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AccueilNumérosN° 2, vol. 9Enquêtes« Nous, on n’est pas la préfecture !(…)

« Nous, on n’est pas la préfecture ! »

Le travail des agents en charge de l’accueil des étrangers « primo-arrivants »
“We are not the prefecture !”. The work of the agents in charge of welcoming foreigners “newcomers”
Camille Gourdeau

Résumés

Cet article propose, à partir d’une enquête ethnographique menée dans cinq directions territoriales de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), de réfléchir aux pratiques des auditeurs, les agents du bureau d’accueil et d’intégration. Leur travail est traversé par une contradiction entre une conception de leur rôle plutôt tendue vers le travail social et une autre qui le cantonnerait à un travail administratif. L’article montre, dans un premier temps, que cette tension structure la manière dont les agents investissent ce rôle. S’ils prétendent assurer un accueil de qualité et s’ils apprécient le contact avec le public, ils n’en dénoncent pas moins l’aspect répétitif et prescriptif de leur travail. Dans un second temps, l’article examine comment cette tension intervient dans les rapports que les auditeurs entretiennent avec les signataires du contrat d’accueil et d’intégration (CAI). Ils ont généralement une attitude bienveillante envers ces derniers, toutefois, leur relation s’inscrit dans un rapport inégalitaire et contraint. Cet article se penche ainsi sur la façon dont ils exercent l’obligation juridique que constitue le CAI.

“We are not the prefecture !”. The work of the agents in charge of welcoming foreigners “newcomers”

Based upon an ethnographic study of five territorial departments of the French Office for Immigration and Integration (OFII), this article questions the practices of the agents of the OFII reception and integration departments. Their practices are indeed by a tension between administrative management and social work. The article starts by showing how this tension structures the professional roles the agents take on. Even though they pretend to be committed to the quality of reception and to appreciate the direct contact with the public, they denounce the repetitive and prescriptive nature of their work. The article then shows how this tension influences the relationship between OFII agents and signatories of the Contract of Reception and Integration (CAI). Although their attitude towards the signatories is generally sympathetic, the relationship is inherently unequal and forced. This article thus looks at the practical exercise of the legal obligation imposed by the CAI.

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Texte intégral

  • 1  Ce caractère discrétionnaire s’explique par le fait que leur travail en situation est trop compliq (...)
  • 2  Les pratiques au travail sont entendues «  comme les pratiques telles qu’elles sont observées par (...)
  • 3  Je remercie Xavier Dunezat pour la relecture d’une première version de cet article et pour ses sug (...)

1Dans son ouvrage fondateur, Michaël Lipsky (2010 [1980]) met en lumière le rôle des agents dans les street‑level bureaucracies, c’est‑à‑dire les écoles, la police, les services sociaux, les tribunaux et les agences publiques. Il montre que ces agents de base des services publics, les frontline workers, situés en première ligne, qui sont en contact direct avec le public, ont une marge d’appréciation dans la délivrance d’une prestation ou d’une allocation. Leurs actions ont des effets directs sur les personnes concernées par la politique publique. Michaël Lipsky mentionne une seconde caractéristique des street‑level bureaucrats  : ils ne peuvent réaliser leur travail selon la conception idéale qu’ils ont de leur métier du fait des contraintes dans lesquelles ils sont eux‑mêmes pris. Leur pouvoir discrétionnaire1 et leur relative autonomie par rapport à la hiérarchie confèrent à ces agents un rôle décisif dans l’application des politiques publiques. En effet, leurs décisions, les routines qu’ils établissent et les moyens qu’ils inventent pour gérer les incertitudes et la charge de travail, deviennent de fait les politiques publiques mises en œuvre. Ces travaux sur la street‑level bureaucracy ont été par la suite discutés et prolongés. Evelyn Brodkin (2012) par exemple, prend acte de l’évolution des politiques publiques et propose une approche en termes de street level organizations dès lors que les politiques publiques sont non seulement mises en œuvre par des administrations publiques mais également par des ONG, des associations, des entreprises et des arrangements public‑privé. En France, les recherches sur les relations de guichet des administrations ont connu un essor important au cours des années 1990. Ces travaux se sont intéressés aux rapports entre agents et usagers à travers le cas des services «  vieillesse » d’une Caisse régionale d’assurance maladie (Weller, 1999), aux guichetiers de la Caisse d’allocation familiale et aux interactions nouées avec les allocataires (Dubois, 1999), à l’attribution du Revenu minimum d’insertion du point de vue des professionnels comme des bénéficiaires (Moulière et al., 1999), aux relations entre les services publics et les classes populaires (Siblot, 2006) ou encore aux agents de centres des impôts et à la variation des pratiques selon les groupes sociaux des contribuables (Spire, 2012). Dans la continuité de travaux portant plus particulièrement sur l’administration des étrangers (Hajjat, 2009  ; Infantino & Rea, 2012  ; Spire, 2008), il s’agit dans cet article d’analyser les pratiques «  au travail2 » (Avril etal., 2010) des agents du bureau d’accueil et d’intégration de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)3.

ENCADRÉ 1. LE CONTRAT D’ACCUEIL ET D’INTÉGRATION

  • 4  Cette obligation ne concerne donc ni les étudiants, ni les travailleurs saisonniers, ni les salari (...)
  • 5  La catégorie administrative «  jeune majeur » renvoie aux personnes âgées de 16 à 18 ans qui ont é (...)

Le contrat d’accueil et d’intégration (CAI) est d’abord expérimenté à partir de 2003 puis sa signature est rendue obligatoire par la loi du 24 juillet 2006. Il concerne les conjoints de Français, les personnes qui arrivent dans le cadre du regroupement familial, les réfugiés et leurs familles ainsi que les salariés ayant un contrat longue durée4. Alors que le CAI s’adresse en principe aux « primo‑arrivants », il est signé en réalité par les personnes qui obtiennent un premier titre de séjour, c’est pourquoi il concerne également les personnes régularisées et les « jeunes majeurs5 ». En 2015, 110 106 contrats ont été signés. Les signataires du CAI doivent suivre une journée de formation civique, et selon leur situation, une formation linguistique, une journée d’information sur la vie en France et un bilan de compétences professionnelles. Avec la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, le contrat d’accueil et d’intégration devient contrat d’intégration républicaine. La formation « Vivre en France » et le bilan de compétences professionnelles sont supprimés. La formation civique est maintenue ainsi que la formation linguistique. De plus, un accompagnement personnalisé est prévu afin de « faciliter [l]es conditions d’accueil et d’intégration » des signataires.

Le dispositif est géré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui, à travers ses directions territoriales, se déploie sur l’ensemble du territoire. L’OFII est créé en 2009. Il est l’héritier de plusieurs histoires institutionnelles puisqu’il est issu de l’Office national de l’immigration (ONI), créé en 1945, devenu en 1988, l’Office des migrations internationales (OMI), mais également du Service social d’aide aux émigrants (SSAE), association absorbée en 2005 par l’OMI pour former l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (Anaem), et enfin du Fonds d’action sociale (FAS) qui, après différentes appellations, était devenu l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acse) en 2006. En 2009, une partie des compétences de l’Acse, principalement liée à la formation linguistique, est transférée à l’Anaem qui deviendra à cette occasion l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

  • 6  «  Auditeur social » est une catégorie administrative propre à l’Office des migrations internation (...)

2Afin d’examiner la manière dont le contrat d’accueil et d’intégration est mis en œuvre, nous avons conduit une partie de notre enquête dans le bureau de ces agents appelés auditeurs6. En effet, ceux‑ci ne font pas qu’appliquer des décisions politiques mais jouent un rôle décisif dans l’implémentation de l’action publique puisque c’est par leurs actions et leurs pratiques qu’une politique publique existe (Hassenteufel, 2008  ; Dubois, 2012). Dans un contexte de politiques migratoires restrictives et répressives, plutôt marqués par les lois de l’inhospitalité (Fassin et al., 1997  ; De Rudder, 2001), comment ces agents exercent‑ils leur travail d’accueil des étrangers  ? Quel sens lui confèrent‑ils ? Quelle relation les auditeurs établissent‑ils avec les signataires  ? Dans quelle mesure s’apparentent‑ils aux street‑level bureaucrats  ? À partir d’une enquête ethnographique (voir encadré 2), je mettrai en évidence que le travail des auditeurs est traversé par une contradiction entre une conception de leur rôle plutôt tendue vers le travail social et une autre qui le cantonnerait à un travail administratif. Je montrerai, dans un premier temps, que cette tension structure la manière dont les auditeurs investissent leur rôle. S’ils prétendent assurer un accueil de qualité et s’ils apprécient le contact avec le public, ils n’en dénoncent pas moins l’aspect répétitif et prescriptif de leur travail. Dans un second temps, j’examinerai comment cette tension intervient dans les rapports qu’entretiennent les auditeurs aux signataires. Ils ont généralement une attitude bienveillante envers les signataires, toutefois, leur relation s’inscrit dans un rapport inégalitaire et contraint. On se penchera ainsi sur la façon dont ils exercent l’obligation juridique que constitue le CAI.

ENCADRÉ 2. UNE ENQUÊTE ETHNOGRAPHIQUE À L’OFFICE FRANÇAIS DE L’IMMIGRATION ET DE L’INTÉGRATION

Dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur la politique d’accueil des étrangers en France et plus particulièrement sur le contrat d’accueil et d’intégration, j’ai mené une enquête ethnographique au sein de cinq directions territoriales (DT) de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) situées en Île‐de‐France et dans l’ouest de la France. La recherche, conduite entre 2010 et 2013, s’appuie sur l’analyse de la littérature grise et sur une enquête de terrain dont une partie a été conduite dans le service de l’accueil et de l’intégration et plus particulièrement dans les bureaux des auditeurs. Elle se propose d’étudier la genèse du dispositif et d’observer les éventuelles contradictions entre les textes de lois, les rapports administratifs et les pratiques des auditeurs. Elle vise ainsi à étudier la manière dont le CAI est mis en œuvre en s’intéressant à la fois aux pratiques des agents de terrain et à l’expérience des signataires.

J’ai assisté à une vingtaine de réunions de présentation du contrat et à cent vingt‐trois entretiens avec des signataires. Cette présence en direction territoriale m’a également permis d’avoir de nombreuses discussions formelles ou informelles avec les auditeurs et auditrices pendant les pauses, au moment des repas ou après les entretiens, mais aussi avec les responsables du bureau d’accueil et d’intégration, les directrices territoriales et différents agents de l’OFII appartenant à d’autres services. J’ai aussi assisté aux différentes formations prescrites dans le cadre du CAI : la forma‐ tion civique, la session d’information sur la vie en France, le bilan de compétences professionnelles, la journée « Droits et devoirs des parents », des tests de positionnement pour la formation linguistique et des cours de français. J’ai assisté au total à plus d’une vingtaine de sessions de formation. Enfin, j’ai également mené des entretiens enregistrés avec des auditeurs et auditrices (huit) et des assistantes sociales (cinq), afin de mieux connaître leur parcours professionnel, leur conception du métier et leur point de vue sur le dispositif. Ces entretiens se déroulaient après avoir passé plusieurs jours à la DT, le plus souvent sur leur lieu de travail. Quant aux entretiens avec les formatrices (sept), ils m’ont permis notamment de mieux coprendre comment fonctionnaient les organismes de formation et quelles étaient leurs relations avec l’OFII en tant que prestataires, mais également leur vision des différentes formations. Vingt‐quatre entretiens ont été menés avec des signataires portant sur leur parcours migratoire et administratif et sur leur perception du CAI et des formations. Ce sont au total quarante‐huit entretiens qui ont été réalisés.

Faire signer le CAI : une mission investie de façon plurielle

  • 7  Afin de ne pas surcharger le texte, j’écrirai «  auditrice » pour nommer les agents du bureau d’ac (...)

3Les auditrices sont attachées à une direction territoriale (DT) au service de l’accueil et de l’intégration7. Elles sont chargées de présenter le contrat lors d’une réunion collective, de faire signer le CAI durant un entretien appelé «  audit » et de prescrire les formations. Chaque auditrice est par ailleurs responsable d’une formation  : elle doit gérer les plannings, c’est‑à‑dire prévoir les jours de formation et l’interprétariat qui sera assuré dans telle ou telle langue durant la journée. Enfin, elles sont également chargées du suivi des dossiers, c’est‑à‑dire de vérifier si les signataires ont bien assisté aux formations et soit de convoquer de nouveau la personne, soit de clôturer le dossier.

  • 8  Il s’agit ici d’un usage extensif du terme «  audit » qui est généralement synonyme d’entretien.

ENCADRÉ 3. LE DÉROULEMENT D’UN « AUDIT8 »

  • 9  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

Les auditrices reçoivent les signataires dans un bureau. Dans chaque DT étudiée, les auditrices ont un bureau attitré. Un audit consiste dans un premier temps à vérifier les informations déjà enregistrées dans le logiciel, c’est‐à‐dire au « traitement » et à « l’identification bureaucratiques des individus » (Dubois, 1999, p. 31). Une auditrice commence l’entretien en vérifiant les nom, prénom, date de naissance et adresse du signataire. Elle lui demande ensuite son niveau d’études, son métier ou ses expériences professionnelles avant de venir en France puis s’il a le permis de conduire. Elle vérifie si la personne est bien inscrite à la sécurité sociale ainsi qu’à Pôle Emploi puis pose des questions relatives à la maîtrise des outils informatiques. Elle propose à la personne de rencontrer une assistante sociale. Elle doit également enregistrer les résultats de l’évaluation du niveau de français du signataire. La procédure est standardisée. Les agents doivent en effet suivre « le chemin des questions9 ». Dans la deuxième partie de l’audit, l’auditrice, après avoir rappelé brièvement le contenu de chaque formation, les prescrivent aux signataires.

4Après avoir esquissé la figure des auditrices en mettant en lumière certaines de leurs caractéristiques communes, nous montrerons que ces agents ont des pratiques variées, puis nous examinerons les manières dont elles envisagent le travail d’«  audit ».

Le profil des auditrices

  • 10  Les agents de l’OFII ne sont pas fonctionnaires mais contractuels à durée indéterminée.

5Les agents de l’OFII travaillant comme auditrices ont des emplois équivalant à la catégorie C de la fonction publique10. Elles occupent une position hiérarchique parmi les plus basses au sein de l’OFII. Toutefois, elles valorisent leur fonction, notamment par rapport à d’autres services exclusivement administratifs, par le fait d’être en contact avec le public. Devenir auditrice peut ainsi être considéré comme une évolution de carrière valorisante. En revanche, le travail au guichet laisse ensuite peu de possibilités de promotion, hormis le fait de devenir responsable du bureau d’accueil et d’intégration.

  • 11  Par exemple à la DT3, l’équipe est composée de 13 personnes dont 7 femmes mais à la DT4, 9 personn (...)
  • 12  Cette tendance est toutefois à relativiser si l’on prend en compte l’ensemble des directions terri (...)

6Si les équipes des auditrices sont mixtes dans certaines directions territoriales, elles sont exclusivement composées de femmes dans d’autres11. Cela correspond à la tendance générale des emplois administratifs (Gardey, 2001). À l’OFII, le travail d’employé administratif est donc largement féminin. Cependant la particularité de l’institution – qui confirme le fait que l’administration des étrangers constitue un espace de relégation au sein de l’administration (Laurens, 2008) – réside dans le fait que la direction de l’OFII est également féminine. Les cinq directions territoriales où j’ai mené ma recherche sont dirigées par des femmes, les directeurs adjoints y sont en majorité des directrices adjointes et dans quatre d’entre elles sur cinq, les responsables du bureau d’accueil et d’intégration sont des femmes12. Par ailleurs, les agents sont souvent eux‑mêmes immigrés ou enfants d’immigrés. En effet, une partie des auditrices sont nées à l’étranger, installées depuis des dizaines d’années en France et devenus Françaises. D’autres sont nées en France de parents algériens, marocains, chiliens, roumains ou encore chinois. Alors que dans les services d’immigration de la préfecture, la surreprésentation des personnels antillais ou récemment naturalisés s’explique selon Alexis Spire (2007) par leur «  position dominée dans la hiérarchie préfectorale » qui «  les prédispose à être affectés dans de tels lieux de relégation », à l’OFII ce sont l’ensemble des services qui sont concernés. Cela peut s’expliquer par le fait que l’OFII est une institution entièrement dédiée à l’exécution des politiques migratoires. Chargé de mettre en œuvre les mesures relatives à la gestion et au contrôle de l’immigration, ce n’est que récemment qu’il assure des missions plus sociales, liées notamment à l’accueil des étrangers (Gourdeau, 2015a).

  • 13  Une auditrice décrit le concours comme suit  : « Il y avait un écrit, il y avait un texte, il fall (...)

7Les auditrices ont des origines sociales et des trajectoires professionnelles hétérogènes. Une partie d’entre elles a été recrutée à l’OFII sans conditions de diplôme. Ces agents qui travaillent au moment de l’enquête au bureau de l’accueil et de l’intégration viennent principalement d’autres services de l’OFII. Elles ont voulu devenir auditrices pour échapper au travail purement administratif et considèrent ce changement de service comme une évolution dans leur carrière. Ces agents peu diplômés sont principalement des femmes et sont issus d’un milieu populaire. Leurs parents travaillaient comme ouvriers et sont en majorité immigrés du Maroc ou d’Algérie. Comme d’autres agents de guichets publics, elles sont dans un entre‑deux entre les classes moyennes et les classes populaires  : «  Leur position institutionnelle, leur emploi stable, leur travail de bureau, leur maîtrise de l’écrit ou encore leur résidence » les rattachent aux classes moyennes tandis qu’elles sont liées aux classes populaires par leur origine sociale, la situation professionnelle de leurs proches, leurs revenus modestes et leur scolarisation courte (Siblot, 2003, p. 185). Une autre partie a été embauchée lors de la création du CAI. Certaines auditrices ont été recrutées après avoir passé un concours13, d’autres sur la base d’un entretien avec la direction territoriale concernée. Parmi ces agents recrutés au début des années 2000, une partie a un profil assez semblable à celui décrit précédemment. L’entrée à l’OFII constitue ainsi un moyen d’ascension sociale et de stabilité professionnelle. D’autres auditrices embauchées au moment de la création du CAI ont en revanche un profil différent. Elles ont fait des études supérieures, le plus souvent équivalent à un bac + 3, notamment en français langue étrangère (FLE), ont eu des expériences professionnelles ou personnelles dans des pays étrangers ou parlent une langue étrangère. On y trouve davantage d’hommes, leurs origines familiales sont moins populaires et elles sont plus souvent «  blanches » et issues des classes moyennes. Ce sont chez ces agents que le désir de changer de travail est le plus fort. Diplômées, l’occupation d’un poste d’exécution s’est faite par défaut. Travaillent également dans certaines équipes quelques vacataires qui ont un contrat à durée déterminée. Ces derniers, peu nombreux à l’OFII, ont un diplôme équivalent à un master 2 et y passent quelques mois avant de trouver un travail correspondant à leur formation. Comme pour les agents de la Caisse d’allocation familiale étudiés par Vincent Dubois (1999) devenus «  guichetiers largement par hasard ou par défaut », les auditrices sont arrivées le plus souvent par accident à l’OFII en répondant à une annonce ou sur les conseils d’une connaissance y travaillant. L’entrée à l’OFII apparaît comme fortuite et marquée par une absence de vocation. Mais pour les personnes issues de milieux populaires, si travailler à l’OFII n’a pas été un choix délibéré, cela a permis d’accéder à un emploi stable et à un travail de bureau. Le fait qu’il soit une administration peu connue et moins prisée que d’autres a également permis à ces agents d’être moins exposés à la concurrence des plus diplômés. Cependant, travailler au service de l’accueil et de l’intégration relève le plus souvent d’un choix affiché.

Le rôle d’auditrice

  • 14  Nos observations ne nous ont pas permis d’expliquer ces modes d’engagement différents en fonction (...)

8Malgré ces trajectoires sociales et professionnelles variées, la plupart des auditrices estiment que l’accueil des étrangers est un élément important de leur travail. Toutefois, elles investissent leur rôle différemment. Ainsi, si certaines considèrent que leur mission consiste à aider les signataires, d’autres se limitent à sa seule dimension administrative14.

ENCADRÉ 4. L’ORGANISATION D’UNE « PLATEFORME »

  • 15  Journal de terrain, DT3, 14 mars 2012.

L’organisation de la plate‐forme d’accueil diffère quelque peu en fonction des directions territoriales. À la DT1, la personne qui est au « prépo » (pour « pré‐positionnement ») distribue les fiches des étrangers présents aux auditeurs et auditrices, en faisant en sorte que certaines personnes passent en priorité, comme les familles avec enfant(s). À la DT2, ce sont les personnes qui ne parlent pas français qui sont prises en premier car les audits durent plus longtemps. Le reste des dossiers est déposé dans une bannette où les auditrices viennent les chercher au fur et à mesure. À la DT3, comme dans toutes les autres DT, les auditrices font quatre audits par demi‐journée, ce qui permet selon la responsable du bureau d’accueil et d’intégration d’« être à l’écoute, d’évoquer l’ensemble des points15 ». Mais elles peuvent être amenées à faire plus d’audits quand les étrangers convoqués sur la plate‐forme sont particulièrement nombreux, quand il manque des agents ou lorsque certains collègues prennent plus de temps pour mener l’audit. À la DT4, c’est l’agent d’accueil qui divise le nombre de signataires par le nombre d’auditrices. Chaque auditrice sait combien elle doit faire d’audits et peut recevoir les signataires à son propre rythme.

9Dans l’ensemble des directions territoriales dans lesquelles la recherche a été conduite, la majorité des auditrices, quel que soient leur trajectoire et leur profil, considèrent que leur travail consiste à bien accueillir les étrangers. À travers cet accueil de qualité, il s’agit de donner une bonne image de la France. Le travail d’auditrice, selon Joëlle  :

  • 16  Entretien avec Joëlle, auditrice, 20 juin 2013.

C’est certes s’en tenir aux directives qui sont données dans la trame de suivi du contrat d’accueil et d’intégration mais pour moi, c’est vachement important de donner une image de l’accueil à une personne étrangère en France qui soit correcte, de savoir qu’en face de toi, t’as des individus et pas des numéros et pas des dossiers, t’as un individu en face de toi. Montrer que la France, elle a un potentiel d’accueil qui peut être positif. Je pense qu’il faut le garder vraiment d’une façon très forte enraciné [...], pour pouvoir travailler ici, de dire, même dans l’administration, je peux servir à quelque chose, sans faire des choses extraordinaires mais juste accueillir correctement les gens, leur parler correctement, être souriant, essayer d’être attentif à leurs questions16.

10Quand les signataires arrivent inquiets, les auditrices cherchent à les rassurer afin qu’ils repartent « détendus », ce dont témoigne Antoine  :

  • 17  Entretien avec Antoine, 12 décembre 2012.

Très très souvent les gens nous remercient en partant parce qu’on essaye d’être cool, on est quand même une équipe d’accueil qui est, je pense, assez bonne. Par rapport à l’administration qu’on peut voir ailleurs, je pense qu’on s’en sort bien17.

  • 18  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

11Les auditrices accordent d’autant plus de valeur à la qualité de l’accueil que le CAI est présenté comme une première étape dans le «  parcours d’intégration » (Secrétariat général du comité interministériel de contrôle de l’immigration, 2014, p. 132) permettant de «  mettre le pied à l’étrier18 » ou, selon Antoine, de «  mettre les gens sur les rails ».

  • 19  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.
  • 20  Entretien avec Nadège, 11 décembre 2012.

12La majorité des agents rencontrés considère que leur rôle est d’aider les signataires («  on est là pour les aider dans leur intégration19 » déclare une auditrice) et c’est ce qu’ils apprécient dans leur travail  : pouvoir aider, être disponible, à l’écoute. Le travail d’auditeur peut aussi être considéré comme un «  accompagnement ». Selon Nadège, il s’agit de «  montrer aux gens qu’on est là pour les accompagner […] dans leur vie de tous les jours, leur vie quotidienne, c’est histoire qu’ils se sentent bien en France, dans le sens où ils connaissent toutes les démarches à faire, qu’ils se sentent pas seuls non plus20. » Certains auditeurs vont au‑delà du travail prescrit. C’est le cas de Pierre :

  • 21  Journal de terrain, DT3, 28 mars 2012.

Pierre reçoit en audit monsieur Diawara, Mauritanien, qui vient d’arriver en France. Comme il a 25 ans, Pierre lui conseille de s’inscrire à la Mission locale afin d’être orienté vers une formation professionnelle et une formation linguistique. Monsieur Diawara, dont le niveau de français est jugé suffisant, est dispensé de la formation linguistique de l’OFII mais la Mission locale pourrait l’orienter vers une autre formation qui lui permettrait de consolider sa maîtrise de la langue. Pierre appelle la Mission locale, vérifie l’adresse et demande si l’inscription est avec ou sans rendez‑vous. Il note sur un papier que trois mois avant la fin de son visa, il faudra demander le renouvellement du titre de séjour ainsi que l’adresse de la Mission locale. Il demande enfin à Mr Diawara de lui envoyer son justificatif d’inscription21.

13Pierre dans cette situation dépasse ses prérogatives. Il conseille fortement au signataire de se diriger vers la Mission locale et contrôle même son inscription, ce qui n’entre pas dans ses attributions. Les auditrices prennent ainsi de multiples initiatives qui débordent le cadre administratif dans lequel elles s’inscrivent  : donner l’adresse du Pôle emploi de la ville de tel signataire, distribuer une fiche expliquant que la vignette collée sur le passeport est bien un titre de séjour étant donné que certaines administrations ne connaissent pas le visa long séjour valant titre de séjour (VLS‑TS), fournir une liste avec les numéros des auditrices au cas où il y aurait un problème, expliquer en détail les différents modes de garde pour les enfants, faire un papier à l’attention d’une épouse afin de lui rappeler d’affilier son mari à sa sécurité sociale...

14Il ressort de ces extraits d’entretien et des matériaux de terrain que les auditrices investissent dans leur travail «  une véritable dimension morale » (Laurens, 2008, p. 34). Elles ne justifient pas leur travail par le respect des textes officiels – mis à part en cas de conflit – et leur activité ne peut se réduire à la seule «  conformation aux règlements » (idem, p. 38). On peut d’ailleurs soutenir l’hypothèse que cette conception du rôle de l’auditeur, dont le travail ne se limite pas à l’aspect administratif mais intègre une dimension sociale – qui consiste principalement à faciliter l’accès aux droits sociaux − est ce qui permet à une partie de ces agents d’assumer leur fonction et de rester dans l’institution. En effet, c’est bien cette posture tournée vers l’accompagnement social qui donne du sens à leur travail. Cette manière d’appréhender le rôle de l’auditeur n’est cependant pas partagée par l’ensemble des auditrices, d’autres circonscrivant l’audit à sa seule dimension administrative.

  • 22  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

15Certaines auditrices enchaînent les audits sur un mode routinier ou pour reprendre les mots de la responsable du bureau d’accueil et d’intégration d’une direction territoriale, elles font signer les contrats «  un peu à la chaîne22 ». Les agents peuvent regretter eux‑mêmes cette manière «  mécanique » de mener les audits. C’est le cas de Maria qui a parfois l’impression d’être «  là juste pour faire signer des CAI ». Elle poursuit  :

  • 23  Entretien avec Maria, auditrice, 25 septembre 2013.

Le souci, c’est parfois on a l’impression de pas avoir suffisamment le temps pour cerner un peu la situation de la personne mais on est devant notre écran et on suit ce schéma et on fait signer le CAI. C’est parfois un petit peu trop mécanique alors qu’on a en face de nous des gens, avec des histoires, des situations différentes qui parfois supposent de prendre un peu plus le temps. [...] En gros, notre mission, c’est pas forcément de prendre le temps, notre mission, c’est de remplir notre formulaire dans le CAI et surtout de faire signer et puis de donner les attestations23.

  • 24  Journal de terrain, DT3, 14 mars 2012.
  • 25  Journal de terrain, 25 mai 2011.

16Cette manière de mener les audits révèle le caractère administratif du CAI. Celui‑ci est comparé à une «  grosse machine » par une responsable du bureau d’accueil et d’intégration d’une direction territoriale24. Selon le directeur de l’OFII de 2006 à 2012, l’organisation du CAI est «  industrielle »  : «  100 000 types à enregistrer dans une bécane informatique, il ne faut pas d’états d’âme25 ». Dans cette optique, l’audit tiendrait donc principalement de la gestion des flux.

  • 26  Le Service social d’aide aux migrants (SSAE), association créée en 1926, engagée dans l’accompagne (...)

17Entre les auditrices qui ont une pratique de l’audit comme accompagnement social et celles qui font signer les contrats «  à la chaîne », il en existe qui se trouvent en position intermédiaire entre ces deux pôles et qui envisagent l’audit comme un travail de médiation. Pour elles, il permet d’informer les signataires et de les orienter. Ce sont les auditrices qui travaillaient auparavant dans des institutions ou des associations moins administratives que l’OFII qui se considèrent le plus souvent comme des intermédiaires. Orkia, par exemple, ancienne secrétaire sociale au SSAE26, compare son ancien poste avec celui qu’elle occupe actuellement et considère que dans le cadre de l’OFII, son rôle consiste à orienter les signataires vers des structures associatives ou sociales.

  • 27  Entretien avec Orkia, auditrice, 21 juin 2012.

Je rentre pas dans tous ces détails‑là, mon détail à moi, c’est l’intégration, je rentre dans l’intégration, je rentre dans les missions de l’OFII. La seule chose que je peux faire c’est quand une personne a un souci avec la préfecture, c’est les écouter, de voir les papiers, pourquoi il y a ce souci là et de voir si je peux les orienter vers une association juridique comme La Cimade, la Ligue des droits de l’homme, la Maison de quartier mais je ne rentre pas plus que ça parce que c’est pas mon rôle, je ne vais pas creuser la problématique, c’est plus mon rôle, c’était mon rôle au SSAE mais là, c’est plus mon rôle27.

18Ainsi, les pratiques de travail des auditrices s’inscrivent dans une tension entre travail social et travail administratif qui semble constitutive de la création du métier d’auditeur. Cette tension apparaît dans l’évolution de l’intitulé du poste d’auditeur qui était dans un premier temps appelé «  auditeur social ». Les implications de ce changement d’appellation sont commentées par Antoine, qui revendique dans son travail le fait de «  faire du social ».

  • 28  Entretien avec Antoine, auditeur, 12 décembre 2012.

En fait, concrètement le passage, le changement d’appellation, ça nous a dérangés parce que ça traduisait certaines orientations politiques où a priori il semblerait que d’un coup les auditeurs qui avant étaient considérés comme des travailleurs sociaux, auditeurs sociaux, même si c’était aussi des agents administratifs... on pouvait interpréter cela comme un reclassement uniquement comme agent administratif. Tu fais du CAI et tu fais pas du social. Concrètement dans les faits ça n’a rien changé. L’auditeur qui veut faire du social, il peut en faire depuis le début. Et nous, on en fait ici. Et on n’a pas arrêté. Et c’est aussi la volonté de nos responsables. Ils trouvent ça très bien qu’on s’implique là‑dedans et que voilà, on bosse avec les assistantes sociales. On n’est pas des travailleurs sociaux spécialisés mais on essaie d’apprendre au fur et à mesure des trucs qui peuvent être utiles28.

Le rapport au travail d’« audit »

19Si les auditrices prétendent assurer un accueil de qualité et apprécient le contact avec le public, elles n’en dénoncent pas moins l’aspect répétitif et prescriptif de leur travail.

  • 29  Entretien avec Adil, auditeur, 20 mai 2011.
  • 30  Entretien avec Maria, auditrice, 25 septembre 2013.
  • 31  Le taux de prescription du bilan de compétences professionnelles est ainsi passé de 60,20  % des s (...)
  • 32  Journal de terrain, 25 mai 2011.
  • 33  Journal de terrain, DT2, 9 juin 2011.

20Certaines auditrices dénoncent les contraintes qui pèsent sur leur travail. Parmi ces contraintes, elles mentionnent le fait de devoir «  suivre la loi ». Toute initiative doit toujours s’inscrire «  dans le cadre de ce que dit la loi29 ». Leur travail est également encadré par les consignes émanant du siège ou du ministère. Maria trouve à ce propos «  épatant le sens de la hiérarchie à l’OFII. Parce que même pour des petites choses, nous à notre niveau, la place de l’initiative, la place de la décision, elle est quasi inexistante, c’est un système qui est huilé, c’est un système qui roule30 ». Les recommandations du siège portent notamment sur la prescription des formations et précisent la manière d’appliquer la loi. Par exemple, concernant le bilan de compétences professionnelles, les équipes avaient pour consigne les premières années de sa mise en œuvre de le prescrire systématiquement à toute personne ne justifiant pas d’un emploi dont le contrat est à durée indéterminé. Les signataires qui avaient un travail pouvaient donc être dispensés du bilan de compétences professionnelles à condition de présenter un contrat de travail, même si certaines auditrices acceptaient une fiche de paie. Les conditions se sont ensuite assouplies et dorénavant, elles doivent s’assurer que les signataires sont bien à la recherche d’un emploi avant de prescrire la formation31. Le caractère contraint du travail des auditrices est également reconnu par le siège. Selon son directeur, leur travail «  est très cadré. Les auditeurs ont un cadre de pratique très contraignant32 ». L’aspect routinier et répétitif de l’audit est souvent dénoncé et certaines auditrices s’inquiètent même que je ne m’ennuie : « Ça va, c’est pas trop répétitif  ?33 » Ce côté répétitif peut, d’une part, influer sur la qualité de l’entretien et, d’autre part, inciter les auditeurs à chercher à changer de métier.

  • 34  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

Laure détient un Deug de psychologie puis a suivi un BTS lui permettant d’être conseillère en planification économique et familiale. Elle a eu des «  jobs étudiants » puis a cherché pendant six mois du travail. Elle a trouvé le poste à l’Office des migrations internationales (OMI) grâce à une annonce. Elle y travaille depuis six ans, a été auditrice et est responsable du bureau d’accueil et d’intégration depuis deux mois. Elle a beaucoup aimé faire de l’audit, mais au bout d’un moment, les mêmes situations reviennent et «  on prend moins le temps, donc ça perd en qualité d’accueil »34.

21Ainsi, les auditrices ont une marge de manœuvre réduite. Contrairement à d’autres agents administratifs, leurs interprétations bureaucratiques sont limitées. Alexis Spire montre que les agents qui travaillent aux guichets des préfectures, du fait de l’abondance des règlements ou de l’imprécision des critères contenus dans les textes de loi, «  se livrent à un travail permanent de production, d’appropriation et de réinterprétation du droit » (Spire, 2005a, p. 11). Dans le cas du CAI, l’imprécision des textes de loi est compensée par des règles d’usage obéissant aux instructions internes. Ainsi, pour la formation «  Vivre en France », alors que l’article L.311‑9 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) indique que «  l’étranger bénéficie d’une session d’information sur la vie en France », cette formation est en pratique prescrite aux signataires qui sont arrivés en France quelques mois avant leur convocation à l’OFII. Cette règle est suivie par l’ensemble des auditrices dans les différentes directions territoriales observées. La marge de manœuvre des auditrices s’exerce par exemple quand l’une d’entre elles dispense une personne du bilan de compétences professionnelles du fait de sa situation «  difficile » ou lorsqu’un auditeur ressort le dossier résilié d’une personne bloquée à la préfecture afin qu’elle fasse ses formations. Toutefois, ces arrangements sont de faible portée. Contrairement aux agents des préfectures dont l’évaluation de l’assimilation des candidats à la naturalisation répond à certains critères implicites (Hajjat, 2009), les auditeurs ne peuvent mobiliser ce genre de critères afin de justifier le refus de faire signer un contrat. Ils n’ont aucun prétexte (un dossier mal rempli, un document manquant) pour repousser la date des formations et n’adaptent pas la norme juridique en fonction des caractéristiques des signataires.

22La routine, le caractère répétitif des audits est alors contrebalancé par le fait d’être en relation avec «  les gens ». À l’OFII, comme à la préfecture, il existe une distinction importante entre le travail de guichet et les autres tâches administratives situées à «  l’arrière‑front » (Spire, 2005b, p. 16). En ce qui concerne le CAI, il s’agit par exemple de la saisie de dossiers ou de la gestion du courrier. Pour les auditrices, le fait de recevoir les étrangers est valorisé et constitue l’intérêt du travail. Comme d’autres agents, par exemple ceux de la Poste (Siblot, 2006), le «  contact avec le public » est une dimension mise en avant. Ainsi, quand les auditrices disent apprécier leur travail, c’est en raison du fait «  d’être avec les gens », «  d’être en relation avec le public », que «  chaque personne est différente » et de pouvoir pratiquer des langues.

23Pour certaines auditrices l’intérêt de leur travail apparaît en comparaison avec un poste qu’elles occupaient précédemment. C’est le cas de Sandrine, qui après avoir passé dix‑sept ans en Espagne où elle donnait des cours de français, entre à l’OMI en 2004. Elle commence à travailler en tant qu’adjointe du chef de bureau du regroupement familial, reste dans ce service pendant quatre ans puis souhaite devenir auditrice  :

Sandrine  : Le regroupement familial est très intéressant mais très administratif, très carré, très strict. On travaille sur les dossiers alors que le travail de l’auditeur, c’est directement avec les personnes, on peut utiliser les langues. Le contact c’est ce qui me manquait énormément, la communication directe, le contact, c’est ce qui me manquait donc j’ai demandé à être auditrice. [...]

Enquêtrice  : C’est ça qui vous plaît.

Sandrine  : Et le fait de pouvoir parler les langues aussi, parce que c’est vrai que l’espagnol, je suis bilingue, donc je ne parlais plus de langue, je n’avais plus de contact et franchement c’est le contact, c’est ce qui me plaisait aussi dans le côté professeur de français à l’étranger, c’est le contact, le côté formateur aussi, donc ici j’ai encore le contact qui me plaît énormément et des cas qui sont très variés.

Enquêtrice  : Avec des histoires différentes, des gens différents.

Sandrine  : Des personnalités différentes, des pays différents. En une matinée, on peut avoir des cas complètement différents, c’est ça qui me plaît aussi, la variété. La variété des personnes parce que le travail est le même, mais les cas sont différents.

Enquêtrice  : Donc, il n’y a pas de lassitude ?

  • 35  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

Sandrine  : Pour ma part, non. J’ai beaucoup de collègues qui trouvent ça très répétitif, moi je le vois pas sous cet angle‑là, puisque chaque personne est différente. Le discours, la trame est à peu près la même mais bon, après c’est pas la même chose quand on fait un audit en anglais avec un Indien, en espagnol, après on reçoit des gens variés donc pour moi, y’a pas du tout de lassitude35.

  • 36  Journal de terrain, DT3, 14 mars 2012.
  • 37  Journal de terrain, DT4, 17 juin 2013.

24Plusieurs auditrices déclarent ne pas vouloir travailler dans un autre service. Nadège proclame par exemple, «  il y a que les audits qui m’intéressent à l’OFII36 ». Joëlle, quant à elle, ne pourrait pas travailler «  au retour » et renvoyer les «  roms » ou au centre de rétention, le CAI lui permet de garder ses valeurs37. Le travail d’auditeur est en effet valorisé en comparaison avec d’autres services de l’OFII où l’aspect social serait inexistant. Cet intérêt pour les personnes reçues permet aux auditeurs de «  se réapproprier des routines bureaucratiques qui, dans d’autres services, présentent toutes les caractéristiques de procédures impersonnelles » (Spire, 2005a, p. 176). La valorisation du métier d’auditeur dans son aspect relationnel prend sens par rapport au poste précédemment occupé et pour celles qui ont toujours travaillé au bureau d’accueil et d’intégration, l’accueil du public est valorisé par rapport au seul travail administratif des autres services de l’OFII et enfin, par rapport à la préfecture.

  • 38  Sur le (mauvais) accueil en préfecture, voir par exemple (Dunezat, 2016).
  • 39  Journal de terrain, DT3, 15 mai 2012.

25C’est souvent à travers la comparaison avec la préfecture que les auditrices valorisent leur travail38. «  Nous, on n’a rien à voir avec la préfecture, on n’est pas la préfecture » disent souvent les auditrices. La revendication de leur capacité à s’adapter, à arranger les personnes est souvent mise en avant au regard des pratiques préfectorales. Lors d’une réunion collective, un signataire demande si ce sont les auditrices qui choisissent les dates de formation. Ce à quoi, l’auditrice répond : «  On n’est pas la préfecture ici39 ! »

26Selon les auditrices, leurs pratiques se distinguent de celles des agents de la préfecture dans la mesure où elles laissent la possibilité aux signataires de choisir les dates des formations et au regard de l’effort réalisé pour se faire comprendre, soit en parlant la langue de la personne reçue, soit en faisant appel aux services d’interprètes. Sandrine explique qu’à la préfecture  :

  • 40  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

Il n’y pas d’efforts pour parler la langue, autant, nous on essaie d’arranger la personne au maximum, de parler, la préfecture, c’est une autre histoire […], on est quand même là pour l’accueil et l’intégration, les gens de la préfecture sont là pour donner la carte, point barre40.

27C’est aussi d’un point de vue éthique que certaines d’entre elles revendiquent le fait de travailler au bureau de l’accueil et de l’intégration et pas à la préfecture.

  • 41  L’OFII peut résilier les contrats de personnes qui n’ont pas assisté aux formations et qui, après (...)
  • 42  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

Zouina travaillait au SSAE. Elle aurait souhaité travailler à France terre d’asile, mais comme elle a été gravement malade, elle a décidé de rester à l’OFII. Au SSAE, elle s’occupait des demandeurs d’asile et «  dans le cadre de la loi », accueillait aussi les sans‑papiers. Lors d’une discussion, je lui demande si l’OFII transmet à la préfecture la liste des personnes dont le contrat a été résilié41. Celle‑ci me répond que s’il fallait transmettre des listes à la préfecture, elle ne serait pas là et qu’elle n’aurait jamais travaillé à la préfecture42  !

28Malgré les efforts des auditrices pour se distancier des agents préfectoraux, on constate depuis quelques années, un rapprochement important entre l’OFII et les préfectures. Ce rapprochement ne concerne pas les auditrices, qui n’ont pas de relations formelles avec les agents de la préfecture, mais plutôt la direction des DT. Cette proximité est affirmée par la direction de l’OFII qui les considère comme ses «  premiers partenaires » (Cahiers d’administration, 2010, p. 10). Selon son directeur, l’Office serait même «  l’auxiliaire des préfets » (Cahiers d’administration, 2012, p. 9). Du fait de cette proximité assumée entre les deux institutions, on comprend mieux pourquoi à partir de 2012, le directeur territorial est placé sous l’autorité du directeur général de l’OFII mais également du préfet.

  • 43  Il faut souligner que la dichotomie entre travail administratif et travail social déployée dans ce (...)

29Il existe dans de nombreux services publics un tiraillement entre «  rôle administratif et relationnel » (Moulière, 2001, p. 192). Dans la configuration de l’OFII, cette contradiction prend la forme d’une tension entre le rôle prescrit, qui est de l’ordre de la gestion administrative de personnes «  à intégrer » et la manière dont il est investi par les auditeurs qui le rapproche du travail social43. Malgré les différentes conceptions du rôle d’auditeur, le cadre juridique et institutionnel est suffisamment contraignant pour homogénéiser le déroulement de l’audit. Ce travail de guichet apparaît souvent répétitif, il est cependant contrebalancé par le fait d’être en relation avec les gens. Si le contact avec les étrangers est ce qui constitue l’intérêt du travail et ce qui permet de le valoriser en comparaison avec les autres services de l’OFII et la préfecture, quelles sont les pratiques des agents à l’égard des signataires  ? Comment se caractérise la relation entre les auditrices et ces derniers  ? À ce premier clivage entre travail social et travail administratif qui traverse le groupe des auditrices s’ajoute un second lié à la relation qu’elles établissent avec les signataires. Elles sont ainsi clivées personnellement entre bienveillance et exercice de la contrainte.

La relation des auditrices de l’OFII aux signataires du CAI

30Les agents de l’OFII se veulent bienveillants vis‑à‑vis des étrangers, cependant la relation entre auditrices et signataires s’inscrit dans un cadre institutionnel dans lequel les premières, tout arrangeantes soient‑elles, incarnent l’État et détiennent l’autorité. Même si elles essaient, et arrivent le plus souvent, à instaurer une ambiance détendue, dès le début de l’audit, la vérification des informations personnelles des signataires révèle l’asymétrie de la relation. En effet, ce «  savoir biographique » participe à leur contrôle et à leur domination (Béliard & Biland, 2008, p. 107). Les étrangers, quant à eux, quand ils sont convoqués à l’OFII, ont obtenu un premier titre de séjour. Son obtention n’est jamais facile et advient souvent après de longues procédures. La rencontre entre les agents de l’OFII et les signataires n’a lieu qu’une fois, contrairement à la préfecture où les étrangers doivent se rendre à de nombreuses reprises durant leur parcours administratif. Ainsi, l’OFII n’est pas une «  institution familière » (Siblot, 2002) comme peuvent être perçus la Poste, la mairie ou le centre social par les habitants d’un quartier populaire. Le passage à l’OFII et la signature du CAI interviennent alors comme une étape dans la carrière migratoire des étrangers (Martiniello & Rea, 2011).

Un accueil bienveillant

  • 44  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.
  • 45  Journal de terrain, DT1, 18 mai 2011.
  • 46  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

31Les auditrices revendiquent des «  pratiques administratives souples » (Dubois, 1999, p. 162) qui se matérialisent le plus souvent par le fait de ne pas imposer la date de la formation. Une auditrice lors de la présentation collective du CAI insiste sur leur adaptabilité, sur le fait qu’elles comprennent les besoins, les contraintes des personnes  : «  On n’impose pas de date. Il y en a qui attendent le titre de séjour pour aller voir la famille, on arrange au maximum44, […] pour les mamans on vous met en attente pour que les enfants grandissent un peu, voyez comme on est arrangeants45  ! » Elle avait décrit précédemment l’équipe comme étant «  arrangeante, flexible mais pas laxiste46  ! ». Les auditrices, quand elles proposent les dates de formation, prennent en compte la situation du signataire. S’il travaille, le samedi sera privilégié, s’il vient d’arriver et ne parle pas couramment le français, la date sera choisie en fonction des disponibilités du conjoint, s’il a de jeunes enfants, ce sera alors en fonction des possibilités de garde. Elles expliquent également que si les signataires ne peuvent se rendre à la formation, ils doivent appeler afin de prévenir et changer la date. Cependant il arrive que l’auditrice, en laissant la personne participer au choix de la date de formation, la mette en position d’être redevable.

Claire et la personne reçue en audit, un Algérien travaillant dans le bâtiment, conviennent d’une date de formation civique.

Claire ajoute  : Je suis pas obligée de le faire. C’est pour vous.

Signataire  : Merci beaucoup. C’est très gentil de votre part.

Claire  : Il faut le faire, il faut jouer le jeu.

Signataire  : J’y serai, j’y serai.

  • 47  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

Claire  : Si vous le faites pas, on sera moins conciliants après47.

  • 48  Journal de terrain, DT2, 9 juin 2011.
  • 49  Journal de terrain, DT4, 4 avril 2013.
  • 50  Journal de terrain, DT4, 4 avril 2013.

32Toutefois, malgré la bienveillance d’une majorité des auditrices et la souplesse de leurs pratiques, cette volonté d’arranger les signataires n’est pas mise en pratique par l’ensemble des agents. Certaines d’entre elles imposent les dates de formation. Une auditrice annonce  : «  Je vous mets n’importe quel jour et vous vous arrangerez avec votre employeur48. » Une autre répond à une dame qui demandait à consulter son planning de travail avant d’accepter la date de formation  : « Non, je prends rendez‑vous maintenant. C’est à vous de vous arranger avec votre employeur49. » D’autres font preuve d’autorité en menaçant les signataires de les dénoncer à la préfecture en cas de non‑respect du CAI  : « On vérifie votre présence aux formations. On prévient la préfecture [en cas d’absence], qui peut refuser la carte50. »

  • 51  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.
  • 52  Entretien avec Antoine, auditeur, 12 décembre 2012.
  • 53  Sur la représentation de la «  femme immigrée » comme nécessairement soumise et opprimée, voir (Go (...)
  • 54  Journal de terrain, DT3, 28 mars 2012.

33Si, comme on l’a dit, les auditrices ont des marges de manœuvre réduites, certaines règles sont assouplies en fonction des situations. Par exemple, ne pas recevoir les accompagnateurs − qui sont le plus souvent les conjoints − pendant l’audit a d’abord été une directive du siège de l’OFII. Quand j’entreprends cette recherche, cette consigne est devenue une norme bureaucratique partagée mais qui fait l’objet d’interprétations selon les besoins du moment. La règle d’usage dans les directions territoriales est d’interdire la présence des accompagnateurs durant la réunion collective et les audits. Ces accompagnateurs, qui peuvent être Français, font l’objet de critiques de la part des auditrices car ils seraient plus «  exigeants51 ». Selon Antoine, ils ne contestent pas directement mais «  ils chipotent, ils taquinent, “ça va durer longtemps  ?, c’est vraiment obligatoire  ?, qu’est‑ce que vous faites là  ?”52 ». Les accompagnateurs, davantage familiarisés avec l’univers bureaucratique, viendraient ainsi perturber la relation dissymétrique entre auditrices et signataires. De plus, l’interdiction de la présence des accompagnateurs, notamment des époux, est liée au soupçon qui pèse sur eux d’empêcher leur femme de s’exprimer53. Les auditrices ont une attitude ambivalente envers les accompagnants et leurs jugements, à géométrie variable, dépendent du sexe et de la nationalité du conjoint. Par exemple, la même journée dans l’une des directions territoriale étudiée, un auditeur refuse de faire appel au mari d’une femme turque alors qu’il n’arrive pas à contacter le service d’interprétariat mais lui conseille néanmoins d’être accompagnée par son époux pour le premier rendez‑vous de la formation linguistique. Tandis qu’une auditrice reproche à la femme d’un jeune homme mauritanien de l’avoir laissé venir seul54.

  • 55  Avec le Contrat d’intégration républicaine, cette obligation est supprimée.
  • 56  Journal de terrain, DT1, 30 mars 2011.
  • 57  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.
  • 58  Journal de terrain, DT3, 23 mai 2012.

34Il arrive aux auditrices d’émettre des critiques quant à l’obligation de signer le contrat, en particulier concernant les jeunes qui, à dix‑huit ans, obtiennent leur premier titre de séjour55. Il est compliqué selon Adil, de demander des preuves d’intégration à ces jeunes qui ont grandi en France56. Lors d’un audit, l’auditrice dit à une jeune femme arrivée en France à l’âge de sept ans  : « Vous êtes quasiment française depuis le temps57. » Selon les auditrices, il n’est pas «  normal » que ces jeunes, vivant en France depuis de nombreuses années, signent le contrat. Elles considèrent que cela «  remet en question la capacité d’intégration de l’école58 ». Elles trouvent cette règle injuste puisque les personnes qui ont validé une année d’étude supérieure en France ou qui ont été dans un lycée français à l’étranger en sont dispensées. Les auditrices n’assument pas de faire signer le contrat à cette catégorie de signataires, si bien que lors d’une réunion collective où assistent ce jour‑là plusieurs jeunes, Malika déclare  :

  • 59  Journal de terrain, DT3, 14 juin 2012.

Dans la salle, il y pas mal de lycéens, on vous dit «  bienvenue en France  ! » On a fait remonter à la hiérarchie que les lycéens qui sont là depuis longtemps ne devraient pas signer le contrat d’accueil et d’intégration59.

35Elles essaient donc d’écourter au maximum le temps de la visite d’accueil et ne prescrivent systématiquement que la formation civique.

  • 60  Journal de terrain, DT4, 5 juin 2013.

Un jeune homme sort de la salle de réunion collective et demande à Michel, agent d’accueil, d’être dispensé de la signature du CAI. Il est au lycée et est en train de passer le baccalauréat. Michel lui explique que c’est un décret qui rend la signature obligatoire et qu’ils n’ont pas le pouvoir là‑dessus. Afin d’être libéré rapidement, il lui fait passer la visite médicale immédiatement60.

L’exercice de la contrainte

36Si les auditrices se disent à l’écoute des besoins des signataires et essaient de ne pas imposer les dates des formations, la relation entre auditrices et signataires est marquée par une inégalité de position qui tend à l’infantilisation des étrangers. De plus, elle est empreinte de l’obligation juridique que constitue le CAI. Même si les résistances des signataires à la contrainte que représente le CAI sont rares, les agents mobilisent constamment des arguments afin de les convaincre de l’intérêt du contrat et surtout d’assister aux formations. Cette injonction à l’intégration paraît d’autant plus légitime aux yeux des agents que la relance au début des années 2000 d’une politique d’accueil des étrangers «  primo‑arrivants » s’inscrit dans un discours de crise autour de l’intégration des étrangers.

  • 61  Journal de terrain, DT4, 4 avril 2013.
  • 62  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

37Les auditrices ont une attitude infantilisante à l’égard des signataires, que ce soit à propos des papiers «  qu’il ne faut pas perdre » ou bien de ceux qu’il ne faut pas oublier («  N’oubliez pas d’aller chercher votre titre de séjour et d’échanger votre permis  !61 ») ou encore des formations, où «  il ne faut pas arriver en retard ». Patricia prévient  : «  Vous arrivez bien bien à l’heure. Ils sont assez stricts avec les horaires. Certains ont été refusés après dix minutes de retard62. »

  • 63  Journal de terrain, DT1, 1er juin 2011.

À la DT1, il est répété à chaque audit qu’il faut arriver à l’heure aux formations sous peine de se voir refusé puisqu’«  ils ferment les portes ». Quand je vais moi‑même au centre de formation, je prends garde de ne pas être en retard afin de ne pas me retrouver devant les portes closes. Le premier jour, je constate avec surprise que les retardataires sont acceptés et que la porte du porche de l’entrée reste ouverte toute la journée63  !

38Cette attitude se manifeste également quand les auditrices vérifient que les signataires n’ont pas pris une décision à la légère et les somment de réitérer leur engagement.

  • 64  Journal de terrain, DT1, 6 avril 2011.

Un Mauritanien, reconnu comme réfugié, est en France depuis 2008. L’auditrice lui remet son attestation de dispense de formation linguistique mais le monsieur souhaite bénéficier d’une formation afin d’améliorer son niveau de langue. L’auditrice vérifie alors que le monsieur veut «  vraiment » la faire, parce que «  quand on commence, il faut la terminer »64.

39Ce n’est cependant pas le cas de tous les agents. Sihem, au contraire, insiste sur le fait que les signataires sont des adultes, capables de prendre des décisions  :

  • 65  Entretien avec Sihem, auditrice, 26 juin 2013.

Des fois, on a tendance à croire que parce qu’ils sont étrangers, ils sont un peu idiots, en plus s’ils maîtrisent pas la langue. C’est des adultes, dans leur pays, ils avaient un statut, ça reste des adultes, c’est pas des enfants. Chacun prend ses responsabilités65.

  • 66  Journal de terrain, DT2, 29 juin 2011.
  • 67  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

40Les auditrices ont pour consigne de présenter le contrat comme un acte réciproque. Peu dérogent à celle‑ci. Aussi, reprenant le discours institutionnel de l’OFII, elles présentent le CAI comme un contrat réciproque, où chaque partie aurait des droits et des devoirs, effaçant ainsi le rapport inégalitaire entre une institution d’État et un individu, étranger de surcroît : «  Le CAI est un contrat obligatoire entre deux parties. L’État à travers le préfet s’engage à financer des formations et vous, vous vous engagez à les suivre66. »  ; «  L’État s’engage à financer les formations et vous à les suivre. C’est ça la réciprocité67. » Si les auditrices ne le présentent pas ainsi, elles ne manquent jamais de rappeler qu’en signant le CAI les signataires s’engagent à suivre les formations.

  • 68  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.
  • 69  Journal de terrain, DT1, 18 mai 2011.

41Si certaines auditrices ont conscience que le contrat peut être vécu par les signataires comme une contrainte, elles opèrent une transformation de la contrainte en cadeau («  La journée est offerte autant en profiter68 ») ou estiment que les formations peuvent apporter une aide («  Faut pas vivre ça comme une contrainte. C’est une aide. C’est pour vous donner un coup de pouce69 ») ou être l’occasion de poser des questions. Ainsi, une auditrice considère que  :

  • 70  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

Il ne faut pas voir la journée de formation civique, comme une obligation, une contrainte parce que souvent ils le voient comme ça, «  ah, la journée de formation civique, je suis là depuis dix ans  ! » Non, il y a toujours des questions, ils ont toujours des questions à poser donc autant en profiter le jour de cette formation civique. […] Je ne pense pas que ce soit une perte de temps. Faut pas qu’on le voie comme une punition, je pense que quand on y assiste, on apprend des choses70.

  • 71  Journal de terrain, DT3, 28 mars 2012.

42La contrainte exercée sur les signataires peut aussi être interprétée comme utile pour le «  bien des gens ». Pierre, durant un audit avec une jeune femme turque, demande à l’interprète de lui indiquer que les formations, «  non seulement, c’est obligatoire, mais c’est bien pour elle71 ». Un auditeur m’explique que quand les personnes ne vont pas suivre les cours de formation linguistique  :

  • 72  Entretien avec Adil, auditeur, 20 mai 2011.

On leur fait une relance, le langage il change un petit peu, pas répressif, mais bien entendu menaçant pour le bien de la personne, l’essentiel pour nous, c’est que la personne, pour la société, apprenne le français, c’est primordial pour la personne72.

  • 73  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.
  • 74  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

43Quand les signataires expriment une forme de résistance face à l’obligation de signer, le recours à la loi est utilisé comme argument d’autorité. Les auditrices s’y réfèrent quand les signataires émettent des réserves qui ne vont jamais jusqu’à la remise en cause du dispositif mais questionnent toutefois son bien‑fondé ou lorsque, de leur point de vue, ils dépassent le cadre de négociation accepté, notamment pour les dates de formation. C’est le cas par exemple lors d’un entretien que l’auditrice conclut en arguant  : «  Nous, on doit appliquer la loi. On nous l’impose73. » Lors d’une réunion collective, un signataire demande à quoi servent les attestations (qui sont délivrées à l’issue de chaque formation) pour des personnes qui savent déjà lire et écrire, ce à quoi l’auditrice répond  : «  C’est obligatoire, c’est comme ça, c’est la politique d’accueil de l’État. C’est pas vous qui décidez. C’est nous qui décidons en fonction de vos besoins de formation74. »

  • 75  Journal de terrain, DT1, 27 avril 2011.
  • 76  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.
  • 77  Journal de terrain, DT5, 4 juin 2013.

44Le plus souvent, le CAI est justifié comme un moyen d’obtenir la carte de séjour. Par exemple, pendant un audit, une auditrice prévient un signataire  : «  C’est obligatoire ces journées‑là, c’est pour vos papiers, c’est important75 ? »  ; ou lors de la réunion collective, les auditrices avertissent  : «  L’OFII vérifiera si vous avez suivi toutes vos formations, sinon, le renouvellement ou la carte de résident vous seront refusés. Les quatre attestations sont importantes, si vous ne présentez pas les quatre attestations, vous serez refusés, c’est un fait. Sachez que la première année, on est tolérants. Si jamais, vous revenez, vous n’avez pas respecté votre contrat, on ne sera pas conciliants76. »  ; «  S’il manque un document, la préfecture peut refuser. Voilà pourquoi il est important de respecter le contrat et de suivre les formations77. »

45La présentation du CAI comme déterminant pour le renouvellement des papiers se retrouve dans la loi puisque selon l’article L.311‑9 du Ceseda, «  lors du premier renouvellement de la carte de séjour, l’autorité administrative tient compte du non‑respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l’étranger, des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration » mais également dans les documents officiels de l’OFII. Le contrat indique dans son article 5 que «  le signataire est informé que le préfet […] tient compte de la signature du contrat et de son respect pour l’appréciation de la condition d’intégration républicaine de l’étranger dans la société française prévue pour la délivrance de la carte de résident ». Le fait que le renouvellement du premier titre de séjour soit conditionné au respect du contrat est ensuite relayé par les auditrices et les formatrices pendant la réunion collective, l’audit, les journées de formations, ce que regrette Adil  :

  • 78  Entretien avec Adil, 20 mai 2011.

Moi ce que je regrette parfois, c’est la manière avec laquelle on présente ce contrat. Là où il y a comme une certaine dérive, c’est pas parce qu’il est devenu obligatoire, mais parce que dans la présentation du CAI, on met un peu plus l’accent sur le volet répressif, parfois par facilité parce qu’on n’arrive pas à convaincre, on va dire vous aurez pas votre titre de séjour78.

  • 79  Pour ceux qui obtiennent un titre de séjour de dix ans, c’est‑à‑dire principalement les réfugiés, (...)
  • 80  Cependant, il semblerait que certaines préfectures vérifient lors de la demande de la carte de dix (...)

46De fait, certaines auditrices avertissent les signataires que s’ils ne respectent pas le contrat, ils seront sanctionnés par la préfecture79. Or cette condition ne semble pas prise en compte par la préfecture. Aucun des agents rencontrés lors cette recherche ne connaît une situation où un renouvellement de titre de séjour aurait été refusé80. Cette situation alarme le Haut conseil à l’intégration (2011, p. 95) qui regrette que le manque de respect du contrat «  ne soit pas effectivement sanctionné par le refus de renouveler une première carte de séjour, ou d’attribuer une première carte de résident ». Il recommande donc que «  les sanctions pour non‑respect du contrat d’accueil et d’intégration soient effectives dans les meilleurs délais ». Lorsque la préfecture vérifie et s’aperçoit que la personne ne peut présenter ses quatre attestations, elle met son dossier en attente, lui remet un récépissé et dirige le signataire vers l’OFII afin qu’il régularise sa situation.

47Je pose également la question au chef du Bureau de l’accueil en France et de l’intégration linguistique au ministère de l’Intérieur.

Enquêtrice  : Vous connaissez des cas de refus de renouvellement de carte de séjour  ?

  • 81  Entretien avec le chef du bureau de l’accueil en France et de l’intégration linguistique à la dire (...)

Chef du Bureau  : Non. Comme c’est enregistré, vous pourrez dire non. Il y a très peu de liens aujourd’hui. C’est une des limites du contrat d’accueil et d’intégration, je disais tout à l’heure, c’est droits et obligations, simplement la partie obligations, pour l’instant, elle ne va pas jusqu’au bout de la chose. Alors, je dis pas qu’en cas de non‑respect du contrat d’accueil, il faudrait qu’il y ait un non renouvellement du titre, mais qu’il y ait peut‑être une sanction qui existe parce que sinon on n’est plus sur une logique de contrat. Un contrat, c’est mutuel, et là, l’État s’engage à faire et le migrant, parfois, il ne s’engage pas à faire alors qu’il n’a pas de raisons de ne pas faire. Là encore, je parle pas de la personne qui trouve un travail et qui peut plus suivre les cours de français, mais je parle de la personne qui n’a pas de travail, qui ne suit plus les cours, là, il faudrait peut‑être qu’il y ait une sanction à un moment donné pour qu’on ait vraiment une logique de contrat81.

  • 82  Entretien avec la directrice de l’accueil et de l’intégration, OFII, 15 novembre 2013.

48Selon la responsable de la Direction de l’accueil et de l’intégration au siège de l’OFII, le CAI n’est pas un enjeu pour la préfecture. L’OFII doit informer la préfecture «  du suivi de parcours » des signataires afin que le préfet sache «  si la personne a rempli ou non ses obligations en matière d’accueil et d’intégration » car le pouvoir de décision lui appartient. En comparaison avec le retour ou l’asile, qui sont des enjeux importants pour les préfectures, «  l’activité CAI, c’est plan‑plan et y’a pas de sujet82 ». Alors que le renouvellement du titre de séjour est utilisé comme argument majeur afin de contraindre les étrangers à signer le contrat et surtout à assister aux formations, il semblerait que dans la pratique des préfectures, le respect du contrat ne soit pas pris en compte.

49Ainsi, les auditrices présentent plusieurs traits communs avec les agents de base de l’administration dans la mesure où elles sont en contact direct avec les étrangers et doivent délivrer des documents nécessaires à la «  carrière de papier » des signataires (Spire, 2005a). Cependant, les ressources qu’elles octroient apparaissent relativement peu importantes. En effet, elles n’interviennent pas dans l’octroi d’allocations comme les guichetiers de la CAF ou les professionnels impliqués dans la délivrance du RSA ou, en ce qui concerne plus spécifiquement le champ des politiques d’immigration, les auditrices de l’OFII, contrairement aux agents de la préfecture, n’évaluent pas l’assimilation des candidats en vue de leur naturalisation ni ne délivrent de titres de séjour. Si elles doivent procéder à des arbitrages, cela concerne la prescription de la formation linguistique ou de la formation «  Vivre en France » mais ces choix sont fortement encadrés par les pratiques en vigueur et les consignes émanant du siège. Ainsi, ces pratiques discrétionnaires sont exceptionnelles et sans enjeux décisifs étant donné l’importance limitée que revêt le CAI. Ce qui est délivré à l’OFII fait partie de ces papiers administratifs nécessaires à l’obtention d’un document plus important  : le certificat de la visite médicale afin d’obtenir le titre de séjour, le contrat et les attestations de présence aux formations pour son renouvellement. Finalement, dans la mesure où le guichet des auditrices constitue le «  point de contact » entre la politique d’accueil et les étrangers, le CAI apparaît donc comme une politique «  au guichet ». En revanche, le fait de l’analyser comme une politique «  du guichet », pour reprendre la distinction opérée par Vincent Dubois (2010), est plus problématique. Ce dernier mobilise le critère du pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur les travaux d’Alexis Spire sur la politique d’immigration et en ce sens, comme on l’a dit, les auditrices, contrairement aux agents de la préfecture, ont peu de pouvoir de décision. Néanmoins, si leur marge de manœuvre est restreinte, cela n’empêche pas les agents d’investir leur rôle en se référant au travail social et donc de «  prendre une part active à la définition des politiques qu’ils sont censés mettre en œuvre » (Dubois, 2010, p. 281). Par ailleurs, le CAI constituerait aussi une «  politique du guichet » dans le sens où il s’appuie sur un «  mode de gouvernement » qui vise à responsabiliser les destinataires des politiques publiques – de leur intégration dans le cas du CAI − et à réguler leurs comportements individuels. Ainsi, si le CAI est bien une politique au guichet, du fait de leur pouvoir discrétionnaire limité compte tenu de l’enjeu relatif de ce qui est délivré, les agents de l’OFII ne correspondent pas à la définition canonique des street‑level bureaucrats. Cela est révélateur des rapports de force dans le champ de l’administration des étrangers, dominé par la préfecture. Mais la position des agents de l’OFII témoigne également d’une transformation de l’État social contemporain et du rôle des agents de terrain  : ce qui est délivré n’est pas directement une prestation ou une allocation indispensable mais plutôt d’ordre symbolique dans la mesure où l’un des enjeux majeurs du CAI est de transmettre les valeurs de la République (Gourdeau, 2016). Il est alors attendu des signataires de démontrer leur adhésion à ces valeurs afin de dissiper toute suspicion à leur égard, notamment celle de ne pas vouloir s’intégrer.

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Notes

1  Ce caractère discrétionnaire s’explique par le fait que leur travail en situation est trop compliqué pour être réduit à des programmes précis et pré‑établis puisqu’il doit apporter des réponses à des situations humaines.

2  Les pratiques au travail sont entendues «  comme les pratiques telles qu’elles sont observées par le chercheur ou restituées au chercheur par les travailleurs eux‑mêmes. Elles recouvrent en toute rigueur les pratiques de travail conformes aux dimensions officielles de l’activité et les pratiques qui s’en écartent, autrement dit les pratiques informelles. » (Avril et al., 2010, p. 27).

3  Je remercie Xavier Dunezat pour la relecture d’une première version de cet article et pour ses suggestions ainsi que les relecteurs de la revue pour leurs conseils précieux.

4  Cette obligation ne concerne donc ni les étudiants, ni les travailleurs saisonniers, ni les salariés en mission. Par ailleurs, les étrangers qui ont effectué leur scolarité dans un établissement français pendant au moins trois ans en sont dispensés ainsi que ceux qui ont suivi des études supérieures en France pendant au moins une année «  sur présentation de documents attestant de la réalité de ces études ».

5  La catégorie administrative «  jeune majeur » renvoie aux personnes âgées de 16 à 18 ans qui ont été scolarisées en France et qui obtiennent pour la première fois un titre de séjour.

6  «  Auditeur social » est une catégorie administrative propre à l’Office des migrations internationales (OMI). Nous faisons l’hypothèse qu’elle a été

créée pour distinguer les agents chargés de l’accueil des nouveaux arrivants des autres agents administratifs.

7  Afin de ne pas surcharger le texte, j’écrirai «  auditrice » pour nommer les agents du bureau d’accueil et d’intégration dans la mesure où les auditeurs sont en grande majorité des femmes. Le terme «  signataire » est utilisé pour désigner les étrangers et étrangères catégorisés par l’État comme «  primo‑arrivants », alors qu’une partie d’entre eux vit en France depuis plusieurs années. De la variété des parcours migratoires des personnes convoquées dans les directions territoriales de l’OFII, je retiens la procédure commune par laquelle ils doivent passer pour obtenir un titre de séjour  : signer le CAI et assister aux formations prescrites.

8  Il s’agit ici d’un usage extensif du terme «  audit » qui est généralement synonyme d’entretien.

9  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

10  Les agents de l’OFII ne sont pas fonctionnaires mais contractuels à durée indéterminée.

11  Par exemple à la DT3, l’équipe est composée de 13 personnes dont 7 femmes mais à la DT4, 9 personnes, et à la DT5, 3 personnes, les auditrices sont exclusivement des femmes.

12  Cette tendance est toutefois à relativiser si l’on prend en compte l’ensemble des directions territoriales puisqu’en 2017, sur 31 directions territoriales, 18 sont dirigées par des femmes. Le siège quant à lui est constitué d’un directeur général, d’une directrice générale adjointe et d’une secrétaire générale. Néanmoins, en tant qu’agence d’État, la féminisation de la direction de l’OFII reste importante.

13  Une auditrice décrit le concours comme suit  : « Il y avait un écrit, il y avait un texte, il fallait faire le résumé de ce texte. [...] Ensuite, un entretien avec des membres de la direction de l’OFII avec des questions du type  : Que pensez‑vous de l’immigration choisie  ? Et une autre question que j’ai considéré aussi comme tendancieuse et voulant me sonder. » (Entretien avec Joëlle, auditrice, 20 juin 2013). Pour le concours interne que Zouina a passé, il s’agissait d’un questionnaire à choix multiples de 150 questions et de deux dissertations portant sur la laïcité et sur la discrimination positive (Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011).

14  Nos observations ne nous ont pas permis d’expliquer ces modes d’engagement différents en fonction des caractéristiques sociales et des trajectoires des agents.

15  Journal de terrain, DT3, 14 mars 2012.

16  Entretien avec Joëlle, auditrice, 20 juin 2013.

17  Entretien avec Antoine, 12 décembre 2012.

18  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

19  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

20  Entretien avec Nadège, 11 décembre 2012.

21  Journal de terrain, DT3, 28 mars 2012.

22  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

23  Entretien avec Maria, auditrice, 25 septembre 2013.

24  Journal de terrain, DT3, 14 mars 2012.

25  Journal de terrain, 25 mai 2011.

26  Le Service social d’aide aux migrants (SSAE), association créée en 1926, engagée dans l’accompagnement social des étrangers, est absorbé par l’Office des migrations internationales (OMI), structure administrative en 2005. Sur l’histoire du SSAE, voir l’ouvrage de Lucienne Chibrac (2005), ancienne directrice de l’action sociale au SSAE ainsi que Faïza Mahjoub‑Guélamine (1997) et Alain Morice (2007).

27  Entretien avec Orkia, auditrice, 21 juin 2012.

28  Entretien avec Antoine, auditeur, 12 décembre 2012.

29  Entretien avec Adil, auditeur, 20 mai 2011.

30  Entretien avec Maria, auditrice, 25 septembre 2013.

31  Le taux de prescription du bilan de compétences professionnelles est ainsi passé de 60,20  % des signataires en 2012 à 40,3  % en 2013.

32  Journal de terrain, 25 mai 2011.

33  Journal de terrain, DT2, 9 juin 2011.

34  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

35  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

36  Journal de terrain, DT3, 14 mars 2012.

37  Journal de terrain, DT4, 17 juin 2013.

38  Sur le (mauvais) accueil en préfecture, voir par exemple (Dunezat, 2016).

39  Journal de terrain, DT3, 15 mai 2012.

40  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

41  L’OFII peut résilier les contrats de personnes qui n’ont pas assisté aux formations et qui, après deux rappels, ne justifient pas leurs absences.

42  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

43  Il faut souligner que la dichotomie entre travail administratif et travail social déployée dans ce texte ne permet pas d’analyser les dimensions de contrôle, d’imposition de normes et de maintien de l’ordre social que peut endosser le travail social. Par ailleurs, on retrouve dans ce secteur cette tension entre, d’un côté, une aspiration à aider des personnes et, de l’autre, l’exercice du contrôle. En effet, les travailleurs sociaux sont également pris dans des restrictions budgétaires, des objectifs chiffrés et des évaluations (Ion & Ravon, 2002) et doivent négocier au quotidien des injonctions contradictoires.

44  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

45  Journal de terrain, DT1, 18 mai 2011.

46  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

47  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

48  Journal de terrain, DT2, 9 juin 2011.

49  Journal de terrain, DT4, 4 avril 2013.

50  Journal de terrain, DT4, 4 avril 2013.

51  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

52  Entretien avec Antoine, auditeur, 12 décembre 2012.

53  Sur la représentation de la «  femme immigrée » comme nécessairement soumise et opprimée, voir (Gourdeau, 2015b).

54  Journal de terrain, DT3, 28 mars 2012.

55  Avec le Contrat d’intégration républicaine, cette obligation est supprimée.

56  Journal de terrain, DT1, 30 mars 2011.

57  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

58  Journal de terrain, DT3, 23 mai 2012.

59  Journal de terrain, DT3, 14 juin 2012.

60  Journal de terrain, DT4, 5 juin 2013.

61  Journal de terrain, DT4, 4 avril 2013.

62  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

63  Journal de terrain, DT1, 1er juin 2011.

64  Journal de terrain, DT1, 6 avril 2011.

65  Entretien avec Sihem, auditrice, 26 juin 2013.

66  Journal de terrain, DT2, 29 juin 2011.

67  Journal de terrain, DT1, 4 mai 2011.

68  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

69  Journal de terrain, DT1, 18 mai 2011.

70  Entretien avec Sandrine, auditrice, 31 mai 2011.

71  Journal de terrain, DT3, 28 mars 2012.

72  Entretien avec Adil, auditeur, 20 mai 2011.

73  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

74  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

75  Journal de terrain, DT1, 27 avril 2011.

76  Journal de terrain, DT2, 23 juin 2011.

77  Journal de terrain, DT5, 4 juin 2013.

78  Entretien avec Adil, 20 mai 2011.

79  Pour ceux qui obtiennent un titre de séjour de dix ans, c’est‑à‑dire principalement les réfugiés, les auditrices reportent l’obligation de détenir les attestations de présence aux formations à la demande de nationalité.

80  Cependant, il semblerait que certaines préfectures vérifient lors de la demande de la carte de dix ans.

81  Entretien avec le chef du bureau de l’accueil en France et de l’intégration linguistique à la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration du ministère de l’Intérieur, 17 septembre 2013.

82  Entretien avec la directrice de l’accueil et de l’intégration, OFII, 15 novembre 2013.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Camille Gourdeau, « « Nous, on n’est pas la préfecture ! » », Sociologie [En ligne], N° 2, vol. 9 |  2018, mis en ligne le 18 juillet 2018, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3812

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Auteur

Camille Gourdeau

camillegourdeau@gmail.com
Socio‑anthropologue, chercheure associée à l’Urmis, Université Paris Diderot - Université Paris‑Diderot‑Paris 7/URMIS, Case 7027, 75205 Paris cedex 13, France

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