincettes. Il y a des enfants en jeu, un petit bébé, et ils ne veulent pas mettre le bébé en danger. S’ils ont un doute, on ne sait jamais. Du coup, c’est atroce. Le changement d’état civil, de prénom, de genre, pour eux, c’est quelque chose d’instable pour l’enfant etc. On sent que c’est... assez compliqué.

Ok. Je reviens juste un peu sur ton parcours médical. On s’est arrêtées aux hormones. Tu m’as dit que tu avais vu un endocrinologue. Comment ça s’est passé après ?

Après, j’avais besoin d’un psychiatre pour pouvoir me faire opérer. On était en 2010 pour les hormones.

Et tu en as trouvé un, de psychiatre ?

Par l’intermédiaire de ma psychologue. J’ai dit "vous n’auriez pas des adresses ?" Et elle m’a trouvé quelqu’un qui a travaillé dans des hôpitaux sur le suivi des transsexuels. Ça a commencé donc en 2010. Et puis pour l’opération, il faut avoir un certificat, donc je me disais "il faut au moins un an."

Tu l’as vu en libéral ou à l’hôpital ?

En libéral. J’ai tout fait en libéral moi (rires). Moi, j’ai eu un ALD (affection de longue durée). Je pense que ça a juste pris en charge les hormones. Tout le reste, c’était ma mutuelle. Quand tu payes un psy 80 euros, l’ALD ne prend pas en charge. Ça me coûte 2 ou 4 euros, c’est la mutuelle qui fait tout, donc ça va. Après, c’est ma situation aussi qui fait ça. J’ai une situation stable. C’est ça aussi que je voulais montrer. C’est pour ça que je voulais intervenir dans cette enquête, pour montrer que ça existe. Il y a des gens qui sont architectes, il y a... Il y a des gens dans tous les corps de métier et qui sont extrêmement stables, bien intégrés. C’est ça qui m’intéressait. C’est ça que je veux vendre. Parce que je me rends compte que ça n’est pas l’image que les gens ont. J’aimerais qu’on puisse fournir cette image. Des vrais gens. Pas des gens de la télé. À la télé, ça n’est pas des vrais gens. La télé, c’est une boîte à images. C’est de la comédie. C’est souvent plus les gens extravagants, qui se montrent. Voilà, c’est ça que j’ai envie de vendre.

D’accord. Et du coup, tu m’as dit que tu as vu un psychiatre et tu t’es dit "il faut un an"…

Il y avait deux choses. L’opération en Thaïlande, c’est hors de prix. Mais moi, je voulais aller en Thaïlande. Je ne voulais pas le faire en France. Je ne me suis pas renseignée pour le Canada, honnêtement. J’étais renseignée sur la Belgique, mais pas aussi bien. Ça m’a séduite. Mais c’est 15 000 euros en Thaïlande quoi. Il faut avoir 15 000 euros. Même si l’opération, c’est 11 000, il faut tout prévoir. Tu as la chambre d’hôtel pendant un mois, le voyage, le bidule. Tu essayes de venir accompagnée, donc tu ne vas pas demander à la personne d’avancer les sous. Vu ma situation, je ne voulais pas leur faire faire avancer des sous. Donc j’ai fait un prêt de 15 000 euros. Au début, je ne voulais pas le faire avant, parce que j’avais un prêt étudiant que je voulais essorer. Et puis on avait eu des projets d’acheter une maison. Il y avait des projets qui se sont cassés la figure à notre séparation avec Fanny. Du coup, comme tout s’est cassé la figure, je me suis dit "maintenant, il faut que je fasse le changement d’état civil très rapidement pour pouvoir avoir une crédibilité devant le juge pour la garde de mon fils". Ça a l’air stupide, mais... mais bon, le problème... Je vais être un peu extrémiste et contradictoire avec ma vie, mais je pense effectivement, actuellement, vu comment la société est conçue et n’accepte pas les choses, je pense qu’il n’est pas préférable... ça n’est pas une histoire d’acceptable, mais... je déconseille très fortement d’avoir des enfants si on veut faire un changement d’état civil. Pourquoi ? Parce que typiquement, je ne pense pas que l’enfant va souffrir. Je ne pense pas, parce que je vais l’aimer, l’enfant. Ça va me structurer, donc au contraire, je vais être beaucoup plus stable dans ma tête, dans ce que je vais lui proposer. Je vais être plus ouverte aux choses. Donc ce que je vais lui fournir sera plutôt positif. Cependant. J’ai l’exemple avec Lucie, ma fille, on l’oblige à m’appeler papa, on l’obligeait à m’appeler Martin. Et on dénie tout ce que je suis et ça se fait par des grosses engueulades parce que... c’est les tripes qui parlent en fait. C’est comme un couple, c’est pareil, mais en même temps, il n’y a plus de raison rationnelle d’en vouloir à l’autre, si ce n’est juste que j’ai changé. Du coup, on a la sensation que je veux leur piquer leur rôle de mère. Du coup, on se retrouve dans des situations complètement ubuesques où l’enfant ne fait que souffrir de ça. De l’absence, on est coupés... Et puis de l’autre côté, c’est pareil. Elle a un autre petit copain depuis deux trois mois et elle le fait appeler papa. Est-ce que c’est structurant pour l’enfant ? Je ne sais pas combien de temps elle va rester avec lui. Elle le fait appeler papa parce qu’elle dit "je veux un père pour mon fils et toi, tu n’en es pas un. C’est pour ça que je t’ai quittée." Ça, est-ce que c’est structurant pour le gamin ? Je ne sais pas. Elle a toujours dit "je ne me dis pas lesbienne, mais j’ai toujours été attirée par les filles." Et après, elle dit "bah finalement, les filles, ça ne me plaît pas. Je veux un homme, un vrai. Je veux un père pour mon enfant." Elle a des problèmes à régler, la pauvre. Pour le coup, elle a plein de problèmes dans sa famille. Elle est toujours sur ce traumatisme de devoir plaire à papa maman, ce qui fait que ça n’avance pas dans sa vie.

D’accord. Je reviens sur ton opération. Ça s’est passé comment ?

Je n’en sais rien (rires) ! Le résultat... En fait, le problème d’avoir fait comme ça super vite, d’avoir tout... J’ai perdu toute la magie. Le fait d’avoir passé un mois, d’être hospitalisée, là, la magie, elle arrive. Du coup, on commence à posséder son corps. "Ah, j’ai un corps ! J’ai un vrai corps ! C’est à moi !" Là, j’avoue que j’étais bluffée. J’arrive à me suffire à moi-même. J’ai appris à m’aimer. Ça fait bizarre. C’est... ça fait bizarre. Juste à cause d’une opération. Enfin qui est conséquente, j’admets. Mais ça n’est quand même pas... Ma fille dit "mon papa s’est fait couper le zizi", à l’école. C’est juste ça entre guillemets, vu d’un autre point de vue. Mais pour moi, c’est une réassignation. J’ai intégré mon corps. Il est en moi. Maintenant, c’est à moi. Du coup, c’est extrêmement... c’est autre chose, l’opération. Du coup, à vivre, ça n’est pas pareil.

Et tu as fait d’autres opérations ?

Non. Rien du tout. En plus, ça aussi ça a été une hantise de mon enfance.... J’ai refusé les opérations. Du coup, de se dire que tu dois subir une opération pour pouvoir être toi-même, c’est assez violent, je trouve. C’est assez violent. J’ai eu beaucoup de questionnements dessus pendant très longtemps. Depuis ma tendre enfance. Pour moi, ça n’était pas facile. Moi, je voulais la baguette magique. Je ne voulais pas avoir à subir la chirurgie. Après, en plus, j’avais une image... Je ne savais pas que c’était possible de garder de la sensibilité quand j’étais jeune. Pour moi, ça n’était pas possible. Et quand j’ai appris qu’on pouvait garder la sensibilité... J’en avais envie, mais tu sais, tu en as envie, mais tu n’es pas chaude parce que tu te dis "après, ça fait comment ?" Tu en as envie mais ça ne le fait pas vraiment, tu n’as pas de solution. Là, c’est la solution, puisque tu gardes les choses. Du coup, les barrières sont tombées toutes seules. Mais il y a toujours effectivement ce rapport... Le problème, c’est que là, après l’avoir vécu, je trouve ça tellement bien que je n’arrive pas à me dire... Je ne regrette rien du tout. C’est génial pour moi. Peut-être que ça n’est pas parfait, parce que j’ai encore mal aujourd’hui. Pourtant, ça fait huit mois. C’est encore sensible et tout. Mais je n’arrive pas à regretter. Je ne peux pas. C’est une vraie libération.

D’accord. Et tu as pris des hormones par toi-même, en plus de l’endocrinologue ?

Non non. Enfin… j’ai commencé par moi-même, bêtement, pendant un mois. Enfin j’ai commencé... j’ai juste pris des hormones, la ciprotérone. J’ai pris juste ça. J’ai acheté des hormones féminisantes. Il y avait deux choses. Parce qu’on sait que c’est hors la loi, d’acheter par Internet. Donc je savais que je risquais des choses, qu’on allait m’embêter si je me faisais choper. Et il y avait une deuxième chose, c’est que je jouais à l’apprentie sorcière. Mon ex, la première, Aurélie, a vu que j’en avais acheté, parce qu’elle regardait mes paquets des fois, les paquets que je recevais. Ça s’est très très très très mal passé. Elle m’a mise dehors la première fois. Carrément. De mon propre appartement que c’était moi qui payais ! On était colocataires entre guillemets, mais c’est moi qui payais, elle ne payait rien. C’était dans sa tête quoi. C’était de la folie. Et après, c’est Fanny qui m’a dit "tu arrêtes les conneries." Et j’étais d’accord avec elle. Parce que je lui ai dit clairement en fait. Je savais que c’était une connerie, que je jouais à l’apprentie sorcière et que je pouvais avoir des embêtements. Parce que si le dosage est mauvais, tu peux péter ton foie quoi. Du coup, j’ai arrêté, parce qu’avec Fanny, on se disait "on arrête". Et après, j’ai dit : "il faut que j’aille voir un endoc." Pourquoi je ne suis pas allée voir l’endocrino tout de suite ? Parce que je voulais avoir d’abord la psychothérapie avant d’être fixée. Et après, il y a eu la recherche d’enfant, qui a pas mal mis les choses en stand-by, juste le temps de. Mais je continuais à avoir cette vie... Au travail, j’étais comme il fallait que je sois. Au travail, je n’avais pas le droit de faire autrement. Ça n’est pas raisonnable vis-à-vis d’autrui. Et puis dans la vie privée, c’était Camille. Avec Fanny, c’était rapidement Camille.

Ok. Et ton changement d’état civil, ça s’est passé comment ?

Alors moi, j’ai réfléchi (rires). Je me suis renseignée avant. Sur Paris, si j’ai bien compris, c’est l’horreur. Donc je me suis dit : "pas sur Paris". Du coup, après, c’était soit ma ville de naissance, soit l’endroit où j’habitais. Je me suis dit que j’allais le faire dans ma ville de naissance. Entre-temps, j’ai déménagé et je l’ai fait à Colmar. La blague, c’est que la juge qui m’a fait mon changement d’état civil, c’est la même qui est juge pour la garde de mon fils. Mais le problème, c’est que tu sens bien qu’elle n’a fait qu’application de la loi. En gros, fallait que je montre patte blanche quoi. Franchement j’ai fait un tel dossier, il n’y a que les enfants qui pouvaient les gêner. Dans les documents, les psys disaient que tout allait bien. Et j’étais opérée.

Tu as eu une expertise ?

Je n’ai pas eu d’expertise psychiatrique spécifique pour ça. Mais celle qui m’a suivie m’a fait un papier, elle disait que ça allait. J’ai eu une opération en Thaïlande, donc selon leurs critères de stérilisation, c’était foutu. Ils ne pouvaient pas me contredire. Je me faisais appeler au travail comme il fallait. J’avais des factures comme il fallait. J’avais un historique comme il fallait. Les preuves qu’il fallait. La juge en plus, comme elle venait de juger pour Patrick, elle avait vu que tous les échanges que j’avais avec mon ex, c’était en tant que Camille. Disons qu’ils étaient un peu pris au piège. En gros, vis-à-vis du droit, ils n’avaient pas le droit de faire autrement. C’est pour ça que souvent, on me dit que je suis pervers, enfin perverse (rires). Parce que souvent, on n’a pas le choix avec moi ! C’est un peu comme ça au boulot. J’ai tellement amené les choses que voilà, il fallait que ça se fasse. On officialise. Du coup, effectivement, les gens se sentent piégés parfois. Il y a des gens qui le prennent bien, qui disent "on s’en doutait..." et il y en a d’autres qui se sentent piégés. On ne peut pas plaire à tout le monde. Il y a des gens qui se sentent trahis, piégés. Si tu veux prendre Aurélie, la première, elle s’est sentie trahie, ça semble évident.

C’est le cas pour tes parents ou tes frères ?

Mes frères, pas du tout. Comme je disais, ma mère n’est pas à l’aise. Trahie, je ne pense pas. Elle porte tout le malheur du monde. Elle culpabilise de ne pas l’avoir vu avant. "Tu ne me l’as pas montré !" Elle culpabilise en me culpabilisant. C’est une bonne technique ça (rires). Mais ça va mieux, moi j’ai pris mon recul. Heureusement que je n’ai pas vécu ça jeune. Si j’avais vécu ça jeune, si j’avais été dépendante d’eux, je ne sais pas si j’aurais été capable. Je ne sais pas si j’aurais été capable d’affronter ça au quotidien. Moi j’ai réussi à le faire parce qu’au quotidien, je vivais avec quelqu’un qui m’acceptait comme j’étais, parce que j’étais accompagnée. Après, je me suis entourée de gens positifs. Après, ça ne s’est pas toujours bien passé. L’année dernière, avec la séparation, c’était pire que tout. Là, ça ne se passe pas bien avec la garde de mon fils et tout, mais c’est vrai que plus j’y pense, plus je me dis "c’est quand même des gens qui sont renfermés, même s’ils se disent ouverts". Intellectuellement, ils ont compris. Dans les tripes, ils n’arrivent pas. C’est ça, il y a beaucoup de gens qui se sentent trahis. La famille qui me dit que j’aurais dû le dire plus tôt.

Qui te dit ça ?

Des oncles, des tantes.

Ils sont au courant, la famille élargie.

Oui. Je n’ai plus le choix (rires). Plus le choix, tout le monde est au courant à peu près. Il doit y avoir un oncle... De toute façon, tout le monde est au courant, c’est sûr ! Une personne qui parle un peu trop et c’est bon. Après, tu ne peux pas maîtriser... Moi, j’ai essayé de maîtriser au maximum la communication. Par exemple, mon grand-père, je pensais que ça n’était pas à moi de le faire. Ça devait être à ma mère. Mais elle ne l’a pas fait. Du coup, c’est mon père qui l’a fait. J’estimais que ça n’était pas à moi de le faire, par rapport aux générations. Et il l’a très bien pris par exemple. Mais la plupart, tout le monde l’a bien pris, sauf un oncle. J’ai un oncle dans la famille de ma mère qui là, au dernier mariage, ne m’a pas dit bonjour. Il était mal à l’aise. Mais souvent, ce sont des gens en souffrance qui sont mal à l’aise. Souvent, ce sont eux qui souffrent. J’ai un cousin qui est homosexuel, il est refoulé. Enfin, il le vit, mais il ne veut pas que ça se sache. Et il dit "un jour, je me marierai, j’aurai des enfants."

Et lui, il a un problème avec toi ?

Ah atroce oui. Quand il me voit, il m’en balance plein la figure, mais avec le sourire, de façon mesquine. Je ne le vois plus depuis, parce que ça me fait trop souffrir. Après c’est ce que je vois. Ce sont souvent des gens qui ne sont pas à l’aise avec eux-mêmes. Souvent, ce sont eux qui ont le problème et pas toi.

D’accord. Tu m’as dit que tu avais vu un psychiatre. Ça s’est passé comment ? Tu as eu rapidement ton certificat ?

En fait, elle m’a vue, elle m’a dit "je signe ce que vous voulez". Ça s’est passé comme ça presque. Elle m’a dit "quand je vous ai vue pour la première fois, je pensais que la transition était déjà faite". Ça m’a fait bizarre qu’elle dise ça. Elle a dit "je ne comprenais pas que vous aviez mis autant de temps avant de faire l’opération."

Elle voit d’autres personnes trans’ ?

Elle a vu, elle a suivi oui. Ça me fait bizarre quand elle dit ça. Elle est même des fois plus enjouée que moi.

Tu la vois encore ?

En fait, je voulais arrêter. Là, je la vois encore pour plutôt des raisons... parce que je voudrais quand même de faire rembourser mon opération en Thaïlande avec la CPAM. La dernière nouvelle en date là, ils me font "on refuse de vous rembourser parce que vous n’avez pas de certificat multidisciplinaire cosigné." C’est beau hein (rires) ?

Ça signifie quoi ?

J’essaye de traduire parce qu’il n’y a pas de traduction réelle. On a essayé de traduire. Si on a bien compris, il faut une multidiscipline médicale. Donc ça serait potentiellement, je dirais endocrinologue, psychiatre, chirurgien peut-être, qui donc certifie... décide que l’opération est une bonne chose pour moi, qu’on peut la faire et qu’ils cosignent. Mais ça, ça n’a jamais été demandé nulle part. ça n’est fait que dans des centres qui sont des hôpitaux, ils font tout en un. Eux effectivement, ils font un collège de médecins. Ce qui n’est pas le cas dans mon cas. Du coup, je vais voir ma psy pour qu’on puisse créer le document et on va l’antidater. On est en train de faire un faux. L’endocrino, je lui ai demandé, elle m’a dit "antidater ? Pas de souci." (Rires). Et mon médecin traitant m’a dit "pas de souci". Il y a juste le chirurgien qui est en Thaïlande où là, je ne sais pas comment faire parce que je n’ai plus que quatre semaines pour remplir le truc. Je ne l’ai toujours pas eu depuis. Enfin les problèmes administratifs... Vive la CPAM (rires) !

(Rires.) Ok. Je reviens un peu sur ton parcours émotionnel, amoureux. Est-ce qu’avant ta transition, tu te pensais hétérosexuel ?

Je ne me disais rien. Je me disais que j’avais énormément peur des hommes. Sans être efféminée ou quoi que ce soit, j’avais une certaine sensibilité. J’ai un frère par exemple, qui aime le théâtre, qui est comédien, scénariste etc. et qui m’a fait rentrer dans le théâtre. Du coup, j’ai une certaine sensibilité par rapport à ça, etc. J’ai aussi des parents un peu décalés, qui m’ont fait prendre un peu du recul sur certaines choses. Du coup, j’ai toujours pris beaucoup de coups par des mecs. Parce que je n’étais pas super sportif, je parle de moi au masculin autrefois, c’est un peu difficile des fois. Je ne voulais pas me bagarrer, sauf que c’était important pour les garçons, la bagarre. Ils faisaient beaucoup de lutte. Je n’étais pas attirée par les filles plus que ça. En fait, ce que j’ai fait, c’est que je me suis autoprogrammée pour être attirée par les filles, parce que c’était ce qui me ressemblait le plus entre guillemets. Et il n’y avait pas la violence des hommes. Je ne voulais pas qu’un homme soit attiré par moi en tant qu’homme.

Pourquoi ?

Parce que je ne me sentais pas vraiment un homme. Mais je pense que je me gourais aussi parce que de la part des nanas, c’est pareil aussi. Elles ne l’ont pas bien vécu non plus du coup.

Parce qu’elles étaient attirées par toi en tant qu’homme ?

Oui. Mais le problème, c’est que moi, j’avais vraiment la vision des hommes... Je savais de quoi ils étaient capables. S’il y a un truc qui ne leur plaît pas, ils peuvent frapper fort. Physiquement quoi.

Tu as eu des expériences comme ça ?

J’ai déjà été tabassée pour rien.

Rien à voir avec ton identité, ce que tu dégageais… ?

Je n’en sais rien. J’essayais justement de ne rien dégager. Je n’étais pas androgyne à cette époque-là. C’était ma mère qui choisissait mes vêtements, parce que je ne me laissais pas le droit d’exister. Clairement. Je ne me donnais pas le droit d’exister. J’essayais d’être le plus normale possible.

Tu m’as dit au début que tu t’étais enfermée dans le stéréotype masculin.

Un peu oui. Je mettais des fringues comme des mecs, machin. J’essayais de suivre le stéréotype masculin. Je n’y arrivais pas, mais j’essayais (rires).

Pour pouvoir contrer cette violence que les mecs te renvoyaient ?

Plutôt pour m’intégrer. Même si je n’y arrivais pas, j’essayais de m’intégrer. Je n’ai jamais réussi. J’ai réussi dans les groupes borderlines. J’ai fait du jeu de rôle, donc du coup, j’ai pu m’intégrer aux gens qui faisaient du jeu de rôle. Et là du coup, j’ai trouvé des gens. Après, je me suis liée d’amitié avec des gens qui avaient une certaine... comment dire... notoriété physique qui fait peur, un peu bandit. Du coup, ça permet d’être...

En sécurité ?

Oui. Et aujourd’hui, on en a reparlé en plus, en début d’année, aujourd’hui je me demande si ça n’était pas un truc amoureux. Du coup, cet ami, il m’a tourné le dos. C’est trop dur pour lui. Mon changement, c’est trop dur pour lui. Un ami qui lui, en revanche, a beaucoup de passé stéréotypé parce qu’il a été violenté par sa mère. Donc il a un problème avec les femmes, là-dessus. Il est extrêmement dur avec les femmes, extrêmement dur avec lui-même. Il a été un peu caïd entre guillemets. C’est trop difficile pour lui de vivre mon changement. Beaucoup d’amis me disent qu’en fait, j’ai la même voix qu’avant. Après, physiquement, j’ai changé, mais pour eux, je n’ai pas changé. Après, il y en a beaucoup qui disent qu’ils voient que je suis mieux dans ma peau etc., mais pour eux, je n’ai pas changé. Du coup, c’est extrêmement compliqué pour un ami qui sexualise, parce que je pense qu’il sexualise beaucoup, les relations. Et il se retrouve avec moi qui change... Non pas qu’il remette en cause sa propre sexualité ou ses rapports avec moi, mais du coup... Il n’arrive pas à s’en sortir.

Il est hétéro ?

Oui, il est hétéro. Moi, je ne sais pas ce que ça veut dire en fait… mais oui ! Il sexualise beaucoup les relations, c’est-à-dire qu’avec un homme, il a une relation très masculine, très virile. Avec moi, il n’avait pas cette relation-là, même si on était... On n’avait pas vraiment cette relation-là, on ne pouvait pas l’avoir parce que moi, je n’étais pas là-dedans. Même si j’essayais d’avoir les apparences... J’ai fait des trucs un peu virils aussi pour faire des trucs virils, mais je n’étais pas non plus là-dedans quand même. Je pense que ça se ressentait beaucoup. Je pense qu’il y a des gens qui me pensaient homosexuels, des trucs comme ça. Mais je n’étais pas maniérée. J’essayais de ne pas l’être. Pour le coup, je mesurais tout ce que je faisais. Ne pas être maniérée, ne pas montrer des signes, faire attention à ma façon de rire, d’agir. Je maîtrisais tout. D’où : le corps n’est pas le mien.

C’était un effort constant.

Oui. Des réflexions que je fais, de la façon d’être. Pfff, c’est presque de la schizophrénie.

Et est-ce que tu as eu d’autres partenaires, d’autres expériences ?

J’ai eu des expériences qui ne se sont jamais concrétisées. Parce que ça ne marchait pas en fait. Des histoires de juste un week-end, ça ne marchait pas.

Avec des femmes ?

Oui. Ça n’a jamais fonctionné en fait. Pour que ça fonctionne, il a fallu du temps quand même. Pour Aurélie par exemple, de faire fonctionner la machine, il a fallu beaucoup beaucoup beaucoup de temps… Quelques mois.

C’est-à-dire ?

Au niveau de la relation, ça ne montait pas quoi. Ça n’était pas moi. Je n’y arrivais pas. Il fallait que je parte en trip, après que j’inverse les sexes, c’était assez chaud hein ! Je n’y arrivais pas.

Et tu as réussi après ?

Ben on a eu un enfant, donc ça a marché (rires) ! Mais ça a mis du temps. Et après, non, ça a mis du temps parce que moi, je n’y arrivais pas. Je n’ai jamais su le toucher... pour les attouchements... Là, on rentre dans l’intime, mais je ne pouvais pas.

Comment tu as fait pour que ça marche ensuite ?

Bah ça n’est pas moi qui ai fait en fait. Et il fallait que je parte dans la tête. Il ne fallait pas que je sois là. Il fallait que j’imagine être autrement.

Peut-être que c’était le cas avec Fanny, mais tu as envisagé d’avoir une sexualité un peu autrement, dans laquelle tu puisses être plus à l’aise… ?

Clairement, avec Fanny, on a fait autrement. Et avec Fanny, ça s’est bien passé. Ça se passait même très bien. Là en revanche, pour le coup, avec Fanny, j’ai connu des choses que je n’avais pas connues avant.

Elle acceptait de te mettre dans un rôle plutôt féminin entre guillemets ?

Elle essayait juste... elle cherchait à me faire plaisir quoi. Et en même temps... il y avait toute l’ambigüité du corps, du nouveau corps, de l’ancien corps, de ce qui existe etc. Elle, en revanche, elle avait besoin d’avoir une virilité devant elle. Donc elle cherchait à le faire. Enfin non pas la virilité physique, mais le phallus quoi. Elle avait besoin d’avoir le phallus. Donc ça se terminait pour qu’elle ait son phallus entre guillemets. Je n’arrivais pas à le tenir longtemps, mais... Il fallait que ça se termine comme ça. Tu vois ce que je veux dire. Mais il y avait tout le reste pour conceptualiser autrement. On a découvert le corps autrement, c’était énorme. Je ne devrais pas parler de mon intimité, mais...

Si si pas de problème, on peut parler de la transition dans tous les aspects de la vie…

Je trouve que c’est extrêmement difficile de vivre avec un sexe qui n’est pas le sien. De pouvoir le faire fonctionner quand ce n’est pas le sien. Du coup, tu es obligée de beaucoup travailler sur la tête pour te dire "je ne suis pas là, ça n’est pas ça, en fait, il est de l’autre côté". Du coup, comme tu travailles là-dessus, tu ne travailles pas sur l’autre. Tu ne cherches plus à faire plaisir à l’autre. Ça te prend beaucoup d’énergie. Parce que tu essayes de fuir le réel pour arriver à réagir. Du coup, ça n’était pas top. Si je voulais faire du bien, il fallait que je fasse autrement. Ça a toujours été compliqué pour moi là-dessus de toute façon, c’est clair. Mais je crois que je ne suis pas la seule (rires).

Et tu as eu d’autres expériences depuis l’opération ?

Pas du tout. Alors il y a plein de trucs qui rentrent en compte. Physiquement, ça fait mal. Ça ne fait pas aussi mal qu’il y a huit mois, mais des fois, ça fait mal. Et puis il y a l’appréhension.

Ça change des choses, c’est sûr.

Il y a plein de questions qui se posent quoi.

C’est-à-dire ?

Déjà, je n’ai pas de partenaire actuellement. Je suis célibataire. Parce qu’avec ma séparation, je me suis pris une belle claque. Fanny qui me dit "il n’y a pas de souci" et puis "non finalement, tu es un homme." On reverse le truc, c’est extrêmement violent. Du coup, il faut digérer un peu ça. Elle change complètement de discours. Du coup, tu te dis "est-ce que je fais confiance à quelqu’un ?" J’ai fait une fois une confiance aveugle. J’ai tout donné. Je me suis mise à risque de faire un enfant avec elle, parce que je savais que j’étais à risque. Donc j’ai eu confiance en elle. J’ai dit "on s’engage. Mais si tu ne veux pas, on ne fait pas." Je l’ai fait chier au début pour qu’elle prenne la pilule. Voilà, on ne fait pas de connerie. On ne fait pas de connerie avec les gosses. "Je te suis parce que j’ai confiance en toi", en gros, c’est ça. Alors j’ai peut-être fait une bêtise. J’ai envie de dire que c’était le supplice de Tantale. Tu fais un enfant avant de ne plus jamais pouvoir en faire. Aujourd’hui, je suis stérile pour de vrai. J’ai toujours voulu des enfants. Et puis je me suis dit "tu es avec la personne que tu aimes, qui t’accepte telle que tu es." C’est parti ! Du coup, aujourd’hui, c’est un peu dur. Ça freine un peu. Aujourd’hui, c’est plus dur de concrétiser. Jusqu’à avant l’opération déjà, je n’avais pas envie. Je me suis faite draguer et tout. Moi, j’étais pétrifiée de peur. Je me disais "s’il commence à rabaisser un peu..." C’est avant l’opération quoi ! Donc on ne touche pas ! Après l’opération, j’avais très très mal. Maintenant, ça commence à aller mieux. Et là, ça fait un peu peur. Le saut du vide... Un peu comme à l’adolescence. Un peu comme la première fois.

Tu t’es faite draguer par qui ?

Des hommes. Aujourd’hui, ce sont des hommes qui me draguent. Les femmes ne me draguent pas.

Et toi, les hommes...

Je n’en sais rien. Je ne sais plus. Je suis perdue. Là-dessus, je suis complètement perdue. Parce que maintenant, du coup, les hommes me voient comme une femme. Donc le blocage d’avant n’est plus là. En fait, je suis attirée par les hommes pour le physique, mais il faut que ça soit quelqu’un d’ouvert et bien dans sa tête. Il faut que ça soit quelqu’un d’extrêmement solide. Il ne faut pas que ça soit quelqu’un qui soit dans le flou. "Suis-je homosexuel ?", tout ça. Il ne faut pas que ça soit un gay refoulé. Il ne faut pas que ça soit quelqu’un qui ait plein de problèmes de drogue, machin. Il faut que ça soit quelqu’un qui soit structuré. Parce que j’ai deux enfants. Alors certes, je n’ai pas la garde des enfants, mais il y a des responsabilités. Voilà, j’ai beaucoup de casseroles et je ne veux pas me rajouter des problèmes supplémentaires. Si c’est pour quelqu’un avec qui s’engager... Si c’est pour un soir, je m’en fous, mais... Je ne suis pas trop dans des histoires d’un soir de toute façon. Ça n’est pas ma mentalité. Je suis quelqu’un qui donne beaucoup, qui donne beaucoup de moi. Qui donne. Beaucoup d’amour. Du coup, je ne pense pas que j’y arriverais, une histoire d’un soir. Je ne l’ai jamais vécu.

Tu m’as dit que tu en avais eu par le passé...

Des histoires d’un week-end. Même une semaine. On s’est revues la semaine d’après. J’ai eu une histoire avec une ukrainienne. Elle était ukrainienne quoi, donc elle est partie. Du coup, c’était par téléphone. Elle a voulu couper et elle n’a pas dit. Donc j’ai rappelé pour savoir si elle voulait couper, elle a dit oui. "Ah tu coupes ? Bon d’accord." Mais voilà, il fallait qu’on me le dise, qu’elle le verbalise (rires). Je voulais juste savoir que c’était fini. J’aime que les gens verbalisent leur sentiment, leur volonté d’arrêter.

C’était une histoire platonique du coup ?

Non, on a essayé, mais ça n’a pas marché (rires). On était sur la plage et tout machin, il y avait tout ce qu’il fallait. Et ça n’a pas marché. Désolée (rires). Elle a essayé plusieurs fois... C’est triste. J’étais triste pour elle. J’étais là "putain, comment je peux faire, la pauvre !" Voilà. Ça ne veut pas, ça ne veut pas hein. J’ai expliqué de toute façon, ça n’est pas possible.

Ah tu lui as expliqué ?

Non, c’est ce que je t’ai expliqué à toi tout à l’heure (rires). Ça n’est pas possible.

Donc tu ne lui as rien dit à elle ?

Je ne savais pas. En plus, j’étais dans le déni de tout ça.

C’était quand ? Je ne sais pas quel âge tu as en fait…

J’ai trente ans aujourd’hui. J’avais vingt ans à l’époque.

Tu m’as dit que tu y pensais très tôt, mais tu étais comme dans le déni alors ?

J’étais dans le déni, mais pas vraiment. C’est ça, le refoulement. Tu ne les exprime pas, tu ne veux pas les exprimer, tu les enfermes dans une boîte. J’ai refoulé à mort.

D’accord. Et tout à l’heure, tu m’as dit que tu avais eu des infos par une association LGBT.

En fait, j’ai eu plusieurs choses. J’ai envoyé juste un e-mail à une association LGBT. Je crois qu’elle s’appelle LGBT, il n’y en a pas une qui s’appelle comme ça ? J’ai dû envoyer ça à la première assoce juste pour avoir l’adresse d’un psychiatre. Après, de cette assoce-là, j’ai essayé de rencontrer les transsexuels. C’était des personnes de trente-cinq quarante ans. Je n’ai aucune méchanceté, mais elles l’ont fait tardivement, ça se voit. Tu voyais beaucoup de tristesse.

C’était où ça ?

Dans le Marais, mais après... Ils ont un local.

Le centre LBGT ?

Oui, c’est ça. J’ai fait un entretien, une rencontre. Ma première rencontre, ça a été ça. Elles m’ont vacciné pour ne pas y aller. Les filles. Tu sentais que... voilà quoi. Il y avait quand même beaucoup de marques masculines. Sans méchanceté hein, mais... Je n’aime pas ce mot, mais malheureusement, c’est la réalité : on cherche à être crédible. Je n’aime pas ce mot, je trouve ça horrible. Crédible, ça veut dire qu’on ment. Ça veut dire que quelque part, ça n’est pas vrai. Du coup, ça m’a...

Ça ne t’a pas donné envie.

Pas du tout. J’ai fait autrement. J’ai fait plus doucement. Là, c’était en 2009. Après, en revanche, Fanny, tu vois quand je dis qu’elle était proactive, c’est elle qui a pris contact avec (Association 1). Et c’est avec elle que j’allais aux permanences. J’ai rencontré toute l’équipe, que tu dois connaître. Mais j’avais eu une mauvaise expérience, donc j’étais restée dessus. Du coup, je n’ai pas réussi à repartir en avant.

Fanny allait aux réunions avec toi, elle t’accompagnait ?

Oui.

Tu n’y vas plus j’imagine.

En fait, je n’y vais pas pour plusieurs raisons. Je suis beaucoup en province. Le vendredi soir, je récupère ma fille ou mon fils. C’est mon moment de garde. C’est aussi tard, il faut que je prévoie. C’est de l’organisation de rester sur Paris. Il y a ça et puis il y a une deuxième raison. Sans méchanceté, j’ai des amis qui y sont retournés, qui m’ont dit que c’était une peu la foire aux monstres. C’est ce qu’elle m’a dit. Du coup, ça m’a encore plus bloquée. C’est dans le sens où le problème, c’est qu’il y en a qui vont être au début du parcours et ça se voit. C’est beaucoup de gens qui sont en mal-être. Moi, j’ai tourné la page, c’est fini. Si je viens te voir, c’est parce que j’ai envie d’apporter un discours à travers un média, mais... C’est vrai que c’est derrière moi. Désolée hein, ça n’est pas une méchanceté ou quoi que ce soit hein. Mais on a envie de construire notre vie, on est plus dans le concret de la vie réelle entre guillemets. Et puis c’est ça que je n’ai pas aimé au début chez (Association 1), c’est qu’il y a beaucoup de gens qui n’étaient pas dans le concret de la vie réelle. Beaucoup d’étudiants ou beaucoup de gens qui disent "je fais ça, mais je me casse la gueule". On n’est pas là pour imposer ce que l’on est. Je pense qu’il faut apprendre à accompagner les autres. Parce que toute la souffrance qu’on a eue en nous parce qu’on n’a pas voulu s’accepter ou parce qu’on savait que s’accepter, c’était difficile, il faut bien comprendre que les autres ont eu la même. Et eux, ils n’ont pas leur inconscient qui leur dit "c’est ça que tu es, n’aie pas peur de toi-même, accepte-toi." Eux, ils n’ont pas ça. Eux, ils le subissent. Donc il faut savoir aussi ne pas être trop centré sur soi-même et accepter ça. C’est ça le problème. Il y a beaucoup de gens qui sont un peu enfermés là-dedans. Ce dont on parlait tout à l’heure, le fait de se dire "je suis discriminé", si tu restes enfermé là-dedans, tu ne t’en sors pas. Parce que oui, on va avoir des discriminations, oui, il faut se bagarrer pour arriver à ses fins. Mais il faut prendre conscience qu’on a son destin en main. Souvent, quand on arrive devant les gens avec de bonnes idées, qu’on est construit, qu’on est bien dans ses baskets, on arrive avec des choses structurées. Le fait que j’aie tout planifié, j’arrive avec une structure. Je suis arrivée "voilà, c’est comme ça que ça va se passer". Donc les gens sont rassurés. Tu sais où tu vas, tu y as pensé. On a confiance en toi. De toute façon, tu ne fais pas les choses sans réflexion. C’est ça qui ressort. Et ça, c’est important, je pense, vis-à-vis des autres. Mais ça, je pense que c’est important aussi. Par exemple, j’avais expliqué comment j’avais fait mon changement de prénom au travail sur un forum. Parce que j’avais été très fière. J’avais expliqué et dedans, j’avais dit que mon entreprise… Le RH, m’avait demandé un mot de mon médecin stipulant que c’était important que je vive au quotidien le changement de prénom. En fait, ils ont fait ça pour se couvrir. C’est normal, non ?

Oui, sans doute.

Il faut réfléchir aussi. Tu te mets à leur place, tu te dis que c’est cohérent. Ils sont à risque, ils te font un changement de prénom. J’ai une clientèle. Je me suis présentée chez des clients. Ça n’est pas n’importe qui. Ce sont des gros groupes, des gros machins. J’ai des responsabilités, je gère des équipes etc. Il ne faut pas que ça soit quelque chose, comme aujourd’hui c’est Camille et demain c’est autre chose... Tu ne peux pas. Il faut quelque chose de structuré. Le fait d’avoir ce truc médical, d’avoir un médecin qui puisse certifier ce genre de choses, ils se sentaient rassurés. En plus, quelque part, de son côté à elle, la RH, c’est... On a tout fait aussi pour que ça soit anonyme, c’est-à-dire qu’il n’y ait que des personnes clés qui soient au courant et qui fassent le changement. Et qu’on passe dans des systèmes automatisés. Ça ne passe pas par d’autres gens, du coup, l’information ne se diffuse pas. Que je ne sois pas la trans’ de l’entreprise. Donc c’est ça que j’ai sorti sur le forum. Et tout de suite, on m’a dit "ah ouais, on t’a demandé un mot du médecin ? C’est inacceptable !" Ça, c’est le combat de dire "on n’a pas besoin de médecin pour dire qu’on est comme ça et pas autrement". Dans un sens, c’est vrai. Mais il faut aussi comprendre que les gens ont besoin de garanties. Vraiment, c’est ça. On a besoin de garanties. Quand on prend l’appartement en location, on nous demande des garants. Le propriétaire demande des garants. C’est stupide, mais c’est comme ça. Il faut le voir comme ça. Et comme ça, on devient moins persécuté (rires). Parce que du coup, ça n’est pas de la persécution, ce sont juste des garants.

C’est un parallèle que je n’avais jamais entendu avant.

Je sais qu’on ne l’entend pas. C’est ça qui m’énerve dans ce monde-là. C’est pour ça aussi, que je ne peux pas continuer dans le monde associatif et tout ça. Je ne suis pas d’accord de vouloir me battre à tout prix. Il faut une sécurité quand même, une protection des gens. C’est pour ça que j’ai pris le temps aussi. Je me suis pris le temps pour moi-même de savoir ce que je voulais. Mais c’est vrai. Je comprends. Moi, quand j’ai commencé en 2008, je voulais l’opération le jour même hein. Tu te dis : "je veux tout de suite."

Et qu’est ce qui a fait que tu as finalement fait un planning ?

Lire des expériences de vie, des expériences de parents, des expériences d’enfants, des expériences que des gens ont construites. Les risques professionnels, moi, j’en avais extrêmement peur. Après, ma vie privée, mon couple... Mon couple, il s’est cassé la gueule. Bon, il se cassait la gueule un peu avant. Il y a eu d’autres choses qui ne marchaient pas. Mais ça a précipité. Du coup, tu essayes de pallier les problèmes les uns après les autres. C’est pour ça qu’après, du coup, j’ai essayé de faire au mieux par rapport à mes contraintes. Voilà. Je pense qu’il faut aussi réfléchir.

Tu dis que le monde associatif ne te convient pas. Tu as fréquenté d’autres associations ?

Non.

Donc (Association 1) et...

Ça doit être (Association 2). Je reçois des mails de temps en temps, sur des sujets (rires). Je lis, j’essaye de suivre un peu. Mais petit à petit, je suis de moins en moins et peut-être que je ne suivrai plus à un moment ou un autre. Parce que eux, effectivement, c’est du passé. Depuis que j’ai changé d’état civil, que c’est bien Camille, sexe féminin, que c’est tout sur mes papiers... Je vais avoir un jugement pour le faire même sur mes papiers passés, diplômes, permis, tout ça... c’est fini quoi. Maintenant, j’en suis plutôt à essayer de me battre pour le mariage homosexuel, pour que je puisse avoir le livret de famille de ma fille. Parce qu’on a refusé de me fournir un livret de famille pour ma fille sous prétexte qu’on ne peut pas avoir deux mères. Mais c’est tordu, mais en même temps, c’est... À mon avis, c’est un vieux procureur réac qui doit réagir contre le mariage homosexuel. Parce qu’il a bloqué pour ma fille, mais pour mon fils, je l’ai.

Ça n’est pas très logique…

C’est la France (rires). Si, c’est logique. Parce que mon fils est né en Ile-de-France et ma fille en province. Donc ça n’est pas les mêmes intervenants. Donc ici, ils ont accepté, mais là-bas non.

Donc tu te bats pour le mariage alors.

Non je ne me bats pas, mais je l’attends et je relancerai la procédure. Ils ont utilisé cet argument-là pour me le refuser. De toute façon, je pourrais forcer le terrain parce que c’est un droit que j’ai. Ils n’ont pas le droit de me le refuser, le livret de famille. Ils sont hors-la-loi là-dessus. Mais je pense que ça serait une bagarre inutile compte-tenu du contexte gouvernemental avec le mariage homosexuel qui est en train de passer. Parce que le mariage homosexuel change tous les papiers. Il n’y a plus de sexualisation. Tu es obligé de supprimer la sexualisation dans la parentalité. Du coup, ils n’ont plus cet argument.

D’accord. Et la première fois que tu es allée au centre LBGT, voir la première asso, tu attendais quoi ? Tu y allais pour quoi ?

Pour voir des vies, voir des chemins de vie différents, me nourrir d’autres histoires. Des témoignages. C’était ça que je cherchais.

Et je ne t’ai pas demandé si tu as fréquenté les milieux ou associations féministes…

Non parce que je ne sors pas beaucoup, pas assez. Avoir des enfants en bas âge... Moi, c’est ça le problème. C’est que j’ai travaillé en 2007, ma fille est née en 2007, donc très vite, j’ai eu un enfant en bas âge à la maison. Tous les soirs, il fallait rentrer et s’occuper des enfants, le week-end aussi. Après, j’ai eu ma fille, plus le petit de mon ex, plus l’autre enfant qui est arrivé. C’est un rythme de vie. C’est compliqué de sortir. J’avoue que je me suis donnée à ma famille. Et puis maintenant, j’ai quitté Paris donc c’est vrai que je ne sors plus trop. Je sais qu’il faudrait que je bouge un peu dans ces milieux-là. Je commence à me rapprocher un peu, mais par Internet. Je m’intéresse. Mais sans plus. Parce que je ne suis pas non plus féministe à tout prix. Je le suis un peu parce qu’effectivement, je sais ce que c’est que les deux sexes au boulot, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. J’ai vécu les deux au travail. Parce que le truc, c’est que moi, j’étais chez (Entreprise 1) en homme. J’avais un traitement d’homme. Et depuis mon opération, j’ai changé... j’ai fait plus d’un mois d’arrêt donc du coup j’ai changé de clients. Donc je suis allée chez (Entreprise 3) et j’ai fait un entretien. La première question qu’on m’a posée, c’est "vous avez des enfants ?" Alors que jamais on ne me posait la question de si j’avais des enfants avant. On disait "ce sont vos compétences qui comptent". Là, c’était les enfants qui comptaient. D’accord. Donc déjà, ça ne pouvait pas bien se passer, l’entretien. Parce qu’en plus, j’étais en train de me bagarrer pour la garde de mes enfants. Pour lui, j’étais la mère, tu vois. Donc du coup, ça ne s’est pas très bien passé. On m’a dit que j’étais agressive (rires). En plus, je sortais de l’opération, j’étais encore sous médocs. Ils m’avaient fait marcher pendant quarante minutes pour aller à l’entretien parce que c’était à l’autre bout de l’Ile-de-France. Du coup, physiquement, je n’étais pas bien. Et ils commencent à parler de mes enfants, alors moralement, ça n’est pas passé. Mais je n’étais pas méchante, mais apparemment si, j’étais agressive. Ça ne s’est pas bien passé entre nous. Après, j’ai travaillé pendant deux mois chez (Entreprise 4). C’est différent. Ça n’est pas pareil.

Comment ça ?

Il y a des choses qui sont différentes. Il y a des "bonjour Madame Mademoiselle". Il y a... Aujourd’hui, on va m’expliquer comment marche un ordinateur, parce que par définition, je ne sais pas faire puisque je suis une femme.

Alors que c’est ton métier.

Oui, je sais. Ça me fait marrer justement. Avant, jamais on ne m’aurait accompagnée comme ça. Il y a des choses comme ça où tu sens que ça n’est pas pareil. "Je vous appelle Madame, Mademoiselle ?" "Salut les filles !" On sent que ça n’est plus les mêmes rapports. Ça n’est pas déplaisant, parce qu’il y a des choses que je cherchais, mais après, c’est déplaisant à d’autres endroits. Par exemple, c’était déplaisant chez (Entreprise 1). J’ai eu le changement radical. J’allais à la cantine et il y avait un serveur, il disait "bonjour, vous voulez quelque chose ?". Ça, c’était avant. J’ai fait mon changement. Maintenant, c’est "bonjour, tu prends quoi ?"

C’est plus familier.

C’est plus familier, c’est plus dans la tchatche. Pourtant, j’ai le même statut. Je fais "d’accord" (rires). C’est dans la tête ! Il y a des changements comme ça. J’ai eu des changements sur d’autres projets, d’autres sujets, façons de faire.

C’est-à-dire ?

Bah je te dis, l’histoire des enfants, l’histoire de... peut-être aussi... j’ai l’impression qu’on n’attend pas les mêmes choses de la même manière.

Dans ton travail ?

Non, dans les sentiments. Là du coup, c’est une fille et je pense qu’elle avait... C’était une fille que je devais remplacer et je trouvais qu’elle avait beaucoup de familiarité, beaucoup d’exigences sur moi. Ça m’a mis très mal à l’aise. Elle me disait "oui mais ce sont tes collègues, c’est pour ça que je leur parle comme ça. Quand ça sera les clients, je parlerai autrement." Mais même les collègues. C’était vraiment au travail hein, pas sur des problèmes privés etc. C’était des réflexions de travail. Des choses désagréables qui ont été dites, des remarques désobligeantes... et je ne suis pas convaincue qu’elle aurait le même comportement avec un homme. Mais je peux me tromper. Je regrette de ne pas l’avoir recadrée. Mais bon, c’est trop tard.

Ça aurait été possible ?

Tout est possible. Un supérieur, ça se recadre et il faut le recadrer. Ça se recadre. Et je suis dans une situation où j’ai un statut professionnel, j’ai un bac+5, je sais diriger des équipes, j’ai fait du management, donc je sais comment ça se passe. J’ai le bagage pour pouvoir parler d’égal à égal. Je trouve, dans ma façon de travailler, que même avec mon chef de projet, on était d’égal à égal. Chef de projet, gestion de planning, de sujets à régler etc., mais voilà, c’était de la gestion. Ça n’était pas "tu fais ça et tu te tais". C’est d’égal à égal. Moi, j’avais mon rôle d’expertise, de compétence etc. Et lui, il avait un rôle de gestion. Je trouve que c’est vachement sain comme façon de travailler. C’est comme ça que je travaille. Mais voilà, j’ai des amis qui travaillent dans des magasins de vêtements, de chaussures, de jouets etc. et là, c’est malsain, leur relation de hiérarchie. Ils ne sont pas du tout d’égal à égal. S’ils veulent recadrer leur chef, je vois un peu les méthodes qu’ils mettent en place. Je les connais, les méthodes, moi je les ai. Mais moi, je le ferais par écrit. Parce que nous, on fait beaucoup d’e-mails. Les gens qui travaillent dans un magasin, ils n’ont pas d’écrit. C’est tout à l’oral. Tout à l’oral, c’est chaud. Je ne sais pas comment tu peux faire un truc sympa. Je pense qu’il faut les recadrer, mais ça doit être un travail qui doit être beaucoup plus en amont, beaucoup plus difficile à gérer. Le problème, c’est que dans la hiérarchie, celui qui est au-dessus, il te doit autant que tu lui dois. Il te doit des choses. Donc il faut savoir leur rappeler aussi. C’est ça, recadrer. Tu leur rappelles. "Tu sais, on a fait ça. Tu avais dit que tu t’étais engagé là, tu ne l’as pas fait. Où est-ce qu’on en est ?" J’ai fait un cours comme ça, de recadrage. En fait, un cours de management. On l’avait fait un peu à l’envers. On nous avait sorti un cas où on essayait justement de recadrer le chef, le manager. C’est ça, recadrer un manager.

Tu donnes des cours ?

Non, j’ai suivi des cours. Ça ne me passionnerait pas de donner des cours là-dedans. Plus tard, peut-être.

D’accord. Je reviens sur un point que tu as abordé. Tu m’as dit que tu as vu une psy qui t’a dit "je signe ce que vous voulez", mais tu m’as dit aussi que tu avais vu un psy avec qui c’était le silence radio…

Ça ne s’est pas bien passé. On a fait plusieurs séances pendant deux trois mois. Et en fait, honnêtement, au début, j’étais vraiment enfermée. Au début, je voulais juste qu’il me dise "guérissez-moi, dites-moi que je suis un homme." Voilà ce que j’attendais de lui. Je ne l’ai peut-être pas verbalisé exprès, parce que je ne voulais pas non plus le pousser à dire. Lui il fait "hmmm". Je le sentais mal à l’aise avec le sujet. Il ne savait pas quoi répondre donc j’ai laissé tomber. Et lui il a dit "ok, on laisse tomber."

Tu n’avais pas encore fait la démarche de...

J’avais fait la démarche, mais en même temps, justement. En gros, c’était l’inconscient qui me sortait tout dans la face en me disant "c’est ça que tu veux". Quand je voyais sur Internet les possibilités des opérations, je voyais une jouissance, un plaisir, une réelle envie de faire ça, d’y aller. C’était ça qu’il fallait. Et en même temps, j’avais tellement peur de tout perdre. J’avais construit une famille. Je savais que ça ne se passait pas bien avec cette personne, qu’elle ne voulait pas que je le fasse. J’avais peur de perdre mon métier. J’avais peur de toutes ces choses-là. Il y a beaucoup de choses qui entraient en jeu. Voilà, le fait de calculer... Tu es là, tu mesures les choses et tu te dis "aidez-moi, trouvez-moi un médicament, trouvez-moi la solution pour m’en sortir." Toute mon enfance, je disais "j’ai la volonté, j’y arriverai. Je ne le ferai pas." Et là, je n’y arrivais plus.

D’accord. Je reviens sur un autre point. Dans tes relations, au niveau de la sexualité, est-ce que tu t’es généralement protégée, ou alors ça dépendait des situations… ?

La bonne nouvelle, c’est que moi, au moins, ça ne marchait pas, donc il n’y avait pas beaucoup de risques (rires). Autant, je pense qu’il y aurait pu en avoir avec l’ukrainienne. Ça aurait pu être catastrophique. J’avais réussi à amener une capote ce jour-là. Mais on ne l’aurait pas utilisée. Si ça avait été concrétisé, on ne l’aurait pas fait.

Pourquoi pas ?

Parce qu’elle ne voulait pas. Et puis moi, de toute façon, comme ça ne marchait pas, je ne voulais pas négocier... Ça n’a pas marché de toute façon. C’est réglé. Non, c’est mal. Et puis après, il y a eu une relation avec... On l’a fait moit-moit. On faisait un peu protégées, un peu pas protégées. On s’est plus protégées pour ne pas faire de bébé, plus que pour des raisons de sida. Parce qu’il n’y avait pas de raison. Et je savais qui était la personne d’avant. À peu de choses près, j’étais sa deuxième personne, et moi, c’était ma première. Donc il n’y avait pas de raison. Après, il y a eu le test pour le sida qu’ils te font quand tu es enceinte. Elle n’avait pas le sida. Donc si elle n’avait pas le sida, je n’avais pas l’avoir. Vu que je ne l’avais pas fait avant... Et puis après, il y a eu la maman de Patrick aussi. Là, c’est pareil. Comme elle a eu un bébé, je savais qu’elle avait eu aussi le test. Et on avait promis, machin. Et je n’ai pas fait plus que ça. Je n’ai pas fait plus que ça. On n’a pas fait plus de tests. Elle avait eu un enfant. Je savais qu’elle avait fait le test à un moment déjà.

Tu en as fait un toi, de dépistage ?

Non. J’en ai juste fait un avant l’opération. Ils m’ont obligée en Thaïlande. Parce qu’ils surévaluent... C’est plus cher pour les gens qui ont le sida.

Au niveau des précautions médicales ?

Peut-être. Peut-être parce que l’assurance est plus chère. Je ne sais pas. Peut-être que c’est pour s’enrichir sur quelqu’un. Là-bas, c’est vrai que c’est du business pour eux. Mais je ne l’ai pas. Parce que j’ai une vie plutôt rangée, mais en même temps, c’est vrai que je n’ai pas été raisonnable. Pas bien (rires).

Pas été raisonnable ?

Dans le sens où normalement, c’est capote jusqu’au test et après le test, on enlève la capote. J’ai beaucoup d’amis qui font comme ça. Après, j’ai un copain qui est fils de médecin, alors peut-être qu’il lui a rabâché. Et je pense que c’est lui qui est sérieux. Je pense que c’est lui qui a raison. Je pense que c’est moi qui ai tort.

5(Son téléphone sonne.)

C’est un réveil ?

C’est pour appeler ma fille. J’ai une fenêtre d’une heure, de cinq à six heures. Et quand je travaille, je ne fais pas attention à l’heure, donc je mets une alarme. J’appellerai demain.

Ok. On a bientôt terminé. Je voulais juste te demander aussi dans quel type de logement tu habites.

En appartement. Je suis locataire.

D’accord. Et on n’a pas trop parlé de tes parents. Est-ce que tu peux me dire ce qu’ils faisaient ou ce qu’ils font ?

Ils sont à la retraite. Avant, ils étaient agents immobiliers.

Tous les deux ?

Oui en fait ils étaient dans la même boîte.

D’accord. Et comment tu as eu connaissance de cette enquête ?

C’est par (Association 1). Je reçois des mails. Et puis comme je disais, je me suis dit, c’est peut-être l’occasion... Enfin j’espère que ma vie n’est pas trop bouleversée ! J’ai eu pas mal d’histoires...

Non, mais pas du tout (rires). Et est-ce qu’il y a des choses qu’on n’a pas abordées et dont tu voudrais parler ?

Ben moi en fait, j’ai fait... je pense que c’est quelque chose qu’on fait beaucoup... j’ai quand même fait deux tentatives de suicide l’année dernière, presque trois. Je les ai faites juste parce que j’avais peur pour mes enfants. C’est ce que j’expliquais tout à l’heure. Avoir des enfants, quand on fait un tel changement, c’est un risque pour eux. Je pense qu’ils vont en souffrir.

Tu penses qu’ils vont forcément en souffrir ?

C’est une évidence. Il faut être clair. Devant les copains, "il est où ton père ? C’était qui elle ?" C’est un secret qu’ils devront garder pour eux.

C’est cette peur qui t’a...

Oui. Ça et le fait que je ne puisse pas... J’en étais à me poser la question clairement : se foutre en l’air ou... Est-ce qu’ils vont souffrir plus d’avoir un parent suicidaire, suicidé, ou d’avoir un parent qui a changé de sexe ? Après réflexion... c’est ça aussi qui m’a mis du plomb dans la cervelle... j’ai vu une cousine dont le père s’est suicidé parce qu’il avait un cancer. Je l’ai vue pleurer, une femme de quarante ans. Là, j’ai vu vraiment la souffrance. C’est quelque chose qui ne guérit jamais. Et ses parents, je pense que c’est le pire. Sérieusement, je pense que c’est le pire. Parce que l’enfant, il a l’impression de ne plus... Quand tu ne sais plus du tout bien, que les gens d’où tu viens se refusent d’exister... Tu ne sais pas qui tu es. Ça devient difficile de se construire à partir de ça. Et là, je pense que voilà. Mais quand tu es dans un tel truc... Moi, ça me faisait rire. Je rigolais à l’hôpital. Ils ont essayé de m’enfermer dans des hôpitaux psychiatriques et tout. Je disais "mais je dois aller bosser !" Du coup, ils m’ont signé le truc et ils m’ont dit "au revoir". En gros, c’est ça. Parce que j’avais un métier, une structure et tout, donc ils ne pouvaient pas. Et puis j’avais toujours le sourire. J’avais une tenue dans ma discussion, un suivi psychiatrique qui était fait. J’avais tout ce qu’il fallait. Ils ont essayé, mais... Normalement, leur procédure, c’est ça : hop, psychiatre, voire hôpital psy, hôpital de repos. C’est atroce. J’ai vu hein. Oh putain. Ce sont vraiment des zones... Je ne suis pas restée longtemps, juste quelques heures. Eux, ils m’avaient réservé une chambre. J’ai dit "je pars, je vais partir" Ils me disent "mais non, vous allez rester". Je dis "non je vais partir, ne vous inquiétez pas." Et puis après, j’ai vu les psys. "Au revoir". Je les ai un peu bluffés. Le lendemain, j’étais au boulot. Parce qu’en fait, le boulot me tenait. J’aime beaucoup mon métier, c’est quelque chose qui me tient. Mais ce que je voulais dire, c’est que ce sont des zones... ça n’est pas la réponse. La réponse, c’était ça. C’était vraiment pour les enfants. C’est pour ça que je pense que c’est une réelle difficulté de faire des enfants dans cette situation. Après, ce qui est de garder des spermatozoïdes et de les faire après, est-ce que ça ne serait pas la solution. Parce que tu construirais l’enfant là-dessus. Mais ils ont tellement peur de ce qu’on est, de ce qu’on représente. Je remarque que les gens ont peur de l’image qu’ils ont de ce qu’on représente. Ce qui fait que dans le doute... ça, c’est mon combat. Oui, c’est un combat que j’ai tous les jours pour mes enfants. C’est un combat que j’ai tous les jours. Et c’est vrai que je ne sais pas trop quoi faire. Je n’ai pas su trop quoi faire à ce moment-là. Je suis un peu piégée. C’est important.

D’accord. Et j’y pense, je voulais te demander aussi si financièrement, ça allait, ou si ça avait été parfois un peu juste…

En fait, moi je suis dans la phase... J’ai 3100 bruts. Donc théoriquement, ça va. Mais le problème, c’est que je n’ai droit à aucune aide. Et comme moi, je me bats pour la garde de mes enfants, à 10 000 euros par avocat, juste pour un enfant... Tu es obligée de faire ton changement d’état civil, ça te coûte plus de 1000 euros et tu n’es pas aidée, parce que j’ai trop d’argent. C’est très difficile dans le sens où je suis obligée de faire plein de prêts parce que tu as zéro aide. Donc c’est difficile à cause de ça. Tu es obligée de t’endetter pour réussir, pour t’en sortir, parce que tu ne corresponds pas aux critères qu’ils ont. Je ne suis pas dans la petite case. Donc je paye des impôts à fond, je paye des machins à fond, je paye. Donc financièrement, je suis quelqu’un qui normalement gagne bien sa vie, mais dans les faits...

Ça fait beaucoup quoi.

6Oui.

Ok. Et est-ce qu’il y a d’autres choses que tu voulais aborder ?

J’aurais envie de conclure en disant qu’on peut s’en sortir socialement, professionnellement, quand on fait les choses de manière rationnelle entre guillemets, quand on essaye de mettre un peu de structure dans ce qu’on veut faire. Parce que ça rassure les gens. Il faut essayer de bien réfléchir à ne pas se planter. Il faut mettre au courant les gens, ne pas les mettre devant le fait accompli, essayer de te faire accompagner dans tous les environnements. Pour moi, c’est important. En revanche, des expériences que j’ai vues, j’ai l’impression que sentimentalement, ça ne marche jamais vraiment. Ça fait souvent tout péter. Je ne pense pas être la seule. Mais je comprends tout à fait. De toute façon, il y a un tel chamboulement... On est en train de se questionner tout le temps. C’est une crise d’adolescence énorme. Pour simplifier, c’est ça. C’est une sacrée crise d’adolescence. Donc avoir une vie de couple au quotidien avec un ou une adolescente... Je pense que pour l’autre, c’est un peu invivable. Mais on a besoin en même temps d’être entourée. Du coup, ça n’est pas le bon samaritain non plus, il ne faut pas exagérer. Et puis il y a un changement physique. Ça n’est pas rien. Avant, on avait ça. Dans mon cas, avant, il y avait un bonhomme. Après, il y a une nana. Ça n’est pas pareil. Et puis, ça n’est plus pareil de sortir. Deux nanas qui s’embrassent dans le métro, ça n’est pas bien vu.

Tu as eu cette expérience avec une de tes partenaires ? Elle ne supportait pas ?

Oui oui. Elle m’a dit "on ne se touche pas devant les autres". Elle n’a pas supporté. On a eu des réflexions : "ah les gouines !", des choses comme ça. On a bien rigolé. Enfin moi, j’ai bien rigolé. Elle non (rires).

(Rires.) Toi tu as rigolé.

Ah oui. Ça m’a fait plaisir aussi. C’est une certaine reconnaissance. Surtout au moment où c’est sorti. C’était au début. Je crois que je n’avais pas pris d’hormones encore. Du coup oui, ça fait plaisir !

D’accord. Juste pour finir, je peux te demander ce qui t’a motivée à participer à cette enquête ?

Moi c’était surtout le fait qu’on n’est pas obligées de finir... Je voulais dire aussi qu’on n’est pas obligées de finir au bois de Boulogne. On peut finir à côté, travailler dans des grands trucs et tout. Voilà, c’est ça que je veux dire. Il y a d’autres choses qui existent que la prostitution, la cage aux folles, même si aujourd’hui, cette image est moins ancrée dans la tête. Mais elle existe quand même chez beaucoup de gens. Voilà, on peut avoir une vie normale. C’est vrai que la normalité, même si c’est gênant comme mot, c’est ce qu’on recherche quand même. Tout être humain cherche à être intégré socialement. C’est possible.

C’est un message d’espoir alors.

C’est plus qu’un message d’espoir, c’est un message de réalité.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Emmanuel Beaubatie, « Annexe électronique de l’article « L’espace social du genre. Diversité des registres d’action et d’identification dans la population trans’ en France » », Sociologie [En ligne], N° 4, vol. 10 |  2019, mis en ligne le 26 novembre 2019, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/6110

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Auteur

Emmanuel Beaubatie

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