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AccueilNumérosN° 2, vol. 13EnquêtesClasse, race et autochtonie : tri in(…)

Classe, race et autochtonie : tri institutionnel des « bons locataires » et ségrégation dans les cités HLM

Class, race and autochthony: Institutional sorting of “good tenants” and segregation in social housing estates
Pierre Gilbert

Résumés

À partir d’une enquête sur les pratiques d’attribution de logement social dans une cité HLM, combinant archives, entretiens et statistiques, cet article s’intéresse aux catégorisations de classe et raciales qui guident les pratiques des agents de terrain et à leurs effets ségrégatifs. Il montre d’abord que ces pratiques sont à l’origine de discriminations pour les fractions précaires des classes populaires, pour les femmes seules avec enfants et pour des minorités racisées. En prêtant attention à l’échelle d’observation, il souligne surtout que les logiques de gestion locative, qui accordent une prime à l’insertion locale des locataires, peuvent conduire à transformer le handicap de certaines minorités racisées (d’origine maghrébine) en ressource pour accéder aux logements les plus valorisés dans l’espace local. Il suggère, ce faisant, que la racialisation des politiques de peuplement ne repose pas uniquement sur la mobilisation de schèmes culturalistes attribuant des comportements à certains groupes sociaux, mais qu’elle peut aussi renvoyer à d’autres logiques dans lesquelles l’assignation raciale, mêlée à une identification religieuse, est associée à une forme de respectabilité locale. En conférant un capital d’autochtonie aux fractions stables des classes populaires racisées, ces politiques de peuplement offrent ainsi des possibilités de promotion résidentielle locale. Pour autant, combinées aux mécanismes discriminatoires que décrit également la littérature sur le sujet, elles tendent aussi à renforcer la ségrégation raciale à l’échelle des agglomérations.

Class, race and autochthony: Institutional sorting of “good tenants” and segregation in social housing estates

Based on a study of social housing allocation practices in a French housing estate, combining archives, interviews and statistics, this article looks at the class and racial categorisations that guide the practices of street level workers and their segregating effects. It first shows that these practices are a source of discrimination for the most precarious groups within the working class, namely for single women with children and for racialised minorities. By paying attention to the scale of observation, this article emphasises above all that rental management logics, which give a premium to the local integration of tenants, can lead to the transformation of certain racialised minorities’ disadvantage (particularly for those of North African origin) into a resource for accessing the most valued housing in the local space. In doing so, this paper suggests that the racialisation of housing policy is not only based on the mobilisation of culturalist schemes attributing behaviours to certain social groups, but that it can also refer to other logics in which racial assignment, mixed with religious identification, is associated with a form of local respectability. By conferring an indigenous capital on stable but racialised groups within the working class, these housing policies thus offer opportunities for residential upward mobility at a local level. However, combined with the discriminatory mechanisms also described in the literature, they also tend to reinforce racial segregation at level of the metropolis.

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Texte intégral

1La ségrégation résulte de divers processus : logiques économiques de marché et de la ville capitaliste, manière dont l’histoire se cristallise dans la morphologie urbaine, politiques publiques d’aménagement et de l’habitat, stratégies et préférences résidentielles des individus (Oberti & Préteceille, 2015 ; Chabrol et al., 2016). En France, si elle prend des formes variables d’une agglomération à l’autre (Cusin, 2015), son intensité apparaît moins forte que dans les pays anglo-saxons, en raison d’un régime d’État-Providence qui contribue à la fois à réduire les inégalités socio-économiques et à réguler l’offre de logements par l’intervention publique, en particulier par le logement social. Après avoir diminué depuis le milieu du xxe siècle (Préteceille, 2006) et contribué au processus « d’extraversion » des classes populaires (Schwartz, 1998), la ségrégation entre classes sociales connaît depuis la fin des années 1990 un nouveau regain, en particulier dans la région parisienne, où la concentration des élites économiques se renforce et produit des effets en chaîne sur l’ensemble des territoires (Préteceille, 2016), tandis que son évolution ailleurs en France est plus contrastée (Botton et al., 2020).

  • 1 Les termes race et racialisation renvoient ici aux rapports de pouvoir socialement et historiquemen (...)

2Par ailleurs, alors que les sciences sociales françaisesont longtemps été focalisées sur la seule dimension socio-économique des inégalités d’accès à la ville, elles s’intéressent depuis une vingtaine d’années à leur dimension raciale (Safi, 2009 ; Pan Ké Shon & Scodellaro, 2011), à la suite des travaux pionniers de Véronique de Rudder (2019). À côté de quelques rares enquêtes sur les discriminations dans le parc privé (Bonnet et al., 2011), ces recherches ont mis au jour la dimension racialisée des politiques de peuplement (Simon, 1999 ; Desage et al., 2014), soulignant leur filiation coloniale (Blanc-Chaléard, 2012 ; de Barros, 2005), leur rôle dans la genèse des politiques de la ville (Tanter &Toubon, 1999 ; Tissot, 2007) et dans les politiques locales de l’habitat (Belmessous, 2013 ; Desage, 2016). Elles ont montré combien l’action publique urbaine est orientée par des préoccupations sociales liées à la concentration dans certains espaces de groupes sociaux minorisés (Guillaumin, 1985), en particulier les jeunes descendants d’immigrés africains des quartiers populaires, érigés en nouvelles « classes dangereuses » (Chevalier, 1958). Plusieurs enquêtes ont notamment décrit comment les pratiques d’attribution des HLM engendrent des discriminations de classe et de race1, contribuant à (re)produire des formes de ségrégation (Bourgeois, 2019 ; Lelévrier, 2010 ; Sala Pala, 2013).

3Dans le prolongement de ces travaux, cet article analyse les logiques institutionnelles de tri des locataires dans les cités HLM. Il souligne que les catégorisations de classe et de race qui guident les pratiques des agents de terrain sont à l’origine de discriminations pour les fractions précaires des classes populaires et pour certaines minorités racisées. En faisant varier l’échelle d’observation, il montre que les logiques de gestion locative peuvent accorder une prime à l’insertion et à la respectabilité locale des locataires, transformant le handicap de certaines minorités racisées à l’échelle de la ville en ressource dans l’espace local. Il fait ainsi apparaître que la racialisation des politiques de peuplement ne repose pas uniquement sur la mobilisation par les agents de terrain de schèmes culturalistes attribuant des comportements à certains profils de locataires (jugés négativement ou positivement selon les cas), mais peut aussi renvoyer à d’autres logiques où l’identification raciale se mêle à une évaluation de l’autochtonie, pour produire un mécanisme de ségrégation distinct de ceux habituellement décrits par la littérature.

4Il s’appuie sur une enquête localisée dans le grand ensemble des Minguettes, dans l’agglomération lyonnaise, qui décrit la manière dont la politique contemporaine de rénovation urbaine transforme les classes populaires des cités HLM (Gilbert, 2014). Cette recherche permet notamment d’éclairer les pratiques de peuplement des agents de terrain des organismes HLM. Dans les cités, ces derniers disposent de fait de l’essentiel du pouvoir d’attribution des logements – contrairement à d’autres segments du parc social où les réservataires (entreprises cotisant au 1 % patronal, collectivités locales, préfecture) peuvent jouer un rôle plus important (Bourgeois, 2019). Mobilisant plusieurs matériaux (voir encadré 1), l’article se focalise sur l’analyse du relogement des habitants des tours vouées à la démolition. À la différence d’autres situations d’attribution de HLM, le relogement a pour spécificité de reposer sur la connaissance préalable de l’ensemble des habitants par les agents de l’office. Son étude s’avère toutefois particulièrement heuristique pour objectiver les logiques ordinaires du tri des locataires dans les HLM : d’une part, le relogement – parce qu’il permet d’observer dans un temps limité le destin différencié d’une même population – est un moment propice à l’objectivation des critères de tri mobilisés couramment par les bailleurs (propriétés sociales, configurations familiales, solvabilité des ménages, etc.) ; d’autre part, la connaissance préalable des ménages et de leur implantation dans l’espace local guide aussi les pratiques ordinaires de tri des locataires, au-delà du relogement, comme j’ai pu le voir au cours de mon enquête (recours à des enquêtes de voisinage en amont des attributions, prise en compte du passif des locataires pour les demandes de mutations, gestion clientéliste des attributions fondée sur l’interconnaissance locale et la réputation des familles, etc.).

5Comme on va le voir, l’enquête souligne d’abord que le tri institutionnel des locataires est guidé par le principe de gestion des risques locatifs : l’activité des agents de terrain repose sur un travail d’identification des habitants qui conduit à les différencier et à les hiérarchiser selon des critères qui relèvent à la fois de la classe sociale, de catégorisations raciales et de leur implantation dans l’espace local. Elle montre que ces logiques de filtrage varient selon l’échelle de leur mise en œuvre. À l’échelle de l’agglomération, le tri des locataires se superpose clairement à la hiérarchie de l’espace résidentiel : les ménages jugés les plus solvables, les plus respectables et n’appartenant pas aux groupes identifiés comme des minorités raciales accèdent plus aisément aux espaces les plus valorisés du parc HLM de la métropole lyonnaise. Cependant, en resserrant la focale d’observation et en prêtant attention à la hiérarchie résidentielle interne aux cités, le constat diffère quelque peu. Si être catégorisé comme maghrébin est source de discrimination pour l’accès aux secteurs plus valorisés dans l’agglomération, cela devient au contraire, à l’échelle locale, une ressource pour accéder aux segments les plus prisés du grand ensemble. En cherchant parmi la population locale des alliés pour normaliser les relations de voisinage, les organismes HLM favorisent en effet les familles identifiées comme bénéficiant d’une forme de respectabilité locale, fondée sur un mélange d’appartenance aux fractions stables des classes populaires, à la minorité racisée localement dominante, ainsi qu’à une pratique religieuse jugée respectable.

6L’enquête montre ainsi que les pratiques d’attribution des logements sociaux se situent à l’intersection de différents rapports sociaux. Elles reposent non seulement sur des catégorisations et des jugements moraux portés par les agents des offices HLM sur les locataires, dont on peut observer les effets inégalitaires sur l’accès au logement en termes de classe, de race et de genre, mais aussi sur l’évaluation qu’ils font de la position sociale des habitants dans l’espace local, selon une grille de lecture qui relève à la fois de la classe et de la race. Cette recherche contribue ainsi à approfondir la connaissance sur les discriminations dans le logement social, en soulignant l’ambivalence des politiques racialisées de peuplement : en s’appuyant sur la structure sociale localisée pour trier les locataires, les pratiques des agents des HLM tendent à renforcer l’ancrage local de certaines minorités raciales, au prix d’un renforcement de la ségrégation à l’échelle de l’agglomération.

Encadré 1. Le relogement, moment d’objectivation du tri des locataires

L’article s’appuie sur une recherche de six ans (2006-2012) dans le grand ensemble des Minguettes, dans le cadre d’une thèse de sociologie (Gilbert, 2014), qui mobilisait des outils d’investigation variés : entretiens auprès de dix agents d’organismes HLM (gardiens, chargés d’attribution, chargés de site, directeurs d’agence) et de dix autres acteurs institutionnels locaux ; exploitation statistique de bases de données produites par ces organismes (logiciel de gestion locative et base de données relogements) et des données localisées du recensement de la population ; archives de gestion locative d’un organisme HLM local ; analyse de la littérature grise sur les Minguettes ; entretiens approfondis avec cinquante-deux habitants.
L’article se focalise notamment sur le relogement. Les démolitions d’immeubles sont en effet un moment propice pour objectiver les pratiques d’attribution des HLM : cette situation permet de comparer, de façon quasi expérimentale, la manière dont l’institution opère un traitement différencié d’une population connaissant une situation initiale analogue, relogée dans une même temporalité et avec les mêmes contraintes opérationnelles. Dans les deux quartiers étudiés (Léon Jouhaux et Aragona), huit tours HLM ont été démolies, soit 525 logements sociaux. Soustraction faite des logements vacants et des ménages ayant trouvé un logement par leurs propres moyens, les bailleurs ont pris en charge le relogement de 291 ménages – parmi lesquels certains, d’abord relogés dans une autre tour vouée à la démolition ou dans un logement temporaire en attendant la livraison des résidences HLM neuves, ont fait l’objet de deux relogements successifs. La base de données sur laquelle repose l’analyse statistique provient de trois sources : les tableaux papiers du relogement des deux tours du quartier Aragon, ainsi qu’une base de données transmise par l’office HLM de Lyon pour les six tours du quartier Léon Jouhaux, qui elle-même résulte de la fusion de deux jeux de données concernant les locataires de ce bailleur et ceux d’une entreprise sociale pour l’habitat, propriétaire de deux des six tours démolies du quartier, ayant délégué le relogement à l’office HLM de Lyon.
La base de données réunissant ces trois sources présente par conséquent un aspect disparate, les variables et leurs modalités n’étant pas homogènes. Pour cette raison, mais aussi à cause de la relative faiblesse des effectifs dans chacune des trois sous-populations, il n’a pas été possible de procéder à une régression logistique. Une telle analyse apparaît d’autant moins pertinente que le nombre de variables est limité et que certaines variables cruciales (comme les PCS ou le niveau de diplôme) sont absentes de la base, affaiblissant a priori toute tentative de raisonnement « toutes choses égales par ailleurs ». L’analyse repose donc essentiellement sur des tableaux croisés (mais a aussi fait l’objet d’une analyse des correspondances multiples, non présentée ici). Dans les tableaux, les tests du chi2 sont mentionnés à titre indicatif, mais les écarts observés demeurent interprétables dans tous les cas, puisque les données concernent l’ensemble de la population étudiée, et non pas un échantillon.
L’analyse repose sur la comparaison des relogements à deux échelles. D’une part, on distingue à l’échelle de l’agglomération trois lieux d’arrivée, qui suivent la hiérarchie de l’espace local (corroborée par les représentations des agents des HLM et celles de la majeure partie des habitants, ainsi que par la structure du peuplement des quartiers de relogement, objectivée par les données localisées du recensement de la population) : Minguettes, Vénissieux (hors Minguettes) et agglomération lyonnaise (majoritairement les 7e et 8e arrondissements de Lyon, relativement populaires mais au peuplement moins précaire qu’à Vénissieux et bien moins que les grandes cités de l’agglomération comme les Minguettes, la Duchère ou le Mas du Taureau). D’autre part, à l’intérieur des Minguettes, plusieurs types de mobilité sont distingués, à partir de la comparaison entre logement quitté et logement d’arrivée. Cette typologie s’appuie sur la hiérarchisation de l’espace local telle qu’elle est apparue au fil de l’enquête ethnographique, sur archives et statistiques. Elle permet de distinguer trois types de relogement : des déclassements (dans les tours HLM les plus stigmatisées de l’espace local, où sont surreprésentés les ménages dont le vœu de quitter le quartier n’a pas été respecté), des déplacements (dans un logement social équivalent du même quartier) et des promotions résidentielles (accès à une résidence neuve, à un immeuble situé dans un quartier plus valorisé du grand ensemble, mais aussi accession à la propriété dans les secteurs valorisés des Minguettes, accompagnée et encouragée par les chargés de relogement).

a Le nom des quartiers a été anonymisé, de même que celui de tous·tes les enquêté·es.

Gestion du risque locatif et ségrégation résidentielle

7Pour saisir les processus ségrégatifs dans les HLM, il faut d’abord rendre compte des logiques pratiques des agents de terrain de ces organismes. Comme on va le voir, leur travail est guidé par un principe général : la gestion du risque locatif. Celle-ci repose sur un travail d’identification des locataires, qui consiste à catégoriser et hiérarchiser les habitants en fonction des risques qu’ils font peser sur la gestion sociale et économique du patrimoine. Cette identification affecte directement les chances des locataires : ceux jugés à risque ont une moindre probabilité d’accéder aux segments les plus valorisés du parc HLM situés en dehors du quartier, mais aussi aux adresses les plus prisées à l’intérieur du grand ensemble.

Le travail de relogement : une gestion préventive du risque locatif

8Les opérations de relogement reposent sur une procédure spécifique. Confiée dans certains cas à des agents spécialisés, elle est encadrée par une charte de relogement, qui répond à une prise en charge individualisée et contractuelle garantissant des droits aux locataires et visant à les faire consentir à un déménagement qui leur est imposé (Gilbert, 2019). Le relogement s’organise de façon différente dans les deux quartiers étudiés : à Léon Jouhaux, il est assuré par une chargée de clientèle de l’agence locale de l’office HLM ; à Aragon, c’est un agent spécialisé dans les opérations de relogement qui en a la charge, recruté à l’occasion de la création d’un service renouvellement urbain au siège de l’office HLM. Ce dernier travaille toutefois en lien étroit avec l’agence locale pour formuler les propositions de relogement, si bien que dans les deux cas, l’organisation du relogement repose sur la connaissance préalable des locataires par les agents de terrain de l’office. Au-delà de ces spécificités, ces opérations s’inscrivent dans les pratiques routinières d’attribution de HLM, qui consistent à ajuster le profil des candidats à une offre de logement hiérarchisée, suivant le principe de la « gestion du risque locatif » (Lelévrier, 2010 ; Sala Pala, 2013).

  • 2 Soit la part du budget consacré au logement.

9Le travail des chargés de relogement se présente d’abord à eux comme un problème technique. Il faut trouver pour chaque ménage une solution de relogement, organiser matériellement le déménagement et les éventuels travaux dans le nouveau logement, en tâchant d’ajuster l’offre disponible au profil et aux aspirations des habitants, mais aussi aux stratégies de peuplement du bailleur. Le relogement débute ainsi toujours par une enquête qui permet de recueillir, lors de rendez-vous individuels, les informations jugées pertinentes pour la conduite de l’opération. Ces informations, consignées par les agents dans des fichiers, concernent à la fois les souhaits de relogement (lieu, taille du logement, etc.), la solvabilité des ménages (afin de calculer le taux d’effort2), la situation familiale ou des difficultés spécifiques. Tout commence donc par l’évaluation de leur situation, en particulier économique :

Mon rôle à ce moment-là, c’est simplement de mettre en place un rendez-vous avec chaque locataire, individuel, pour apprendre à les connaître, voir un petit peu les problèmes qu’il peut y avoir dans chaque famille, […] ça peut être des problèmes financiers, familiaux ou autre encore. Et puis calculer leurs ressources, enfin étudier un petit peu aussi, regarder leur compte locataire, sils sont régulièrement par exemple déficitaires, si ils oublient de payer les loyers, essayer de reprendre tout ça en main. Et puis à partir de là, une fois que tout ça est mis en place, dès que j’ai leur demande, leur bilan de situation, à ce moment-là je fais ma recherche d’appartement (Philippe Mainsaut, chargé de relogement à Aragon).

10Ce travail d’évaluation conduit les chargés de relogement à pénétrer dans l’intimité des familles, en cherchant à repérer d’éventuels « problèmes financiers, familiaux ou autre ». La collecte et la mise en fiche de ces informations s’inscrivent dans les pratiques ordinaires des agents des offices HLM qui, comme d’autres pratiques bureaucratiques permettant de définir des ayants droit et de contrôler à distance les personnes, reposent sur leur « identification » (Noiriel, 2007 ; Laferté, 2010). Cette étape, essentielle, permet notamment de repérer les locataires auprès de qui il faudra entreprendre un travail de normalisation des pratiques locatives.

11La pratique du relogement relève en effet d’un aspect classique du travail social, qui répond au mandat historique des HLM, d’éducation des locataires (Voldman, 2019) et à la « mission de civilisation » des classes populaires confiée aux travailleurs sociaux (Serre, 2009). Celle-ci est directement liée aux enjeux de gestion locative. Par l’encadrement social des ménages et l’attribution sélective des logements sociaux, il s’agit de minimiser les risques que les comportements de certains locataires font peser sur la gestion sociale et économique du patrimoine – non paiement du loyer, troubles du voisinage ou dégradation matérielle. Au-delà des comportements, les agents évaluent également les risques de déclassement symbolique et de perte d’attractivité du patrimoine que représente l’installation de certains groupes socialement dévalorisés.

  • 3 Titre de la fiche de synthèse des quatre ménages du quartier Aragon suivis par un prestataire extér (...)

12L’enquête sociale s’apparente aussi à une opération de contrôle de la situation effective des ménages. Cette entrée dans la vie privée concerne de façon particulièrement approfondie les locataires pour lesquels un dispositif d’accompagnement social est mis en place. Destiné aux « familles en difficultés sociales ou avec leur environnement3 », celui-ci se définit comme un accompagnement global des locataires « en rupture sociale » (selon Philippe Mainsaut), bien au-delà des seules questions relatives à l’habitat. Il peut répondre à une logique très générale de suivi social, comme pour cette famille dont il s’agit de « soutenir [la] nouvelle installation et éviter une trop grande fragilisation », ou à des objectifs plus ciblés comme la résorption de la dette, le soutien administratif dans certaines démarches ou la recherche d’emploi. Confiée à des prestataires extérieurs, cette procédure se déroule en lien étroit avec le chargé de relogement et l’agence locale de l’office HLM, régulièrement tenus informés de ce suivi, et dont ils tiennent compte pour le relogement.

13L’intrusion dans l’intimité ne se limite pas à cet accompagnement spécifique mais concerne l’ensemble des ménages relogés. Elle repose notamment sur les nécessités de l’opération. La morphologie des ménages se modifiant au fil du temps, les informations dont dispose le bailleur sur les locataires, qui remontent le plus souvent à leur entrée dans le logement, sont peu fiables. Une des premières missions des agents est donc de vérifier et de mettre à jour la connaissance de la composition du ménage, une information cruciale puisque de celle-ci dépend l’évaluation à la fois de ses ressources financières et de la taille du futur logement. Au-delà, la nécessité de connaître les « besoins » des ménages relogés conduit à s’intéresser de façon plus large à la situation familiale et à ses conditions de vie, notamment pour envisager les conditions dans lesquelles la morphologie du ménage peut évoluer au cours du relogement : en aménageant des décohabitations (départ de jeunes adultes, séparations conjugales) ou l’éventuel agrandissement des ménages (mise en couple, naissance anticipée). Le relogement constitue aussi pour le bailleur une occasion de mener une politique familiale, en agissant sur la composition du groupe domestique (Gaullier, 2008 ; François, 2014b).

14Enfin, le relogement est pour les agents une opportunité de reprise en main de la gestion locative, afin de contraindre les locataires jugés les plus « difficiles » à se conformer à certaines attentes institutionnelles. Cela concerne en particulier la résorption des dettes locatives, mais aussi plus largement le respect des règles du bon voisinage. Le document à usage interne établissant le « bilan » du relogement à Aragon indique ainsi :

La décision a été prise de reloger et de signer un nouveau bail aux locataires dont le bail avait été résilié judiciairement pour dette importante de loyer à deux conditions : 1) engagement du locataire sur un plan d’apurement de la dette et paiement régulier du nouveau loyer ; 2) comportement irréprochable (pas de trouble de voisinage, dégradation, etc.). Deux locataires étaient concernés par cette mesure et ont été relogés en signant un nouveau bail (fiche de synthèse des quatre ménages du quartier Aragon suivis par un prestataire extérieur, p. 10, souligné par nous ; archives non classées de l’agence locale de l’Office lyonnais de HLM).

15La gestion préventive du risque locatif conduit notamment à maintenir sur place, dans les segments les moins valorisés du parc social, les familles jugées « difficiles », quels que soient leurs souhaits. Aux yeux des agents, cela permet d’éviter de perdre les acquis du travail d’accompagnement social engagé avec elles et, surtout, de ne pas mettre en danger les secteurs plus valorisés du patrimoine situés hors du grand ensemble, que l’arrivée de ces locataires risquerait de dégrader symboliquement :

Les familles sur lesquelles il y avait un dysfonctionnement, on a essayé en majorité de les garder sur notre patrimoine et à proximité pour continuer de gérer tout ça, plutôt que d’assurer une mutation sur un autre secteur et de déporter le problème. Globalement, on a, les choses étaient pas forcément toujours dites, mais on a essayé de faire les choses... Là après, c’est vrai que le relogement, c’est ce que ça permet aussi, créer des liens, et après, oui, limite, on rentre dans leur intimité, et on connaît beaucoup, beaucoup de choses. Donc, c’est... C’est ce qui est intéressant aussi parce que, à la fois on est aussi peut-être un petit peu plus pertinent dans nos attributions et dans la mobilité de certaines familles (Sylvie Dalle, chargée de relogement à Léon Jouhaux).

16Impliquant un travail émotionnel parfois éprouvant, l’intrusion dans l’intimité est aussi un moyen d’approfondir l’identification des ménages et, par conséquent, d’être « plus pertinent » dans la politique d’« attributions fines » menée par l’office HLM. L’identification bureaucratique des locataires se combine en effet avec des logiques de catégorisation et de perception plus informelles, qui s’appuient sur divers indices puisés par les agents dans leurs interactions avec les locataires et à partir desquels ils forment des jugements où se mêlent classe, genre et race : accent, phénotype, mélanotype, maîtrise de la langue française, mais aussi registre de langage, signes de la loyauté envers le bailleur perçus dans les échanges verbaux, code vestimentaire, hexis corporelle, discours ou pratiques éducatives, rapports à l’emploi, à la gestion du budget, à l’entretien matériel du logement, etc.

17Les pratiques du relogement sont ainsi guidées par les enjeux de gestion locative. Elles se traduisent par une entreprise de normalisation des comportements des locataires, mais aussi par une politique sélective d’attribution des logements. Comme on va le voir, celle-ci répond à un principe méritocratique consistant à rétribuer les « bons » locataires, en tâchant de satisfaire davantage leurs aspirations, et à sanctionner les familles au comportement jugé problématique, en limitant – sans l’énoncer officiellement – leurs possibilités de relogement. Cette logique de tri et de hiérarchisation est rendue possible par le travail de catégorisation des locataires opéré par les agents, qui tendent à accorder la hiérarchie des habitants à celle de l’habitat. C’est ce que montre l’analyse statistique des relogements, en distinguant d’abord, à une échelle large, trois espaces par ordre croissant dans la hiérarchie résidentielle : les Minguettes ; le reste de la ville de Vénissieux ; et le reste de l’agglomération.

Passants et sédentaires. Accorder la position sociale à la hiérarchie résidentielle

18L’analyse statistique montre que le lieu de relogement dépend d’une combinaison entre des variables liées à l’âge et à la classe sociale. Les locataires se départagent de façon schématique entre « passants » et « sédentaires » (Chamboredon & Lemaire, 1970). Les ménages les plus jeunes et les moins précaires accèdent aux logements les plus valorisés, notamment en dehors des Minguettes, quand les plus âgés et les plus précaires restent sur place. Cette différence résulte en partie des effets de l’âge et de l’ancienneté locale sur les aspirations résidentielles des ménages (Tableau 1). Comme l’indiquent les entretiens avec les habitants et l’analyse statistique des « vœux » de relogement, les locataires plus âgés souhaitent plus souvent rester sur place, l’enjeu pour eux étant moins l’amélioration de leur position résidentielle que le maintien de leur réseau amical et familial local. À l’inverse, les ménages les plus jeunes aspirent plus souvent à grimper dans la hiérarchie résidentielle, ce qui passe souvent par le départ du quartier.

Tableau 1 : Lieu de relogement selon le profil des locataires

Tableau 1 : Lieu de relogement selon le profil des locataires
  • 4 La distribution des familles monoparentales est en effet analogue à l’ensemble de la population rel (...)

19De façon générale, les chances d’accéder aux logements les plus valorisés sont très nettement corrélées à l’appartenance aux fractions stables et respectables des classes populaires. Parmi les ménages quittant Vénissieux, aucun n’a de dette locative et les locataires aux niveaux de revenus élevés et ayant un emploi sont surreprésentés. Inversement, les ménages perçus comme faisant peser un risque pour la gestion locative sont plus souvent relogés dans les secteurs les plus dévalorisés. C’est le cas par exemple des mères seules avec des enfants ou des adolescents. Ainsi, si les familles monoparentales ne semblent pas au premier regard subir de discrimination4, l’observation détaillée de leur profil montre que celles qui parviennent à quitter le grand ensemble sont en réalité plus souvent éloignées du profil jugé problématique par les bailleurs sociaux (elles comportent peu d’enfants, ont plus souvent à leur tête une femme active et plus souvent âgée de plus de 55 ans, avec des enfants adultes ou assez âgés, ce qui réduit le risque, perçu par le bailleur, de troubles du voisinage). À l’inverse, aucune famille monoparentale avec plus de trois enfants ne parvient à quitter les Minguettes. En défavorisant ces familles monoparentales, les logiques de tri des locataires accroissent les inégalités subies par les femmes suite aux séparations conjugales (Collectif Onze, 2013).

20Le principe de gestion du risque locatif conduit ainsi à proposer aux ménages offrant le plus d’assurance en termes de paiement du loyer et de comportements de voisinage des appartements dans les segments les plus valorisés du patrimoine HLM. Ces logiques de tri, comme on le verra, sont associées à des catégorisations raciales, qui tendent à renforcer la ségrégation des minorités associées à l’immigration africaine. Ce constat binaire, qui distingue passants et sédentaires, apparaît cependant insuffisant dès lors qu’on modifie l’échelle d’observation et qu’on tient compte de la différenciation interne de l’espace résidentiel des Minguettes, où sont relogés la moitié des résidents des tours démolies. À l’intérieur du grand ensemble, on peut en effet distinguer trois types de mobilité (voir encadré 1) : des promotions (mobilité ascendante), des déplacements (neutre) et des déclassements (descendante).

Promus locaux, déplacés, déclassés. De l’importance des micro-hiérarchies locales

21La différenciation du relogement à l’intérieur des Minguettes est, elle aussi, déterminée par l’âge des locataires (Tableau 2). Les ménages les plus âgés et avec une plus grande ancienneté connaissent la plupart du temps une trajectoire neutre de déplacement à l’intérieur du grand ensemble, souvent dans des logements équivalents dans un immeuble voisin de la tour démolie où ils résidaient. Ce relogement à proximité s’explique par les aspirations de ces ménages, mais aussi par le traitement favorable dont ils font l’objet. Les chargés de relogement témoignent à leur égard d’une forte empathie et considèrent, en raison de leur âge et de leur ancienneté, la démolition comme un « traumatisme » dont ils cherchent à atténuer les effets en favorisant les déménagements à proximité et en privilégiant le relogement dans un même immeuble, voire sur le même pallier, de plusieurs familles âgées unies par des liens de voisinage. Ces ménages âgés incarnent la figure des sédentaires, par opposition aux plus jeunes et plus favorisés ayant quitté le quartier qui caractérisent les passants. Entre les deux apparaît un groupe avec une position intermédiaire dans le cycle de vie (35-44 ans) et dont une partie connaît, lors du relogement, des formes de promotion locale. Ces ménages qui accèdent aux segments les plus valorisés de l’espace local se caractérisent par leur grande taille (4,4 personnes en moyenne) et la présence de nombreux enfants, qui constitue un handicap pour accéder à un logement social en dehors des Minguettes (les HLM de type T4, T5 ou T6 étant à la fois les plus prisés et les moins disponibles dans l’agglomération) – par opposition aux ménages qui parviennent à quitter Vénissieux, à la fois plus jeunes et de plus petite taille.

Tableau 2 : Type de relogement selon le profil

Tableau 2 : Type de relogement selon le profil
  • 5 Ainsi, 18 % des ménages sans dette locative connaissent un déclassement, contre 27 % de ceux avec u (...)

22Outre le soin accordé aux ménages âgés, le tri des locataires s’observe dans le traitement différencié des ménages déclassés et des promus locaux. La préservation des fractions privilégiées du patrimoine justifie en effet d’y attribuer les logements de façon sélective, les familles jugées « à risque » se voyant attribuer des appartements dans les secteurs les plus dévalorisés du parc local. Ainsi, parmi les ménages déclassés, on trouve une nette surreprésentation des familles monoparentales, des plus pauvres et de ceux ayant une importante dette locative5. L’enquête par entretiens et dans les archives locatives vient confirmer ce constat statistique. Les ménages catégorisés comme « à problème » (avec une dette locative, perçus comme posant des problèmes de voisinage, peu coopératifs avec le bailleur, faisant l’objet d’une procédure d’accompagnement social) sont plus souvent relogés dans les espaces déclassés. À partir de la connaissance qu’ils ont des locataires des tours démolies, les agents des HLM portent en effet sur eux des jugements moraux et sociaux (François, 2014a), qui participent à guider les décisions d’attribution. Nos matériaux offrent plusieurs indices du lien entre ces jugements et le lieu de relogement.

  • 6 Fiches individuelles et fiches récapitulant dans un tableau les cas de chaque ménage et la stratégi (...)

23Dans l’une des fiches individuelles de relogement d’une tour du quartier Aragon, on lit à propos d’une locataire (célibataire, trente ans, avec un emploi stable) : « Sans souci, mais cherche vraiment calme et propre ». Celle-ci obtient un relogement très favorable, dans le 8e arrondissement de Lyon. Au cours d’un entretien, le directeur de l’agence locale de l’office HLM décrit un autre ménage comme « la famille Bidochon » mais ne posant pas de difficulté et à propos d’une autre explique : « Ils sont un peu chauds, c’est un peu une famille à problèmes. » Si les deux familles sont relogées dans le quartier, la première accède à l’une des deux tours les plus valorisées, près de la nouvelle résidence HLM des Tilleuls, quand l’autre est relogée dans une des tours Sud, les plus stigmatisées du quartier. Les fiches papier utilisées par les agents6 offrent des indices supplémentaires de ces jugements moraux et de leurs effets. Dans une fiche de suivi, on retrouve la famille « un peu chaude » décrite ci-dessus : alors que ce couple avec deux enfants formule le souhait (tel qu’il est enregistré par le chargé de relogement) d’un appartement dans une autre tour du quartier ou dans la nouvelle résidence des Tilleuls, on peut lire sur la fiche : « enfants perturbateurs », puis « propositions sur Aragon : tours sud ». A contrario, un ménage au profil similaire, avec deux enfants mais décrit comme un « couple stable », souhaite quitter Vénissieux et obtient satisfaction avec un relogement dans le 8e arrondissement de Lyon.

24Le sort différencié des familles monoparentales du quartier Aragon est tout aussi éloquent. Deux d’entre elles, décrites plutôt positivement dans la fiche de suivi, obtiennent un traitement favorable. La première, une mère seule avec deux enfants de douze et dix-huit ans, percevant une pension d’invalidité et qualifiée de « personne fragile », est relogée dans le 7e arrondissement de Lyon après avoir demandé de quitter Vénissieux et refusé une première proposition de relogement dans la partie valorisée des Minguettes, puis une seconde dans la commune populaire de Feyzin, voisine des Minguettes. Quant à la seconde, occupant un emploi précaire, avec trois enfants de neuf à seize ans et décrite comme « [pouvant] être difficile avec nous. Pas de problème de comportement avec le voisinage », elle obtient également un logement hors de Vénissieux.

  • 7 La première personne, quarante-quatre ans, est au RMI et a huit enfants de neuf à vingt-cinq ans, d (...)
  • 8 Le quatrième est un homme célibataire de quarante-six ans, dont la fiche est beaucoup plus succinct (...)

25À l’inverse, les trois autres familles monoparentales du quartier pour lesquelles l’évaluation des agents est plus négative apparaissent très clairement subir le relogement7. Appartenant aux quatre ménages faisant l’objet d’un suivi social spécifique, elles sont catégorisées comme des « familles en difficultés sociales ou avec leur environnement8 » et endettées auprès du bailleur et/ou d’autres institutions. La fiche de suivi de l’une d’entre elles traduit l’agacement du chargé de relogement face aux rapports de celle-ci avec l’administration, perçus comme un manque de sérieux ou de volonté et renvoie à la figure de l’assisté, du mauvais pauvre :

Besoin de suivi opérationnel : oui dans les démarches administratives (laxisme). Commentaires : [en gras] Jamais à ses rendez-vous ! D’où la difficulté de savoir le nombre d’enfants vivant dans l’appartement sur les huit déclarés. Revenus constitués exclusivement de prestations sociales ! (fiche de suivi d’une famille monoparentale).

  • 9 Dans cette fiche, la première locataire demande soit un autre quartier des Minguettes, soit le quar (...)

26Alors qu’elles expriment clairement la volonté de quitter le quartier ou d’accéder à un autre environnement9, toutes les trois sont finalement relogées dans l’une des tours stigmatisées au sud du quartier. Le tri des locataires reproduit ici clairement des inégalités de classe et de genre.

  • 10 D’autres enquêtes l’attestent, mais notre matériau ne permet que d’en faire l’hypothèse, l’auto-con (...)

27Pour évaluer la qualité des locataires à reloger, les agents des HLM s’appuient sur des schèmes de perception à partir desquels ils jugent de la moralité des ménages et du niveau de risque locatif qu’ils représentent. Cette évaluation relève de jugements de classe, mais probablement aussi d’une perception racialisée des comportements résidentiels et des pratiques éducatives familiales10. Le tri des locataires répond ainsi à une logique méritocratique, récompensant les « bons locataires », dont le comportement est jugé exemplaire, un principe parfois explicité par les chargés de relogement aux habitants. Comme l’explique Philippe Mainsaut, le relogement permet de corriger des « erreurs de parcours » en offrant la possibilité de quitter le quartier à des ménages dont, selon lui, la place ne devrait pas être dans une cité HLM :

Il y a ceux qui ont fait des demandes vraiment pour partir à l’extérieur. À chaque fois le but [pour moi] c’était de comprendre quelles étaient leurs motivations. Si leur motivation est réelle, souvent ça se passe bien. [...] Ou alors des personnes qui sont arrivées à Aragon, j’allais dire par erreur de parcours... On voit, j’allais dire une personne, une personne qui a été chef d’entreprise, et de par sa maladie a tout perdu, donc s’est retrouvée là-bas. Donc pour elle, c’est une erreur de parcours, y a quelque chose qui a mal fonctionné. Donc le faire partir de ce quartier qu’elle n’apprécie pas, parce qu’elle a pas, elle a pas cherché à le comprendre non plus, donc elle l’apprécie pas, la ramener dans un quartier style États-Unis [dans le 8e arrondissement de Lyon], c’est la ramener quelque part plus vers son, euh vers ce qu’elle est habituée à vivre (Philippe Mainsaut, chargé de relogement à Aragon).

28Si l’exemple pris ici par Philippe Mainsaut semble plus théorique que puisé dans son expérience, comme en témoignent les hésitations du récit ou la répétition de la formule « j’allais dire », le choix de cette image lui permet néanmoins d’exprimer l’idée qu’il se fait du relogement : il s’agit d’accorder le statut résidentiel des locataires avec leur statut social. Le récit de « l’erreur de parcours » illustre l’idée selon laquelle certains locataires des Minguettes n’y sont pas vraiment à leur place et que le relogement est une opportunité de corriger ces situations anormales, en organisant une meilleure adéquation entre leur position sociale, telle que la perçoivent les agents, et leur position dans l’espace résidentiel. Ce récit permet en retour de disqualifier les cas où la motivation à monter dans la hiérarchie résidentielle n’est pas « réelle », en particulier pour les familles jugées « problématiques », trop éloignées du profil du bon locataire ou présentant un risque locatif trop élevé, qui sont alors maintenues sur place, y compris lorsqu’elles souhaitent explicitement quitter le quartier.

Classe, race et autochtonie : la respectabilité locale comme ressource

29Le travail d’identification des locataires conduit les agents des HLM à établir parmi les habitants des cités une distinction entre ceux jugés fiables et ceux perçus comme à risque. Si la recherche du bon locataire repose comme on vient de le voir très largement sur des critères de classe, mêlant position socio-économique et respectabilité morale, elle renvoie aussi à l’ancrage local des habitants, qui aux yeux du bailleur peut constituer une garantie contre les risques locatifs. Pour trier les habitants, les agents s’appuient en effet sur les principes de hiérarchisation internes aux classes populaires et sur l’existence de formes de « respectabilité » (Hoggart, 1970 ; Skeggs, 2015). Celle-ci repose non seulement sur la position socio-économique et l’insertion professionnelle, mais aussi sur l’ancrage local, où l’assignation raciale et religieuse joue un rôle important.

Objectiver les catégorisations raciales des agents des HLM

30De façon analogue aux critères de classe, des catégorisations raciales interviennent dans l’attribution des HLM (Sala Pala, 2013 ; Bourgeois, 2019). Au cours de mon enquête, dont l’objet principal n’était pas l’identification des pratiques des agents et qui s’est déroulée après le relogement, l’objectivation de telles pratiques n’était pas évidente. À la différence de l’observation directe, qui permet d’attester de l’usage de telles catégories dans le cours de l’action, mais aussi de l’enquête ethnographique, où la familiarité qui se noue avec les enquêtés permet souvent de « briser la glace », l’enquête par entretiens n’est pas le moyen le plus efficace pour accéder aux pratiques et aux représentations des agents qui reposent sur ces catégories raciales. En effet, l’usage de critères raciaux dans l’attribution des logements sociaux fait l’objet de vives dénonciations dans l’espace public et se traduit, depuis la transposition dans le droit français des directives européennes contre les discriminations au début des années 2000, par des condamnations pénales. Ces sanctions morales et judiciaires ne sont pas sans susciter diverses formes d’auto-censure face à l’enquêteur.

  • 11 Voir aussi de (de Rudder, 2019 ; Tanter & Toubon, 1999 ; Blanc-Chaléar, 2012).

31Malgré la relative invisibilisation de ces pratiques, plusieurs éléments attestent de leur présence aux Minguettes. La racialisation des politiques de peuplement est en effet présente dès la naissance du grand ensemble à la fin des années 1960. Au début des années 1970, la municipalité et la préfecture du Rhône se mobilisent pour limiter la concentration d’étrangers (en particulier maghrébins), instaurant une politique du « seuil de tolérance » fixant des quotas de 15 % d’étrangers11, qui s’avèrent relativement bien appliqués. Dès 1974, la part des ménages maghrébins (selon un critère de nationalité) ne dépasse jamais 15 % à l’échelle de petits groupes d’immeuble (Gilbert, 2014 ; Hajjat, 2013).

  • 12 Une majorité de ces rapports est produite par le Groupe de sociologie urbaine de Lyon, cofondé par (...)

32Au tournant des années 1970-1980, cette politique fait cependant l’objet de plusieurs critiques : celles de nombreux habitants ne trouvant pas à se loger (la fin des quotas figure parmi les revendications de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, née aux Minguettes) mais aussi des grandes industries locales, qui ne parviennent pas à loger leur main d’œuvre immigrée. La critique émane également des groupes d’études mandatés depuis le début des années 1970 par les institutions locales pour enquêter sur les Minguettes et qui, nourries par la sociologie urbaine des années 196012, soulignent les effets parfois néfastes de la diversité du peuplement sur les relations de voisinage. Elle provient enfin de plusieurs organismes HLM, qui jugent cette politique responsable des lourdes difficultés économiques qu’ils éprouvent en raison de la vacance massive qui touche le grand ensemble (en 1984, 2400 des 9000 logements sont inoccupés), alors même que de nombreuses familles immigrées connaissent des situations de surpeuplement qui pourraient être résolues par l’attribution des logements vacants aux jeunes adultes.

33Dans ce contexte, plusieurs organismes locaux expérimentent au début des années 1980 de nouvelles pratiques de peuplement, qui se diffuseront ensuite dans le monde HLM (Dourlens & Vidal-Naquet, 1986). Celles-ci consistent notamment à privilégier l’attribution de logements à de jeunes adultes de la « seconde génération » d’immigrés maghrébins qui, en raison de leur implantation et de leur respectabilité dans l’espace local, sont censés jouer un rôle pacificateur auprès de la jeunesse locale. L’attribution des HLM est alors décentralisée, confiée aux agences locales et aux agents de terrain (dont les gardiens), qui disposent d’une bonne connaissance de la population et à qui on confie la gestion des « équilibres de peuplement ». Cette politique des « attributions fines » consiste à évaluer la compatibilité des candidats aux spécificités du peuplement de chaque allée, immeuble et îlot, en recherchant notamment des locataires capables d’exercer une influence jugée positive sur le voisinage. Ce principe conduit à la remise en cause du principe du seuil de tolérance : s’il demeure valable à l’échelle du grand ensemble, celui-ci peut désormais être amendé au niveau de l’immeuble, voire de l’îlot, afin de garantir une cohabitation harmonieuse et de faciliter la gestion locative.

  • 13 Le formulaire CERFA de demande de logement social ne contient plus aujourd’hui que trois modalités (...)

34Ce souci institutionnel pour le peuplement se matérialise par le financement des nombreuses enquêtes sociales des années 1970 et 1980, puis par la mise en place à partir du milieu des années 1980 de plusieurs observatoires locaux du peuplement, produisant chaque année des rapports à destination des institutions locales. La nationalité figure parmi les principaux critères de ces rapports et se combine avec d’autres catégorisations institutionnelles de la race qui ne se limitent pas aux identités de papier (nationalité et immigration). Jusqu’au milieu des années 1990, la variable « nationalité » distingue ainsi les ménages « français » de ceux issus des « Dom-Tom » et, en 1995, apparaît ponctuellement une nouvelle modalité de cette variable, « seconde génération », désignant les enfants d’immigrés africains. À partir de la fin des années 1990, l’application du droit anti-discriminatoire conduit à la disparition progressive de ces critères d’identification raciale dans les fichiers des organismes HLM13, sans que cela signifie pour autant leur disparition dans les pratiques informelles des agents.

35Au cours de l’enquête, malgré l’auto-censure qui guide sans doute leur conduite face à l’enquêteur, les catégorisations raciales ne sont pas totalement absentes des discours des agents des offices HLM. Celles-ci interviennent notamment pour expliquer les affinités ou les inimitiés entre certains locataires. Par exemple, lorsque nous lui demandons selon quels critères il choisit la localisation des logements proposés, Philippe Mainsaut explique : « Oui, bien sûr, on n’enverra pas des personnes d’origine algérienne ou, disons nord-africaine, dans un quartier à Villeurbanne où il y a une forte concentration d’origine juive, par exemple. Des choses à éviter. »

  • 14 La perspective est donc ici très éloignée de celle d’Hugues Lagrange (2010), qui rapporte la délinq (...)
  • 15 En 2009, le premier organisme HLM en France à être condamné pour discrimination raciale, à Saint-Ét (...)

36Faute de pouvoir observer directement ces catégorisations à l’œuvre au cours du travail des agents, j’ai cependant cherché à objectiver statistiquement leur incidence sur le relogement. En guise d’approximation de ces catégorisations, j’ai procédé, en lien avec d’autres indices (nationalité, prénom, documents d’archives et entretiens) à un recodage des patronymes des locataires (Simon, 2008). Précisons-le d’emblée, la construction de cette variable ne vise en aucune manière à décrire des groupes ethniques réifiés, qui seraient définis par leur « origine culturelle14 », par un sentiment d’appartenance commun ou par des normes culturelles qui leur seraient propres. L’identification onomastique consiste ici simplement à proposer une approximation des schèmes de perception, des principes de vision et de division du monde social qui orientent l’activité des agents des organismes HLM, comme ceux d’autres institutions (Jobard & Nevanen, 2007). Les indices cognitifs sur lesquels ceux-ci s’appuient pour forger leur représentation des locataires ne se limitent de toute évidence pas au seul nom de famille, notamment lorsqu’ils ont avec eux des interactions directes et que ces perceptions racialisées se mêlent à d’autres dimensions, notamment de classe. Néanmoins le patronyme, fréquemment utilisé par les agents des HLM pour identifier les locataires et pour organiser les politiques de peuplement, peut être considéré comme un indicateur pertinent de ces schèmes15. Si les catégories retenues dans l’analyse ne correspondent pas forcément aux contours précis des catégorisations raciales utilisées par les agents (qui ne sont pas forcément homogènes ni stables dans le temps), elles ont été regroupées en fonction des éléments a priori les plus pertinents à leurs yeux.

Encadré 2. La méthode du recodage onomastique

Afin d’approximer les catégorisations raciales utilisées par les agents des HLM, une variable a été créée à partir du recodage des patronymes. Lorsque l’information était disponible (n = 55), la nationalité du titulaire du bail a été reprise pour les étrangers, ainsi que pour les ménages français dont la nationalité était enregistrée comme « outre-mer » (« Guadeloupe », « Martinique », etc.). Pour les autres locataires, le recodage s’appuie sur la consonance des patronymes, complétée par d’autres sources dans les cas où l’identification de l’origine n’était pas évidente : consonance des prénoms, dictionnaires des patronymes et, dans trois cas, entretien avec une chargée de relogementa. Par ailleurs, afin de conserver la taxinomie institutionnelle distinguant « France » et outre-mer, les patronymes plus fréquents en outre-mer qu’en métropole (identifiés grâce aux données de l’Insee de fréquence des patronymes à la naissance dans les départements français de 1891 à 1990) ont été recodés comme ultra-marins. Les différentes origines ont ensuite été regroupées de façon à obtenir des effectifs suffisants pour chaque modalité, en reprenant les groupes de l’enquête Trajectoires et origines de l’Ined : France (groupe majoritaire), outre-mer, Europe (ici essentiellement de l’ouest et du sud), Maghreb, Afrique subsaharienne, Turquie et Asie – ces trois derniers étant souvent regroupés dans l’analyse afin de réunir des effectifs suffisants.

a Opération qu’il n’a pas été possible de répliquer pour l’ensemble des locataires.

L’assignation raciale minoritaire, entre handicap et ressource

  • 16 Pour préciser et approfondir ce constat, il faudrait tester à l’aide d’une régression logistique l’ (...)

37Le tableau 3 décrit la corrélation entre patronyme et chances d’être relogé dans ou en dehors des Minguettes. Ses résultats convergent avec d’autres enquêtes (Sala Pala 2013 ; Bourgeois 2019) : les ménages catégorisés comme français (métropole ou outre-mer) et européens bénéficient d’un traitement plus favorable que les locataires assignés à des groupes migratoires de pays du Sud, notamment ceux de l’ancien espace colonial (Afrique subsaharienne et Maghreb), dont les chances de connaître une ascension résidentielle sont réduites. Ceux avec un patronyme français ou européen sont plus souvent relogés en dehors des Minguettes (respectivement 53,5 % et 60,7 %) que ceux avec un patronyme extra-européen, maghrébin ou autre (respectivement 43,5 % et 31,5 %). Les ménages perçus comme les plus étrangers semblent ainsi subir une plus forte contrainte dans l’accès au logement16. De prime abord, cette logique semble liée à l’ancienneté des vagues migratoires : les ménages avec un patronyme français (ultra-marin compris) quittent plus souvent les Minguettes et Vénissieux, suivis par ceux avec un patronyme européen, puis maghrébin et enfin ceux des vagues de migration plus récentes (turque, asiatique et subsaharienne). Mais cette explication ne tient que partiellement. En effet, les ménages maghrébins apparaissent particulièrement défavorisés malgré l’ancienneté et l’antériorité de cette immigration qui à Vénissieux précède largement celle d’outre-mer et est au moins aussi ancienne que celle d’Europe du Sud (Videlier, 1990). La théorie de « l’assimilation spatiale » selon laquelle l’intégration des immigrés et leur dispersion dans l’espace résidentiel progresseraient au fil des générations ne semble donc pas totalement opérante : la ségrégation raciale perdure pour ce groupe, témoignant de la persistance des discriminations subies par les minorités issues de l’ancien espace colonial (Safi, 2009).

Tableau 3 : Lieu de relogement selon l’origine du patronyme

Tableau 3 : Lieu de relogement selon l’origine du patronyme
  • 17 Seuls 5 % d’entre eux ont plus de cinquante-cinq ans (contre 36 % en moyenne chez les relogés) et 7 (...)

38Il existe donc une homologie entre hiérarchie raciale et hiérarchie résidentielle. Celle-ci semble cependant opérer différemment lorsqu’on modifie l’échelle d’observation et qu’on s’intéresse aux différenciations internes aux Minguettes (Tableau 4). Les ménages les plus favorisés sont d’abord ceux d’outre-mer. Ils parviennent plus souvent à quitter Vénissieux et, parmi ceux qui restent aux Minguettes, ont davantage de chances de connaître une promotion locale. S’ils font l’objet depuis la naissance des Minguettes d’une catégorisation spécifique dans les politiques locales de peuplement, il est possible que le stigmate racial qui pèse sur eux soit moins fort que celui subi par les autres catégories, la nationalité française les protégeant sans doute en partie du discrédit. Mais cela s’explique aussi par un effet de structure : plus jeunes et plus souvent avec un emploi stable17, leur profil est proche de celui des passants, ce qui explique également qu’une part très faible d’entre eux connaisse un déplacement.

Tableau 4 : Type de relogement quelques années après selon l’origine du patronyme

Tableau 4 : Type de relogement quelques années après selon l’origine du patronyme

39À l’inverse, les ménages au patronyme extra-européen ont moins de chances de quitter les Minguettes. Lorsqu’on tient compte de la hiérarchie résidentielle interne au grand ensemble, on constate cependant d’importantes différences. D’un côté, les ménages dont le patronyme est associé aux vagues migratoires les plus récentes (subsaharienne, asiatique et turque) sont très nettement surreprésentés parmi ceux subissant un déclassement résidentiel : la part d’entre eux connaissant un déclassement est trois fois plus élevée que chez les autres, et davantage encore si l’on se focalise sur les seuls subsahariens, qui sont 41 % dans ce cas. De l’autre côté, les ménages « maghrébins », dont les chances de quitter le grand ensemble demeurent faibles, semblent bénéficier d’un traitement favorable au sein de l’espace local, puisqu’ils sont surreprésentés à la fois parmi les déplacements et les promotions locales.

  • 18 Si la part des couples avec trois enfants ou plus est plus élevée chez les vagues d’immigration plu (...)

40Or, ces écarts ne peuvent s’expliquer par les différences de profil, qui restent largement comparables, du point de vue des revenus comme de la situation familiale ou professionnelle18. Alors que les ménages pouvant être catégorisés comme asiatiques, turcs et surtout subsahariens semblent subir une discrimination liée à leur origine, ceux perçus comme maghrébins semblent à l’inverse bénéficier d’un traitement favorable.

41Ce constat dépasse le cas du relogement ; il a une portée plus générale et concerne aussi les pratiques ordinaires d’attribution. C’est ce que montre le tableau 5, qui décrit la répartition par immeuble, en 2008, des 700 ménages du quartier Aragon. L’enquête statistique et ethnographique a permis d’objectiver la hiérarchie interne au quartier au moment de l’enquête, selon un continuum qui part des tours Sud, les plus stigmatisées localement (colonne de gauche), et se termine par la résidence neuve des Tilleuls (colonne de droite). Le peuplement du quartier épouse la hiérarchie de l’espace local. Dans les tours les plus stigmatisées se trouvent les ménages jugés les plus à risque (familles monoparentales, à bas revenus, étrangers extra-européens et non maghrébins), alors que la nouvelle résidence accueille les franges offrant le plus d’assurance au bailleur (couples avec enfants, revenus plus élevés et ménages français). En combinant la nationalité et la consonance du patronyme, on constate par ailleurs parmi les habitants de la résidence neuve une très nette surreprésentation des ménages français avec un patronyme maghrébin, un profil correspondant à la figure des « secondes générations », ces descendants d’immigrés appartenant aux minorités implantées de longue date dans les cités et à qui les bailleurs sociaux peuvent accorder une « préférence locale » (Lelévrier, 2010).

Tableau 5 : Profil des habitants et hiérarchie résidentielle du quartier Aragon en 2008

Tableau 5 : Profil des habitants et hiérarchie résidentielle du quartier Aragon en 2008

42Ainsi, si être perçu comme « maghrébin » est un obstacle pour accéder aux HLM dans l’agglomération, ce handicap se transforme en ressource pour l’accès aux logements les plus valorisés de l’espace local. Comme on va le voir, ce retournement du handicap racial en ressource est directement lié à la valorisation par les institutions locales de l’autochtonie des habitants.

L’autochtonie : une ressource entre classe, race et religion

43Les discriminations raciales dans l’accès au logement découlent notamment de schèmes de perception culturalistes mobilisés par les agents des HLM, qui attribuent des comportements spécifiques à des individus en fonction de leur origine supposée ou réelle (Sala Pala, 2013). Lors de mon enquête, si les agents n’associent pas (peut-être par autocensure) certaines origines à des comportements locatifs jugés négatifs, leurs propos contiennent toutefois des schèmes de perception racialisés, qui prennent surtout la forme de perceptions positives associées à certaines origines et à certaines formes ethnicisées d’ancrage dans le quartier.

44Au cours d’un entretien où nous passons en revue la liste des locataires dont elle a géré le relogement, Sylvie Dalle recourt ainsi à plusieurs reprises au classement des locataires en fonction de leurs origines. À propos de telle famille, elle explique par exemple que Samir Chaieb, l’un des gardiens, « les connaît personnellement, parce qu’ils sont de la même origine, ils sont d’origine tunisienne, et c’est des familles qui se connaissent aussi en Tunisie ». Évoquant Mme Sanchez, partie en Espagne et dont le fils est resté dans le quartier, elle précise encore : « Sanchez, Gonzalez, c’était tous des familles anciennes de Léon Jouhaux qui se connaissaient, qui se connaissent très bien, d’origine espagnole ».

  • 19 Raphaël Ferrand, chargé du site à l’Office HLM de Lyon, à propos de Tarek Allaoui, l’un des habitan (...)
  • 20 Contre 16 % pour la modalité Français, 10 % pour outre-mer, 10 % pour Europe, 10 % pour Asie, 6 % p (...)
  • 21 Base de données locative de l’office HLM décrivant les 691 ménages présents à cette date à Aragon. (...)

45Lorsqu’elle est mobilisée face à l’enquêteur, la mention des origines n’intervient pas pour décrire des attributs comportementaux, mais plutôt pour désigner des groupes sociaux marqués par un fort ancrage dans les sociabilités locales et par l’ancienneté de leur implantation, en lien avec l’appartenance à des lignées familiales. Ces familles sont aussi décrites de façon récurrente comme des familles respectables, « respectées dans le quartier19 ». La faveur dont semblent faire l’objet au cours du relogement les ménages classés comme maghrébins dérive en partie des représentations que se font les agents des HLM de la position qu’occupe ce groupe aux Minguettes. Celui-ci est en effet numériquement majoritaire sur place (les patronymes associés représentent 44 % des ménages relogés20 et 68 % de la population totale du quartier Aragon en 200821) et son implantation locale est ancienne, l’immigration maghrébine à Vénissieux remontant au début du xxe siècle et étant très présente dès la naissance du grand ensemble.

46En lien avec les critères évoqués plus haut (solvabilité, situation familiale, rapport à l’emploi, comportement locatif, etc.), c’est donc aussi à partir d’une grille de lecture racialisée que les agents identifient les locataires « respectables ». Il ne s’agit pas d’une condition impérative pour accéder à la respectabilité locale (également attribuée à certains locataires appartenant au groupe majoritaire ou à d’autres minorités que maghrébines), mais plutôt d’une voie complémentaire à celle que permet l’appartenance aux fractions stables des classes populaires, et pouvant se cumuler avec elle. Cette catégorisation raciale prend parfois une dimension religieuse, comme dans le quartier Léon Jouhaux, où une controverse s’engage lors du relogement à propos du sort de la mosquée installée au rez-de-chaussée de l’une des tours démolies. La municipalité, qui au début des années 2000 veut reprendre en main la pratique locale de l’islam et faire disparaître les lieux de culte installés en bas des tours au profit de la construction de deux grandes mosquées, s’oppose à ce relogement. L’office HLM milite à l’inverse pour son maintien, avec succès puisqu’elle est finalement déplacée dans une barre d’immeuble voisine, dans un local plus spacieux. Lorsqu’ils décrivent ce lieu de culte, les agents de l’office HLM soulignent qu’il est composé majoritairement de « chibanis » (vieux) installés de longue date aux Minguettes, insistent sur son caractère « respectable », sur le calme et le respect qui caractérise cet espace par opposition aux mosquées « intégristes » présentes ailleurs (notamment à Aragon) : « C’était une association qui était respectée par tous les vénissians, parce que très calme, très posée, très constructive, respectée par tout le monde, pas du tout extrémiste. » (Raphaël Ferrand, chargé de gestion du site Léon Jouhaux) ; « C’est une très bonne mosquée, par rapport à toute la peur qui entoure la pratique de la religion musulmane en France. On a plutôt là affaire à des gens, à des vieux chibanis, qui sont vraiment dans la vision qu’apprécie la République française. » (Louis Buffet, directeur de l’agence locale de l’office HLM) ; « C’était une petite mosquée avec beaucoup d’anciens, très apaisante. Y en a une autre sur le bas, secteur d’Aragon, qui est pas, y a pas du tout, y a pas le même profil non plus. » (Sylvie Dalle, chargée de relogement).

47Si la pratique de l’islam fait l’objet d’un processus de racialisation (Brun & Gallonier, 2016) et est ici associée au groupe des « Maghrébins », la respectabilité attachée à la religion ne s’aligne toutefois pas de façon stricte avec les catégorisations raciales. À propos d’une famille relogée à Léon Jouhaux évoquée en entretien, Sylvie Dalle précise qu’elle est « cambodgienne, mais musulmane » :

Parce que le papa, comment dire, il faisait partie, justement quand y avait encore la mosquée, là, qui était en bas [d’une tour démolie], il faisait partie des gens qui faisaient la prière et il était reconnu sur Léon Jouhaux, monsieur Namhong, c’est un sage, quoi, on va dire (Sylvie Dalle, chargée de relogement).

48Tout laisse penser que la réputation très favorable dont bénéficie cette famille auprès du bailleur n’est pas sans lien avec l’issue de son relogement : alors que les possibilités de relogement sur place sont très restreintes à Léon Jouhaux (où plus de la moitié des 700 logements du quartier sont démolis), elle y obtient deux logements, leur fils de vingt-cinq ans accédant à cette occasion à son premier logement autonome. Comme elle, d’autres animateurs de la mosquée qui résidaient dans les tours démolies obtiennent un relogement favorable, souvent dans une barre voisine du même quartier ou dans la résidence HLM neuve construite à proximité (alors que beaucoup, parmi leurs voisins, connaissent un déclassement résidentiel).

49Compte tenu du stigmate et des discriminations que connaissent les musulmans dans l’espace national français (Hajjat & Mohammed, 2013), mais aussi de la place de l’islam dans la construction de la représentation des cités HLM comme un contre-monde qui menacerait « la République » (Mohammed & Talpin, 2018), cette perception institutionnelle est plutôt inattendue. Elle apparaît toutefois moins surprenante lorsqu’on la replace dans la perspective des organismes HLM, qui cherchent parmi la population locale des appuis pour gérer et normaliser les pratiques résidentielles (Demoulin, 2016). Or, au même titre que l’ancrage familial ou le prestige professionnel, et comme l’avaient remarqué Norbert Elias et John L. Scotson (1997) à propos des églises de Winston Parva, les lieux de culte peuvent contribuer à définir les positions sociales des « établis » dans l’espace local.

50Être reconnu et respecté dans le quartier et y disposer d’une autorité, fût-elle conférée par la religion, est un attribut recherché par les agents des HLM. Non seulement ce type de locataires ne pose pas de problème de gestion locative, mais il est de surcroît susceptible de participer à la pacification des relations sociales dans l’espace local. L’autorité religieuse est en effet clairement perçue comme un atout pour contrôler une partie de la jeunesse, celle dont la culture de rue constitue le point de fixation des conflits de voisinage – dans les entrées d’immeubles ou dans les espaces extérieurs – et qui trouve parfois dans l’islam une voie plus ou moins durable de salut social.

51Ancienne gardienne d’une des tours démolies de Léon Jouhaux, Samia Feghouli raconte ainsi les fréquents différends avec un groupe de jeunes qui occupait l’allée, qu’elle trouvait régulièrement souillée et jonchée de détritus en commençant sa tournée du matin. Tâchant de trouver les mots adéquats pour les amener à transformer leurs pratiques sans entrer en conflit avec eux, elle n’hésitait pas à recourir auprès d’eux à l’argument du respect dû aux anciens et à la religion :

Je leur disais : « Quand même, vous avez vu les gens qui vivent là... » Moi je jouais beaucoup sur les messieurs d’un certain âge qui mettaient leur tenue pour aller prier, je leur disais [aux jeunes] : « Vous vous rendez compte, pisser dans l’ascenseur, mais c’est pas possible. » (Samia Feghouli, ancienne gardienne à Léon Jouhaux).

52Ainsi, les catégorisations raciales utilisées par les agents de terrain ne correspondent pas uniquement à l’attribution de comportements présumés aux candidats en fonction de leur origine. Le privilège accordé aux ménages maghrébins dans l’espace local tient compte du poids numérique de ce groupe et du pouvoir de régulation attribué à certains de ses membres au sein du voisinage. La catégorisation raciale se mêle ainsi à une évaluation de l’ancrage local des locataires et de leur position dans cet espace. Aussi, la gestion anticipée du risque locatif conduit les agents des offices HLM à favoriser le relogement des ménages « reconnus » ou « respectés » dans les segments les plus valorisés du patrimoine local.

53Pour les candidats à un logement social, l’insertion dans les sociabilités locales et la possession d’une réputation favorable, autrement dit le fait d’avoir dans l’espace local une position d’établi (Elias & Scotson, 1997), constituent une ressource déterminante. Celle-ci fonctionne comme un « capital d’autochtonie » : une ressource à la fois sociale et symbolique du « petit peuple intégré », qui devient capital, monnayable sur un marché local, dès lors qu’elle est reconnue et valorisée par une institution (Retière, 2003). Il s’agit alors moins d’un attribut individuel que de celui de groupes familiaux, dont la réputation est souvent portée collectivement par la lignée (Renahy, 2010), comme le montre le vocabulaire des agents qui, lorsqu’ils décrivent l’interconnaissance et la réputation au sein du voisinage, désignent avant tout des « familles » et des liens de parenté. Ce capital, enfin, n’est valable qu’à l’intérieur du « marché franc » (Bourdieu, 1983) de l’espace résidentiel des Minguettes (voire du quartier) : en dehors, la réputation et l’ancrage local ne sont plus reconnus et se trouvent démonétisés.

Choisir des familles respectables : une « assurance peuplement »

54Dans le contexte de la rénovation urbaine, les enjeux du peuplement se focalisent en grande partie sur les nouvelles résidences, principal outil de la « mixité sociale » et de la reprise en main du peuplement espérées par les offices HLM. Les agences locales de ces derniers accordent un soin particulier aux attributions de ces logements neufs, afin de préserver ce patrimoine des risques de dégradation physique ou symbolique. La gestion des immeubles les plus valorisés s’accompagne ainsi d’un travail d’encadrement des locataires, en particulier au moment leur installation, visant à prévenir les usages locatifs jugés indésirables.

  • 22 Archives du groupe « Patrimoine et peuplement », qui élabore la stratégie de peuplement du quartier (...)

55Mais elle s’appuie surtout, en amont, sur des stratégies de peuplement spécifiques. Le profil recherché du « bon locataire » désigne non seulement ceux capables de se plier aux normes locatives définies par le bailleur (payer son loyer, respecter le voisinage et l’immeuble, etc.), mais aussi et surtout ceux susceptibles de jouer un rôle d’allié auprès du bailleur social dans son entreprise de normalisation des comportements locatifs et des relations de voisinage. Parmi les locataires jugés conformes aux attentes institutionnelles, ceux les mieux insérés dans les réseaux locaux de sociabilité et les plus « respectés » dans l’espace local sont par conséquent particulièrement prisés. En jouant sur les marges de manœuvre informelles offertes par les règles d’attribution des HLM, il s’agit donc de trouver ce que les agents nomment une « clientèle stabilisatrice22 » ou des « ménages structurants ». Comme l’explique Louis Buffet, directeur de l’agence locale de l’Office HLM de Lyon, l’objectif est de recruter des « habitants militants » :

Moi j’ai toujours travaillé avec mes équipes pour trouver dans nos enquêtes, dans notre recherche de candidats, des gens qui font le pari de suer avec nous pour faire en sorte que demain on soit heureux là où on est. Et ça, ce sont des habitants militants, qui n’hésiteront pas à engueuler leurs voisins s’ils mettent un sac poubelle sur le palier, qui se battront pour donner le bon exemple à leurs enfants, qui hésiteront pas à sortir avec la serpillière pour nettoyer le sac poubelle qui a goutté jusqu’au local, vous voyez, ça ce sont autant d’actes qui permettent de vivre des années et des années peinard (Louis Buffet, directeur de l’agence locale de l’Office HLM de Lyon).

56Dès lors, une manière efficace de réduire les risques dans le peuplement des résidences consiste à recruter des locataires parmi la population locale. La connaissance préalable des ménages permet, d’une part, de réduire l’incertitude et de sélectionner plus sûrement les « bons locataires ». D’autre part, l’implantation locale des locataires est une ressource précieuse, car elle favorise leur capacité d’influence sur le voisinage. Au-delà des contraintes qui découlent des règles formelles d’attribution, notamment pour les logements réservés aux ménages en situation d’urgence (comme la « bourse au logement ») sur lesquelles elles ont peu de prises, les agences locales se ménagent des marges de manœuvre pour placer quelques locataires. Comme l’explique Louis Buffet, des « passe-droits » peuvent ainsi être accordés à certains locataires lors de l’attribution des logements des Tulipes, une résidence HLM neuve livrée en 2008 :

  • 23 Référence aux affaires de clientélisme dans l’attribution de HLM de la ville de Paris au profit d’é (...)

Les deux, trois passe-droits qu’on a pu traiter, c’est dans un cadre très, très clair, qui est pour permettre d’avoir des gens qu’on connaît sur la résidence, qui nous permettent de reprendre les choses rapidement si jamais on n’est pas sur place, qui ont suffisamment d’autorité, de légitimité pour rappeler les règles de vie collective, voilà, c’est dans un but collectif, quoi, pas pour caser les petits copains comme on peut voir sur Paris23. Voilà, ça fait aussi partie d’un mode d’attribution, faut pas le nier et c’est très utile pour prendre en main une résidence. [...] Si on a un doute, on essaie de compenser, bah quand on a des familles qu’on connaît pas par l’intermédiaire de la bourse aux logements, c’est de faire en sorte que dans l’allée on ait des ménages structurants, qui, au cas où, voilà, on se prémunit. C’est une assurance, une assurance peuplement [rire]. C’est vraiment de l’ingénierie sociale. [...] Mais il faut pas compliquer. Faut pas compliquer, les gens finalement font le ménage avant nous : les gens refusent ou cooptent des gens, donc après si ça rentre dans les critères qu’ont fixés les réservataires et les politiques, faut surfer sur la vague, et on sait que, voilà, si on sait que l’accouchement n’est pas forcé, on sait que le bébé sera en meilleure santé (Louis Buffet, directeur de l’agence locale de l’Office HLM de Lyon).

57Pour définir sa politique de peuplement, le bailleur n’hésite ainsi pas à s’appuyer sur la population locale, qui peut même participer à la sélection des futurs habitants en les cooptant ou en se mobilisant pour refuser l’accès à certains – une pratique attestée au cours de mon enquête, chez un locataire relogé à qui un appartement aux Tulipes avait été promis, avant que la proposition ne soit retirée suite à la mobilisation d’une autre résidente opposée à sa présence.

58Ces pratiques reposent très largement sur l’implantation locale des agents de l’office HLM, en particulier des gardiens d’immeubles, qui résident sur place et sont très souvent recrutés parmi les immigrés maghrébins et leurs descendants résidant aux Minguettes. Cette politique d’attribution reposant sur l’ancrage local permet non seulement de sélectionner en connaissance de cause ces locataires, mais aussi de créer des formes d’allégeances à l’égard de l’institution, l’attribution du logement étant présentée comme une faveur, qui crée une dette auprès du bailleur et de ses agents, permettant ensuite à ces derniers d’avoir une prise sur la population locale.

Conclusion : capital d’autochtonie, pratiques de peuplement et ségrégation

59Cette enquête éclaire les effets des catégorisations de classe et de race sur les discriminations dans l’accès au logement social. Si elle confirme l’existence, constatée par d’autres travaux, de critères raciaux dans les politiques de peuplement, elle permet de préciser les manières dont ces catégorisations sont mises en œuvre dans les cités HLM et montre que la racialisation des pratiques de peuplement ne se résume pas à la mobilisation de schèmes culturalistes attribuant des comportements stéréotypés selon les origines, mais s’articule également avec une évaluation de l’ancrage local et du degré d’autochtonie des habitants.

60Elle invite, ce faisant, à ne pas considérer ces politiques comme mues par une unique logique de rejet et de relégation des minorités racisées, comme peuvent parfois le faire les approches par le haut et centrées sur les discours. Observant l’évolution des discours encadrant les politiques de peuplement dans l’agglomération lyonnaise, Fatiha Belmessous (2013) constate par exemple la continuité entre les discours sur le « seuil de tolérance » des années 1970 et l’objectif de « mixité sociale » qui s’est imposé depuis, tous deux guidés par une logique de « mise à l’écart des immigrés ». De même, dans les débats parlementaires et les discours d’élus locaux contemporains, la rénovation urbaine contemporaine apparaît comme une politique de peuplement racialisée visant à attirer sur place le groupe majoritaire (« blanc ») et à réduire la part des « minorités ethno-raciales » (Kirszbaum, 2013). Très éclairantes quant au cadrage et aux intentions des concepteurs de ces politiques de peuplement, ces approches traduisent toutefois moins bien la façon dont celles-ci sont mises en œuvre. L’analyse de l’activité des street level bureaucrats montre en effet que si les pratiques de peuplement reposent bien sur des catégorisations raciales, celles-ci apparaissent plus complexes que la simple opposition entre une préférence accordée au groupe majoritaire et un rejet uniforme des groupes minoritaires – comme le montrent d’ailleurs plusieurs travaux (Sala Pala, 2013 ; Lelévrier, 2010 ; Bourgeois, 2019) qui soulignent les variations, positives ou négatives, des assignations racialisées selon les contextes et les populations. Si les groupes rattachés aux vagues d’immigration plus récentes semblent défavorisés au profit des familles « françaises » ou européennes (blanches), celles perçues comme maghrébines bénéficient dans l’espace local d’un avantage, qui contraste avec les discriminations qu’elles subissent en dehors de ce segment du marché résidentiel.

61Cette enquête met ainsi au jour une dimension rarement soulignée dans les travaux sur les pratiques d’attribution de logement social : dans l’évaluation qu’ils font du risque locatif, les agents des HLM accordent une place à la respectabilité locale des habitants, générant un capital d’autochtonie constitué au croisement de logiques de classe, de race et de religion. En conférant un avantage aux habitants jugés respectables, les institutions locales participent à (re)produire leur position dans l’espace local. L’avantage relatif de la minorité maghrébine pour accéder au logement social apparaît toutefois très localisé. À la différence par exemple des Portugais, qui ont progressivement accédé en France à un statut de « Blancs honoraires », objectivable dans différentes dimensions de la stratification sociale (Delon, 2019), les résultats de cette recherche ne permettent pas d’affirmer que la minorité maghrébine occuperait, de façon générale, une position intermédiaire dans la hiérarchie raciale (inférieure à celles des Blancs honoraires, mais supérieure à celles des groupes subsahariens ou turcs). Les discriminations systémiques que ses membres connaissent face à certaines administrations ou sur les marchés du travail et du logement invitent plutôt à souligner sa position subalterne dans la société française contemporaine. Finalement, en rendant possible de petites ascensions sociales, le capital d’autochtonie institué par les organismes HLM contribue à renforcer l’ancrage de cette minorité raciale dans les cités HLM. Combiné aux inégalités socio-économiques et aux discriminations subies par le groupe sur les différents marchés du logement, il concourt ainsi à accroître la ségrégation raciale à l’échelle des agglomérations.

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Notes

1 Les termes race et racialisation renvoient ici aux rapports de pouvoir socialement et historiquement produits, qui assignent à un statut social inférieur certains groupes sociaux en les renvoyant à une altérité radicale sur la base de leur origine géographique, culturelle ou religieuse (Mazouz, 2020).

2 Soit la part du budget consacré au logement.

3 Titre de la fiche de synthèse des quatre ménages du quartier Aragon suivis par un prestataire extérieur. Archives non classées de l’agence locale de l’Office lyonnais de HLM.

4 La distribution des familles monoparentales est en effet analogue à l’ensemble de la population relogée (52 % aux Minguettes, 29 % à Vénissieux et 19 % dans le reste de l’agglomération).

5 Ainsi, 18 % des ménages sans dette locative connaissent un déclassement, contre 27 % de ceux avec une dette inférieure à 1000 euros et 50 % de ceux avec une dette supérieure à 1000 euros.

6 Fiches individuelles et fiches récapitulant dans un tableau les cas de chaque ménage et la stratégie de relogement (archives non classées de l’agence locale de l’Office lyonnais de HLM, dossier « Aragon – Démolition tour XX » et documents transmis par le chargé de relogement).

7 La première personne, quarante-quatre ans, est au RMI et a huit enfants de neuf à vingt-cinq ans, dont cinq vivent avec elle. La deuxième, cinquante ans, dispose d’une pension d’invalidité et a trois enfants, de treize à vingt-neuf ans. La dernière, trente-cinq ans, est « sans activité » et a trois enfants de cinq à huit ans.

8 Le quatrième est un homme célibataire de quarante-six ans, dont la fiche est beaucoup plus succincte que les trois autres. Elle signale qu’il perçoit le RMI et le décrit de la façon suivante : « dépressif et semble avoir des problèmes d’alcool ». Il obtient un relogement dans le 8e arrondissement de Lyon.

9 Dans cette fiche, la première locataire demande soit un autre quartier des Minguettes, soit le quartier des États-Unis dans le 8e arrondissement de Lyon (sa fiche individuelle de relogement, réalisée plus tard indique « Lyon quartier calme ») ; la deuxième demande soit deux des quartiers valorisés des Minguettes, soit une des deux tours valorisées d’Aragon ; la dernière demande uniquement « Lyon hors 8e et 9e ».

10 D’autres enquêtes l’attestent, mais notre matériau ne permet que d’en faire l’hypothèse, l’auto-contrôle qu’impose aux agents des offices le contexte juridique et la situation d’enquête rendant, comme on va le voir, peu probable leur visibilisation.

11 Voir aussi de (de Rudder, 2019 ; Tanter & Toubon, 1999 ; Blanc-Chaléar, 2012).

12 Une majorité de ces rapports est produite par le Groupe de sociologie urbaine de Lyon, cofondé par Henri Coing.

13 Le formulaire CERFA de demande de logement social ne contient plus aujourd’hui que trois modalités pour renseigner la nationalité : « Française », « Union européenne », « Hors Union européenne ».

14 La perspective est donc ici très éloignée de celle d’Hugues Lagrange (2010), qui rapporte la délinquance aux « origines culturelles », saisies notamment à partir d’un recodage des patronymes (pour une critique, voir Fassin, 2011 ; Mohammed & Selz, 2011 ; Pingaud, 2011).

15 En 2009, le premier organisme HLM en France à être condamné pour discrimination raciale, à Saint-Étienne, avait mis en place une grille de peuplement faisant apparaître l’origine des locataires selon la consonance de leur patronyme. À partir d’une enquête ethnographique au sein d’organismes HLM, Marine Bourgeois (2019) note également que les personnes d’origine étrangère sont identifiées à partir de leurs patronymes.

16 Pour préciser et approfondir ce constat, il faudrait tester à l’aide d’une régression logistique l’effet propre de la catégorie raciale, ce que la structure de la base de données ne permet pas d’envisager.

17 Seuls 5 % d’entre eux ont plus de cinquante-cinq ans (contre 36 % en moyenne chez les relogés) et 79 % ont un emploi stable (contre 44 % en moyenne). D’après les bases de données et les entretiens conduits avec les habitants, beaucoup de résidents des Minguettes originaires des départements d’outre-mer (surtout Martinique et Guadeloupe) occupent un emploi de la petite fonction publique, notamment hospitalière. Cette situation est l’héritage des politiques migratoires organisées par l’État français dans les années 1960-1970 autour du Bumidom.

18 Si la part des couples avec trois enfants ou plus est plus élevée chez les vagues d’immigration plus récentes (38 %, contre 19 % chez les « maghrébins »), les familles monoparentales y sont moins fréquentes (8 % contre 14 %), la part des emplois stables y est nettement plus élevée (67 % contre 35 %) et la distribution des revenus y est peu différenciée.

19 Raphaël Ferrand, chargé du site à l’Office HLM de Lyon, à propos de Tarek Allaoui, l’un des habitants de Léon Jouhaux relogé sur place.

20 Contre 16 % pour la modalité Français, 10 % pour outre-mer, 10 % pour Europe, 10 % pour Asie, 6 % pour Afrique subsaharienne et 3 % pour Turquie.

21 Base de données locative de l’office HLM décrivant les 691 ménages présents à cette date à Aragon. Dans ce quartier, 49 % des locataires en titre sont de nationalité française et 40 % d’une nationalité du Maghreb (essentiellement algériens). Il n’a pas été possible d’accéder à cette information pour l’autre quartier étudié.

22 Archives du groupe « Patrimoine et peuplement », qui élabore la stratégie de peuplement du quartier Aragon autour du projet de reconstruction, 1996.

23 Référence aux affaires de clientélisme dans l’attribution de HLM de la ville de Paris au profit d’élus politiques dans les années 1990.

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Table des illustrations

Titre Tableau 1 : Lieu de relogement selon le profil des locataires
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Titre Tableau 2 : Type de relogement selon le profil
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Titre Tableau 3 : Lieu de relogement selon l’origine du patronyme
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Titre Tableau 4 : Type de relogement quelques années après selon l’origine du patronyme
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Titre Tableau 5 : Profil des habitants et hiérarchie résidentielle du quartier Aragon en 2008
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Gilbert, « Classe, race et autochtonie : tri institutionnel des « bons locataires » et ségrégation dans les cités HLM  », Sociologie [En ligne], N° 2, vol. 13 |  2022, mis en ligne le 02 juin 2022, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/10148

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Auteur

Pierre Gilbert

pierre.gilbert@univ-paris8.fr
Maître de conférence, sociologie et science politique, université Paris 8, Cresppa-CSU, 59-61 rue Pouchet, 75849 Paris cedex 17, France

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