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Recensions

Anne Carol, Isabelle Renaudet (dir.), La mort à l’œuvre. Usages et représentations du cadavre dans l’art

Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2013
Faustine Borel
p. 185-187

Texte intégral

  • 1 Par exemple : Dubus P. (2006), L’art et la mort à la Renaissance, Paris, CNRS Éditions.

1L’Homme face à la mort est une thématique déjà explorée dans de nombreuses recherches en sciences sociales. Toute l’originalité de cet ouvrage tient au choix d’aborder la place et le rôle du cadavre dans l’art de façon concrète et ainsi de déplacer le regard par rapport aux approches historiques traditionnelles. En effet, si les liens entre l’art et la mort ont déjà été travaillés1, la relation de l’art et du cadavre est peu étudiée et souffre d’un manque de visibilité. Ce premier volet d’une série de trois volumes a pour ambition de retracer les usages et les représentations du corps mort dans l’art, du xviie au xxisiècle. Cette période semble pertinente puisqu’elle « reflète l’évolution des sensibilités collective face à la mort, et plus particulièrement face au cadavre » (p. 7). Sans aucune prétention à l’exhaustivité, cet ouvrage est l’expression d’un beau projet interdisciplinaire faisant appel à l’histoire de l’art, l’anthropologie, la littérature, la sociologie ou encore aux artistes eux-mêmes. De fait, toutes les formes d’art sont étudiées, de la photographie à la littérature en passant par l’opéra et l’art culinaire.

2Au xviisiècle, le cadavre fait partie du quotidien. Les évolutions des xixe et xxe siècles en effacent la présence, le rendant singulier. La baisse du taux de mortalité, l’apparition de théories hygiénistes, le déplacement des cimetières hors des villes, l’augmentation des décès en milieu hospitalier sont autant de facteurs qui rendent la vision et la présence des cadavres exceptionnelles. Alors que la présence des corps morts tend à s’amenuiser dans le quotidien, elle reste très présente dans les représentations artistiques. C’est ce paradoxe que les auteur-es vont chercher à comprendre et à analyser à partir de trois questions centrales : « À quelles conditions et selon quelles normes esthétiques, à un moment donné, le cadavre peut-il devenir un objet d’art ? Quelles sont dans ce cas ses fonctions dans le dispositif funéraire artistique ? Quelles relations le cadavre entretient-il avec l’art funéraire ? Comment l’art de la mort se nourrit-il de son propre objet ? » (p. 6).

3L’hypothèse principale de l’ouvrage est la suivante : ce sont la rareté, la singularité et l’invisibilité du cadavre qui auraient permis qu’il devienne objet d’art. Le xixe siècle serait ce moment charnière où le corps mort, devenu une menace, est réapproprié par les artistes qui en feront un élément central de leurs œuvres.

  • 2 Thomas L.-V. (1980), Le cadavre. De la biologie à l’anthropologie, Bruxelles, Complexe.

4L’ouvrage se divise en trois parties de cinq contributions. La première porte sur les divers modes de représentation du corps mort ainsi que sur les normes esthétiques et sociales, ces dernières se transformant au fil les siècles. Comme l’a montré Louis-Vincent Thomas2, la dimension répugnante du cadavre est universelle. Partout le corps mort est perçu comme laid. De fait, représenter un cadavre comme œuvre d’art ne va pas de soi. Les contributions de cette partie vont donc s’efforcer de présenter les normes, les règles artistiques à respecter pour représenter un trépassé. Il s’agit alors pour les artistes de ne pas dépasser les limites de l’acceptable, tant au niveau moral que social ou anthropologique. Par analogie avec la littérature, on peut dire qu’ils utilisent des litotes, en mettant « en scène ce glissement de l’horreur du corps vers la douce terreur de l’œuvre » (Magali Théron, p. 34). Il est alors possible de trouver esthétiquement « beau » un petit garçon noyé si l’on fait le parallèle avec l’œuvre de Shakespeare Ophélie à la morgue (Bruno Bertherat). De même qu’il est possible de présenter des cadavres s’ils s’inscrivent dans une épaisseur culturelle et historique (Raphaël Mandressi). Les deux dernières contributions expliquent la possibilité de manger de la viande, donc du cadavre, par toutes les précautions diététiques et visuelles qui l’entourent et qui s’opposent à la putréfaction (Anne Carol, Frédérique Desbuissons). Tou(te)s ces auteur-es mettent en avant la dimension très normative de l’art lorsqu’il s’agit de représenter ou de présenter un cadavre.

5La deuxième partie explore les fonctions des cadavres mis au jour par les artistes. Si la plupart des œuvres d’art occidentales ont été produites dans un contexte religieux où l’idée de cadavre s’efface finalement derrière l’idée de mort, la Renaissance est marquée par une nouvelle source d’inspiration : l’image anatomique, dont l’objectif est la connaissance du vivant. Les auteur-es vont s’intéresser à de multiples formes d’art. Régis Bertrand montre l’ambiguïté entre la tradition gréco-romaine et la culture chrétienne à travers un tableau de Pierre-Paul Prud’hon. À l’opéra (Martine Lapied), c’est le passage vers la mort qui est montré, et le corps mort n’est exposé sur la scène qu’au final. Dans les textes littéraires en revanche, les descriptions des corps morts sont nombreuses. Laurence Talairach-Vielmas et Anne Carol le montrent respectivement pour la littérature victorienne et à propos d’une scène d’exhumation décrite par Alexandre Dumas fils. Enfin, Sylvia Girel, s’appuyant sur des expositions contemporaines qui ont mis en scène de véritables cadavres, étudie les registres utilisés par les artistes contemporains.

6La troisième et dernière partie se penche sur les relations entre l’art funéraire et le cadavre et plus particulièrement sur les portraits photographiques post-mortem. L’augmentation de cette pratique est liée au culte des morts, très présent au xixe siècle. Ce besoin de conserver le corps grâce, par exemple, à l’embaumement (Bérangère Soustre de Condat), ou une trace de celui-ci par la photographie, est bien analysé ici. Les différentes figures que peuvent prendre ces portraits intimes, les normes esthétiques et morales, les possibilités de mise en scène des cadavres en fonction des âges des défunts, sont autant de points abordés de façon précise et détaillés par les auteurs.

7Ce volume, où de nombreuses illustrations font écho aux textes, permet de dégager des questionnements intéressants pour un chantier plus global qui concerne le rapport au corps mort dans nos sociétés et l’évolution de celui-ci à travers les âges. L’étude des représentations artistiques paraît ainsi pertinente et révélatrice, puisqu’elle reflète plus largement les relations qu’une société entretient avec ses cadavres.

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Notes

1 Par exemple : Dubus P. (2006), L’art et la mort à la Renaissance, Paris, CNRS Éditions.

2 Thomas L.-V. (1980), Le cadavre. De la biologie à l’anthropologie, Bruxelles, Complexe.

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Pour citer cet article

Référence papier

Faustine Borel, « Anne Carol, Isabelle Renaudet (dir.), La mort à l’œuvre. Usages et représentations du cadavre dans l’art »Socio-anthropologie, 31 | 2015, 185-187.

Référence électronique

Faustine Borel, « Anne Carol, Isabelle Renaudet (dir.), La mort à l’œuvre. Usages et représentations du cadavre dans l’art »Socio-anthropologie [En ligne], 31 | 2015, mis en ligne le 10 septembre 2016, consulté le 01 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/socio-anthropologie/2247 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/socio-anthropologie.2247

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Auteur

Faustine Borel

Doctorante, université Lyon 2

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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