- 1 Ces travaux portent sur les relations pédagogiques entre directeur de thèse/doctorant et sur la ges (...)
1À la frontière de plusieurs disciplines (anthropologie, sociologie, sciences de l’éducation), Le Doctorat : un rite de passage étudie le déroulement du parcours doctoral et post-doctoral, en se concentrant principalement sur des étudiants de sciences humaines et sociales (SHS), bien que ceux de sciences exactes soient également mentionnés. Si le titre met l’accent sur le caractère initiatique du doctorat, ce livre hétéroclite porte la trace de différentes préoccupations de l’auteure, notamment en ce qui concerne le manque de reconnaissance des compétences des doctorants par les entreprises privées. Plus largement, il s’agit de décrire en quoi la thèse constitue une initiation au métier d’enseignant-chercheur. Pour ce faire, l’auteure s’appuie sur les journaux de bord de deux doctorants, sur les productions de certains doctorants sur leur expérience du doctorat (blogs), sur les travaux précédents de l’auteure1, et sur une revue de la littérature scientifique et les rapports produits sur le sujet. L’objectif de cet ouvrage est de remettre au premier plan la subjectivité du chercheur, qui est motrice lors du doctorat, mais passée sous silence dans les productions écrites et orales de recherche. L’auteure explore ainsi les apprentissages que réalise le doctorant, le dispositif du doctorat comme un rituel et les finalités de ce dernier.
2L’auteure décrit comment le doctorat permet de se professionnaliser par la recherche. En effet, le doctorant apprend l’écriture scientifique – notamment grâce aux corrections de son directeur –, c’est-à-dire à s’appuyer sur les faits empiriques et des auteurs pour construire son argumentation, éviter les jugements de valeur et adopter une écriture concise et sans ambiguïté. Il s’agit également de s’intégrer dans la communauté scientifique de sa discipline ou de son champ de recherche, en mettant en place des stratégies d’adaptation, en en apprenant les normes informelles et en se constituant un réseau. L’auteure s’attarde sur la question des relations entre directeur et doctorant, en montrant que les attentes du second correspondent rarement aux pratiques du premier. En effet, les doctorants en premier année cherchent souvent chez leurs directeurs des qualités relationnelles, voire une aide de leur part pour résoudre leurs problèmes personnels ; or les directeurs considèrent qu’il n’est pas de leur responsabilité de « materner » les doctorants (Leduc, 1990). Plus largement, de nombreux doctorants sont insatisfaits de leurs directeurs de thèse, auxquels ils reprochent un manque d’expertise dans le domaine de recherche et d’expérience en tant qu’encadrant, un manque de réactivité concernant les retours sur les écrits du doctorant ou une absence d’encouragement ou d’intérêt pour le doctorant.
- 2 Elle avait été mobilisée dans Le monde vécu des universitaires (Viry, 2006), où la soutenance est p (...)
3Si l’assimilation de la soutenance à un rite de passage n’est pas nouvelle2, Laetitia Gérard a le mérite de la développer en posant que l’ensemble du doctorat constitue un tel rite et en mobilisant les étapes décrites par Arnold Van Gennep (2011 [1909]). Cette initiation se déroule en trois étapes. Dans un premier temps, le doctorant subit un rite de séparation : il se sépare de l’ancien groupe de pairs, ses signes d’appartenance au groupe des étudiants disparaissent – il commence à enseigner, possède parfois un bureau. Survient ensuite le rite de marge, pendant lequel le doctorant s’acclimate à son nouveau milieu d’appartenance : « il rencontre des chercheurs extérieurs au laboratoire, expose son travail aux chercheurs de son champ, se confronte à la critique et s’insère petit à petit dans un réseau » (p. 99). Pendant cette période, le doctorant jongle entre plusieurs identités : il est à la fois étudiant, enseignant et chercheur. Enfin, la soutenance de thèse constitue un rite d’agrégation, qui marque l’indépendance du docteur vis-à-vis de son ex-directeur de thèse, et son entrée dans la communauté des chercheurs. Cependant, elle s’apparente également à une perte de statut momentanée, puisque le docteur devient chômeur, le temps de candidater à la qualification de maitre de conférences et à un poste. Au-delà des rites officiels, dont le plus visible est celui de la soutenance, l’auteure souligne que les doctorants se construisent leurs propres rituels pour se construire un espace de travail ou pour se mettre en écriture.
- 3 Seulement 3 % des docteurs qui intègrent l’entreprise viennent des SHS (MESR, 2011a).
4Pourquoi faire un doctorat ? Laetitia Gérard souligne que les préjugés qui pèsent sur ce diplôme sont encore nombreux. Les docteurs seraient surdiplômés, et ce pour un salaire moindre que celui qu’on peut espérer dans des professions nécessitant moins de qualifications et ils travailleraient sur des sujets obscurs et sans intérêt ni utilité, notamment dans le domaine des SHS. Plus largement, les entreprises embauchent peu de docteurs en SHS3 ; ce que l’auteure attribue à un manque de communication et d’informations entre le monde académique et le secteur privé. En effet, plusieurs rapports rendent compte des compétences transversales dont peuvent se prévaloir les doctorants, au-delà de leurs connaissances disciplinaires – autonomie, communication, gestion de dossiers, rigueur… (Durette et al., 2012 ; Poulain, 2012). De plus, l’obtention d’un doctorat ne signifie pas l’intégration automatique dans la communauté des enseignants-chercheurs. En 2011, seuls 53 % des dossiers examinés en SHS et 73 % de ceux en sciences exactes ont obtenu la qualification (MESR, 2011b), et donc la possibilité de candidater à des postes de maitre de conférences.
5Cet ouvrage a des qualités évidentes, puisqu’il décrit précisément le déroulement du doctorat tant du côté des apprentissages et des tâches à réaliser en plus de la rédaction de la thèse que de celui de la subjectivité du doctorant – relations avec le directeur de thèse, moments de doutes, gestion du stress, plaisir de la recherche, etc. La mobilisation de l’anthropologie – les rites de passage, mais aussi les enjeux de don et de contre-don concernant la relation directeur/doctorant – est particulièrement bienvenue. Plus largement, il constitue une revue de la littérature intéressante sur le sujet, mobilisant tant des travaux de SHS sur le sujet que des rapports concernant la composition de la population doctorante et son devenir. La mobilisation de ces travaux permet à l’auteure de pallier à la faiblesse relative de son matériau initial – deux journaux de bord de doctorants – et de généraliser ses analyses, là où celui de Laurence Viry (2006), qui s’intéresse également à la subjectivité de ses enquêtés, met l’accent sur la singularité des parcours des enseignants-chercheurs qu’elle a interrogés. En se concentrant sur une temporalité plus courte que celle appréhendée par Laurence Viry et en mobilisant des journaux écrits sur le vif plutôt que des récits rétrospectifs, Laetitia Gérard se livre à une analyse fine et plaisante à lire. De plus, elle donne quelques clés pour passer les étapes de l’entrée dans la carrière d’universitaire. À ce titre, il constitue un excellent guide pour tout doctorant, masterant hésitant à continuer en thèse ou toute personne souhaitant en savoir davantage sur ce diplôme.
- 4 C’est-à-dire la valorisation du nombre de publications et notamment d’articles au détriment de la q (...)
- 5 Rédaction de la thèse, rédactions d’articles, participation ou organisation de colloques, enseignem (...)
6On peut cependant regretter le caractère éclaté de l’ouvrage. En effet, l’auteure ne se contente pas de décrire le parcours doctoral et post-doctoral et l’expérience subjective des doctorants et post-doctorants, puisqu’elle plaide également pour une meilleure reconnaissance des compétences professionnelles des doctorants et dénonce la « macdonalisation » de la recherche4. Mais les longs développements sur certains des sujets d’intérêt de l’auteure nuisent au rythme de l’ouvrage. Plus largement, le ton de l’ouvrage alterne entre écriture scientifique et rapport d’expertise, ce qui le rend difficile à classer : si la collection semble le catégoriser comme un ouvrage d’anthropologie, le fait est que cette approche n’y est mobilisée que par touches. Les chapitres, de tailles différentes – 16 pages au premier chapitre, 95 et 40 pages pour les deux suivants – sont souvent redondants. La question, par exemple, de la professionnalisation des doctorants est abordée à la fois dans le premier et dans le troisième chapitre, alors que ces deux passages auraient pu s’inscrire dans la même veine. Il est aussi étonnant que les difficultés de conciliation entre les différentes obligations5 des doctorants et des enseignants-chercheurs (Viry, 2006) ne soient pas davantage évoquées dans le livre. On peut pourtant supposer que la frustration et la fatigue liées à ces nombreuses tâches, ou les enjeux de gestion du temps, occupent une part importante de leur subjectivité. Ces difficultés sont uniquement mentionnées pour les doctorants de sciences exactes lorsqu’ils se plaignent d’avoir multiplié les publications sous la pression de leurs directeurs, au détriment de l’avancement de leur travail de thèse. Mis en avant comme matériau de base de l’ouvrage, les journaux de bord ont, par ailleurs, un statut ambigu, comme l’a déjà souligné Jean Frances (2014). Ils paraissent mobilisés à titre illustratif plutôt que comme point de départ de la réflexion. La préface de David Le Breton et les indices biographiques donnés sur l’auteure semblent, de plus, indiquer que l’un des deux journaux est celui de l’auteur, sans que les enjeux méthodologiques et réflexifs liés à son utilisation comme objet de recherche ne soient interrogés.