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AccueilNumérosN° 2, vol. 13EnquêtesFaire payer les dettes : le recouvre(…)

Faire payer les dettes : le recouvrement des impayés de loyer chez un bailleur social

Recovering debts: The collect of rent arrears in a social landlord
Camille François

Résumés

Un fait social majeur n’apparaît qu’au second plan des recherches sur l’endettement et le crédit : un nombre important de débiteurs ne remboursent pas leur dette, ou pas mécaniquement. Le remboursement des créances n’a en effet rien d’automatique et fait pour cette raison l’objet d’une activité professionnelle spécifique, le recouvrement. Cet article s’intéresse ainsi aux mécanismes des obligations de crédit, en étudiant le travail de recouvrement des dettes de loyer dans un organisme public de logement social. Nous analysons ce travail comme une entreprise de captation monétaire, se déployant dans un espace institutionnel qui place le bailleur dans une situation de concurrence avec d’autres créanciers pour la captation des ressources des ménages. L’article met en lumière les techniques interactionnelles et les ressources institutionnelles que mobilisent les chargées de recouvrement afin que les locataires endettés privilégient le paiement du loyer, plutôt que d’autres dépenses domestiques, et le remboursement de leurs arriérés locatifs, plutôt que d’autres dettes et créanciers.

Recovering debts: The collect of rent arrears in a social landlord

A significant social fact, often little mentioned in social scientific studies of debt and credit, is that debts are often not repaid, or at least not systematically. The repayment of debts is not automatic, and for this reason is the subject of a specific professional activity, debt collection. This article deals with the mechanics of credit obligations, focusing on the work of collecting rent debts in a public housing agency. We analyze this work as an enterprise of monetary capture and budgetary normalization, rooted in an institutional field that places this social landlord in a situation of competition with other creditors for the capture of household resources. The article therefore highlights the interactional techniques and institutional resources that debt collectors mobilize to ensure that indebted tenants prioritize the payment of rent, over other household expenses, and the repayment of their rental arrears, over other debts and creditors. .

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Texte intégral

1Les relations d’endettement et de crédit font l’objet d’une littérature importante en sciences sociales, à laquelle ont déjà été consacrées plusieurs synthèses historiques et théoriques (Laferté, 2010 ; Lemercier & Zalc, 2012 ; Graeber, 2013). Par-delà la diversité de leurs sources et de leurs méthodes, ces travaux s’accordent sur la place centrale des dettes monétaires dans l’économie quotidienne des ménages à bas revenus, à l’époque moderne (Muldrew, 1998 ; Finn, 2003 ; Fontaine, 2008) et contemporaine (Laé & Murard, 1985 ; Ducourant, 2009 ; Perrin-Heredia, 2010 ; Peretz, 2014). Les recherches ont exploré la diversité des logiques d’endettement en fonction : des caractéristiques sociales des débiteurs et des types de créances (Lacan et al., 2009) ; de la codification juridique et de la régulation judiciaire progressives des circuits de crédit dans le domaine du travail (Mayade-Claustre, 2005) ou de la consommation (Albert, 2012) ; de l’émergence de politiques publiques dédiées à l’extension et à la régulation du marché du crédit bancaire (Lazarus, 2012 ; Bittman, 2018) ou à la prise en charge des situations de faillite personnelle et de surendettement (Clapovitz, 1974 ; Plot, 2011). Sur un plan théorique, ces travaux ont progressivement rompu avec le schème d’un « Grand partage » dans l’histoire du crédit, qui opposait une forme prémoderne ou précapitaliste d’endettement (caractérisée par l’interconnaissance, le localisme, l’oralité, etc.) à la forme marchande et contemporaine du crédit (caractérisée par le désencastrement du marché, l’intermédiation juridique, le règne de l’écrit, etc.), pour mettre en lumière la diversité des modes d’identification économique et d’exécution des obligations que mobilisent prêteurs et emprunteurs (Laferté, 2010 ; Lemercier & Zalc, 2012).

  • 1 Impayés de loyer dont différentes enquêtes permettent de mesurer l’ampleur à l’échelle nationale. D (...)
  • 2 Les arriérés de loyer peuvent être considérés comme une forme – non marchande – de dette et de créd (...)

2Un fait majeur n’apparaît pourtant qu’au second plan de ces travaux sur l’endettement et le crédit : un nombre important de débiteurs ne remboursent pas leur dette, ou pas mécaniquement. Le remboursement des créances n’a en effet rien d’automatique et fait, pour cette raison, l’objet d’une activité professionnelle à part entière, le recouvrement. Or, en dépit de son rôle central dans les relations d’endettement, ce dernier constitue le parent pauvre des recherches sur les dettes et le crédit (Lemercier & Zalc, 2012, p. 1003). Le recouvrement soulève pourtant des questionnements théoriques et empiriques cruciaux pour la compréhension des institutions et des obligations de crédit (Muldrew, 1998), que cet article propose d’explorer à partir d’un cas d’étude : le travail des agents du service du recouvrement des impayés de loyer1 chez un organisme public de logement social2.

3Domaine peu exploré, le travail de recouvrement a néanmoins fait l’objet de quelques travaux (Rock, 1973 ; Matthieu-Fritz, 2005 ; Hochschild, 2012 ; Lacan, 2013 ; Deville, 2014 ; Bittman, 2018). Ces recherches ont appréhendé leur objet de différentes manières : en fonction du type de dette à recouvrir comme le crédit à la consommation (Rock, 1973 ; Deville, 2014), les hypothèques mobilières ou les avances sur salaires (Bittman, 2018) ; en fonction du type de professionnel du recouvrement comme les huissiers de justice (Matthieu-Fritz, 2005), les employés d’une grande entreprise de rachats de crédit à la consommation (Deville, 2014) ou du secteur aérien (Hochschild, 2012). Elles s’appuient sur des sources judiciaires (Rock, 1973 ; Bittman, 2018), des sources bancaires ou d’entreprises (Matthieu-Fritz, 2005 ; Hochschild, 2012 ; Lacan, 2013 ; Deville, 2014 ; Bittman, 2018) et suivent des approches théoriques diverses, d’inspiration interactionniste (Rock, 1973 ; Hochschild, 2012), pragmatique (Deville, 2014) ou d’histoire et de morphologie sociales (Matthieu-Fritz, 2005 ; Bittman, 2018). Par-delà leurs différences, tous ces travaux portent une même attention aux techniques par lesquelles les professionnels « font payer les gens » (Rock, 1973) en s’intéressant notamment aux dimensions émotionnelles du travail de recouvrement. Ce travail a par exemple été décrit par Arlie Russell Hochschild comme l’un des pôles paradigmatiques du « travail émotionnel » (dont le métier d’hôtesse de l’air constitue le pôle opposé), remplissant les trois critères par lesquels l’auteur définit ce concept : « placer l’employé au contact d’un public », « produire un état émotionnel chez un tiers », « exercer un certain contrôle sur les activités émotionnelles des employés » (Hochschild, 2012, p. 167). Le recouvrement se fonde ainsi sur une « compétence relationnelle » (Matthieu-Fritz, 2005) visant « la captation et le management des affects » (Deville, 2014) ou « l’appel à la conscience morale » des débiteurs (Rock, 1973). Le travail de recouvrement a également été resitué dans son environnement économique – comme celui d’un marché des dettes (Deville, 2014) – ou territorial – comme les espaces ruraux marqués par l’interconnaissance (Matthieu-Fritz, 2005). Il a été analysé du point de vue de « l’économie du contrôle social » dans lequel il s’inscrit (Rock, 1973) ou des variations des « modalités d’expression de l’autorité » sur lesquelles il repose (Matthieu-Fritz, 2005).

4Au regard de ces travaux, l’étude du service du recouvrement d’un organisme public de logement social implique plusieurs déplacements de points de vue. Elle conduit tout d’abord à s’intéresser au recouvrement d’une dette particulière : les arriérés de loyer, dont les logiques économiques et domestiques diffèrent des types de dette privilégiés par la majorité des recherches (le crédit à la consommation). Ce cas d’étude permet, deuxièmement, de saisir le travail de recouvrement en amont du contentieux, et donc des sources judiciaires, et ainsi de décentrer l’analyse de la seule question du droit de l’impayé (corpus, procédures, etc.) – le droit s’inscrivant dans un ensemble plus large de techniques de recouvrement, dont il ne constitue qu’un instrument. De plus, confrontant des locataires à leur bailleur, le recouvrement des impayés locatifs s’exerce ici dans une relation directe entre créanciers et débiteurs – et non à travers la médiation d’une entreprise privée ou d’un officier ministériel – et aboutit à un versement monétaire. Plus précisément, étudier le recouvrement des dettes chez un bailleur social offre une configuration où le recouvrement ne se limite pas à une transaction économique mais prend la forme d’une relation d’encadrement institutionnel prolongé et rapproché (Memmi, 2008 ; Voldman, 2016) donnant prise sur le domicile privé et la vie intime des débiteurs. Enfin, le statut juridique particulier des bailleurs sociaux publics permet d’appréhender de manière plus générale l’espace institutionnel du recouvrement : un espace qui ne se limite pas aux acteurs d’un marché (Deville, 2014) et qui place l’organisme de logement social dans une situation de concurrence objective avec les autres créanciers pour le remboursement des dettes.

  • 3 Dispositions individuelles auxquelles les recherches ont prêté une moindre attention, en raison de (...)

5L’article vise ainsi à élucider les mécanismes des obligations de crédit en prenant pour objet le travail de recouvrement que nous conceptualisons comme une entreprise de captation des ressources des ménages endettés. S’inspirant du concept de « captation des publics » développé par la sociologie des marchés de Franck Cochoy (2007), la notion de « captation » permet de souligner la dimension relationnelle et concurrentielle du double espace dans lequel s’inscrit toute interaction de recouvrement : d’une part, l’espace budgétaire des dépenses et des dettes entre lesquelles « jonglent » la plupart des ménages (Guérin et al., 2014) ; d’autre part, l’espace institutionnel des créanciers qui se disputent la priorité du remboursement et les ressources des débiteurs. Cet espace ne se limite pas à un marché ou à un face à face entre créanciers, mais implique une série d’institutions intermédiaires (services sociaux, tribunaux, Banque de France, associations d’accompagnement budgétaire et de médiation comme Crésus, etc.) et de politiques publiques – comme la procédure de surendettement (Plot, 2011), les mesures de prévention des expulsions locatives tels que le Fonds solidarité logement (François, 2017) ou le dispositif des « Points conseil budget » (Lazarus & Morival, 2020) – qui régulent et ordonnent cette concurrence pour le recouvrement des dettes, et affectent l’action du bailleur. Le travail de recouvrement des arriérés de loyer s’appuie ainsi sur un ensemble spécifique de techniques interactionnelles mais également de ressources institutionnelles (relatives à la position du bailleur dans l’espace des créanciers) et de logiques dispositionnelles (relatives à la trajectoire sociale et à la socialisation économique des agents de recouvrement)3.

6En s’intéressant aux procédés par lesquels des locataires en impayés en viennent à payer leur dette, notre analyse répond à une double énigme. Comment les agents de recouvrement des arriérés de loyer parviennent à obtenir des versements d’argent de la part de locataires qui se caractérisent justement par leur manque de ressources ? Et comment ces agents tentent de convaincre ou de contraindre les locataires endettés de rembourser en priorité leur bailleur plutôt que leurs autres créanciers ?

Encadré 1. Enquête et données

Notre analyse se fonde sur une enquête ethnographique réalisée pendant deux mois, à l’automne 2014, auprès du service du recouvrement et du contentieux de l’office HLM municipal d’Havremont, une commune populaire de banlieue parisiennea. L’enquête nous a permis d’observer le travail quotidien des employées du service et, dans ce cadre, une soixantaine de rendez-vous de face-à-face ou téléphoniques (en haut-parleur) entre les quatre chargées de recouvrement et des locataires endettés ayant pour objet la mise en place d’un plan de remboursement de leur dette (« un plan d’apurement »). Nous n’avons pas pu enregistrer ces échanges, que nous nous sommes efforcés de retranscrire le plus exhaustivement sur le moment. Des données comptables sur le volume, l’évolution et la répartition par quartier des arriérés de loyer ont également été collectées, afin de prendre la mesure du fort niveau d’endettement auquel est confronté le bailleur.

a En 2011, les ouvriers et employés représentaient 66 % des habitants de la commune, dont le taux de chômage atteignait 22 % et le taux de pauvreté 39 %. Sur le plan résidentiel, 39 % des ménages étaient locataires du parc social et 30 % de la population résidaient dans une zone urbaine sensible.

7La première partie de l’article décrit le niveau très élevé d’endettement des locataires du bailleur étudié, ainsi que l’organisation du travail de recouvrement en son sein, structuré par une entreprise de captation monétaire des ménages endettés. La deuxième partie analyse trois techniques spécifiques par lesquelles les employées du bailleur essaient, dans l’interaction avec les locataires, de contraindre ces derniers à rembourser leur dette : la signature d’un « plan d’apurement », la pratique de l’enchère descendante et la mobilité résidentielle. La troisième partie montre comment le travail des agents de recouvrement s’appuie sur la position particulière de cet organisme de logement social au sein de l’espace institutionnel des créanciers – organisme qui, en tant que bailleur social public, bénéficie de l’autorité procédurale et symbolique de l’État.

Demander et obtenir de l’argent

Une clientèle très endettée

8Le bailleur social étudié est un Office public de l’habitat (OPH) municipal d’une commune populaire de banlieue parisienne, que nous anonymisons sous le nom d’Havremont. En tant qu’organisme public, la comptabilité des OPHLM est placée sous la tutelle du Trésor public local (la « Recette municipale »), par opposition aux bailleurs sociaux privés que sont les sociétés anonymes d’HLM. L’OPHLM d’Havremont possède sur le territoire communal un parc de 7800 logements, dans lesquels résident près de 30 % de la population de la ville, et emploie un peu plus de 180 salariés, ce qui en fait l’un des plus importants bailleurs sociaux de la région. Son service du recouvrement et du contentieux se compose de six employées, dont l’encadré 2 présente le statut professionnel et la trajectoire sociale.

Encadré 2. Les six employées du service « recouvrement et contentieux »

Anne-Marie M. est responsable du service, fonctionnaire de catégorie A. Née en 1957, fille de petits commerçants et titulaire du brevet d’études du premier cycle (BEPC), elle travaille dans le service depuis 1993 et totalise 31 ans de carrière à l’office où elle est entrée comme gardienne. Elle est mariée à un chauffeur fonctionnaire de la Ville de Paris, avec qui elle a eu trois enfants et a accédé à la propriété pavillonnaire.

Dominique V. est chargée de recouvrement et du contentieux, fonctionnaire titulaire (catégorie C). Née en 1954, fille d’un père manutentionnaire et d’une mère au foyer, titulaire d’un CAP de « sténo-dactylo », elle travaille dans le service depuis 2002 après avoir exercé comme secrétaire dans une entreprise de transport de marchandises. Divorcée, elle a trois enfants adultes.

Maryse P. est chargée de recouvrement et du contentieux, contractuelle. Née en 1968 en Guadeloupe et titulaire d’un baccalauréat commerce, elle travaille dans le service depuis 2008 après avoir exercé comme agent de recouvrement d’une société privée de restauration scolaire. Divorcée, elle vit seule avec ses deux enfants dans un logement social d’une commune du département.

Faïza A. est chargée de recouvrement et du contentieux, contractuelle. Née en 1970 au Maroc, fille d’un père ouvrier spécialisé de l’automobile, titulaire d’un BEP sciences médico-sociales, du certificat d’aptitude à la formation d’aide-soignante (CAFAS) et d’une licence de philosophie, elle travaille dans le service depuis 2009 après avoir exercé comme vendeuse et déléguée syndicale d’une grande entreprise d’ameublement. Elle réside dans un logement social avec son mari mécanicien dans un garage automobile et leurs deux garçons.

Lydia E. est chargée de recouvrement et du contentieux, contractuelle. Née en 1985 et titulaire d’un baccalauréat professionnel de « technicien-dessinateur maquettiste », elle est arrivée dans le service depuis un an, après avoir travaillé comme vendeuse dans l’habillement puis guichetière à la Sncf. Elle est mariée à un responsable informatique dans une agence immobilière avec lequel elle a un enfant.

Josiane B. est secrétaire, fonctionnaire titulaire de catégorie B. Elle a la soixantaine et est en charge de la saisie et de la transmission des données comptables du service.

9Comme chez la plupart des organismes de recouvrement, le travail de recouvrement au sein de ce bailleur social s’organise autour d’un système gradué de « lettres de relance » (Deville, 2014) : une « relance 1 » est envoyée automatiquement par courrier au ménage dès le premier mois impayé ; une « relance 2 », synonyme de convocation dans les locaux du service dans le but de mettre en place un « plan d’apurement », est ensuite envoyée aux ménages présentant deux mois d’impayés consécutifs ; une « mise en demeure » succède à la « relance 2 » en cas de rendez-vous non honoré par le ménage, puis un « commandement de payer » et une assignation au tribunal, qui marquent le début de la procédure d’expulsion.

10En 2012, 10 691 « relances 1 », 1631 « relances 2 » et 610 « mises en demeure » avaient été délivrées par le service, sur un parc de 7800 logements. Ces chiffres donnent un aperçu de l’ampleur de l’endettement parmi les locataires du bailleur. Un même ménage pouvant recevoir plusieurs « relances 1 » au cours d’une même année (s’il s’endette à des mois différents), le nombre de procédures d’expulsion contentieuses, uniques pour chaque logement, constitue un indicateur complémentaire du nombre élevé de ménages endettés. En 2013, 277 nouvelles procédures contentieuses avaient ainsi été intentées par le bailleur, auxquelles s’ajoutaient 824 procédures en cours, soit un total de 1101 procédures pour 7800 logements (et 14 % des ménages en procédure judiciaire d’expulsion au moment de l’enquête). En termes financiers, le montant total des créances représentait 3 820 337 euros en 2013, soit près de 8,5 % des recettes potentielles de l’organisme.

11Le volume de dettes auquel font face les agents du service du recouvrement est ainsi très important. Les journées de travail des employées sont rythmées par un flux quasi ininterrompu de rendez-vous de face-à-face, de relances ou de sollicitations téléphoniques des locataires endettés. Chaque employée du service est affectée à un secteur géographique, réunissant plusieurs quartiers de la commune, sur lequel elle s’occupe de l’ensemble de la procédure de recouvrement, de sa phase dite « amiable » à son stade proprement « contentieux ». Pour le seul contentieux, chaque agent s’occupait au moment de l’enquête de l’instruction d’un peu plus de 250 dossiers en procédure d’expulsion (pour un total de 1101 procédures en cours). Les données comptables suggèrent dans le même temps un effet de l’action des agents du bailleur, comme l’indique la diminution du volume d’endettement de près de 18 % entre 2009 et 2013.

Obtenir un « paiement »

12Au sein de l’office HLM d’Havremont, le travail de recouvrement poursuit un double mandat. À moyen terme, l’action des agents institutionnels vise à refaire du paiement du loyer une priorité budgétaire durable du ménage, au regard des autres postes de dépenses et d’endettement qui composent le budget domestique. Elle s’opère principalement par un ensemble d’injonctions visant à rappeler aux locataires, à la moindre occasion, de « payer le loyer en priorité », « avant tout le reste », « dès réception de la quittance », « avec régularité » et en l’accompagnant si possible d’un « versement sur la dette ». L’action des chargées de recouvrement s’apparente ainsi à une entreprise d’accompagnement budgétaire et de socialisation économique des ménages (Perrin-Heredia, 2010), consistant en l’inculcation des dispositions susceptibles de leur faire respecter, à plus long terme et sans l’intervention directe du bailleur, la discipline locative.

13Mais le travail des chargées de recouvrement est structuré par un objectif de plus court terme : obtenir un versement monétaire de la part des locataires, « un paiement » (pour reprendre la catégorie sans cesse utilisée par les enquêtées). La venue dans les locaux du service se solde ainsi, dans l’immense majorité des cas, par une demande de versement d’argent des ménages (en chèque, espèces ou carte bancaire). Ce versement est à effectuer immédiatement auprès du Trésor public municipal (dont les locaux sont situés à proximité de ceux du bailleur) ou, plus rarement, de la chargée de recouvrement (qui s’occupera ensuite de transmettre le chèque à la recette municipale). Selon la responsable du service, cette nécessité de « faire rentrer » et donc de « réclamer » de l’argent, qui plus est auprès d’un « public difficile » subissant « toute la misère du monde », constitue une tâche difficile sur le plan technique comme sur le plan moral. Cette tâche participe selon elle de la dévalorisation du recouvrement au sein de l’institution, et peut être considérée comme le « sale boulot » (Hughes, 1997 ; François, 2018). La perception de la responsable du service rejoint celle de plusieurs travaux portant sur les interactions monétaires, d’inspiration goffmanienne, où le fait de solliciter et de donner de l’argent est présenté comme problématique au regard du souci de « préserver la face » des deux parties, par exemple lors du versement d’un pourboire (Davis, 1959 ; Beaumont, 2017).

14Or, les observations dans les locaux du bailleur montrent au contraire le rapport méthodique et dédramatisé des chargées de recouvrement avec le fait de demander de l’argent aux locataires. Cette demande d’argent ne fait pas l’objet d’une problématisation particulière de la part des employées de l’office et vient rapidement et naturellement sur la table :

Cas 1 : Maryse reçoit Madame D., une locataire d’une trentaine d’années, d’origine maghrébine, qui vit seule avec son enfant de deux ans et demi et qui travaille à mi-temps comme agent d’entretien à la mairie d’Havremont, où elle alterne entre contrats courts, vacations et périodes de chômage. La locataire a déjà fait par le passé l’objet d’une procédure contentieuse, mais le bailleur s’est désisté le jour de l’audience car un rappel d’allocation-logement avait soldé la dette entre temps. Le rendez-vous fait suite à une convocation dans le cadre d’une « relance 2 ».

Maryse : Je vous ai convoquée car on a un souci avec vous : il y a trop de décalages dans vos paiements. Et ça pose problème, sachant qu’en faisant comme ça vous vous mettez en danger. Je regarde... [Lisant le relevé de compte locatif] Donc vous avez payé le mois de décembre en mars, le mois de février en avril, vous n’avez pas réglé février, ni mars, et là la quittance d’avril vient d’arriver. L’autre souci c’est qu’on vous a coupé l’APL en avril...
Madame D. : En fait ils m’ont tout coupé : même les allocations, pas que l’APL. C’est compliqué parce que moi je travaille à la mairie au ménage, et le problème ils m’ont dit au service des payes c’est que eux ils cotisent pas pour le chômage. Donc en 2013, j’ai touché 11 000 euros de chômage, mais à la CAF ils ont cru que c’était du salaire. Donc là j’ai l’ARE... Mais j’ai tout donné à la CAF, les documents, les papiers, et ils m’ont dit qu’ils allaient faire le rappel. [...]
Maryse : Le problème, Madame D., c’est que votre loyer il est pas élevé.
Madame D. : Mais le problème c’est que j’ai rien touché fin avril ! Je suis partie au service des payes et ils m’ont dit qu’ils font le virement ce vendredi. J’ai téléphoné à la banque, le 3639, et ils m’ont dit que les fonds seront disponibles demain. Donc je paierai les 384 euros demain. Mais si ça continue ça va poser problème...
Maryse : D’accord. Mais même si vous avez plus l’APL, il faut quand même payer le loyer résiduel. Donc je vais quand même vous demander de verser 162,45 euros au Trésor public. Je vais vous demander de solder février et mars, et de verser le résiduel de 162,45 euros pour avril. Ce qui fait... [Maryse tape sur sa calculette]... 387,29 euros à aller payer au Trésor public.
Madame D. : Mais j’ai galéré à cause des frais [de procédure] aussi. Mais je vais payer, Madame. Ne vous inquiétez pas. Je paie tout demain, comme ça j’aurai plus rien. Donc ça me fera ça, avec les 162,44 euros ?
Maryse : Voilà.
Madame D. : Mais c’est vrai que je traîne. Je vois les 162 euros, et comme j’ai pas reçu toute la paye, que j’ai d’autres choses à payer, je me dis on verra après, on verra après... et je paye d’un coup ! Je préfère comme ça...
Maryse : Non mais il faut pas agir comme ça ! Même si c’est un petit loyer, il faut le régler en temps et en heure. Dès la réception de la quittance ! Certes vous avez un budget difficile, vous avez un enfant, je peux comprendre ça, mais c’est la priorité au loyer ! Dès que vous recevez la quittance, vous payez le loyer. Ne regroupez pas les loyers tous les deux ou trois mois. Parce que même si la dette est minime, on regarde pas le total de la dette, nous on regarde le nombre d’échéances ratées. […]

Maryse fait ensuite « le point sur la situation » en demandant à Madame D. si elle a repris son activité, quel âge a son enfant, si elle a d’autres crédits – ce à quoi la locataire répond qu’elle a d’autres crédits à la consommation pour un total de 4000 euros, pour lesquels elle verse 100 euros par mois, ainsi que cinq mois de retard dans le paiement de la crèche.

15La scène, très représentative du contenu et de la tonalité des échanges au guichet du recouvrement, expose le cas d’une locataire assumant sa pratique des « paiements décalés » du loyer (« Je paye tout d’un coup ! Je préfère comme ça ») et du privilège qu’elle accorde aux autres postes de dépenses (« j’ai d’autres choses à payer »), et ce en dépit de l’insistance de l’employée du bailleur sur l’impératif de payer le « loyer en priorité » et à date fixe (« dès la réception de la quittance »). Au cours du rendez-vous, Madame D. se voit ainsi expliquer la nécessité d’effectuer un versement immédiat et important d’argent auprès de la recette municipale pour atténuer sa dette (de 387,29 euros).

16Ce versement peut, plus rarement, s’effectuer par chèque directement auprès de l’employée du bailleur :

Cas 2 : Dominique reçoit Monsieur A., un locataire retraité de nationalité marocaine, récemment relogé du « foyer de travailleurs immigrés » dans lequel il a passé la majorité de sa vie en France vers le F2 qu’il occupe actuellement pour un loyer de 311 euros, pour lequel il présente une dette d’environ 1800 euros. Monsieur A. s’exprime assez difficilement en français et montre au début de l’entretien le sac plastique Franprix qu’il a amené avec lui, dans lequel il a mis « tous ses papiers ».

Dominique : Bon Monsieur A., qu’est-ce-qui se passe ? Parce qu’il y a eu beaucoup de rejets bancaires là : en juin, en juillet, en août... et en septembre. Ça fait quatre !
Monsieur A. : C’est pas payé tout ça ? Regarde.
Le locataire tend à la chargée de recouvrement le sac plastique contenant tous ses papiers. L’employée du bailleur fouille dans le sac à la recherche des dernières quittances tout en se plaignant du « bordel qu’il y a là dedans ».
Dominique : Bon écoutez Monsieur A., il y a plusieurs problèmes là : et de un, votre loyer c’est plus 258 euros mais c’est 311 euros, et deuxièmement vous êtes en prélèvement automatique mais ça fonctionne pas. Donc va falloir arrêter là !
Monsieur A. : Je suis venu ici pour payer.
Dominique : Oui oui : de toute façon vous allez me payer quelque chose hein ! Vous avez pas le choix ! Puis je vais appeler ma collègue du bureau d’accueil pour qu’elle vous explique votre quittance. Mais en attendant, il y a quatre loyers de retard.
Monsieur A. : Je sais. Donc je veux donner 500.
Dominique : Mais votre dette elle est à 1800 euros Monsieur A.
Monsieur A. : [S’énervant] Mais je vais payer en trois ! Parce que sinon il me reste plus rien à manger moi. Donc 500 euros aujourd’hui, le mois prochain 200, et le suivant pareil... Sinon comment je me nourris moi ?!
Dominique : Attendez je vais voir si on peut encore prendre trois chèques d’un coup.

Dominique va chercher Maryse qui arrive dans le bureau et informe que l’office ne prend plus les « chèques à date différée ». Les chargées de recouvrement font ensuite « le point sur la situation » du locataire, qui les informe qu’il touche 984 euros de retraite auxquels s’ajoute 600 euros de complémentaire tous les trois mois, et qu’il envoie « une bonne partie » de ses revenus à sa femme qui est restée vivre au Maroc. Apprenant le niveau de revenus de Monsieur A., les employées du bailleur s’étonnent des rejets de prélèvement et tentent d’en découvrir la cause, en s’assurant notamment que le locataire a donné le bon « RIB » et la bonne date de prélèvement au bailleur. Après plusieurs minutes passées à fouiller dans les papiers du locataire et lui rappeler la nécessité de « classer tout ça », Maryse revient sur la question du remboursement de la dette.

Maryse : Vous avez de l’argent sur votre compte là, Monsieur ?
Monsieur A. : Oui ! Il me reste 800-900 là...
Dominique : Parce qu’il y a deux choses différentes : le prélèvement passe pas mais il veut payer. Donc comment on fait... Bon Monsieur vous allez faire deux chèques : un qu’on encaisse maintenant, et un qu’on encaissera le mois prochain. D’accord ?

Le locataire acquiesce, mais interroge les agents sur « la CAF », ce qui amène ces dernières à consulter le logiciel de la CAF pour vérifier s’il bénéficie de l’APL. Une fois la recherche effectuée, Dominique revient au remboursement de la dette.

Dominique : Donc là il y a eu quatre rejets de prélèvements et la dette est à 1800 euros. Donc comment on fait ?
Monsieur A. : [Soupirant] Bah là je paie 800...
Dominique : 800 ?
Monsieur A. : Et les reste le mois d’après.
Maryse : Et si on dit trois mois de loyers, ça fait 940 euros.
Dominique : Est-ce-que vous pouvez payer 940 euros, Monsieur ?
Monsieur A. : 940 ?! Nooon, il y a pas l’argent pour ça !
Maryse : Oui, parce que votre retraite n’est que de 980 euros. Donc on va prendre que 800 euros.
Monsieur A. : C’est 900 puis la caisse verse le reste. C’est les espèces ?
Dominique : Non non pas en espèces, en chèque.
Monsieur A. : En chèque si tu veux.
Dominique : D’accord. Donc donnez moi votre chéquier Monsieur. Je vais faire le chèque à votre place.

Dominique fait le chèque de 800 euros puis va en faire une photocopie qu’elle remet au locataire, tandis que Maryse répond à ses questions sur l’adresse des « assistantes sociales ». La chargée de recouvrement prépare ensuite un plan d’apurement de 150 euros pour la « dette restante ».

17Le rendez-vous entre les employées du bailleur et Monsieur A. montre un premier élément récurrent des échanges au guichet du recouvrement : le montant total de la dette, inscrit sur les relevés locatifs actualisés et rappelé par les agents institutionnels, ne fait quasiment jamais l’objet de contestation ou d’une contre-évaluation de la part des locataires. L’attitude de Monsieur A. fait écho à celui des ménages surendettés étudiés par Laure Lacan (2013), qui méconnaissent souvent le montant exact de leurs créances et doivent sur ce point s’en remettre aux données de leurs créanciers. La scène illustre également l’obligation de « paiement » qui pèse sur les locataires se rendant dans les locaux du service, ainsi que les négociations pouvant entourer le montant de ce paiement (à l’image de la proposition des agents d’augmenter ce montant à 940 euros, abandonnée devant les protestations du locataire et le calcul de ses revenus). Elle montre enfin l’aisance relative avec laquelle les agents du bailleur sollicitent explicitement des versements importants d’argent.

18Ce rapport méthodique à l’argent des pauvres peut même prendre une tournure ludique, comme l’illustre « La chanson de Noël du contentieux » qu’ont composée les employées du service (voir encadré 3).

Encadré 3. « La chanson de Noël du contentieux »

[Refrain]
Les loyers, les loyers
Il faut les payer !
S’ils ne sont pas payés
Vous s’rez expulsés, yeah !!!

[Couplet]
Commandement de payer
Puis assignation
Au jugement : c’est délais
Ou bien l’expulsion
Si rien n’est payé
Commandement de quitter, RFP, CFP
Merci M’sieur le Sous-Préfet !

[Refrain x 2]

19Cette chanson, affichée dans le bureau de Dominique V. et entourée de sapins et de guirlandes dessinés à la main, restitue les obligations des locataires et les étapes successives des procédures de recouvrement et d’expulsion pour dette. La comparaison des paiements obtenus par les chargées de recouvrement est au cœur de leurs sociabilités professionnelles, notamment de leurs échanges lors des temps des pauses :

À l’issue de ses rendez-vous matinaux, Dominique entre dans le bureau de Faïza et montre très fièrement le « pactole » qu’elle vient d’« amasser », à savoir les trois chèques qu’elle a obtenus des locataires « rien que pour ce matin ». Elle s’évente avec les chèques puis les fait dérouler en mimant une liasse de billets de banque, ce qui fait rigoler Maryse qui lui demande comment elle s’y est prise : « Grâce à mes atouts ! » répond, dans l’hilarité générale, Dominique en prenant une position suggestive (carnet de terrain).

20L’exhibition des chèques récoltés par Dominique témoigne bien de ce rapport méthodique voire ludique qu’entretiennent les employées du service avec leur mandat de captation monétaire. Ce rapport direct et dédramatisé à l’argent des pauvres prend sa source : d’une part, dans les dispositions économiques des agents du recouvrement, dont les trajectoires sociales (décrites dans l’encadré 2) et la morale budgétaire sont caractéristiques du pôle stable et de la strate « ascétique » des classes populaires (Schwartz, 2002, p. 109-124 ; François, 2018) ; d’autre part, dans les propriétés de la situation de recouvrement (la demande de paiement constituant l’horizon explicite de la convocation au service), qui offre ce que Viviana Zelizer (2005) appelle un « bon appariement » (good match) pour parler et échanger de l’argent, et dont la suite de l’article explore les rouages.

L’enchère, le plan et la mobilité : trois techniques de recouvrement des loyers

21Les recherches sur le recouvrement se sont pour la plupart intéressées aux interactions entre débiteurs et créanciers (ou leurs intermédiaires) et focalisées, dans ce cadre, sur les dynamiques émotionnelles du travail de recouvrement. En vue de faire payer les dettes, les employées du bailleur déploient un ensemble de techniques affectives, qui peuvent prendre la forme d’une variation des registres de langue et d’énonciation de la part de l’employée du bailleur, d’une alternance des rôles lors de l’interaction, ou encore du maniement de la distance et de la proximité sociales – en termes de classe et de genre – avec les locataires. Ces techniques visent à produire la remise de soi des locataires – et de leurs moyens de paiement (comme dans le cas 2) – auprès de l’institution. Nous proposons ici de nous décentrer de la dimension émotionnelle de ce travail – qui court parfois le risque de réduire l’interaction de recouvrement à un pur face-à-face affectif et d’oublier les structures sociales plus larges dans lesquelles elle s’inscrit – et d’explorer trois techniques spécifiques que mobilisent les employées du bailleur face aux locataires : d’une part, la signature de plans d’apurement et la pratique de l’enchère descendante au cours de leur élaboration, qui offrent aux agents institutionnels un pouvoir d’ancrage et des ressources de contractualisation et de consentement lors de la négociation des montants de remboursement ; d’autre part, la mobilité résidentielle, consistant à inviter les ménages à déménager vers un logement social moins onéreux.

Faire des plans, encadrer les enchères

  • 4 Voir un exemple de contrat d’apurement de la dette de loyers et charges en annexe électronique, htt (...)

22La mise en place des « plans d’apurement » constitue l’une des tâches principales et appréciées des chargées de recouvrement. Succédant à l’envoi d’une lettre de « relance 2 » ou d’une « mise en demeure », les plans d’apurement sont établis dans les locaux du service et soumis à un cadre réglementaire défini par le Trésor public municipal, qui contraint le travail des employées. La grille imposée par la recette municipale interdit par exemple de fixer des mensualités de remboursement inférieures à 50 euros, y compris pour les bénéficiaires de minima sociaux. Le contrôle du Trésor public s’exerce également en aval, puisque lui revient le soin de « valider » ou de « retoquer » le plan signé par la chargée de recouvrement et le ménage – ce que rappellent les agents de l’office et la matérialité du document comptable4, soulignant la nature tripartite de l’arrangement.

23Au sein de ce cadre réglementaire, les agents du bailleur disposent toutefois d’une certaine autonomie en matière de plans d’apurement. Leur élaboration prend le plus souvent la forme d’une courte enchère, au cours de laquelle les chargées de recouvrement et les locataires proposent successivement différents montants, avant de s’entendre au final sur la mensualité de remboursement qui sera consignée dans le plan. Plus précisément, l’observation montre que cette enchère suit le plus souvent un sens hiérarchique descendant, au sens où il revient aux agents du bailleur d’initier la discussion et de fixer un montant dont la négociation ne peut dès lors plus trop s’éloigner :

Cas 3 : Maryse reçoit Madame K. une locataire d’une cinquantaine d’années, originaire d’Afrique subsaharienne, travaillant comme agent de ménage à temps partiel, vivant avec son mari au Smic et ses deux enfants, dont l’un est majeur.

Maryse : Vous payez votre loyer en carte bancaire c’est ça ?
Madame K. : Oui, en carte bancaire, je paye en deux fois.
Maryse : Et vous avez plus droit à l’APL ?
Madame K. : Non j’ai pas le droit. Mais j’ai fait une demande de RSA, ils m’ont dit que ça me donnerait un complément de 200 euros.
Maryse : Et vous êtes toujours en activité ?
Madame K. : Oui, je travaille deux heures par jour.
Maryse : Et votre mari il travaille ?
Madame K. : Oui il travaille à partir de 14 heures, tous les jours. Il gagne le Smic.
Maryse : D’accord. Donc je mets 1200 euros de ressources. Et vos enfants ?
Madame K. : Oui j’en ai deux, une fille de 13 ans et un grand de 22 ans et demi. […]
Maryse : Donc là Madame on va faire un échéancier.
Madame K. : Là je vais payer 900 euros le 30, dès que le salaire est là.
Maryse : Moi ce que je vous conseille c’est plutôt avec vos 900 euros de bien payer le loyer courant, et à la rigueur avec le reste de faire un versement sur la dette. Mais au moins que tous les mois vous puissiez reprendre le paiement du loyer courant. Donc c’est pas la peine de faire un gros versement sur un mois et après plus rien. Le plus important c’est la continuité, la régularité. Donc là on va faire le plan sur la base de... 80 euros, c’est possible ?
Madame K. : Pourquoi pas 70 ?
Maryse : D’accord 70 euros. Mais le plus important c’est de respecter ! Donc on est bien d’accord : le loyer courant plus 70 euros sur la dette, chaque mois.

Maryse réexplique plusieurs fois le principe du plan – qui devra être « validé » par le Trésor public – puis l’imprime et le fait signer.

24Ce sont les employées du bailleur qui, dans la grande majorité des cas observés, formulent en premier et après avoir évalué la situation du ménage une proposition de remboursement (« Donc là on va faire le plan sur la base de... 80 euros, c’est possible ? »). Cette première proposition n’empêche pas les locataires, comme on le voit, de négocier à la baisse le montant évoqué, à l’image de la diminution de 10 euros de la mensualité finalement obtenue par Madame K.

25Cette logique d’enchère est également visible dans l’échange entre Dominique et Monsieur N., « un habitué du service » :

Cas 4 : Dominique reçoit Monsieur N., un locataire d’une quarantaine d’années, d’origine subsaharienne, ancien chauffeur livreur puis préparateur de commandes, actuellement au chômage mais suivant une formation d’agent de sécurité, et dont la femme suit une formation d’aide-soignante. Il a deux mois d’arriérés de loyer et est venu signer un plan d’apurement. À son arrivée dans le bureau de la chargée de recouvrement, Monsieur N. se plaint d’avoir attendu si longtemps à l’accueil du bâtiment.

Monsieur N. : [Passablement énervé] Je suis là depuis 13 h 30 ! Il y a trois personnes qui me sont passées devant, comme ça ! Alors que j’avais pris un ticket !
Dominique : Bon Monsieur, c’est pas grave votre histoire de ticket ! Ce qui est grave par contre, c’est que vous avez deux loyers de retard ! Bon, vous voulez un arrangement ? […] Bon donc il reste les mois de juillet et septembre à payer, pour un total de 543 euros. Donc on va faire un plan... Donc vous voulez mettre combien par mois ? 100 euros ?
Monsieur N. : 120 euros, s’il vous plaît. Pour que ça aille plus vite...
Dominique : Bah on fait plus, alors ! 150 euros ?
Monsieur N. : Non non ! Écoutez, vous m’avez dit 100, moi j’ai été gentil j’ai dit 120, mais pas 150. Vous voulez plus que je mange ?! Parce que la dernière fois, je me rappelle très bien vous m’avez dit de manger des pâtes et du riz !
Dominique : [Gênée] J’ai fait cette blague, moi ?! Oui c’est possible... Mais c’était une blague ! [Rires] […] Bon on fait commencer le plan au 5 ?
Monsieur N. : Euh... le 15 ?
Dominique : Vous payez quand votre loyer, vous ? Parce que normalement c’est à terme échu, le 30 de chaque mois. Donc le 5 ça fait déjà tard...
Monsieur N. : Mais c’est pas mieux le 15 ?
Dominique : Mais votre paye elle tombe quand ? Parce que je vous dis que le 15 je vous dis c’est trop tard...
Monsieur N. : Bah ça dépend de ce que je touche, de Pôle Emploi, etc.
Dominique : Bon on va mettre le 10 alors. Ça vous va ?
Monsieur N. : [Résigné] Va pour le 10 alors.

La chargée de recouvrement répète à voix haute les principaux points du « plan d’apurement » tout en le remplissant – « à partir du 10 novembre, 563,84 euros de dette au total, un versement de 120 euros par mois, se terminant le 10 mars 2015 » – puis elle le fait signer au locataire et lui explique qu’elle doit encore le faire valider par sa responsable et le Trésor public. Monsieur N. relance la discussion.

Monsieur N. : Et si je veux payer plus ?
Dominique : Oui vous pouvez, même 200 euros si vous voulez. Mais après je veux plus vous voir ! […] Et essayez de retrouver du travail aussi, hein ! Parce que travailler c’est obligatoire !
Monsieur N. : [Faisant ironiquement référence à son temps d’attente à l’accueil] Et bien accueillir aussi ! [Rires].

Tout le monde se dit au revoir sur un ton cordial.

26L’échange illustre bien la logique de la mise en place des plans d’apurement, qui voit l’employée du service puis le locataire confronter successivement leurs propositions de remboursement respectives. « Habitué du service », Monsieur N. se montre tout à fait conscient de la logique d’enchère qui structure l’élaboration de l’échéancier, en n’hésitant pas à expliciter ce jeu de la négociation pour faire valoir sa bonne volonté (celle de quelqu’un ayant émis une proposition à la hausse) et refuser la surenchère proposée par la chargée de recouvrement (« Écoutez, vous m’avez dit 100, moi j’ai été gentil j’ai dit 120, mais pas 150 »). Si l’action des chargées de recouvrement consiste la plupart du temps à ancrer l’enchère ou à rehausser les montants de remboursement proposés par les locataires, elles peuvent épisodiquement amener les ménages à revoir à la baisse leurs propositions. Les employées de l’office décrivent alors leur action comme visant à « tempérer » ou « modérer les ardeurs » de locataires que « la peur de la procédure » d’expulsion pousserait à envisager des mensualités jugées trop élevées au regard de leur budget.

  • 5 Sur le modèle du concept de « biais d’ancrage » en psychologie – « biais cognitif » qui décrit la d (...)

27La pratique de l’enchère descendante offre ainsi aux chargées de recouvrement ce que l’on peut appeler un « pouvoir d’ancrage5 » de l’interaction, qui transforme le montant initialement proposé en valeur de référence, dont la négociation ne peut dès lors plus sensiblement dévier. En aval de la négociation, cette pratique de l’enchère et la signature d’un plan d’apurement offrent deux autres types de ressources aux salariées du bailleur. La première relève d’une ressource de contractualisation, au sens où l’échéancier constitue un document écrit par lequel le locataire s’engage formellement à reprendre le paiement intégral de son loyer courant et le remboursement de sa dette selon des modalités fixées par les parties. On retrouve ici les avantages de la forme contractuelle comme instrument d’encadrement des chômeurs (Duvoux, 2011). Le plan d’apurement livre en effet une trace écrite, bénéficiant de la validation et de l’autorité administratives du Trésor public, et dont le non-respect autorise le bailleur à initier une procédure contentieuse. L’enchère et l’échéancier apportent dès lors une ressource complémentaire pour le travail de recouvrement : une ressource de consentement. Celle-ci découle des modalités concrètes d’élaboration des plans d’apurement qui, tout en consacrant l’intérêt du bailleur, ménagent une place non négligeable à la négociation et à l’implication des locataires, et tentent ainsi d’emporter l’adhésion ou de produire l’obéissance de ce dernier au processus de recouvrement.

« Muter » les locataires : la solvabilité par la mobilité résidentielle

28À côté de la mise en place des plans d’apurement, un autre ensemble de techniques de recouvrement portent sur le volume et la structure des budgets des locataires endettés, et visent à accroître leur capacité de remboursement. L’action des agents du bailleur articule une double entreprise d’augmentation des ressources et de compression des dépenses des ménages. Une telle intervention sur le volume de revenus des ménages passe par diverses injonctions à la reprise d’un emploi (comme dans le cas 4), à l’accroissement du temps de travail (« faire des heures sup’ » ou « trouver un deuxième boulot »), ainsi que par l’accès à certains droits et prestations sociales (comme les « rappels d’APL »). Les actions des employées de l’office en vue d’augmenter les ressources domestiques s’accompagnent, symétriquement, d’une entreprise de compression des dépenses des ménages, visant à en faire « diminuer les charges ». Le recouvrement s’appuie alors sur la critique de certaines pratiques de consommation (en matière d’électroménager, de transports, de téléphonie, d’énergie mais aussi d’habillement et d’alimentation). Il peut également user d’un instrument d’un genre très particulier, reposant sur une prérogative du bailleur : le fait d’inviter les locataires à déménager vers un logement moins onéreux.

29Cette proposition de « mutation » ou d’« échange pour dette » constitue un thème récurrent des entretiens avec les locataires et de la gestion de leur dossier. Elle consiste à orienter dès que possible le ménage vers un logement dont le loyer et les charges sont inférieurs à celui qu’il occupe actuellement. Impliquant le plus souvent d’emménager dans un appartement plus petit, elle est mobilisée de manière privilégiée face aux ménages en situation de « sous-occupation », qui occupent un logement dont le nombre d’individus résidant de manière permanente apparaît inférieur au nombre de pièces. La perspective d’une « mutation » est ainsi le plus souvent avancée face aux locataires dont les enfants majeurs viennent de quitter le domicile parental :

Cas 5 : Faïza reçoit Madame B., une locataire d’une soixantaine d’années, blanche, aux cheveux grisonnants, touchant le RSA et vivant avec sa fille étudiante. Après la signature du plan d’apurement d’une mensualité de 50 euros, la chargée de recouvrement conclut l’entretien en évoquant la possibilité de « changer de logement ».

Faïza : Vous êtes dans quoi Madame B. là ?
Madame B. : Dans un F4.
Faïza : Pour deux ?! Mais pourquoi vous changez pas ?
Madame B. : Mais j’ai mon autre fils.
Faïza : Parce que là il est à 700 euros votre F4, hors APL ! Pourquoi vous prenez pas plus petit et moins cher ? Vous pourriez mettre un peu de côté et ça vous permettrait de voir venir.
Madame B. : Mais pour aller où ? Parce que des cités bien y en a pas tant que ça...
Faïza : Vous voulez rester à Tillion ? Mais on peut le préciser ça : moi je soutiens votre dossier en ce sens.
Madame B. : Bah j’ai mon autre fils, qui est parti mais qui revient des fois... Puis je veux rester à Tillion.
Faïza : [S’énervant] Bah ce serait possible de vous loger dans un F3 de Tillion hein : vous achetez un canapé convertible pour quand il vient. Puis c’est pareil votre fille à terme elle va partir, et donc vous allez faire comment après ? Parce que vous allez pas taper vos enfants à vie quoi, vivre sur leur dos comme ça ! Faut penser à eux, et faut penser à vous. […] Bon en tout cas je vous donne l’idée de changer d’appartement, vers plus petit et moins cher, réfléchissez-y, parce que moi je pourrai appuyer votre dossier.

30La proposition d’une mobilité interne au parc du bailleur intervient également, quoique plus rarement, dans les cas des ménages qui résident dans une cité réputée « plus chère » au regard des niveaux de loyer d’autres quartiers :

Cas 6 (1) : Faïza reçoit Madame T., une locataire au chômage d’une cinquantaine d’années, d’origine maghrébine, qui vit avec sa fille étudiante dans un F4 au loyer de 660 euros et qui présente une dette de 1100 euros pour laquelle elle vient de recevoir un « commandement de payer » synonyme de procédure contentieuse. Le début de l’entretien porte sur la « situation » de Madame T. et aboutit à la mise en place d’un plan d’apurement « informel » de 20 euros par mois (informel car inférieur au plancher de 50 euros exigé par la recette municipale). Une fois l’arrangement conclu, Faïza revient sur la cherté relative du loyer assumé par la locataire, qui constitue selon la chargée de recouvrement l’une des causes de l’endettement chronique de cette famille. L’agent du bailleur évoque alors la possibilité de « changer de logement ».

Faïza : Après le problème c’est que vous payez cher. Votre loyer il me choque un peu...
Madame T. : Mais pourquoi je paye si cher aussi ? C’est à cause des charges aussi. C’est énorme les charges, là. Je sais que c’est un immeuble de 18 étages, avec deux ascenseurs, le parking, le gardien... Je comprends. Avant 660 euros c’était pas cher pour moi, quand je gagnais bien ma vie. C’était donné ! Mais là, ça revient cher.
Faïza : Et pourquoi vous demandez pas à changer de logement ? De changer pour un F3 ?
Madame T. : Je sais, mais ça me fait peur. Je veux pas me retrouver je sais pas où... Puis ça ferait un loyer de combien ?
Faïza : Bah 300-400 euros, charges comprises.
Madame T. : Oui mais si le loyer est de 400, l’APL va baisser aussi, j’aurais que 150 euros. Donc au final le loyer résiduel ce sera la même chose, mais pour un appartement plus petit. Puis même pour 100 euros de moins, qui va payer le déménagement ? Qui me dit que le logement sera propre, qu’il y aura pas des travaux à faire. Moi je veux bien changer et laisser le quatre pièces, mais je veux quelque chose de propre, voilà !
Faïza : Bon déjà le déménagement il est payé par la CAF. Vous dites le secteur que vous voulez. Sachant que vous lâchez un F4, c’est très recherché, donc vous aurez une proposition rapidement. Après si ça vous plaît pas, vous dites non. Vous êtes pas obligée de l’accepter, hein. On va pas vous mettre dehors uniquement sous prétexte que vous voulez pas d’un échange vers un logement plus petit, rassurez-vous. Mais au moins le louer sera moins cher. 200 euros de moins par mois, c’est pas négligeable dans votre situation ! Puis surtout pensez bien que ça pourrait vous éviter la procédure.

Faïza appelle ensuite les agents d’accueil, situés à l’entrée du bâtiment, pour qu’ils remettent à la locataire le formulaire de « demande de mutation » à l’issue du rendez-vous.

31Faisant du montant du loyer la cause principale de l’endettement de la locataire, la chargée de recouvrement suggère à Madame T. de « changer de logement », ce qui suscite dans un premier temps la réticence de cette dernière. L’employée du bailleur s’emploie alors à désamorcer les craintes de la locataire et à la convaincre de l’intérêt de la démarche en glissant progressivement d’un registre incitatif, qui met en avant la possibilité de refuser l’offre de relogement et le gain financier qu’il lui procurerait, à un registre plus impératif, qui présente le déménagement comme l’un des moyens d’« éviter la procédure » d’expulsion (l’assignation au tribunal). Cette variation des registres rejoint l’« économie du contrôle social » (the economics of social control) décrite par Paul Rock (1973), qui évolue au fil du processus de recouvrement d’une « logique d’assimilation » (assimilative control) vers une « logique de coercition » (coercition).

32La « mutation » constitue ainsi l’un des instruments spécifiques de l’action des chargées de recouvrement du bailleur au sens où, ne disposant ni de l’étendue ni de l’intensité des moyens dont bénéficient les travailleurs sociaux dans le cadre de leur mandat d’accompagnement budgétaire (visites répétées à domicile, pouvoir de mettre personnellement et directement en place les prestations sociales, de solliciter des aides financières d’urgence, etc.) (Perrin-Heredia, 2013), elle permet d’agir en amont sur une contrainte structurelle du budget domestique (le montant du loyer et des dépenses afférentes : charges, taxe d’habitation, etc.). Elle favorise ainsi de manière durable et sans intervention ultérieure du bailleur la solvabilité du ménage et le respect de la discipline locative. L’usage des « mutations » comme outil de recouvrement des arriérés de loyer s’appuie ainsi sur le même mélange de mobilité contrainte, d’optimisation de l’occupation des logements et de recomposition des groupes domestiques qui caractérise la politique patrimoniale des bailleurs sociaux dans le cadre des opérations de relogement et de rénovation urbaine (François, 2014).

33La mise en place d’une « mutation » n’est toutefois pas une tâche aisée pour les employées de l’office. Elle s’expose tout d’abord à l’élévation générale du montant des loyers dans le parc social et à l’accroissement de l’ancienneté d’occupation des résidents – deux symptômes de la crise du logement abordable (Driant & Madec, 2018). Cette situation réduit ainsi le nombre de cas où un déménagement interne au parc du bailleur représente un gain financier significatif. Les chargées de recouvrement doivent faire face, deuxièmement, à la réticence du service chargé des attributions, qui voit le plus souvent d’un mauvais œil le fait de privilégier le dossier de locataires endettés considérés comme de « mauvais payeurs » au détriment des autres ménages demandeurs de « mutation ». Enfin, elle s’expose aux réticences des locataires eux-mêmes, dont les ressources attachées à leurs biens (comme les meubles) et leurs liens (à l’image de l’hébergement que continue d’offrir Madame B. à son fils) (Schwartz, 2002) sont mises en péril par un déménagement vers un logement plus petit ou situé dans un autre quartier.

Priorité et autorité de l’État : espace et ressources institutionnels du recouvrement

34L’efficacité du travail de recouvrement ne se limite pas à ses dynamiques interactionnelles, mais renvoie également à l’espace institutionnel dans lequel il s’inscrit. Cet espace institutionnel place le bailleur dans une situation de concurrence objective avec d’autres créanciers pour la captation des ressources des locataires. La prise en compte de la dimension institutionnelle du recouvrement apparaît nécessaire pour comprendre non plus pourquoi les locataires paient leurs dettes, mais pourquoi ces derniers remboursent leur bailleur plutôt que leurs autres créanciers éventuels. Cet espace institutionnel du recouvrement implique des créanciers de différents statuts, aux prérogatives et aux ressources inégales : des entreprises de crédit à la consommation, des banques, des proches, d’autres organismes publics (comme l’administration fiscale, nationale ou locale, en cas de dettes d’impôts ou de cantine scolaire). Mais il implique également toute une série d’institutions et de politiques publiques (comme celles liées à la prévention des expulsions locatives ou du surendettement), qui régulent cette concurrence et affectent l’action du bailleur. De ce point de vue, les offices publics d’HLM bénéficient du statut d’institution publique, qui exerce toutefois un effet ambivalent sur le recouvrement : d’un côté, ce statut les place dans une situation de concurrence asymétrique pour le recouvrement des dettes contractées auprès des finances locales ; d’un autre côté, il leur offre des ressources procédurales et symboliques particulières par rapport aux créanciers privés.

35Une concurrente publique : la recette municipale

36Les offices publics de l’habitat (OPH) possèdent un statut juridique particulier au sein des organismes de logement social. Nés dans le prolongement de la loi Bonnevay de 1912, ils constituent des bailleurs sociaux publics, le plus souvent de dimension municipale. Ce statut d’institution publique les distingue d’autres types de bailleurs sociaux comme les sociétés anonymes d’HLM dans plusieurs domaines, à commencer par le régime de comptabilité publique qui caractérise la plupart des OPH, dont la gestion des comptes revient au Trésor public local (comme c’était le cas de celui d’Havremont au moment de l’enquête, situation qui a pris fin au 1er janvier 2016).

37Le rattachement du bailleur à un régime de comptabilité publique est souvent perçu comme une contrainte par les employées du bailleur. Nous avons déjà vu comment la tutelle de la recette municipale contraignait le travail des chargées de recouvrement en matière de plans d’apurement, en leur imposant de suivre des « grilles » ou des « barèmes » de remboursement prédéfinis. Mais la contrainte principale que pose pour les chargées de recouvrement le rattachement à la comptabilité publique porte sur un autre domaine : l’affectation de l’argent que les locataires viennent verser au guichet du Trésor public municipal. L’office et la recette municipale affichent en effet des politiques différentes en la matière :

La recette municipale ils encaissent les loyers, mais aussi les frais de cantine scolaire et si les locataires ont des amendes. Et le problème c’est que le loyer c’est pas prioritaire pour eux. La dame que je viens d’avoir au téléphone par exemple, elle avait du retard pour la cantine des enfants, bah ils lui ont fait payer la cantine plutôt que le loyer ! C’est une locataire qui est arrivée avec 1000 euros en poche pour payer le loyer, et ils ont tout mis sur la cantine ! Alors que je lui avais dit de faire attention, de bien dire que c’était pour le loyer. Et l’autre problème quand ils prennent le loyer c’est qu’ils mettent tout sur la dette antérieure, et pas sur le loyer courant. Pour eux ce qui compte c’est la dette antérieure, alors que pour nous c’est le loyer courant (Faïza, chargée de recouvrement et du contentieux).

38Deux craintes animent ainsi les employées du bailleur lorsqu’elles « envoient » les locataires verser une somme d’argent au guichet du Trésor public. La première tient au fait que les agents de la recette municipale affectent en priorité l’argent des ménages sur le paiement de la dette locative antérieure, là où les employées de l’office incitent les locataires à payer en priorité le loyer courant (ou les loyers les plus récents), à l’image du conseil donné par Maryse à Madame A. (cas 1). Le Trésor public privilégie autrement dit une logique de stock, là où le bailleur souhaiterait faire primer une logique de flux. Le privilège accordé par les employées de l’office à cette logique de flux est animé par un objectif précis : faire apparaître, dans les décomptes locatifs, la plus longue séquence temporelle au cours de laquelle les locataires se sont acquittés sans discontinuer du paiement du loyer. Les chargées de recouvrement tentent ainsi de reconstituer, au moyen de stratégies de placement de l’argent, une trajectoire continue de règlement des loyers, car cette continuité des paiements leur permet par la suite de solliciter des aides financières susceptibles de faire diminuer ou résorber la dette, comme un rappel de l’APL (coupée théoriquement à partir de deux échéances impayées) ou le recours au Fonds solidarité logement (dont les aides financières permettent de solder les dettes sous condition de ressources et de reprise continue du paiement du loyer).

39Mais la crainte la plus grande des employées de l’office porte sur les tentatives des agents de la recette municipale d’affecter l’argent des ménages endettés sur d’autres postes que les arriérés de loyer, au profit du remboursement d’autres dettes contractées à l’égard des finances locales, comme la taxe d’habitation, le paiement des factures de crèche et de cantine scolaire, la redevance liée au ramassage des ordures ménagères, ou même des amendes délivrées par la police municipale (comme les infractions de stationnement). Les chargées de recouvrement découvrent ainsi souvent, à la lecture du « bordereau » du solde du locataire, que le versement auquel s’était engagé ce dernier n’a pas été affecté sur le « bon mois » ou, plus grave, qu’il n’a même pas été affecté au remboursement de la dette locative. Cette divergence en matière d’affectation du remboursement explique ainsi l’insistance avec laquelle, au cours et à la fin de chaque entretien avec les ménages, les chargées de recouvrement invitent systématiquement les locataires à « bien préciser » la destination de l’argent qu’ils doivent verser à la recette municipale (le mois, la part revenant au paiement du loyer courant et celle effectuée au titre d’un « versement sur dette »), et à « ne pas se laisser avoir » ou « manipuler » par ses agents de guichet dans le cadre de ce qui s’apparente à une lutte d’influence institutionnelle entre le bailleur et ces derniers.

Priorité et autorité de l’État : les ressources d’une affiliation administrative

40La colère fréquente des agents du bailleur contre la recette municipale ne doit toutefois pas faire oublier les ressources, plus importantes encore, que leur assure leur affiliation à la comptabilité publique, aussi bien au sein de l’espace des créanciers que dans l’interaction avec les ménages.

  • 6 Très proche en cela de la procédure d’« avis à tiers détenteur » (ATD) que met en œuvre l’État en m (...)

41D’un point de vue procédural, la tutelle du Trésor public permet tout d’abord aux employées de l’office de bénéficier d’un instrument de recouvrement traditionnellement réservé aux collectivités locales et aux organismes de Sécurité sociale : l’« opposition à tiers détenteur » (OTD). Définie par l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), cette procédure autorise le bailleur, après notification par voie d’huissier d’une simple « mise en demeure » du ménage, à mandater les comptables du Trésor public pour saisir directement les sommes dues au titre des arriérés de loyer sur le compte en banque du locataire (la banque constituant dans la quasi-totalité des cas le « tiers détenteur » auquel est notifiée l’« opposition »). L’OTD constitue ainsi un instrument coercitif de recouvrement (une « voie d’exécution forcée ») réservé aux créanciers de nature publique6. Cet instrument se distingue des procédures civiles de « saisie-attribution » ou « saisie-rémunération » auxquelles recourent les créanciers privés à la fois par sa simplicité procédurale (un simple « titre exécutoire » qu’une administration publique délivre de manière extrajudiciaire à une autre administration publique, sans intervention du juge d’instance) et par sa rapidité d’exécution (son « effet d’attribution immédiate », rappelée par l’alinéa 7 de l’article L1617-5 du CGCT).

42L’affiliation à un régime de comptabilité publique confère également aux arriérés de loyer des bailleurs sociaux un statut de « dette prioritaire » dans le cadre des procédures de surendettement. Cette clause de priorité est garantie par le droit et s’exerce au regard des créances dues aux banques ou aux établissements de crédit (article L. 333-1-1 du Code de la consommation), voire au regard des dettes fiscales elles-mêmes, depuis un arrêté de la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 8 mars 2007 autorisant les juges de l’exécution à établir un ordre des paiements faisant primer les dettes locatives sur l’ensemble des créances du ménage (y compris sur celles dues au Trésor public).

43Le double statut de propriétaire-bailleur et d’institution publique offre donc des ressources juridiques décisives aux chargées de recouvrement de l’office. Le privilège de cette affiliation au Trésor public ne se limite toutefois pas au domaine juridique et procédural, mais se déploie également sur le terrain symbolique. Au-delà du cadre réglementaire, le rattachement du bailleur à l’État est en effet mobilisé par les chargées de recouvrement comme une ressource d’autorité face aux ménages :

Cas 8 : Faïza reçoit Monsieur Z., un locataire d’une cinquantaine d’années, d’origine maghrébine, convoqué pour le paiement d’un rappel de charges de 448 euros qu’il s’est engagé à régler. Après quelques mots chaleureux échangés en arabe au sujet de la récente fête de l’Aïd, la chargée de recouvrement aborde la question des modalités de remboursement de la créance.

Faïza : Donc pour votre régul de charges, j’avais écrit à la recette pour qu’ils fassent le nécessaire, mais j’ai jamais eu de nouvelles. C’est pour ça que je vous convoque que maintenant. Parce qu’ils pensaient que vous aviez réglé en espèces, mais en fait non.
Monsieur Z. : Bah faut que je me serre la vis !
Faïza : Bah c’est l’État vous savez hein. On appartient un peu à l’État quand même.
Monsieur Z. : Oui, c’est pour ça je me dis : « il faut que je rembourse ! » [Rires].

44La mention du statut juridique du bailleur intervient ici dans le cadre d’un échange cordial et apaisé entre la chargée de recouvrement et Monsieur Z., qui présente une dette de charge d’un faible montant faisant suite à un dysfonctionnement interne au service chargé de gérer les quittances. La réaction du locataire illustre toutefois l’effet que produit habituellement sur les ménages cet appel symbolique à l’autorité de l’État (Spire, 2018), lorsque les agents du bailleur rappellent par exemple que leur service est « un peu comme les impôts », « la mairie » ou même « l’école ».

45L’efficacité de cet appel à l’autorité étatique se nourrit enfin de l’horizon de la procédure d’expulsion locative, qui déplace soudainement le terrain institutionnel et normatif sur lequel prend place le recouvrement des loyers, depuis la main gauche et redistributive de l’État (dont les organismes de logement social constituent en France un pilier) vers la main droite et régalienne de ce dernier. Le spectre de la comparution au tribunal d’instance et de l’autorisation du « concours de la force publique » fonctionne, en dernier recours, comme un instrument efficace pour amener les locataires à s’acquitter de leurs obligations :

Cas 6 (2) : Début du rendez-vous entre Faïza et Madame T. qui porte sur la « situation » de Madame T. et aboutit à la mise en place d’un plan d’apurement informel de 20 euros par mois.

Madame T. : « Ce matin au Trésor public ils m’ont dit qu’ils avaient bien encaissé le chèque de ma fille. […] Après normalement vous aurez le rappel APL qui arrivera directement chez vous. Après j’ai ce papier qui me dit que je dois tant et tant, mais j’ai pas reçu d’autres courriers. Et donc comme convenu je pensais vous donner 10 euros de plus par mois.
Faïza : C’est 20 euros minimum, Madame T. Pour le Trésor, c’est 20 minimum...
Madame T. : Vous êtes difficile, Madame A. Parce que là j’ai aussi l’électricité, le téléphone...
Faïza : Il est à combien votre RSA ?
Madame T. : 200 euros... 206 euros. Et je touche 480 euros d’ASS [allocation spécifique de solidarité].
Faïza : Et votre fille elle travaille pas ?
Madame T. : Non elle est toujours étudiante. C’est pour ça que c’est difficile aussi...
Faïza : Vous touchez combien d’APL ?
Madame T. : 307 euros par mois.
Faïza : Ok. Donc en fait le problème c’est que c’est le logement qui est cher... Bon je vais vous expliquer la procédure. La dernière fois qu’on s’est vues, on était d’accord pour prendre un engagement à partir de septembre, pour 20 euros par mois en plus du loyer. Le problème c’est qu’entre-temps vous avez pas payé juillet et août. Et que vous avez même pas versé 10 euros sur la dette. […] Le problème Madame T. c’est le montant de la dette !
Madame T. : Mais 1100 euros, c’est pas énorme quand même !
Faïza : [S’impatientant] Non, pour une dette en soi c’est pas beaucoup c’est vrai. Mais pour VOTRE situation À VOUS, c’est énorme ! Vous comprenez ?! Nous aussi on a des comptes à rendre, et donc à partir d’une dette d’un certain montant, on est obligées de lancer la procédure. On n’a pas le choix ! Donc j’ai parlé avec l’assistante sociale pour qu’elle recalcule vite vos droits et qu’elle vous aide à payer les autres factures. Tout ça pour qu’on puisse vite passer à un plan supérieur à 20 euros. Parce que si on reste à 20 euros, à ce rythme va y en avoir pour deux ou trois ans ! Et moi j’ai pas l’intention de garder votre dossier et vos 1000 euros pendant deux ou trois ans !
Madame T. : [Ayant soudainement les larmes aux yeux] Je comprends très bien, Madame A. Mais c’est juste que quand vous dites le mot « procédure », ça me fait comme un poignard dans le cœur. Ça me fait peur ! Moi j’ai peur de me retrouver dehors !
Faïza : [Empruntant un ton calme et rassurant] Mais non rassurez-vous, vous n’êtes pas dehors Madame T. ! Calmez-vous. Moi je vous l’ai dit je dois rendre des comptes, c’est pour ça que j’ai été obligée de délivrer le commandement de payer. Donc ça vous laisse théoriquement deux mois pour solder la dette, ce que vous ne pourrez pas faire. Donc ce que je vous suggère, c’est de quand même faire ces versements sur la dette, sans prendre un engagement précis. Sachant que la procédure peut être suspendue à tout moment. Et que le commandement date de cette semaine, mais que avec les délais, s’il y a une assignation, elle sera pas avant janvier et l’audience sera pas avant septembre 2015. Donc on a le temps ! Donc vous, vous commencez à payer votre dette, et moi j’essaie juste de vous faire comprendre qu’à terme 20 euros ça sera pas suffisant.
Madame T. : Mais j’ai aussi les impôts, la taxe d’habitation... J’en peux plus ! Pourtant j’ai toute ma tête, hein ! Mais là ça fait 1400 euros à payer : comment je vais faire ?! Parce qu’ils l’ont pas prélevé les mois où j’avais mon chômage.
Faïza : Je sais. Mais moi j’ai les moyens de suspendre la procédure. Mais je fais aussi ça pour pousser les services sociaux à agir, et pour permettre un plan supérieur à 20 euros, un engagement qui pourra tenir le temps qu’il faudra.
Madame T. : [Ayant à nouveau les larmes aux yeux] Mais l’assistante sociale m’a dit qu’elle avait tout épuisé. Je suis déjà allée voir le Secours catholique, j’ai eu 150 euros d’une autre association... Mais c’est pas assez pour vivre et pour manger donc bon !
Faïza : [Après avoir essayé une nouvelle fois de rassurer la locataire et de lui conseiller de contacter une technicienne de la CAF de sa part pour que son dossier soit traité « plus vite »]. N’ayez pas d’inquiétude, vous n’êtes pas encore dehors Madame T. ! On va vous repêcher, vous inquiétez pas pour ça. C’est juste que moi je suis obligée de faire mon travail. Donc on part sur 20 euros pour le moment.

46La scène illustre, de manière exemplaire, les négociations pouvant entourer les accords de remboursement, ainsi que l’effet émotionnel et le « management des affects » (Deville, 2014) que suscite la mention de la procédure d’expulsion. Cet effet se fait sentir du côté de Madame T., où l’emploi du terme « procédure » est associé à « un coup de poignard dans le cœur » et fait monter les larmes aux yeux de la locataire. Mais il affecte également l’employée du bailleur, que la vive émotion de la locataire amène à changer de style émotionnel, en se montrant bienveillante (« calmez-vous », « on va vous repêcher ») et rassurante sur le pouvoir dont elle dispose sur la poursuite de la procédure contentieuse (« j’ai les moyens de suspendre la procédure »), tout en rappelant l’importance de respecter et d’augmenter prochainement la mensualité de 20 euros.

Conclusion

47L’horizon de la procédure d’expulsion ne constitue toutefois pas l’instrument principal du recouvrement des arriérés de loyer, l’immense majorité des situations d’endettement se soldent en amont de la procédure contentieuse. Notre article souligne davantage le mélange de techniques interactionnelles et de ressources structurelles sur lequel repose l’ordinaire du travail de recouvrement des dettes de loyer au sein d’un organisme de logement social. Certaines techniques et ressources de ce travail apparaissent spécifiques du type de dette et de créancier étudiés, comme l’incitation à la mobilité résidentielle, ou les clauses de priorité et d’autorité offertes par le statut d’institution publique. D’autres présentent une dimension plus générique et nous semblent transposables à d’autres contextes de recouvrement, comme l’enchère descendante et les plans d’apurement (et le pouvoir d’ancrage et les ressources de consentement qu’ils offrent). Ces techniques alternent – plutôt qu’elles n’opposent – les fonctions de captation monétaire (de court terme) et de socialisation économique (de long terme), les interactions de face-à-face et les ressources de l’identification et du gouvernement à distance des individus. Elles produisent également des effets de ciblage de la clientèle endettée, qui aboutissent à faire peser de manière asymétrique le remboursement des dettes sur certains membres du ménage plutôt que d’autres, comme les femmes (François, 2018), et qui mériteraient d’être explorés plus en détails.

48Plus largement, au regard de la littérature sur l’endettement et le crédit, notre article défend une double approche : d’une part, la nécessité d’étudier le travail de recouvrement pour comprendre « l’économie de l’obligation » (Muldrew, 1998) qui conduit tant de débiteurs à payer leurs dettes ; d’autre part, au regard des travaux portant sur le recouvrement, l’intérêt de se décentrer des seules dimensions judiciaires et émotionnelles de ce travail, pour replacer ses interactions et ses instruments dans l’espace institutionnel des créanciers et des formes de concurrence, irréductibles à des logiques de marché (Deville, 2014), qu’ils se livrent pour la captation des maigres ressources des ménages pauvres et endettés.

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Notes

1 Impayés de loyer dont différentes enquêtes permettent de mesurer l’ampleur à l’échelle nationale. D’après l’Enquête Logement 2013, le nombre de ménages locataires présentant en 2013 au moins deux mois de retard dans le paiement du loyer atteignait 493 000, soit une augmentation de 51,5 % depuis 1996. Dans le parc social, l’enquête menée en 2015 par l’Union sociale pour l’habitat (USH) – la fédération nationale des bailleurs sociaux – estimait à 882 000 le nombre de ménages présentant au moins un mois de retard dans le paiement du loyer au 31 décembre 2013, soit 22 % des ménages logés dans les 4,2 millions de logements que comporte le secteur HLM.

2 Les arriérés de loyer peuvent être considérés comme une forme – non marchande – de dette et de crédit, au sens où ils renvoient à l’usage d’un bien (le logement locatif) par un consommateur (le locataire) qui ne s’acquitte pas immédiatement ou durablement du prix (le loyer) et qu’il consomme ainsi à crédit.

3 Dispositions individuelles auxquelles les recherches ont prêté une moindre attention, en raison de leur ancrage théorique interactionniste ou pragmatique, et que nous avons pu documenter par ailleurs (François, 2018).

4 Voir un exemple de contrat d’apurement de la dette de loyers et charges en annexe électronique, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/10239.

5 Sur le modèle du concept de « biais d’ancrage » en psychologie – « biais cognitif » qui décrit la difficulté du sujet à se départir de ses premières impressions, par rapport auxquelles sont situées et évaluées toutes les informations ultérieures, et qui confère ainsi aux informations reçues en premier lieu un poids décisif dans la qualification des situations et la prise de décision.

6 Très proche en cela de la procédure d’« avis à tiers détenteur » (ATD) que met en œuvre l’État en matière de créances fiscales (au titre de l’article L 262 du Livre des procédures fiscales).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Camille François, « Faire payer les dettes : le recouvrement des impayés de loyer chez un bailleur social  », Sociologie [En ligne], N° 2, vol. 13 |  2022, mis en ligne le 02 juin 2022, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/10179

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Auteur

Camille François

camille.francois@univ-paris1.fr
Maître de conférences en sociologie, Université Paris 1, Centre européen de sociologie et de science politique, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris, France

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Droits d’auteur

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