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AccueilNumérosN°2, vol. 3EnquêtesProtester avec violence. Les actions(…)

Protester avec violence. Les actions militantes non conventionnelles des chasseurs

Protesting with violence. Hunters’ unconventional acts of activism
Julian Mischi

Résumé

À partir du cas de la mobilisation des chasseurs d’une région rurale et industrielle, cet article aborde la question de l’usage de la violence dans les mouvements de contestation populaire. De l’extérieur, la violence de certains chasseurs peut apparaître comme l’expression d’une force non maîtrisée et irréfléchie. Or, l’analyse des pratiques et des discours que tiennent ces acteurs met au jour les significations qu’elle revêt et l’organisation qui la rend possible. Le recours à la violence s’intègre dans un dispositif contestataire non conventionnel structuré autour de relations d’interconnaissance dont une visée ethnographique peut rendre compte. C’est donc un aspect du rapport des classes populaires au politique – le recours à l’action directe et violente – que l’on éclaire en soulignant en quoi ce mode de protestation est marqué, dans le cas des chasseurs de gibier d’eau, par une double socialisation, professionnelle (ouvrière) et résidentielle (rurale). À l’opposé d’une approche se contentant d’évoquer l’irrationalité des comportements violents, il s’agit d’éclairer les processus d’apprentissage propices au déploiement d’actions militantes non conventionnelles (incendies, menaces physiques, braconnage, etc.). Les modalités d’entrée dans des formes radicales de protestation se nourrissent d’expériences quotidiennes qui les rendent légitimes. Elles sont à relier à la résistance de certaines fractions des classes populaires face à une perte d’emprise sur leur espace de vie. C’est donc un aspect du rapport des classes populaires au politique – le recours à l’action directe et violente – que l’on éclaire en soulignant en quoi ce mode de protestation est marqué, dans le cas des chasseurs de gibier d’eau, par une double socialisation, professionnelle (ouvrière) et résidentielle (rurale). À l’opposé d’une approche se contentant d’évoquer l’irrationalité des comportements violents, il s’agit d’éclairer les processus d’apprentissage propices au déploiement d’actions militantes non conventionnelles (incendies, menaces physiques, braconnage, etc.). Les modalités d’entrée dans des formes radicales de protestation se nourrissent d’expériences quotidiennes qui les rendent légitimes. Elles sont à relier à la résistance de certaines fractions des classes populaires face à une perte d’emprise sur leur espace de vie.

Based on a case of hunters’ mobilization in a rural industrial region of France, this article addresses the question of the use of violence in working‑class protest movements. Seen from the outside, certain hunters’ violence may appear to be the expression of an unmastered and unreflective physical force. But an analysis of the actors’ practices and discourse reveals the meanings it holds for them and the organization that makes it possible. Resorting to violence is part of a non‑conventional protest mechanism structured around relations of mutual acquaintanceship, which can be accounted for by using an ethnographic approach. We shed light on an aspect of the working classes’ relationship with politics –resorting to direct and violent action– by highlighting how, for waterfowl hunters, this mode of protest is marked by a double socialization: professional (worker) and residential (rural). In contrast to approaches that content themselves with invoking the irrationality of violent behaviours, we show the processes of apprenticeship that favour the deployment of unconventional activist actions (fires, physical threats, poaching, etc.). Daily experiences contribute to pathways of entry into radical forms of protest, thereby legitimating them. They are tied to the resistance of some fractions of the working classes, faced with a loss of influence over their living space.

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Texte intégral

1Le 17 août 2001 au matin, 110 oiseaux appartenant à des espèces protégées (hérons, ibis et aigrettes) sont retrouvés morts dans le marais de Brière (Loire‑Atlantique). Les auteurs du massacre, probablement une dizaine de personnes, ont sciemment laissé les volatiles en évidence. Ils ont agi quelques jours après que le tribunal administratif de Nantes a ordonné le report de l’ouverture de la chasse au gibier d’eau, donnant ainsi raison à la Ligue pour la protection des oiseaux (lpo) qui avait intenté un recours en référé. Du fait de cette mesure, prise deux jours avant l’ouverture attendue de la saison de chasse, l’été 2001 est l’un des plus « chauds » dans ce territoire où se déroulent de nombreuses manifestations, la plupart non déclarées à la préfecture et impulsées par un collectif de « chasseurs en colère ». Certains chasseurs, devenus braconniers sous l’effet du changement de la réglementation, sont impliqués dans des heurts avec les gardes de l’Office national de chasse. La situation est loin d’être exceptionnelle : l’année précédente fut également marquée par la multiplication d’actions violentes dans le marais, avec cette fois‑là surtout des incendies, qui entraînèrent la destruction spectaculaire du bâtiment administratif du Parc naturel régional de Brière. Les installations d’un guide de la lpo furent incendiées pour la troisième fois. Victime de différentes formes d’intimidation (pneus de voiture crevés, menaces de mort, chalands brûlés, etc.), cet ornithologue est contraint de quitter la région :

  • 1 . « Un guide de Brière harcelé et ruiné par des incendies criminels », Presse Océan, 19 août 2000.

« On ne peut pas continuer à vivre dans la terreur. C’est du terrorisme, car on a réellement peur. Un terrorisme sournois qui ne revendique rien d’ailleurs ! […] Tout ça, c’est depuis la loi sur la chasse1 ».

  • 2 . Sur les difficultés à mener une ethnographie de la violence, voir les réflexions méthodologiques (...)
  • 3 . À l’autre pôle de l’espace social de la chasse se situe la chasse à courre étudiée par M. Pinçon (...)

2À partir du cas de la mobilisation des chasseurs de ce territoire, je voudrais aborder la question de l’usage de la violence dans les mouvements de contestation. Cette interrogation implique, plus largement, d’analyser les modalités du recours à des modes d’action dits non conventionnels. Comment les chasseurs en viennent‑ils à s’engager dans des actions considérées comme illégitimes par le plus grand nombre ? Quels sont les pratiques, mais aussi les discours, au cœur de cette violence militante ? Quels liens peut‑on établir entre cette protestation violente et la politique institutionnelle ? Proposer une description ethnographique et une analyse sociologique du recours à la violence pour certaines fractions du monde de la chasse est un moyen d’éclairer des pratiques militantes radicales peu étudiées2, en les rattachant à leur contexte de réalisation et à la position sociale de leurs acteurs. Les acteurs dont il est question sont chasseurs et, à ce titre, ils sont pris dans des réseaux de sociabilité rurale, et la plupart appartiennent aux classes populaires. La chasse au gibier d’eau et aux oiseaux migrateurs est en effet surtout une pratique caractéristique des habitants des espaces ruraux et périurbains des régions industrielles3. Les sociétés de chasse du marais de Brière sont composées en majorité d’hommes travaillant dans les usines de la ville voisine de Saint‑Nazaire.

  • 4 . Rabattre la protestation des chasseurs sur un « archaïsme » typiquement rural conduit au même réd (...)

3Chasse et violence. Les deux termes vont de pair dans les représentations, notamment lettrées et urbaines du monde rural, tant sont fortes les images associant les chasseurs à la cruauté et à la mort. Dans ce contexte, il est essentiel de se prémunir d’une interprétation des protestations rurales comme l’expression d’une violence « archaïque ». Sinon, ainsi que le met en garde Alain Corbin (1993) à propos du premier xixe siècle, on échoue à percevoir la « rationalité politique » que peuvent exprimer ces actions violentes4. Il s’agit donc ici d’appréhender la violence, non pas comme une réaction purement émotionnelle des masses paysannes ou rurales, mais comme une ressource de l’action collective, suivant en particulier les recherches impulsées par Charles Tilly (2003). Historiens et sociologues des mobilisations soulignent que la violence demeure un horizon possible de toute action collective et que le recours à des formes de protestation non institutionnelles constitue tendanciellement « une arme des groupes qui, dans un espace social et un temps donnés, sont du mauvais côté des rapports de force » (Neveu, 2002, p. 20). D’après les études d’Olivier Fillieule & Danielle Tartakowsky, les manifestations violentes sont d’abord le fait « des couches anciennes du salariat, non spécifiquement urbaines, et des catégories indépendantes en déclin » (2008, p. 80). Les mobilisations les plus violentes concernent des groupes professionnels menacés par les crises économiques : agriculteurs, mineurs, sidérurgistes, ouvriers des chantiers navals, petits commerçants et artisans (Fillieule, 1997). Les chasseurs de gibier d’eau se recrutent dans ces milieux, mais le motif de la protestation étudiée ici ne concerne pas directement le travail : s’ils s’engagent dans des actions violentes, c’est surtout parce que leur activité de loisir est menacée. Comme pour beaucoup des groupes professionnels précités, notamment les producteurs de lait et de viande mobilisés contre les politiques de prix ou de quotas, la politique européenne est la cible de leur contestation.

4Il serait cependant erroné d’imaginer les chasseurs unis dans leur protestation. Seules certaines fractions du monde de la chasse s’engagent dans des actions violentes. Situer socialement les chasseurs et observer leur implication différenciée dans la défense de leur loisir font éclater une homogénéité fictive de ce milieu, tout en remettant en cause l’image d’une violence naturelle de ce groupe. Ceci implique une démarche monographique qui permet non seulement de prendre en compte le rôle des socialisations professionnelles, mais aussi de prêter attention aux ressources procurées par l’ancrage territorial. Attentive à la dimension spatiale des actions collectives, cette étude peut se lire comme une contribution, sous l’angle de la sociologie des mobilisations, aux discussions autour de l’appartenance territoriale des classes populaires. Ces débats se sont récemment développés avec la notion d’« autochtonie » (Retière, 2003 ; Renahy, 2010), qui a été initialement forgée dans la description de la chasse par Michel Bozon & Jean‑Claude Chamboredon : mise en scène d’une appartenance locale, populaire et virile, « la chasse permet d’exprimer une relation particulière au terroir villageois comme compensation à la dépaysannisation » (1980, p. 73).

  • 5 . Le travail de terrain s’est déroulé entre 2003 et 2007. Il repose sur des observations de rassemb (...)

5C’est donc un aspect du rapport des classes populaires au politique – le recours à l’action directe et violente – que l’on voudrait éclairer en soulignant en quoi ce mode de protestation est marqué, dans le cas des chasseurs de gibier d’eau, par une double socialisation, professionnelle (ouvrière) et résidentielle (rurale). L’étude de cas est circonscrite à un territoire, forcément singulier, et à une séquence historique particulière, celle des conflits qui s’y sont déroulés de la fin des années 1980 au milieu des années 20005. Mais la perspective adoptée, parce qu’elle éclaire les conditions de possibilités d’actes de protestation violents en prenant en compte à la fois le contexte sociopolitique local et les justifications formulées par les protagonistes, permet d’éclairer plus largement les formes d’actions radicales dans des milieux populaires « voisins », qu’ils soient ouvriers ou paysans (séquestration, chantage aux déchets toxiques, actions coup de poing, etc.).

6À l’opposé d’une approche se contentant d’évoquer l’irrationalité des comportements violents et de présenter leurs aspects spectaculaires, il s’agit de mettre en avant la socialisation conduisant aux actions violentes, d’éclairer les processus d’apprentissage qui les nourrissent. Il est en effet nécessaire d’aller au-delà du simple constat d’une explosion de colère « aveugle » et « irraisonnée » car, comme pour les conflits paysans (Guillemin, 1984 ; Duclos, 1998), le caractère spontané et gratuit des violences exercées par les chasseurs est sujet à caution. L’analyse des conditions institutionnelles du conflit sur la chasse au gibier d’eau (I) permettra de comprendre la multiplicité des formes du recours à la violence par les chasseurs du marais de Brière (II) et les significations qu’ils donnent à cette radicalisation puis à la pacification de leur protestation (III).

Les ressorts d’une protestation radicale

7Le recours aux actions non conventionnelles et à la violence n’est qu’un aspect d’une protestation générale des chasseurs et plus généralement des populations rurales, protestation qui a une longue histoire. Les historiens ont mis en évidence les réactions violentes face aux normes imposées par l’État, en matière de chasse, d’usage de la forêt ou de recrutement du contingent tout au long des xviiie et xixe siècles. Pour l’Angleterre,
Edward P. Thompson (1975), dans son étude sur les origines de la loi de 1723 contre le braconnage, montre bien comment sabotages, vols et actes de braconnage s’inscrivent dans un registre de la protestation populaire ayant pour enjeu la privatisation des ressources de la forêt. En France, les règlements encadrant la chasse au gibier d’eau et la privatisation des zones humides s’opèrent surtout à partir de la deuxième partie du xixe siècle. On peut alors identifier des actions de braconnage de « petits chasseurs locaux » mis en danger par la présence accrue de bourgeois des villes dans ces espaces, ainsi que le déclenchement de conflits qui portent déjà sur les dates d’ouverture de la chasse (Estève, 2006).

8Dans la période récente, les actions de défense de la chasse prennent surtout pour cible les règlements contraignants, issus de deux directives européennes, la directive « oiseaux » de 1979 et la directive « habitat‑faune‑flore » de 1992 (Darbon, 1997 ; Traïni, 2003). L’application de ces directives entraîne une réduction constante des périodes et territoires de chasse dans les zones humides (marais, littoraux, lacs, cours d’eau) où se chassent les canards sauvages. Les chasseurs de gibier d’eau sont ainsi à la pointe de la protestation, qui prend de l’ampleur au tournant des années 1980, lorsque les actions écologistes entraînent une limitation effective des périodes de chasse au nom de l’application de la directive « oiseaux ». Celle‑ci n’a donc pas un effet direct, mais plutôt une influence décalée, lorsqu’elle est utilisée avec succès par les militants écologistes. Dans différentes régions françaises, les chasseurs s’engagent dans des mouvements de protestation en même temps que les écologistes mènent avec succès des actions juridiques auprès des tribunaux administratifs. Face à des écologistes issus en grande partie des professions intellectuelles et privilégiant l’expertise (Ollitraut, 2008), les chasseurs jouent, eux, la « force du nombre » et l’ancrage sur le terrain. On ne peut donc pas dissocier la protestation des chasseurs de la mobilisation concomitante des militants écologistes : tant par le contenu que par les formes déployées, ces deux revendications d’usages concurrents des espaces ruraux sont à lire en parallèle, à inscrire dans le même « espace des mouvements sociaux » (Mathieu, 2007).

S’organiser pour défendre la chasse au gibier d’eau

  • 6 . Pour J.‑C. Chamboredon (1982, p. 247), nous sommes passés « du petit notable local ami du peuple, (...)
  • 7 . Le parallèle avec la pêche à pied, autre loisir populaire soumis à une redéfinition de sa pratiqu (...)

9La chasse au gibier d’eau est une activité caractéristique des zones rurales de peuplement ouvrier : elle est surtout pratiquée dans les régions industrielles bordant la façade atlantique et la Manche. Les amateurs de « sauvagine » sont par exemple nombreux dans le territoire dit de « la baie de Somme » ou encore en Gironde. Souvent, il s’agit de salariés
d’exécution, de petits commerçants et artisans vivant dans des villages ou dans les petites communes industrielles des espaces ruraux. Occupant en général plutôt des positions professionnelles stables (cdi, emploi à statut, forte qualification) ils sont souvent propriétaires de leur maison. Aller à la chasse le week‑end ou le matin lorsque l’on est du soir à l’usine, c’est montrer une capacité à mettre en scène une relation au territoire. Cette pratique constitue, jusqu’à une période récente, l’un des signes d’appartenance aux classes populaires établies, qui peuvent se permettre une vie hors travail, source d’honorabilité populaire (Weber, 1989). Mais, depuis la fin des années 1970, les contraintes à la pratique se multiplient (réduction des territoires et des périodes de chasse, déclin du gibier sauvage, essor de nouveaux usages urbains des espaces ruraux, crise de légitimité d’une pratique prédatrice dans un contexte d’essor de l’écologie, etc.) ; et on peut faire l’hypothèse d’une prolétarisation et disqualification progressive de la pratique de la chasse aux canards depuis une trentaine d’années. Le symbole de ce resserrement social et de cette stigmatisation culturelle est l’absence des membres de la petite bourgeoisie culturelle dans les réseaux de chasse au gibier d’eau : auparavant figure classique des sociétés de chasse, l’instituteur est désormais plutôt le porteur local d’un discours antichasse6. C’est dans ce contexte d’une remise en cause de la chasse comme pratique rurale légitime7 que l’on peut comprendre la mobilisation des chasseurs au cours des trente dernières années.

10L’organisation militante des chasseurs de gibier d’eau se structure dans les bassins industriels des départements ruraux dans les années 1990 et 2000. La principale association, l’Association nationale des chasseurs de gibier d’eau (ancge) compte près de 14 000 adhérents en 2006 avec une concentration dans les départements de la façade maritime du Nord. L’autre association majeure, l’Union nationale de défense des chasses traditionnelles françaises (undctf, qui devient, après sa dissolution en 1999, l’Union nationale des associations de chasseurs d’oiseaux migrateurs) est davantage structurée dans le Sud‑Ouest. À l’image du « Comité de défense de la chasse à la tourterelle dans le Médoc », différents groupements locaux apparaissent à partir des années 1980. Cette énumération vise à souligner qu’il n’y a pas une seule organisation qui aurait le monopole symbolique de la représentation des chasseurs protestataires. La mobilisation des « sauvaginiers » repose sur des associations peu structurées, organisées autour de sites de chasse ou même par communes. Ces « associations » ou « comités » locaux, fortement décentralisés, sont mis en place lors des périodes de mobilisation afin d’organiser les actions et, parfois, d’apparaître comme des organisations représentatives des chasseurs auprès des pouvoirs publics. Leurs responsables peuvent s’affilier à une association nationale, comme l’ancge ou l’undctf, mais la plupart des chasseurs mobilisés n’ont pas connaissance de cette affiliation. Cette question est en effet plutôt secondaire pour eux : ce qui fait sens, c’est surtout l’association communale de chasse à laquelle ils sont réglementairement attachés pour pouvoir chasser, ou encore le comité local de défense de la chasse mis en place lors des moments forts de la mobilisation.

11Il n’y a donc pas d’organisation unifiée des chasseurs protestataires au sein d’une structure militante centralisée, qui serait présente aux différents échelons territoriaux. Mais, sur le plan des comportements électoraux, on observe une certaine convergence dans les années 1990 avec un soutien aux candidats de Chasse Pêche Nature et Tradition (cpnt), parti créé en 1989. Dans la plupart des régions, cette organisation est cependant peu présente ou, du moins, elle est faiblement structurée : cpnt est surtout un label organisationnel mobilisé ponctuellement lors des scrutins électoraux. Dans les territoires ruraux, ce sont bien des groupements locaux, liés ou non à des associations nationales dites « spécialisées » de la chasse au gibier d’eau, qui sont au cœur des mobilisations collectives. Ces associations ont des noms différents, des modalités d’adhésion variées, plus ou moins lâches. Souvent leurs adhérents soutiennent cpnt lors des scrutins politiques. Ce point organisationnel est important car on ne peut pas comprendre le recours à des actions non conventionnelles si on n’a pas à l’esprit cette situation de décentralisation des structures associatives de défense de la chasse.

  • 8 . Cette sociographie sommaire repose sur l’analyse des demandes de visas et de validation des permi (...)

12Ces tendances générales se retrouvent dans le site enquêté. La Loire‑Atlantique est un département en partie rural, parsemé d’entreprises industrielles, où 17 000 chasseurs sont recensés en 2005 (dont 9 000 chasseurs de gibier d’eau). Le marais de Brière, situé entre la Loire, l’océan et le Morbihan, est une zone de chasse particulièrement prisée (Ménanteau, 2002). Il constitue aussi un territoire très ouvrier : la plupart de ses habitants travaillent dans les entreprises du bassin industriel de Saint‑Nazaire, en particulier dans la construction navale et aéronautique. Différentes sondes sociographiques auprès des chasseurs8 font apparaître des profils sociaux majoritairement ancrés dans le monde du travail manuel : il s’agit surtout de salariés de l’industrie, d’ouvriers artisanaux et de petites entreprises, auxquels s’ajoutent des commerçants et petits entrepreneurs de l’artisanat. Au milieu des années 2000, on compte environ 1 500 chasseurs dans le marais (dont 800 chassant le gibier d’eau). Une singularité locale doit être mentionnée : les 7 000 ha du centre du marais sont en indivision, ils constituent la propriété collective des habitants des 21 communes dites briéronnes. Ce marais indivis est géré par une commission syndicale où siège un élu de chacune de ces communes. La réglementation concernant la chasse et la pêche fait partie des missions de cette commission syndicale.

13En Brière, comme dans les autres régions de chasse aux canards, c’est surtout à partir des années 1980 que les activités de chasse sont de plus en plus limitées. Débutant initialement à la mi‑juillet, la date d’ouverture de la chasse est progressivement reculée jusqu’au mois de septembre. Les chasseurs locaux comprennent d’autant moins cette situation qu’ils estiment être à l’origine du maintien du caractère humide de la zone. Ils ont en effet travaillé à l’établissement de réserves de chasse dans les années 1950 et 1960 afin de s’assurer la reproduction du gibier, tout en s’opposant à la même période à différents projets agricoles et immobiliers visant à assécher le marais. Surtout, les familles locales ont participé à des luttes au xixe siècle contre son aménagement par une compagnie privée (Estève, 2006 ; Le Marec, 2008) afin de maintenir un usage collectif de ses ressources (pacage, tourbe, pêche, chasse). Le souvenir de ces luttes, marquées par des actions violentes (sabotage, attaque des ouvriers chargés de l’assèchement, émeute avec fusils, fourches et bâtons) qui nécessitèrent l’intervention de l’armée, joue un rôle important dans la légitimation du recours à la violence au tournant du xxe siècle.

« Nous ne nous nourrissons pas de mots mais de faits »

14Avant d’analyser davantage leurs actions protestataires, il est important de revenir sur l’image d’un recours naturel à la violence des chasseurs. Dans les représentations communes, les chasseurs seraient en effet des hommes « par nature » violents, ce qui expliquerait le type de loisir auquel ils s’adonnent. Ils auraient alors un usage attendu de la violence dans leur protestation. Certes, le recours à la violence dans la protestation des chasseurs renvoie à une culture de la chasse, qui repose sur le « culte du groupe et des valeurs viriles » (Bozon & Chamboredon, 1980, p. 77). La violence est très présente dans la pratique quotidienne de la chasse : possession et usages des armes, virilité masculine, rapport à la mort, dureté physique du loisir, etc. Mais ce serait une erreur que d’homogénéiser le groupe des chasseurs et de confondre les diverses formes de leur engagement. Une telle approche culturaliste tend à voiler les différences sociales dans l’exercice de la chasse et dans les significations accordées à cette pratique alors que de telles différences sociales ont des conséquences sur le rapport à l’action collective.

15Les réseaux de défense de la chasse constituent un espace de luttes traversé par des conflits récurrents entre différents types de chasseurs (gibier d’eau, chasse de terre, chasse à courre, etc.), mais aussi entre responsables des fédérations de chasse souvent issus des classes dominantes en milieu rural (exploitants agricoles et professions libérales notamment) et « base » des chasseurs. Cette situation conflictuelle se traduit par une diversité d’organisations de défense de la chasse et par des luttes internes au sein de ces organisations. L’histoire de la mobilisation des chasseurs du marais de Brière est ainsi marquée par des conflits entre les chasseurs locaux, issus des milieux populaires, et les responsables des instances départementales de gestion de la chasse, souvent employés par la fédération et issus de milieux sociaux plus aisés. Les divergences portent surtout sur les modalités d’action. Du côté de la fédération des chasseurs, l’accent est mis sur les études scientifiques, le lobbying au sein des instances publiques et l’investissement de la scène politique. « Les urnes plutôt que la rue », tel pourrait être leur mot d’ordre, qui privilégie le combat électoral avec cpnt et les actions conventionnelles. Les dirigeants de la fédération entendent ainsi faire respecter les dates d’ouverture même s’ils sont en désaccord avec celles‑ci. Du côté des Briérons, de nombreux chasseurs refusent la « passivité » des « légalistes » et s’engagent dans actions massives sur la voie publique. Ils importent un savoir‑faire militant de l’univers industriel et mobilisent une rhétorique non seulement « ruraliste » mais aussi « ouvriériste » (Mischi, 2008). Lors de parties collectives et illégales de chasse, les chasseurs locaux s’affrontent parfois aux gardes‑chasse appointés par la fédération.

  • 9 . Tract des comités de défense de la chasse de Loire-Atlantique, non daté (date probable : printemp (...)

16Du côté des chasseurs du marais, cette opposition est mise en scène dans un registre valorisant l’action directe et « la base », contre des « dirigeants » qui « magouillent dans leurs grands bureaux ». Ces « privilégiés » sont vus comme éloignés « du terrain » et des « petits chasseurs » des sociétés communales de chasse. « Paresseux », ces « riches chasseurs » ont peut‑être les mêmes objectifs que les chasseurs du marais, mais ils ne se donnent pas les moyens de lutter et acceptent la situation. Ils se détournent du « terrain » au profit des « discussions de bureaux ». Lorsque les dirigeants de la fédération se présentent aux élections sous l’étiquette cpnt, ils reçoivent alors un appui à la fois important et très critique de la part des chasseurs mobilisés. Le tract qui circule dans le marais au printemps 1992 est explicite : « Aujourd’hui, les mêmes dirigeants qui ont eu besoin de nous aux élections régionales n’en finissent pas de nous manipuler et de nous tromper9 ». « Nous ne nous nourrissons pas de mots mais de faits », mentionne également l’auteur du tract, qui relate une réunion houleuse avec les représentants de la fédération venus dans le marais pour appeler à voter cpnt. Lors de cette réunion, un chasseur prend la parole afin de justifier la radicalisation de la protestation :

  • 10 . Compte rendu de la réunion entre le comité de défense et l’adcge, Saint‑Lyphard, le 1er février 1 (...)

« Deux méthodes sont en route pour défendre la chasse. Toutes deux sont bonnes, mais on a tendance à craindre ceux qui agissent sur le terrain plutôt que ceux qui agissent en écrivant. […] Cela fait bientôt quatre ans que je dis à la Fédé qu’il va se passer quelque chose, car la base est mécontente et il faudrait descendre l’écouter. Pourquoi est‑elle aujourd’hui sur le terrain ? Parce qu’elle n’a pas été écoutée10 ».

  • 11 . Chasser en Loire‑Atlantique, no 19, juin 1992.

17La situation est tendue et s’aggrave au cours de l’été, car les responsables fédéraux dénoncent les modes d’action « violents » des chasseurs briérons ; ces derniers sont qualifiés de « voyous », « casseurs », « terroristes », ou encore de « preneurs d’otages » par les dirigeants de leur fédération départementale11. Le leader du comité de défense des chasseurs du marais est par exemple dénoncé pour l’organisation d’un « racket quasi systématique des automobilistes au pont de Saint‑Nazaire » lors des actions de blocage filtrant du pont qui relie les deux rives de l’estuaire.

18Ces dissensions au sein de la lutte des chasseurs soulignent que la violence de leur protestation n’est pas liée spécifiquement au statut de chasseur, elle renvoie aussi à des positions institutionnelles dans le monde de la chasse, elles‑mêmes liées en partie à des appartenances sociales. La violence des chasseurs du marais peut même se retourner contre la fédération des chasseurs. Une rhétorique de classe valorisant l’action directe peut être dirigée contre les instances de la chasse dont les responsables sont décrits comme des « bourgeois » suffisants, caricaturés dans les tracts comme des hommes ventrus et pervers. Il est bien sûr difficile de faire la part des choses entre ce qui vient de leur statut de chasseurs d’une part, et de leur appartenance aux classes populaires d’autre part. L’ethos ouvrier et la culture propre aux chasseurs de gibier d’eau jouent probablement ensemble. Et ces deux cultures ont des points communs, notamment une certaine mise en scène de la virilité masculine et une valorisation de la force physique. Celle‑ci est une ressource sur le marché du travail en tant que « force de travail », elle l’est aussi pour la chasse en zone humide qui est particulièrement exigeante du fait de la dureté de ses conditions d’exercice. Forgé dans l’apprentissage du travail manuel, l’attachement ouvrier à la force physique et aux valeurs de virilité (Willis, 2011 ; Bourdieu, 1979) se traduit par une virulence des échanges, des rixes langagières notamment (Hoggart, 1991 ; Lepoutre, 1997). Il alimente un rapport au politique qui engage profondément le corps, avec une exposition des ressources corporelles (Sommier, 1993), une valorisation de la capacité à parler fort (Beaud & Pialoux, 1999, p. 300‑332) et une violence de transgression lors de certains conflits ouvriers (comme pour les luttes très violentes de la sidérurgie lorraine de 1979 et 1984 : Montlibert, 1989).

  • 12 . Parmi les éleveurs et les viticulteurs, le culte de la force physique et des valeurs viriles cond (...)

19La radicalité de la protestation des ouvriers chasseurs du marais de Brière est à mettre en relation avec des valeurs collectives de classe acquises dans les rapports au travail industriel. Les ouvriers locaux travaillent dans d’immenses ateliers où ils fabriquent avions et paquebots. Les formes de la contestation des chasseurs du marais ne sont pas dissociables d’un ethos ouvrier, qui se manifeste aussi dans les luttes sociales12 : les ouvriers du marais sont à la pointe des conflits violents qui secouent régulièrement Saint‑Nazaire, en particulier dans les années 1950 et 1960. La place centrale des ouvriers briérons dans les conflits durs de la métallurgie, puis de la chasse, est sûrement à rapprocher de leur situation d’ouvriers ruraux. La socialisation juvénile et masculine autour des jeux de force et des sorties en bande dans le marais forge un rapport au corps que l’on retrouve dans les actions militantes. En outre, un certain apprentissage de l’illégalité s’opère dans la socialisation liée à la chasse : chasser avec son père avant l’âge légal de 16 ans, laisser tirer un copain de passage avec son arme, etc. Enfin, le statut symbolique de chasseur joue probablement aussi dans la radicalité des modes de protestation, car il offre le terrain d’une appropriation et d’un retournement de l’image de violence qui leur est attribuée : « On passe pour des violents, donc on ne va pas se gêner », « Comme chasseur, on est des tueurs ! De toute façon, on est des tueurs ! ».

Les formes concrètes du recours à la violence

20Pour bien comprendre les enjeux du recours à la violence dans les actions contestataires, il est essentiel de ne pas s’intéresser seulement aux discours. Se satisfaire de l’étude des revendications serait réducteur, car la violence est l’expression pratique d’un mécontentement. Les significations de son usage sont à rechercher non seulement dans l’étude des registres mobilisés par les chasseurs, mais également dans l’analyse de leurs pratiques. Ceci est d’autant plus à rappeler que l’usage de la violence vient souvent compenser une insatisfaction devant des modes d’expression davantage discursifs (pétitions, réunions publiques, déclarations à la presse, lobbying, etc.) ou devant l’impossibilité d’exprimer son mécontentement.

La violence et sa mise en scène

21Lorsque l’on cherche à rendre compte de la dimension violente d’une protestation, on se trouve devant une première difficulté, celle de ne pouvoir distinguer recours effectif et usage symbolique de la violence. Quand un guide naturaliste voit ses barques incendiées ou lorsqu’un chasseur met en joue un garde‑chasse, ne sommes‑nous pas déjà devant des actes violents ? Il s’agit bien de mises en garde, qui annoncent une prochaine violence physique sur les personnes, mais pour les acteurs concernés, ils sont confrontés à une mise en danger. On le voit à travers ces exemples : en réalité, la distinction entre usage symbolique et effectif de la violence n’a souvent pas lieu d’être. La mise en scène symbolique de la violence fait partie des dispositifs contestataires violents. Le caractère violent des actes menaçants ne fait pas de doute pour ceux qui en sont la cible (le guide et le garde‑chasse) ni pour ceux qui les produisent à dessein. Il semble donc plus pertinent d’évoquer un continuum de pratiques non conventionnelles de protestation au sein duquel la menace du recours à la violence constitue un élément central.

  • 13 . En avril 1999, un incendie ravage la paillote Chez Francis construite dans l’illégalité en bord d (...)

22Cette référence à un recours possible à la violence occupe une place importante dans le matériel militant diffusé par les chasseurs du marais de Brière. Elle prend la forme d’une référence à la Corse (la Brière est surnommée localement « la petite Corse »). Ainsi, en 1999, lors de l’affaire dite des paillotes en Corse13, un tract intitulé « La Brière en danger », appelant la population à venir à l’assemblée générale de la commission syndicale, s’appuie sur ces événements (Voir l’annexe 1 sur le site de la revue : http://sociologie.revues.org). Il s’achève par l’adage local : « Briéron maître chez lui » suivi de « sinon attention aux paillotes ! ». Ces menaces ont d’autant plus d’impact qu’elles ne sont pas sans fondement : quelques mois après la diffusion du tract, des établissements publics sont effectivement incendiés. Les menaces peuvent être véhiculées par des tracts anonymes signés « les chasseurs en colère » ou « la Résistance briéronne ». Elles peuvent aussi être directement produites oralement lors de rassemblements. Les assemblées générales de la commission syndicale sont le lieu par excellence de l’expression des menaces visant les élus. Là aussi, comme sur les tracts non signés, il ne s’agit pas de menaces proférées à titre individuel, mais de menaces produites au nom d’un collectif, celui des chasseurs en colère. Souvent debout, après la dernière rangée de chaises, ils n’utilisent pas les micros mais profèrent huées et insultes sans toujours attendre leur tour de parole.

23C’est le cas lors de l’assemblée de janvier 2000 consacrée à la question sensible de la gestion des réserves de chasse par les services de l’État. Les élus commencent à voter mais les chasseurs présents en nombre demandent l’annulation du scrutin, car ils s’opposent à la pratique du vote à bulletin secret. Un chasseur saisit l’urne et la jette dans la salle. Les cris fusent : « Vous ne quitterez pas la salle tant qu’il n’y aura pas eu un vote à mains levée », « Les usagers doivent décider ! », « La Brière a toujours appartenu aux Briérons ! », « Vous confondez Brière et tourisme. Nous, les touristes, on n’en veut pas ! », etc. Cette scène est vécue comme un événement violent du point de vue des élus pris à partie mais aussi des chasseurs eux‑mêmes, bien conscients de la pression qu’ils exercent dans ce type de situation.

24Sur cette question de la mise en scène symbolique de la violence, il faut évoquer la violence des invectives. Dans leur lutte, les chasseurs mobilisent en effet des référents considérés comme violents, car ils ne sont pas utilisés lors des disputes « ordinaires ». C’est le cas en particulier des références à la Seconde Guerre mondiale et au fascisme. Les opposants sont des « nazis ». Ceux qui ne les soutiennent pas sont qualifiés de « collabos ». Les représentants de la puissance publique (préfet, gardes‑chasse) sont des « ss ». Ces insultes sont proférées dans les confrontations publiques mais aussi utilisées dans les tracts avec des caricatures des adversaires en soldats allemands. La sexualité est une autre thématique récurrente : tel responsable de la fédération des chasseurs est représenté avec un sexe amputé et « en attente de prothèse » (Voir l’annexe 2 sur le site de la revue : http://sociologie.revues.org). Derrière les références sexuelles, ce sont souvent les femmes qui sont visées. L’opposition de certains chasseurs à Dominique Voynet, militante écologiste et ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement de 1997 à 2001 est à rapprocher de l’acharnement à l’encontre d’Édith Cresson, ministre de l’Agriculture de 1981 à 1983, de la part de certains agriculteurs (Guillemin, 1984) ou encore de l’aversion que suscite Nicole Notat, secrétaire générale de la cfdt de 1992 à 2002, auprès de certains ouvriers syndicalistes (Beaud & Pialoux, 1999, p. 398).

  • 14 . À Saint‑Nazaire, des femmes, souvent originaires des pays de l’Est, sont en particulier embauchée (...)

25L’accent sexiste de la protestation des chasseurs s’inscrit dans une camaraderie masculine, qui peut être forgée dans le travail et consolidée dans les activités de chasse, lieu d’un entre‑soi masculin. La chasse apparaît comme un « domaine réservé » pour les hommes entre le travail et famille (Schwartz, 1990, p. 319‑377). Elle est d’autant plus investie sur ce mode de l’entre‑soi masculin que le virilisme ouvrier est par ailleurs remis en cause avec la dévalorisation de la force physique comme force de travail (Beaud & Pialoux, 2002 ; Pillon, 2011). La transformation du travail ouvrier, l’essor des emplois de service, la progression du chômage ouvrier, l’arrivée de femmes dans les ateliers14 et la diffusion par l’école d’autres manières d’être sont autant de processus qui nourrissent une crise de la masculinité ouvrière. De façon symptomatique, la partie de chasse offre non seulement l’occasion d’une démonstration virile qui a de moins en moins d’appui dans le monde du travail, mais aussi d’usages collectifs de l’alcool qui sont de plus en plus proscrits sur le lieu de travail.

  • 15 . Slogan que l’on retrouve, par exemple, dans les paroles de Tandem, groupe de rap originaire de Se (...)

26Le virilisme exacerbé de la protestation des chasseurs peut se lire comme une réaction à cette crise de la masculinité ouvrière en milieu rural, crise qui se traduit par une fragilité des jeunes sur le marché matrimonial et sentimental (Renahy, 2005). Le rappel des fonctions sexuelles est une manière de mettre en avant un principe de domination masculine face à une domination économique et culturelle (Gaubert, 1995). À l’instar du goût des « combats de rue » dans les bandes de jeunes de milieux populaires (Mauger, 2006), la virilité des garçons est d’autant plus affirmée dans des émeutes urbaines ou des protestations rurales, qu’elle semble avoir partiellement perdu de sa valeur aux yeux des filles et des employeurs, et qu’elle est un dernier ressort à la cohésion du groupe. À l’image d’un sexisme revendiqué, les slogans des chasseurs sont illégitimes par rapport aux normes dominantes. Lorsqu’un chasseur écrit sur la pancarte « L’Europe est un joli trou du cul. La France en est sa plus belle merde », on retrouve une violence verbale, proche de celle qu’exprime sur la scène musicale un certain rap, avec des expressions du style « Je baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime15 ».

27La dimension violente des invectives provient des référents mobilisés mais aussi des formes de leur diffusion. Les insultes sont par exemple d’autant plus violentes qu’elles sont inscrites de nuit sur les bâtiments. Ainsi, durant l’été 2001, des menaces de mort (en patois local) sont peintes sur les murs d’une mairie. La pression s’accroît quand ce sont les maisons individuelles qui sont la cible des graffiti, comme en 1998, lorsque des injures et une croix gammée sont dessinées avec du goudron bitumeux sur la façade de la maison d’un élu. Dans le recours à la violence, dispositifs pratiques et éléments discursifs sont donc étroitement mêlés. La dimension symbolique de la violence est essentielle, que ce soit du fait du rôle des menaces ou du type de référents mobilisés.

28À ce stade de la présentation des actions des chasseurs du marais de Brière, il peut être intéressant d’aborder la question de la médiatisation de la violence. Si cette question est centrale en sciences sociales, c’est peut‑être en raison de la source la plus souvent mobilisée lorsque l’on s’intéresse aux mobilisations violentes : la presse écrite. À défaut de données d’observation, la radicalité des formes de la protestation peut alors être réduite à des objectifs de médiatisation. Or, les logiques du recours à la violence pour les chasseurs échappent pour beaucoup à cet objectif. Souvent, leur recours à la violence ne vise pas à obtenir une forte visibilité de leur lutte. Il n’engage que les commanditaires et les victimes, sans souci de médiatisation. On suit donc en cela Isabelle Sommier (1993) lorsqu’elle explique que le recours à la violence (lors des actions spectaculaires de la cgt) ne peut être réduit à la question de la médiatisation, car beaucoup d’actions échappent aux feux de l’actualité. Fréquemment, le recours à la violence des chasseurs ne vise pas à faire connaître la lutte, mais bien à faire pression sur les adversaires ou à consolider les rangs des protestataires. C’est particulièrement le cas lorsque la « loi du silence » s’exerce à l’encontre des témoins d’actes illégaux, comme lors d’incendies d’établissements publics.

L’organisation militante de la violence : les « ouvertures sauvages »

29De l’extérieur, la violence des chasseurs peut apparaître comme l’expression d’une force non maîtrisée et irréfléchie. Mais lorsque l’on prend au sérieux les pratiques et les discours que tiennent ses acteurs, on voit bien les significations qu’elle revêt et l’organisation qui la rend possible. La violence de certains chasseurs constitue une forme d’expression militante, certes non légitime pour de nombreux d’observateurs, mais bien conçue par ses protagonistes comme une protestation dirigée vers les pouvoirs publics, comme une manière de revendiquer des droits collectifs. À l’instar des violences paysannes, elles sont plus sous contrôle que ne le laissent croire les perceptions concernant leur caractère spontané. Loin de constituer l’expression sans limites d’un ras‑le‑bol, la violence est intégrée à un dispositif contestataire. Cette organisation militante est peu perçue par les commentateurs, car elle est prise en charge par des groupements informels et non par des organisations dites « représentatives ».

30Les « sorties » collectives de chasseurs dans le marais avant l’ouverture officielle constituent le cas le plus emblématique des actions protestataires, qui peuvent apparaître comme une expression de violence non maîtrisée, alors qu’il s’agit en réalité d’une action relativement encadrée. Ces ouvertures « sauvages » se déroulent à partir du 14 juillet, date « traditionnelle » d’ouverture, puis chaque dimanche jusqu’à l’ouverture officielle. Cette pratique peut être vue comme du braconnage, car ces chasseurs semblent continuer leur pratique dans un cadre simplement illégal. Or, ces actions collectives de chasse s’insèrent dans une organisation militante : elles sont préparées, conduites et mises en scène de façon protestataire.

31L’« ouverture sauvage » est préparée en amont par des chasseurs qui diffusent quelques jours avant des mots d’ordre. Le jour en question, les chasseurs contestataires se rassemblent vers 4 h 30 sur les bords du marais. Après une dernière mise au point sur les précautions à prendre, ils vont alors chasser en groupes. Aucun chasseur ne doit partir seul. Après la partie de chasse, ils se retrouvent au point de départ où ils prennent un repas en commun et où différentes prises de paroles se succèdent. C’est à ce moment qu’on décide de la suite des actions à mener : dépôt du gibier aux maisons de retraite, distribution de tracts sur les marchés, manifestation en ville, barrage filtrant au pont de Saint‑Nazaire, etc. L’action illégale de chasse s’insère donc bien dans un mouvement de protestation générale, elle n’est pas dissociable des manifestations de rues sur lesquelles elle débouche. L’action est soutenue par des consignes – chasser en groupes, prélever peu de gibier – qui sont diffusées publiquement, notamment par tracts ou déclarations de presse (Voir l’annexe 3 sur le site de la revue : http://sociologie.revues.org). Lors de l’été 1992 par exemple, la saison de la chasse aux canards débute officiellement le 26 juillet, mais un article dans le quotidien local reprend un communiqué de chasseurs qui annonce une « ouverture » le 14.

« L’ouverture pour la chasse au gibier d’eau est fixée au mardi 14 juillet. Rendez‑vous au fossé blanc à 4 h 30 pour l’inscription des participants.

  • 16 . Ouest‑France, 9 juillet 1992.

Le comité de défense des chasseurs au gibier d’eau de la région briéronne ne défendra pas les cas isolés. Une réunion pour définir les différentes actions aura lieu dimanche 12 à Saint‑Malo‑de‑Guersac à 9 h 30 au Pont‑de‑Boisman16 ».

  • 17 . Cité dans la lettre ouverte (de gardes de l’oncf) aux instances départementales politiques et cyn (...)

32En ne voulant pas défendre les « cas isolés », les « chasseurs‑manifestants » s’opposent aux « braconniers » et « viandards », engagés, eux, dans des actions individuelles de chasse au même moment. En mettant à distance les chasseurs qui profitent de l’action collective pour aller chasser en solitaire sans participer au mouvement, ils essaient de se prémunir contre la disqualification du caractère protestataire de leur sortie. Cette disqualification provient des écologistes mais aussi des instances de gestion de la chasse. « La chasse par des individus ou des petits groupes ne saurait évidemment être assimilée au droit de manifester », explique ainsi le directeur de l’Office national de la chasse17. La qualification des actions de chasse comme actes de protestation est un enjeu de lutte au sein même du monde de la chasse et les responsables de la fédération de chasse se portent partie civile lorsque des actions de justice ont lieu à l’encontre des chasseurs. De leur côté, les chasseurs du marais constituent des caisses de solidarité pour soutenir les chasseurs verbalisés.

33La lutte symbolique autour des formes de la protestation se traduit par une tension dans la manière de nommer ces sorties collectives. Les organisateurs travaillent à ce que le terme d’ouvertures « sauvages » soit progressivement délaissé au profit d’ouvertures « traditionnelles » ou « anticipées ». Preuve que ces actions sont militantes, les consignes qui les encadrent vont, dans la dernière période, jusqu’à appeler à « manifester sans armes » dans le marais. Aller en masse dans le marais le jour de l’ouverture souhaitée de la saison de chasse peut suffire dans certains contextes à exprimer son mécontentement.

34Les modalités de la contestation au moment de l’ouverture connaissent en effet des variations. Le recul historique permet de rendre compte de la consolidation progressive d’une forme de protestation : informelle les premières années, les ouvertures « sauvages » s’insèrent petit à petit dans une organisation militante et collective. Dans un premier temps, de la fin des années 1970 aux années 1980, des actions de chasse par petits groupes se déroulent dans le marais. De façon informelle, pendant une période courte, des groupes de deux ou trois chasseurs tirent « pour marquer le coup » sans que leurs sorties s’intègrent dans une organisation préparée à l’avance. Les frontières avec les actes de simple braconnage sont alors faibles. Mais braconner, c’est déjà protester. C’est ce qu’exprime un chasseur lorsqu’il relate ses sorties dans le marais avec son père (traceur de coque aux chantiers navals) et un de ses collègues (soudeur dans la même entreprise) dans les années 1980, alors qu’il est adolescent.

« On allait par groupes de chasseurs. Jamais tout seul. Mais ça ne durait pas longtemps… D’abord, on n’était pas fier, on se sentait en fraude. Et on n’est jamais tellement fier de ça. Un accident de chasse peut arriver à n’importe quel moment. Et, en dehors des périodes d’ouverture, c’est pas bon du tout. Donc on préférait rester une heure, une heure et demie. C’était juste des coups de fusil en l’air. De toute façon on n’allait pas pour… [chasser], car on ne peut pas être tranquille. Et quand t’es pas tranquille, tu ne peux pas chasser. Donc on tirait des coups de fusil en l’air et puis, comme on voyait que ça ne répondait pas beaucoup autour… “On rentre !”. En plus, c’était mal foutu parce que c’était du bouche-à-oreille. Les gars disaient : “Ouais, nous on y va. Ouais, nous on y va.” Mais on pouvait se retrouver tout seul. »

35Les ouvertures « sauvages » sont mises en scène de façon plus protestataire dans les années 1990. Elles sont annoncées par des communiqués de presse et des pancartes installées le long des routes. Elles sont de plus en plus soutenues par des consignes diffusées par des tracts de ce type :

« Manifester avec les armes sur le marais, en faisant un léger prélèvement de gibier et manifester ensuite aux péages sans armes, en gênant le moins possible les touristes. »

36Ces appels sont produits par des « comités » ou « associations » dont les leaders ont acquis un capital symbolique de porte‑parole. La distribution des consignes est en elle‑même un moment important de la protestation comme en juillet 2000 lorsque 200 chasseurs se rassemblent autour d’un rond‑point situé sur la principale route du marais et distribuent un tract :

« Chasseurs de gibier d’eau en colère

Rendez‑vous le 14 juillet à 4 h 30 au pont de Rozé en voiture pour le choix du site. Objectif Ouverture de la Chasse. Départ à Rozé en chaland. Prévoir bottes, pétoire, casse‑croûte, portable et corne de chasse. Une pièce maximum autorisée par chasseur. Fin des hostilités 7 h pile puis retour au point de départ pour la marche à suivre. Service d’ordre assuré. Collaborateurs et viandards s’abstenir. »

37L’organisation militante de la protestation, son caractère désormais massif et public entraînent des risques de sanction supplémentaires. Pour éviter les poursuites judiciaires et la répression policière, la sortie collective ne doit pas être annoncée par un individu clairement identifiable : « Les copains à l’orateur disent dans la foule le rendez‑vous pour la chasse. Comme ça le responsable n’est pas inquiété ». Il est également recommandé de ne plus partir par petits groupes, comme dans les années 1980, mais en un seul bloc. Au paroxysme du conflit, durant l’été 2001, des gendarmes sont présents au point de rendez‑vous et leurs hélicoptères survolent la zone.

Une violence multiforme

38Les ouvertures « sauvages » sont la forme la plus spectaculaire de la mobilisation des chasseurs du marais de Brière. Mais il existe d’autres types d’actions radicales, qui reposent sur l’anonymat et la dissimulation dans un environnement que les protagonistes connaissent bien. Les chasseurs impliqués ne se montrent alors pas en train d’effectuer leur action, car les risques pénaux sont très élevés. Ces actions sont tournées vers différentes cibles : matérielles, animales et humaines. Elles ont également un sens contestataire, politique, donné par l’identité de la cible.

39Mentionnons tout d’abord les incendies de bâtiments. Ils touchent surtout les établissements touristiques, symboles des nouveaux usages du marais qui contraignent les activités de chasse. Le Parc naturel régional de Brière, créé en 1972, est ainsi la cible de plusieurs incendies criminels, notamment du centre d’accueil du parc animalier qui est détruit en 1985 et en 1993. En août 2000, l’observatoire ornithologique du Parc ainsi que le centre administratif sont détruits par les flammes. Cette action est loin de faire l’unanimité parmi les chasseurs locaux, mais les auteurs de l’incendie ne sont pas inquiétés malgré l’audition de plus de 300 personnes et la mise en place d’une cellule d’investigation de dix gendarmes impliquant une mise sous écoute de certains chasseurs. Des auteurs présumés sont bien identifiés, mais les charges sont insuffisantes en raison de la faiblesse des témoignages. Ce qui conduit le procureur de Saint‑Nazaire à évoquer devant les journalistes une « loi du silence ».

40En parallèle des incendies spectaculaires, on peut mentionner d’autres actions routinières : coups de feu tirés sur panneaux et portillons, incendie d’une pelleteuse travaillant au curage des canaux, abattage d’arbres sur le site d’une manifestation touristique, etc. Ces actions impliquent de petits groupes de chasseurs, qui peuvent alors exprimer leur insatisfaction devant l’inefficacité des sorties collectives. Mais beaucoup d’entre eux participent également aux ouvertures « sauvages » et considèrent que ces actes « isolés » sont simplement un autre moyen de protester, complémentaire des actions de masse.

41Lorsque les cibles de la contestation sont les oiseaux eux‑mêmes, l’unanimité des chasseurs se fissure davantage. C’est le cas lors du massacre d’une centaine d’oiseaux protégés dans une réserve en 2001 évoqué dans le préambule de cet article. Les condamnations sont nombreuses, y compris dans les rangs des chasseurs, mais les responsables ne sont pas nommés. La « loi du silence » est une expression de la force du groupe. « Ils n’ont pas lâché le morceau ! », explique un chasseur lors d’un entretien au cours duquel j’apprends ensuite qu’il connaît certains responsables : « fallait mieux pas dénoncer ». Il faut souligner que le massacre se déroule quelques jours après qu’une décision de justice repoussant l’ouverture de la saison de chasse au 1er septembre ait été rendue officielle. Le recul de l’ouverture quelques jours avant la date attendue (celle de l’année passée) favorise le déclenchement d’actions violentes, car l’organisation de la lutte à l’amont n’est pas possible. Le massacre des oiseaux protégés crée un clivage important au sein des chasseurs. Cependant, si trois chasseurs ont été jugés et condamnés (sur la douzaine ayant participé à l’action), ce n’est pas en raison de dénonciations mais des cartouches retrouvées. Cette « loi du silence » est favorisée par une pression sur les « collabos » (Voir l’annexe 4 sur le site de la revue), une mise en scène de la violence au sein même du milieu des chasseurs. Les incendies des huttes sur le marais ou les violences avec armes lors des parties de chasse en sont des expressions.

  • 18 . Lettre ouverte aux instances départementales politiques et cynégétiques de la Loire‑Atlantique (d (...)

42Les cibles des chasseurs ne sont ainsi pas seulement matérielles ou animales, leur violence peut aussi s’exercer à l’encontre de personnes. Ces pressions physiques sont bien sûr exercées d’abord sur les gardes‑chasse qui tentent de verbaliser les contrevenants (destruction des procès‑verbaux, intimidation avec armes, etc.). En juillet 1998, des gardes sont ainsi insultés et frappés par des chasseurs surpris en train de chasser une semaine avant l’ouverture. Sur les cinq chasseurs, trois contrevenants sont nommément reconnus par les huit gardes‑chasse. Néanmoins, l’affaire est classée sans suite dans un objectif de pacification. Face à cette situation, le syndicat des gardes de l’Office national de la chasse engage de nouvelles poursuites. Les gardes expriment à plusieurs reprises leur colère face à l’impunité dont bénéficieraient les chasseurs du marais de Brière. Ils constituent même une association en 1993 afin de rendre public leur mécontentement. L’année suivante, dans une lettre ouverte, ils énumèrent la liste des violences constatées dans le marais et l’absence de poursuites18. Ils regrettent en particulier que la gendarmerie ne les aide pas dans leur action d’autant plus que la zone est très difficile à surveiller en raison de son étendue.

43Un guide de la lpo est en particulier la cible des chasseurs les plus remontés. Ancien employé des chantiers navals et diplômé du Muséum d’histoire naturelle de Paris, cet ornithologue s’installe dans le marais en 1996, avec sa femme. Ses relations avec les chasseurs ne sont pas mauvaises jusqu’à la promulgation de la loi chasse de 2000. À partir de cette date, ses chalands sont défoncés à coup de pioche puis détruits par le feu, ses pneus de voiture crevés, son bâtiment d’accueil incendié, etc. À la nouvelle réglementation de la chasse, s’ajoutent ses projets de développement touristique : il fonde une petite entreprise, « Brière découverte ». Les chasseurs décrivent ce guide de la lpo comme « un promeneur écologique », « pour touristes », qui « cherche à se faire du pognon ». Il diffuserait des « rumeurs négatives sur les chasseurs » lors des visites qu’il organise. Face aux pressions des chasseurs locaux, le guide et son épouse sont finalement forcés de quitter la région.

Les significations du recours à la violence : une « légitime défense »

44Pour les chasseurs les plus mobilisés, le recours à la violence est justifié en interne et également lors des entretiens individuels lorsqu’une confiance est instaurée. « La Brière, elle est en état de légitime défense par rapport à la directive oiseaux », m’explique par exemple le principal leader de la contestation dans les années 2000. Le caractère potentiellement violent de la protestation est mis en rapport avec un sentiment de dépossession, avec une violence provoquée par une Europe lointaine. Face aux « écolos infiltrés dans les ministères » et « puissants à Bruxelles », les moyens à disposition sont limités et le recours à la violence physique en fait partie. Elle est vécue et verbalisée comme une réaction justifiée face à des règlements européens qui s’appliquent sans le consentement de la population locale. Les actions protestataires violentes répondent ainsi aux actions politiques et juridiques des écologistes, elles se calent d’ailleurs sur un calendrier juridico‑politique (période électorale, décisions du tribunal administratif). Comme pour les paysans protestataires étudiés par Nathalie Duclos (1998), la violence physique des chasseurs est à comprendre comme une réaction à une violence symbolique et à un sentiment de dépréciation collective.

Défendre un territoire et son usage « traditionnel »

45Voici ce que l’on peut lire sur des pancartes installées dans le marais ou brandies lors des manifestations au début des années 2000 (Voir l’annexe 5 sur le site de la revue) :

« Briéron viré de son marais le week‑end »

« Perdre ses traditions, c’est perdre son identité »

« Chasseur, pêcheur viré de son marais l’été et le week‑end. Une Brière pour qui ? »

« Tradition au musée. Natura 2000 au bûcher. Briéron maître chez lui. »

46Dans cette lutte autour de l’appropriation des espaces ruraux, les chasseurs mettent en avant leur ancrage territorial. Si leur revendication quant aux usages du marais est légitime, c’est avant tout parce qu’ils y vivent, contrairement aux écologistes, associés au monde urbain. Alors que cette région n’intéressait pas jusqu’ici les « touristes », « urbains » et autres « écolos », ces derniers voudraient désormais les mettre dehors. L’antériorité de la présence sur place est mobilisée face aux écologistes et nouveaux usagers urbains du marais, perçus comme des perturbateurs de la vie rurale :

« On peut comprendre que les gens d’ailleurs, les gens des grandes banlieues aspirent à venir à la campagne. Mais il ne faudrait pas qu’ils oublient qu’on était là avant eux et qu’on n’a pas envie de partir. Et on ne va pas s’effacer devant eux » [ajusteur dans la navale puis dans l’aéronautique, passé en fin de carrière à la maîtrise]

« Je passe plus de temps dans la nature sans fusil qu’avec mon fusil. Je joue un rôle important dans l’équilibre de la nature. Et ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est que des gens qui ne sont pas de la campagne comme nous puissent contester ça » [opérateur sur machine dans l’aéronautique].

47Comme beaucoup d’autres, ce chasseur met en avant un principe de propriété qui ne serait pas respecté dans les espaces ruraux :

« Quand les gens descendent dans la campagne le week-end, il ne faut pas qu’ils pensent qu’ils sont en territoire conquis. Puisqu’il faut savoir que quand ils partent de Nantes, ils ferment leur petit portillon et tout à clef, à double tour, en disant : “Faut pas qu’on vienne chez nous.” Et quand ils descendent à la campagne, partout où ils vont se promener, c’est des territoires qui appartiennent à des gens. Il faut savoir que les territoires sont loués par les propriétaires aux chasseurs pour cette période‑là. »

48Si le marais appartient à ses habitants et aux chasseurs, ce n’est pas seulement en vertu d’une antériorité résidentielle, c’est aussi parce qu’ils l’ont entretenu, parce qu’ils le pratiquent au quotidien. La propriété revendiquée repose sur une pratique effective et ne renvoie pas à une simple possession juridique. Cette conception s’exprime par exemple lorsqu’il est question des huttes de chasse dénommées « bosses ».

« Y en a qui disent que leur bosse leur appartient, je dis : non ! C’est faux ! Elle appartient à celui qui l’entretient mais de là à dire qu’elle t’appartient, non. La Brière, elle appartient à personne. T’en es responsable peut‑être » [conducteur d’installation dans une carrière].

  • 19 . Pour le cas de la baie de Somme, voir Y. Raison du Cleuziou (2007).

49Les craintes exprimées en entretien par ce chasseur illustrent une peur face à la transformation d’un environnement familier au profit des groupes urbains et du tourisme19.

« Tout ça pour quoi ? Pour faire plaisir aux écolos ! Alors qu’on ne les voit jamais en Brière. Moi quand y fait – 2o, – 3o, je ne vois pas un écologiste avec sa caméra. Faut leur faire des chemins, faut leur faire des cabanes pour regarder les moineaux […] Moi le marais, il me dérange pas. En revanche, pour le tourisme y sont capables de tout faire. Pour les écolos, pour leurs saloperies de moineaux, et pour le touriste ; alors là, y sont capables de nous foutre à la porte ! »

  • 20 . Libération, 27 février 1989.

50Les chasseurs locaux défendent leur passe‑temps « traditionnel », « populaire » face à un usage mercantile du territoire qui provoque une domestication de l’espace sauvage du marais pour les besoins des touristes (« La nature, ça n’est pas un chemin bétonné ! »). En décembre 1988, des chasseurs viennent avec une pelleteuse creuser un trou sur un sentier piétonnier construit par le Parc naturel. Selon l’un des responsables du Parc : « Le chantier est resté en l’état. Mairie, préfecture, personne n’a levé le petit doigt. Ici on ne touche pas aux chasseurs.20 » Il indique alors également que les chasseurs ont obtenu le gel de l’aménagement hydraulique d’un cours d’eau, car ils redoutaient que l’aménagement des berges ne draine trop de touristes l’été.

« Nous ne pouvons procéder aux aménagements nécessaires sans soulever un véritable tollé. Il s’avère malheureusement difficile de prendre certaines décisions quand une salle est bourrée de chasseurs. »

Contrôler le marais

51Le territoire et son appropriation constituent l’enjeu de la lutte des chasseurs briérons. Dans leurs discours, l’autochtonie héritée (être né dans la région), construite par les alliances matrimoniales ou mise en scène par les activités de loisir (aller dans le marais, pêcher, etc.), occupe une position centrale. L’appartenance territoriale est aussi une ressource mobilisée dans l’action militante, car l’espace (résidentiel et récréatif) est à la fois un lieu de vie et un lieu de protestation (sur cet emboîtement, voir Ripoll, 2004 ; Hmed, 2008). Le marais de Brière est l’objet et le cadre du conflit.

52Protester, c’est aussi contrôler l’accès au territoire convoité. Durant l’été 2000, à la suite du recours initié par l’organisation sur les dates d’ouverture de la saison de chasse, le slogan « lpo, gare à vous ! » est peint en grosses lettres sur une parcelle du marais. L’année suivante, un tract local intitulé « Non à la lpo en Brière » est diffusé dans la région et certains chasseurs décident « l’interdiction » du marais aux sympathisants de l’association (Voir l’annexe 6 sur le site de la revue). Un panneau est installé indiquant : « lpo et Bougrain‑Dubourg interdits en Brière ». Privés de leur loisir, les chasseurs cherchent à contraindre aussi les pratiques de leurs adversaires : « Aujourd’hui on a plus notre place sur le terrain l’été et eux n’ont plus la leur non plus. » Les ouvertures « sauvages » et la pression exercée sur les éventuels usagers du marais sont des actes de prise de possession matérielle et symbolique du territoire. Contrairement à la plupart des actions militantes qui visent l’appropriation d’un territoire extérieur (une rue, un bâtiment), l’action se déroule sur le territoire familier des manifestants. Il ne s’agit pas d’envahir l’espace urbain à la manière des manifestations paysannes (Champagne, 1984), mais de préserver un contrôle indigène du territoire. L’action évoque plutôt le registre des réquisitions et occupation de logements vides (les « squats » étudiés par Cécile Péchu, 2010) même si les campements illégaux en milieu urbain sont en général des intrusions dans des endroits étrangers aux protestataires. Le dispositif protestataire des chasseurs implique aussi des opérations coup de poing à l’extérieur comme lorsqu’ils occupent un local de l’organisation écologiste situé dans les marais salants voisins, en y commettant des actes de destruction (éventration de sacs de sel).

53Les stratégies de contrôle des chasseurs sur le territoire s’opèrent lors des assemblées générales de la commission syndicale de Brière, où ils peuvent travailler à limiter la venue d’usagers extérieurs au marais. En février 2009, les conventions avec les promeneurs (pédestres, équestres, en chaland) qui font payer leurs prestations sont à l’ordre du jour. La tension monte car l’une des associations est la lpo : des invectives fusent du fond de la salle où se tiennent des chasseurs venus en nombre et en treillis. Résultat : les élus ne votent pas la convention avec la lpo, alors que les autres conventions sont signées.

54La confrontation directe avec les citadins s’opère lors des manifestations urbaines. Souvent, lors des rassemblements dans le marais, des voix s’élèvent pour demander le déclenchement d’actions en ville. Et la menace du débordement de la contestation dans le territoire voisin et bourgeois de La Baule est prise au sérieux. C’est ce que regrettent les gardes de l’ofnc lorsqu’ils évoquent les violences qu’ils ont subies en septembre 1991, sans avoir le soutien de leur hiérarchie :

  • 21 . Lettre, op. cit.

« Messieurs… ! Votre laxisme à cette époque précise n’a‑t‑il pas pour cause votre volonté délibérée d’éviter les troubles dans les manifestations équestres internationales de La Baule… ? La « Horde sauvage » ferait certainement désordre au milieu de tout ce beau monde, mieux vaut laisser les Gardes nationaux se dépatouiller à leurs risques et périls que de choquer les âmes sensibles de l’Aristocratie hippique… ! »21

55À l’image des ouvriers en bleus de travail ou des infirmières défilant en blouse blanche (Hassenteuffel, 1993), les chasseurs peuvent défiler hors du marais en habit de chasse (treillis), voire même avec leurs armes de chasse. L’intrusion des chasseurs briérons sur le remblai de La Baule ne passe alors pas inaperçue. De la même manière, le rapport différencié à l’espace rural et à sa faune éclate lorsque les chasseurs tuent des ragondins dans une fontaine de Nantes lors d’un grand rassemblement régional. Espèce invasive et destructrice du marais, les ragondins constituent pour les chasseurs et les habitants du marais un problème. Mais les spectateurs urbains involontaires de la manifestation sont choqués face à ce massacre d’animaux.

L’encadrement de la violence

56Spectaculaire et agressive, la violence des chasseurs n’en exprime pas moins une fragilisation de ce groupe. Elle renvoie à la perte d’influence des chasseurs dans leur territoire, à la remise en cause de la puissance diffuse qu’ils exerçaient localement sans avoir besoin de se mobiliser. Jusqu’aux années 1970, non seulement les contraintes sur la pratique étaient plus faibles, mais élus et notables locaux pouvaient chasser, portant ainsi naturellement les intérêts des chasseurs dans l’espace public. Les sociétés de chasse jouaient un rôle important dans la vie associative et politique locale, sans qu’une mobilisation catégorielle soit nécessaire. L’importance des kermesses et ball-traps organisés par les chasseurs ou encore la régularité des tribunes dans les journaux municipaux en sont des signes.

  • 22 . Menées notamment par M. Bozon, J.‑C. Chamboredon & J.‑L. Fabiani (1979) et présentées en partie d (...)

57Le déclin de la pratique de la chasse et son illégitimité grandissante dans les groupes sociaux à fort capital culturel, au sein de la petite bourgeoisie rurale notamment, ont réduit l’efficacité des relais des chasseurs au sein du pouvoir local. C’est sous cet angle que l’on peut comprendre l’irruption récente de violences dans différentes régions de chasse : ces contestations sont le symptôme de la marginalisation d’une fraction de chasseurs et des classes populaires en milieu rural. La pratique de la chasse populaire comme expression d’une appartenance légitime à la société locale, comme forme de récupération symbolique du pouvoir sur un territoire rural de la part d’anciens paysans devenus salariés, tel que cela a été mis en évidence par les études sociologiques réalisées au tournant des années 197022, semble bien en crise. Face au développement de nouvelles pratiques de loisir (randonnée, vtt, promenade en chaland, équitation, visite patrimoniale, etc.) au sein même des populations locales, on observe une démonétisation du « symbolisme d’autochtonie » procuré par cette activité masculine dont les effectifs diminuent, vieillissent et se prolétarisent.

58Expression d’une fragilisation sociale, le recours à des actions violentes est à mettre en parallèle avec le déploiement de stratégies d’accession à la scène politique dans le cadre de cpnt, qui encourage aussi l’intégration des chasseurs aux dispositifs de pilotage des politiques publiques des espaces ruraux (Raison du Cleuziou, 2008). Mis à distance du pouvoir local, les chasseurs ont désormais besoin de conquérir des positions institutionnelles pour exercer une influence politique. Ces deux types de mobilisation – les actions directes d’un côté, l’investissement de la politique institutionnelle de l’autre – ne sont pas à opposer frontalement. Elles peuvent être conjointes. Néanmoins, la politisation de la protestation se fait au détriment du recours à la violence, car la structuration de la mobilisation autour de cpnt entraîne une pacification de la contestation. L’organisation politique, structurée nationalement autour de notables, responsables des fédérations de chasseurs, promeut des actions conventionnelles, y compris dans le domaine juridique, afin de pallier l’inefficacité des actions de masse. Dans la région de Saint‑Nazaire, les militants de cpnt travaillent à la pacification du mouvement au profit du combat électoral. Lorsqu’un militant cpnt prend la tête de la principale association de lutte durant l’été 2001, il donne des consignes pour éviter d’être agressif vis‑à‑vis des spectateurs des manifestations, en particulier des « vacanciers », lors des sorties hors du marais. Les pétards, le jet de farine et œufs sont désormais à proscrire, tout comme le port d’armes. Aux barrages sur les routes succèdent des distributions de tracts sur les marchés.

59Le déclin relatif de la violence au cours des années 2000 est aussi lié à l’efficacité de la répression. Pris en photos lors des actions, certains chasseurs sont convoqués à la gendarmerie et plusieurs subissent un retrait de permis. Selon un mouvement national qui voit la disparition de l’Union nationale de défense des chasses traditionnelles françaises, le Comité de défense des chasseurs de Brière est dissous en 2002 par le tribunal de Nantes pour incitation au braconnage, favorisant les modalités d’actions plus conventionnelles de cpnt.

Conclusion

60Les mouvements sociaux ne se résument pas aux organisations qui les portent et les encadrent. C’est en prenant soin d’observer les formes concrètes de mobilisation dans leur milieu de réalisation que l’on peut être en mesure d’appréhender d’éventuels usages militants de la violence et d’identifier ses conditions d’émergence. Pour le cas des chasseurs, une telle analyse localisée éclaire les aspects radicaux d’une protestation à la lumière de la transformation des sociabilités rurales et ouvrières. Les modalités d’entrée dans l’action collective et le recours à la violence verbale et physique se nourrissent d’expériences quotidiennes qui les rendent légitimes. Contre l’idée d’un processus continu de pacification de la participation politique et d’euphémisation de la violence, les accents violents de la protestation des chasseurs depuis les années 1980 soulignent par ailleurs que des formes de radicalisation des mobilisations sont possibles dans certains contextes, comme l’illustrent dans un autre milieu les cas réguliers d’émeutes urbaines.

61La protestation des chasseurs exprime une lutte pour la maîtrise des territoires ruraux, elle traduit la résistance d’une fraction des classes populaires à une perte d’emprise sur leur espace de vie et de loisir. Un schème principal d’analyse du rapport des classes populaires au territoire est celui de la dépossession, contrastant avec la maîtrise de l’espace associée aux classes supérieures, dont l’un des « privilèges » serait « de pouvoir se ménager dans l’espace des lieux préservés de tout contact avec les classes populaires » (Pinçon & Pinçon‑Charlot, 1989, p. 253). Or, l’enquête menée dans le marais de Brière permet de déceler des formes d’appropriation et de contrôle des espaces de vie par les classes populaires. Les militants ouvriers de la chasse peuvent également lutter, par une surveillance collective et un recours à la violence, afin de maintenir certaines distances sociales et spatiales. Si le rapport des groupes dominés à l’espace se lit essentiellement en termes d’enclavement, les lieux populaires sont également maîtrisés, investis et défendus. Là encore, par certains aspects, le cas des chasseurs ruraux se rapproche de celui des jeunes issus des classes populaires urbaines qui peuvent recourir à la violence pour défendre leur usage des quartiers contre la surveillance des autorités. Appropriation du territoire comme envers de la dépossession sociale et repli des démonstrations de virilité dans les usages de la force physique comme force de combat sont deux processus qui alimentent une mise en scène de la violence populaire dans des espaces urbains et ruraux.

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Notes

1 . « Un guide de Brière harcelé et ruiné par des incendies criminels », Presse Océan, 19 août 2000.

2 . Sur les difficultés à mener une ethnographie de la violence, voir les réflexions méthodologiques et éthiques de G. Lenclud, E. Claverie & J. Jamin (1984), M. Naepels (2006) et C. Lavergne & A. Perdoncin (2010).

3 . À l’autre pôle de l’espace social de la chasse se situe la chasse à courre étudiée par M. Pinçon & M. Pinçon‑Charlot (2003).

4 . Rabattre la protestation des chasseurs sur un « archaïsme » typiquement rural conduit au même réductionnisme culturaliste que l’appréhension de la question des violences urbaines en termes uniquement urbains.

5 . Le travail de terrain s’est déroulé entre 2003 et 2007. Il repose sur des observations de rassemblements publics, des entretiens enregistrés (et souvent répétés) avec 14 chasseurs (des leaders surtout, appartenant à des associations différentes, mais aussi des chasseurs en retrait de la mobilisation) et la consultation d’archives publiques (archives municipales, de la Commission syndicale de Grande Brière Mottière, de la sous‑préfecture de Saint‑Nazaire), privées (documents et photos rassemblés par les militants) et de la presse locale (de la fin des années 1970 à 2007).

6 . Pour J.‑C. Chamboredon (1982, p. 247), nous sommes passés « du petit notable local ami du peuple, lecteur du Chasseur français à l’ami de la nature de sensibilité écologiste ».

7 . Le parallèle avec la pêche à pied, autre loisir populaire soumis à une redéfinition de sa pratique, souligne une autre forme de conflits d’usage des ressources naturelles. La pêche de ramassage sur les littoraux n’est pas rejetée, mais elle est appropriée par des catégories supérieures dans un contexte là aussi de réglementation européenne (Papinot, 2003 ; Chlous‑Ducharme & Lacombe, 2011).

8 . Cette sociographie sommaire repose sur l’analyse des demandes de visas et de validation des permis de chasser de trois communes (Saint‑Joachim, La Chapelle‑des‑Marais, Saint‑Malo‑de‑Guersac) pour les années 1996‑2000. Elle rejoint les constats de L. Ménanteau (2002).

9 . Tract des comités de défense de la chasse de Loire-Atlantique, non daté (date probable : printemps 1992).

10 . Compte rendu de la réunion entre le comité de défense et l’adcge, Saint‑Lyphard, le 1er février 1992.

11 . Chasser en Loire‑Atlantique, no 19, juin 1992.

12 . Parmi les éleveurs et les viticulteurs, le culte de la force physique et des valeurs viriles conduit également certains à admettre la légitimité d’actions violentes qui s’inscrivent dans une tradition revendiquée des révoltes paysannes (Champagne, 1984 ; Roger, 2011). Dans un autre contexte, les usages non conventionnels des manifestations de jeunes gens (cip, cpe) renvoient à l’ethos de virilité propre à certaines fractions masculines des jeunesses populaires des cités urbaines (Gaubert, 1995).

13 . En avril 1999, un incendie ravage la paillote Chez Francis construite dans l’illégalité en bord de mer.

14 . À Saint‑Nazaire, des femmes, souvent originaires des pays de l’Est, sont en particulier embauchées comme soudeuses dans la Navale à partir des années 1990.

15 . Slogan que l’on retrouve, par exemple, dans les paroles de Tandem, groupe de rap originaire de Seine‑Saint‑Denis.

16 . Ouest‑France, 9 juillet 1992.

17 . Cité dans la lettre ouverte (de gardes de l’oncf) aux instances départementales politiques et cynégétiques de la Loire‑Atlantique, décembre 1994.

18 . Lettre ouverte aux instances départementales politiques et cynégétiques de la Loire‑Atlantique (décembre 1994).

19 . Pour le cas de la baie de Somme, voir Y. Raison du Cleuziou (2007).

20 . Libération, 27 février 1989.

21 . Lettre, op. cit.

22 . Menées notamment par M. Bozon, J.‑C. Chamboredon & J.‑L. Fabiani (1979) et présentées en partie dans le dossier d’Études rurales dirigé par C. Bromberger & G. Lenclud (1982), ces recherches insistent sur le processus de « modernisation » de la chasse dans un contexte de dépaysanisation.

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Documents annexes

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julian Mischi, « Protester avec violence. Les actions militantes non conventionnelles des chasseurs », Sociologie [En ligne], N°2, vol. 3 |  2012, mis en ligne le 30 mai 2013, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/1287

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Auteur

Julian Mischi

mischi@dijon.inra.frChargé de recherche, sociologie - inra – cesaer – 26, bd Docteur Petitjean – bp 87999 – 21079 Dijon Cedex

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