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« C’est génétique » : ce que les twin studies font dire aux sciences sociales

“It’s genetic”: what twin studies do to the social sciences
Julien Larregue

Résumés

Cet article est une analyse des effets de l’utilisation de la génétique en sciences sociales à travers l’un de ses principaux instruments génériques, les twin studies, méthode qui consiste à quantifier l’influence des facteurs génétiques et environnementaux sur un comportement humain donné en utilisant des jumeaux monozygotes et dizygotes. Conséquence immédiate de la stratégie de générosité intéressée des généticiens analysée par Aaron Panofsky (2014), les twin studies facilitent la recherche interdisciplinaire entre sciences sociales et les collaborations entre sciences sociales et sciences naturelles. De façon notable, le moment de son apparition en sciences sociales est constant à travers quatre disciplines (criminologie, économie, sociologie, science politique). Au-delà de la standardisation scientifique qu’il entraîne, l’instrument générique twin studies prend des formes locales intra-disciplinaires. À l’inverse des généticiens, les chercheurs en sciences sociales ont tendance à mobiliser des versions méthodologiques simplifiées du modèle twin studies, ce qui est concordant avec le concept de « distance sociale » développé par le sociologue des sciences Harry Collins dans son étude de la découverte des ondes gravitationnelles en physique (2010).

“It’s genetic”: what twin studies do to the social sciences

This article investigates the consequences of the use of genetics in social sciences through one of its main generic instruments, twin studies, a method which consists in quantifying the influence of genetic and environmental factors on a given human behavior by using monozygotic and dizygotic twins. A direct product of geneticists’ strategy of interested generosity analyzed by Aaron Panofsky (2014), the twin studies facilitate interdisciplinary research within social sciences and collaborations between social and natural sciences. Notably, the twin studies appear simultaneously in four different disciplines of the social sciences (criminology, economics, sociology, political science). Beyond the scientific standardization which it entails, the generic instrument of twin studies takes intra-disciplinary local forms. Contrary to geneticists, social scientists tend to use a simplified methodological version of the twin studies model, which is consistent with the concept of « social distance » developed by sociologist of science Harry Collins in his study of the discovery of gravitational waves in physics (2010).

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Texte intégral

1Génétique du crime (Beaver, 2008), génétique des opinions politiques (Alford et al., 2005), génétique de la fertilité (Tropf et al., 2015b), génétique des investissements financiers (Cesarini et al., 2010). Malgré les apparences, ces travaux ne sont pas l’œuvre de généticiens ou biologistes, mais de chercheurs en sciences sociales respectivement formés à la criminologie, à la science politique, à la sociologie et à l’économie. Loin d’être anecdotiques, ces quelques exemples illustrent l’apparition, depuis une quinzaine d’années, d’une lingua franca génétique, c’est-à-dire d’un langage interdisciplinaire et flexible qui prend sa source dans la génétique. De façon croissante, sociologues, politistes, économistes ou criminologues anglophones mobilisent des théories, des concepts et des méthodes issus de la génétique. Cet attrait est rendu possible grâce – en même temps qu’il contribue – au rapprochement des sciences sociales et naturelles. Comme l’a expliqué Maurizio Meloni (2016a, b), nous assistons depuis une vingtaine d’années au développement d’une plateforme d’échange scientifique entre spécialistes du social et spécialistes du biologique. Se rassemblant autour de concepts pourvus de souplesse théorique comme l’épigénétique, généticiens et sociologues, biologistes et politistes, peuvent communiquer sans pour autant renier leur identité propre. L’on tendrait ainsi à s’éloigner du modèle différentiationniste des sciences de la première moitié du xxe siècle dans lequel sociologie et biologie se concentraient chacune sur « une dimension processuelle et objectivable de l’existence humaine » (Joly, 2016, p. 35).

2La lingua franca génétique n’est pas seulement parlée au sein du monde universitaire et scientifique. Sébastien Lemerle (2016) a bien expliqué comment la biologisation du social pouvait s’exprimer sous différents registres. Les chercheurs sont surtout acteurs au sein du registre théorique et, dans une moindre mesure, au sein du registre pratique. Le registre culturel, par contraste, a le potentiel d’atteindre tout un chacun. Tant en France qu’en Amérique du Nord, la biologisation des actions humaines et des problèmes sociaux est particulièrement prégnante dans les produits de consommation culturels grand public (Lemerle, 2014 ; Nelkin & Lindee, 1995). Depuis les ouvrages de vulgarisation scientifique jusqu’aux séries télévisées, en passant par les publicités et les romans, le gène est devenu une icône culturelle au service de la biologisation du social. Le discours scientifique y est souvent déformé et « détendu », parfois simplifié au point de devenir incompatible avec le message original.

3Je souhaite montrer dans cet article la façon dont ce répertoire interprétatif biologisant a pu se retrouver chez les chercheurs en sciences sociales. Plutôt que de me concentrer directement sur les interactions entre généticiens et chercheurs en sciences sociales, je souhaite mettre en lumière ce qui les rend possibles, à savoir un langage commun. Qu’il soit oral, écrit, gestuel ou matérialisé, le langage est l’un des prérequis de la communication et les chercheurs ne font pas exception à la règle. Mon hypothèse de travail est la suivante : si la lingua franca génétique a pu se développer de la sorte, traverser les frontières disciplinaires comme elle l’a fait, c’est parce qu’elle a su se reposer sur un certain nombre d’instruments génériques et d’objets-frontière (Shinn, 2000 ; Star & Griesemer, 1989). Dans le cas qui m’intéresse, celui de la génétique, l’instrument générique est un modèle méthodologique, celui des twin studies. Je tiens à souligner d’emblée qu’il ne s’agit sans doute pas du seul instrument à avoir facilité la circulation de la génétique. Ne serait-ce qu’en raison de l’existence d’autres outils méthodologiques qui, tels les candidate-gene studies ou les genome-wide association studies, sont susceptibles d’avoir joué un rôle tout aussi important dans ce processus. Mais la particularité des twin studies tient au caractère accessible et peu coûteux de cette méthode. Contrairement à d’autres méthodologies plus complexes, les twin studies ne requièrent pas l’utilisation d’un matériel de laboratoire avancé, pas plus que la mobilisation de connaissances solides en génétique. Il est tout à fait possible de recourir à cette méthode sans avoir jamais suivi un seul cours de biologie ou de génétique, de même que l’on peut mettre en marche un spectromètre à résonance magnétique sans comprendre la théorie du spin (Dubois, 2007, p. 106).

4Cet article est divisé en quatre parties. Je commencerai par une présentation rapide de mon cadre théorique et de la littérature de sociologie des sciences sur laquelle je me repose au cours de cet article. J’aborderai ensuite l’origine et la diffusion en sciences sociales de l’objet-frontière lui-même, de cet instrument générique que sont les twin studies. À quand remonte la méthodologie des twin studies ? Que peuvent bien dire les chercheurs en sciences sociales sur la base des twin studies ? Comment se fait-il que ces données génétiques soient à la portée des chercheurs en sciences sociales ? Comme nous allons le voir, ces derniers doivent beaucoup à la « générosité » (Panofsky, 2014, p. 154) intéressée des généticiens. La méthodologie des twin studies a donné lieu à compter des années 2000 à de nouvelles collaborations entre généticiens et chercheurs en sciences sociales, en particulier avec des politistes. L’interaction entre sciences sociales et sciences naturelles est cependant asymétrique. Non seulement le recours aux twin studies impose une conceptualisation appauvrie du social, mais en plus cette méthode remet en cause l’autonomie épistémologique des sciences sociales. Un autre effet de la diffusion de cet instrument générique réside dans la standardisation scientifique qui en résulte, l’utilisation des twin studies ayant donné lieu à l’apparition de protocoles scientifiques et d’un langage commun qui permet à différentes disciplines des sciences sociales de se comprendre et de travailler parfois ensemble. Mais cette standardisation n’est pas totale. Dans le reste de l’article, je me concentrerai sur l’une des principales propriétés des objets-frontière, leur flexibilité interprétative (Star, 2010, p. 19). Par flexibilité, je veux dire que l’on constate un décalage entre les différentes versions locales de l’objet-frontière, lequel se trouve adapté aux besoins spécifiques d’une discipline ou d’une question de recherche donnée (Star, 2010, p. 22). La version locale de l’objet-frontière dépend de la distance sociale entre le champ d’appartenance du chercheur et la discipline génétique, ce qui permet de comprendre pourquoi la méthodologie des twin studies prend des formes plus ou moins simplifiées selon les chercheurs qui la mobilisent.

  • 1 Tous les entretiens, sauf un, se sont déroulés en anglais.
  • 2 L’unique psychologue avec lequel je me suis entretenu a publié à plusieurs reprises dans des revues (...)

5Cet article s’appuie sur deux sources principales de données. D’abord, sur la littérature des twin studies elle-même, en particulier les articles qui ont été publiés dans des revues de criminologie, d’économie, de science politique et de sociologie. Ces articles ont fait l’objet d’analyses qualitatives et quantitatives dont l’objectif principal était de comprendre l’usage qu’un chercheur en sciences sociales peut bien faire des twin studies. La seconde source réside dans les vingt-trois entretiens semi-directifs que j’ai réalisés avec des chercheurs en sciences sociales qui mobilisent des méthodes, concepts ou théories issus de la génétique. Bien qu’ils n’aient pas uniquement porté sur les twin studies, ces entretiens contiennent de nombreux éléments sur cet objet-frontière et sur la diffusion de la génétique en sciences sociales. S’ils ne font pas l’objet d’un traitement systématique, ces entretiens sont mobilisés afin d’illustrer les analyses proposées dans cet article. Les chercheurs avec lesquels je me suis entretenu sont employés dans des universités états-uniennes et européennes. Tous travaillent en anglais1. Ils se répartissent dans les quatre disciplines suivantes : criminologie, économie, psychologie2, science politique et sociologie.

L’instrument générique comme pont entre communautés scientifiques

6Bien que la division du travail soit l’une des caractéristiques majeures de la recherche scientifique contemporaine, tant en sciences sociales (Abbott, 2001) qu’en sciences naturelles (Galison & Stump, 1996), cela ne signifie pas que les différentes communautés de chercheurs ne communiquent pas entre elles, que ce soit de façon formelle, par exemple par la co-écriture d’articles ou la participation à des projets de recherche interdisciplinaires, ou de façon informelle, par exemple par la voie des communications privées. Dans une perspective que l’on peut qualifier de transversaliste, les sociologues des sciences s’intéressent ainsi à « l’existence de flux migratoires transversaux aux espaces disciplinaires concernant tant les praticiens que les concepts ou les instruments » (Shinn & Ragouet, 2005, p. 145). Je me concentrerai ici sur la question des instruments et concepts. Que l’on parle d’objets-frontière, d’objets intermédiaires (Vinck, 1999) ou encore d’instruments génériques (Shinn & Ragouet, 2005, p. 179), l’on veut désigner ces outils et objets qui naviguent d’une communauté scientifique à une autre tout en facilitant la mise en place de ponts théoriques et conceptuels : un musée d’histoire naturelle ou une taxonomie animale (Star & Griesemer, 1989), la centrifugeuse de Beams (Shinn & Ragouet, 2005, p. 179), ou encore un spectromètre à résonance magnétique (Latour & Woolgar, 1988).

7Dans leur article classique sur le musée de zoologie de Berkeley, Susan Leigh Star et James R. Griesemer (1989, p. 410-411) ont identifié entre quatre catégories distinctes d’objets-frontière, dont une qui nous intéresse plus particulièrement ici : les formulaires standardisés (standardized forms). Les formulaires standardisés sont des « objets-frontière conçus comme des méthodes communes de communication à travers des groupes de travail éparpillés » (idem, p. 411). Ils donnent l’exemple des méthodes de collecte et de classification des espèces animales, qui permettront aux chercheurs, administrateurs et trappeurs de parler un langage commun. L’objet-frontière twin studies peut être approché comme un formulaire standardisé. En tant que méthode commune de recherche, elle permet à des chercheurs issus de traditions disciplinaires différentes de pouvoir communiquer entre eux, parfois même de collaborer sur des projets de recherche communs. L’un des avantages des formulaires standardisés est de rendre pratiquement invisibles les spécificités locales de l’objet-frontière. C’est-à-dire que la souplesse du formulaire, qui permet aux différentes communautés de l’adapter à ses problèmes et ses questionnements spécifiques, à ses intérêts et à ses besoins, est laissée dans l’ombre en raison de l’utilisation d’une appellation unique. Par exemple, lorsque l’on parle de twin studies, l’on pense désigner une méthodologie de recherche constante et uniforme. Pourtant, comme on le verra, cet objet-frontière prend véritablement des formes différentes selon qu’il est utilisé par des généticiens ou des chercheurs en sciences sociales. Mais le fait qu’on désigne ces différentes sous-espèces par le même terme de twin studies tend à effacer ces adaptations locales et à proposer une vision homogène de l’objet-frontière.

8Mon utilisation du concept d’objet-frontière ne devrait pas être interprétée comme le signe d’une adhésion à l’approche théorique dont S. L. Star et J. R. Griesemer s’inspirent, à savoir la sociologie de la traduction de Bruno Latour, Michel Callon et John Law. Il me semble d’ailleurs que cette affinité théorique a eu pour effet de brider le potentiel heuristique du concept d’objet-frontière, notamment parce que S. L. Star et J. R. Griesemer ont reproduit les principaux travers de la théorie de l’acteur-réseau, à savoir son micro-localisme (le musée en lieu et place des fameuses études de laboratoire), son refus de façade de la différenciation sociale et cognitive (à travers le principe de symétrie généralisée) et son imprécision conceptuelle et terminologique (Dubois, 2017 ; Gingras, 1995). Ces problèmes atteignent d’ailleurs le concept lui-même : si « tous les objets peuvent être des objets-frontière sous certaines conditions » (Star, 2010, p. 31), le concept d’objet-frontière n’est-il pas lui-même tout et rien à la fois ?

9C’est pourquoi je crois que le concept d’objet-frontière peut être très utilement ramené à celui d’instrument générique (Shinn, 2000), avec lequel il partage un certain nombre de traits communs malgré les présupposés théoriques qui les séparent. En particulier, tant S. L. Star et J. R. Griesemer que T. Shinn s’accordent sur le caractère flexible et modulable de ces objets, qui permettent leur diffusion et les adaptations locales. Mais le concept d’instrument générique est mieux délimité puisqu’il se concentre sur un type particulier d’objet-frontière, les instruments techniques et scientifiques. Cette délimitation permet de ne pas sombrer dans l’utilisation d’énoncés prononcés sur un air de radicalisme mais dont la substance est en réalité tout à fait triviale. Il est par exemple évident que le langage est un objet-frontière. En revanche, analyser un langage technique qui découle de l’utilisation d’un instrument scientifique ou d’une méthodologie de recherche peut se révéler beaucoup plus intéressant. Le mérite du concept d’instrument générique est également d’attirer notre attention sur les effets de l’utilisation de ces instruments génériques, à savoir de contrer la division du travail scientifique (Joerges & Shinn, 2001, p. 246), sans pour autant nier l’existence de frontières qui créent autant de sous-espaces différenciés au sein du champ scientifique dans lesquels l’instrument prend des formes spécifiques. Contrairement à S. L. Star et J. R. Griesemer, qui se concentrent sur une institution précise (un musée), T. Shinn adopte une approche macro-sociale des instruments génériques qui lui permet de s’abstraire du biais localiste, mais aussi de comprendre, à l’échelle du champ scientifique, comment l’instrument navigue et se retrouve dans des institutions indépendantes. Ce faisant, T. Shinn en vient à comprendre également comment les communautés interstitielles technico-instrumentales accompagnent et encouragent la diffusion de l’instrument, sans renier cependant leur identité propre. Cela inverse en quelque sorte la sociologie de la traduction proposée par M. Callon, B. Latour et J. Law : il ne s’agit plus de fluidifier les échanges au point de nier l’existence de frontières, mais de comprendre comment des chercheurs peuvent franchir les frontières de leur champ malgré les coûts et les contraintes que cela représente (Gingras & Trépanier, 1993, p. 6). Pour le dire autrement, « la convergence n’est à coup sûr pas produite par l’absence ou à travers l’abandon des formes de différenciation et de division du travail scientifique » (Shinn, 2000, p. 469). Cette précision est fondamentale pour aboutir à une compréhension des twin studies. En niant la différenciation, l’on ne peut pas comprendre la relation asymétrique entre les chercheurs en sciences sociales qui recourent aux twin studies et les généticiens qui leur fournissent un accès aux données, ni la hiérarchie des priorités qui conduit par exemple les criminologues biosociaux à mobiliser des modèles basiques de twin studies abandonnés par les généticiens du comportement. Afin de rendre la lecture plus agréable et d’éviter les répétitions trop nombreuses, j’alterne au cours de cet article entre objet-frontière et instrument générique pour désigner les twin studies. Les développements précédents ayant clarifié l’utilisation que je réserve à ces deux expressions, j’espère qu’il sera clair au lecteur que cette alternance n’est pas le signe d’hésitations conceptuelles.

Les twin studies hier et aujourd’hui

  • 3 Pour cela, il faudra vraisemblablement attendre les travaux de Curtis Merriman et Hermann Siemens p (...)

10Les études de jumeaux ont constitué avec les adoption studies l’un des principaux instruments utilisés par les généticiens pour étudier la transmission des comportements humains. En partant du postulat que les jumeaux monozygotes – à l’inverse des jumeaux dizygotes – ont un patrimoine génétique identique, les généticiens ont essayé de quantifier la part respective des facteurs génétiques et environnementaux dans l’explication des phénotypes humains (la violence, l’intelligence, le comportement politique, etc.). L’invention des twin studies est généralement mise au crédit de l’anthropologue Francis Galton pour un article publié en 1875 dans le Fraser’s Magazine. Bien que conscient de l’existence de jumeaux monozygotes et dizygotes, F. Galton ne recourt pas exactement à la méthodologie telle qu’on la connaît aujourd’hui (Rende et al., 1990)3. Revenir aux origines de la méthode est néanmoins intéressant, car l’on perçoit dès le départ les attentes placées dans les twin studies. Si F. Galton se sert de jumeaux, c’est pour trancher le fameux débat nature-culture. Les résultats, selon lui, ne laissent planer aucun doute : la nature est beaucoup plus importante dans la détermination des comportements humains que ne l’est la culture (voir Bulmer, 1999, p. 284).

11Si la méthode a changé au fil du temps, les résultats issus des recherches mobilisant des jumeaux ont continué d’être mobilisés à l’appui de la thèse naturaliste. Au début du xxe siècle, les twin studies sont invoquées pour critiquer l’anthropologie culturaliste de Franz Boas (Degler, 1991, p. 185). Dans la seconde partie du xxe siècle, les résultats issus de ces recherches ont été mobilisés pour s’attaquer aux thèses environnementalistes, en particulier en psychologie (Panofsky, 2014). Il existe même des raisons de penser que le succès des twin studies est en partie dû au fait que cette méthode produit des coefficients d’héritabilité relativement élevés, si bien que des chercheurs en génétique comportementale auraient sciemment préféré les twin studies au détriment d’autres méthodologies. L’obtention de coefficients élevés a en effet permis de justifier des interprétations génétiques déterministes du comportement humain, tout en remettant en cause les théories environnementalistes qui insistaient sur l’importance des facteurs sociaux (Panofsky, 2014, p. 89).

12Sous leur apparente uniformité, les twin studies se déclinent en modèles conceptuels plus ou moins sophistiqués. L’un des modèles utilisés à l’heure actuelle par les chercheurs en sciences sociales est désigné par les généticiens et biologistes sous le terme de classical twin studies (ou modèle ACE). Cette méthode est mobilisée afin d’estimer l’influence respective des gènes et de l’environnement sur un phénotype donné (Figure 1). La formule est relativement simple : VarP = VarA + VarC + VarE. La variance d’un phénotype donné (VarP, l’agressivité ou les préférences politiques par exemple) est égale à la variance observée dans les facteurs génétiques (VarA), les facteurs environnementaux partagés par les jumeaux (VarC) et les facteurs environnementaux non-partagés (VarE).

Figure 1 : Exemple de schématisation du modèle ACE dans un article de criminologie biosociale

Figure 1 : Exemple de schématisation du modèle ACE dans un article de criminologie biosociale

Source : (Barnes et al., 2011).

  • 4 Les jumeaux sont également utilisés afin de réaliser des expériences comportementales sous contrôle (...)

13Comment cela se traduit-il en sciences sociales ? Quel usage les chercheurs en sciences sociales font-ils des twin studies ? Les jumeaux servent principalement à pratiquer des analyses de régression à partir de bases de données déjà existantes4. Afin de mieux comprendre le déroulé et les conclusions que l’on peut tirer des résultats d’une twin study, il est utile de se concentrer sur une étude précise. L’article fondateur de la « génopolitique » publié dans l’American Political Science Review fournit à cet égard une excellente illustration des pratiques types des chercheurs en sciences sociales qui recourent aux twin studies (Alford et al., 2005). Les auteurs sont tous les trois politistes et employés par des universités états-uniennes lors de la publication – respectivement à Rice University, Virginia Commonwealth University et University of Nebraska. Dans l’introduction de leur article, ils commencent par observer que des généticiens du comportement ont révélé le caractère partiellement génétique d’un large éventail d’attitudes et de comportements humains, si bien qu’il est peu probable que les opinions politiques ne soient pas elles aussi influencées par les gènes (Alford et al., 2005, p. 153). Afin de tester l’hypothèse de l’héritabilité des comportements politiques, les trois politistes utilisent la base de données Virginia 30K, dont l’accès leur a été autorisé par son créateur Lindon Eaves. Ce registre, en plus des traditionnelles variables ayant trait au profil démographique et à l’état de santé des jumeaux, comprend aussi des données sur les attitudes morales et politiques des individus de l’échantillon. En effet, lors de la passation de questionnaire, Lindon Eaves et ses collègues ont inséré des questions fondées sur l’échelle du conservatisme développée par Glenn D. Wilson et John R. Patterson (1968). Comme on le voit dans la Figure 2, qui présente les résultats de l’étude réalisée par John R. Alford et ses collègues, les thèmes abordés sont très variés : prière à l’école, capitalisme, astrologie, ségrégation, pornographie, avortement, etc.

Figure 2 : Exemple des résultats d’une twin study (modèle ACE) menée en science politique à partir de l’échelle du conservatisme Wilson-Patterson

Figure 2 : Exemple des résultats d’une twin study (modèle ACE) menée en science politique à partir de l’échelle du conservatisme Wilson-Patterson

Source : (Alford et al., 2005, p. 159).

14Les données issues du registre Virginia 30K sont utilisées afin d’effectuer des analyses statistiques de corrélation. En se fondant sur le modèle ACE, la variation entre les résultats des jumeaux monozygotes et dizygotes sont attribuées à des facteurs génétiques ou environnementaux (partagés ou non-partagés). Les colonnes « Corr. » indiquent le coefficient de corrélation entre la réponse des jumeaux, selon qu’ils sont monozygotes ou dizygotes. Par exemple, l’attitude des jumeaux monozygotes vis-à-vis de la prière à l’école (première ligne) obtient un coefficient de 0,66, contre 0,46 pour les jumeaux dizygotes, ce qui signifie que les opinions des premiers sont plus corrélées que celle des seconds. Cette différence permet ensuite d’établir un coefficient d’héritabilité, en l’occurrence de 0,41 : 2x(0,66 – 0,46).

15Comment J. R. Alford, C. L. Funk et J. R. Hibbing font-ils sens de ces résultats ? Quels sont, selon eux, les apports de la génétique à la science politique ? Avant toute chose, les trois politistes insistent sur la complexité des comportements humains, qui relèvent davantage d’interactions entre la génétique et l’environnement que de chaînes de causalité indépendantes. La quête d’un gène du comportement politique est donc par avance vouée à l’échec, et les auteurs sont très clairs dans leur rejet du déterminisme génétique (Alford et al., 2005, p. 163). Le problème, c’est que la méthode ACE formate par avance les résultats et l’interprétation causale du chercheur en sciences sociales, puisqu’il n’est pas possible, à partir de ce modèle basique, d’identifier des interactions génétique-environnement. Autrement dit, bien qu’ils insistent sur la complexité de ces problématiques, et sur l’importance de l’environnement pour expliquer l’expression de certains gènes, la méthodologie des twin studies les contraint à présenter leurs résultats dans les termes d’une opposition entre la nature et la culture :

Les résultats substantifs que nous présentons ici remettent directement en cause les postulats et les interprétations traditionnels selon lesquels les attitudes politiques et les tendances comportementales sont principalement ou même exclusivement façonnés par des facteurs environnementaux, notamment familiaux (Alford et al., 2005, p. 164).

  • 5 Cette posture pro-génétique est visible lorsqu’on réalise une analyse lexicale du résumé des articl (...)
  • 6 Nous verrons d’ailleurs que cet écart se traduit également dans les différents usages que les cherc (...)

16L’utilisation des twin studies en sciences sociales débouche ainsi sur un paradoxe. Tandis que les généticiens se tournent de plus en plus vers les facteurs sociaux, ce qui se perçoit notamment dans l’essor de l’épigénétique (Meloni, 2016a), politistes, sociologues, criminologues et économistes, bien qu’insistant eux aussi sur les interactions entre les gènes et l’environnement, finissent par produire un plaidoyer en faveur du naturalisme5. Bien que cela puisse paraître intriguant, les instruments génériques sont porteurs d’un certain vocabulaire, de croyances et d’idées qui vont venir orienter le travail scientifique de leurs utilisateurs (Joerges & Shinn, 2001, p. 246). L’usage acritique des twin studies joue sans doute un rôle dans l’écart constaté entre l’épistémologie multivariée et pro-sociale que l’on retrouve désormais en sciences naturelles, et le biologisme daté que l’on continue de rencontrer en sciences sociales (Meloni, 2014)6. Le recours au modèle classique ACE oriente les interprétations causalistes univariées en faveur d’un naturalisme autonome vis-à-vis du contexte social dans lequel les facteurs génétiques s’expriment. Mais tout ceci ne nous dit pas comment des chercheurs en sciences sociales ont pu recourir à la génétique dans leurs recherches empiriques.

Un cadeau empoisonné ? L’impérialisme « généreux » des généticiens

17Comment les twin studies ont-elles été rendues accessibles aux chercheurs en sciences sociales ? Dans son ouvrage Misbehaving science, le sociologue états-unien Aaron Panofsky (2014, p. 154) a expliqué que l’une des stratégies de réussite des généticiens consistait à se montrer « généreux » vis-à-vis de leurs collègues non-généticiens. C’est-à-dire que les généticiens du comportement humain ont cherché à partager leurs outils et théories avec d’autres chercheurs non-spécialistes. Pour comprendre cette attitude, il faut dire quelques mots du champ de la génétique comportementale lui-même. Présenté comme un « archipel » par A. Panofsky (2014, p. 33), ce champ fragmenté est historiquement fréquenté par deux pôles de la génétique qui se sont affrontés. La génétique animale des facultés de biologie, d’une part, et la génétique humaine, d’autre part, principalement associée aux sciences comportementales, psychologie et psychiatrie en tête. La seconde s’est largement imposée grâce à une attitude impérialiste qui s’est notamment manifestée par un désir de montrer que tous les comportements humains auxquels s’intéressent les psychologues environnementalistes sont influencés par la génétique. Le choix du mot « générosité » est sans doute malheureux dans la mesure où il semble décrire un don sans contrepartie de la part des généticiens. En réalité, comme c’est souvent le cas lorsque des chercheurs en sciences sociales collaborent avec des chercheurs culturellement assimilés aux sciences naturelles, le don des généticiens trahit une relation de pouvoir asymétrique et à sens unique (voir infra). Il est important de souligner que ce déséquilibre, bien que s’exprimant parfois lors d’interactions entre chercheurs, découle principalement du déséquilibre dans le volume de capital symbolique respectivement détenu par les sciences naturelles et les sciences sociales. Pour le dire autrement, la supériorité des généticiens sur les politistes ou les criminologues s’observe même en l’absence de collaborations formelles entre ces derniers et des généticiens du comportement. Cette hiérarchie sociale est intégrée dans le modèle des twin studies, ce qui se perçoit notamment dans la définition appauvrie des facteurs environnementaux contenue dans cet instrument (voir infra).

  • 7 Une liste de ces registres par pays est disponible dans l’annexe électronique (Tableau A3), https:/ (...)

18La « générosité » des généticiens vis-à-vis des chercheurs en sciences sociales n’a pas été simplement symbolique. De façon concrète, plusieurs bases de données génétiques accessibles à des non-généticiens ont été mises en place, que l’on pense à Add Health, Virginia 30K, ou encore Australian Twin Registry. Parce « qu’il n’y a guère de sciences sans bases de données » (Jaton & Vinck, 2016, pp. 494-495), cette étape a été cruciale dans la diffusion de la génétique en sciences sociales. L’on dénombre aujourd’hui une cinquantaine de registres de jumeaux à travers le monde, dont près d’une vingtaine aux États-Unis7. L’International Society for Twin Studies, fondée en 1974 par des généticiens du comportement, a joué un rôle important dans la promotion de l’instrument générique. Dans le champ scientifique, cela est notamment passé par la création d’une revue, Twin Research and Human Genetics, qui fait office de référence en la matière. Criminologues, politistes, sociologues ou économistes n’ont qu’à venir piocher dans ces bases de données mises en place par les généticiens. Non seulement cela facilite l’écriture scientifique et donc la diffusion de l’instrument générique twin studies, mais en plus les chercheurs en sciences sociales peuvent profiter du savoir génétique sans avoir à se retirer dans un laboratoire ou collaborer avec des généticiens. Comme le soulignent des criminologues biosociaux, ce type de recherche « ne requiert pas l’utilisation d’un équipement de laboratoire onéreux ou de bases de données restreintes » (Weir & Kosloski, 2015, p. 104). Ils peuvent ainsi se contenter d’un rôle de consommateur, les généticiens ayant fourni en supplément de ces données l’instrument générique qu’il convient d’utiliser pour les faire parler, les twin studies.

  • 8 Contrairement à d’autres communautés de chercheurs qui s’activent à travers plusieurs champs, en sc (...)

19Terry Shinn (2007) parle de communauté interstitielle pour désigner les chercheurs qui développent et accompagnent la diffusion d’instruments génériques. Si la définition qu’il en donne ne correspond pas exactement au cas des généticiens du comportement, en revanche les pratiques sociales de ces derniers ressemblent fortement à celles qui sont attendues d’une communauté interstitielle. En effet, comme cela a été souligné par Vincent Simoulin (2016, p. 521), « les membres d’une “communauté interstitielle” sont de fait contraints à une certaine mobilité pour accompagner et promouvoir la diffusion d’un instrument et l’adapter à de nouveaux usages ». Or, il se trouve justement que la diffusion des twin studies en sciences sociales a été facilitée par des « ambassadeurs » issus de la génétique comportementale. C’est notamment le rôle qu’a endossé Lindon J. Eaves, chercheur britannique qui fait partie des premiers auteurs, dans les années 1970, à avoir développé et mobilisé la version classique des twin studies (le modèle ACE, voir infra) pour rendre compte des comportements humains (Eaves, 1975 ; Eaves et al., 1978 ; Martin & Eaves, 1977)8. Il figurait aussi, au milieu des années 2000, sur la liste des chercheurs les plus cités élaborée par l’Institute for Scientific Information (Panofsky, 2014, p. 265, note 68). Une recherche rapide sur le Web of Science révèle que L. J. Eaves a commencé à publier dans des revues de sciences sociales à compter de la moitié des années 2000, ce qui coïncide avec la multiplication des twin studies dans les revues de criminologie, d’économie, de sociologie et de science politique (Tableau 1). Cela est surtout visible en science politique, discipline dans laquelle L. J. Eaves a participé à la publication de dix-neuf articles.

Tableau 1 : Répartition du nombre d’articles publiés dans des revues de criminologie, économie, sociologie et science politique faisant mention des twin studies dans leur titre, résumé ou mots-clés (2000-2017)

Période

Criminologie

Économie

Sociologie

Science
politique

2000-2001

1

1

0

0

2002-2003

0

0

1

0

2004-2005

2

4

0

1

2006-2007

0

3

1

1

2008-2009

7

2

2

2

2010-2011

3

3

2

3

2012-2013

6

10

2

9

2014-2015

8

6

5

3

2016-2017

3

8

5

3

Source : Dix articles antérieurs à 2000 n’ont pas été inclus dans le tableau. Ces résultats ont été obtenus à partir du Web of Science à l’aide de la requête suivante : TS = ("twin stud*" OR "twin sample" OR "sample of twin*" OR "twin design" OR "monozygotic" OR "dizygotic") AND WC = (sociology OR political science OR economics OR criminology). La requête a été effectuée le 23 janvier 2018.

  • 9 Les résultats sous-estiment l’importance du phénomène, notamment parce que le Web of Science opère (...)

20Si l’on prend pour point de repère la finalisation du Human Genome Project au début des années 2000, les effets de la « générosité » des généticiens en sciences sociales sont à première vue assez limités (Tableau 1). Bien que les résultats obtenus sous-évaluent le nombre réel de twin studies9, l’on dénombre tout au plus quelques dizaines d’articles ayant eu recours à cet instrument générique. En même temps, ce phénomène de diffusion dépasse les particularités disciplinaires locales. De la criminologie à la science politique, en passant par l’économie et la sociologie, l’objet-frontière twin studies est de plus en plus mobilisé dans les revues de sciences sociales anglophones. Cela est d’autant plus notable que le moment du « décollage » des twin studies est identique pour les quatre disciplines retenues. Mais c’est surtout la visibilité de ces travaux dans les principales revues disciplinaires qui interpelle. Au cours des dernières années, plusieurs numéros spéciaux et/ou débats ont été organisés afin de discuter des apports de la génétique aux sciences sociales : American Journal of Sociology et Perspectives on Politics en 2008, Journal of Theoretical Politics en 2012, ou encore Criminology en 2015. En économie, les travaux de « génoéconomie » ont fait l’objet d’un article de l’Annual Review of Economics (Benjamin et al., 2012).

  • 10 Il est à noter que le second auteur de l’article n’est autre que Peter Hatemi, professeur en scienc (...)

21Quelles sont les modalités de la relation entre les sciences de la nature et les sciences sociales ? Comme l’ont expliqué Felicity Callard et Des Fitzgerald (2016) à propos des projets interdisciplinaires en neurosciences, les collaborations entre sciences de la nature et sciences sociales sont fondamentalement inégalitaires et marquées par un rapport de domination épistémologique et sociale des premières sur les secondes. C’est également ce qu’ont constaté Mathieu Albert et ses collègues dans le domaine de la santé, où les chercheurs en sciences sociales sont souvent réduits à un rôle marginal et leurs apports scientifiques ignorés (Albert et al., 2009). Cette asymétrie dans les relations entre sciences sociales et sciences de la nature s’observe également s’agissant de la génétique et des twin studies, principalement parce que les chercheurs en sciences sociales sont directement dépendants des généticiens pour l’accès à des données dont la pertinence n’est pas toujours évidente. Par exemple, J. R. Alford, C. L. Funk et J. R. Hibbing (2005, p. 157) regrettent dans leur article fondateur de la génopolitique qu’il n’existe pas de registres de jumeaux comprenant des mesures précises des comportements politiques. Cet article publié en 2005 est également révélateur des rapports déséquilibrés entre généticiens et chercheurs en sciences sociales. C’est le généticien L. J. Eaves, nous l’avons vu, qui a autorisé l’utilisation du registre de jumeaux Virginia 30K – qu’il avait lui-même créé – afin de permettre aux trois politistes de s’intéresser à la génétique des comportements politiques. Loin d’être désintéressée, l’aide proférée par les généticiens du comportement aux chercheurs en sciences sociales s’insère dans un processus d’échange de bons procédés qui trahit clairement la domination des généticiens sur les chercheurs en sciences sociales, comme l’illustre le passage d’un article écrit en l’honneur de L. J. Eaves publié dans Behavior Genetics : « En 2005, un groupe de politistes [Alford, Funk et Hibbing], peu familiers avec les normes scientifiques que nous, en Génétique Comportementale, tenons comme allant de soi, ont publié un article en utilisant des données que Lindon leur avait fournies en s’attendant à être inclus dans les éventuels articles qui reposeraient sur ces analyses » (Maes et al., 2014, pp. 183-184). En plus de l’illustration du mécanisme du don, qui appelle un contre-don, l’on perçoit clairement la confiance qu’ont les auteurs dans la plus grande scientificité de leurs travaux10.

22Mais l’attitude impérialiste des généticiens du comportement s’est principalement traduite par l’application des twin studies à des comportements humains très nombreux et variés. De même que des économistes comme Gary Becker ont appliqué la théorie de l’acteur rationnel à tout un ensemble de comportements humains, depuis la criminalité jusqu’à l’organisation familiale, les généticiens ont cherché à montrer que toute action humaine était, au moins en partie, d’origine génétique (Panofsky, 2014, chapitre 5). Cette croyance est si bien enracinée que le psychologue Eric Turkheimer (2000, p. 160), dans un article classique consacrés aux trois lois de la génétique comportementale, postulait que « tous les traits comportementaux humains sont héritables ». Cette approche omnivore, pour emprunter la terminologie de la sociologie de la culture, n’est pas guidée par un souhait de comprendre l’ensemble des phénomènes et des comportements étudiés. Il s’agit plutôt de peaufiner l’instrument générique au contact de nouveaux problèmes. Les chercheurs en sciences sociales, à l’inverse, sont plus intéressés par les résultats que les twin studies sont susceptibles d’apporter à propos des questions spécifiques qu’ils se posent. L’on a donc affaire à une double hiérarchie. Pour les généticiens, la méthode est plus importante que l’objet auquel on l’applique. Pour les chercheurs en sciences sociales, les twin studies ne sont qu’une méthode parmi d’autres permettant de faire avancer leur compréhension de l’objet qui les intéresse.

  • 11 La liste complète de ces phénotypes peut être consultée dans l’annexe électronique (Tableau A4, htt (...)

23Malgré tout, l’omnivorité des généticiens a permis en retour aux chercheurs en sciences sociales de justifier leur utilisation des twin studies auprès de leurs collègues. Dans un article important paru dans l’American Journal of Sociology en 2008, le sociologue de Stanford University Jeremy Freese, l’une des figures de référence en génomique sociale, fournit un tableau listant une cinquantaine de traits comportementaux pour lesquels l’héritabilité est considérée comme substantielle en génétique comportementale (c’est-à-dire au moins égale à 25 %). Si la présence de certains phénotypes qui ont trait à la santé, comme l’obésité ou le diabète, n’est pas particulièrement surprenante, en revanche le caractère génétique d’autres comportements est plus inattendu. Par exemple, le fait de divorcer, de lire des livres, d’apprécier l’art moderne ou encore de prendre un petit-déjeuner serait tout autant influencé par la génétique (Freese, 2008, p. 11)11. De nombreux chercheurs en sciences sociales se sont inquiétés de perdre le monopole de l’étude des phénomènes sociaux et culturels. Cette crainte est très bien exprimée par le sociologue Jeremy Freese : « bien qu’en tant que sociologues nous puissions être en mesure de déterminer la place de la génétique en sociologie, nous ne contrôlons pas la place de la génétique en public et dans la compréhension globale des problèmes que nous étudions, ni la place de la sociologie comme autorité à même de contribuer à cette compréhension » (idem, p. 3). Aussi certains chercheurs en sciences sociales pensent-ils n’avoir d’autre choix que d’accepter le « cadeau » des généticiens et d’intégrer des données génétiques dans leurs travaux afin de conserver leur autorité scientifique et de continuer à susciter l’intérêt des agences de financement de la recherche.

24L’approche omnivore des généticiens du comportement se fait au prix d’une réduction conceptuelle, à la fois du génétique, puisqu’il n’est pas possible d’identifier les gènes précis qui influencent le comportement étudié, mais également de l’environnement, ce qui intéresse directement les chercheurs en sciences sociales. Afin de conserver sa flexibilité méthodologique, ce qui lui permet d’être transposable à des problématiques aussi variées, la méthodologie des twin studies reste en surface des facteurs génétiques et environnementaux. C’est pourquoi j’avance l’hypothèse que la traduction la plus notable de l’asymétrie relationnelle entre chercheurs en sciences sociales et sciences naturelles réside dans l’adoption pure et simple par les premiers de la conception appauvrie du social contenue dans la méthodologie des twin studies. Les chercheurs en sciences naturelles, et c’est bien normal étant donné leur champ d’expertise, ont une idée différente de ce que le social signifie (Callard & Fitzgerald, 2016, p. 53). Bien que l’expertise scientifique d’un sociologue ou d’un politiste pourrait permettre de développer une conception plus fine et complexe des facteurs environnementaux, la méthodologie des twin studies fait obstacle empiriquement à l’identification des différents facteurs sociaux qui influencent – ou pas – les comportements étudiés. Par exemple, les conclusions de J. R. Alford, C. L. Funk et J. R. Hibbing à propos des facteurs sociaux qui influencent les comportements politiques procèdent par des déductions logiques par nature imprécises. Pour contredire l’idée que les facteurs familiaux sont importants dans la formation des opinions politiques, les trois politistes expliquent ainsi que la part des facteurs environnementaux partagés est faible (11 %). Or, puisque les facteurs familiaux figurent nécessairement dans ces facteurs partagés, cela signifie que la famille n’est pas importante en termes de socialisation politique (Alford et al., 2005, p. 164). Pourtant, l’on serait bien en peine d’identifier une mesure précise de la socialisation familiale dans les variables statistiques de leur étude. Les résultats d’une twin study sont d’autant plus difficiles à interpréter pour un chercheur en sciences sociales que la séparation opérée entre l’environnement partagé et non-partagé est trompeuse. En effet, le modèle ACE attribue automatiquement la marge d’erreur statistique aux facteurs environnementaux non-partagés, ce qui rend très difficile de savoir quelle est la source véritable, partagée ou non-partagée, de la variance observée dans la variable indépendante (Freese, 2008, p. 20). Que des chercheurs en sciences sociales décident de recourir aux twin studies malgré l’ensemble de ces faiblesses conceptuelles qui conduisent peu ou prou à dissoudre le social et à le rendre inatteignable en dit long sur la dynamique de leur relation avec les sciences naturelles.

25Un résultat inévitable de l’omnivorité des généticiens et de la méthodologie des twin studies est de nier l’autonomie du social historiquement acquise afin de construire la discipline sociologique (Mucchielli, 2010), sans que cette perte d’autonomie ne débouche pour autant sur une science interdisciplinaire de l’homme où les sciences sociales joueraient un rôle central. Puisque tout est partiellement génétique, rien n’est jamais vraiment social. Loin d’être purement symbolique, cette perte d’autonomie influence directement la production scientifique. Certaines revues de sciences sociales acquises à la cause des généticiens du comportement exigent désormais des articles qui leur sont soumis qu’ils prennent en compte l’influence des facteurs génétiques. Comme me l’explique un criminologue biosocial lors d’un entretien :

Bien que l’ampleur de l’effet varie, l’impact des facteurs biologiques (gènes, évolution, etc.) a peu de chances d’être égal à zéro […] Étant donné que la variable Z [la génétique] n’était pas présente dans l’étude que l’on nous avait demandé d’évaluer, nous en sommes arrivés à la conclusion que le papier n’était pas acceptable. C’était un problème méthodologique de base. L’étude était-elle rigoureuse, prenait-elle en compte toutes les sources possibles de biais ? Dans cet exemple la réponse était non, elle n’avait pas atteint un certain standard de rigueur. Nous avons donc rejeté le papier (ou recommandé d’opérer des changements).

26L’on voit bien ici comment des mouvements finalement marginaux peuvent influer sur la production du savoir de leur discipline alors même qu’il existe des controverses sur la pertinence de leur approche théorique. D’où l’importance de ne pas minorer l’ampleur du mouvement génétique. Certes, sa traduction bibliométrique est encore modeste en comparaison de programmes de recherche plus anciens. Mais la visibilité de cette minorité de chercheurs est telle qu’elle parvient à influer sur les normes scientifiques et méthodologiques des sciences sociales. Au-delà des craintes liées à une érosion de leur autorité scientifique, l’on peut se demander pourquoi des chercheurs en sciences sociales décident de mobiliser les twin studies, mettant ainsi en danger le savoir traditionnel de leurs disciplines respectives. Si l’on considère que toute intervention dans le champ scientifique est simultanément scientifique et politique (Bourdieu, 1976), s’intéresser au profil de ces chercheurs peut fournir un commencement de réponse. Par exemple, l’on sait que les criminologues biosociaux et les génopolitistes sont majoritairement de jeunes chercheurs ayant soutenu leur thèse de doctorat après 2000, bon nombre d’entre eux dans des universités peu prestigieuses (Larregue, 2017, p. 180 ; 2018). Ainsi, sans sombrer dans le stratégisme en attribuant à ces chercheurs des intentions cyniques, l’on comprend aisément qu’ils aient vu dans l’usage de la génétique une occasion d’acquérir de la visibilité au sein de leurs champs respectifs et de participer à des programmes de recherche innovants où tout restait à faire. En soutenant le caractère génétique des phénomènes traditionnellement étudiés par les chercheurs en sciences sociales, les utilisateurs des twin studies remettent également en cause les théories environnementalistes et rationalistes dominantes. C’est le cas pour l’article de J. R. Alford et ses collègues (2005), c’est également le cas en criminologie, comme l’illustre l’extrait d’entretien ci-dessus. Cette remise en cause des savoirs disciplinaires locaux débouche à son tour sur une standardisation des sciences sociales.

Les twin studies et la standardisation des sciences sociales

27L’un des principaux effets du recours à des instruments génériques réside dans la standardisation scientifique qu’ils entraînent dans leur sillage (Shinn, 2000 ; Simoulin, 2012). De la même façon qu’« un vocabulaire spécifique et une façon de percevoir les phénomènes se développèrent en conjonction avec l’instrument de Beams [la centrifugeuse] » (Shinn & Ragouet, 2005, pp. 175-176), les twin studies sont à la source d’un langage et de repères communs qui permettent aux chercheurs en sciences sociales de traverser les frontières disciplinaires et nationales afin de travailler ensemble. Le caractère rassembleur des twin studies apparaît clairement dans le récit qu’un économiste me fait de la façon dont il en est venu à travailler avec des politistes :

En même temps que nous étions en train de préparer et de travailler sur les questions du sondage [soumis aux jumeaux], un politiste a aussi contacté le twin registry pour voir s’ils avaient des données sur les préférences et les comportements politiques. Je pense que c’est comme ça que c’est arrivé. Et ensuite le twin registry a conseillé au politiste de me contacter à propos de ça. Donc il m’a contacté en me demandant s’il était possible… Si nous avions une quelconque consigne à propos de ce qu’il était possible d’inclure comme données dans le sondage […] Il a conçu cette partie du sondage sur les questions politiques. Et c’est en lien avec ça que j’ai commencé à réfléchir à l’héritabilité des comportements politiques (Professeur d’économie, Europe du Nord).

28L’on voit bien ici comment les twin studies servent de jonction entre des chercheurs de disciplines différentes. La collaboration intervient véritablement grâce au twin registry, qui sert d’instance communicationnelle entre politistes et économistes. Sans l’instrument générique, ces chercheurs n’auraient peut-être jamais entendu parler l’un de l’autre. Ces relations interdisciplinaires organisées autour des questions génétiques ont été institutionnalisés par la création du Social Science Genetic Association Consortium en 201112. Fondé par trois génoéconomistes (Daniel Benjamin, David Cesarini et Philipp Koellinger) et financée en partie par la National Science Foundation états-unienne, cette structure a pour but de faciliter la mise en commun de données génétiques en sciences sociales, notamment pour la conduite des gargantuesques genome-wide association studies, dont les standards statistiques requièrent des échantillons d’individus très importants et donc coûteux.

  • 13 La liste des termes les plus récurrents est disponible dans l’annexe électronique (Tableaux A1 et A (...)
  • 14 Le graphique de cette analyse est disponible dans l’annexe électronique (Graphique A2, https://jour (...)

29Mais la standardisation qu’entraîne l’usage des twin studies s’opère même en l’absence de collaborations interdisciplinaires formelles. En effet, c’est avant tout la convergence méthodologique, laquelle s’accompagne d’une convergence linguistique, qui fait que criminologues, économistes, politistes et sociologues peuvent se comprendre sans travailler sur les mêmes objets. Si les variables dépendantes varient, le protocole d’analyse et la façon de présenter les résultats restent constants. Une analyse lexicale effectuée à partir du résumé des articles de sciences sociales faisant mention des twin studies (Tableau 1) confirme le développement d’un sabir commun organisé autour de quelques termes clés : twin bien entendu, mais aussi genetic, environment, variation, behavior, trait, etc.13. Les sous-communautés développent bien entendu des langages plus spécifiques, ce qui se confirme lorsqu’on réalise une analyse factorielle des correspondances sur le résumé des articles14. Mais ce vocabulaire spécialisé est surtout lié aux phénomènes étudiés dans chacune des disciplines (criminalité, comportements politiques ou économiques, etc.), plutôt qu’aux termes génériques des twin studies qui sont quant à eux partagés.

30Une autre manifestation de la convergence qu’opère le recours aux twin studies réside dans les controverses qui entourent cette méthode. Ce n’est pas seulement la méthodologie des twin studies qui s’est diffusée en sciences sociales, mais aussi les critiques qui l’accompagnent depuis des décennies. Sociologues, criminologues, économistes et politistes ont dans une large mesure rejoué le débat ancien qui oppose, en génétique comportementale, les défenseurs et les critiques des twin studies (Panofsky, 2014). Cette méthode repose en effet sur un certain nombre de postulats contestés, dont celui particulièrement controversé de l’Equal Environment Assumption (EEA). L’EEA postule que les environnements des jumeaux monozygotes ne sont pas plus similaires que ceux des jumeaux dizygotes. Comme je l’ai expliqué, l’objectif des twin studies est de mesurer la variance dans une variable dépendante (la délinquance, l’intelligence, le vote) qui est due à des facteurs environnementaux et génétiques. Dans leur modèle classique, on le sait, les twin studies partent de l’idée que l’on peut distinguer entre trois sources de variance : la génétique (A), l’environnement partagé (C), et l’environnement non-partagé (E). Mais l’on ne connaît au départ que le coefficient pour le facteur génétique, que l’on obtient à l’aide de la formule VarA/VarP. Si bien que l’équation comporte deux inconnus (C et E). Afin de pouvoir résoudre l’équation, il faut donc partir du postulat selon lequel l’Equal Environment Assumption est vérifiée. Ce faisant, l’on est en mesure de neutraliser mathématiquement le facteur environnement partagé (C), et l’on se retrouve avec une seule inconnue, l’environnement non-partagé.

31De nombreuses critiques ont été adressées à ce postulat. En particulier, l’on a reproché à l’EEA d’être empiriquement fausse, de nombreuses recherches ayant montré que les jumeaux dizygotes n’étaient pas aussi socialement proches entre eux que peuvent l’être des jumeaux monozygotes (Joseph, 2002). Mon but n’est pas de me prononcer sur la pertinence de ces critiques mais de montrer comment elles se sont diffusées en sciences sociales avec l’instrument générique twin studies. D’abord émises dans le champ de la génétique comportementale à partir des années 1960 (Panofsky, 2014), ces critiques ont commencé à apparaître dans les revues de sciences sociales suite aux premières publications de twin studies. Cela est particulièrement visible en criminologie et en science politique. En criminologie, les sociologues Callie Burt et Ronald Simons (2014, p. 225) ont appelé à mettre un terme aux twin studies, reprenant à leur compte les critiques déjà émises par des biologistes et généticiens contre les postulats de cette méthode. En science politique, Evan Charney (2008) s’est lui aussi attaqué au postulat de l’Equal Environment Assumption afin de remettre en cause les résultats obtenus par certains de ses collègues politistes qui avaient utilisé la méthode des twin studies (Alford et al., 2005). Les twin studies ont ainsi entraîné dans leur sillage l’ensemble des critiques qui leur avaient été adressées en génétique comportementale.

Distance sociale et flexibilité interprétative des twin studies

32Bien que l’on puisse parler des twin studies comme d’un instrument générique, il ne faudrait pas exagérer le rôle que cette méthode joue dans la « cohésion sociale et intellectuelle » (Shinn, 2000, p. 467) des sciences sociales et des sciences naturelles. Comme cela a été souligné par T. Shinn, l’utilisation d’un instrument générique en dehors de son champ d’origine s’accompagne d’un processus de recontextualisation-recomposition ayant pour but de l’adapter aux besoins particuliers de son utilisateur (idem, pp. 456-457). C’est précisément parce que l’instrument est modulable qu’il peut prétendre à la généricité. Pour les chercheurs en sciences sociales, les twin studies ne sont qu’une méthode parmi d’autres permettant de faire avancer la compréhension de l’objet qui les intéresse. Ils ne cherchent pas nécessairement à s’élever aux standards de la génétique, ce qui se répercute sur la simplicité des modèles génétiques qu’ils utilisent. Leur objectif est de mobiliser les twin studies de façon « crédible », pour comprendre leur objet et non pour contribuer à l’amélioration de l’instrument générique. Comme le résume un criminologue biosocial :

Les criminologues n’ont pas besoin de devenir (et ne doivent pas s’attendre à devenir) des experts dans les arcanes profonds de ces disciplines. Tout ce qu’ils ont à faire c’est d’apprendre les rudiments de la génétique, de la neurobiologie, et de la biologie évolutionniste dans la mesure où cela leur permet d’appliquer cette littérature aux questions criminologiques. Cela n’est pas différent d’avoir à apprendre suffisamment bien les rudiments de la statistique pour conduire des recherches crédibles (Walsh, 2009, p. 24).

33Dans cette dernière partie, je m’inspire du concept de « distance sociale » proposé par Harry Collins (2010, pp. 8-12) pour rendre compte du processus de découverte des ondes gravitationnelles en physique. Ce concept est utilisé par H. Collins pour expliquer pourquoi les physiciens, c’est-à-dire les plus susceptibles de comprendre les tenants et les aboutissants des ondes gravitationnelles, sont plus prudents dans leurs conclusions et moins certains de l’état du savoir que ne le sont des chercheurs extérieurs à cette discipline. Un peu à la manière de la loi en carré inverse en physique, l’hypothèse de H. Collins est que le flux d’informations reçues décroit au fur et à mesure que l’on s’éloigne de sa source initiale. Plus la distance sociale est importante, plus l’information scientifique est incomplète, et donc simplifiée par son récepteur. De façon paradoxale, l’une des conséquences de cette simplification est que les agents les plus éloignés seront aussi les plus confiants à propos de ce que le signal initial pouvait bien vouloir dire. Autrement dit, bien que le flux d’informations diminue avec la distance, l’onde de savoir, à l’inverse, se renforce (Collins, 2010, p. 12). La prudence interprétative et conceptuelle est donc inversement proportionnelle à la distance du chercheur avec le signal interprété. Cela explique que l’utilisation en sciences sociales d’objets et de théories développés en sciences naturelles s’accompagne souvent de simplifications et d’approximations. C’est par exemple ce qu’ont constaté F. Callard et D. Fitzgerald (2016, p. 54) à propos des neurosciences, les chercheurs en sciences sociales ayant tendance à mobiliser des modèles dépassés et déjà abandonnés par les neuroscientifiques. Pour prendre un exemple précis, l’on peut mentionner le cas du neuromarketing, dont les productions peinent à être acceptés dans les revues de neurosciences prestigieuses en raison de leurs déficits méthodologiques (Wannyn, 2017).

  • 15 Le cas de la génétique comportementale n’est cependant pas identique à celui des neurosciences, pri (...)
  • 16 Cela est également lié à la hiérarchie des intérêts que j’ai déjà décrite. Tandis que les généticie (...)

34De façon semblable, la forme locale des twin studies dépend de la distance sociale entre le lieu initial d’apparition de cet objet (la génétique) et l’observateur15. Plus l’observateur s’éloigne socialement de l’instrument, en passant par exemple de la génétique à la criminologie, et plus sa compréhension des twin studies est simplifiée et empreinte de confiance. À l’inverse, les acteurs les plus proches de l’objet-frontière initial, à savoir les généticiens, se montrent plus prudents dans leur utilisation des twin studies et moins certains de la solidité des résultats qui en sont issus16. Pour le démontrer, je mobilise l’exemple de la criminologie. Il est important de souligner d’emblée que les formes locales que peuvent revêtir les twin studies ne font pas obstacle à la mise en cumul des résultats scientifiques provenant de différentes disciplines. L’un des avantages des instruments génériques et des objets-frontière est précisément que ces incertitudes locales finissent par être balayées pour laisser place à une synthèse lisse et propre (Star & Griesemer, 1989, p. 411). De nombreuses méta-analyses sont réalisées sur la base de ces recherches éparses, produisant des enseignements généralisés qui ont pour effet de faire oublier les formes localisées – et parfois simplifiées – que peuvent revêtir les twin studies (voir par exemple Branigan et al., 2013).

35Comme je l’ai expliqué plus tôt, les twin studies se déclinent en différents modèles méthodologiques plus ou moins sophistiqués. La modélisation de base, dite ACE, a été utilisée dans plusieurs articles de criminologie biosociale publiés au cours des cinq dernières années (Beaver et al., 2014 ; Boisvert et al., 2013 ; Connolly & Beaver, 2015 ; Schwartz & Beaver, 2014). L’une des variantes de ce modèle, l’équation DeFries-Fulker, qui ne prend en compte que les facteurs génétiques et l’environnement partagé, a également été utilisée à plusieurs reprises par des criminologues biosociaux (Jackson, 2016 ; TenEyck & Barnes, 2015). La criminologie ne fait pas figure d’exception. Le modèle ACE a également été utilisé par l’article fondateur de l’étude génétique des comportements politiques (Alford et al., 2005). En économie, il a été mobilisé par David Cesarini et ses collègues (Cesarini et al., 2009a, b). Enfin, en sociologie, le modèle ACE est utilisé par l’équipe de recherche de Melinda Mills, directrice du département de sociologie d’Oxford University et du projet Sociogenome financé par l’European Research Council (Tropf et al., 2015a).

  • 17 Les données sur les citations sont issues de Google Scholar, consulté le 30 juin 2017.

36Bien qu’il soit difficile de fixer précisément la date de découverte du modèle ACE en génétique, c’est à partir du début des années 1970 qu’apparaissent une série de travaux utilisant ou faisant mention de cette méthode (Jinks & Fulker 1970 ; Mather & Jinks, 1971 ; Eaves, 1975 ; Martin & Eaves, 1977). Les faiblesses du modèle ACE sont aussitôt soulignées, notamment le fait que les variations génétiques non-additives ne soient pas prises en compte dans l’analyse (Eaves et al., 1978). Les variations génétiques non-additives (dominance et épistasie) désignent les interactions entre gènes. En ne les prenant pas en compte, les modèles biométriques courent le risque de sous-évaluer l’importance des facteurs environnementaux partagés en attribuant la variation observée dans la variable dépendante à des facteurs génétiques (Keller & Coventry, 2005, p. 11). La critique du modèle ACE sera relayée par les journaux scientifiques les plus réputés. En 2002, un article paru dans le prestigieux journal Nature et cité près de 800 fois17 en appelait à aller au-delà (beyond) de ce modèle classique en présentant cinq autres modèles de twin studies (Boomsma et al., 2002). Un travail publié dans les Proceedings of the National Academy of Sciences et cité plus de 900 fois réitérera la critique et soumettra une nouvelle proposition de modèle théorique permettant de mesurer la part d’héritabilité due à des facteurs génétiques non-additifs (Zuk et al., 2012). Ainsi, avant même que les chercheurs en sciences sociales ne commencent à mobiliser le modèle ACE, les généticiens avaient développé des modèles alternatifs plus sophistiqués permettant de prendre en compte les facteurs génétiques non-additifs (Figure 3), ce que ne fait pas le modèle ACE classique. En effet, alors que le modèle classique part du postulat que tous les composants génétiques se valent, le modèle présenté dans la Figure 3 intègre le fait que certains génotypes sont dominants alors que d’autres sont récessifs.

Figure 3 : Exemple de prise en compte des facteurs génétiques non-additifs dans un article de génétique

Figure 3 : Exemple de prise en compte des facteurs génétiques non-additifs dans un article de génétique

Source : (Posthuma et al., 2003).

37De même, le modèle univarié utilisé par les chercheurs en sciences sociales ne prend pas en compte la possibilité que certains phénotypes soient corrélés entre eux. Le standard utilisé par les généticiens est aujourd’hui d’employer des modèles multivariés proposant une « analyse simultanée de traits corrélés » (Boomsma et al., 2002). Plutôt que de traiter un phénotype donné comme indépendant, les modèles multivariés l’insèrent dans un schéma plus global (Figure 4).

Figure 4 : Exemple de modèle multivarié prenant en compte les corrélations phénotypiques dans un article de génétique

Figure 4 : Exemple de modèle multivarié prenant en compte les corrélations phénotypiques dans un article de génétique

Source : (Posthuma, 2009)

38La plus grande prudence des généticiens dans l’utilisation de l’objet-frontière twin studies apparaît également dans les méta-analyses qu’ils ont réalisées. Selon les généticiens, certaines modélisations sont plus adaptées à certains objets d’étude. Si l’on prend l’exemple de la criminologie, il se trouve justement que le modèle ACE utilisé par les criminologues biosociaux est considéré par les généticiens comme peu adapté à l’étude de la criminalité (Rhee & Waldman, 2009). Plutôt, ces généticiens proposent de recourir plus souvent encore aux analyses multivariées. La plus importante méta-analyse de twin studies jamais réalisée a été publiée dans Nature en 2015 (Polderman et al., 2015). Synthétisant 2 748 recherches menées pendant cinquante ans sur 7 804 traits phénotypiques et plus de 14 millions de paires de jumeaux, les résultats ont fait apparaître que huit traits phénotypiques particuliers nécessitaient le recours à des modèles prenant en compte les facteurs génétiques non-additifs, parmi lesquels les fonctions cognitives supérieures et les troubles mentaux et comportementaux dus à l’usage de l’alcool et du tabac (Polderman et al., 2015). En d’autres termes, si les généticiens considèrent que le modèle classique ACE peut convenir à l’étude de traits phénotypiques particuliers tels que le système cardiaque, la pression sanguine ou encore le métabolisme, ils estiment que les questions auxquelles s’intéressent les criminologues biosociaux nécessitent de prendre en compte les facteurs génétiques non-additifs, et donc de ne pas recourir au modèle ACE.

39Il est assez clair à l’issue de ces analyses que l’objet-frontière twin studies ne recouvre pas les mêmes formes selon que l’on se place dans son champ d’origine, la génétique, ou dans un champ qui en est plus éloigné comme la criminologie. Les chercheurs en sciences sociales continuent d’utiliser la première version du modèle des twin studies (ACE), qui est aussi la plus simple. Les critiques qui lui ont été adressées ont conduit les généticiens à le remplacer petit à petit par des modélisations plus complexes. Mais lors de la traduction de l’objet-frontière en criminologie, les critiques qui l’accompagnent sont largement restées sans effet puisqu’elles n’ont pas conduit à l’abandon du modèle ACE, comme cela a été le cas en génétique. Les chercheurs en sciences sociales sont avant tout désireux de faire avancer la compréhension de leur objet (la politique, le crime, etc.), si bien qu’ils se montrent moins soucieux d’entourer leur utilisation des twin studies des précautions dont font preuve les généticiens.

Conclusion

40J’ai souhaité montrer dans cet article comment la diffusion de la génétique en sciences sociales reposait sur un certain nombre d’objets-frontière qui ont pour effet de faciliter les échanges avec les sciences naturelles. Je me suis concentré sur l’un de ces objets, la méthodologie des twin studies, soulignant les formes différentes qu’elle peut revêtir selon qu’elle est mobilisée dans son champ d’origine, la génétique, ou dans un champ socialement éloigné comme la criminologie ou la science politique. L’exemple des twin studies confirme l’hypothèse de S. L. Star et T. Shinn selon laquelle les objets-frontière et les instruments génériques sont dotés d’une flexibilité interprétative. Nul doute que cette souplesse a joué un rôle dans la diffusion de la génétique en sciences sociales. La flexibilité conceptuelle propre aux objets-frontière permet aux twin studies de naviguer entre disciplines tout en étant traduite localement aux besoins spécifiques des disciplines. D’autant que la flexibilité des twin studies n’est pas seulement conceptuelle, mais également théorique. Puisque tous les comportements humains étudiés par la génétique principale sont à la fois génétiques et environnementaux, trois voies théoriques principales s’offrent au chercheur : une interprétation à dominante génétique, où l’on se concentre sur les facteurs génétiques, une interprétation à dominante sociale, où l’on se concentre sur les facteurs environnementaux, ou une interprétation que l’on peut appeler « agnostique », qui tenterait d’intégrer également ces deux catégories de facteurs dans le cadre théorique choisi. En sciences sociales, les twin studies débouchent souvent sur des interprétations naturalistes, ce qui s’explique notamment par l’utilisation du modèle ACE, mais aussi par l’effet de radicalité que cette interprétation véhicule avec elle. Il est pourtant clair que des résultats quantitatifs similaires peuvent conduire à des interprétations théoriques sinon diamétralement opposées, du moins partiellement divergentes (Panofsky, 2014, pp. 160-161).

41Cela permet de compléter la thèse de Maurizio Meloni (2016b) selon laquelle la biologie est passée d’un statut d’outil au service du travail de frontière entre sciences sociales et naturelles à celui d’objet-frontière rapprochant ces deux pôles. Il me semble qu’il n’est pas nécessaire de trancher entre ces deux utilisations de la génétique. Il est tout à fait possible que la génétique soit simultanément un objet-frontière et mobilisée dans des jeux de démarcation. Par exemple, nous avons vu que l’utilisation qui a été faite de la génétique par certains politistes états-uniens est en partie motivée par le souhait de remettre en cause l’idée d’une transmission des opinions par le biais de la socialisation parentale. Afin d’approfondir notre compréhension du rapprochement indéniable des sciences sociales et des sciences naturelles, peut-être faudrait-il donc mieux distinguer les effets transversaux et interdisciplinaires de la génétique de ses effets intradisciplinaires, où le travail de démarcation ne semble pas avoir complètement disparu avec la diffusion de la génétique en sciences sociales. Par ailleurs, s’agissant des collaborations interdisciplinaires, il est clair s’agissant des twin studies que ces relations ne sont pas égalitaires et que la conception du social des généticiens n’est pas la conception du social de la sociologie ou de la science politique. Surtout, l’attitude omnivore des généticiens du comportement, qui les amène à étudier des problématiques variées dont ils ne maîtrisent pas toujours les tenants et les aboutissants, place les chercheurs en sciences sociales dans une posture inconfortable que l’utilisation des twin studies ne permet pas de résoudre. En niant l’autonomie du social sans pour autant participer à l’entreprise épigénétique pro-sociale qui prend de l’ampleur depuis quelques années en biologie (Meloni, 2014), les chercheurs en sciences sociales courent le risque de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

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Notes

1 Tous les entretiens, sauf un, se sont déroulés en anglais.

2 L’unique psychologue avec lequel je me suis entretenu a publié à plusieurs reprises dans des revues de criminologie.

3 Pour cela, il faudra vraisemblablement attendre les travaux de Curtis Merriman et Hermann Siemens publiés en 1924.

4 Les jumeaux sont également utilisés afin de réaliser des expériences comportementales sous contrôle en laboratoire. Cela concerne tout particulièrement l’économie, les jumeaux étant utilisés afin de tester les prédictions empiriques de la théorie des jeux (voir par exemple Wallace et al., 2007).

5 Cette posture pro-génétique est visible lorsqu’on réalise une analyse lexicale du résumé des articles de sciences sociales mobilisant les twin studies. Le terme de génétique est en effet beaucoup plus utilisé que celui d’environnement, et celui d’interaction apparaît en tout et pour tout douze fois (137e position). Voir les Tableaux A1 et A2 de l’annexe électronique, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3527.

6 Nous verrons d’ailleurs que cet écart se traduit également dans les différents usages que les chercheurs en sciences sociales et les généticiens du comportement font des twin studies.

7 Une liste de ces registres par pays est disponible dans l’annexe électronique (Tableau A3), https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3527.

8 Contrairement à d’autres communautés de chercheurs qui s’activent à travers plusieurs champs, en science bien sûr, mais également dans l’industrie, la politique ou le droit (Lemerle & Reynaud-Paligot, 2017, p. 20), Lindon J. Eaves ne semble pas avoir développé d’activités professionnelles extra-scientifiques notables.

9 Les résultats sous-estiment l’importance du phénomène, notamment parce que le Web of Science opère un filtre des revues en fonction de critères qualitatifs, mais aussi parce que les auteurs utilisent parfois la méthodologie des twin studies sans mentionner cette expression dans le titre, le résumé ou les mots-clés de leur article. À partir des données plus approfondies dont nous disposons pour la science politique et la criminologie, l’on peut estimer à un tiers le nombre de twin studies non-identifiées par la requête effectuée sur le Web of Science. S’agissant de la science politique, 34 twin studies peuvent ainsi être identifiées sur la période 2000-2017 (contre 22 dans le tableau) ; en criminologie, l’on comptabilise 51 twin studies (contre 32 dans le tableau). Par ailleurs, une recherche plus générale dans le corpus de livres Google confirme la croissance de l’intérêt pour les twin studies (annexe électronique, Graphique A1, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3527).

10 Il est à noter que le second auteur de l’article n’est autre que Peter Hatemi, professeur en science politique qui est l’un des leaders de la génopolitique.

11 La liste complète de ces phénotypes peut être consultée dans l’annexe électronique (Tableau A4, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3527).

12 https://www.thessgac.org.

13 La liste des termes les plus récurrents est disponible dans l’annexe électronique (Tableaux A1 et A2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3527).

14 Le graphique de cette analyse est disponible dans l’annexe électronique (Graphique A2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3527).

15 Le cas de la génétique comportementale n’est cependant pas identique à celui des neurosciences, principalement parce que la fragmentation du champ a constitué un obstacle important au développement de standards scientifiques partagés (Panofsky, 2014, p. 136). Il serait à cet égard intéressant de comparer les difficultés qu’éprouvent les chercheurs en sciences sociales pour publier dans des revues de neurosciences et de génétique comportementale.

16 Cela est également lié à la hiérarchie des intérêts que j’ai déjà décrite. Tandis que les généticiens sont avant tout intéressés par la méthode des twin studies elle-même, les chercheurs en sciences sociales se concentrent sur la compréhension de leur objet.

17 Les données sur les citations sont issues de Google Scholar, consulté le 30 juin 2017.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Exemple de schématisation du modèle ACE dans un article de criminologie biosociale
Légende Source : (Barnes et al., 2011).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3526/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 48k
Titre Figure 2 : Exemple des résultats d’une twin study (modèle ACE) menée en science politique à partir de l’échelle du conservatisme Wilson-Patterson
Légende Source : (Alford et al., 2005, p. 159).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3526/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 268k
Titre Figure 3 : Exemple de prise en compte des facteurs génétiques non-additifs dans un article de génétique
Légende Source : (Posthuma et al., 2003).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3526/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Titre Figure 4 : Exemple de modèle multivarié prenant en compte les corrélations phénotypiques dans un article de génétique
Légende Source : (Posthuma, 2009)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/3526/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 82k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Julien Larregue, « « C’est génétique » : ce que les twin studies font dire aux sciences sociales », Sociologie [En ligne], N° 3, vol. 9 |  2018, mis en ligne le 30 août 2018, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/3526

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Auteur

Julien Larregue

larregue.julien@uqam.ca
Post-doctorant, Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences, Université du Québec à Montréal - Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, Université du Québec à Montréal, CP 8888, succ. Centre-ville, Montréal (Québec), H3C 3P8, Canada

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