- 1 Voir par exemple : Cartier et al. (2008) sur les pavillonnaires de la banlieue parisienne ; Mischi (...)
1Prenant comme objet l’accession d’un pavillon en lotissement périurbain chez les classes populaires, Anne Lambert analyse les rapports sociaux de classe, de sexe et de race qui traversent la société française ainsi que leurs reconfigurations sous l’effet des politiques de logement (nationales et locales). Elle s’inscrit donc avec force dans la lignée Des structures sociales de l’économie de Pierre Bourdieu publié quinze ans plus tôt dans la même collection (Bourdieu, 2000). À l’instar d’autres recherches contemporaines1, elle interroge le rôle d’un territoire, en l’occurrence le périurbain, sur la recomposition des inégalités sociales et se demande précisément ce que fait le périurbain aux classes populaires.
2Mobilisant des données de la statistique publique des enquêtes nationales Logement de l’Insee de 1984 et de 2006, ainsi qu’une enquête ethnographique dans le périurbain lyonnais, Anne Lambert combine des résultats quantitatifs à l’échelle nationale, pour décrire l’accès socialement différencié à la propriété (chapitre 1), à une analyse localisée, au plus près des classes populaires accédant à la propriété. Étudiant les trajectoires vers le statut de propriétaire, elle cherche à comprendre comment se jouent les arbitrages résidentiels en amont de la décision d’achat (chapitre 2) et comment les classes populaires accédant à la propriété s’en accommodent une fois qu’elles y habitent (chapitre 3). À partir de l’identification de trois types de trajectoires résidentielles socialement construites (selon l’âge, le mode d’habitat précédent, la situation socio-professionnelle, la trajectoire migratoire, etc.), sur lesquels nous reviendrons, l’auteure dépeint avec une grande finesse la manière dont les nouveaux modes de vie de ces propriétaires en lotissement périurbain s’établissent pour chacun de ces types et recomposent en retour les rapports de genre (chapitre 4), de classe et de race (chapitre 5), ainsi que les pratiques politiques (chapitre 6).
- 2 Voir notamment le numéro de la revue Esprit (2004) que Jacques Donzelot et Olivier Mongin consacren (...)
- 3 Pour un panorama des travaux contribuant à ce champ, voir le manuel : Siblot et al. (2015).
3Le travail d’Anne Lambert se situe à la croisée de deux champs : la sociologie urbaine et la sociologie des classes populaires contemporaines (Siblot et al., 2015). Dans le champ de la sociologie urbaine, l’apport principal de l’ouvrage est de montrer que les choix résidentiels des familles sont construits par différents acteurs et ne relèvent pas du seul pouvoir décisionnaire des ménages. Ces choix sont le résultat des politiques d’accession à la propriété, des interactions avec les intermédiaires du secteur (banquiers, agents immobiliers, promoteurs) et de l’inscription au sein de réseaux locaux de sociabilité. Toutefois, Anne Lambert ne s’engage ni dans une sociologie économique du marché de la maison individuelle, ni dans une sociologie de l’État, pourtant centrales dans l’ouvrage de Pierre Bourdieu (2000). L’intérêt de son travail est davantage de disposer du point de vue des familles sur la manière dont les différentes parties contribuent à la décision d’acheter en zone périurbaine. Les territoires périurbains ont souvent été étudiés comme des espaces permettant aux classes moyennes de constituer un entre soi2. L’auteure renouvelle l’analyse en plaçant la focale sur le rôle de ces espaces dans les trajectoires, cette fois, des classes populaires. Pour définir ces dernières, elle s’inscrit dans la filiation d’Olivier Schwartz (1997) et d’une certaine tradition ethnographique – proche du Centre Maurice Halbwachs où Anne Lambert a réalisé sa thèse. Les classes populaires désignent « d’une part, des groupes subalternes et démunis sur le plan économique, culturel et symbolique […] ; mais elle désigne également des groupes qui se situent à distance de la culture et des modes de vie des classes moyennes et supérieures et partagent de ce fait des traits culturels relativement autonomes, marquant en tout cas une séparation à l’égard des autres classes » (Siblot et al., 2015, p. 8). En pratique, elle renvoie principalement aux ouvriers et aux employés. Sur le terrain enquêté par l’auteure, ces classes populaires sont largement issues de l’immigration (première ou seconde génération) et occupent une position subalterne vis-à-vis des « petits moyens » du lotissement, c’est-à-dire vis-à-vis des « jeunes couples de profession intermédiaire ». Anne Lambert contribue au renouveau de la sociologie des classes populaires de deux manières. D’abord, elle s’inscrit dans le programme de recherche ouvert par Olivier Schwartz sur les transformations des classes populaires en interrogeant les conditions d’existence des ouvriers et des employés au regard de celles des classes moyennes. Autrement dit, elle questionne la diversité ou l’unité de leur mode de vie3. Ensuite, l’auteure montre le rôle que tient l’espace résidentiel dans la définition de ces modes de vie et dans la recomposition des rapports entre fractions de classes.
4À terme, l’analyse des différents modes d’appropriation de la propriété pavillonnaire périurbaine et leurs effets sur la recomposition des rapports de genre, de classe et de race permettent à Anne Lambert d’interroger les politiques de promotion de la propriété mises en œuvre par les gouvernements successifs. Dans cette optique, seule une étude approfondie d’un espace social localisé pouvait offrir l’opportunité de découvrir « l’envers du décor pavillonnaire ».
5La ligne directrice de l’ouvrage, évoquée en introduction et en conclusion, est d’interroger la politique du « tous propriétaires » menée par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, comme la réponse à de nombreux problèmes de la société française. Cette politique de promotion de la propriété devait en effet permettre une meilleure intégration et constituer un filet de sécurité pour tous. Qu’en est-il ?
6À l’instar des réflexions introduites par Pierre Bourdieu (2000), et reprises en partie dans la thèse des captifs du périurbain de Lionel Rougé (2005), l’accession à la propriété à tout prix a des limites. Elle génère de fait des difficultés dans le quotidien de certains ménages accédants en périurbain lointain (isolement social et repli sur soi, grande mobilité quotidienne, conflit de voisinage). Anne Lambert remet en cause les intérêts et les avantages que les discours politico-médiatiques confèrent habituellement à ce statut d’occupation. Cette préférence pour la propriété n’est pas individuellement, mais institutionnellement construite. Elle est valorisée et orchestrée par les politiques de logement, les acteurs du secteur et l’état du marché immobilier. Ces constats confirment les résultats obtenus dans d’autres cadres, en comparaison internationale par exemple (Bugeja-Bloch, 2013). Anne Lambert insiste donc sur le rôle des intermédiaires (banquiers, agents immobiliers et promoteurs locaux) qui participent à définir, en parallèle des politiques d’accession sociale à la propriété, la solvabilité des familles appartenant à la frange la plus stabilisée des classes populaires.
7L’une des nombreuses forces de l’ouvrage, qui fait d’ailleurs en partie son originalité dans le champ de la sociologie urbaine, est précisément d’étudier l’accession à la propriété en tenant compte de la place centrale que joue le crédit immobilier. Une attention particulière est portée aux difficultés liées à l’endettement, à l’évolution des crédits au cours du temps et aux inégalités face aux types de prêts contractés. Au prisme des trajectoires et des discours des familles, l’auteure rend compte du pouvoir discrétionnaire des intermédiaires dans ces montages financiers et des difficultés que ces montages engendrent. Elle ne s’investit pas ici dans une sociologie du travail des banquiers, mais s’attache seulement à décrire la façon dont les emprunteurs ont perçu ce qui se passait. Anne Lambert explique ainsi comment l’accession à la propriété passe « du rêve à la réalité » et se traduit par un désenchantement sous le poids des contraintes économiques. Si la mensualité du crédit dépasse de peu le loyer précédent, la propriété du pavillon (les travaux, l’entretien) et l’éloignement géographique auquel il faut s’accommoder font supporter des coûts qui n’étaient pas toujours anticipés et qui font pression sur les modes de vie (aménagement de l’intérieur repoussé et coupes budgétaires sur l’alimentation, l’eau chaude, etc.). Le désenchantement est d’autant plus fort que les mécanismes d’accès au crédit sont difficiles à assumer et structurellement plus complexes pour les classes populaires que pour les autres. Les budgets serrés des classes populaires supposent bien souvent de recourir à plusieurs types de prêts, aux prêts classiques s’ajoutent souvent des prêts aidés, faisant alors appel à des organismes spécifiques tels que le crédit foncier ou le crédit immobilier. Les classes populaires ont des taux d’intérêt parfois plus élevés que les ménages plus solvables (hormis pour les PTZ). La durée du remboursement de l’emprunt est également plus longue. Cette réflexion novatrice, qui occupe la place d’un chapitre de l’ouvrage, pourra sans doute être poursuivie. Les données récentes de l’enquête Logement 2013 de l’Insee – dont l’auteure exploite déjà les vagues antérieures mais pas en ce sens – pourraient confirmer ces résultats en observant le nombre de crédits contractés, les taux d’intérêt et la durée des prêts selon les catégories sociales. Associé à une enquête, non plus auprès des classes populaires mais des banquiers eux-mêmes, ce résultat sur les montages financiers socialement différenciés pourrait prendre plus de relief encore. En outre, l’élargissement au 1er janvier 2016 du PTZ et du PTZ+ pourrait conduire des ménages mieux dotés en capital économique à multiplier, eux aussi, les dispositifs.
8La question de la diversité interne aux classes populaires traverse l’ouvrage. Grâce à son enquête ethnographique, Anne Lambert montre qu’au-delà des effets pervers et des difficultés nouvelles auxquels font face parfois les accédants, il n’y a pas une homogénéité des conditions, un mal être partagé, mais différentes formes socialement situées d’appropriation de la propriété. L’ethnographie approfondie permet à l’auteure de mettre en évidence la diversité des trajectoires d’accession en périurbain. Ces résultats font écho à ceux proposés par Stéphanie Vermeersh (2011) sur l’installation des classes moyennes « au-delà du périph ». À l’encontre d’une vision uniforme du banlieusard, cette auteure met l’accent sur l’éventail des itinéraires résidentiels possibles et sur les compromis et les arbitrages du quotidien.
9Anne Lambert distingue ainsi trois types de trajectoires, marqués par des profils et des phases dans le cycle de vie. Elle les décrit avec rigueur et détails en relatant et en mobilisant les récits de vie de ces enquêtés. « Les vieux ouvriers du coin », âgés de plus de cinquante ans, qui bénéficient d’un ancrage local important et qui ont développé un fort capital d’autochtonie sont ceux qui ont la vision la plus positive de leur achat et de leur quartier. Ouvriers qualifiés ou stables de la commune vivant précédemment dans le parc social, ce nouveau pavillon constitue l’aboutissement de leur carrière résidentielle. « Les familles des cités », issues des franges peu qualifiées du salariat, se sont quant à elles, installées dans le lotissement d’abord pour fuir le parc social jugé délabré et à défaut d’autres alternatives possibles. Dans cette fuite, elles recherchent plus de mixité sociale pour favoriser notamment la réussite scolaire de leurs enfants. Mais, éloignées de leurs anciens réseaux d’entraide, elles pâtissent finalement d’un isolement spatial jugé pesant, surtout pour les femmes. « Vieux ouvriers du coin » et « familles des cités » se trouvent confrontés dans le lotissement à des « petits moyens », c’est-à-dire à des « jeunes couples de professions intermédiaires » qui réalisent eux leur premier achat. Il se fait plus tôt que les autres dans leurs parcours résidentiels et dans leur cycle de vie. Motivés par l’arrivée des enfants, l’envie de s’agrandir au vert, ce choix résidentiel ne constitue pour eux que la première étape de leurs parcours, un tremplin vers un avenir ailleurs. Selon ces trois modes d’appropriation de la propriété, les ménages n’entretiennent pas la même relation à l’endettement, aux coûts de l’achat immobilier et développent en retour des stratégies d’adaptation spécifiques.
10La diversité interne aux classes populaires renvoie également à une appropriation différenciée de la propriété au sein des couples. L’enquête ethnographique montre que derrière l’unité statistique du « ménage », mobilisée dans les études de la statistique publique, le poids de l’accession à la propriété est plus lourd à porter pour les femmes que pour les hommes, en particulier pour celles des « familles des cités » occupant des postes peu qualifiés. Les nouvelles dépenses liées à l’accession à la propriété, à l’éloignement géographique du lieu de travail et à la garde des enfants les conduisent bien souvent à se mettre en retrait du marché de l’emploi ou à développer des stratégies de travail à domicile. Leur isolement est d’autant plus grand que l’investissement des femmes dans le pavillon est centré sur l’intérieur du foyer. Responsables de l’aménagement intérieur, prises dans des enjeux de respectabilité imposant la discrétion, éloignées de leurs réseaux de sociabilité antérieurs, elles connaissent un repli sur soi. L’organisation sexuée au sein des ménages se trouve ainsi modifiée par l’accession périurbaine. Les rôles sociaux différenciés au sein des couples s’en voient renforcés.
11Derrière une situation commune (l’accession à la propriété dans un lotissement périurbain), trois types de trajectoire se dissimulent donc (les « vieux ouvriers du coin », les « familles des cités » et « Les jeunes couples de professions intermédiaires »). Pour reprendre les termes de l’article devenu classique de Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire (1070), dans la lignée duquel Anne Lambert s’inscrit, la proximité spatiale de ces groupes socialement distants permet d’observer la manière selon laquelle se (re)composent les rapports de classe et de race au sein du lotissement. La proximité spatiale, loin d’effacer les distances sociales, donne lieu à des stratégies de distinction. Ainsi, la coexistence de profils sociaux différents sur un micro-territoire est-elle source de conflit.
12Ces rapports sociaux de voisinage sont construits par l’organisation même de l’espace. En effet, le lotissement a été bâti en deux étapes suivant des règles urbanistiques propres et faisant appel à des constructeurs différents. Ainsi, une « première tranche », comme disent les enquêtés, est harmonieuse : les maisons sont bien alignées et répondent aux mêmes standards (revêtements, toitures et volets identiques). Cette tranche est habitée par les classes supérieures du lotissement, les professions intermédiaires. La « seconde tranche », construite plus tardivement par des promoteurs bas de gamme, est « anarchique » (p. 212) d’après une habitante de la première tranche, sans unité, avec des dénivelés de parcelles notamment. C’est dans cette seconde tranche, bâtie après que la municipalité ait revue à la baisse le projet de lotissement, que vivent les « familles des cités » et bon nombre des « ouvriers du coin ». Ainsi, les frontières de classes s’inscrivent dans la morphologie de l’espace, l’ordre spatial recoupant largement l’ordre social établit par les habitants. Les malfaçons, dont sont l’objet les pavillons de la seconde tranche, pèsent sur la cohabitation. Cette « guerre des adultes » est exacerbée par les sociabilités des enfants, l’éducation et les enjeux scolaires. Pour les jeunes couples de professions intermédiaires, les « familles de cités », décrites comme bruyantes et désordonnées, dont les enfants s’accaparent les rues du lotissement, risquent par exemple de dévaloriser leur patrimoine. Ces jeunes couples de professions intermédiaires n’hésitent pas à s’imposer comme des entrepreneurs de morale, ajoutant précisément à l’ordre spatial et social, un ordre moral.
13À plusieurs endroits, l’ouvrage nous invite de surcroit à penser la recomposition des rapports de race dans un contexte de proximité spatiale. En effet, les conflits de voisinage mobilisent un référentiel racial recoupant en partie les frontières de classe et les différents types de trajectoires d’accession à la propriété. Les familles issues de l’immigration sont installées dans la seconde tranche. Dans le lotissement, les origines migratoires sont connues, parfois mieux que les statuts professionnels. Les « vieux ouvriers du coin » sont principalement issus de l’immigration nord-africaine, turque, mais aussi portugaise. La majorité des « familles des cités », sur lesquelles se cristallisent les tensions, sont issues, quant à elles, du Maghreb, d’Afrique Subsaharienne et d’Asie du Sud-Est. Les petites classes moyennes blanches du lotissement trouvent dans les logiques d’identification raciale un moyen de se distinguer de ces familles, par ailleurs proches en termes d’origines sociales (populaires) et désormais de statut résidentiel. À l’encontre des thèses parfois défendues sur les pavillonnaires, Anne Lambert montre cependant que ni ces micro ségrégations ni la propriété en soi ne semblent modifier ou droitiser profondément les rapports politiques de ces nouveaux périurbains.
14Seule une ethnographie pouvait offrir l’opportunité de saisir la recomposition des rapports de genre, de classe et de race produite par l’accession d’un pavillon dans un lotissement périurbain. Anne Lambert mène cette enquête d’une main de maître. Elle a incontestablement les qualités des meilleurs enquêteurs puisqu’elle a acquis la confiance de l’ensemble des habitants du lotissement – seul un couple de retraité a refusé d’être interviewé. Ces derniers se mettent parfois à nus sans réserve et sans censure. On pourrait illustrer cela par certains propos recueillis qui détaillent en profondeur toutes les dépenses, tous les revenus, toutes les heures supplémentaires effectuées pour essayer de joindre les deux bouts ou encore par des propos sur les origines ethniques du voisinage qui témoignent de la forte division de l’espace selon des critères ethno-raciaux et sociaux.
15Dans cette perspective, la dimension localisée de l’approche est absolument centrale. Elle permet de montrer comment les rapports sociaux au sein du lotissement se construisent à l’échelle locale selon les relations des agents, mais aussi selon l’histoire spécifique du lotissement et le recrutement social de ses habitants. Anne Lambert explicite ainsi comment les rapports de domination de l’espace social national ne se reproduisent pas à l’identique sur cet espace local périurbain et s’adaptent au champ des possibles de cet espace. À l’instar des résultats de Gilles Laferté à propos d’un espace rural, les « dominants […] dans l’espace social relationnel localisé, occupent bien souvent des positions dominées nationalement alors même que leur posture de dominants localement les distingue de la petite bourgeoisie urbaine par un accès possible à des positions politiques, représentatives, culturelles, pivots de leur espace de vie » (Laferté, 2014, p. 433).
16Dans la lignée des travaux de Florence Weber (1995) sur le « travail à côté », l’auteure aurait pu tirer parti, davantage encore, de la dimension localisée de ce terrain et de son articulation avec les données de la statistique publique, déjà très heuristique dans l’ouvrage. Les données de l’enquête Logement permettent à Anne Lambert de montrer que l’accession à la propriété est un facteur de périurbanisation plus fort pour les classes populaires et les familles issues de l’immigration que pour les autres. Dans cette perspective, l’enquête Logement 2006 présente le rare avantage d’offrir aux chercheurs la possibilité d’identifier les « immigrés », définis au sens de l’Insee, et les « descendants d’immigrés ». Y figure en effet une question sur le pays de naissance et la nationalité à la naissance des individus, mais également sur le pays de naissance et la nationalité à la naissance des parents de l’individu. En 2006, 42 % des ménages descendants d’immigrés qui accèdent à la propriété s’installent en zone périurbaine ou rurale, un quart seulement y résidait avant l’achat. Mais les familles issues de l’immigration restent moins fréquemment propriétaires que le reste de la population. À titre d’exemple, bien que les immigrés accèdent aujourd’hui davantage à la propriété qu’hier, ils comptent pour seulement 8 % des acquéreurs récents de maison neuve en 2006. Les trajectoires d’accession des classes populaires et/ou des catégories immigrées semblent donc surreprésentées dans le lotissement étudié par l’auteure. Seule une description de la composition sociale des territoires périurbains au niveau national peut mettre en évidence le caractère exceptionnel de cette situation et en expliciter les causes. Ainsi, « l’écart entre observations locales (qui restituent un processus historique singulier) et corrélations de variables statistiques (qui permettent de vérifier des hypothèses de type probabiliste) doit pouvoir faire avancer à la fois la compréhension des événements à l’échelle locale (en forçant à approfondir la chaîne des microcausalités) et la pertinence des catégories de classement statistique (en poussant à reconstruire telle variable ou telle modalité) » (Weber, 1995, p. 5). De même, il aurait été intéressant de connaître la place du périurbain dans l’ensemble des formes de propriété en France et, dans le périurbain, la part de lotissements pavillonnaires, ou encore d’expliciter dans quelle mesure le périurbain se distingue dans sa composition des territoires ruraux et urbains. Ainsi, on peut transférer la récente question de Gilles Laferté sur les mondes ruraux aux mondes périurbains : « pouvons-nous retrouver de manière récurrente la morphologie sociale de ce […] terrain […], ou devons-nous distinguer divers types d’espace sociaux localisés dans les mondes [périurbains] ? » (Laferté, 2014, p. 434). Sur ce point, Gilles Laferté recommanderait, comme nous y invite d’ailleurs Anne Lambert, à « mettre à l’épreuve [cette analyse] par des enquêtes comparatives et par un travail statistique articulé au zonage aires urbaines/zones périurbaines/autres espaces » (idem, p. 433). Quoi qu’il en soit, le terrain choisi par Anne Lambert présente l’indéniable intérêt de pouvoir se focaliser sur les trajectoires d’accession des classes populaires et/ou des catégories immigrées et l’auteure en tire, avec brio, tous les avantages.