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AccueilNumérosN° 4, vol. 9EnquêtesL’évolution de la structure sociale (…)

L’évolution de la structure sociale dans quinze pays européens (1993-2013) : quelle polarisation de l’emploi ?

Changes in social structure in 15 European countries (1993-2013): Questioning the job polarisation thesis
Camille Peugny

Résumés

Cet article vise à contribuer au débat sur l’existence d’un mouvement de polarisation des structures sociales en Europe. Tandis que la plupart des travaux sur ce thème adoptent une approche assez limitée de la qualité des emplois, mesurée uniquement à l’aune du salaire, il s’agit de proposer une approche plus sociologique, accordant davantage d’attention au secteur d’activité et aux conditions d’emploi. À partir des données des European Union Labour Force Survey (EU-LFS), et en utilisant la nomenclature socio-économique européenne (ESeG), trois types d’évolution de la structure sociale en Europe sont d’abord mis en évidence, la France appartenant au groupe de pays connaissant une dynamique de polarisation particulièrement marquée. Outre une hausse de la part des emplois les plus et les moins qualifiés, on y observe un déclin important de la part des emplois de qualification intermédiaire. Pour autant, la diversité des dynamiques de l’emploi en Europe montre que le changement technologique ne peut pas constituer la seule grille de lecture de l’évolution de la structure sociale, comme le postulent certains travaux. Dans un second temps, il s’agit de décrire plus finement les conditions d’emploi caractéristiques des emplois subalternes dans les différents pays. En France et dans les pays du sud de l’Europe, dans lesquels la tertiarisation des emplois subalternes est particulièrement prononcée, les conditions d’emploi des salariés les moins qualifiés des services apparaissent particulièrement détériorées.

Changes in social structure in 15 European countries (1993-2013): Questioning the job polarisation thesis

This article contributes to the debate on polarization of European social structures. Unlike most studies on this topic, which take a fairly restrictive approach to job quality based solely on wage, the present research proposes a more sociological method which brings in the sector of activity and working conditions. Based on the European Union Labour Force Survey (EU-LFS) dataset and using the European Socioeconomic Groups (ESeG) classification, three patterns of change in European social structures are identified. Among the identified patterns, France belongs to the group of countries experiencing particularly strong polarisation. In addition to a rise in the proportion of the most and least skilled jobs, the country is also experiencing a sharp decline in middle-skilled jobs. Nevertheless, diverse employment trends in Europe show that, contrary to what certain studies contend, technological change cannot be the only interpretive lens through which shifts in social structure are viewed. The article goes on to provide a more fine-grained description of working conditions in lower-status jobs in the different countries under consideration. In France as well as in Southern European countries, where the expansion of lower-status jobs in the tertiary sector is especially pronounced, the working conditions of the least-skilled service sector employees appear to be particularly deteriorated.

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Texte intégral

1L’avènement des sociétés post-industrielles, annoncé dès les années 1960 par Daniel Bell, devait aller de pair avec la montée des « cols blancs » et l’érosion marquée de la part des « cols bleus » dans la population active des sociétés occidentales (Bell, 1973). Indissociable de la tertiarisation rapide des économies dans les décennies d’après-guerre, portée par la forte croissance des Trente Glorieuses et rendue inéluctable par les progrès technologiques, cette diffusion rapide des emplois qualifiés dans le secteur des services devait se traduire par un puissant mouvement d’aspiration vers le haut de la structure sociale dans la plupart des pays occidentaux. Cette dynamique de l’emploi s’accompagnant d’une amélioration assez généralisée des conditions de vie dans le contexte des Trente Glorieuses, il est alors de bon ton de questionner la validité du concept de classes sociales, voire de prononcer leur acte de décès (Nisbet, 1959). Les sociétés de l’abondance (Goldthorpe et al., 1969) tendraient à se « moyenniser » à mesure que le style de vie des « nouvelles couches moyennes salariées » (Bidou, 1985 ; Grunberg & Schweisguth, 1983) et autres « noyaux innovateurs » (Mendras, 1988) essaimerait dans l’ensemble de la structure sociale.

2Quelques décennies plus tard, ces travaux paraissent évidemment datés, étroitement liés au contexte économique de leur époque. Davantage « enterrées vivantes » que mortes (Van der Waal et al., 2007), les classes sociales ressurgissent, du moins dans leur versant « objectif », dès lors que le mouvement positif d’ensemble cesse de dissimuler l’ampleur des inégalités. Ce « retour » des inégalités et des classes sociales (Chauvel, 2001), amplement documenté depuis le début de la décennie 2000, s’accompagne de nouveaux clivages et de nouvelles formes de polarisation sociale liées aux profondes transformations du capitalisme et à la mondialisation des échanges (Castel, 1995, 2009 ; Reich, 1991). L’émergence d’un marché mondial contribue à mettre en concurrence les entreprises et les salariés à l’échelle de la planète. Par conséquent, parmi les salariés, les trajectoires divergent de manière croissante entre une fraction des plus qualifiés, préparés à la mondialisation de l’économie, dotés des compétences et ressources qui leur permettent de se muer en « entrepreneurs de leur propre carrière » (Castel, 2003), et les ouvriers et employés peu qualifiés, travaillant dans des secteurs malmenés par l’ouverture des échanges. Si les « manipulateurs de symboles, ces professions hautement qualifiées » qui œuvrent dans le secteur juridique ou dans la finance, « toujours prêts à déplacer leurs maisons, leurs laboratoires et leurs bureaux » tirent profit de la mondialisation, ce n’est évidemment pas le cas des « travailleurs routiniers de plus en plus concurrencés par les travailleurs des pays pauvres » (Wagner, 2007, p. 25). Il est alors possible de soumettre au débat une opposition entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation : particulièrement documenté par les politistes et les spécialistes de sociologie électorale, ce clivage expliquerait en partie les succès des partis populistes d’extrême-droite dans de nombreux pays européens (Kriesi et al., 2008).

3Du point de vue de la structure des emplois, la montée du secteur des services se traduit quant à elle d’une manière plus générale par une augmentation assez rapide du nombre d’emplois dits « peu qualifiés » occupés par des salariés qui constituent de ce fait un segment à part de la main d’œuvre, voire une « nouvelle classe sociale » (Chardon & Amossé, 2006). Ces emplois dans lesquels sont surreprésentés les femmes, les jeunes et les immigrés représentent un risque de confinement ou d’assignation pour celles et ceux qui les occupent car « la sphère des postes non qualifiés offre peu de connexion avec la sphère des emplois qualifiés » (Alonzo & Chardon, 2006). Ce clivage entre qualifiés et non qualifiés recoupe en grande partie celui qui sépare, sur le marché du travail, les insiders et les outsiders (Emmenegger, 2009 ; Emmenegger et al., 2012 ; Lindbeck & Snower, 1989). Contrairement aux premiers, qui bénéficient de formes d’emploi relativement stables et sécurisées, les seconds font face à des conditions d’emploi et des types de contrat de travail qui les situent en grande partie à la marge du salariat.

4Gagnants et perdants de la mondialisation, qualifiés et non qualifiés, insiders et outsiders : quel que soit le registre auquel elles renvoient, ces oppositions décrivent des structures sociales confrontées à un risque de polarisation des emplois. Certes, au cours des dernières décennies, la proportion d’emplois qualifiés a fortement augmenté dans les pays occidentaux. Ce n’est toutefois pas la seule dynamique à l’œuvre : depuis quelques années, plusieurs travaux ont fourni des résultats indiquant que le mouvement d’aspiration vers le haut de la structure des emplois n’est pas univoque (Oesch & Menés, 2011). Aux État-Unis (Autor et al., 2008 ; Wright & Dwyer, 2003), et en Grande-Bretagne (Goos & Manning, 2007), la part des emplois les moins qualifiés a elle aussi augmenté sensiblement dans la période récente, de sorte que la dynamique est celle d’une polarisation de la structure sociale.

5Dans cet article, nous proposons de contribuer au débat sur la nature d’un éventuel processus de polarisation sociale en Europe grâce à l’analyse de l’évolution de la structure de l’emploi dans une quinzaine de pays. Plus précisément, nous souhaitons apporter des éléments de réponse à deux questions importantes.

6La première concerne l’existence même de ce mouvement de polarisation. Si ce dernier semble solidement documenté aux États-Unis et au Royaume-Uni, le cas des autres pays européens suscite des controverses. Certains mettent en évidence un mouvement assez homogène de polarisation commun aux principaux pays de l’Europe continentale (Goos et al., 2009) tandis que d’autres, avec les mêmes données, produisent des résultats sensiblement différents en utilisant des nomenclatures d’emploi plus fines (Fernandez-Macias, 2012) : trois types d’évolution de la structure de l’emploi sont alors décrits en Europe, la polarisation n’étant que l’un d’entre eux.

7La seconde question, étroitement liée à la première, concerne les mécanismes générateurs des évolutions mesurées, et notamment la place du processus de changement technologique. Cette dernière est centrale pour les auteurs qui concluent à une dynamique assez générale de polarisation aggravée par le déclin de la part des emplois de qualification intermédiaire (Goos et al., 2014). Selon l’hypothèse dite de la « routinisation », les nouvelles technologies peuvent ainsi se substituer aux tâches routinières ou aux procédures itératives et codifiées, caractéristiques d’un salariat moyennement qualifié, mais elles n’ont que peu d’effet sur les emplois de service qui nécessitent une interaction avec autrui (Autor et al., 2003 ; Goos & Manning, 2007). En juillet 2017, c’est l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui dans son rapport annuel sur l’emploi met en garde contre les effets du changement technologique en termes de polarisation de l’emploi en raison d’une diminution de plus de sept points de la part des emplois « moyennement qualifiés » au sein des pays membres. Cet effet univoque du changement technologique est en revanche contesté par les travaux mettant en évidence une pluralité des types d’évolution de la structure sociale, plaidant quant à eux pour une prise en compte des institutions, des politiques publiques ou du type d’État-providence (Fernandez-Macias & Hurley, 2017 ; Oesch, 2015).

  • 1 Dans le cas de la France, les données de l’enquête Emploi permettent d’estimer la durée hebdomadair (...)

8Pour apporter des éléments de réponse à ces deux questions, celle de l’existence même d’un mouvement de polarisation et celle des facteurs explicatifs, nous proposons une analyse sociologique reposant sur des choix méthodologiques différents. En effet, quels que soient les résultats auxquels ils parviennent, les travaux précédemment cités privilégient une approche en termes de « qualité de l’emploi » mesurée uniquement par le salaire. À partir d’une nomenclature plus ou moins détaillée, il s’agit de classer les emplois en fonction de leur salaire médian et de mesurer l’évolution de la part des différents fractiles d’emplois ainsi obtenus. Le salaire est évidemment un indicateur non négligeable de la qualité de l’emploi et de la place des individus dans la structure sociale. Pour autant, ce choix présente deux défauts majeurs. Il repose d’abord sur un parti-pris méthodologique très contestable dans la mesure où seul le salaire horaire est pris en compte, ce qui n’a guère de sens lorsqu’il s’agit de rendre compte de la diffusion des emplois les moins qualifiés et les plus précaires. En effet, pour ces emplois, le manque d’heures de travail constitue bien souvent une dimension centrale des conditions d’emploi1 – c’est notamment le cas dans le secteur des services à la personne ou dans la vente. Par conséquent, considérer le seul salaire horaire ne permet pas de rendre compte de la réalité de l’évolution de la structure sociale, réalité caractérisée par le fait que nombre de salariés dans les emplois les moins qualifiés figurent parmi les travailleurs pauvres. Il faut donc impérativement tenir compte du paramètre de la durée du travail. Ensuite, au-delà du salaire, il convient de prendre en compte d’autres paramètres pour décrire correctement la qualité des emplois. Dans les pays ayant instauré un salaire minimum, ce dernier peut par exemple caractériser un grand nombre d’emplois appartenant à des secteurs d’activités très différents, se caractérisant là encore par des conditions d’emploi divergentes.

9Ainsi, dans ce travail, nous proposons d’abord une approche en termes de catégories socioprofessionnelles destinée à mettre en évidence l’évolution de la part des différents groupes d’emplois. Les nomenclatures socioprofessionnelles constituent certes des outils imparfaits, mais elles permettent une approche de la qualité des emplois plus fine que celle reposant sur le seul salaire, notamment parce qu’elles tiennent compte du secteur d’activité. Ensuite, pour prendre en compte le faible temps de travail dans un certain nombre d’emplois, nous utilisons la part de temps partiels subis pour mieux décrire la qualité des emplois dans le bas de la structure sociale.

Données et nomenclatures

10Dans ce travail, nous exploitons les données des European Union Labour Force Survey (EU-LFS). Chaque trimestre, les vingt-huit pays membres de l’Union européenne doivent réaliser une enquête sur l’emploi permettant de mesurer la participation au marché du travail et son corollaire, le taux de chômage. Eurostat assure la centralisation des données collectées par les instituts statistiques nationaux. Les données et les nomenclatures sont harmonisées afin de favoriser la production de statistiques au niveau européen mais aussi de permettre des comparaisons entre pays.

Une comparaison entre quinze pays

11Le fichier EU-LFS harmonisé, transmis aux chercheurs sur projet de recherche, présente un certain nombre de défauts. D’abord, il contient un nombre restreint de variables qui concernent principalement l’emploi, les raisons du non-emploi et les démarches effectuées pour retrouver un travail. Les variables concernant le niveau d’éducation sont en nombre limité et fournies à un niveau très agrégé, beaucoup plus par exemple que dans l’enquête Emploi de l’Insee en France. Par ailleurs, il est impossible de situer socialement les enquêtés autrement que par leur profession puisqu’aucune variable concernant les parents n’est disponible. Pour des raisons liées à l’anonymisation des données, les fichiers remis aux chercheurs sont dépourvus de quelques éléments importants pour l’analyse. La nomenclature ISCO, utilisée pour coder la profession des individus n’est pas fournie dans son niveau le plus détaillé, tout comme la nomenclature des activités économiques, ce qui nuit à la finesse des regroupements opérés et se traduit par une perte d’intelligibilité de la structure sociale. De même, il n’est pas possible de distinguer la taille de l’entreprise lorsque les effectifs sont inférieurs à dix salariés, ce qui ne permet pas de correctement décrire les différentes catégories d’indépendants. Autre élément, la taille des échantillons diffère sensiblement d’un pays à l’autre, ce qui fragilise les tentatives de comparaison entre les différents pays.

  • 2 Les pays pour lesquels les données étaient disponibles en 1993 et en 2013 (ou du moins avec des don (...)

12Ces réserves étant posées, les données permettent toutefois d’avancer des éléments de comparaison et notamment de situer la France par rapport aux autres pays européens2, du point de vue de sa structure sociale et de son évolution. Dans cet exercice, nous considérons des pays scandinaves (Suède, Finlande, Danemark), des pays du sud de l’Europe (Italie, Espagne, Portugal, Grèce), ainsi que le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche. Nous essayons également de donner des éléments concernant trois pays de l’Est de l’Europe (République tchèque, Roumanie, Hongrie).

13Comme dans toute entreprise d’analyse comparée, la réflexion se heurte à des obstacles liés aux différences structurelles entre les pays, a fortiori lorsque des questions liées à la structure sociale figurent au cœur de l’analyse. Comment comparer des structures sociales aussi différentes que celle du Danemark et de la Roumanie ? Comment comparer les emplois caractéristiques des classes populaires lorsque la part des indépendants peut varier de un à quatre entre certains pays scandinaves et certains pays d’Europe orientale ? Comment parler des classes populaires en Grèce où la part des petits entrepreneurs approche les 30 % ? Les résultats et analyses qui suivent ne fournissent pas d’éléments de réponse satisfaisants à toutes ces questions redoutables. Il s’agit plus modestement de les garder en tête lorsque des éléments de comparaison entre les pays seront soumis à l’analyse.

Une nomenclature des catégories socioprofessionnelles

  • 3 Le langage de la qualification, très présent dans les analyses qui vont suivre, nécessite quelques (...)

14Utiliser les données des EU-LFS impose de rompre avec les traditionnelles catégories socioprofessionnelles françaises. Dans ce travail, nous reconstituons les groupes du projet de nomenclature ESeG (European Socioeconomic Groups) à partir des libellés de professions codés dans la nomenclature ISCO (International Standard Classification of Occupations) du Bureau international du travail. La nomenclature ESeG est en quelque sorte le produit de près de deux décennies de débats au niveau européen. Dès le début des années 1990, des discussions s’ouvrent en effet au sein d’Eurostat concernant l’opportunité de penser une nomenclature socio-économique européenne (Filhon et al., 2013). Au milieu des années 2000, un groupe de travail animé par les chercheurs britanniques David Rose et Eric Harrison élabore un projet de première classification baptisé ESeC (European Socio-Economic Classification). Accordant une place centrale à la relation d’emploi, se situant ainsi très clairement dans la lignée des travaux de John Goldthorpe, elle est assez vivement critiquée au point qu’Eurostat mandate une évaluation menée par quatre instituts statistiques nationaux, dont l’Insee pour la France. À l’issue de ce travail, Eurostat a chargé l’Insee de piloter un groupe de statisticiens européens dont l’objectif doit être de proposer une nouvelle nomenclature tirant parti du réaménagement de la nomenclature ISCO en 2008, qui accorde plus de place que sa version de 1988 aux niveaux de qualification (Amar et al., 2014). Plusieurs études sont alors réalisées, en partenariat avec des chercheurs, afin de tester la pertinence et la portée des regroupements proposés. Au final, au niveau le plus agrégé, le projet ESeG propose sept groupes pour les actifs en emploi : les « cadres dirigeants », les « cadres experts », les « petits entrepreneurs », les « professions intermédiaires », les « ouvriers qualifiés », les « employés qualifiés » et les « professions peu qualifiées ». Pour les constituer, il est nécessaire de disposer de trois variables : la profession codée en ISCO, le statut d’emploi (salarié ou indépendant) et la nomenclature d’activité économique européenne. La nomenclature ESeG peut se décliner à un niveau plus fin, des sous-groupes pouvant être distingués à l’intérieur de chacune de ces grandes catégories, mais dans sa forme la plus agrégée, elle appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, contrairement à nos catégories socioprofessionnelles françaises, elle ne prend pas en compte, même a minima, le clivage public/privé. Par ailleurs, parmi les cadres dirigeants, elle ne distingue pas les indépendants des salariés (il s’agit ici d’un point commun avec les catégories socioprofessionnelles française et ses « cadres et professions intellectuelles supérieures » regroupant des professions libérales et des cadres salariés). Enfin, la frontière employés/ouvriers ne constitue pas un clivage absolument majeur dans la mesure où les « professions moins qualifiées » regroupent aussi bien des emplois d’ouvriers (par exemple, les manœuvres de l’industrie) que des emplois d’employés (par exemple, le personnel d’entretien et de nettoyage). Enfin, au niveau le plus agrégé, les salariés de l’agriculture ne sont pas isolés et sont classés avec les autres professions peu qualifiées3.

  • 4 Les compositions des différentes catégories de la nomenclature pour 1993 et pour 2013 figurent en a (...)

15En théorie, la nomenclature ISCO dite « à deux chiffres » est suffisante pour constituer les différents groupes, même si un tel niveau d’agrégation peut se traduire par des choix parfois discutables, notamment dans le bas de la structure des emplois, parmi les employés. Par exemple, les employés de la vente figurent en bloc parmi les professions moins qualifiées, tandis que les employés de la sécurité sont classés parmi les employés qualifiés des services. Or, ces deux catégories sont très hétérogènes : parmi les employés de la sécurité figurent aussi bien des fonctionnaires de police que des gardes du corps ou des vigiles du secteur privé. Pour essayer de procéder à des regroupements moins globaux, nous avons utilisé la nomenclature ISCO « à trois chiffres », qui ne suffit toutefois pas à évacuer toutes les questions. Si elle permet de procéder à quelques distinctions bienvenues, elle ne permet pas le même degré de découpage que le niveau le plus fin, « à quatre chiffre », non fourni aux chercheurs. Enfin, comparer des évolutions dans le temps conduit à une autre difficulté liée à la nécessité de travailler avec deux nomenclatures ISCO différentes : la version 1988 dans laquelle sont codées les données des années 1990 et la version 2008 pour les données récentes. Même si nous avons veillé à ce que la composition des groupes ESeG soit la plus stable possible, le changement de nomenclature ISCO peut biaiser à la marge les résultats présentés, du moins pour certaines catégories. Pour en tenir compte, nous tenterons de raisonner par grands agrégats, afin de limiter la tentation de commenter des évolutions dont les origines peuvent être en partie liées à des choix ou contraintes méthodologiques4.

Régularités et singularités nationales : des arguments en faveur de la thèse de la polarisation des structures sociales en Europe

16Dans un premier temps, nous présentons quelques grandes tendances à partir d’une version intermédiaire de la nomenclature ESeG. Au sein des « petits » entrepreneurs, nous distinguons les agriculteurs des artisans et commerçants ; parmi les employés qualifiés, nous isolons les employés administratifs des employés des services (Tableaux 1a et 1b).

Tableau 1a : La structure sociale de 16 pays en 2013 (en %)

Tableau 1a : La structure sociale de 16 pays en 2013 (en %)

Tableau 1b : La structure sociale de 16 pays en 1993* (en %)

Tableau 1b : La structure sociale de 16 pays en 1993* (en %)

* Sauf Autriche (1995), République tchèque (1997), Finlande (1997), Hongrie (1997) et Suède (1997). Source : EU-LFS. Lecture : en 1993, 18 % des actifs en emploi en Allemagne exercent une profession intermédiaire salariée au sens de la nomenclature ESeG.

Une diffusion généralisée du salariat moyen et supérieur

17Entre 1993 et 2013, la part des cadres au sens large (dirigeants et experts) a augmenté sensiblement dans tous les pays à l’exception de la Finlande où elle est restée relativement stable. Cette augmentation s’observe aussi bien dans les pays du nord de l’Europe où cette proportion était déjà élevée au milieu des années 1990 que dans ceux où elle était plus faible, notamment dans les pays de l’est ou du sud de l’Europe. En 2013, la proportion de cadres varie néanmoins fortement selon les pays, de 15 % en Roumanie à plus de 35 % au Royaume-Uni. Le gradient géographique permet ici de dresser une hiérarchie plutôt claire : cette proportion est élevée dans les pays du nord de l’Europe (35 % aux Pays-Bas, 33 % en Suède, 29 % au Danemark) et plus faible dans les pays du sud et de l’est (outre la Roumanie, 18 % en Italie, 20 % en République tchèque et en Hongrie). La France (24 %), l’Allemagne (23 %) et l’Autriche (21 %) apparaissent par ailleurs beaucoup plus proches de ce point de vue des pays du sud de l’Europe que des pays du nord.

18Dans tous les pays, la structure sociale s’est donc élevée vers le haut et l’ampleur de ce mouvement est encore plus forte si l’on ajoute aux cadres dirigeants et experts les professions intermédiaires salariées. La hausse de la proportion de ce salariat « qualifié » varie de 5 % en Finlande à 50 % en Espagne et les pays s’échelonnent alors selon un gradient géographique assez net (Figure 1). Avec 43 %, la France et l’Allemagne appartiennent au peloton de tête, certes assez loin des Pays-Bas (51 %), du Royaume-Uni (49 %) ou de la Suède (48 %) mais dans des situations comparables au Danemark ou à la Finlande. À l’inverse, les pays du sud et de l’est de l’Europe figurent en bas du classement, avec des proportions inférieures à 35 %.

Figure 1 : Évolution (1993-2013) de la part de cadres et professions intermédiaires salariées (en %)

Figure 1 : Évolution (1993-2013) de la part de cadres et professions intermédiaires salariées (en %)

Source : EU-LFS. Lecture : en 2013 aux Pays-Bas, les cadres et professions intermédiaires salariées représentent 50 % des actifs en emploi contre 45 % en 1993.

Parmi les salariés subalternes, la montée des emplois les moins qualifiés

19Second résultat : dans beaucoup de pays (11 sur 15), la part des professions les moins qualifiées augmente également, parfois de manière assez sensible, comme en Grèce (+ 6 points), en France et en Italie (+ 4 points) ou en Autriche et Allemagne (+ 3 points). À l’inverse, la proportion diminue dans plusieurs pays de l’est (République tchèque et Hongrie) et demeure relativement stable aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni (Figure 2). Le résultat peut surprendre dans ce dernier cas dans la mesure où le Royaume-Uni est un pays pour lequel la polarisation de la structure sociale semble avérée (Oesch, 2015). Un élément d’explication réside probablement dans la chronologie précoce de cette polarisation, déjà mesurée outre-manche dans les années 1980 (Goos & Manning, 2007).

20Dans la plupart des pays, ces évolutions signifient que la diffusion du salariat moyen et supérieur n’exclue pas, bien au contraire, la diffusion d’emplois subalternes se caractérisant par une position dégradée sur le marché du travail, des conditions de travail difficiles et des salaires très bas, notamment dans le secteur des services qui concentre l’essentiel des emplois regroupés parmi ces « professions les moins qualifiées » (Brousse & Gleizes, 2011). De tels résultats soulignent les limites des analyses décrivant de manière univoque « l’élévation vers le haut » des structures sociales dans les pays occidentaux.

Figure 2 : Évolution (1993-2013) de la part des « professions les moins qualifiées » (en %)

Figure 2 : Évolution (1993-2013) de la part des « professions les moins qualifiées » (en %)

Source : EU-LFS.

21La montée des emplois les moins qualifiés témoigne d’une profonde transformation de la répartition des emplois parmi les salariés subalternes. De fait, dans tous les pays, à l’exception de la Hongrie, la part des ouvriers qualifiés (dont 80 % travaillent dans l’industrie ou la construction au niveau européen) a diminué, et parfois dans des proportions impressionnantes. En Allemagne, Autriche, Espagne, France, Portugal et aux Pays-Bas, la proportion d’ouvriers qualifiés a ainsi diminué de 8 à 10 points en vingt ans. À l’inverse, même si la diminution est également marquée en République tchèque, les pays d’Europe de l’Est ont connu des saignées beaucoup moins fortes et conservent des proportions d’ouvriers qualifiés proches du quart de la population active. Quant aux pays scandinaves, ils semblent avoir mieux résisté que les pays du cœur de l’Europe avec des diminutions de l’ordre de 20 % en Suède, en Finlande ou au Danemark. Ainsi, la part d’ouvriers qualifiés en France était supérieure à celle observée dans ces pays scandinaves il y a vingt ans : désormais, cette proportion est inférieure à celle observée en Suède ou en Finlande et comparable à celle du Danemark. Ces pays, outre une part sensiblement plus élevée d’emplois de cadres, semblent avoir conservé une part d’emplois d’ouvriers qualifiés supérieure à ce qui est observé en France.

22Au final, en 2013, la proportion d’ouvriers qualifiés varie fortement selon les pays, s’échelonnant du simple au triple. C’est dans les pays du centre et de l’est de l’Europe qu’elle est la plus élevée, aux alentours de 25 % en Hongrie, République tchèque ou Roumanie. Cette proportion est minimale aux Pays-Bas et au Royaume-Uni (aux alentours de 8 %), et comprise entre 10 % et 15 % en Grèce, en Espagne, au Danemark, en Espagne et en France. Comparativement, l’Allemagne et l’Autriche conservent des proportions supérieures, de l’ordre de 17 %, même si ces deux pays ont vu leur proportion d’ouvriers qualifiés diminuer de plus du tiers en vingt ans.

23Cette érosion de la part des emplois plutôt qualifiés parmi les ouvriers, assez spectaculaire dans la plupart des pays de notre comparaison, n’a pas non plus épargné le monde des employés. Ainsi, la part des employés de bureau, dont la tâche est essentiellement de nature administrative, a diminué dans une dizaine de pays, parfois fortement comme en France (de 16 % à 10 %), au Danemark (de 13,5 % à 8 %), au Royaume-Uni (de 17,7 % à 9,7 %) ou en Suède (de 10,9 % à 5,8 %). Ici encore, l’Allemagne conserve une proportion de l’ordre de 13 %, supérieure à celle observée dans les pays voisins. L’Italie, les Pays-Bas ou l’Espagne ont quant à eux connu une diminution beaucoup plus faible de la part de ces employés administratifs.

Trois types d’évolution de la structure sociale en Europe

24Les évolutions de ces quatre grands groupes de professions entre 1993 et 2013 peuvent être analysées séparément. Pour chaque pays, il est toutefois indispensable de les considérer ensemble afin de mieux caractériser le type d’évolution de la structure sociale.

  • 5 Pour constituer cette catégorie, nous isolons, au sein du cinquième groupe ESeG, les « employés de (...)
  • 6 Pourquoi n’avoir pas considéré les « professions intermédiaires salariées » comme appartenant à cet (...)

25En effet, au-delà de l’évolution de la part des emplois les plus et les moins qualifiés, il est nécessaire de prendre en compte celle des emplois de qualification intermédiaire pour raisonner en termes de polarisation, particulièrement lorsque l’on cherche à vérifier ou infirmer l’hypothèse du rôle majeur du changement technologique selon laquelle ce dernier détruirait principalement des emplois moyennement qualifiés (Goos et al., 2014). Définir une liste d’emplois moyennement qualifiés n’est pas chose aisée. Si les économistes utilisant le seul salaire disposent d’un indicateur continu évitant bien des questionnements, l’usage d’une nomenclature des catégories socioprofessionnelles impose de définir des groupes de professions qui peuvent renvoyer à un niveau intermédiaire de qualification. Dans ce travail, nous considérons alors l’évolution de la part des emplois qualifiés de type industriel (sixième groupe ESeG) ainsi que celle des emplois d’employés administratifs5. La part des ouvriers qualifiés de l’industrie diminue dans tous les pays à l’exception de la Hongrie. Cette diminution est compatible avec les effets du changement technologique (une machine peut commander un robot industriel) mais elle est également étroitement liée à la concurrence internationale et à la division internationale du travail. Quant à l’évolution de la part des employés administratifs, elle peut fournir des éléments concernant les effets du changement technologique dans les administrations et dans les bureaucraties (un logiciel peut établir une fiche de paie)6.

26Si l’on excepte les trois pays de l’est de l’Europe, l’examen de l’évolution de la part de ces quatre grands groupes professionnels permet de distinguer trois grands types d’évolution de la structure sociale (Figure 3).

Figure 3 : Trois types d’évolution de la structure sociale en Europe

Figure 3 : Trois types d’évolution de la structure sociale en Europe

27La France, la Suède et l’Autriche constituent un premier groupe de pays connaissant une forme particulièrement nette de polarisation dans la mesure où quatre dynamiques se cumulent : une augmentation de la part des emplois de cadres (1), une augmentation d’au moins 20 % de la part des emplois les moins qualifiés (2), et au sein des emplois subalternes, une diminution d’au moins 20 % de la part des emplois d’ouvriers qualifiés de l’industrie (3) ainsi que de celle des employés administratifs (4). Dans le cas de la France, la part des professions les moins qualifiées a augmenté de quatre points pour atteindre le cinquième des salariés, tandis que la part des ouvriers qualifiés a beaucoup diminué (de 20 % à 12 %), tout comme celle des employés administratifs (de 16 % à 10 %).

28Un deuxième groupe de pays, comprenant l’Espagne, l’Italie, la Grèce et l’Allemagne, connaît une forme de polarisation dans la mesure où on y observe une augmentation de la part des emplois les plus qualifiés et une hausse d’au moins 20 % de celle des emplois les moins qualifiés. En revanche, si ces pays ont également connu une diminution de la part des emplois d’ouvriers qualifiés de l’industrie, la part des employés administratifs s’est quant à elle maintenue ou n’a que très peu diminué. Autrement dit, ces pays ne semblent pas subir d’érosion significative de la part des emplois de qualification intermédiaire dans le monde des bureaux.

  • 7 La part des employés administratifs ne diminue que de 10 % aux Pays-Bas que nous classons toutefois (...)

29La Finlande, le Danemark, le Portugal, le Royaume-Uni et les Pays-Bas constituent un troisième groupe de pays qui ne connaissent pas de réelle polarisation de leur structure sociale dans la mesure où la part des professions dites les moins qualifiées y semble relativement stable. Pour autant, ces pays sont confrontés à une diminution de la part de leurs emplois d’ouvriers qualifiés de l’industrie et de celle des employés administratifs7. Pour ces pays, tout dépend donc de la définition que l’on se donne de la polarisation : le fait que les emplois de qualification plutôt intermédiaire, dans l’industrie et dans les administrations, voient leur part décliner tandis que celle des professions les moins qualifiées se maintient pourrait être le signe d’une forme plus modérée de polarisation.

30Il est en revanche compliqué de situer les pays de l’est de l’Europe au sein de ce paysage. La Roumanie présente des évolutions compatibles avec celles mises en évidence dans le troisième groupe de pays mais avec des poids des quatre groupes professionnels très différents. La part des ouvriers qualifiés de l’industrie diminue fortement en République tchèque mais augmente en Hongrie. Les évolutions sont inversées concernant la part des emplois d’employés administratifs : baisse en Hongrie, légère hausse en République tchèque.

  • 8 Par ailleurs, l’analyse de E. Fernandez-Macias (2012) concerne la période 1995-2007 et ne permet pa (...)

31Comment analyser ces résultats ? Ils confirment que tous les pays européens ne sont pas confrontés à une dynamique identique de polarisation de leur structure sociale, ce qui va dans le sens des conclusions formulées par Enrique Fernandez-Macias (2012). Pour autant, sept des douze pays d’Europe occidentale font face à une augmentation d’au moins 20 % de la proportion des professions les moins qualifiées, et donc à une forme de polarisation de l’emploi qui ne peut pas apparaître aussi clairement lorsque l’on utilise le seul indicateur du salaire horaire8.

32Parmi ces sept pays, trois connaissent également un déclin sensible de la part des emplois de qualification intermédiaire, aussi bien dans l’industrie que dans le monde des bureaux, et présentent ainsi une évolution de leur structure sociale compatible avec l’hypothèse d’un rôle moteur du changement technologique (Autor et al., 2008). Si l’informatisation et les nouvelles technologies conduisent à la destruction des emplois de bureau dits « intermédiaires » et des emplois d’ouvriers dans le domaine de la production, elles ne peuvent se substituer aux emplois de service (par exemple dans le domaine des services à la personne), métiers dont la part augmente sensiblement. Pour autant, le changement technologique ne produit qu’une explication partielle et insuffisante. Certains pays ne connaissent pas de diminution sensible de l’espace des emplois administratifs, tandis que d’autres, qui y sont confrontés, ne connaissent pas pour autant de réelle polarisation dans la mesure où la part des professions les moins qualifiées n’augmente pas de manière significative.

33Pour rendre compte de la dynamique des structures sociales et aller au-delà des évolutions communes (baisse de la part des ouvriers de l’industrie et hausse du salariat le plus qualifié), il faut donc considérer d’autres facteurs, au premier rang desquels figurent les politiques publiques. Ainsi, la baisse inégale de la part des emplois d’employés administratifs tient en partie à des différences dans la structure par secteur d’activité : en Allemagne, 25 % des emplois d’employés administratifs sont des emplois dans l’industrie, contre 14 % en France. De fait, elle renvoie probablement également à une pénétration plus ou moins rapide des nouvelles technologies. Mais, en ce qui concerne les administrations publiques, il ne faut pas écarter non plus les effets des différences de temporalité dans les réformes administratives (Le Ru, 2016). De même, la hausse inégale de la part des professions dites les moins qualifiées n’est pas sans lien avec un certain nombre de politiques publiques ayant des effets sur la rapidité de la diffusion des emplois dans certains types de services, par exemple dans le secteur des services à la personne, selon que les États encouragent ou non la création de ces emplois, en particulier fiscalement.

34L’approche qui consiste à décrire l’évolution de la part des grandes catégories socioprofessionnelles est riche d’enseignements. Elle permet de mettre en évidence une augmentation de la part des professions les moins qualifiées dans sept des douze pays d’Europe continentale qui sont alors confrontés à une forme plus ou moins prononcée de polarisation de leur structure sociale. Elle permet également de montrer que cette polarisation prend des formes différentes selon l’évolution de la part des emplois administratifs de qualification intermédiaire. Cependant, cette approche de la polarisation des structures sociales par la mesure de l’évolution des grandes catégories de la nomenclature ESeG revêt aussi un certain nombre de limites. En premier lieu, il est nécessaire de décrire plus finement un certain nombre de secteurs d’activité. C’est bien dans le secteur des services que se joue la hausse de la part des emplois les moins qualifiés. Or, la nomenclature ESeG utilisée ici conduit par exemple à ventiler les emplois des services dans deux catégories différentes, les employés « qualifiés » des services et les « professions les moins qualifiées ». Ainsi, pêle-mêle, les cuisiniers, les employés de l’esthétique (coiffeurs, esthéticiennes, etc.), les nourrices et assistantes maternelles ainsi que les aides à domicile pour les personnes âgées sont classés parmi les employés qualifiés des services, tandis que les femmes de ménage, les travailleurs du nettoyage et de l’entretien ainsi que les employés de commerce figurent parmi les employés non qualifiés des services. Cette distinction n’est pas sans fondement. Dans le cas français, par exemple, la comparaison des caractéristiques sociodémographiques des aides à domicile et assistantes maternelles, d’une part, avec celles des femmes de ménages, d’autre part, montre que ces dernières occupent des positions plus dégradées que les premières, avec des niveaux de qualification plus faibles qui s’accompagnent de conditions de travail particulièrement difficiles (Avril, 2014, p. 86 ; Devetter & Rousseau, 2011). Il reste que l’ensemble des professions des services à la personne imposent des conditions d’emploi parmi les plus dégradées et que leurs titulaires figurent, comparés aux autres catégories d’employés et d’ouvriers, parmi les plus démunis en termes de capital culturel, de revenus et de possibilité de mobilité professionnelle, tant la frontière entre emplois qualifiés et non qualifiés tend à se refermer. C’est donc l’ensemble de la sphère du salariat subalterne qu’il convient de décrire plus finement, en ouvrant également l’analyse aux conditions d’emploi, au-delà de la catégorie socioprofessionnelle et du secteur d’activité, tant ces dernières sont déterminantes lorsqu’il s’agit d’analyser la manière dont se structurent les inégalités sur le marché de l’emploi. Il s’agit dans la partie qui suit d’introduire ces deux variables dans l’analyse afin de décrire plus précisément le périmètre et la structure du salariat subalterne en Europe.

La polarisation des conditions d’emploi : les contours du salariat subalterne en Europe

35La part de l’ensemble formé par les employés et les ouvriers varie assez fortement en Europe, y compris entre les pays du nord et de l’ouest du continent. Si elle s’établit aux alentours des 40 % aux Pays-Bas et au Royaume-Uni et si elle ne dépasse pas les 45 % en Suède et en Finlande, elle varie entre 49 % et 52 % en France, Allemagne, Autriche, Danemark, Italie ainsi qu’au Portugal et atteint même 54 % en Espagne. Pour les autres pays, la forte proportion d’indépendants rend la comparaison plus compliquée. Ainsi, en Grèce, les salariés subalternes ne représentent que 40 % de la population active puisque le pays compte 16 % d’artisans et commerçants ainsi que 12 % d’agriculteurs. De même, dans les pays de l’est de l’Europe, si la Hongrie compte 58 % d’employés et d’ouvriers, ils ne sont que 44 % en Roumanie où l’on compte 26 % d’agriculteurs et 51 % en République tchèque où les artisans et commerçants représentent un actif sur sept. À l’évidence, en Grèce ou dans les pays de l’est de l’Europe, l’indépendance constitue un mode d’appartenance au monde des classes populaires qui est loin d’être marginal.

Une tertiarisation des emplois subalternes d’ampleur variable

  • 9 Pour mesurer la répartition des salariés subalternes par secteur d’activité, nous avons principalem (...)

36Ces différences dans l’étendue du périmètre des salariés d’exécution entraînent une différence dans la structure même du salariat subalterne. En effet, assez logiquement, plus la part dans la population active des employés et des ouvriers est faible, plus la part de ces derniers, employés dans le secteur tertiaire, est forte (Figure 4)9.

37Il reste que ce lien n’est pas purement linéaire et que la situation de certains pays semble s’écarter de la tendance générale. C’est particulièrement le cas au sein du groupe de pays dans lesquels la part des ouvriers et des employés oscille autour de 50 %, parmi lesquels la France et l’Espagne se singularisent par une part élevée du secteur tertiaire qui emploie respectivement 73 % et 74 % de salariés. En Allemagne et en Autriche, cette proportion ne dépasse pas les 60 % et l’Italie, avec 62 % d’employés et d’ouvriers travaillant dans le secteur tertiaire est dans une situation comparable. Dans ces trois pays, l’industrie au sens large (industrie, construction, automobile) a conservé une place significativement plus importante qu’en France ou en Espagne. Elle regroupe ainsi 40 % des employés et ouvriers Allemands, 39 % des Autrichiens, 35 % des Italiens mais seulement 26 % des Français et 23 % des Espagnols. En Allemagne, ces emplois sont majoritairement des emplois d’ouvriers (à 80 %), mais 25 % des employés administratifs travaillent également dans l’industrie contre 12 % de leurs homologues français et 14 % des Espagnols.

Figure 4 : La tertiarisation du salariat subalterne en Europe

Figure 4 : La tertiarisation du salariat subalterne en Europe

Source : EU-LFS. Lecture : les ouvriers et les employés représentent 40 % de la population active aux Pays-Bas. 74 % de ces emplois sont dans le secteur des services.

38Au final, la part du secteur tertiaire parmi les employés subalternes en France et en Espagne est aussi élevée qu’au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas et plus élevée que dans les pays scandinaves. Comparativement aux pays dans lesquels la part des employés et des ouvriers est proche, la France et l’Espagne apparaissent comme des pays où la tertiarisation des emplois d’exécution est particulièrement importante.

La montée des employés des services

  • 10 La nature de la « logique de travail » constitue un élément central dans la constitution du schéma (...)

39Le secteur tertiaire est vaste et regroupe des activités diverses. Parmi les salariés d’exécution, il peut regrouper des ouvriers de la fonction publique, des employés administratifs d’une entreprise privée, d’une administration ou d’une collectivité territoriale. Mais ce sont bien les employés du cœur du secteur des services dont le nombre a augmenté le plus rapidement au cours des dernières années. Pour donner une estimation de l’évolution de leur part au sein de la population active, nous utilisons la nomenclature ESeG à un niveau moins agrégé. En additionnant les employés de la sécurité, les employés du commerce, les employés de l’hôtellerie-restauration et ceux, qualifiés ou non, des services à la personne, nous obtenons une approximation de la part des salariés employés dans le secteur des services, ou pour le dire autrement, de la part des salariés subalternes dont la logique de travail est plutôt « interpersonnelle » (Oesch, 2006)10. En 2013, cette proportion varie de 15 % de la population active dans deux pays de l’est de l’Europe (République tchèque et Roumanie) à plus de 28 % en Espagne (Figure 5).

Figure 5 : Évolution (1993-2013) de la part des employés des services

Figure 5 : Évolution (1993-2013) de la part des employés des services

Source : EU-LFS.

40Derrière l’Espagne, cette proportion atteint 26 % au Danemark, 24 % en France et au Portugal, 23 % au Royaume-Uni, en Finlande et en Suède. L’Allemagne figure au contraire en queue de peloton et se singularise avec une proportion inférieure à 19 % de la population active, tout comme l’Italie. Ces résultats sont convergents, bien sûr, avec le maintien d’une industrie plus forte dans ces deux pays.

  • 11 Cette explosion des emplois des services en Espagne a bien été mise en évidence dans d’autres trava (...)

41Ils ne sont pas sans importance car ils soulignent que des pays proches, à la fois géographiquement et de par la proportion de salariés subalternes, peuvent être engagés dans des dynamiques assez différentes. Certes, si l’on considère l’évolution de la part des employés des services, la hausse est générale en Europe, même si les rythmes peuvent différer parfois sensiblement. Cette proportion explose par exemple en Espagne entre 1993 et 201311, tout comme en Roumanie ou en Grèce, tandis qu’elle augmente un peu moins rapidement dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. En revanche, si l’on compare les proportions observées en 2013, des différences notables apparaissent. Ainsi, si la part des employés des services augmente fortement en Allemagne et en Italie au cours des vingt dernières années, elle demeure assez sensiblement inférieure à celle observée en France et dans la plupart des pays comparables. Plus largement, le couple France/Espagne apparaît assez proche du point de vue de la structure du salariat subalterne et de son évolution, de même que le couple Allemagne/Italie. Ceci montre bien que la seule analyse par le type d’État-providence ne suffit pas à épuiser la complexité des dynamiques à prendre en compte.

  • 12 Au-delà des résultats présentés ici, et pour donner de la chair aux clivages évoqués en matière de (...)

42Par ailleurs, ces éléments permettent de compléter les résultats formulés plus haut quant au degré de polarisation des structures sociales des pays européens. En effet, à l’exception de la République tchèque et de la Hongrie, la part des employés des services augmente dans tous les pays étudiés. Dans la mesure où ces professions sont également celles dont les conditions d’emploi sont potentiellement les moins favorables, la question de la polarisation se pose différemment et peut glisser vers l’analyse du type d’insertion sur le marché du travail. De ce point de vue, quelle est la nature de ces emplois subalternes dans le secteur des services ? S’agit-il d’emplois relativement stables et fournissant suffisamment d’heures de travail ? Plus généralement, dans quelle mesure les professions dont la part augmente au cours des dernières années sont-elles à la fois les professions dont les conditions d’emploi sont parmi les plus favorables et celles dont les conditions d’emploi sont parmi les plus détériorées ? En d’autres termes, peut-on parler de polarisation des conditions d’emploi12 ?

Une polarisation des conditions d’emploi en France et dans le sud de l’Europe

43Pour juger de la qualité de l’emploi, il est fréquent de faire du salaire un indicateur central. C’est en tout cas celui qui est retenu dans la plupart des travaux cités plus haut. Ici, nous avons choisi de construire un autre indicateur rendant compte de la fréquence des temps partiels contraints. Dans le cas français, nous savons ainsi que le déficit d’heures de travail constitue l’une des principales caractéristiques de la situation d’emploi des employés des services, étroitement liée à la fréquence élevée des temps partiels subis. Les données EU-LFS nous renseignent sur la quotité de travail (temps plein et temps partiel) ainsi que sur les raisons du temps partiel (enquêté encore en formation, raison liée à la santé, nécessité ou choix de s’occuper des enfants ou d’un parent, impossibilité de trouver un emploi à plein temps, autre raison personnelle). Il est donc possible de calculer, pour chaque groupe de professions, la part de salariés exerçant à temps partiel et déclarant n’être pas parvenu à trouver un emploi ou un contrat à temps plein.

44Les résultats (Tableau 2) amènent à formuler plusieurs constats. Tout d’abord, dans tous les pays, la part de temps partiels subis est plus élevée parmi les employés que parmi les ouvriers. En effet, si l’on considère les ouvriers « qualifiés » au sens de la nomenclature ESeG, la part des temps partiels subis ne dépasse jamais 6 %. Pour les ouvriers moins ou peu qualifiés (les « manœuvres »), la proportion est inférieure à 10 % dans tous les pays, à l’exception de la Suède et de l’Espagne où elle atteint 12 %.

  • 13 Figurent dans ce tableau parmi les « employés qualifiés des services » les professions suivantes : (...)

45Second constat, dans le secteur des services, il existe dans la plupart des pays un clivage entre les employés plutôt qualifiés et leurs homologues moins qualifiés13 car la proportion de temps partiels subis est significativement plus élevée parmi les seconds. Deux pays scandinaves constituent une exception notable : au Danemark et en Suède, les deux proportions sont tout à fait comparables. C’est également plutôt le cas aux Pays-Bas où la différence n’est pas très élevée, et dans une moindre mesure, en Finlande. Il faut ici noter qu’à l’opposé, ce clivage semble particulièrement marqué en France et dans les pays du sud de l’Europe (Espagne, Portugal, Grèce, Italie), pays dans lesquels la déconnexion, dans les services, entre la sphère des emplois qualifiés et celle des emplois peu qualifiés, apparaît notablement prononcée.

46Troisième constat, c’est bien en Espagne, en Italie et en France que la proportion de temps partiels subis atteint des sommets parmi les moins qualifiés des employés des services : 40 % en Italie, 36 % en Espagne et 31 % en France. Nous avions montré plus haut qu’en Espagne et en France, la part des employés des services au sein de la population active était très élevée (et qu’elle avait augmenté sensiblement en Espagne entre 1993 et 2013). Le lien entre part des employés des services dans la population active et qualité de l’emploi n’est toutefois pas mécanique. Ainsi, seuls 13 % des moins qualifiés des employés des services danois exercent à temps partiel subi, alors même que leur proportion est également très élevée au sein de la population active. À l’inverse, les employés des services sont moins nombreux en Italie, comparé à d’autres pays, mais 40 % d’entre eux sont concernés par un temps partiel subi. En revanche, c’est bien parmi les pays dans lesquels les employés des services sont relativement peu nombreux que leurs conditions d’emploi, en tout cas mesurées par la part des temps partiels subis, semblent les moins dégradées : c’est notamment le cas dans les pays de l’Europe de l’est.

Tableau 2 : Part de salariés à temps partiel subi selon le type d’emplois en 2013

Tableau 2 : Part de salariés à temps partiel subi selon le type d’emplois en 2013

Source : EU-LFS. Lecture : en 2013, en Autriche, 11 % des employés peu qualifiés des services exercent à temps partiel, faute d’avoir trouvé d’emploi à temps plein.

47Quatrième constat, il semblerait que ce soit dans les pays du sud de l’Europe que la proportion de temps partiels subis soit plutôt plus élevée, et dans les pays du nord de l’Europe qu’elle soit plus faible. Ce lien, toutefois n’est pas mécanique : en Suède, cette proportion est élevée (24 %), et au Portugal, elle est relativement contenue (18 %). Au sein de ce palmarès, la France appartient clairement aux pays du sud de l’Europe, tandis que l’Allemagne (20 %) et le Royaume-Uni (18 %) occupent une position intermédiaire.

48Enfin, si la part de temps partiels subis parmi les employés des services diffère assez sensiblement en fonction des pays, ces derniers sont beaucoup plus proches du point de vue des conditions d’emploi de leurs cadres. Quel que soit le pays en effet, la part de cadres (managers ou experts) confrontés à un temps partiel subi est inférieure à 5 %. Cela signifie que la polarisation des conditions d’emploi est particulièrement nette dans les pays où la proportion de temps partiels subis est forte parmi les employés des services. En Espagne et en France, par exemple, ce sont bien à la fois les emplois de cadres et ceux d’employés de services dont la part augmente le plus fortement, c’est-à-dire à la fois des emplois particulièrement épargnés par une certaine forme d’émiettement du travail et des emplois extrêmement fragilisés de ce point de vue.

Conclusion

49Mesurer la polarisation éventuelle de la structure sociale des pays européens nécessite un important travail de réflexion méthodologique, tant la nature des résultats peut varier en fonction des choix effectués. De ce point de vue, l’approche de la qualité des emplois par le seul salaire horaire, classique dans le champ, empêche de saisir correctement la réalité des conditions d’emploi dans le bas de la structure sociale. En adoptant une approche plus sociologique accordant une large place à la mesure de l’évolution des grandes catégories socioprofessionnelles, nous avons distingué trois grands types d’évolution de la structure sociale en Europe. Si les douze pays d’Europe continentale analysés ici ont connu une hausse sensible de la part de l’emploi le plus qualifié, sept d’entre eux sont également confrontés à une hausse de la part des professions dites les moins qualifiées, et donc à une dynamique peu contestable de polarisation. Cette dernière prend toutefois des formes différentes selon l’évolution des diverses catégories d’emplois de qualification intermédiaire. Si la part des ouvriers qualifiés de l’industrie diminue de manière assez générale, il n’en va pas de même pour les emplois administratifs, dans le monde des bureaux.

50Par conséquent, la focalisation sur les effets du changement technologique ne permet pas d’expliquer correctement la dynamique de l’évolution des structures sociales. Il s’agit certes d’un élément important à prendre en compte, mais qui ne doit pas amener à évacuer de l’analyse d’autres facteurs décisifs. L’évolution de l’emploi dépend également des politiques de l’emploi menées dans les différents pays, ainsi que de l’évolution des rapports sociaux, et notamment des rapports de force sur le marché du travail. À cet égard, il n’est pas certain que l’analyse en termes d’État-providence suffise à fournir une grille de lecture satisfaisante. Elle permet certes de mettre en évidence des grandes tendances. Par exemple, trois des quatre pays du sud de l’Europe appartiennent au groupe de pays pour lesquels on n’observe pas de déclin marqué de la part des emplois moyennement qualifiés dans le monde des bureaux. De même, deux pays scandinaves ne semblent pas connaître de réelle polarisation de leur structure sociale. Pour autant, le Portugal ne semble pas pouvoir être classé avec les autres pays du sud tandis que la Suède connaît une forme marquée de polarisation, ce qui n’est probablement pas sans lien avec les réformes libérales mises en place en Suède dès les années 1990 et qui ont conduit à une flexibilisation précoce du marché du travail. Ces nuances soulignent la nécessité de mobiliser une analyse fine des politiques menées dans les différents pays, qui n’est pas menée ici, mais qui permettrait de comprendre également les différences observées en matière de conditions d’emploi. Ainsi, la relative qualité des emplois dans le secteur des services à la personne au Danemark et en Finlande est probablement liée à la tradition de municipalisation de ces emplois (Esping-Andersen, 1999 ; Kröger, 2011) qui permet à plus de 80 % des salariés concernés en Finlande de bénéficier de la convention générale du secteur municipal et d’éviter un émiettement du travail comparable à ce qui peut être observé en France ou en Espagne.

51Plus généralement, le « second marché du travail » sur lequel évoluent bon nombre de salariés du secteur des services à la personne est pour une large part institutionnalisé par les politiques de l’emploi menées par les États en réaction à la crise économique des années 1970 et 1980 (Carbonnier & Morel, 2015 ; Morel, 2015 ; Palier & Thelen, 2010). Dans le cas français, l’essor du secteur des services à la personne en offre une illustration éloquente. La loi Borloo, qui en 2005 fait véritablement émerger le secteur des services à la personne, se donne comme objectif de doubler le rythme de croissance du secteur, grâce à une politique toute entière tournée vers les aides aux employeurs (particuliers ou entreprises) via les allègements de charges et d’impôts mais qui laisse assez largement sans réponse la question des conditions d’emploi des salariés.

52Dans les années 1960, certaines anticipations plaçaient les sociétés occidentales devant un dilemme peu réjouissant : soit encourager le développement d’un vaste secteur des services aux professions mal payées, soit faire face à un chômage de masse (Baumol, 1967). Certains de nos résultats, et en particulier la situation de la France et de l’Espagne, soulignent au contraire que les deux situations ne s’excluent malheureusement pas. De ce point de vue, les travaux traitant de l’évolution de la structure sociale au seul prisme de l’emploi excluent de l’analyse les chômeurs et les inactifs, ce qui constitue une nuance de taille lorsqu’il s’agit de décrire correctement les formes de polarisation à l’œuvre. L’approche sociologique adoptée ici ne permet pas de les réintégrer véritablement dans l’analyse. En revanche, l’usage d’une nomenclature des catégories socioprofessionnelles et la prise en compte de l’émiettement du travail dans le bas de la structure sociale rend compte, dans une certaine mesure, des conditions d’existence d’une partie des individus appartenant au « halo » du chômage.

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Notes

1 Dans le cas de la France, les données de l’enquête Emploi permettent d’estimer la durée hebdomadaire du travail à 18 heures en 2012 pour les « employés de maison et personnels de ménage chez des particuliers », à 27 heures pour les « aides à domicile et aides ménagères », à 30 heures pour les « caissiers et employés de libre-service ».

2 Les pays pour lesquels les données étaient disponibles en 1993 et en 2013 (ou du moins avec des données dans les années 1990) et présentant des effectifs suffisants ont été privilégiés.

3 Le langage de la qualification, très présent dans les analyses qui vont suivre, nécessite quelques précisions. La nomenclature ISCO, qui constitue la brique de base des groupes ESeG, répartit les professions en fonction du niveau et du type de « connaissances » mobilisées. Ainsi, les « professions élémentaires » ne nécessiteraient que des compétences relevant de la scolarité primaire. De telles correspondances semblent parfois très contestables : observer le travail effectué par les travailleurs de ces professions dites élémentaires permet de se rendre compte des compétences et de la qualification mises en œuvre (Avril, 2014). Pour cette raison, nous évoquerons les salariés ou les emplois « peu » ou « moins » qualifiés plutôt que les emplois ou les salariés « non » qualifiés. Pour le reste, derrière ce langage de la qualification se dissimule une hiérarchie des salaires et de la stabilité de l’emploi, ce qu’il faut garder en tête lorsque l’on évoque la polarisation de la structure sociale.

4 Les compositions des différentes catégories de la nomenclature pour 1993 et pour 2013 figurent en annexe électronique, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3700.

5 Pour constituer cette catégorie, nous isolons, au sein du cinquième groupe ESeG, les « employés de bureau » (ISCO = 41), les « guichetiers et assimilés » (ISCO = 42) et les « employés des services comptables et d’approvisionnement » (ISCO = 43).

6 Pourquoi n’avoir pas considéré les « professions intermédiaires salariées » comme appartenant à cette catégorie des emplois de qualification intermédiaire ? Tout d’abord, la liste des professions concernées, faisant la part belle aux « associate professionals » (voir en annexe électronique https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3700) suggère des emplois et des tâches au contenu proche de ceux classés parmi les cadres experts. En outre, l’analyse des conditions d’emploi de ces « professions intermédiaires salariées » au niveau de l’UE à 27 (part de non diplômés, de temps partiels subis, risque de chômage) montre une plus grande proximité avec le monde des cadres experts qu’avec celui des employés qualifiés des services. En termes de salaire, les deux-tiers des individus exerçant ces professions intermédiaires se situent par ailleurs au-dessus du salaire médian dans leur pays (voir Amar et al., 2014, p. 49). En ne les prenant pas en compte dans l’analyse, nous faisons le choix d’exclure les emplois qui pourraient être assimilés aux franges supérieures des classes moyennes.

7 La part des employés administratifs ne diminue que de 10 % aux Pays-Bas que nous classons toutefois au sein de ce groupe en raison de la relative stabilité de la proportion des professions les moins qualifiées.

8 Par ailleurs, l’analyse de E. Fernandez-Macias (2012) concerne la période 1995-2007 et ne permet pas de prendre en compte les effets probablement non négligeables de la crise économique et financière qui débute à l’automne 2008.

9 Pour mesurer la répartition des salariés subalternes par secteur d’activité, nous avons principalement utilisé la variable reprenant la Nomenclature des activités dans la Communauté européenne (NACE). Les ouvriers intérimaires (ceux pour lesquels le code NACE renseigné était celui de « Service aux entreprises ») ont été classés parmi les travailleurs de l’industrie, ainsi que les mécaniciens et ouvriers de l’automobile.

10 La nature de la « logique de travail » constitue un élément central dans la constitution du schéma de classes proposé par Daniel Oesch. La logique interpersonnelle (interpersonal work logic) caractérise les emplois qui nécessitent de répondre à la demande d’un tiers (client, public, etc.) et bien souvent une interaction avec ce dernier.

11 Cette explosion des emplois des services en Espagne a bien été mise en évidence dans d’autres travaux (Bernardi & Garrido, 2007).

12 Au-delà des résultats présentés ici, et pour donner de la chair aux clivages évoqués en matière de conditions d’emploi observées au sein du salariat subalterne, nous proposons au lecteur intéressé une description des caractéristiques socio-démographiques et des conditions d’emploi d’une quarantaine de catégories d’employés et d’ouvriers en France au début des années 2010. Voir les annexes électroniques : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3700.

13 Figurent dans ce tableau parmi les « employés qualifiés des services » les professions suivantes : « agents d’accompagnement, contrôleurs de transports publics et guides (ISCO 511) », « cuisiniers (ISCO 512) », « coiffeurs, esthéticiens, assimilés (ISCO 514) », « aides-soignants (ISCO 532) », « personnels des services de protection et de sécurité (ISCO 541) ». Figurent parmi les « employés peu qualifiés des services » : « serveurs et barmen (ISCO 513) », « intendants, gouvernantes, concierges (ISCO 515) », « autres personnels des services directs aux particuliers (ISCO 516) », « gardes d’enfants et aides-enseignants (ISCO 531) » ainsi que toutes les professions des services classées parmi les « professions élémentaires (ISCO > 900) ».

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Table des illustrations

Titre Tableau 1a : La structure sociale de 16 pays en 2013 (en %)
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Titre Tableau 1b : La structure sociale de 16 pays en 1993* (en %)
Légende * Sauf Autriche (1995), République tchèque (1997), Finlande (1997), Hongrie (1997) et Suède (1997). Source : EU-LFS. Lecture : en 1993, 18 % des actifs en emploi en Allemagne exercent une profession intermédiaire salariée au sens de la nomenclature ESeG.
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Titre Figure 1 : Évolution (1993-2013) de la part de cadres et professions intermédiaires salariées (en %)
Légende Source : EU-LFS. Lecture : en 2013 aux Pays-Bas, les cadres et professions intermédiaires salariées représentent 50 % des actifs en emploi contre 45 % en 1993.
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Titre Figure 2 : Évolution (1993-2013) de la part des « professions les moins qualifiées » (en %)
Légende Source : EU-LFS.
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Titre Figure 3 : Trois types d’évolution de la structure sociale en Europe
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3691/img-5.jpg
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Titre Figure 4 : La tertiarisation du salariat subalterne en Europe
Légende Source : EU-LFS. Lecture : les ouvriers et les employés représentent 40 % de la population active aux Pays-Bas. 74 % de ces emplois sont dans le secteur des services.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3691/img-6.jpg
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Titre Figure 5 : Évolution (1993-2013) de la part des employés des services
Légende Source : EU-LFS.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3691/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 57k
Titre Tableau 2 : Part de salariés à temps partiel subi selon le type d’emplois en 2013
Légende Source : EU-LFS. Lecture : en 2013, en Autriche, 11 % des employés peu qualifiés des services exercent à temps partiel, faute d’avoir trouvé d’emploi à temps plein.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3691/img-8.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Camille Peugny, « L’évolution de la structure sociale dans quinze pays européens (1993-2013) : quelle polarisation de l’emploi ? », Sociologie [En ligne], N° 4, vol. 9 |  2018, mis en ligne le 12 mai 2021, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3691

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Auteur

Camille Peugny

camille.peugny@uvsq.fr
Professeur de sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Laboratoire PRINTEMPS - Laboratoire PRINTEMPS, UVSQ, 47 boulevard Vauban, 78047 Guyancourt cedex, France

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