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L’école et la méritocratie

A propos de Elise Tenret, L'école et la méritocratie. Représentations sociales et socialisation scolaire (PUF, 2011)
Carole Daverne‑Bailly
Référence(s) :

Elise Tenret, L'école et la méritocratie. Représentations sociales et socialisation scolaire, Paris, PUF, coll. « Education et société », 2011, 191 p.,

Texte intégral

  • 1 . Élise Tenret (2011), L’École et la méritocratie. Représentations sociales et socialisation scolai (...)
  • 2 . Tenret Élise (2008), L’École et la croyance en la méritocratie scolaire, thèse de doctorat (réali (...)
  • 3 . Tenret Élise (2011), Les Étudiants et le mérite. À quoi bon être diplômé ?, Paris, La Documentati (...)

1Dans son ouvrage intitulé L’École et la méritocratie. Représentations sociales et socialisation scolaire1 (2011), Élise Tenret, maître de conférences à l’université Paris-Dauphine, tente de répondre à deux questions : les individus valorisent‑ils un modèle de société méritocratique fondé sur le diplôme et la notation scolaire ? Quel est l’effet de la socialisation scolaire sur ces représentations ? (p. 4). Elle se propose d’élaborer une sociologie des représentations de la méritocratie, champ qui demeure encore sous‑exploré, en prenant appui sur le point de vue d’acteurs sociaux différenciés selon leur socialisation scolaire. Avec ce livre, construit en trois parties, Élise Tenret prolonge sa réflexion entamée dans le cadre d’une thèse de doctorat2 et dans Les Étudiants et le mérite. À quoi bon être diplômé ?3.

2La recherche est étayée par des données empiriques de première et seconde main, variées et complémentaires. Les grandes enquêtes sur la perception des inégalités et de la justice sociale (European Values Surveys – evs, International Social Survey Program ispp et Perception des inégalités et sentiments de justice) permettent de dresser un tableau de l’intériorisation de la méritocratie en France par rapport à d’autres pays, en comparant l’impact du diplôme avec d’autres déterminants sociaux. Une enquête par questionnaire, réalisée dans une académie française auprès d’un échantillon représentatif de 766 étudiants de première année d’enseignement supérieur, permet de cerner l’effet des différentes formes de socialisation scolaire. Enfin, le point de vue d’un groupe spécifique d’étudiants – 40 préparationnaires scolarisés dans deux lycées cotés de l’académie de Paris – est recueilli, à l’aide d’entretiens semi‑directifs. L’analyse de ces données quantitatives et qualitatives est d’une grande richesse, en raison des différents niveaux d’analyse mobilisés (du plus large au plus fin) et de la possibilité ainsi offerte de saisir au mieux les raisonnements complexes des acteurs sociaux en matière de méritocratie.

  • 4 . Young Michael (1958), The Rise of the Meritocraty, London, Thames and Hudson.
  • 5 . Dubet François (2004), L’École des chances. Qu’est‑ce qu’une école juste ?, Paris, Le Seuil.
  • 6 . Enquête ispp, 1999.

3Une analyse de la légitimité, aux yeux des acteurs sociaux interrogés, de la méritocratie et de la méritocratie scolaire ouvre la première partie. Élise Tenret entreprend un travail important et précieux de problématisation de cet objet de grande actualité, à commencer par les fonctions sociales de la méritocratie : comment expliquer que, dans nos sociétés contemporaines, les individus l’intériorisent et la considèrent comme un modèle de justice sociale ? Cette question est d’autant plus essentielle que la méritocratie, entendue comme le souhait que les mérites individuels déterminent les positions sociales de chacun, dissimule un paradoxe : la méritocratie désigne un modèle de société plébiscité par les individus, valorisé socialement et défendu politiquement ; son application intégrale créerait pourtant une société cauchemardesque pour la population et nuisible pour le lien social (Young, 19584). La méritocratie permet en fait de concilier deux principes fondamentaux des sociétés contemporaines, la liberté et l’égalité ; elle constitue aussi un cadre de pensée quasiment intuitif pour les individus ou encore une « fiction nécessaire.5 »  Mais, si les enquêtes evs et ispp témoignent de la popularité de la méritocratie, il n’en demeure pas moins qu’un tel consensus dissimule en réalité un désaccord sur la définition du mérite et sa mesure par les diplômes ou le niveau d’études. Ainsi, seuls 39,4 % des Français considèrent qu’il est « essentiel » ou « très important » de récompenser « le nombre d’années passées à se former et à étudier »6 ; ils privilégient la reconnaissance du principe de besoin et d’un mérite purement professionnel. Les étudiants, qui paradoxalement abondent dans ce sens, doutent également que le diplôme révèle la qualité professionnelle d’un travailleur tout au long de sa vie, dénoncent les inégalités sociales et l’injustice du système éducatif, « peu à même d’évaluer la composante la plus légitime du mérite à leurs yeux : les efforts individuels » (p. 44).

4Dans une deuxième partie, l’effet de l’éducation sur les représentations de la méritocratie est analysé. L’impact de l’éducation est appréhendé théoriquement par le niveau d’éducation, les matières enseignées, le rendement du diplôme, la présence d’une sélection explicite. Sa complexité et son ambiguïté amènent l’auteure à nourrir une réflexion empirique, dont il ressort que 1) dans les pays occidentaux assez riches, les plus diplômés pensent qu’il est normal que le diplôme soit récompensé et considèrent les inégalités sociales un peu plus légitimes ; 2) l’effet libérateur du diplôme domine dans un premier temps mais, pour les plus diplômés, l’effet positionnel devient prépondérant. En France, le diplôme semble avoir un effet particulièrement « consécrateur » sur les mentalités, ce qu’Élise Tenret justifie par l’organisation même du système éducatif. Plus spécifiquement, dans l’enseignement supérieur français, la sélection, les débouchés professionnels, le caractère plus ou moins professionnalisant de la formation et les connaissances délivrées conditionnent les représentations sociales de la méritocratie, les étudiants de cpge défendant la méritocratie par l’école, ceux de sts la méritocratie contre l’école (p. 97), ceux de l’université et des iut adoptant des positions plus ambivalentes. Quant aux étudiants garçons, ils sont davantage convaincus de la justice de la société, plus confiants dans les possibilités de mobilité sociale de chacun et plus favorables à la méritocratie scolaire.

5Dans une dernière partie, Élise Tenret analyse la rhétorique méritocratique, à travers l’exemple des élèves des classes préparatoires interviewés. Elle montre toute la complexité et la spécificité des discours tenus par ces étudiants, qui sont à la fois plus conscients des inégalités sociales à l’école et davantage convaincus du bien‑fondé de la méritocratie scolaire. Ces « dominants » du système éducatif (p. 133) reconnaissent qu’ils sont pour la plupart socialement et scolairement favorisés, tout en justifiant leur propre position par le mérite puisqu’ils ont été sélectionnés par l’institution et fournissent un travail au quotidien particulièrement dense. Élise Tenret termine son ouvrage par quatre portraits d’étudiants contrastés et « caricaturaux », qui témoignent d’une perception de la méritocratie tributaire de l’expérience sociale et scolaire des élèves. Par exemple, les difficultés à répondre aux exigences scolaires de l’un lui font remettre en question tout le système, impuissant à reconnaître ses propres mérites ; la réussite scolaire de l’autre le conforte dans l’idée que les notes reflètent le mérite de chacun. Ces matériaux biographiques permettent d’enrichir l’analyse en donnant à voir les effets de la socialisation familiale et de l’expérience scolaire, dans un style clair et vivant (de larges extraits d’entretiens sont offerts au lecteur), mais ce dernier chapitre est moins convaincant au plan de l’étayage théorique avec un appel à la littérature réduit comparativement au reste de l’ouvrage, qui semble finalement pensé comme un entonnoir de la théorie vers le concret. Plus gênant sans doute, la spécificité des préparationnaires enquêtés n’est pas questionnée : le discours tenu par des étudiants de cpge de proximité ou de khâgne serait‑il comparable ?

6L’École et la méritocratie. Représentations sociales et socialisation scolaire prend appui sur une multiplicité d’auteurs, mobilisés dans un va‑et‑vient entre réflexion théorique et analyse des données empiriques. Le livre d’Élise Tenret apporte une contribution originale à la compréhension des représentations de la méritocratie, sur la base de matériaux diversifiés et complémentaires par les éclairages différents qu’ils portent sur les représentations de la méritocratie. Il représente non seulement une lecture à vivement recommander, mais aussi une source de questionnements et de pistes pour la recherche future et, à une époque où la notion de méritocratie est abondamment mobilisée, un point d’appui pour le débat public.

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Notes

1 . Élise Tenret (2011), L’École et la méritocratie. Représentations sociales et socialisation scolaire, Paris, puf, « Éducation et Société », 191 p.

2 . Tenret Élise (2008), L’École et la croyance en la méritocratie scolaire, thèse de doctorat (réalisée sous la direction de Marie Duru‑Bellat), Université de Bourgogne, 408 p.

3 . Tenret Élise (2011), Les Étudiants et le mérite. À quoi bon être diplômé ?, Paris, La Documentation française, coll. « Études et recherches ».

4 . Young Michael (1958), The Rise of the Meritocraty, London, Thames and Hudson.

5 . Dubet François (2004), L’École des chances. Qu’est‑ce qu’une école juste ?, Paris, Le Seuil.

6 . Enquête ispp, 1999.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Carole Daverne‑Bailly, « L’école et la méritocratie », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2012, mis en ligne le 25 septembre 2012, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/1328

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Auteur

Carole Daverne‑Bailly

carole.daverne‑bailly@univ‑rouen.fr
Maître de conférences Université de Rouen – Centre interdisciplinaire sur les valeurs, les idées, les identités et les compétences (civiic) – Rue Lavoisier – 76821 Mont-Saint-Aignan

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