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AccueilNumérosN°4, vol. 5EnquêtesAssociations : les nouveaux guichets(…)

Associations : les nouveaux guichets de l’immigration ?

Du travail militant en préfecture
Are non-profit organizations the new offices of immigration services? Activists’ work in a local administration
Mathilde Pette

Résumés

Cet article montre dans quelle mesure le travail militant dans la cause des étrangers entretient une relation ambigüe à l’État, ses institutions et ses représentants. Destiné à influer sur les politiques migratoires et à accompagner et défendre les étrangers, le travail militant se trouve dans le même temps façonné et conditionné par ces politiques migratoires. Les associations adaptent leurs activités en fonction du contexte politique qui structure leur cadre d’action. De ce fait, c’est la nature du travail militant qui évolue : il se routinise, se juridicise, s’individualise et se formalise. Cet article montre ensuite comment ce processus de juridicisation participe à une diminution de la distance entre les associations et l’État. L’application des politiques migratoires par les administrations compétentes se fait dans ce cas avec, et en partie par, les associations de la cause des étrangers. Ces tendances apparaissent ainsi constitutives d’un processus d’institutionnalisation de la cause des étrangers. Cet article s’appuie sur des observations menées dans des associations de la cause des étrangers et lors de réunions d’une commission préfectorale de réexamen d’étrangers sans‑papiers.

Are non-profit organizations the new offices of immigration services? Activists’ work in a local administration

This article shows to what extent the work of activists on behalf of illegal immigrants has an ambiguous relation with state institutions. While intended to influence immigration policies and accompany and defend immigrants, the work of activists is at the same time designed and conditioned by these very same policies. Non‑profit organizations thus have to adapt their activities to the political context that structures their action frame. As a consequence, the nature of the activists’ work evolves towards a more routinized, law‑centered, individualized and formalized orientation. The article then focuses on how this law‑centered orientation makes non‑profit organizations and state institutions less distant from one another. Immigration policies are therefore enforced together with, and partly by, non‑profit organizations. These evolutions create a process of institutionalization of the cause on behalf of illegal immigrants. The analysis is based on observations led during local administrative commissions and at the offices of non‑profit organizations.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 . Vie privée et familiale.
  • 2 . Document de circulation pour étranger mineur.

La réunion commence par l’annonce des résultats des dossiers présentés lors de la séance précédente. Le directeur de la réglementation et des libertés publiques prend la parole : « n° 8, M. F., titre VPF1... n° 17, Mme P., DCEM2... n° 19, Mme L., titre visiteur... n° 33, M. T., salarié... ». L’annonce des résultats se fait vite et les numéros de dossier s’enchaînent. Les militants présents notent les résultats. Viennent ensuite les dossiers refusés, l’ambiance change : « n° 3, M. T., dossier non convaincant… n° 4, M.R., promesse d’embauche non crédible… n° 7, Mme A., concubinage récent… ». Puis, la présentation des dossiers de la séance du jour commence immédiatement, dans la foulée. Là aussi, le rythme est soutenu. Un des représentants de la préfecture annonce « n° 1, M. A. ». Un militant prend alors la parole pour présenter succinctement la situation de la personne concernée et les éléments principaux du dossier. Cela dure deux ou trois minutes. Les dossiers s’enchaînent et les représentants des associations prennent successivement la parole, au fil de la liste alphabétique. Les représentants des associations lisent des notes de préparation rédigées et jointes au dossier. Ils parlent vite et vont à l’essentiel. Pas de détail. Une fois la présentation terminée, le dossier papier est transmis en bout de table où les représentants de la préfecture empilent les dossiers. Déjà le dossier suivant est en train d’être présenté…

Note d’observation, avril 2009.

  • 3 . Sauf précision, « militant » désigne les individus, bénévoles et salariés, engagés dans les assoc (...)
  • 4 . Nous reviendrons par la suite sur la genèse de la commission étudiée.

1Chaque mois, dans une ville du Nord de la France, des militants – pour la plupart des femmes – de neuf associations engagées dans la cause des étrangers se rendent à la préfecture pour y rencontrer des hauts fonctionnaires. Ils se réunissent dans le cadre d’une commission préfectorale permettant le réexamen de situations administratives d’étrangers sans‑papiers, ayant épuisé toutes les voies de recours possibles dans le cadre d’une demande d’asile ou d’une demande de titre de séjour. Les militants3 présentent chaque mois les dossiers de plusieurs dizaines d’étrangers sans‑papiers en vue de l’obtention d’un titre de séjour. Ces réunions ont été créées à l’issue d’un conflit social local survenu suite au déclenchement d’une grève de la faim d’étrangers sans‑papiers4. Des associations nationales telles que la CIMADE, le MRAP, la LDH, Emmaüs ou le Secours Catholique y sont représentées au côté d’associations locales d’action sociale.

  • 5 . L’article L.313‑14 du CESEDA stipule que la carte de séjour temporaire portant la mention VPF peu (...)
  • 6 . Selon eux, les décisions ne s’appliquent pas de la même manière à l’ensemble des administrés d’un (...)

2Le Code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit en effet pour l’administration préfectorale la possibilité de régulariser la situation administrative d’étrangers en situation irrégulière en dehors de l’application habituelle du code en vigueur5. Pouvoir arbitraire du préfet pour certains militants6, possibilité de rectifier des erreurs de l’administration pour d’autres, le pouvoir discrétionnaire attribué au Préfet par la loi fait l’objet d’une bataille sémantique entre les participants à cette commission. En présence de militants, les représentants de l’État évitent soigneusement de prononcer le terme « discrétionnaire » pour ne pas s’exposer aux critiques, préférant alors reprendre les termes du CESEDA et parler de « régularisation humanitaire » ou « à titre exceptionnel ».

  • 7 . La cause des étrangers est ici envisagée comme un espace d’engagement et de militantisme faisant (...)

3En contactant en janvier 2009 la préfecture pour demander l’autorisation d’assister à ces réunions, notre objectif était de pouvoir enrichir l’enquête de terrain alors entamée dans plusieurs associations engagées dans l’espace de la cause des étrangers7, entendu comme l’ensemble des associations et des militants qui accueillent, aident et défendent les étrangers présents sur le territoire français, et ceci quels que soient leur statut ou leur nationalité (Pette, 2012). Alors que la présence dans ces associations nous avait jusqu’alors permis d’observer des réunions, des permanences juridiques, des manifestations ou encore des cours d’alphabétisation, nous espérions ici pouvoir observer ces mêmes militants hors du cadre associatif, face aux représentants de la préfecture. Nous nous attendions à y observer des situations de négociation, entre des militants associatifs invoquant des arguments humanitaires, politiques ou économiques (mobilisés par exemple lors de la rédaction de déclarations officielles des associations) et des représentants de l’État utilisant davantage des arguments juridiques. Quelques jours avant la première observation, une militante de la CIMADE nous prévenait : « Tu verras, ça va très vite. C’est difficile de tout suivre… Parfois, le ton monte ». En y allant pour la première fois, nous espérions donc aussi avoir l’occasion d’observer des situations de tension, voire de conflit, entre les militants et les représentants de la préfecture.

4Au fil des réunions, nous avons en réalité observé un fonctionnement routinisé et répétitif : toutes les réunions se déroulent de la même façon, les points à l’ordre du jour sont abordés dans le même ordre et à un rythme soutenu qui ne permet pas aux participants de traiter en détail le fond des dossiers. Le degré de routinisation des pratiques observées se manifeste aussi à travers la formalisation du dispositif. Quoique non réglementaire, celui‑ci dispose d’un règlement intérieur précisant les modalités et les règles techniques qui régissent son fonctionnement : les membres admis à y participer, les types de dossiers pouvant être présentés, les documents à fournir ainsi que la périodicité et le lieu des réunions sont ainsi précisés dans un document officiel signé par les différentes parties. De ce fait, ces réunions apparaissent lissées par le fonctionnement du dispositif : les prises de parole systématiques et rapides laissent très rarement de la place aux réactions et discussions, alors même que les sujets traités pourraient donner lieu à des débats et oppositions. Les rares moments de conflits entre militants et représentants de l’État se cristallisent au contraire sur les associations et leurs modes d’action ; et non sur les dossiers et les situations d’étrangers sans‑papiers tels que la nature du dispositif pourrait le laisser croire.

5Dans le cadre de cet article, il s’agit d’interroger l’articulation entre les politiques migratoires, les associations engagées dans la cause des étrangers et les administrations compétentes, les préfectures. En ce sens, cet article se propose de penser le rôle des associations dans la mise en place des politiques publiques à travers l’étude d’un dispositif formalisé de rencontres entre représentants de l’État et militants associatifs. Dans quelle mesure peut‑on dire que le travail militant est transformé par le dispositif ? En participant à ces réunions, en quoi les associations jouent‑elles un rôle dans l’application des politiques migratoires ? Comment le fonctionnement du dispositif a‑t‑il des répercussions sur la structure de l’espace militant étudié ?

6Pour répondre à ces questions, cet article privilégie une approche en termes de travail militant, envisagé comme une pratique de travail parmi d’autres. Plus précisément, cette démarche nécessite de saisir les pratiques militantes à l’œuvre dans les associations, et leurs évolutions. Autrement dit, l’objectif est de partir « du bas » (Valluy, 2009b, p. 244) pour s’intéresser à ce que font les militants, à la manière dont ils le font, aux outils et compétences qu’ils mobilisent ainsi qu’à l’organisation du temps et de l’espace de travail qu’ils mettent en place pour y parvenir. L’application de la sociologie du travail au bénévolat et au militantisme a récemment connu plusieurs développements tels que les travaux de M. Simonet (2004, 2010), S. Nicourd (2009) M. Hély (2009) et X. Dunezat (2009). Cette perspective permet de souligner à quel point le travail militant, associatif mais aussi syndical (Willemez, 2006), est soumis à des tendances observées dans le monde de l’entreprise (Béroud et al., 2008).

Encadré : Méthodologie

Les résultats et conclusions présentés ici sont issus d’une enquête de terrain doctorale réalisée dans le Nord de la France entre janvier 2009 et juin 2012. Des observations ont été réalisées principalement dans trois associations : deux associations type loi 1901 – un groupe local de la CIMADE créé en 1997 et une association locale d’action sociale créée en 2003 – et un collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers actif depuis 1996. L’observation du travail militant s’y est faite « en situation » (dans des réunions, des permanences juridiques, des cours d’alphabétisation, des manifestations ou encore une grève de la faim) durant des périodes d’enquête aux durées inégales allant de six mois à deux ans.

L’observation de 14 réunions d’une commission préfectorale de réexamen de situations d’étrangers sans‑papiers a aussi été réalisée entre avril 2009 et juillet 2010. Au sein de cette commission, neuf associations déclarées légalement participent parmi lesquelles six d’action sociale et trois de défense des droits et des causes. Toutes fonctionnent grâce à des subventions publiques et aux cotisations des adhérents, les dons étant très faibles. Les associations d’action sociale recourent essentiellement à des salariées, juristes ou travailleuses sociales. Les associations de défense des droits et des causes s’appuient quant à elles essentiellement, voire exclusivement, sur des bénévoles (c’est le cas de la LDH et du MRAP). Au début de l’enquête, la CIMADE comptait plusieurs salariés chargés de l’aide juridique et intervenant principalement dans les centres de rétention administrative (CRA). Suite à l’ouverture du « marché de la rétention » en 2008, la CIMADE n’intervient plus dans les centres situés dans le Nord de la France et l’association ne compte plus aujourd’hui qu’une salariée à temps plein.

Une enquête par entretiens avec des militants et responsables associatifs (n=80) et par questionnaire (n=389), ainsi qu’une analyse des archives du Service des associations de la préfecture du Nord et du journal local La Voix du Nord sont venues compléter l’enquête.

7Cette approche en termes de travail militant nous apparaît heuristique pour se défaire des prénotions pouvant inciter à considérer le militantisme associatif comme une sphère où l’engagement, le dévouement, le don de soi et le désintéressement résumeraient la pratique militante. Le monde militant y serait alors perçu comme un monde en renouvellement permanent et expurgé de possibles tensions, notamment professionnelles. Cet article propose aussi d’opérer un décentrement vis‑à‑vis des travaux classiques de la sociologie de l’engagement, du militantisme et des mouvements sociaux qui étudient par exemple l’émergence d’une mobilisation collective, la capacité des groupes à mobiliser des ressources spécifiques (Mc Carthy & Zald, 1977), les répertoires d’action (Tilly, 1984), les raisons de l’engagement (Havard‑Duclos & Nicourd, 2005) ou ses conséquences biographiques (Mc Adam, 1989). Ces travaux ont principalement pris la forme de monographies, comme par exemple autour de la cause des étrangers avec des recherches concernant le MRAP, la FASTI (Siméant, 1998), le GISTI (Israël, 2009 ; Marek, 2003), la CIMADE (Drahy, 2004), le mouvement contre la double peine (Mathieu, 2006), des mobilisations locales de sans‑papiers (Dunezat, 2009) ou plus récemment les grèves de travailleurs sans‑papiers en France (Barron et al., 2011) ou le mouvement des DREAMers aux États‑Unis (Nicholls, 2013). L’approche par le travail militant nous semble heuristique pour étudier l’espace de la cause des étrangers dans son ensemble.

8Plus largement, il s’agit ici d’interroger l’inscription des associations dans les politiques publiques au regard des effets que cette participation a, en retour, sur les associations. Si les liens entre l’État et les associations ont déjà été interrogés, c’est principalement par l’étude du rôle de ces dernières dans les transformations des politiques publiques. De nombreux travaux se sont en effet penchés sur le rôle de la société civile dans les systèmes démocratiques (Laville et al., 2001), sur leur capacité d’ « innovation sociale » et sur le « pouvoir d’agir » des individus et des collectifs pour construire des alternatives – notamment à travers le concept d’empowerment (Bacqué & Biewener, 2013). S’intéresser au travail militant permet de constater que cela ne se fait pas sans effets sur les associations elles‑mêmes et sur leurs pratiques. Le rôle de contre‑pouvoir que les associations ont pu avoir dans les années 1970 a été transformé par l’évolution des relations entre la puissance publique et les associations, modifiant ainsi les rapports de conflictualité (Barthélémy, 2000 ; Mathieu, 2011). P. Lascoumes (1994) a par exemple montré comment l’implication d’associations dans les politiques environnementales a transformé leurs revendications et leurs modes d’action vers une production croissante de contre‑expertise. Plus récemment, G. Le Naour (2005) a montré comment, en participant à des instances publiques de prévention, des associations d’aide aux toxicomanes s’éloignaient des dits toxicomanes et se retrouvaient privées de leur connaissance du terrain. Les actions associatives menées auprès des populations étrangères et immigrées ont elles aussi été interrogées sous cet angle. C’est le cas des travaux d’E. D’Halluin‑Mabillot (2012) portant sur l’implication d’associations dans la procédure d’asile ou ceux de J. Valluy (2009b) sur l’admission en Centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). Il ne s’agit donc pas ici d’étudier le rôle des « usagers » c’est‑à‑dire des publics concernés par les politiques publiques dans leur application ou leur réception (Warin, 1993) mais bien la manière dont des acteurs associatifs deviennent des intermédiaires entre l’État et les étrangers, entre les professionnels et les profanes (Jakšic´, 2013, p.42), et les effets que cela produit.

9Adopter ce regard nécessite donc de prendre en compte la manière dont l’État intervient sur la nature et la forme du travail militant étudié. En effet si les politiques publiques se construisent en s’appuyant en partie sur les mobilisations associatives, nous montrerons dans quelle mesure elles transforment en retour ces activités au regard des contraintes qu’elles imposent contre leur financement (D’Halluin‑Mabillot, 2012, p. 91). En ce sens, il s’agit de « ramener l’État dans l’analyse » pour reprendre la formule de M. Simonet (2010, p. 97) pour étudier un processus d’institutionnalisation des modes de participation du milieu associatif à l’action publique. Dans cette perspective, il s’agit de saisir comment, par le biais du travail militant qu’elles assurent, les associations deviennent un chaînon des politiques publiques, ici migratoires. Comme le souligne A. Spire, c’est en déplaçant « le regard, des discours aux pratiques, et des principes juridiques à leur application » (Spire, 2008, p. 8) que l’on peut comprendre comment les associations participent à l’application de ces politiques. Nous verrons ainsi dans quelle mesure, en adoptant ce regard, il est dès lors possible de considérer que les associations deviennent des « nouveaux guichets de l’immigration » (Spire, 2008).

Le travail militant sous les traits du travail administratif

10En participant à ce type de dispositif formel de rencontres avec des représentants de l’État, les militants sont amenés à (re)produire les mêmes pratiques que celles des agents de la préfecture. Alors même que les associations sont issues de traditions militantes distinctes, choisissent par ailleurs des modes d’action différents et adoptent parfois des positions publiques conflictuelles, le travail militant y apparaît comme uniformisé. Les militants se calent sur le rythme bureaucratique des réunions et adaptent en fonction leur rythme de travail et leurs prises de rendez‑vous avec les étrangers. Ils constituent des dossiers similaires composés des mêmes pièces justificatives, le plus souvent épurés d’argumentaires jugés trop « politiques ». Ils usent, entre eux et avec les représentants de la préfecture, d’un vocabulaire spécifique et technique que tous maîtrisent sans jamais l’expliciter. Cette tendance à la standardisation du travail militant, qui ressemble alors à s’y méprendre à du travail administratif, peut être saisie au regard de la nature de ce travail, de son organisation au sein des associations ainsi que des outils utilisés et des compétences mobilisées par les militants.

Les effets du droit : juridiciser, individualiser et techniciser le travail militant

11L’accompagnement juridique est aujourd’hui au cœur du répertoire d’action privilégié par les associations. La place croissante du droit se manifeste d’abord dans les pratiques : le droit y est utilisé comme une « ressource » (Mathieu, 2006), une « arme » (Israël, 2009), mise au service de la cause défendue. Aussi désignée par les expressions « secours juridique » (Agrikoliansky, 2002 à propos de la LDH) ou « soutien, conseil et expertise juridique » (Marek, 2003 au sujet du GISTI), l’aide juridique se traduit par un accompagnement et une aide individualisée apportée aux différentes étapes du parcours administratif d’un étranger présent en France. L’aide juridique peut ainsi intervenir dans le cadre de procédures variées : une première demande de titre de séjour, une demande d’asile, un recours à la Cour nationale du droit d’asile ou au Tribunal administratif ou encore lors d’une procédure de reconduite à la frontière par exemple. Les militants deviennent dans ce cadre des intermédiaires entre les étrangers et les lois, des « traits d’union », des « groupes ressources » pour les étrangers (Marek, 2003). L’objectif souvent exprimé par les militants est d’assurer l’exercice des droits, ce qu’exprime Gérard (68 ans, retraité) en ces termes : « on travaille avec le droit, pour que les mêmes droits s’exercent pour tous les étrangers ». Souvent perçu en premier lieu comme une contrainte, le droit devient dans le cas présent un outil que les militants s’approprient et utilisent au service de la cause défendue.

  • 8 . Les situations les plus complexes sont l’objet de prises de rendez‑vous spécifique en dehors des (...)
  • 9 . Le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés regroupe des professionnels du dr (...)
  • 10 . La Cimade publie la revue Causes communes, des livrets à visée pédagogique tels que le Petit guid (...)
  • 11 . J. Drahy les oppose aux formations universitaires qu’il qualifie de théoriques et générales.

12La défense des droits prend le plus souvent la forme de permanences juridiques durant lesquelles les militants reçoivent individuellement les étrangers sans‑papiers, comme c’est le cas aux guichets de la préfecture8. Armés systématiquement d’un carnet, d’un stylo et d’une « fiche de suivi », les militants rencontrent en tête à tête les étrangers. Les demandes de titre de séjour, les demandes d’asile, les recours administratifs ou les procédures de reconduite à la frontière sont en effet des procédures individualisées : les dossiers sont étudiés étranger par étranger, au cas par cas. Dans ce cadre, les militants sont amenés à user d’un vocabulaire technique et codifié. Ils manient de nombreux sigles sans jamais les expliciter : OFPRA, CNDA, CESEDA, TA, DRLP, TGI, DDTE, OFII, OMI, ANAEM, etc. Ils citent des articles de lois, font référence à des cas de jurisprudence et rédigent des documents : recours au tribunal administratif (TA) en annulation contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, requête en référé liberté, requête en annulation contre une décision préfectorale de refus de séjour, mémoire complémentaire, etc. Au sujet de la Cimade, J. Drahy (2004) souligne que « la majorité des militants (...) possèdent sur quelques aspects précis, une compétence pointue en droit des étrangers qui dépasse le plus souvent les connaissances du juriste traditionnel, notamment de l’avocat non spécialisé en la matière ». On observe lors des permanences juridiques que les militants possèdent des connaissances précises et techniques mais le plus souvent parcellaires. Ils ont également recours à des outils spécifiques, des documents, brochures et livres qui ont pour objectif d’expliquer, de traduire et d’interpréter les législations en vigueur en matière d’immigration. Ces documents sont rédigés par des militants associatifs, le plus souvent des juristes, et sont publiés et diffusés par les associations de la cause des étrangers. Le GISTI9 et la Cimade10 tiennent ici un rôle central. Une veille juridique est ainsi assurée par ces associations pour permettre une mise à jour permanente des analyses des textes en vigueur et des propositions d’argumentation pour la défense de cas d’étrangers sans‑papiers. Si les militants apprennent le plus souvent « sur le tas » en fonction des situations des étrangers qu’ils accompagnent dans leurs activités militantes, des formations sont de surcroît organisées au sein des associations. Elles sont assurées par des juristes militants de l’association, salariés ou bénévoles. À travers cet apprentissage, les bénévoles acquièrent des repères essentiels en matière de droit des étrangers, ainsi qu’une connaissance du langage technique nécessaire pour assurer un accompagnement juridique. Ces formations sont donc pratiques et engagées (Drahy, 2004)11.

  • 12 . L’auteur souligne aussi que les élus et les membres actifs des conseils d’administration des asso (...)
  • 13 . Ces résultats rejoignent les conclusions de L. Israël ainsi que d’A. Marek sur le GISTI.

13Les militants opèrent ainsi progressivement une révolution des pratiques militantes et deviennent eux‑mêmes des experts en droit des étrangers. Les salariés ne sont alors plus les seuls à détenir les compétences et les connaissances nécessaires à l’accompagnement des situations individuelles12 (Hély, 2009, p. 14). Ces évolutions s’accompagnent d’une professionnalisation croissante des associations : le nombre de salariés du milieu associatif augmente, tout autant que la présence de spécialistes du droit parmi les militants (avocats, juristes, stagiaires avocats ou étudiants en droit) 13.

  • 14 . Loi Bonnet en 1980, loi Deferre en 1981, loi Joxe en 1984, loi Pasqua en 1986, nouvelle loi Joxe (...)
  • 15 . Loi Sarkozy en 2006, loi Hortefeux en 2007 et loi Besson‑Guéant en 2011.

14Ces évolutions du travail militant vers des pratiques plus juridicisées, individualisées et techniques s’expliquent en partie par l’évolution des politiques migratoires. Le droit à l’entrée et au séjour en France a connu de nombreuses modifications législatives : l’ordonnance du 2 novembre 1945 a été modifiée une première fois en 1972 par les circulaires Marcellin‑Fontanet ; puis les réformes se sont enchaînées sans discontinuer14. En 2005, l’ordonnance de 1945 a été remplacée par le CESEDA qui a rapidement connu de nouvelles modifications législatives15. Entre chaque nouvelle loi, les décrets, circulaires et notes de service se multiplient. Le droit des étrangers change donc rapidement et se complexifie. Les années 1970 marquent ainsi un tournant avec les premières mesures de restriction de l’immigration et dès lors, la défense des droits des étrangers est au cœur des activités de la cause des étrangers. Compte tenu du caractère politique et par conséquent conflictuel des questions relatives à l’immigration et de l’hétérogénéité d’opinions et de positions politiques qui peut exister au sein de certaines associations, l’aide juridique individualisée devient le dénominateur commun minimum entre les militants (Drahy, 2004).

Vers une standardisation des dossiers

  • 16 . Ils sont rédigés par le Bureau des Nationalités de la Direction de la réglementation et des liber (...)

15La ressemblance entre pratiques militantes et pratiques administratives est aussi perceptible au sein même de la commission observée. Quelle que soit l’association au nom de laquelle ils interviennent, les militants produisent des dossiers papiers et des présentations orales semblables. Les mêmes éléments et arguments sont évoqués, les mêmes pièces justificatives sont versées aux dossiers, dans le même ordre. Pour les constituer, les militants s’appuient sur deux documents fournis par les services préfectoraux16 : un dossier de réexamen de situation et la liste des pièces à fournir dans le dossier (voir le document 1).

Document 1 : Liste des documents demandés dans les dossiers écrits constitués par les associations. Document de la DII.

Document 1 : Liste des documents demandés dans les dossiers écrits constitués par les associations. Document de la DII.
  • 17 . Est aussi jointe au dossier la liste des membres de la famille présents en France, leurs statuts (...)
  • 18 . Par exemple, demande d’asile, demande de titre de séjour, refus, délivrance d’un OQTF, etc.
  • 19 . Les métiers dits « en tension » sont des métiers en difficulté de recrutement ouverts à l’embauch (...)

16Outre les documents relatifs à l’état civil de l’étranger, à sa situation familiale17 et à l’historique de sa situation administrative18, la préfecture met l’accent sur les activités professionnelles du demandeur et sur ses ressources (voir le document 1). Une promesse d’embauche écrite constitue la pièce clef du dossier : elle doit être présentée sous la forme d’un document CERFA et accompagnée de fiches de paie, d’une demande d’autorisation de travail et d’un engagement de l’employeur pour le paiement de la redevance à l’OFII. Ces éléments sont d’ailleurs mis en avant en gras dans le document de la préfecture. Les militants insistent particulièrement sur ce point quand l’étranger peut attester d’une promesse d’embauche dans un « métier en tension19 » ou au sein d’une grande entreprise. Enfin, des documents justifiant de « la volonté d’intégration » de l’étranger peuvent être ajoutés au dossier. Contrairement aux autres éléments, aucune précision n’est donnée quant à la nature de ces pièces. Les militants demandent par exemple aux étrangers de fournir des copies de diplômes obtenus en France, des attestations de niveau de français ou de cours d’alphabétisation, des attestations d’engagement dans des associations ou des lettres d’habitants ou d’élus. Rédigés à destination des étrangers (la formule « la demande de titre de séjour présentée par votre association » en témoigne), les documents sont transmis par les militants lors des permanences juridiques et fonctionnent comme un outil d’uniformisation des pratiques associatives.

17Le sérieux et le professionnalisme d’une association se mesurent ici à la forme que prend la présentation du cas défendu. Le dossier doit être organisé, synthétique et vérifié par les militants : « L’association est tenue de contrôler les photocopies des pièces produites et la complétude des imprimés et du dossier » (document 1). Les militants classent systématiquement les documents et joignent au dossier une synthèse ne dépassant pas une page et reprenant sur un style quasi télégraphique les principales données du dossier. La présentation orale doit être quant à elle claire, rapide et efficace. Les militants qui s’étendent sur un dossier sont systématiquement rappelés à l’ordre par les représentants de l’État : « allez à l’essentiel », « terminez s’il vous plaît », « venons‑en aux faits directement », « concentrez‑vous sur ce qui n’allait pas dans le dossier et sur ce qui a changé », « il faut mettre en avant les éléments importants, nous n’avons pas le temps pour les récits de vie ».

18Les seules marges de manœuvre des associations se situent dans certains arguments invoqués par les militants ou certaines formulations. Certaines remarques font preuve de sensibilité : « quand quelqu’un de vingt‑sept ans vous dit que sa vie est finie, ça fait mal », « je me mets à la place des enfants, du môme. Si mes parents retournent au pays trois semaines avant le bac, j’ai toutes les chances de rater mon bac, ce ne serait pas sympa ». Au sujet d’une femme victime de violences conjugales, une militante explique que le titre de séjour lui permettrait « d’être réhabilitée dans sa dignité de femme bafouée ». On peut également entendre que quelqu’un est « très sympathique » ou que « ça a l’air d’être une très bonne famille ». Certaines remarques sont parfois plus ironiques : par exemple, dans le cadre d’une demande de DCEM, une militante précise que « c’est pour pouvoir voyager avec toute la famille, je signale qu’ils touchent déjà la CAF donc ce n’est pas pour toucher la CAF » ou pour appuyer une demande de titre de séjour salarié, une autre ajoute « pour ne pas employer que des plombiers polonais ! ». Enfin, quelques notes d’humour « J’influence la décision, Inch Allah, j’envoie des ondes positives » ou de poésie : « Les vacances possibles au pays seraient pour eux un rayon de soleil, pour cette famille qui ne brille pas tous les jours » se glissent parfois dans les propos des militants.

19Cherchant à mettre un maximum de chances de leur côté, les militants se plient aux attentes de la préfecture et tentent d’entrer dans les clous. La mise en pratique du dispositif, ainsi que sa répétition, ont ainsi pour effet de lisser les présentations et les argumentaires développés par les militants. En effet, nombreux sont ceux qui évoquent avec nostalgie les rendez‑vous plus individuels qu’ils pouvaient obtenir avec les représentants de la préfecture avant la mise en place de cette commission regroupant toutes les associations. Selon eux, il leur était possible de consacrer plus de temps à chaque dossier en évoquant plus en détail les situations individuelles des étrangers ou en négociant la nature du titre de séjour pouvant être délivré. « On pouvait dire plus ouvertement les choses », explique une militante. À l’inverse, dans le cadre actuel, ils évitent davantage de faire référence à des arguments qui pourraient agacer, voire braquer, les représentants de la préfecture et qui, de ce fait, desserviraient le dossier. Ces observations révèlent une forme de bureaucratisation du travail militant du fait de la force d’imposition de l’institution et de son pouvoir de transformer les pratiques.

Trier et faire du chiffre : les « bons » dossiers valorisés

  • 20 . Selon les données transmises par les services préfectoraux, entre janvier 2008 et décembre 2010, (...)
  • 21 . Alors que le règlement intérieur prévoit la possibilité pour les associations de présenter au tot (...)

20Si dans le domaine de la politique migratoire, l’injonction à obtenir des résultats et à « faire du chiffre » se traduit par une incitation gouvernementale à une politique répressive d’arrestations et d’expulsions du territoire d’étrangers sans‑papiers, elle se traduit ici pour les associations par une recherche d’optimisation des possibilités de régularisation. Une association qui travaille bien est une association qui obtient un taux de régularisations administratives élevé. Les militants cherchent à constituer des dossiers les plus « solides » possibles au regard des critères de la préfecture, à la fois ceux énoncés explicitement et ceux qu’ils déduisent des décisions prises par les représentants de la préfecture. Le nombre et la nature des situations individuelles défendues20 traduisent cette standardisation des pratiques associatives. En effet, entre 2008 et 2010, le nombre de dossiers présentés par les associations n’a cessé de diminuer21. Les associations se disent en effet de plus en plus prudentes : elles attendent avant de présenter un dossier et se limitent dans le choix des situations défendues à celles qui leur semblent les plus à même d’obtenir une réponse positive.

21Le tri commence dès la première venue de l’étranger au sein d’une association. Lors de son premier rendez‑vous avec un salarié ou un bénévole, l’étranger décrit sa situation (administrative, familiale, professionnelle, etc.) et (re)fait systématiquement le récit de sa migration et de sa vie en France. Les militants s’appuient sur ces premiers éléments pour évaluer s’il s’agit d’un « bon » dossier ou pas et font souvent part de leur première impression : « avec un dossier comme ça, ça va être compliqué », « avec cet élément, on peut obtenir quelque chose », « j’ai un bon dossier là, on va pouvoir le présenter à la préfecture ». Les opérations de tri et de classement des situations se poursuivent lors de la constitution des dossiers : certains sont présentés rapidement, car considérés comme complets ou comportant une pièce « magique » qui offre de fortes chances de régularisation (le plus souvent, une promesse d’embauche ou un contrat de travail). Les priorités données à certains dossiers sont guidées par les décisions – tant positives que négatives – prises par la préfecture. Celles‑ci fonctionnent ainsi comme des jurisprudences et influent sur le choix des dossiers. D’une manière générale, on observe une tendance à l’instabilité des titres de séjour délivrés : les cartes de séjour obtenues au titre de la vie privée et vie familiale (« VPF »), connues pour être les plus stables, sont plus faiblement attribuées que d’autres titres de séjour dont le renouvellement est soumis à davantage de conditions. C’est le cas des cartes portant la mention salarié, visiteur, étudiant ou document de circulation pour enfant mineur. Les associations misent alors sur ces dossiers, considérés comme « meilleurs » que d’autres, et évitent les dossiers jugés « mauvais » tels que ceux d’étrangers arrivés récemment, n’ayant aucune attache familiale dans la région ou dont la famille (femme et enfants principalement) réside dans le pays d’origine, ayant un casier judiciaire ou encore ceux ne présentant pas de promesses d’embauche par exemple. Ces dossiers sont mis « en attente » d’un changement de situation majeur.

22Ce « rôle de filtre » (Spire, 2008, p. 37) peut entrer en contradiction avec les missions et les valeurs portées par les associations. Comme le souligne N. Richez‑Battesti, alors même que les associations doivent répondre à l’ensemble des demandes qu’elles reçoivent, « leurs contraintes de résultat les amènent à sélectionner les candidats sur les savoirs requis, de façon à améliorer leurs performances, au prix parfois de leur cœur de métier et de la solidarité » (Richez‑Battesti, 2006, p. 123). Les mêmes militants qui revendiquent pour certains d’entre eux une régularisation de tous les sans‑papiers présents sur le territoire se retrouvent donc à choisir parmi les cas à défendre. Quand on les interroge sur ces choix, rares sont les militants qui explicitent la manière dont ils travaillent et choisissent les dossiers. La gêne et l’ « inconfort » (D’Halluin, 2010) ressentis face au détournement de la fonction de l’action associative sont parfois exprimés par les militants : certains disent avoir le sentiment de « jouer le jeu de l’État», jeu qu’ils dénoncent par ailleurs. À la sortie d’une réunion, une militante explique qu’elle n’y est pas à l’aise : « à force on est assimilé à la préfecture, c’est très désagréable», dit‑elle. Pour s’en démarquer, les militants évoquent souvent le fait que l’accueil est plus « chaleureux » et plus « humain » dans les associations. Blandine, 45 ans, militante de la Ligue des droits de l’homme, l’exprime quant à elle de manière cinglante : « J’ai parfois la sensation de faire du tri entre les bons juifs et les mauvais juifs. ».Cependant, cette injonction paradoxale n’engendre pas pour autant de désaffection chez les militants ou de tensions à l’interne des associations. La charge de travail croissante induite par les besoins d’accompagnement des étrangers sans‑papiers rythme le quotidien des militants. Ces derniers sont pris dans l’urgence, tant l’urgence sociale des situations traitées que l’urgence des procédures au sujet desquelles ils interviennent. Conscients et inquiets de ce que pourraient devenir les étrangers sans leur aide, les militants ne cessent donc pas leurs activités, tant et si bien que le système de relations avec la préfecture dans lequel ils sont insérés perdure sans accroc (D’Halluin, 2010, p. 381). Participer à la commission reste donc bien un moyen pour les militants d’obtenir des résultats, et ceci même si les résultats positifs restent peu nombreux : « on reste dans la commission car c’est toujours ça de pris », confie une militante.

Évaluation du travail militant et subventions

  • 22 . Dans sa thèse, A. Bory (2008) met en évidence les mêmes processus en ce qui concerne le mécénat d (...)

23Le développement de pratiques juridiques individualisées et d’un choix parmi les cas défendus sont favorisés par la dépendance croissante des associations aux subventions publiques. Le nombre de régularisations obtenues constitue un enjeu car ces statistiques sont utilisées par les associations dans l’évaluation de leur activité annuelle et dans les nombreux dossiers de demandes de subventions publiques. Ces dossiers incitent les associations à quantifier leur activité. Il peut s’agir de compter le nombre d’étrangers reçus, le nombre de dossiers présentés à la préfecture ou le taux de régularisation. Cela contribue à « normaliser l’activité de service » des associations (Richez‑Battesti, 2006, p. 119) et les amène à faire plus de suivi juridique et administratif des étrangers. « Dans un contexte où l’essentiel des financements associatifs est pris en charge par les collectivités territoriales, dans le cadre d’une stratégie publique de délégation de mission d’intérêt général (faire faire) à des associations, “la mise en place de procédures formalisées de compte rendu, de mesure des performances et d’évaluation” (Perret, 2001, p. 96) est essentielle » (Richez‑Battesti, 2006, p. 125). L’évaluation des politiques publiques et des acteurs non institutionnels (ici les associations) favorise elle aussi à la fois le recours croissant à des dispositifs formalisés et individualisés et la culture du chiffre. Dans la mesure où la poursuite de l’activité et la pérennité des postes de salariés dépendent dans une large partie de l’obtention de ces subventions, on mesure le poids que peuvent prendre ces logiques de tri parmi les situations individuelles d’étrangers qui se présentent aux portes des associations. On assiste donc ici à la diffusion de la culture de résultat par les financements22.

  • 23 . Il s’agit d’une expression indigène.
  • 24 . Ce même terme est employé par les associations d’accompagnement des prostituées (Jakšic´, 2013).

24En mettant en place ce dispositif, l’État demande donc à des associations d’assurer un travail qui permet ensuite à l’administration d’étudier les dossiers. Les associations deviennent ainsi des prestataires de service de l’État dans la mesure où la préfecture externalise vers les associations différentes étapes de l’étude d’un titre de séjour. Une partie de l’accueil des étrangers est assurée par les associations : une large part du travail des salariés et bénévoles consiste à expliquer à l’étranger les législations en vigueur et les démarches à effectuer. Les membres des associations assurent ensuite le travail de préparation des dossiers qui seront « montés23 » à la préfecture. Dans le cadre des procédures de droit commun, les étrangers se présentent en préfecture avec des dossiers souvent complets et bien ficelés. Cela permet aux agents d’aller plus vite, au moment de l’accueil et de la remise du dossier et au moment de l’étude de ce dossier (Spire, 2008). Dans le cadre du dispositif étudié, les dossiers remis lors des réunions aux représentants de la préfecture sont eux aussi prêts à être étudiés. Enfin, la partie relationnelle avec les étrangers apparaît comme « déléguée » par l’État aux associations : cette délégation n’est pas officielle mais ce sont les associations qui assurent la plupart des tâches d’explications délivrées aux étrangers ainsi que l’annonce et l’explication des résultats aux étrangers. Les associations assurent ainsi le « service après‑vente » et les services de la préfecture ne sont donc pas confrontés aux étrangers. Les associations avaient déjà en charge une partie de ces tâches : elles sont officialisées et renforcées dans le cadre du dispositif régulier de rencontres entre représentants de la préfecture et des associations. La préfecture envoie ainsi un message aux étrangers : les possibilités de régularisation administrative se trouvent à la préfecture mais aussi au sein des associations qui deviennent de ce fait des « partenaires24 » de l’administration.

25Plongés dans ce cadre institutionnel, les militants intériorisent donc les critères bureaucratiques et les « perceptions étatiques » (Valluy, 2009a, p. 85) et s’y conforment. En ce sens, les militants renforcent ces critères et adaptent progressivement leurs pratiques au cadre de leur action : ils trient et hiérarchisent les dossiers, modifient leurs argumentaires et adaptent leurs présentations des dossiers aux attentes des hauts fonctionnaires qui siègent dans la commission. Ainsi, au cœur de la commission, le travail militant semble prendre progressivement les traits du travail administratif et les militants convertissent leurs manières de faire. Ces résultats corroborent les observations de M. Jakšic´ dans les associations d’aide aux personnes prostituées ou celles de J. Valluy dans les associations gestionnaires des CADA : les associations trient les dossiers et sélectionnent les « bons » candidats, non seulement pour tenter d’obtenir de meilleurs résultats, mais aussi pour « préserver [leur] crédibilité et [leur] sérieux » face aux représentants de l’État (Jakšic´, 2013, p. 45). Dans le cas présent, l’intériorisation des critères et des manières de penser de l’État par les associatifs devient ainsi une condition de l’efficacité de leurs actions (Valluy, 2009a, p. 88).

Ce que les relations État‑associations font au travail militant

  • 25 . On peut faire l’hypothèse que les raisons pour lesquelles l’espace des mouvements sociaux peut êt (...)

26Si ce dispositif transforme le travail militant, il participe aussi à une évolution de la conflictualité locale au sujet de la cause des étrangers. La genèse de la commission – celle‑ci est créée dans un contexte de mobilisation sociale – autant que les relations entre les différentes associations engagées dans l’accueil, l’aide et la défense des étrangers sans‑papiers montrent comment ce type de dispositif peut agir sur l’espace militant et fonctionner, pour l’État, comme un outil de maintien de l’ordre social établi. Dans cette perspective, une approche en termes de travail militant apparaît complémentaire d’une approche en termes d’espace des mouvements sociaux. En entendant par là que « l’activité protestataire relève d’un domaine de pratique et de sens relativement autonome au sein du monde social » et en postulant que l’espace des mouvements sociaux est un univers « doté de logiques, de modes de fonctionnement, d’enjeux et de références propres », L. Mathieu (2012) propose ici un outil stimulant pour penser l’engagement et le militantisme. Si dans cette proposition théorique, l’espace des mouvements sociaux est composé de différentes causes qui entretiennent entre elles des relations variables, la notion d’ « espace » est ici mobilisée pour caractériser l’une des causes de l’espace des mouvements sociaux : la cause des étrangers25. L’objectif est ici d’analyser la façon dont les cadres organisationnels, institutionnels et politiques de l’engagement en façonnent les justifications et les pratiques. La création et le fonctionnement de cette commission ont des effets sur la configuration de l’espace militant concerné ainsi que sur les pratiques des militants, et par conséquent sur le degré de conflictualité sociale locale relative à l’immigration et aux étrangers sans‑papiers.

Encadrement et reconfiguration dans l’espace local militant

  • 26 . Pendant les années 1980, certaines associations telles que la LDH ou le MRAP étaient reçues indiv (...)
  • 27 . Lire les travaux de J. Siméant (1998).

27Créée en 2007, la commission observée s’inscrit plus largement dans une histoire locale des relations entre militants de la cause des étrangers et représentants de l’État marquée par des mobilisations collectives. Les premières négociations entre plusieurs associations et la préfecture ont en effet eu lieu au milieu des années 199026 et se sont poursuivies jusqu’en 2003 au rythme des grèves de la faim successives d’étrangers sans‑papiers qui ont eu lieu dans cette ville du Nord de la France. En effet, en 1996, dans la dynamique des mobilisations parisiennes de Saint Ambroise et Saint Bernard27, une première grève de la faim de sans‑papiers est déclenchée. Des associations telles que la LDH et le MRAP se mobilisent activement à cette occasion et entrent alors en contact avec des représentants de la préfecture pour négocier les situations administratives des étrangers grévistes de la faim. Des militants de la CGT, de la CFDT, des Verts et du PCF prennent également part à ces premières négociations.

28C’est à la suite de cette grève qu’un Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers, toujours actif aujourd’hui, est créé. Entre 1996 et 2003, douze grèves de la faim ont lieu et à chaque reprise, le même scénario se reproduit, alors même que les préfets se succèdent et que les gouvernements changent. Durant cette période, toutes les mobilisations aboutissent à la résolution de toutes les situations des grévistes de la faim : alors que les militants annoncent avoir obtenu « une régularisation globale de tous les grévistes », les représentants de la préfecture déclarent quant à eux qu’ils acceptent de « réexaminer avec bienveillance » ou « avec humanité » les situations individuelles des grévistes. Dans la pratique, après la fin de la grève, les militants des associations constituent des dossiers individuels pour chaque étranger et présentent ces dossiers aux représentants de la préfecture. Les rendez‑vous s’étalent le plus souvent sur plusieurs mois et les décisions ne font l’objet d’aucune communication écrite. Il n’y a pas d’accord écrit de la préfecture et la communication officielle n’utilise jamais les termes de « régularisation globale ».

29En juin 2004, une nouvelle grève de la faim se déclenche : plus de 500 sans‑papiers sont comptabilisés lors de ce conflit. Alors que le Préfet de l’époque refuse de négocier avec les grévistes, Dominique de Villepin – alors ministre de l’Intérieur – missionne Jean‑Marie Delarue, conseiller d’État, pour se rendre sur place et tenter de résoudre la situation. Ce conflit aboutit à la signature d’un accord, appelé « l’Accord Delarue » qui prévoit, outre la régularisation progressive des grévistes de la faim, la mise en place d’une commission mensuelle où les représentants des associations peuvent présenter soixante dossiers d’étrangers sans‑papiers. Ces réunions sont alors appelées « dispositif de prévention des grèves de la faim ».

30À partir de 2004, quatre associations sont donc impliquées dans un premier dispositif formalisé de rencontres entre associations et État. Parmi elles, trois associations sont déclarées sous des statuts type loi 1901 (LDH, MRAP et Cimade). La dernière, le Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers, se définit comme un « mouvement [social] » et se refuse à se déclarer officiellement sous forme d’association. Ce groupe privilégie initialement un répertoire d’action de type plutôt contestataire et revendicatif (grèves de la faim, manifestations, occupations de lieux symboliques par exemple). Les revendications défendues sont alors, outre la régularisation des grévistes de la faim, l’abrogation des lois dites anti‑immigration (successivement les lois Pasqua, Debré, Chevènement, Sarkozy, Villepin, etc.), la fermeture des centres de rétention, l’arrêt des expulsions du territoire français, ainsi que la régularisation de tous les sans‑papiers.

31Cette situation va durer trois ans, jusqu’en 2007, quand une nouvelle grève de la faim est déclenchée, et ceci quelques semaines après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République. À l’annonce du déclenchement de la grève de la faim, la préfecture rompt tous types de contact avec les leaders du Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers et choisit de faire entrer dans le jeu politique d’autres associations, éloignées politiquement de la LDH, du MRAP et de la Cimade. La préfecture choisit alors comme interlocuteurs six nouvelles associations et s’appuient sur ces associations pour obtenir des étrangers l’arrêt de la grève de la faim. Parmi ces associations, deux sont nationales (Emmaüs et le Secours Catholique), les quatre autres étant des associations locales essentiellement tournées vers l’action sociale et l’accompagnement social des étrangers.

  • 28 . Elles mettent en place à la fois des activités de suivi et d’accompagnement juridique des étrange (...)
  • 29 . Elles travaillent davantage avec des institutions et inscrivent leurs activités dans l’accompagne (...)

32C’est à l’issue de ce conflit que la préfecture met en place une nouvelle commission – celle à laquelle nous avons pu assister – qui réunit dès lors neuf associations aux profils, aux modes d’action et aux ancrages politiques très variés. Cette nouvelle configuration offre à l’observateur un support de lecture de l’espace local de la cause des sans‑papiers. On y retrouve un effet de clivage entre deux groupes d’associations : d’une part, les associations présentes auparavant dans la commission et d’autre part, les autres associations qui étaient auparavant reçues individuellement en préfecture et qui participent dès à présent à ce dispositif formalisé et collectif. La différence entre associations de défense des droits et des causes et associations d’action sociale prend sens ici : les associations du premier groupe se définissent comme des associations « militantes » et « politiques » 28 alors que celles du second groupe se définissent comme des associations d’ « aide », d’ « accompagnement » ou comme des associations « caritatives »29. Ces associations sont accusées par les premières de faire de la « cogestion » des étrangers avec l’État et ses institutions locales. Pendant la grève de la faim, ces tensions se manifestent de manière verbale entre les militants : les associations contactées par la préfecture pour aboutir à une résolution du conflit sont qualifiées par des militants du Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers de « parasites mouchards » et de « serpents venimeux qui prolongent le sale boulot du préfet inhumain ». Les insultes « collabos », « harkis », « serpents » fusent. Les associations signataires de l’accord proposé par la préfecture sont alors accusées d’agir comme des « partenaires » de la préfecture et ainsi de « collaborer » avec l’État.

33La création de cette nouvelle commission se fait simultanément à l’éviction du Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers de la commission, considéré, selon les mots d’un représentant de la préfecture, comme persona non grata. Pour expliquer leur choix de ne pas convier les représentants de ce collectif, les représentants de la préfecture évoquent systématiquement le fait qu’il n’existe pas sous forme d’association loi 1901. Ne disposant pas de structure juridique légale, il n’est donc pas considéré comme un interlocuteur légitime de l’État. À cet argument juridique, viennent rapidement s’ajouter des raisons politiques. Un responsable de la préfecture nous explique qu’il fallait « discréditer certains responsables », un autre évoque hors enregistrement la nécessité d’ « assainir le paysage. » Plus récemment, en réponse à un courrier de militants de ce collectif réclamant la possibilité de participer à la commission, le préfet souligne que « neuf associations bénéficiant d’une notoriété et d’une représentativité nationale ou locale » y participent alors que le Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers est « dénué de tout statut juridique » et continue « à privilégier un positionnement public contraire à l’esprit de dialogue et d’ouverture, indispensable au traitement des dossiers ».

34Le choix des acteurs du nouveau dispositif de rencontres entre représentants de la préfecture et des associations a donc une fonction politique. En regroupant au nom de la « transparence » des associations reçues auparavant séparément, les conséquences sont doubles : reconnaître institutionnellement certaines associations en en excluant d’autres du jeu des négociations. L’étude du choix des acteurs permet ainsi d’illustrer dans quelle mesure une autorité locale peut utiliser la mise en place d’un dispositif de participation pour influer sur le milieu associatif. Dans le cas étudié ici, il apparaît que les responsables de la préfecture se sont appuyés sur les oppositions et les tensions entre les associations de la cause des étrangers. Autrement dit, en définissant les règles du jeu, l’État s’octroie ici le pouvoir de choisir ses interlocuteurs. En choisissant qui entre et qui sort du dispositif, l’État reconnaît certaines associations et les légitime dans l’espace militant et associatif en leur donnant la possibilité d’obtenir des régularisations administratives en dehors du cadre réglementaire.

Un outil de réduction de la conflictualité

35Les rares moments de tensions observés entre militants et représentants de l’État se sont en réalité cristallisés sur les associations elles‑mêmes et les modes d’action qu’elles mobilisent. À deux reprises, les hauts fonctionnaires ont fait référence à un événement organisé par une ou des associations pour les interpeller sur leurs modes d’action. Ces deux notes d’observation montrent comment les représentants de l’État font pression sur les militants, et par leur intermédiaire sur les étrangers, les canalisent et évitent le développement de mobilisations collectives.

  • 30 . Les motifs de refus évoqués lors des séances observées illustrent les différentes dimensions du m (...)
  • 31 . Selon les militants de ces associations, la commission ne tient plus son rôle initial d’instance (...)

Aujourd’hui, le déroulement de la réunion a réservé quelques surprises. Un représentant de la préfecture annonce que, désormais, il ne justifiera plus les refus de régularisations30. Il précise que le règlement intérieur de la commission ne le prévoit pas puis évoque une conférence de presse organisée plusieurs jours avant la réunion par la LDH, le MRAP et le Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers31. La discussion se poursuit à la fin de la réunion. Un haut fonctionnaire présent s’explique : « Je pense que les associations qui ont participé à ce communiqué de presse ont peut‑être privé d’autres associations de cet outil. Il faut assumer les conséquences de ces propos publics. [C’est] une manière de faire que je n’apprécie pas car nous travaillons ensemble, nous sommes partenaires. […] [Il faut] user des voies logiques : demander rendez‑vous et en parler calmement dans mon bureau. […] Quand il y a un partenariat, on peut utiliser des voies urbaines. […] Moi, je vous donne les règles. » Le ton monte quelque peu entre le représentant de la préfecture et certains militants présents.

Note d’observation, mai 2010.

Alors qu’un représentant de la préfecture annonce la liste des refus, il s’arrête sur un dossier pour signaler que la personne a fait partie des grévistes de la faim en 2007. Il poursuit : « Pour ceux qui ne l’ont pas compris, certaines méthodes ne marchent plus. Pour ceux qui ne l’ont pas compris, ils ont raté une étape. Je dis cela pour certaines associations qui ont tenté une action hier. Il y a des méthodes basées sur des principes illégaux, et cela ne fonctionne plus. La manifestation n’était pas déclarée, maintenant il y a des règles, la commission fonctionne très bien et c’est comme ça ! » La veille, le Collectif de soutien aux étrangers sans‑papiers avait organisé une manifestation devant la préfecture.

Note d’observation, juin 2010.

36On voit ici comment deux actions collectives menées sur la scène publique – un communiqué de presse et une manifestation – donnent lieu lors des réunions suivantes à des répliques des représentants de la préfecture. Ces derniers s’en saisissent pour justifier un changement de fonctionnement de la commission et réactivent ainsi les effets de « clans » entre associations. En qualifiant les modes d’action collectifs d’illégitimes, illogiques et injustifiés, ils font apparaître la participation au dispositif comme antinomique, voire incompatible, avec d’autres modes d’action souvent utilisés par les associations et pourtant tout à fait légaux.

37Pour justifier cette pression mise sur les associations, les représentants de la préfecture s’appuient sur les chiffres de régularisations administratives concédées dans le cadre de ladite commission. S’il n’est pas suffisant pour remettre en cause à lui seul les objectifs de limitation et de répression des politiques migratoires, ce nombre de régularisations permet néanmoins de créer un espoir chez les sans‑papiers et les militants. Pour les associations de défense des étrangers, « de telles rencontres constituent un moyen d’obtenir des titres de séjour à des étrangers déboutés et de continuer à entretenir pour les autres l’espoir d’une régularisation » (Spire, 2008, p. 37).

38La préfecture atteint donc un double objectif : répondre aux directives nationales et garder les étrangers sans‑papiers sous pression en les incitant à ne pas se mobiliser. Selon l’expression d’un représentant de la préfecture, la commission agit ici comme une « soupape de sécurité » permettant de se prémunir de nouveaux conflits politiques. Interrogé sur l’intérêt pour la préfecture d’un tel dispositif, il répond :

  • 32 . Entretien avec M. V., 43 ans, haut fonctionnaire.

J’espère [que] c’est un peu la soupape de sécurité pour l’instant pour éviter qu’il y ait d’autres grèves de la faim. Plus le temps passe, plus la commission fonctionne bien, plus mes responsables supérieurs auront beau jeu le jour où il y aura une grève de la faim de dire « attendez, il y a une instance qui examine la situation de ces personnes, qu’est ce que vous pouvez nous reprocher ? » On pourra ressortir les chiffres, […] ça permet de dire : « Je ne comprends pas pourquoi vous faites une grève de la faim32

39En créant ce dispositif, l’objectif est donc bien de contrer la pression des associations, et ainsi éviter de potentielles actions collectives. Le même type d’objectif a été poursuivi à Paris dans le contexte des grèves des travailleurs sans‑papiers : le 15 décembre 2008, le ministère produit un télégramme protégeant les patrons dans le cas où ils emploieraient un ou plusieurs travailleurs sans‑papiers et où ils désireraient soutenir leurs démarches de régularisation administrative. Si cette décision peut apparaître comme une avancée pour les travailleurs sans‑papiers, elle permet également de pacifier la situation en évitant le déclenchement de nouvelles grèves et occupations d’entreprises. Il s’agit à la fois de protéger les employeurs et d’inciter les salariés et les organisations syndicales mobilisées à changer de stratégie vis‑à‑vis des employeurs : éviter le recours aux occupations et grèves en privilégiant la négociation et les démarches concertées pour la constitution des dossiers de régularisation administrative (Barron et al., 2011, p. 141).

40Ce dispositif fonctionne donc comme un outil de gestion en amont de possibles conflits avec les associations et les étrangers sans‑papiers. Cet aspect normatif du dispositif étudié est ressenti par les militants qui se disent en partie « bloqués » par le fonctionnement des réunions. Certains évoquent les conséquences du dispositif sur leurs pratiques militantes et regrettent par exemple de ne pas avoir le temps de mener simultanément d’autres activités collectives. C’est le cas de Colette, militante du MRAP :

On est tellement pris par les histoires de traitement des situations individuelles que l’on n’a pas assez de temps pour faire ce que l’on faisait au début, c’est‑à‑dire l’articulation avec la loi et la dimension collective et plus directement politique. Le risque, c’est que cela devienne très technique. C’est ça le gros risque. […] Avant, il y avait les deux dimensions. Je faisais des permanences mais en même temps je faisais des interventions ailleurs, dans des centres sociaux, avec des analyses de la situation et vraiment un lien entre le juridique et la dimension qui vise à faire en sorte que les gens se mobilisent contre la loi. En ce moment, je trouve qu’il y a un truc qui déconne. [...] J’ai la sensation qu’à un moment, on s’est fait bouffer. […] Moi, je pense que ce n’est pas normal que l’on soit complètement bouffé par le cas par cas. À mon avis, on s’est fait piéger par ça.

41Le temps consacré à la préparation des dossiers et aux rendez‑vous individualisés avec les étrangers est ainsi souvent perçu par les militants comme un obstacle à l’organisation d’action collective.

42Ainsi, ce dispositif participe à la régulation des rapports entre l’État et les associations investies dans les luttes revendicatives. Ce constat va dans le même sens que les conclusions d’A. Spire quand il souligne que « pour les préfectures, ce type de dispositif parallèle est un moyen de contenir les mobilisations et de maintenir les associations dans une certaine dépendance » (Spire, 2008, p. 37). En effet, les associations se maintiennent dans le dispositif car elles y obtiennent des résultats, mêmes minces, de régularisations administratives qu’elles n’obtiendraient plus si elles cessaient de participer aux réunions. Dans le cas présent, la formalisation et la fréquence de ces rendez‑vous à la préfecture opèrent, au même titre que le droit, comme un moyen pour « réduire la portée et l’impact » de pratiques militantes contestataires et conflictuelles (Willemez, 2006, p. 115).

Conclusion

  • 33 . Ces trois termes sont habituellement utilisés dans les analyses de dispositifs de participation p (...)

43L’observation du travail militant dans les associations met en lumière ses routines ainsi que le rapport qu’entretiennent ces associations à l’État. D’une manière générale, le travail militant apparaît à l’observateur à travers des pratiques répétitives, codifiées et technicisées, une organisation du travail régulée et des relations instituées entre les associations et l’État. Ces évolutions sont constitutives d’un processus d’institutionnalisation de la cause étudiée, et plus largement du milieu associatif, entendu comme un processus qui tend à organiser, hiérarchiser, formaliser et contractualiser les rapports entre des individus, des organisations ou des institutions. En créant de nouvelles formes institutionnelles qui régulent les rapports sociaux, ce processus transforme les organisations, mobilisations et associations, ainsi que leur rapport à l’État. La distance entre les associations et l’État tend en effet à diminuer et les rapports d’opposition et de conflictualité s’estompent progressivement. En effet, le dispositif étudié ici ne fonctionne pas comme un dispositif de négociation, de délibération, de concertation33 ou de contradiction. Les observations révèlent au contraire un cadre qui formalise la rencontre entre des associations et des représentants de l’État en verrouillant les relations entre les différents acteurs et en empêchant les interactions, et ainsi la négociation. Les représentants de la préfecture renvoient régulièrement vers des contraintes extérieures et affichent un refus catégorique d’entrer dans une négociation, révélant ainsi la volonté de l’administration de restreindre le cadre du dispositif mis en place et les possibilités de prise de décision. En ce sens, le dispositif apparaît davantage comme une forme supplémentaire de guichet de l’immigration (Spire, 2008). Mais au‑delà de la cause des étrangers, ce sont bel et bien des logiques structurant l’ensemble du fait associatif qui sont visibles : celles tendant à plus de juridicisation, de professionnalisation, de formalisation et en définitive d’institutionnalisation du travail militant.

44Plus largement, ces évolutions constituent des indices d’un changement des modes de conflictualité. Si les années 1990 semblent avoir sonné la reprise de l’activité des mobilisations collectives en remettant la question sociale au premier rang des préoccupations (Mathieu, 2011), les formes prises par cette contestation ont évolué. La position offensive des années 1970 s’est effacée au profit d’une position plus défensive. La défense des acquis sociaux, des emplois ou des individus occupe aujourd’hui la plus grande partie du temps et du travail militant. Par conséquent, les répertoires ont eux aussi changé : la grève apparaît moins centrale, d’autres modes d’action se multiplient (manifestations, pétitions, débrayages courts, grèves tournantes, sabotage, absentéisme par exemple) et la négociation semble privilégiée par les militants. Durant les années 1990, la nature du travail militant change à travers les processus de juridicisation et d’individualisation : les usages du droit se multiplient et la logique du « cas par cas » domine les activités militantes.

  • 34 . Ces résultats rejoignent les conclusions de travaux réalisés dans de tout autres domaines comme, (...)
  • 35 . Ce processus se solde selon l’auteur par la perte de l’identité initiale de l’association.

45Au‑delà de la spécificité du cadre étudié, ces observations donnent à voir de manière plus générale l’évolution des relations entre l’État et le monde associatif34. On voit ici comment l’application des politiques migratoires par les administrations compétentes se fait avec, et en partie par, les associations de la cause des étrangers. En effet, en participant à ces réunions formalisées et régulières, les associations acceptent, au moins tacitement, les règles de fonctionnement et le cadre général de cette commission, à savoir l’application des politiques nationales en matière d’immigration. Les associations deviennent ainsi les garants d’une bonne application des textes de loi, les « gardienne[s] vigilante[s] (watchdog) du respect des textes » (Chevallier, 2003). En retour, par leur participation à ce type de dispositif, les associations arrivent à obtenir des résultats. Mais, au‑delà de ces résultats, participer à ce dispositif a des effets sur les pratiques militantes. On constate en effet que pour pouvoir répondre aux exigences des responsables de la préfecture, les militants individualisent, personnalisent et juridicisent leurs activités tout en triant les dossiers qu’ils choisissent de défendre. On voit ici comment la participation à un cadre administratif d’action publique a des effets à la fois sur le travail militant, sur la configuration et la conflictualité d’un espace militant ainsi que sur la nature des relations constatées entre les associations et l’État. La routinisation des actions associatives se solde par la révision des objectifs de départ et par le choix d’un répertoire d’action plus conventionnel (Kriesi, 1996)35.

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Notes

1 . Vie privée et familiale.

2 . Document de circulation pour étranger mineur.

3 . Sauf précision, « militant » désigne les individus, bénévoles et salariés, engagés dans les associations étudiées.

4 . Nous reviendrons par la suite sur la genèse de la commission étudiée.

5 . L’article L.313‑14 du CESEDA stipule que la carte de séjour temporaire portant la mention VPF peut être délivrée à l’étranger « dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir ». Les titres de séjour délivrés dans le cadre de la commission ne se limitent cependant pas à cette mention.

6 . Selon eux, les décisions ne s’appliquent pas de la même manière à l’ensemble des administrés d’un même territoire et crée de ce fait des différences de traitement entre étrangers en fonction de la Préfecture où la demande de régularisation administrative a été effectuée.

7 . La cause des étrangers est ici envisagée comme un espace d’engagement et de militantisme faisant partie plus largement de ce que L. Mathieu qualifie d’« espace des mouvements sociaux » (Mathieu, 2012).

8 . Les situations les plus complexes sont l’objet de prises de rendez‑vous spécifique en dehors des temps de permanences ouverts au public.

9 . Le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés regroupe des professionnels du droit (juristes, magistrats, avocats et universitaires) et publie plusieurs documents : Le guide de l’entrée et du séjour des étrangers en France publié depuis 1974, la revue Plein Droit, les Cahiers juridiques et les Notes juridiques.

10 . La Cimade publie la revue Causes communes, des livrets à visée pédagogique tels que le Petit guide pour lutter contre les préjugés sur les migrants ou le Petit guide pour comprendre les migrations internationales ainsi que des supports de témoignages et des rapports annuels d’activité.

11 . J. Drahy les oppose aux formations universitaires qu’il qualifie de théoriques et générales.

12 . L’auteur souligne aussi que les élus et les membres actifs des conseils d’administration des associations n’ont pas, quant à eux, le monopole de la vertu et du désintéressement.

13 . Ces résultats rejoignent les conclusions de L. Israël ainsi que d’A. Marek sur le GISTI.

14 . Loi Bonnet en 1980, loi Deferre en 1981, loi Joxe en 1984, loi Pasqua en 1986, nouvelle loi Joxe en 1989, nouvelle loi Pasqua en 1993, loi Debré en 1997, loi Guigou puis loi Chevènement en 1998, loi Sarkozy puis Villepin en 2003.

15 . Loi Sarkozy en 2006, loi Hortefeux en 2007 et loi Besson‑Guéant en 2011.

16 . Ils sont rédigés par le Bureau des Nationalités de la Direction de la réglementation et des libertés publiques (DRLP), puis par la Section Admission au séjour de la Direction de l’immigration et de l’intégration (DII) suite à la Révision générale des politiques publiques entrée en vigueur dans les préfectures les 1er janvier 2010.

17 . Est aussi jointe au dossier la liste des membres de la famille présents en France, leurs statuts administratifs ainsi que de la nature et de la fréquence de leurs relations. Les militants demandent occasionnellement aux hommes mariés de fournir une attestation sur l’honneur de non‑polygamie.

18 . Par exemple, demande d’asile, demande de titre de séjour, refus, délivrance d’un OQTF, etc.

19 . Les métiers dits « en tension » sont des métiers en difficulté de recrutement ouverts à l’embauche de travailleurs étrangers.

20 . Selon les données transmises par les services préfectoraux, entre janvier 2008 et décembre 2010, 772 situations administratives ont été régularisées parmi les 2 281 dossiers individuels présentés, soit une moyenne de près de 34 % de décisions positives.

21 . Alors que le règlement intérieur prévoit la possibilité pour les associations de présenter au total 1 100 dossiers par an, ce chiffre diminue : 900 dossiers ont été présentés en 2008, 864 en 2009 et 517 en 2010.

22 . Dans sa thèse, A. Bory (2008) met en évidence les mêmes processus en ce qui concerne le mécénat d’entreprise, et montre comment cette injonction à l’évaluation quantifiée contribue à disqualifier certaines associations, et à valoriser les structures les plus professionnalisées et les plus importantes.

23 . Il s’agit d’une expression indigène.

24 . Ce même terme est employé par les associations d’accompagnement des prostituées (Jakšic´, 2013).

25 . On peut faire l’hypothèse que les raisons pour lesquelles l’espace des mouvements sociaux peut être pensé comme un domaine d’activité relativement autonome du monde social sont aussi valables à l’intérieur même de cet espace, parmi ses différentes composantes mais aussi à l’intérieur même de celles‑ci.

26 . Pendant les années 1980, certaines associations telles que la LDH ou le MRAP étaient reçues individuellement et ponctuellement à la préfecture pour présenter les dossiers d’étrangers en situation irrégulière, ou pour leur faire part de leurs revendications sur des questions de politique générale.

27 . Lire les travaux de J. Siméant (1998).

28 . Elles mettent en place à la fois des activités de suivi et d’accompagnement juridique des étrangers sans‑papiers et des pratiques collectives d’information, de sensibilisation et de revendication.

29 . Elles travaillent davantage avec des institutions et inscrivent leurs activités dans l’accompagnement de l’étranger dans son insertion et son intégration (accès à un emploi, à un logement, etc.).

30 . Les motifs de refus évoqués lors des séances observées illustrent les différentes dimensions du maintien de l’ordre prises en compte par les agents des services de l’immigration (Spire, 2008, p. 41) : ordre public car les cas d’atteinte à l’ordre public ou des fraudes sont systématiquement refusées ; ordre moral car le parcours de l’étranger ou sa situation familiale sont aussi évalués à travers des critères moins précis (« cohérence de la famille », « parcours de formation non convaincant » par exemple) ; et ordre économique car, quelle que soit la nature du titre de séjour demandé, la promesse d’embauche est considérée comme l’élément nouveau par excellence qui permettra d’obtenir une régularisation.

31 . Selon les militants de ces associations, la commission ne tient plus son rôle initial d’instance de recours et « aboutit à créer à nouveau une situation où les sans‑papiers n’ont plus aucune perspective de régularisation ». Les critères appliqués au sein de la commission sont jugés restrictifs, flous, voire insurmontables, et les motifs de refus sont qualifiés de prétextes et de stéréotypes.

32 . Entretien avec M. V., 43 ans, haut fonctionnaire.

33 . Ces trois termes sont habituellement utilisés dans les analyses de dispositifs de participation politique d’acteurs non institutionnels, dont font partie les associations.

34 . Ces résultats rejoignent les conclusions de travaux réalisés dans de tout autres domaines comme, par exemple, ceux de G. Le Naour (2005) au sujet d’associations marseillaises à l’action publique de lutte contre le sida et la toxicomanie, ceux d’Y. Lochard et M. Simonet (2005) au sujet des associations de solidarité participant à l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale ou ceux de L. Willemez (2006) consacrés au monde du travail et à l’analyse de la participation des organisations syndicales aux conseils de prud’hommes.

35 . Ce processus se solde selon l’auteur par la perte de l’identité initiale de l’association.

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Table des illustrations

Titre Document 1 : Liste des documents demandés dans les dossiers écrits constitués par les associations. Document de la DII.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/docannexe/image/2275/img-1.png
Fichier image/png, 499k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathilde Pette, « Associations : les nouveaux guichets de l’immigration ? », Sociologie [En ligne], N°4, vol. 5 |  2014, mis en ligne le 20 décembre 2014, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/2275

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Auteur

Mathilde Pette

mathilde.pette@gmail.com
Postdoctorante au CLERSE (Université Lille 1) – Chercheuse associée au CERAPS - CLERSÉ‑CNRS / Université Lille1 – Cité scientifique – 59655 Villeneuve d’Ascq Cedex

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