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AccueilNumérosN°2, vol. 6EnquêtesLes moniales et l’emprise du genre

Les moniales et l’emprise du genre

Enquête dans des monastères catholiques de femmes
Monastics and the influence of gender. A study in female Catholic monasteries
Isabelle Jonveaux

Résumés

La vie monastique catholique se construit essentiellement autour de la ségrégation hommes/femmes comme condition de réalisation ascétique. Mais monachisme de moniales et monachisme de moines présentent aujourd’hui des disparités significatives alors qu’ils suivent le plus souvent la même règle de vie. Doit‑on les expliquer par des normes religieuses de genre différentes ? Grâce à des observations d’enquête de terrain, cet article vise à expliquer ces inégalités en les replaçant dans leur contexte historique ainsi que dans les normes de genre développées par la religion catholique. Mais parallèlement, il faut aussi prendre en compte les dynamiques récentes qui visent à construire une nouvelle identité féminine dans le contexte de la vie consacrée.

Monastics and the influence of gender. A study in female Catholic monasteries

Catholic monastic life is generally built up on the segregation of men and women as a condition of ascetic life. However, nowadays female monasticism and male monasticism present significant disparities despite the fact that they most often follow the same rules of life. Can we explain these disparities by different religious norms of gender? Based on field observations, this article aims to explain such inequalities by placing them in their historical context and within Catholic gender norms. At the same time, we also have to take into account new dynamics in female monasteries, which aim to develop a new feminine identity in the context of the consecrated life.

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Entrées d’index

Mots-clés :

Genre, Inégalités, Religion

Keywords :

Gender, Religion, Inequality
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Texte intégral

1Le monachisme catholique est une forme de vie religieuse apparue au iiiesiècle qui vise une consécration totale au service divin et suppose en conséquence une séparation du monde social. Max Weber qualifie les moines de «  virtuoses de l’ascèse extramondaine » qui «  [vivent] “méthodiquement” par “vocation” » (Weber, 1996, p. 152). Cette vie religieuse est accessible autant aux hommes qu’aux femmes, contrairement à la prêtrise dans l’Église. Si les activités et lieux de vie sont fortement distincts selon le sexe, la vie religieuse vise parallèlement un effacement des distinctions de sexe dans l’expérience spirituelle ainsi que des rôles sociaux attachés à chaque groupe de sexe. « Ni la doctrine, ni l’institution cénobitique ne semblent porter un intérêt particulier à la question des sexes, ni à l’établissement d’une ligne de partage essentialiste entre une expérience spirituelle spécifiquement féminine ou spécifiquement masculine. Bien au contraire, elles tendent à affaiblir les ressorts de l’identité sexuelle, considérée comme un effet de la propria voluntas dont il faut à tout prix éradiquer les racines pour créer un nouveau type d’individu conforme au modèle monastique  » (Pancer, 2002, p. 322). Le monachisme est considéré par Henri Desroche comme un type de «  royaume messianique  » qui comporte une composante sexuelle : «  Le nouveau règne est souvent conçu comme étant celui où il n’y aura plus “ni homme ni femme”  » (Desroche, 1973, p. 121). Il en découle un régime d’abstinence sexuelle par le vœu de chasteté qui engage à un célibat permanent. Alors que sur le plan spirituel, c’est un effacement des distinctions de sexe qui est visé comme anticipation de la condition paradisiaque, les contraintes et tentations présentes entraînent la nécessité de la ségrégation hommes/femmes. Celle‑ci apparaît comme une constante du monachisme catholique, à part quelques exceptions peu significatives, comme condition de réalisation de l’ascèse sexuelle, laquelle n’est pensée qu’en référence à l’hétérosexualité. L’accès à une nature angélique – idéal de la désexualisation – a été posé explicitement comme but par certaines tendances du monachisme (Bouyer, 2008, p. 69). Cette séparation des sexes comme réponse paradoxale au projet de dépassement des rôles sexuels assignés par la société entraîne alors dans les communautés fondées sur une homogénéité de sexe de sensibles différences dans leurs rapports respectifs au monde, leurs activités de travail, leurs dynamiques économiques et leurs rapports à la sexualité. Comment ces différences se sont‑elles construites alors que le projet initial visait l’annulation des distinctions de sexe ? Sur quel type de normes reposent‑elles alors ?

  • 1 . Annuaire Statistique de l’Église, Éditions du Vatican, 2008. Nous entendons par contemplatives le (...)

2Il faut aussi souligner que le monachisme des moniales est le grand oublié des études sur la vie religieuse. D’une part, on connaît mieux les communautés apostoliques que contemplatives  : et pour cause, pour 37 934 religieuses apostoliques en France, on ne compte que 5 000 contemplatives1. Les grandes enquêtes des sociologues anglophones sur les consacrées s’intéressent aussi essentiellement aux religieuses apostoliques (Wittberg, 1993, 2006  ; Ebaugh, 1993). D’autre part, les études sur le monachisme contemplatif restent souvent silencieuses sur le cas des femmes. Philibert Schmitz (1942‑1949), moine belge et auteur d’une monumentale Histoire de l’ordre de saint Benoît, ne consacre que le septième volume, dernier de son immense travail, sur les moniales qui sont absentes des six autres comme si elles n’étaient qu’une réalité annexe et résiduelle, en marge de cette grande histoire. Même M. Weber, fondateur des études sociologiques sur les monastères, n’évoque nullement les moniales.

  • 2 . Concernant les bénédictins : France : 48 maisons de femmes et 36 d’hommes. Italie : 146 de femmes (...)
  • 3 . Une congrégation est un rassemblement de monastères vivant selon la même règle et la même traditi (...)
  • 4 . Ces chiffres ont été construits, pour les monastères autrichiens à partir du Direktorium 2013 et (...)

3Parallèlement pourtant, l’Europe compte plus de moniales que de moines  : on dénombre en France 5 500 moniales et 1 300 moines, et souvent plus de maisons de femmes que d’hommes2. Ceci s’explique en partie par la structure des ordres religieux où les femmes n’ont eu longtemps accès qu’à la vie religieuse cloîtrée. Les ordres apostoliques comme les dominicains avaient souvent une branche féminine cloîtrée destinée à prier pour les frères en mission dans le monde. Actuellement, comme aux États‑Unis (Wittberg, 1993), la démographie des monastères de femmes est plus en crise que celle des monastères d’hommes avec une moyenne d’âge plus élevée. Pour les monastères de la congrégation3 bénédictine de Subiaco en France, 4 monastères de femmes sur 5 ont une moyenne d’âge supérieure à 70 ans, ce qui n’est le cas que de 4 monastères d’hommes sur 7. Ceci est encore plus visible pour la congrégation bénédictine autrichienne où tous les monastères d’hommes (12) ont une moyenne d’âge inférieure à 70 ans, tandis qu’elle est supérieure pour tous les monastères bénédictins de femmes (3)4.

  • 5 . Chiffres valables pour les membres encore présents dans les communautés en 2013. Il est fort prob (...)

4Le nombre élevé de maisons ainsi que le vieillissement et le manque de renouvellement débouche sur une structure particulièrement fragile des communautés de femmes. En Europe, Giovanni Dalpiaz note un recul de 29  % de la population des moniales de 1985 à 2005 (Dalpiaz, 2008, p. 62). Sur l’ensemble des monastères bénédictins autrichiens, on compte 32 nouveaux moines novices depuis 2003 (et qui y sont restés au moins jusqu’en 2013) contre une seule moniale novice. En les répartissant sur l’ensemble des monastères, on arrive à une moyenne de 2,3 nouvelles entrées par monastère d’hommes en 10 ans et 0,33 pour les femmes. L’âge d’entrée augmente aussi de façon continue depuis 1960. Avant 1953, la moyenne était de 25 ans en France pour les femmes et 22 pour les hommes5. Elle atteint aujourd’hui 33 ans et demi pour les moniales françaises et presque 32 ans pour les moines. En Autriche, ces chiffres sont de 32 ans et demi pour les femmes, 31 ans pour les hommes.

  • 6 . Lors de l’une des premières enquêtes de terrain en 2005, une sœur qui avait accepté de me recevoi (...)

5Pour notre part, nous tâcherons ici d’analyser comment se manifestent et évoluent les normes de genre dans le monde monosexué des moniales. Nous essaierons aussi de mettre en lumière la division sexuelle du travail (Kergoat, 1984, 2010) entre moniales et moines qui structure en partie la vie monastique notamment dans les activités économiques et de travail. Pour cela, nous nous appuierons sur une enquête de terrain qui s’est, dans un premier temps, vu opposer un refus tenace du fait notamment d’un repli sur soi caractéristique des communautés de femmes conférant une connotation négative à tout ce qui vient «  du monde  ». La méfiance à l’égard d’une science considérée comme anticléricale domine largement le monde monastique français6. Enquêter dans les monastères quand on est une femme présente aussi des désavantages, car si la clôture des monastères d’hommes est fermée aux femmes, celle des monastères de femmes est fermée autant aux hommes qu’aux femmes. Au sein d’un monastère, la clôture, matérielle ou non, définit les espaces réservés aux religieux et personnes du même sexe que la communauté. Une femme laïque doit donc rester dans les lieux destinés aux visiteurs que sont l’église, l’hôtellerie, le magasin et le réfectoire pour les hôtes, qui ont donc aussi été les lieux accessibles pour l’enquête de terrain. Le présent travail s’appuie sur des enquêtes effectuées de 2005 à 2012 dans cinq monastères de moniales, accompagnées de 25 entretiens avec des moniales. En regard, ces situations seront comparées avec une vingtaine d’enquêtes réalisées dans des monastères de moines en France, Italie, Allemagne, Belgique et Autriche. Après avoir présenté les structures historiques et religieuses d’inégalités entre monastères de femmes et monastères d’hommes, nous tâcherons de comprendre les enjeux actuels de ces inégalités en entrant par la porte de l’économie et du travail. Enfin, nous esquisserons les nouvelles dynamiques observables dans le monachisme des moniales concernant l’identité sexuelle et les rapports avec les moines.

Tableau : Population de moniales de la congrégation bénédictine autrichienne et de la congrégation française de Subiaco

France

Nb membres

Moyenne d’âge

Autriche

Nb membres

Moyenne d’âge

1

57

74,5

1

23

70,2

2

23

78,6

2

105

76,1

3

28

70,7

3

9

75,4

4

32

63,6

 

 

 

5

30

75,8

 

 

 

Total

170

72,4

Total

137

73,9

6Les enquêtes de terrain en monastères ont été menées depuis 2004 jusqu’à présent dans cinq pays européens (l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie et l’Autriche) et deux pays africains (Togo, Kenya). Pour des questions de non acceptation, les enquêtes dans les monastères de femmes n’ont pu être menées qu’en France et en Autriche. La méthodologie empirique repose sur un séjour dans la communauté avec des observations dans les lieux qui le permettent (église, hôtellerie, magasin, parfois réfectoire) et des entretiens avec des moines et moniales. Les critères pour les enquêtés reposent sur des variations d’âge et de fonction/charge dans la communauté. Varier les âges permet de saisir les effets générationnelles, notamment en interrogeant des sœurs entrées avant le concile et ayant vécu les réformes qui l’ont suivi. D’autres observations ont pu être menées lors par exemple du chapitre général d’une congrégation bénédictine (09.2012) et de la formation des maîtres et maîtresses des novices cisterciens européens (11.2014).

Inégalités historiques entre monastères d’homme et monastères de femmes

La lente institutionnalisation du monachisme féminin

7La réalité du monachisme de femmes est à réintégrer dans la longue histoire du «  catholicisme au féminin  » (selon l’expression de Claude Langlois, 1984) et de la théologie catholique dont nous pointerons ici quelques éléments importants. Contrairement à la prêtrise, le monachisme est ouvert autant aux hommes qu’aux femmes, mais cela n’a pas toujours été le cas. En effet, l’histoire de la vie consacrée commence par une absence, celle des communautés de femmes. L’ascétisme chrétien a dès son origine en Syrie et en Égypte aussi attiré les femmes, mais celles‑ci n’avaient pas accès au terrain du combat ascétique qu’était le désert monopolisé par les hommes. Elles vivaient alors leur renoncement au monde par l’engagement dans la virginité – le renoncement au mariage était alors considéré comme une réelle rupture sociale – non pas en communautés constituées mais à l’intérieur de leur famille. D’autres se travestissaient en hommes pour accéder à un mode de vie ascétique alors exclusivement réservé aux hommes. C’est le cas de Perpétue qui, d’après son hagiographe, n’aurait été découverte qu’après sa mort. Selon Aviad Kleinberg, cette interdiction du désert aux femmes s’expliquerait par le fait que celles‑ci, êtres d’ores et déjà liminaires, n’avaient pas besoin de cela pour être aux limites géographiques de la société (Kleinberg, 2005). Sans doute leur était‑il aussi difficile de se retirer dans le désert comme les hommes ascètes, ce qui impliquait d’échapper ainsi à toute tutelle que ce soit de la famille, de la société ou de l’Église. Comme le souligne Theresia Heimerl, «  le corps de la femme dans le monde antique est un corps ordonné et possédé par les hommes, le contrôle sur lui appartient au père, au mari, ou, si ceux‑ci manquent à leur devoir comme dans le cas de Perpétue, à l’État  » (Heimerl, 2003, p. 48).

Tableau : Présentation des communautés de moniales citées

Communauté

Date Enquête

Ordre

Pays

Date de fondation

Nombre de sœurs

Fonctions des sœurs principales interrogées

Saint‑Michel de Kergonan

02/2005

Bénédictines

France

1898

20

Économe, responsable du magasin.

Carmel

06/2008

Carmélites

France

1626

21

Économe, responsable fabrication d’hosties, responsable vente hosties.

Marienkron

10/2011

Cisterciennes

Autriche

1955

14

Supérieure, responsable accompagnement spirituel, qi gong.

Jouarre

07/2012

Bénédictines

France

Vers 637

55

Soeur hôtelière, économe.

Steinerkirchen

11/2012

Bénédictines

Autriche

1949

105 (plusieurs maisons)

Supérieure, différentes fonctions dans et en dehors du monastère.

Bad Mühllacken

11/2014

Carmélites

Autriche

1936

12

Responsable maison de cure, ancienne supérieure, clients.

  • 7 . Somme donnée pour qu’une messe soit célébrée à la mémoire d’un défunt.

8La vie monastique a peiné à s’institutionnaliser sous sa déclinaison féminine. Les règles monastiques qui organisent la vie de la communauté, en réglementent les fonctions, les modes d’admission, les horaires et finalement le mode de vie tout entier, reflètent cette difficulté. Celle de Claire d’Assise pour les clarisses approuvée par le pape Innocent IV en 1253 est la «  première règle religieuse écrite par une femme pour des femmes  » (David, 2012, p. 200), soit plus de 800 ans après la rédaction des premières règles monastiques. Auparavant, les règles destinées aux moniales étaient écrites par des hommes, celle de Césaire d’Arles (470‑543) est la plus connue. Celle de saint Benoît enfin, composée de 73 chapitres au viesiècle et actuellement la plus suivie par les monastères du monde entier, a originellement été écrite par un homme pour des hommes même si elle a ensuite été suivie autant par les hommes que par les femmes. La vie religieuse destinée aux femmes s’est aussi développée comme si la neutralisation de l’identité sexuelle était pour les femmes une étape indispensable sur le chemin ascétique vers la sainteté. On observe en effet dans les communautés de moniales différentes étapes d’effacement des normes de genre associées aux femmes dans ces sociétés, à l’entrée dans la vie religieuse  : coupe des cheveux, remise d’un habit qui cache les formes, suppression des bijoux, etc. Jean‑Pierre Albert s’interroge alors  : «  Pour entrer dans une carrière sanctifiante, une femme ne doit-elle pas en définitive renoncer à sa féminité  ? Telle est bien l’impression dominante  » (Albert, 1997, p. 127). Cette neutralisation de l’identité sexuelle ne se retrouve pas sous cette forme dans le monachisme des moines. Aujourd’hui encore, on trouve des traces de la supériorité de la masculinité dans le processus de sainteté ou d’ascèse dans les communautés de moniales. L’élément le plus frappant est une habitude demeurée dans certaines communautés de donner aux sœurs des prénoms masculins à leur entrée dans la vie monastique. À Jouarre, communauté bénédictine française proche de Paris, 15 sœurs sur 55 portent un prénom masculin (sœur Benoît, sœur Luc‑Marie, etc).7

Les effets du monopole des hommes sur le sacerdoce

9La reproduction des normes religieuses de genre associées à l’Église catholique dans le monachisme ne va a priori pas de soi car originellement le monachisme s’est construit en protestation contre l’Église institutionnelle (Séguy, 1999). La prêtrise, réservée aux hommes, ne tient qu’une place purement fonctionnelle dans les règles fondatrices  : Benoît veut limiter cette fonction aux stricts besoins de la communauté et les moines ordonnés ne sont pas exemptés des autres travaux. Pacôme, premier rédacteur d’une règle monastique en Égypte au ivesiècle, refuse les «  clercs parmi les moines pour éviter la jalousie et la vaine gloire  » (Cousin, 1956, p. 51).

10Mais au cours de son institutionnalisation et de son enrichissement, le monachisme a fait une part toujours plus grande au travail religieux et l’ordination sacerdotale est devenue de plus en plus courante. Le rapport de hiérarchie qui se joue dans le monachisme n’est toutefois pas identique à celui observé entre les prêtres et les laïcs des paroisses (Béraud, 2007), car moines‑prêtres, moines non prêtres et moniales sont tous consacrés à Dieu par les mêmes vœux. Contrairement au monachisme tibétain étudié par N. Schneider (2013), dans un même ordre, il n’y a pas de différence entre les vœux prononcés par les hommes et ceux prononcés par les femmes. Mais à cette homogénéité première s’ajoute une inégalité du fait que seuls les moines peuvent être ordonnés. Cela implique tout d’abord que les monastères de femmes sont dépendants des monastères d’hommes pour les sacrements (messe quotidienne, confession) et pour l’accompagnement spirituel. Une bénédictine française souligne aussi pragmatiquement que les moines sont plus souples dans leurs horaires concernant la messe quotidienne tandis que les moniales doivent se soumettre aux horaires des prêtres disponibles. Lorsque les communautés monastiques ne manquaient pas de recrues, certains moines étaient détachés de leur communauté pour occuper la fonction d’aumônier dans des monastères de femmes. Ces moines occupaient alors une position liminaire, ne vivant plus dans leur communauté, mais n’appartenant pas non plus à celle des sœurs.

11Cette situation peut engendrer aussi certaines tensions, ainsi que le révèle cet extrait d’entretien avec une bénédictine française, et quoique celle‑ci ne formule aucune revendication explicite en faveur de l’ordination sacerdotale des femmes.

On a une abbaye de moines à côté. Les gens pensent que nous on est riches et que eux ils sont pauvres. Les gens croient nous faire un don en nous donnant une intention de messe7. Mais qu’est‑ce qu’on en fait  ? On la donne aux moines. On est qu’un intermédiaire, on ne va pas garder l’intention de messe. Très souvent les moines sont plus connus que les moniales donc on donne plus facilement aux moines. Vous allez à Vannes, vous allez à Lorient, abbaye de X égale les moines. On dit le père abbé de X. Mais y a aussi une mère abbesse. Quelques fois ça crée des… Bon, on reste très correct, mais y a des fois ça m’échauffe les oreilles en tant qu’économe. Néanmoins les moines sont toujours plus aidés… Et pour l’accompagnement spirituel, les moines sont payés parce qu’ils sont prêtres. Nous, quand ça arrive, les gens n’y pensent même pas. Alors est‑ce que c’est une question de prêtrise  ? Que ça rentre dans l’image qu’on se fait  ? Ça fait partie des choses qui sont sociologiquement intéressantes à étudier  ! (rire) Pour le moment qui ne s’expliquent pas, mais on vit avec. (février 2005)

12L’ordination masculine est à l’origine de plusieurs types d’inégalités  : tout d’abord économiques, car elle occasionne des activités rémunérées pour les moines, mais aussi une plus grande notoriété des monastères d’hommes qui drainent plus de visiteurs. De plus, l’ordination accompagne les fonctions de pouvoir dans le monachisme. Dans les congrégations mixtes, les abbés présidents – supérieurs de la congrégation – sont des hommes, de même pour l’abbé général de l’ordre bénédictin, qui rassemble toutes les congrégations bénédictines du monde. Cette inégalité est renforcée par l’assimilation de statuts monastiques et ecclésiaux valables uniquement dans le cas des hommes. Les abbés bénéficient des mêmes prérogatives que les évêques et peuvent en porter les attributs que sont la crosse et la mitre, statut dont les abbesses sont exclues du fait qu’elles ne peuvent pas être ordonnées.

  • 8 . Nous désignons ici par le terme de « laïc/laïque », toute personne n’appartenant pas au clergé (r (...)

13Dans la division sexuelle du travail religieux entre prêtres, diacres et laïcs s’établit une hiérarchie tacite au travers de la réaffirmation constante du «  monopole du sacerdoce célibataire masculin  » (Béraud, 2007, p. 72). Mais les moniales se trouvent dans une situation différente des femmes laïques8 engagées dans les activités paroissiales. Dans la liturgie monastique, les moniales n’occupent en général aucune place dans le chœur contrairement aux frères non ordonnés des abbayes d’hommes qui servent la messe et siègent à côté des prêtres célébrants. Ce que font aussi les filles «  enfants de chœur  » dans les églises diocésaines (Béraud, 2012). En Autriche, les assistantes de pastorale, titulaires d’un master en théologie et rémunérées par l’Église, tiennent parfois un rôle dans la liturgie, vêtue d’un vêtement distinct de ceux du prêtre et des servants d’autel. Cette situation ne semble pas avoir cours pour les moniales, le manque d’étude ainsi qu’une représentation stricte des rôles liturgiques l’expliquent sans doute. Une «  double‑peine  » s’applique donc pour les moniales qui, parmi les consacrés, ont un moindre accès participatif à la liturgie que les hommes, et parmi les femmes, un moindre accès par rapport aux laïques.

14Les rapports sociaux de sexe se diffractent dans plusieurs types de structures du monde monastique. La vie monastique des moniales, dans les premiers temps, est entièrement soumise à l’autorité des hommes. En rédigeant les règles, ces derniers se sont arrogé une autorité inébranlable sur les communautés de femmes. Césaire d’Arles exhorte même les abbesses, dans un ajout, à ne pas changer un seul mot de la règle (Diem, 2011, p. 62). En insistant sur l’enfermement à vie des moniales, il les exclut de toute vie sociale intramondaine et de toute possibilité d’autonomie. Un exemple témoignant de l’actualité des rapports sociaux de sexe est celui de l’accompagnement des communautés. Dans l’ordre cistercien, chaque monastère est accompagné par un autre pour l’aider à prendre du recul sur sa propre situation. Or, si les monastères d’hommes sont accompagnés par un autre monastère d’hommes, les monastères de femmes, comme celui de Marienkron sont, quant à eux, systématiquement accompagnés par un homologue masculin. De même, les monastères de carmélites sont placés sous l’autorité de l’évêque diocésain. Veronika Peters mentionne aussi que pour l’élection de l’abbesse, un abbé – non une abbesse ‑ d’un autre monastère est mandaté pour surveiller le vote. Là encore, le lien entre le sexe masculin et la fonction de prêtre, c’est‑à‑dire d’administrateur des sacrements, engendre un rapport hiérarchique avec les moniales.

  • 9 . Chiffres construits à partir du Direktorium 2013 de la Congrégation Autrichienne. Chaque membre d (...)

15Par ailleurs, l’ordination requiert en Autriche un master en théologie, ce qui implique un niveau de connaissance religieuse souvent plus élevé chez les moines par rapport aux moniales. Certains courants monastiques de femmes comme celui de Port‑Royal au xviiesiècle ou la nouvelle congrégation bénédictine de Sainte‑Lioba en Suisse (1927) ont donné de l’importance aux études des moniales, mais à l’inverse, une grande part du monachisme des moniales a cultivé un refus de l’étude comme témoignage de pauvreté et de centralité du message divin  : «  Les Clarisses ne font pas d‘études  : “Que celles qui ne savent pas les lettres ne se soucient pas d’apprendre les lettres” (R 10,8)  ». En effet, «  on trouve rarement mention de bibliothèques [dans les monastères de clarisses aux xviie et xviiiesiècles], les livres demeurant un luxe inaccessible. […] Le savoir risque d’enfler l’orgueil […] » (David, 2012, p. 207). Cette tenue à l’écart des femmes de l’étude reproduit leur position sociale de l’époque de fondation des communautés, mais est encore revendiquée dans des communautés fondées au xxesiècle. «  Les Sœurs de Bethléem se glorifient même de ne faire lire pendant deux ans à leurs novices que le seul Évangile  » (Backer, 1979, pp. 88‑89). Et plus loin  : «  La même Sacramentine qui avait été si choquée que les Clarisses lui demandent de terminer ses études se réjouit de ce que, là où elle est, les théologiens soient bien triés  : “[…] Il faut veiller à ce que les sœurs ne soient pas corrompues par des idées fausses” (Backer, 1979, p. 89). Toutefois, il ne s’agit pas nécessairement d’un refus explicite, mais aussi de la persistance d’une tradition et d’un manque de structures adaptées. Ainsi, le Kolleg Sankt Benedikt de Salzbourg, maison pour les bénédictins étudiant dans cette ville, n’a pas d’équivalent pour les moniales. Dans les pays germaniques où 95  % des moines sont prêtres, le contraste est encore plus saisissant. Parmi les 54 moines que compte la communauté bénédictine de Kremsmünster, tous sauf un sont prêtres, donc titulaires d’un master, et quatre ont en plus un doctorat. Parallèlement, dans la communauté de Steinerkirchen, sur les 105 moniales présentes dans les différentes maisons, une seule est diplômée d’un master et la prieure d’un doctorat en droit canon, obtenu avant son entrée au monastère. Elles sont parmi les plus jeunes de la communauté. Dans le cas des bénédictines de Nonnberg à Salzbourg, on ne relève aucune formation universitaire supérieure ou équivalente au master9. La communauté de Steinerkirchen n’a jamais négligé la formation des sœurs, dans la pastorale ou l’éducation, mais de manière générale, la formation intellectuelle occupe peu de place dans les monastères de femmes  ; ce qui les met sur un pied d’inégalité vis‑à‑vis des monastères souvent très formés des hommes et qui portent une tradition d’érudition.

Hommes célibataires, femmes mariées avec le Christ

  • 10 . Ceinture portée sur l’habit qui peut être une longue ceinture de cuir ou une large bande de tissu (...)

16Une divergence dans l’approche symbolique de la vie monastique caractérise les communautés de moines et de moniales (Jonveaux, 2012b). Alors que la vie monastique pour les hommes a été construite, dans la lignée de l’ascétisme du désert, comme un combat parfois violent contre soi‑même et les démons (Brakke, 2006), la vie religieuse des femmes est pensée comme une union matrimoniale mystique avec le Christ. Une application concrète de cette différence, aujourd’hui moins thématisée, demeure dans le sens donné à la ceinture monastique10, le «  cygulum  ». Tandis qu’un bénédictin me l’a décrite comme symbole du combat pour la chasteté, une moniale cistercienne me l’a présentée comme un symbole de l’alliance avec le Christ. Les moniales portent aussi souvent une alliance qui symbolise ce mariage mystique même si la profession ou prise d’habit ne sont plus guère des parodies de mariage comme ce put l’être avant le concile avec l’utilisation des couronnes de fleurs et des robes de mariée. Veronika Peters, dans l’ouvrage où elle raconte ses dix années passées comme moniale dans un monastère de bénédictines en Allemagne, rapporte ainsi les propos de la maîtresse des novices au sujet de la prise d’habit  : «  Aujourd’hui, […] on renonce à la symbolique de la mariée, on ne veut plus accentuer autant la prise d’habit pour que la profession ressorte comme la véritable union à la communauté  » (Peters, 2007, p. 79). Lorsqu’elle reçoit l’anneau lors de sa profession solennelle, elle‑même affirme qu’elle trouve la «  symbolique de la mariée suspecte  » (Peters, 2007, p. 175).

17La raison de la séparation des sexes dans la vie religieuse repose initialement sur un projet de chasteté, autant chez les hommes que chez les femmes. Mais bien que cela ne soit pas explicité comme tel dans les textes monastiques, la chasteté fait l’objet d’une considération différente pour les hommes et pour les femmes, dans la mesure où elle est liée pour ces dernières à la virginité et au renoncement à la maternité. La virginité est l’un des «  standards de la sainteté  » pour les femmes  : «  À part quelques exceptions, les femmes [saintes] sont des vierges, des veuves ou des martyres  » (Carruth, 2000, p. 124). De même, la forme de vie religieuse en tant que «  vierge consacrée  », étudiée notamment par Isacco Turina (2011), est exclusivement réservée aux femmes. La clôture plus stricte des moniales, leur habit explicitement utilisé pour cacher leurs formes et les rendre moins séduisantes, mais aussi l’alliance pour témoigner en toutes circonstances leur engagement sont autant d’éléments qui renforcent l’idée d’une menace sexuelle venant des femmes et de leur faiblesse à cet égard qu’il faut encadrer. En effet, «  parmi les images négatives véhiculées contre la féminisation figure la menace sexuelle présente dans les interactions entre les femmes du clergé et leurs supérieurs hiérarchiques masculins  » (Gasquet, 2009, p. 233). Le rapport à la sexualité dans ce milieu monosexué de femmes n’est donc pas indépendant des représentations genrées de la sexualité.

18Dans les communautés monastiques, si les difficultés concernant la sexualité réussissent parfois à être thématisées chez les hommes, elles le sont beaucoup plus rarement chez les moniales. Cette difficile verbalisation n’est pas sans lien avec la difficulté de la reconnaissance du désir des femmes en soi et de la seulement récente conception de caractéristiques propres dans le vécu de la sexualité par les femmes (Löwy, 2006). Un dominicain interrogé citait le cas d’une clarisse avec qui il correspond et qui évoque avec lui des questions de sexualité tues dans sa propre communauté. De même, la question de la masturbation est parfois abordée dans les communautés d’hommes, mais jamais dans les communautés de femmes comme pour nier son existence. Roselyne Roth‑Haillotte, lors de son enquête ethnographique chez les religieuses, a ainsi relevé que plusieurs sœurs lui avaient dit  : «  Nous devons nous débrouiller avec notre sexualité  !  » (Roth‑Haillotte, 2008, p. 119).

Rapport au monde et économie  : les rapports sociaux de sexe dans le monachisme

19Le travail et l’économie comme activités secondes mais incontournables de la vie monastique sont des lieux particulièrement pertinents pour observer les inégalités entre hommes et femmes dans le monachisme et leur lien avec les structures existantes de la société. Mais pour mieux comprendre l’origine de ces inégalités, il nous faut tout d’abord expliquer les différences dans les rapports au monde entre moines et moniales entraînées notamment par la clôture.

La clôture et la distance au «  monde  »

20Il suffit de se rendre dans un monastère d’hommes puis dans un monastère de femmes pour mesurer une différence première dans le rapport des religieux des deux sexes au monde. La clôture, séparation symbolique et matérielle du monde, s’érige de manière beaucoup plus stricte dans les monastères de moniales. Cette différence prend son origine dans les conceptions théologiques de «  la femme  » au Moyen Âge comme tentatrice et tentée, et donc en cela, potentiel danger pour le monde, mais aussi plus vulnérable à ses tentations. «  Le monde médiéval, dominé par les hommes et surtout par les clercs, considère la femme comme une essence. Dieu l’a ontologiquement voulue inférieure à l’homme et elle a aggravé son cas, puisqu’elle est responsable de la Faute  » (L’Hermite‑Leclercq, 1998, p. 202). En Occident, c’est dans la règle de Césaire pour les moniales, Regula ad virgines, que l’on trouve les premières traces de la claustration. Césaire rassemble dans une même formule la stabilité et la clôture perpétuelle  : »  Elle ne sortira pas du monastère jusqu’à sa mort, même pour se rendre à la basilique, où l’on sait que se trouve la porte  » (Césaire d’Arles, 1994, p. 69). Cette règle enferme les moniales au sein de la clôture, alors que les moines, selon leurs missions, peuvent sortir du monastère. Et déjà, le droit canon de 602 indique que les moniales doivent posséder une clôture de manière à ce qu’elles ne soient pas vues de l’extérieur. En plus des raisons religieuses, des raisons de sécurité pour la protection des moniales justifiaient ces pratiques.

  • 11 . Cas cités par des moines autrichiens.

21Si la vision des femmes dans la religion et la société a évolué, la clôture demeure toujours plus stricte dans les communautés de femmes. Alors que le droit canon de 1983 souligne l’importance de la clôture autant pour les monastères de femmes que d’hommes sans effectuer de réelles distinctions de sexe, le juriste italien Eugenio M. Lisi s’étonne  : «  Pourquoi les moniales doivent‑elles être assujetties à une discipline de clôture différente – plus stricte – que les moines alors qu’elles suivent la même règle  ?  » (Lisi, 1985, p. 151). Cette différence se perçoit concrètement dans les espaces accessibles ou non aux laïcs, notamment l’église, mais aussi le réfectoire qui est chez les moniales le plus souvent fermé aux laïcs, contrairement à celui des moines qui peut accueillir certains hommes laïcs. Un second point est celui des libertés de sortie. Rares sont les moniales actives à l’extérieur, dans les paroisses ou les écoles, rares sont aussi celles qui font des séjours d’étude dans une autre ville. La question des vacances est aussi représentative. En Autriche, les moines peuvent, s’ils le veulent, passer leurs vacances en croisière, au Club Méditerranée ou en Grèce11. Bien que minoritaires, ceux qui choisissent ce type de destinations sont suffisamment nombreux pour être régulièrement évoqués en entretien, souvent de manière critique. En revanche, la question ne se pose pas pour les moniales qui passent leurs vacances dans leur famille, un autre monastère ou une maison louée avec quelques sœurs. Certaines communautés de moniales ont aussi conservé la grille dans les parloirs ou l’église qui sépare l’espace réservé aux sœurs de celui pour les laïcs, et la configuration de l’espace les rend souvent invisibles aux yeux du public. Une fenêtre est alors ouverte dans la grille pour leur permettre de recevoir la communion. Dans l’église des monastères d’hommes, en revanche, on trouve tout au plus une petite barrière ou une corde pour séparer symboliquement les espaces, mais le chœur est parfois aussi accessible aux laïcs. La mention «  Privé  » tend à remplacer les anciennes pancartes «  Clôture  », supprimant l’idée que cette séparation empêche ceux qui sont à l’intérieur d’en sortir. Certains monastères de femmes, comme celui de Kergonan ou le Carmel d’Angers, ont conservé une clôture matérielle dans les parloirs pour recevoir les visiteurs, sous forme de muret, augmenté parfois d’une grille et de part et d’autre duquel se trouvent des chaises. Certaines sœurs ouvrent désormais la grille lors des entretiens pour accéder à un contact direct, mais l’on peut aussi observer parfois les traces d’anciens rideaux qui rendaient la grille opaque et chacun des interlocuteurs invisible à l’autre.

22L’extramondanité, c’est‑à‑dire la distance au monde compris comme sphère sociale active qui ne place pas la religion au centre de ses préoccupations, a toujours été plus grande pour les monastères de moniales. Elle repose en effet en majeure partie sur l’image des femmes issue de la théologie catholique essentiellement forgée au Moyen Âge, mais aussi sur le rôle qui lui était assigné dans la société et qui a maintenu les communautés de moniales en marge de la dynamique économique et sociale des monastères d’hommes. Cette plus grande distance se retrouve dans la redéfinition des rapports monastiques au monde provoquée par la modernité technologique. Le clivage dans l’utilisation de l’Internet entre les communautés de femmes et d’hommes est net alors même que cette différence s’est pratiquement estompée dans la société. Si 50  % des monastères d’hommes français ont un site Internet pour leur communauté, ceux de femmes ne sont que 30  % à en avoir un. Cette différence se retrouve en Autriche où 96  % des communautés de moines ont un site contre 53  % des communautés de moniales. La conjonction de différents facteurs que sont l’âge plus élevé des communautés de femmes, d’une part, et la clôture plus sévère, d’autre part, entraînent une différence importante dans l’utilisation par les moniales des nouvelles technologies de la communication (Jonveaux, 2009). Une trop grande discrétion et un manque de dynamisme peut aussi entraîner pour ces communautés un handicap de taille concernant le recrutement. «  Nous arrivons même à l’étape suivante, où un monastère qui n’aurait pas de site “manquerait” de vocations potentielles, puisque tout jeune intéressé par les questions religieuses va probablement – de plus en plus – recourir à Internet comme premier pas dans sa quête […]  » (Mayer, 2008, p. 73). Ce fait a été confirmé par un nombre important de jeunes moines qui ont dit en entretien avoir connu sur Internet ce qui est ensuite devenu leur communauté.

Division du travail et inégalités économiques

23Pendant longtemps, les moniales sont restées exclues des activités productives effectuant souvent des travaux domestiques pour les moines (fabrication des habits et vêtements liturgiques notamment). Comme le dit une carmélite interrogée, «  à l’époque, les femmes n’étaient pas censées gagner leur vie  ». Au Moyen Âge, «  bien souvent les moniales ne travaillaient pas uniquement pour les besoins de leur propre maison, mais aussi pour les monastères d’hommes et pour les églises  » (Schmitz, 1956, p. 22). Elles sont entrées plus tard sur le marché ouvert des produits monastiques. Avec l’abolition des dots qui représentaient la première source de revenus des monastères de femmes, et la perte de leur patrimoine à la Révolution puis la nationalisation des biens des congrégations, de nombreux monastères se sont retrouvés après la Seconde Guerre mondiale dans un état de grande pauvreté dénoncé par le pape Pie XII dans la lettre apostolique «  Sponsa christi  » (1950). Il y exhortait alors les moniales à trouver un travail productif pour subvenir à leurs besoins.

24De l’économie monastique, on retient les célèbres bières des trappistes belges (Jonveaux, 2011a) ou les fromages et vins des moines français devenus une part incontournable du patrimoine. Des moniales, on ne connaît souvent que des «  petits gâteaux  », «  petites  » friandises qui s’apparentent à un travail domestique féminin de productions de «  douceurs  ». On se retrouve alors dans le schéma classique de division sexuelle du travail où les hommes effectuent un travail ouvertement économique, qui «  vaut  » plus que celui des femmes et dont la qualification est construite socialement tandis que les travaux des femmes, moins reconnus et demeurant essentiellement dans la sphère du privé, renvoient essentiellement à des qualités dites «  naturelles  » de douceur, dévouement, minutie, etc. (Kergoat, 2010, p. 63‑66). Correspondant à cette division sexuelle traditionnelle du travail, de nombreuses communautés – principalement en Italie où elles représentent 29  % des activités des moniales – poursuivent des activités de couture ou de broderie qui présentent actuellement deux failles majeures  : d’une part, les jeunes ne connaissent plus ces techniques compromettant ainsi la survie de l’activité, et d’autre part, la clientèle est moins intéressée par ces ouvrages de surcroît relativement chers. La clôture plus restrictive des femmes pose aussi la question de l’ouverture sur les marchés autant pour identifier la demande et y répondre que pour écouler les productions. C’est justement parce qu’il était difficile aux moniales de vendre leurs marchandises à l’extérieur qu’ont été créés dans neuf villes françaises les magasins «  Aide au travail du cloître  » (ATC) pour leur offrir des points de vente. La clôture stricte d’avant le concile handicapait fortement les moniales dans leurs activités économiques. C’est pour cette raison que dans certains ordres, les monastères d’hommes envoyaient des moines aider les moniales dans leurs travaux. Un moine trappiste du Mont‑des‑Cats témoigne de ses années de travail auprès d’une communauté de sœurs  :

Je n’étais pas prêtre donc je n’étais pas aumônier. Je faisais les courses, je transportais les sœurs ici ou là. Parce qu’aucune sœur ne savait conduire. D’ailleurs quand je suis arrivé, elles ne sortaient pas. C’est après le concile qu’elles ont commencé à sortir un peu. Je faisais toute sorte de services, et en faisant le travail avec elles, j’essayais d’améliorer. J’étais surtout là pour les aider. (avril 2014)

  • 12 . Classés dans les activités dérivées des activités traditionnelles de subsistance, donc à utilité (...)
  • 13 . Sources : Italie : Guide des monastères, 2004, France : catalogue Monastic, 2006.
  • 14 . « Enquête générale de l’automne 2007: monastères et problèmes économiques », P‑Y. Gomez & R. de M (...)

25Mais parallèlement, la conséquence de l’entrée plus tardive des moniales dans l’économie monastique productive et ouverte a entraîné comme différence structurelle notable par rapport aux moines un aspect plus résolument commercial et plus éloigné des formes traditionnelles d’économie. En effet, seulement 30  % des activités des monastères de femmes en France sont issues des anciennes activités de subsistance contre 49  % pour les monastères d’hommes12. Même les produits alimentaires des monastères de femmes présentent une orientation plus commerciale. 54  % de la production alimentaire des moniales françaises appartiennent au secteur des gâteaux et confiseries qui ne sont pas consommés par la communauté – mais qui peuvent facilement faire l’objet d’un achat impulsif au magasin – contre 25  % pour les moines13. Le paradoxe est donc que le «  petit gâteau  » correspond en réalité à une forme d’économie plus avancée que les vins, bières ou fromages, car détachée de l’économie d’autoconsommation. L’autarcie était un idéal porté par Benoît d’où l’orientation des moines du Moyen Âge vers des productions d’autoconsommation dont on retrouve la trace aujourd’hui. L’autoconsommation est moins présente dans les communautés de moniales alors que leur production engendre une plus forte valeur ajoutée. Ce qui explique les résultats de l’enquête Monastic 200714, 40  % des monastères de femmes réalisent un peu plus de 20  % de marge sur leurs produits tandis que seulement 30  % des monastères d’hommes en réalisent autant. Parallèlement, les branches nouvelles au sein de l’économie monastique, qui sortent de la sphère traditionnelle du travail religieux, ont souvent à leur origine des monastères de femmes  : les produits d’hygiène et de cosmétique de l’abbaye de Chantelle ou les maisons de cure avec qi gong, yoga et massages par les sœurs des abbayes de Marienkron en Autriche et d’Arenberg en Allemagne, ou encore la gymnastique celte chez les carmélites de Bad Mühllacken. Leur caractère marginal soulève parfois des critiques du milieu catholique traditionnel, notamment pour l’intégration de techniques venues des spiritualités orientales. La sœur responsable du qi gong à Marienkron explique  : «  Je remarque que dans l’Église certains le tolèrent, mais je suis critiquée. Souvent par des gens qui n’ont jamais essayé  ».

  • 15 . Trois enquêtes effectuées à l’abbaye de Kremsmünster en 2011 et 2012, une à Steinerkirchen en nov (...)

26Anne-Marie Daune‑Richard considère que «  les différences hommes‑femmes de participation à l’activité et au travail s’ancrent dans les modes d’articulation entre la production et la reproduction  » (Daune‑Richard, 1993, p. 126). Or, nous nous trouvons ici dans un contexte où les femmes ont quitté tout rôle familial. Pourtant, la division du travail entre monastères d’hommes et monastères de femmes semble s’organiser selon ce modèle social où il échoit aux moniales ce qui est de l’ordre du travail de l’intérieur, du domestique, tandis que les moines ont des travaux plus tournés vers l’extérieur (pastoral, agriculture, etc.). Encore aujourd’hui, ce sont souvent des moniales qui fournissent abbayes et diocèses en hosties, considérant elles‑mêmes ce travail comme une «  mission pour l’Église  » comme le dit la prieure du carmel étudié (Jonveaux, 2011b). Et elle ajoute  : «  Nous, on ne le sent pas comme un travail économique  ». Les ornements liturgiques sont aussi une activité souvent monastique pour laquelle la production in claustro représente pour les clients une valeur ajoutée. Certaines communautés sont aussi orientées explicitement vers le service des prêtres. Le Père Norbert Schachinger, moine bénédictin de l’abbaye de Kremsmünster en Autriche, fonda en 1928 une communauté pour femmes – au début d’oblates puis de moniales bénédictines – pour le service des paroisses et la pastorale, surnommée la «  Dienstmädchenverein  » (Falkenrich, 1997, p. 31), ce qui signifie «  communauté de servantes  ». Au service des paroisses, celles‑ci étaient surtout au service des prêtres eux‑mêmes, comme gouvernantes ou secrétaires. Certaines sœurs de cette communauté le sont encore et l’une d’entre elles occupe la fonction de secrétaire de l’abbé de Kremsmünster15. Un autre exemple est celui de la maison pour les étudiants bénédictins à Salzbourg, où ce sont des sœurs salésiennes (étrangères pour la plupart) qui font le ménage des chambres, y compris des hôtes, tandis qu’une sœur de Steinerkirchen fait la cuisine. Ces religieuses ont alors pour mission de soutenir celle des prêtres ou des moines dont le travail apparaît ainsi plus important. Cette structure reproduit les caractéristiques de genre de la société et notamment «  la perception des femmes comme étant dotées d’une capacité innée de care (terme sans équivalent précis en français, qui décrit la prise en charge du bien‑être physique et psychologique des autres  : enfants, personnes âgées, hommes)  » (Löwy, 2006, p. 43). La mémoire collective retient l’image de la «  bonne sœur  » au service des plus pauvres, des enfants et des malades (Langlois, 2011), de même, les moniales se retrouvent en charge du care pour les moines et prêtres. Et plus encore parce qu’elles n’ont pas de famille dont elle devrait prendre soin en premier lieu, les moniales sont considérées comme disponibles pour ce travail de care au sein de l’Église et plus particulièrement pour les hommes d’Église. Mais ce travail essentiellement imperceptible renforce l’invisibilité des moniales dans le monde monastique. «  Le care combine les corvées les plus humbles, répétitives ou désagréables, avec tous ces petits riens, ce travail intangible du regard. Inestimable, le care est un travail qui échappe à la valeur marchande dans la mesure où sa valeur se confond avec celle de la vie  » (Molinier, 2013, p. 11). Ces moniales sont donc les étaies invisibles de la vie religieuse des moines.

L’obéissance au féminin et la dépendance financière des moniales

  • 16 . La supérieure, prieure ou abbesse selon la taille du monastère, est élue par la communauté pour u (...)

27L’obéissance est l’un des trois vœux, avec la pauvreté et la chasteté, par lesquels les moines et moniales s’engagent dans la vie religieuse. Une moniale française affirme que «  l’obéissance est au cœur de [leur] vie  ». Alors que depuis le concile, la configuration de l’autorité se remodèle dans les monastères d’hommes pour laisser plus de place à la responsabilisation et à l’autonomie de l’individu, ce processus semble plus lent dans les monastères de femmes. Les enquêtes de terrain et les relations à distance pour entrer en contact avec les communautés ont montré un vécu différent de l’obéissance dans les communautés de moines et de moniales. La structure hiérarchique apparaît beaucoup plus rigide et beaucoup plus centralisée sur la personne de la supérieure dans les monastères de femmes16. Lors de la prise de contact pour mes enquêtes, il me fallut pour les communautés de moniales passer exclusivement par le biais de la supérieure alors que les économes ou maîtres des novices des monastères d’hommes pouvaient librement prendre la décision de m’accueillir. Seule l’abbesse semblait apte à autoriser ma venue. Une fois dans les communautés, j’ai rencontré fréquemment dans la demande d’entretien, cette réaction  : «  Il faut demander à Mère Abbesse  ». La sœur demandait alors l’autorisation de sa supérieure avant d’accepter ma requête. L’accord de la supérieure est donc un élément central autour duquel s’articule la vie quotidienne des moniales. La supérieure d’un monastère autrichien qui possède une maison de cure me disait que les sœurs qui désirent, pour raisons médicales, aller nager dans la piscine de l’hôtel – il n’y a pas vraiment de séparation avec le bâtiment conventuel – doivent en demander la permission. En revanche, dans un monastère de bénédictins autrichiens qui possède aussi une piscine essentiellement destinée aux élèves de l’école, la question ne se pose pas pour les moines de demander la permission à l’abbé.

28Cette rigidité de la structure hiérarchique peut déboucher, selon les propos de certaines supérieures, sur une déresponsabilisation accrue des moniales que dénoncent des supérieures. L’abbesse d’un monastère autrichien répondait ainsi à ma question sur la raison des différences entre monastères d’hommes et monastères de femmes  :

Je ne sais pas. Les femmes le font d’elles‑mêmes je crois, c’est lié à de la peur, de ce que signifie la liberté. C’est‑à‑dire, je voudrais de la liberté, mais je ne veux pas avoir à décider ce que je devrais vouloir. Si je le devais, ce ne serait plus de la liberté. Et il y a aussi les supérieures qui viennent de l’ancienne tradition, et qui ont peur de changer ça. Je le vois dans les rencontres de supérieures. Chez les jeunes, on peut encore le trouver, mais la mentalité est différente. (octobre 2011)

  • 17 . Dans la vie monastique, le maître ou la maîtresse des novices est chargé(e) de la formation des j (...)

29Le récit de V. Peters, novice à la fin des années 1980, est à ce titre révélateur du peu de liberté laissée aux moniales. La novice ne peut sortir d’un pas de la clôture ne serait‑ce que pour aller chercher quelque chose à l’hôtellerie, elle doit demander à la maîtresse des novices17 l’autorisation de parler à d’autres sœurs lorsque c’est hors du cadre du travail, et celle‑ci peut aussi venir contrôler la chambre de la novice pour en retirer ce qui ne serait pas «  monastique  ». Il peut alors découler de ce conditionnement ce que l’on désigne par les termes de mentalité «  refuge  » ou «  hôpital  ». Les répercussions de cette subordination et de la clôture stricte sont selon Michaela Pfeifer – cistercienne autrichienne – «  différentes selon le sexe  : tandis que les moines s’isolent toujours plus les uns par rapport aux autres, les moniales tendent au contraire à devenir infantiles, à régresser  » (Pfeifer, 2006, p. 11).

30Parallèlement, les structures d’autonomisation ont plus de mal à se mettre en place dans les monastères de femmes où rares sont les moniales qui possèdent un compte bancaire. Dans le cas autrichien – différent à cet égard du cas français – ce rapport inégal à l’autonomie financière partielle peut s’expliquer par les activités différentes des moines. Ayant le plus souvent des activités à l’extérieur, et demeurant parfois en dehors du monastère dans le cas des curés des paroisses éloignées, il est nécessaire aux moines de posséder un compte et un moyen de paiement personnel. Les moniales demeurant pour la plupart du temps dans leur monastère n’en auraient pas besoin. Mais si nous comparons avec la communauté de Steinerkirchen où les sœurs sont aussi actives dans des paroisses ou des écoles, habitant parfois à plusieurs centaines de kilomètres de leur monastère, celles‑ci ne possèdent pas non plus de compte personnel.

31Selon Shawn Carruth, ce rapport particulier des religieuses à l’autorité s’explique par une approche différente des vertus dans l’Église selon le sexe. L’obéissance, accompagnée du silence et de l’humilité «  apparaissent souvent dans la liste des vertus féminines et les universitaires féministes remarquent que dans le passé, elles avaient été inculquées aux femmes pour obtenir leur coopération et leur complicité dans le maintien des systèmes sociaux qui prévalent  » (Carruth, 2000, p. 122). Ces vertus s’érigeaient en ce sens en outils de pouvoir de l’institution masculine sur les groupes féminins. L’obéissance des monastères de femmes subit cependant des inflexions depuis le concile. Le rapport à l’autorité, bien que toujours centralisé sur la figure de la supérieure, tend à s’assouplir et s’accompagne d’une nouvelle responsabilisation individuelle des sœurs. Ainsi, plusieurs sœurs entrées avant ou dans les années qui ont suivi le concile, ont souligné en entretien des évolutions nettes ou l’importance actuelle de la propre responsabilisation. Par exemple, la sœur Lucia de Steinerkirchen déclare  : «  On doit être responsable, on ne peut pas dire “La Mère a dit que”  », tandis que la sœur Maria de la même communauté explique  : « On est des adultes, on peut prendre nous‑mêmes des décisions ». Cela signifie que cette responsabilité personnelle ne va pas forcément de soi, ou qu’elle n’est pas toujours allée de soi, car de tels discours n’ont pas été tenus par les moines lors des entretiens.

Évolution des normes de genre dans le monde des moniales

32Le monachisme est initialement une forme de vie utopique qui cherche à effacer les normes de genre autant comme accès à un état religieux supérieur (le modèle angélique) que comme détachement des normes sociales dans leur intégralité. «  Dans l’imaginaire des moines, l’idéologie de la différence ne porte plus sur les sexes. Elle se place “au‑delà du sexe et du genre” en instaurant une nouvelle frontière discriminante où les monachi s’opposeraient aux laici sans distinction de genre  » (Pancer, 2002, p. 323). Parallèlement à la persistance d’un rapport de dépendance et d’infériorité des femmes moniales à l’égard des hommes moines, de nouvelles tendances à l’affirmation d’une identité féminine pour construire leur propre spécificité se font jour dans les communautés de femmes.

Pour un monachisme «  féminin  »  : une nouvelle affirmation de l’identité sexuée

33Un nouveau rapport à l’identité sexuée, qui touche à une évolu­­tion plus générale du rapport au corps monastique, est particu­lièrement visible dans le monachisme des moniales (Jonveaux, 2012b). Alors que le travail ascétique de la vie monastique visait à transcender l’identité sexuée, cette dernière est désormais affirmée dans la vie monastique. L’habit, auparavant destiné à envelopper le corps de manière délibérément inesthétique, se fait, selon des carmélites, «  plus féminin  » (Lardy, 2004). La guimpe qui était un élément additionnel lié au voile et destiné à cacher le tour du visage et le cou est de plus en plus abandonnée par les communautés de femmes. Certaines congrégations comme celle de Steinerkirchen ont abandonné dans les années suivant le concile le grand voile au profit d’une petite coiffe courte et d’autres se posent la question d’abandonner toute forme de voile. Dans son enquête sur des religieuses aux États‑Unis, Susan Michelman note que dans la période post‑conciliaire «  certaines femmes interrogées étaient en train de faire un régime. La conscience de leur style et de la mode était devenue évidente. Des femmes faisaient des choix personnels concernant du maquillage, des bijoux fantaisie, (longueur de la jupe, encolure) et même la coloration des cheveux  » (Michelman, 1999, p. 140). Cette nouvelle affirmation de l’identité sexuée vise à promouvoir l’idée d’une façon d’être moniale et femme dans le cadre d’une vie religieuse. Ainsi que le dit une bénédictine italienne, « le renoncement au mariage de la consacrée ne peut certes plus signifier un renoncement à la propre féminité ni aux relations avec l’autre sexe  » (Zorzi, 2009, p. 377). Une restructuration des rapports à l’identité sexuelle se fait donc jour dans le monachisme qui est à mettre en lien avec une évolution du rapport à la chasteté en général.

34Parallèlement, on observe de nouvelles conceptions dans les relations entre moines et moniales. Des débats déclenchés dans les années post‑conciliaires ont évoqué une éventuelle sortie du modèle de communauté monosexuée. Du fait de l’évolution des rapports hommes‑femmes dans la société devrait‑on s’acheminer vers un autre modèle de communauté religieuse où le «  compagnonnage » entre les sexes aurait sa place ? Dans une conférence tenue en 1972 à Maredsous en Belgique, alors que cette abbaye tentait de réformer sa manière de vivre la vie monastique en y intégrant notamment la possibilité de moines mariés, Robert de Backer avait tenu ces propos  : «  L’évolution des modèles culturels, réglant les conduites sexuelles dans la société globale, l’évolution de l’image de la femme, l’apparition de nouveaux besoins psychologiques, rendent caduques l’organisation de la vie religieuse sous sa forme d’institution monosexuée. Pour survivre, celle‑ci appelle un nouveau type d’institution qui intègre les modèles culturels nouveaux » (de Backer, 1972). Cependant, il reste évasif sur la solution nécessaire selon lui de la «  troisième voie », si ce n’est qu’elle « n’est ni le célibat classique, ni le mariage ». Quarante ans après ce colloque et la tentative ratée de réforme à Maredsous, où en est‑on de la « caducité » du modèle monosexué ? Les communautés monastiques dites nouvelles, fondées après le concile de Vatican II et en rupture avec le monachisme dit traditionnel, ont en effet pour un certain nombre d’entre elles comme les Fraternités monastiques de Jérusalem ou la Communauté de Bose (Italie) adopté une forme de mixité qui peut aller d’un co‑partage de la vie religieuse où seuls certains moments se vivent en communauté mixte, les autres, avec une séparation des sexes, à une mixité complète sous le même toit dans tous les moments de la vie religieuse (Ibid., 2014). Stefania Palmisano souligne que dans certaines communautés nouvelles, le travail est également réparti entre les moines et les moniales qui font aussi la cuisine ensemble (Ibid., p. 97). La traditionnelle division sexuelle du travail s’en trouve ainsi en partie modifiée. D’autres formes de communautés religieuses tentent de donner une place au couple hétérosexuel (Chemin Neuf 1973, Béatitudes 1974), mais peinent à se faire reconnaître par le Vatican et à trouver une définition stable. De l’autre côté, les communautés dites traditionnelles dont il est question ici n’ont pas suivi l’évolution prédite par R. de Backer  ; toutefois, on voit apparaître de plus en plus de collaborations entre moines et moniales et les amitiés entre les sexes peuvent aussi trouver leur place. Du fait de la réduction de leur main‑d’œuvre en raison d’un manque de vocations, l’abbaye des bénédictines de Chantelle avait par exemple entrepris une division des étapes de production pour leur activité de cosmétiques entre leur propre communauté et les abbayes d’hommes du Désert et de la Pierre‑qui‑Vire. Les moines de cette dernière abbaye s’occupaient de la vente par correspondance.

Le monachisme comme lieu d’émancipation des femmes  ?

35Lieu extrême d’obéissance et de reproduction des rapports sociaux de sexe, le monastère a aussi initialement représenté la possibilité pour les femmes d’échapper à la condition réservée à leur sexe dans les sociétés patriarcales, notamment en sortant des schémas prétracés des mariages arrangés et de la fonction de reproduction. Ainsi pour les femmes, «  le paradoxe de la vie religieuse  » est de se situer «  entre les deux extrêmes – obéissance et émancipation  » (Langewiesche, 2012, p. 133). Cette fonction d’émancipation s’efface peu à peu du fait des possibilités offertes aux femmes dans la société actuelle, mais n’a pas été sans effet sur la vie des moniales ayant aujourd’hui plus de 70 ans. Plusieurs sœurs de Steinerkirchen ont souligné la possibilité qu’elles ont eue en entrant au monastère de suivre des formations pour être éducatrices de jardin d’enfants, pour la pastorale ou le secrétariat. Mais si la vie religieuse perd cette fonction émancipatrice en Europe, les moniales, en fondant de nouvelles maisons dans des pays en voie de développement tâchent de l’y exporter. Au Burkina, les «  sœurs missionnaires, et plus tard les religieuses africaines, suscitèrent ainsi des lieux où les jeunes femmes pouvaient, matériellement indépendantes de leur père ou de leur mari, combiner une vie professionnelle et l’engagement religieux  » (Langewiesche 2012, p. 123).

36Les communautés de femmes sont aussi en cours d’émancipation par rapport à la domination du monachisme masculin notamment dans le refus explicite de certaines situations d’inégalité hiérarchique ou représentations spirituelles. Une rupture générationnelle s’opère vis‑à‑vis du rôle de la moniale comme étant au service des moines et prêtres. La supérieure de Steinerkirchen, elle‑même âgée d’une cinquantaine d’années, ne conçoit plus possible pour une jeune moniale d’avoir comme mission d’être la gouvernante d’un prêtre. Les jeunes sœurs – tendance aussi observable chez les moines – sont, d’une part, très attachées à la vie communautaire et cherchent, d’autre part, une réalisation personnelle dans les tâches spécifiques de la vie religieuse. Le service exclusif des prêtres ne correspond plus à leurs aspirations sans doute aussi parce que la hiérarchie de genre est alors mieux perçue et refusée.

37Parallèlement, des moniales reviennent sur des représentations traditionnelles de la vie monastique des femmes et pointent leur ancrage dans une théologie dominée par les hommes. Ainsi une bénédictine autrichienne, d’environ 50 ans, me disait à propos de la symbolique du mariage dans la vie monastique des femmes  :

« La vie célibataire est un sujet dans tous les monastères. Mais, je dirais, cette image de la mariée, c’est aussi lié à une image sexiste. Mais l’amitié, une amitié d’amour, cela vaut autant pour les hommes que pour les femmes, c’est une amitié dans un amour profond. » (novembre 2012)

38Certaines moniales revendiquent une spécificité féminine dans leur vie monastique qui sera autant une façon d’affirmer leur authenticité qu’une prise d’autonomie par rapport à la domination des moines. Ainsi les sœurs de Marienkron, unique monastère cistercien de femmes en Autriche, fondé par une communauté d’hommes, ont choisi peu après leur fondation dans les années 1960 de ne pas entrer dans la congrégation cistercienne autrichienne puisqu’elle n’est constituée que de monastères d’hommes. En 2001, les moniales bénédictines du monde entier ont créé dans l’ordre bénédictin une structure internationale propre aux moniales, le Communion internationalis benedictinarum.

La revendication de l’authenticité

39Les moniales prennent donc conscience des structures de la division sexuelle du travail et certaines s’en indignent. Ainsi l’économe de Kergonan s’irritait du fait que les moines reçoivent toujours plus de dons. Mais les moniales savent aussi exploiter ces inégalités héritées d’une autre époque pour affirmer ce qu’elles considèrent être une plus grande authenticité et proximité du projet initial du monachisme. La mère Antonia, supérieure cistercienne en Autriche, explique ainsi  :

Oui, je remarque ça chez les sœurs parfois, elles disent que les hommes, ils peuvent aller partout et nous, nous devons rester ici. C’est peut‑être vrai, mais je ne voudrais pas du tout être comme ça dans un monastère masculin. Je ne voudrais pas sortir tout le temps. Aller au concert, je ne voudrais pas y aller. Parce que je ne le veux pas, je suis dans ce monastère. Nous le faisons librement. (octobre 2011)

40Puis à propos des hommes qui souvent ne portent pas l’habit quand ils sortent du monastère, elle réagit ainsi  :

Alors les hommes disent que ça gêne pour conduire. Ça ne me viendrait jamais à l’idée ! En quoi est‑ce que ça gêne ? Ils ne veulent pas conduire avec l’habit, c’est pour cela qu’ils disent que ça gêne. Je pense que si je ne suis pas toujours avec l’habit, alors je ne suis pas vraiment moi‑même. Et si je vis cela, je peux sans problème aller dans la rue avec l’habit. (octobre 2011)

41Elle critique aussi le fait que les moines autrichiens vivent comme des «  seigneurs  », ce qui ne serait selon elle pas monastique : « Les moines ne doivent pas être comme ça ». Les moniales revendiquent alors une plus grande authenticité dans leur engagement monastique que leur mode de vie plus simple viendrait confirmer. Une sœur de Steinerkirchen souligne quant à elle que sa communauté ne possède que quatre voitures pour 66 sœurs tandis que les moines possèdent presque tous une voiture personnelle et alors que l’ascèse requiert le partage des objets de consommation pour restreindre les envies. Ou à propos de la question d’Internet  :

C’est un danger pour les moines d’avoir un ordinateur dans leur cellule le soir, ils doivent l’utiliser avec beaucoup de précautions lorsqu’ils n’ont pas de bureau. Je pense que c’est plus un danger chez les moines. Chez les sœurs, moins. (octobre 2012)

42Le moindre individualisme de la vie religieuse des moniales serait alors un rempart contre d’autres risques. Une bénédictine française explique par exemple que certes, les moines peuvent aller au cinéma le soir, mais pour elles, «  s’il y a un beau film, on peut le regarder ensemble, c’est important  ». Ne possédant pas une grande histoire glorieuse sur laquelle s’appuyer, le monachisme des moniales joue la carte de l’authenticité et de la simplicité à l’heure où la richesse extérieure et le confort des monastères de moines en Autriche sont remis en cause comme ne correspondant plus aux besoins ou à l’identité de la vie monastique moderne. Les moniales revendiquent un système de justification où l’humilité sera la qualité reconnue. On observe donc une réinterprétation de ce qui était des signes des rapports sociaux de sexe en forces d’authenticité pour construire une identité propre du monachisme des femmes, élaborée cette fois‑ci par les femmes elles‑mêmes et non pas par les hommes.

43Parallèlement, les nouvelles formes d’authenticité monastique revendiquées par les moines pour eux‑mêmes contribuent aussi à réduire les inégalités avec le statut des moniales. De plus en plus, la nouvelle génération de moines s’oppose à la prêtrise comme fonction nécessaire participant de l’identité du moine. Ils revendiquent au contraire l’authenticité plus grande d’une vie monastique qui ne serait pas couplée avec l’ordination sacerdotale. Plus encore, des demandes sont régulièrement faites dans les congrégations pour accepter comme abbés des moines non ordonnés alors que la prêtrise était traditionnellement requise. Cette tendance à la désacerdotalisation du moine recentre donc l’identité monastique sur un fond commun partagé avec les moniales.

Conclusion

44Alors que le monachisme est théoriquement une utopie de vie religieuse préparant à la vie paradisiaque où «  il n’y aura plus ni homme ni femme  », il est autant organisé par le genre et les rapports sociaux de sexe que l’Église institutionnelle et l’ensemble de la société. Les communautés de moines conservent une structure d’autorité sur les communautés de femmes qui est renforcée par la hiérarchie religieuse entraînée par le possible accès des moines à la prêtrise. En héritage des structures héritées d’une théologie misogyne forgée au Moyen Âge, les dispositions concernant la clôture demeurent fortement différenciées entre monastères d’hommes et monastères de femmes, et induisent de ce fait un rapport au monde différent qui se reflète aujourd’hui dans l’usage des nouvelles technologies de la communication. Sous l’impulsion d’évolutions autant religieuses que sociales, les monastères de femmes sont cependant soumis à des changements majeurs. L’un d’eux est l’entrée des moniales dans le champ de l’économie productive qui comporte comme paradoxe, du fait de cette entrée plus tardive, une économie résolument plus commerciale que celle des hommes bien qu’encore en moyenne moins performante.

45Au regard des mutations actuelles, la question surgit de normes de genre spécifiquement monastiques, qui prennent place dans le contexte particulier de la vie consacrée et de la chasteté. Les travaux actuels sur la masculinité dans l’Église entrent dans cette démarche. Nous observons en effet dans le monachisme des moniales des dynamiques de réappropriation sexuelle, c’est‑à‑dire, autant d’affirmation de la double identité consacrée et sexuelle revenant sur le projet initial de transcendance du sexe et du genre, mais aussi, pour permettre une émancipation du monachisme de femmes par rapport au modèle masculin et proposer un type de vie religieuse construit par les femmes et non plus par les hommes. Un éclairage intéressant serait enfin celui des moines qui, bien qu’en position de domination, se montrent souvent critiques à l’égard de l’immobilisme ou de la soumission de certaines moniales ou communautés de femmes.

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Notes

1 . Annuaire Statistique de l’Église, Éditions du Vatican, 2008. Nous entendons par contemplatives les moniales vivant dans un monastère et par apostoliques, les religieuses actives dans le monde et non soumises à la clôture.

2 . Concernant les bénédictins : France : 48 maisons de femmes et 36 d’hommes. Italie : 146 de femmes et 62 d’hommes. Belgique : 17 de femmes et 11 d’hommes. L’Autriche fait exception avec, pour des raisons historiques, plus de monastères d’hommes que de femmes. SS. Patriarchae Benedicti Familiae Confoederatae, Atlas OSB, Editio II, 2004, Rome

3 . Une congrégation est un rassemblement de monastères vivant selon la même règle et la même tradition monastique, souvent répartis géographiquement.

4 . Ces chiffres ont été construits, pour les monastères autrichiens à partir du Direktorium 2013 et pour les monastères français à partir du Congregatio Annuntiationis Ordinis Sancti Benedecti 2012.

5 . Chiffres valables pour les membres encore présents dans les communautés en 2013. Il est fort probable que ces chiffres seraient nettement inférieurs pour les communautés nouvelles.

6 . Lors de l’une des premières enquêtes de terrain en 2005, une sœur qui avait accepté de me recevoir m’avait avoué que la mention de mon affiliation en sociologie et économie à l’université de Nanterre l’avait tout d’abord engagée à refuser ma requête.

7 . Somme donnée pour qu’une messe soit célébrée à la mémoire d’un défunt.

8 . Nous désignons ici par le terme de « laïc/laïque », toute personne n’appartenant pas au clergé (régulier ou séculier).

9 . Chiffres construits à partir du Direktorium 2013 de la Congrégation Autrichienne. Chaque membre de la congrégation y est mentionné avec sa date de naissance, d’entrée dans la vie religieuse, de profession, d’ordination etc., et, comme c’est habituel en Autriche, son titre universitaire (Mag. pour le master, Dr. pour le doctorat ou Ingénieur), nous n’avons pas le moyen de savoir s’ils ont un diplôme équivalent à une licence par exemple.

10 . Ceinture portée sur l’habit qui peut être une longue ceinture de cuir ou une large bande de tissu qui peut atteindre 20 cm de large.

11 . Cas cités par des moines autrichiens.

12 . Classés dans les activités dérivées des activités traditionnelles de subsistance, donc à utilité directe : l’alimentaire (bien que le degré de dérivation puisse être plus ou moins élevé), les tisanes et la broderie/couture. Dans les activités non‑dérivées, nouvelles et sans utilité directe pour les moines, se trouvent les secteurs art décoration, hygiène et entretien de la maison, papèterie et art du livre, jouets, etc. Les produits religieux sont à part.

13 . Sources : Italie : Guide des monastères, 2004, France : catalogue Monastic, 2006.

14 . « Enquête générale de l’automne 2007: monastères et problèmes économiques », P‑Y. Gomez & R. de Mazières.

15 . Trois enquêtes effectuées à l’abbaye de Kremsmünster en 2011 et 2012, une à Steinerkirchen en novembre 2012.

16 . La supérieure, prieure ou abbesse selon la taille du monastère, est élue par la communauté pour une durée le plus souvent déterminée aujourd’hui.

17 . Dans la vie monastique, le maître ou la maîtresse des novices est chargé(e) de la formation des jeunes entrant au monastère.

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Document annexe

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Pour citer cet article

Référence électronique

Isabelle Jonveaux, « Les moniales et l’emprise du genre », Sociologie [En ligne], N°2, vol. 6 |  2015, mis en ligne le 08 juillet 2015, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/2487

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Auteur

Isabelle Jonveaux

Isabelle.jonveaux@uni graz.at
Senior post‑doctorat à l’université de Graz (Elise Richter Programme) - Institut für Religionswissenschaft ‑ Karl‑Franzens Universität ‑ Heinrichstrasse 78B/II ‑ A‑8010 Graz - Austria

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