Fabien Eloire et Jean Finez, Sociologie des prix (La Découverte, 2021)
Fabien Eloire et Jean Finez (2021), Sociologie des prix, Paris, La Découverte, 128 p.
Texte intégral
1Cette synthèse de la littérature sur la sociologie des prix est la bienvenue. Comme le soulignent Fabien Eloire et Jean Finez en introduction, un nombre conséquent de travaux sociologiques se sont en effet intéressés aux prix ces vingt dernières années alors que la question occupait une place marginale dans le renouveau de la sociologie économique à la fin des années 1980. Cet ouvrage se propose ainsi de présenter l’ensemble de ces travaux avec un accent particulier sur les recherches françaises, même si les principaux travaux étrangers (particulièrement américains) sont également abordés.
2L’ouvrage aurait en réalité pu s’intituler « Sociologie de la détermination des prix », les auteurs annonçant d’emblée laisser de côté les questions liées à l’inflation, à la consommation, ou à la monnaie pour se concentrer exclusivement sur la façon dont s’établissent les prix. Les auteurs défendent cependant une « conception élargie des prix […] pouvant selon la situation prendre le nom de tarif, honoraire, taux, taxe, salaire etc. » (p. 6-7), tous ces termes renvoyant in fine à une même définition des prix comme « la contrepartie monétaire d’un droit d’acquisition ou de jouissance d’un bien, d’un service ou d’une force de travail » (p. 6). Enfin, ils privilégient une entrée empirique mettant en lumière la variété des mécanismes de détermination des prix, même si les apports plus théoriques de la sociologie des prix sont abordés dans le chapitre 1 et au fil des analyses empiriques.
3Le chapitre 1 présente le cadre théorique dans lequel s’inscrit l’ouvrage. Reprenant essentiellement les travaux français, les auteurs caractérisent la fixation des prix comme un ensemble de pratiques sociales de qualification et de valuation des biens s’appuyant sur des procédures de calcul et de jugement et sur des dispositifs métrologiques et de mise en récit. Pour ordonner la profusion de mécanismes de fixation des prix, les auteurs proposent à l’issue de ce chapitre une typologie qui distingue le moment de la fixation des prix (avant ou pendant la transaction) et le degré de concurrence (faible ou fort) et qui donne lieu à quatre grands mécanismes de fixation des prix étudiés dans les chapitres 2 à 5.
4Le chapitre 2 s’intéresse aux prix autorégulés qui sont fixés lors de la transaction et dans un contexte de concurrence. Pour les auteurs, ces prix autorégulés sont ceux qui correspondent le mieux au modèle économique de la concurrence parfaite. L’enjeu du chapitre est alors de mettre en lumière le rôle des acteurs sociaux, comme les traders, et des dispositifs techniques, comme les salles de vente aux enchères ou les algorithmes de trading, dans la performativité de ces théories et la construction sociale d’un « prix de marché ». Le chapitre 3 adopte une démarche inverse en analysant l’administration des prix en amont de la transaction et en dehors de la concurrence. Alors que le chapitre 2 insistait sur le rôle des technologies et des intermédiaires de marché, ce chapitre met en lumière le rôle central de l’État, des organisations professionnelles et du droit dans la détermination des prix. Mais l’administration des prix marque aussi un changement de paradigme, puisque le prix apparaît moins comme le résultat de la « libre » confrontation marchande que comme un instrument mobilisé par les acteurs pour réguler les conduites marchandes et promouvoir des valeurs (égalité entre les professionnels, les consommateurs ou les territoires) qui pourraient être mises à mal par un recours direct au marché.
5Comme leur nom l’indique, les prix composés étudiés dans le chapitre 4 se situent dans une position intermédiaire entre les prix administrés, qui sont également fixés en amont de la transaction, et les prix auto-régulés, qui intègrent les conditions de la concurrence. Les auteurs opposent trois modalités de fixation de ces prix : la première qualifiée d’« artisanale » est mise en œuvre par les « petits professionnels » et repose sur des explorations et des apprentissages qui sont autant comptables (établissement du prix par rapport à d’autres prix, des coûts et des marges) que sociaux (établissement du prix par rapport à des hiérarchies statutaires ou des éthiques professionnelles) ; la deuxième modalité correspond à une rationalisation des prix fixes qui prend appui sur la normalisation des produits, des consommateurs et des scripts de tarification ; la troisième modalité consiste en une singularisation dynamique des prix à travers des algorithmes tarifaires établissant chaque prix à partir d’un calcul conjoint de l’état de l’offre et de la demande à chaque moment du temps. Le chapitre 5 porte sur les prix négociés qui, comme les prix autorégulés, sont fixés au cours de la transaction, mais qui, comme les prix administrés, font l’objet d’une régulation sociale qui tend à limiter l’exercice de la concurrence. Si le marchandage semble au premier abord laisser une place forte aux relations concurrentielles, les auteurs soutiennent, en s’appuyant sur différents travaux anthropologiques et sociologiques sur les prix mais également les primes et les rémunérations, qu’il donne lieu à un va-et-vient entre un encastrement dans des relations sociales et des rapports de force (qui tendent à limiter la concurrence et la capacité de marchandage) et une mobilisation ponctuelle de la concurrence par certains acteurs pour casser les ententes établies précédemment et améliorer leur position sur le marché ou leur rémunération.
- 1 Renaud Fillieule (2008), « La sociologie économique des prix contemporaine : quel apport théorique (...)
6Cet ouvrage constitue ainsi une riche introduction à la sociologie des prix, en offrant un panorama complet et une restitution fidèle des travaux classiques et contemporains sur le sujet, tout cela dans le format contraint de la collection « Repères ». Pour autant, on peut regretter que les auteurs aient adopté une typologie pour organiser la présentation de ces travaux qui soit davantage didactique qu’heuristique. Sur le plan empirique, les frontières entre les quatre modalités de fixation des prix semblent relativement poreuses et certaines recherches présentées dans un chapitre auraient tout autant pu trouver leur place dans un autre chapitre. De fait, le moment de fixation des prix et le degré de concurrence forment un continuum bien plus qu’une alternative binaire, comme le reconnaissent les auteurs en conclusion. Mais plus fondamentalement, cette typologie ne permet pas de mesurer réellement quel est l’apport de la sociologie à la compréhension des mécanismes d’appréciation, en particulier par rapport à la théorie économique. En ce sens, l’ouvrage semble aller dans le sens des conclusions que tirait, en 2008, Renaud Fillieule1, lorsqu’il reprochait à la sociologie économique des prix de se cantonner à la description de la variété empirique des mécanismes d’appréciation au détriment d’une réflexion théorique originale, susceptible de concurrencer ou de dialoguer avec la théorie économique. Pourtant on voit apparaître dans le chapitre 1 et au fil des présentations d’articles, différentes approches théoriques de la fixation des prix qui auraient pu être davantage mises en valeur. Parmi ces différents éléments qui peuvent influer sur la fixation des prix, on peut citer notamment le rôle des réseaux et des organisations sociales, des statuts et des qualités des biens et des acteurs, des lois et des règlements, des instruments et des savoirs, des hiérarchies, des concurrences et des alliances entre acteurs. Tous ces éléments sont présents dans l’ouvrage mais sont dispersés dans les quatre modalités empiriques de fixation des prix plutôt que regroupés selon des approches théoriques.
7On peut également regretter que l’ouvrage ne réponde que partiellement à l’ambition affichée des auteurs de faire des prix un « analyseur des marchés et plus généralement des mutations historiques de l’économie ». En se focalisant exclusivement sur la détermination des prix, l’ouvrage laisse de côté les travaux sociologiques qui lient les prix aux enjeux de consommation, d’accumulation capitalistique, de monnaie ou de transformations des organisations. Si l’ouvrage montre très bien en quoi la fixation des prix s’inscrit dans un ensemble d’agencements socio-techniques, les auteurs n’interrogent pas en retour le rôle des prix dans la distribution de valeurs entre les capitalistes, travailleurs et consommateurs, entre les secteurs industriels ou entre les différents pays. À ce titre, il aurait été intéressant de présenter les travaux de sociologie économique et d’économie politique qui abordent ces effets macro-structurels des prix. Il en va de même pour la question des salaires qui sont inclus par les auteurs dans leur conception élargie des prix mais qui ne sont abordés que dans les dernières pages du chapitre 5 sur les rémunérations des universitaires, des chefs d’entreprise et des sportifs. Outre la relative singularité des cas choisis (des travailleurs à haute valeur ajoutée), le fait de rabattre la détermination des salaires sur celle des prix ou, pour le dire autrement, le marché du travail sur le marché des biens et services, soulève des questions auxquelles tant la sociologie que l’économie du travail ont cherché à répondre. Pour explorer les tenants et aboutissants de cette conception large des prix, il aurait sans doute fallu consacrer un chapitre entier ou une partie de chaque chapitre aux salaires, en soulignant les caractéristiques générales et singulières de ce « prix » du travail.
8Le format court de la collection supposait évidemment d’opérer des choix et ces regrets n’enlèvent rien à la qualité et à l’intérêt de cet ouvrage qui constitue une excellente introduction aux recherches sur la sociologie des prix.
Notes
1 Renaud Fillieule (2008), « La sociologie économique des prix contemporaine : quel apport théorique ? », L’Année sociologique, vol. 58, no 2, p. 383-407.
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Référence électronique
Étienne Nouguez, « Fabien Eloire et Jean Finez, Sociologie des prix (La Découverte, 2021) », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2022, mis en ligne le 11 octobre 2022, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/10648
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