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Dossier thématique

Écrire l’esclavage au féminin : une étude du roman contemporain omanais

Writing Slavery in the Feminine: A Study of the Contemporary Omani Novel
Escribir la esclavitud en clave femenina: un estudio de la novela contemporánea omaní
Escrever a escravidão no feminino: um estudo do romance contemporâneo omanense
Jihan Safar

Résumés

Cet article traite de l’esclavage et du genre dans la fiction contemporaine omanaise écrite par des femmes. Face au vide historiographique et anthropologique sur l’esclavage légal dans la péninsule Arabique, la littérature nourrie par la mémoire permet d’aborder cette question. Elle rend visible des subjectivités d’esclavisé·es ou de leurs descendant·es absentes des récits dominants. Dépassant les polémiques sur l’usage de la production littéraire dans les sciences sociales, l’article considère la littérature comme un point d’entrée anthropologique, politique et économique apte à éclairer les situations concrètes de l’esclavage et du post-esclavage dans la société contemporaine omanaise. Il souligne tout particulièrement les tensions entre l’écriture mémorielle de l’esclavage et les positions de pouvoir et de genre des écrivaines. Il analyse ainsi une double subjectivité : celle des protagonistes femmes dans le roman et celle des romancières. Deux principaux romans omanais examinent l’esclavage dans la sphère intime et privée de la famille, du mariage et de la sexualité : Sayyidāt al Qamar (Les Corps célestes) de Jokha Alharthi et Al ashyā’ layssat fi amākiniha (Things are not in their place) de Huda Hamed (Al Jahouri). Le premier roman aborde frontalement l’esclavage et la traite omanaise qui s’étendait des côtes d’Afrique orientale jusqu’au Baloutchistan ; la concubine Zarifa étant l’un des principaux personnages. Le second roman raconte l’évitement matrimonial entre Amal, une baysara (métissée) et Mohsin, un « Arabe » issu d’une tribu « noble » et « pure ». Dans les deux romans, la question de la race, du genre et de l’origine généalogique s’inscrit au cœur des pratiques matrimoniales, sexuelles et familiales.
L’article s’appuie sur une enquête de terrain menée au sultanat d’Oman en février 2023. Des entretiens en langue arabe ont été conduits avec les deux romancières Jokha Alharthi et Huda Hamed, afin de recueillir leurs discours et leurs perceptions sur le passé colonial, sur l’esclavage et son héritage, sur le rôle de la littérature, sur la réception de leur œuvre par le public local et international ainsi que sur les sources utilisées dans leur production littéraire. D’autres entretiens ont été menés avec des personnalités littéraires, académiques, et des représentants officiels.
Dans la première partie de cet article, le roman contemporain est traité comme un matériau permettant de saisir les transformations sociétales dans le sultanat d’Oman en contexte d’esclavage et de post-esclavage, dans une perspective intersectionnelle. En premier lieu, cette partie met en lumière les multiples formes de domination au sein de l’institution du concubinage, soulignant la notion de propriété légale de l’esclave (milk) dans la loi musulmane. Elle montre le cycle de violences sexuelles exercées sur le corps de l’esclave-femme ainsi que les relations complexes entre maître et concubine où se mêlent abus, affection et domination. Elle témoigne aussi des relations prohibées entre la maîtresse et son esclave. Cette première partie indique également comment le roman permet d’évoquer les expériences de genre différenciées parmi les esclaves eux-mêmes, entre les esclaves né·es dans la maison du maître et les esclaves capturé·es qui se remémorent le « voyage ». Une telle distinction informe sur le sentiment d’appartenance à la nation : la loyauté nationale semble plus forte parmi les esclaves né·es dans la maison du maître, notamment les femmes, qu’au sein de la génération capturée, surtout masculine, bien plus rebelle. Le roman contemporain omanais donne l’opportunité, en troisième lieu, de décrire les pratiques post-esclavagistes au sein du mariage, un lieu de reproduction des hiérarchies sociales et raciales. Il évoque le thème des évitements matrimoniaux qui exprime des subjectivités féminines où s’entrecroisent race, genre et lignée. Prenant le cas des bayāsir (métissé.es), le roman omanais révèle que la discrimination ne relève pas de la couleur de peau mais de la généalogie. Si ces romans rendent visibles des trajectoires et des expériences d’esclavisé·es, le positionnement des romancières peut sembler paternaliste, les femmes noires étant souvent associées aux stéréotypes liés à la prostitution et à l’impossibilité pour elles de former une famille stable.
La deuxième partie de l’article aborde les modes de narration, les positionnements des romancières omanaises, et la réception controversée de l’œuvre littéraire évoquant l’esclavage. Elle traite des subjectivités et des sources utilisées par les romancières. La place attribuée à l’histoire orale et aux archives dans la construction romanesque est centrale dans l’écriture féminine et mémorielle sur l’esclavage. Des subjectivités racialisées sont également évoquées. À l’inverse des black feminists afro-américaines qui ont écrit des neo-slave narratives, les romancières omanaises ne sont pas issues de communautés afro-arabes descendantes d’esclaves ; elles appartiennent à la classe dominante et « blanche ». Si ces romancières sont accusées de faire le jeu du colonialisme, on leur reproche également d’être son relais. Des attaques féroces ont fusé après l’attribution de prix littéraires (comme celui du Man Booker International Prize 2019 pour Sayyidāt al Qamar de Jokha Alharthi) et la traduction de leur œuvre. Pour les « conservateurs », ces romans montraient les Omanais sous l’angle des colonisateurs ou des esclavagistes. Ainsi, la traduction de ces œuvres a produit des discours locaux autour de l’esclavage et a soulevé de nombreuses polémiques à propos de la mémoire coloniale. Cette fictionnalité vient combler un silence institutionnel, les autorités évitant d’engager un débat national sur l’esclavage qui pourrait nuire à l’image internationale du pays. Au-delà d’un récit national homogène, la fiction contemporaine, essentiellement écrite par des femmes, permet donc de rendre visible l’esclavage dans la péninsule Arabique. Dépassant des visions sur l’esclavage oriental « doux » et « bienveillant », cet article cherche à inscrire celui-ci dans les études sur les histoires globales de l’esclavage.

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Texte intégral

  • 1 Les esclaves de sexe féminin étaient pourtant aussi nombreuses que les esclaves de sexe masculin ( (...)

1Les États arabes du Golfe sont les derniers pays au monde à avoir aboli l’esclavage légal, après la Mauritanie : en 1952 au Qatar, 1963 en Arabie saoudite et 1970 au sultanat d’Oman, entre autres. L’accent mis sur le pétrole comme principal facteur des transformations sociétales dans la péninsule Arabique a longtemps détourné l’attention de l’esclavage, autre élément tout aussi fondamental dans la structuration des appartenances sociales et familiales. Or, malgré sa centralité dans l’histoire sociale de la péninsule Arabique, son étude reste très peu investie par les sciences sociales. Si certains travaux pionniers ont abordé la traite orientale et l’esclavage dans l’océan Indien (Alpers 1975 ; Sheriff 1987 ; Clarence-Smith 1989 ; Gordon 1989 ; Bhacker 1992 ; Hutson 2002 ; Campbell 2003 ; Pétré-Grenouilleau 2004 ; Trabelsi 2010 ; Harms, Freamon & Blight 2013 ; Médard, Derat, Vernet & Ballarin 2013), les écrits consacrés à la péninsule Arabique restent négligeables (Montigny 2002 ; Burdett 2006 ; Botte 2010 ; Suzuki 2013 ; Hopper 2015) par comparaison avec la prolifique littérature consacrée à la traite transatlantique et à l’esclavage aux Amériques, aux Caraïbes et dans l’Empire ottoman (Toledano 1998, 2007 ; Walz & Cuno 2010 ; Trout Powell 2012 ; Oualdi 2020). Lorsque la question est abordée, ces écrits s’intéressent essentiellement à l’esclavage pour la récolte des perles et des dattes, et négligent l’esclavage domestique et le concubinage1. Hormis la documentation britannique, les archives locales restent aussi peu explorées et difficilement accessibles. Les discours modernistes et nationalistes déployés par des États nouvellement indépendants ont fait l’impasse sur le passé pré-pétrolier. Le récit national s’est construit sur une vision monolithique de la population. Au sultanat d’Oman, par exemple, dans la loi fondamentale promulguée en 1996, les citoyens sont en effet considérés comme égaux et libres quels que soient leur genre, origine, religion ou couleur, ce qui contribue ainsi à gommer les différenciations socio-ethniques au sein de cette société plurielle.

  • 2 Propos de Mona Kareem, cité par Salwa Benaissa (2019).

2Face à l’absence d’écriture de l’histoire de l’esclavage dans la péninsule Arabique, la littérature nourrie par la mémoire est une façon d’aborder cette question. C’est à partir des années 2000 que le champ littéraire dans la région se saisit intensivement du thème de l’esclavage. Des romans contemporains, écrits essentiellement par des écrivaines, viennent briser le silence. Sayyidāt al Qamar de l’écrivaine omanaise Jokha Alharthi (2010), par exemple, considéré comme « le roman le plus complet à propos de l’esclavage moderne dans les pays du Golfe » (Luffin 2012), pose frontalement la question de la traite omanaise qui s’étendait des côtes d’Afrique orientale jusqu’au Baloutchistan. Ces textes examinent ainsi l’esclavage et le genre dans la sphère intime et privée de la famille, du mariage et de la sexualité, en analysant la complexité des relations qui régissent l’ordre social ainsi que la violence systémique des pratiques esclavagistes et post-esclavagistes dans la région. Cette « nouvelle fictionnalité » s’inscrit dans la renaissance du roman écrit par des femmes, qui prend racine après la guerre du Golfe (1990-1991) et connaît un essor dans les années 2000 avec le développement d’Internet2 et des blogs personnels. Elle est portée aussi par le courant transnational féministe et intersectionnel traitant des groupes marginalisés et des opprimés, des femmes, des minorités ethniques et religieuses ainsi que des diverses formes de discrimination.

3Cependant, les œuvres littéraires permettent-elles d’éclairer les situations concrètes de l’esclavage et du post-esclavage dans les sociétés contemporaines du Golfe et plus particulièrement dans celle omanaise ? L’usage de la production littéraire dans les sciences sociales a fait l’objet de nombreux débats et polémiques (Heilbron, Lenoir & Sapiro 2004 ; Macé 2011 ; Jablonka 2014). Certains reprochent à la fiction son manque de scientificité et de représentation d’une « juste mémoire » (Ricœur 2003), loin de l’histoire ou d’une connaissance objective ; d’autres insistent au contraire sur l’existence d’une porosité entre fiction et histoire. En suivant Gisèle Sapiro (2014, 2020), Ivan Jablonka (2014) et Martha Nussbaum (1996, 2010), cet article vise à analyser la littérature comme point d’entrée anthropologique, politique et économique.

  • 3 Les écrivaines omanaises Jokha Alharthi et Huda Hamed sont nées respectivement en 1978 et 1981.

4Les neo-slave narratives l’ont montré (Mitchell 2002 ; Morisson 2009). En prenant la littérature comme entrée pour raconter l’histoire silenciée de l’esclavage, ces récits y introduisent le sujet-esclave et la voix des esclavisé·es (Munguia Aguilar 2019). Cependant, à l’inverse des black feminists afro-américaines qui ont produit ces écrits, les romancières omanaises ne sont pas issues de communautés afro-arabes descendantes d’esclaves ; elles appartiennent à la classe dominante, tribale, privilégiée et « blanche ». Elles sont pour la plupart nées quelques années seulement après la fin de l’esclavage3 ; elles ont vécu la période de transition, entendu des histoires transmises par leur entourage et observé ces traces de l’esclavage, qu’elles analysent dans leurs œuvres littéraires.

  • 4 Jokha Alharthi est la première femme arabe et omanaise à obtenir le Man Booker International Prize (...)

5Deux principaux romans omanais sont au cœur de ce travail. Sayyidāt al Qamar (Les Corps célestes) de Jokha Alharthi (2010)4 raconte, en parcourant l’histoire de trois générations d’une même famille, les rapides transformations de la société omanaise entre la période colonialiste/esclavagiste et post-colonialiste/post-abolitionniste. Al ashyā’ layssat fi amākiniha (Things Are Not in Their Place) de Huda Hamed (Al Jahouri) (2009) narre une histoire d’amour impossible entre Amal, une baysara (métissée) et Mohsin, un « Arabe » issu d’une tribu « noble » et « pure ». Dans les deux romans, la question de la race, du genre et de l’origine généalogique s’inscrit au cœur des pratiques matrimoniales, sexuelles et familiales.

  • 5 L’enquête de terrain à Oman s’est déroulée du 13 février au 12 mars 2023 dans les villes de Sohar, (...)
  • 6 Son roman Fombi (2022) est le premier roman omanais à examiner la colonisation belge au Congo et l (...)

6Après une prise de contact par leur compte Instagram, des entretiens en langue arabe ont été menés avec les romancières omanaises afin de recueillir leurs discours et leurs perceptions sur l’héritage colonial, sur l’esclavage et le post-esclavage, sur le rôle de la littérature, sur la réception de leur œuvre par le public local et international ainsi que sur les sources utilisées dans leur production littéraire. Deux entretiens, l’un avec Huda Hamed le 19 février 2023 et l’autre avec Jokhla Alharthi le 26 février 2023, ont été conduits dans la capitale omanaise Mascate5. À Oman, d’autres personnalités ont été interrogées : l’écrivaine Fawziyya Al Badwawi, l’historienne Hoda Al Zadjali, Hamid et Ahmad, deux membres du comité littéraire, ainsi qu’Abdallah, fonctionnaire au ministère du Tourisme, et Majid, retraité du ministère des Affaires religieuses, tous deux rencontrés lors de précédents terrains à Oman et qui détiennent des témoignages et des documents sur l’histoire de la traite omanaise. À cela se sont ajoutés des entretiens informels dans le cadre du Muscat Book Fair 2023, notamment avec la romancière omanaise Badriyya al Badri6.

7Cet article analyse ainsi une double subjectivité : celle des protagonistes femmes dans le roman et celle des romancières. Dans un premier temps, le roman contemporain est traité comme un matériau permettant de saisir les transformations sociétales dans le sultanat d’Oman en contexte d’esclavage et de post-esclavage, dans une perspective intersectionnelle, pour mieux comprendre les dynamiques de l’esclavage et de son legs dans la région. Dans un second temps, les modes de narration, les positionnements des romancières omanaises et la réception controversée de l’œuvre littéraire sont examinés.

Écrire l’esclavage : le roman comme source pour les sciences sociales

8Par la recherche d’« indices » (Ponzo 2014), le roman permet de lire des réalités sociales, historiques et politiques. Érigeant les femmes esclaves ou leurs descendantes en personnages principaux, le roman contemporain omanais « restaure » des subjectivités absentes des récits dominants et donne une visibilité aux histoires invisibles, indicibles et inconfortables de l’esclavage (Aidoo 2018).

Du concubinage au mariage : de multiples formes de domination

  • 7 Pour plus de détails, voir Jennifer Morgan (2004, 2021) et Katherine Paugh (2017).

9Au-delà des visions sur l’esclavage oriental « doux » et « bienveillant », la fictionnalité omanaise donne à voir diverses formes de domination sexuelle au sein des structures domestiques (Robertson & Klein 1997 ; Campbell, Miers & Miller 2007 ; Fay 2019). La propriété légale de l’esclave (milk) est centrale pour comprendre les systèmes de pouvoir entre maître et esclave. Selon la loi musulmane, un homme est autorisé à avoir jusqu’à quatre épouses et un nombre illimité de concubines (milk al yamīn, « entre vos mains »). À la différence du monde atlantique où les enfants issus d’une union avec le maître gardent le statut servile de la mère7, dans le monde musulman, un enfant né d’une union avec une concubine est considéré comme légitime et libre (Lovejoy 1988 ; Mirzai, Montana & Lovejoy 2009 ; Croucher 2011). La mère de l’enfant (umm al walad) est affranchie à la mort du maître et ne peut être revendue (Kecia 2010). La reconnaissance de la paternité en contexte esclavagiste n’est toutefois pas si évidente. L’écrivaine Jokha Alharthi l’explique :

Si la concubine (jāriya) vit dans le household du maître, elle lui appartient (milkihi) et l’enfant né d’une telle union suit son père. Je connais un grand-père qui a aimé et dormi avec sa jāriya de qui il a eu un enfant qui l’accompagne au majlis et aux visites familiales. En revanche, si la concubine appartient à un autre household que celui de l’homme, ce dernier ne reconnaîtra pas l’enfant né de cette union même si les gens sont au courant de la paternité, et dans ce cas l’enfant suit le statut de sa mère.

10Un enfant né d’une telle union illégitime (hors du milk) est alors considéré comme un bâtard. De plus, un enfant né d’esclaves n’appartient légalement ni à son père ni à sa mère.

  • 8 En 1978, Sayf al-islam ibn Sa’ud – qui n’est autre que le fils du roi saoudien Sa’ud bin Abdel Azi (...)

11Par son droit du milk, le maître contrôle le corps et la vie de ses esclaves. La possession d’esclaves a été un outil perpétuel pour renforcer la supériorité masculine (Al Rasheed 2013). Les Corps célestes montre le cycle de violences sexuelles exercées sur le corps de l’esclave Zarifa. Née dans la maison du Cheikh Saïd et de ses fils abusifs, elle est revendue par son maître au marchand Suleyman dont elle devient la concubine préférée. À son tour, le marchand Suleyman la marie à Habib, son esclave baloutche, dont la blancheur de peau répugne Zarifa qui a l’impression, « quand il la serr[e] contre lui, d’être dans les bras d’un des jeunes fils de Cheikh Saïd qui avaient abusé d’elle aux premières années de son adolescence, avant que le marchand Suleyman ne la rachète ». Zarifa doit aussi assouvir les besoins du maître Suleyman qui « aim[e] particulièrement la prendre après les fêtes de noce, pour lesquelles elle s’[est] apprêtée […] ». En plus des fonctions sexuelles, la concubine a des fonctions reproductives importantes pour le maintien des sociétés patrilinéaires et tribales. Le concubinage permet d’agrandir et de renforcer le groupe social8, au-delà des concepts plus étroits de parenté dans les sociétés occidentales (Cooper 1997). La fonction de nourrice (murabbiya), souvent mère de lait (muraddi’a) de l’enfant du maître, est une pratique très courante dans la péninsule Arabique. Jokha Alharthi le confirme : « Les enfants respectaient et considéraient leur nourrice toute leur vie. Lorsqu’un enfant grandissait, il ne disait pas : “Voici la concubine de mon père (hāzi jāriyat abi)ˮ, mais la désignait par “ma mère unetelle (ummi fulāna)ˮ ; elle devenait une mère-substitut (umm badīla) », ce qui incorporait l’esclave dans une parenté fictive ou une parenté de lait. Au moment de l’abolition de l’esclavage (et conséquemment du concubinage), de nombreuses concubines ont été intégrées à la famille du maître en tant que coépouses. En Arabie saoudite, de nombreux mariages entre maîtres et esclaves affranchies ont été conclus par décret royal. La hausse de la polygamie observée dans les années 1970-1980 à Oman pourrait d’ailleurs s’expliquer par l’enrichissement matériel apporté par le pétrole, mais aussi par l’intégration des concubines dans la famille du maître en tant que coépouses, notamment celles venues de Zanzibar, ancienne colonie omanaise.

12Les Corps célestes illustre toutefois des relations et des arrangements complexes au sein du concubinage. Le cas de la concubine Zarifa – également nourrice d’Abdallah, le fils du maître – est emblématique des relations « intimes » entre maître et esclave. Zarifa accompagne le marchand Suleyman, son « sauveur », jusqu’à sa mort. Elle devient « l’esclave puis la maîtresse et la bien-aimée, mais aussi la seule femme qui soit parvenue à approcher son âme ». Quant à lui, il est « le seul homme qu’elle ait aimé », « l’amant qui lui avait fait connaître l’extase du corps ». En tant que concubine favorite, Zarifa tient une place privilégiée dans la « grande maison ». « C’était la seule esclave qui partageait le repas des maîtres et se servait dans le même plateau ». Néanmoins, malgré le lien affectueux qui semble l’unir à son maître, Zarifa demeure sa propriété. En effet, le maître décide du sort de ses esclaves, comme le fait le marchand Suleyman en mariant Zarifa à son esclave Habib. Abdallah rapporte que son père punit Zarifa « d’abord en délaissant sa couche, puis en la mariant à Habib, le plus excentrique et le plus agressif de ses esclaves, plus jeune qu’elle de dix ans ». Zarifa n’a jamais compris la raison de cette « grande discorde » qui l’avait opposée à son maître. Les Corps célestes illustre aussi la diversité chromatique dans la famille de Zarifa issue des métissages : sa mère Araignée est de peau « très noire » et a le visage « buriné » ; son mari Habib a hérité de « la blancheur de peau » de sa mère ; son fils Senjar est le fruit d’une union « métissée ». Le prénom Zarifa a également été imposé au temps de l’esclavage par le Cheikh Saïd, son premier maître.

13La brutalisation du corps de la femme esclave était d’ailleurs exercée non seulement par le maître et sa descendance, mais aussi par les hommes esclaves. Araignée, mère de Zarifa, subit une « double domination masculine » (Vidal 2019), celle du maître et celle de Nassib, esclave que le maître lui a donné pour époux à ses quinze ans. Pour s’être refusée à son mari, et comme « preuve vivante du sort qui attendait toute femme », esclave ou libre, qui refuserait le droit conjugal, le Cheikh Saïd incarcère Araignée dans un vieux cachot de sa forteresse, où elle reste cloîtrée pendant des mois. Là, « on lui faisait porter sa nourriture chaque jour en même temps qu’on lui amenait Nassib, son époux », qui la viole :

Lorsque les gens avaient commencé à s’émouvoir de ses hurlements, on avait fini par la libérer, et ce, d’autant plus après que Nassib eut fait savoir qu’il en avait assez de devoir lui attacher les jambes aux montants rouillés du lit et lui fourrer son turban dans la bouche pour pouvoir lui extorquer son droit conjugal. Araignée était sortie du cachot enceinte de sa première et unique fille. (Alharthi 2021 : 77-78)

Des secrets de famille autour de la paternité et de rapports illicites

14Le roman Les Corps célestes révèle aussi un lourd secret entourant une relation sexuelle strictement prohibée entre la maîtresse (mère d’Abdallah et épouse du marchand Suleyman) et Selim, l’esclave du Cheikh Saïd. Tout au long de l’histoire, Abdallah cherche à en savoir plus sur le décès soudain de sa mère Fatima survenu trois mois après sa naissance. « Le plant de basilic l’a tuée », lui réplique sa tante paternelle. L’esclave Messaouda confirme d’abord que Fatima serait morte après avoir déterré un plant de basilic, « troublant ainsi le repos des djinns qui vivaient dessous. La malheureuse est tombée brusquement malade, elle a agonisé deux ou trois jours, puis elle est morte ». L’esclave Zarifa, elle, préserve les secrets de famille et se place comme gardienne de l’ordre social. Elle est « la seule qui n’avait jamais commenté les racontars sur la maladie […]. Hélas, elle n’était plus de ce monde ». Mais au chapitre 53, l’esclave Messaouda revient sur sa première version et révèle la vérité. Elle « eut une réminiscence de la scène qu’elle avait surprise autrefois », où elle avait entendu, plaquant son oreille contre la fenêtre, la tante paternelle d’Abdallah annoncer à son frère Suleyman le secret bien caché : son épouse Fatima a été aperçue sous l’arbre avec l’esclave Selim.

— Je l’ai vue avec Selim, l’esclave du Cheikh Saïd, au pied du plant de basilic.
Le marchand Suleyman se mit à trembler. Elle poursuivit sans hausser le ton :
— Ne t’en fais pas, laisse-moi m’occuper de ça.
Sur ces mots, elle sortit.
Il se trouve que, précisément ce matin-là, le marchand Suleyman devait partir à Salalah pour les besoins de son commerce. Lorsqu’il rentra de voyage, trois mois plus tard, son épouse était morte, laissant Abdallah encore nourrisson aux soins de sa tante paternelle. Quant à Selim, l’esclave du Cheikh Saïd, il avait disparu. (ibid. : 264)

  • 9 Le prénom de l’esclave disparu, Selim, coïncide avec le prénom qu’Abdallah a donné à son fils, Sal (...)

15La question de l’identité du père biologique d’Abdallah reste ouverte. L’esclave Selim serait-il le père d’Abdallah9 ? Plusieurs scènes d’inversion des rôles entre Abdallah, le fils du maître et les deux fils d’esclaves mènent, par métaphores, vers cette piste. « Une fois dans le désert, ils m’avaient plaqué au sol. Ils voulaient m’obliger à dire : “Je suis Abdallah, esclave au service de Senjar et de Marhounˮ, mais je n’avais pas cédé. » (ibid. : 37)

Genre, loyauté et appartenance nationale

  • 10 Le territoire de Makran était sous souveraineté omanaise jusqu’en 1958, année où Gwadar fut rétroc (...)
  • 11 Sur la désocialisation de l’esclave et la mort sociale liées à la capture, voir Claude Meillassoux (...)
  • 12 L’arrière-grand-père maternel de l’esclave Zarifa a été capturé au Kenya en 1865.
  • 13 Les esprits du zār représentent souvent « l’Autre », l’étranger ou le pouvoir colonial (Beeman 20 (...)

16Le roman contemporain met aussi en lumière des expériences de genre différenciées parmi les esclaves eux-mêmes, entre les esclaves né·es dans la maison du maître (muwaladdīn) et les esclaves capturé·es, comme entre la mère de l’esclave Habib et celle de l’esclave Zarifa. La première, kidnappée lors d’une razzia au Baloutchistan10, continue de pleurer la rupture des liens familiaux11 ; tandis qu’Araignée, née dans la famille du Cheikh Saïd, participe à la transmission de la mémoire de l’esclavage par le biais du zār, un rite de possession et d’exorcisme. Sa fille Zarifa, née aussi dans la maison du Cheikh, participe comme elle aux fêtes du zār, mais ignore son passé familial (« elle avait entendu dire que son grand-père maternel était un nègre marron, mais c’était à peu près tout12 »). Habib livre un récit du « voyage » du Baloutchistan vers la côte d’Al Batinah sur un navire négrier : « Sa mère et lui avaient […] été achetés par les marchands d’esclaves qui les avaient revendus à leur tour à d’autres commerçants, jusqu’à ce qu’ils finissent entre les mains du marchand Suleyman. » Il se souvient du « hurlement de sa mère en découvrant que ses autres garçons avaient été emmenés sur des embarcations séparées, et que même celui qu’elle avait gardé, le nourrisson qui lui tétait le sein, était mort de variole, et avait été jeté par-dessus bord par les trafiquants ». Le traumatisme du « voyage » est par ailleurs cristallisé par la déchirure d’une mère séparée de ses quatre fils. « La mère de Habib avait passé des années à pleurer […] mais personne n’avait réussi à déterminer où ses autres fils avaient été expédiés ». Si pour Araignée, qui s’adressait « directement aux djinns qui entraient en communication avec les humains en train de se rouler par terre au-dessus des braises », les cérémonies du zār reconstituaient une communauté spirituelle, pour Habib, elles étaient un lieu de guérison traumatique où il criait son déracinement : « Ils n’ont fait que nous voler pour nous vendre13 ! »

17La distinction entre les muwaladdīn et les « capturé·es » informe aussi sur le sentiment d’appartenance à la nation. Avec l’abolition de l’esclavage et la construction de l’État-providence moderne, la loyauté nationale semble plus forte parmi les esclaves né·es dans la maison du maître, surtout les femmes, qu’au sein de la génération capturée, surtout masculine, qui s’insurge contre l’injustice de sa mise en esclavage et cherche à retrouver la terre natale. Le narrateur Abdallah, fils du marchand Suleyman, certifie ainsi à sa nourrice Zarifa qu’elle appartient bel et bien à cette terre : « Tu es née esclave », « personne ne t’a capturée et Awafi est ton pays, et les gens qui s’y trouvent sont ton peuple ». Ces propos sont contredits par son mari Habib qui lui « crachait à la figure » lorsque Zarifa évoquait son appartenance nationale : « Tu me parles de ton pays et du pays de tes ancêtres ? Mais quels ancêtres, Zarifa ? Tes ancêtres ne sont pas d’ici, tes ancêtres sont des nègres, comme toi, ils viennent d’Afrique, de ces pays où on vous a enlevés avant de vous vendre ! »

18Au moment de l’abolition de l’esclavage, des différences genrées et générationnelles au sein même des muwaladdīn s’expriment. Dans le roman Les Corps célestes, Senjar, le fils de Zarifa critique la position de sa mère : « Ouvre tes yeux Zarifa, nous sommes libres (ahrār), libres ! » En forme de provocation, Senjar décide d’appeler sa fille Rasha, un nom attribué aux filles « libres », alors que Zarifa juge cette pratique scandaleuse :

Tu es fou ? s’écria-t-elle. Le marchand Suleyman va te tuer. Tu voudrais donner à tes enfants les mêmes noms qu’il donne aux siens ? T’es devenu fou, mon fils ! Qui cherches-tu à provoquer ? Celui qui t’a élevé, qui t’a éduqué, et qui t’a marié. (ibid. : 121)

19Les Corps célestes montre une volonté de rébellion plus prononcée chez l’homme que chez la femme qui reste soumise au double système patriarcal (la famille) et néopatriarcal (l’État). Alors que Zarifa refuse de quitter Awafi, son mari Habib et son fils Senjar ont tous deux fui le pays ; le premier pendant l’esclavage et le second quelques années après l’abolition, pour fuir la pauvreté. Habib s’est enfui lorsque son fils Senjar avait à peine 10 ans. « Il avait répété à plusieurs reprises qu’il voulait partir pour retrouver la terre à laquelle il avait été arraché, mais aussi pour recouvrer la liberté dont il avait été spolié par les agissements des pirates et des commerçants ». Plus tard, son fils Senjar, héritier de la « graine rebelle », émigre au Koweït avec son épouse et son enfant.

20Zarifa attend huit ans, jusqu’à la mort du marchand Suleyman, pour rejoindre Senjar. Son histoire incarne la loyauté de la concubine au maître et plus métaphoriquement à la nation, manifestée par l’attachement de la femme à la patrie et à l’État paternaliste. La romancière Jokha Alharthi dit chercher dans son roman à comprendre comment les gens pensaient la « liberté » (hurriya) au moment de l’abolition de l’esclavage, car « certaines personnes n’étaient pas convaincues de la liberté ou de simplement la mériter. Zarifa n’était pas convaincue qu’elle méritait la liberté (tastahiq al hurriya) et qu’elle pouvait mener une existence séparée de son maître aimé ». L’autrice ajoute qu’il était difficile pour un·e esclave qui avait vécu toute sa vie dans la famille de son maître de se retrouver subitement, et par une loi, coupé·e de cette famille. L’esclavage était sa « raison d’être » (Larrier 2009). « Les relations from master to slave relevaient bien évidemment de l’exploitation sexuelle (istghlāl jinsi) mais elles pouvaient se transformer en relation d’amour et d’affection comme avec Zarifa », explique Jokha Alharthi. Cette réflexion est partagée par Huda Hamed qui se réfère au personnage de Zarifa pour rendre compte de la situation au moment de l’abolition : « Mes ancêtres me racontaient qu’une génération entière pleurait la fin de l’esclavage et que certaines personnes voulaient rester avec leur maître (sayyid), que l’idée même d’être sans leur sayyid était inconcevable, à l’inverse de la génération des enfants qui était fière d’être libre. » Les liens de loyauté (walā’) ont été perpétués même après la fin de l’esclavage (Hamel 2013). Ils s’expriment par des services rendus lors des cérémonies de mariage, des funérailles et des fêtes, où les anciens esclaves servent la nourriture et s’occupent des tâches domestiques. Zarifa continue en effet de servir le marchand Suleyman jusqu’à sa mort en 1992, soit vingt-deux ans après l’abolition de l’esclavage à Oman. Les Corps célestes raconte aussi la résistance des propriétaires d’esclaves à la politique abolitionniste. Sur son lit de mort, le marchand Suleyman ne peut tolérer la libération des esclaves par le « nouveau gouvernement » et répète sans cesse que « Senjar est [s]on esclave (‘abdi) », refusant de le considérer comme un citoyen désormais libre :

— Fiston, tu as bien attaché ce voleur de Senjar au poteau est de la cour ?
— Père, le gouvernement a affranchi tous les esclaves, et Senjar avec… Je te parle du gouvernement, père !
[…]
— Comment ça, le gouvernement ? Senjar est mon esclave à moi, que je sache, pas celui du gouvernement. Ils croient qu’ils peuvent en disposer à leur guise, ou quoi ? C’est moi qui ai acheté sa mère Zarifa pour vingt thalers d’argent […].
Alors, de quoi il se mêle, le gouvernement ? C’est mon esclave à moi. Comment il peut partir sans me demander mon autorisation ? Dis-moi comment, fiston ! (ibid. : 22)

21La persistance des liens de dépendance questionne ainsi la pleine émancipation des ancien·nes esclaves et de leurs descendant·es, de même que leur droit à la citoyenneté et leur appartenance à la communauté nationale.

Le mariage au cœur des discriminations raciales

  • 14 À Oman, les esclaves acquièrent une « identité́ ethnique indirecte » (Barth 1983) qui varie selon (...)
  • 15 Après l’abolition de l’esclavage et sous la contrainte du gouvernement, une large majorité d’affra (...)
  • 16 La définition du baysar n’est pas univoque dans la société omanaise, mais les avis concordent sur (...)
  • 17 Voir Khaled Al-Azri (2010).
  • 18 La femme peut aussi demander le divorce si elle découvre que son mari est un mawla (descendant d’e (...)
  • 19 Recueil des actes et paroles du prophète Mahomet et de ses compagnons.
  • 20 Plus de la moitié des unions enregistrées sont consanguines (Safar 2015).

22Abordés principalement dans l’œuvre de Huda Hamed, les thèmes des évitements matrimoniaux et des divorces expriment des subjectivités féminines où s’entrecroisent race, genre et lignée. Ils montrent que la couleur n’est pas le seul critère pour caractériser les personnes de « race d’esclaves » (‘irq ‘abid). L’origine (asl) et la généalogie (nasab) distinguent le ou la citoyen·ne libre de l’esclave. En effet, les baysir (métissés) – désignés aussi par le terme hajin (« de deux races différentes ») – sont de peau blanche ou mate (hinṭi), mais appartiennent à une descendance servile, tout comme les esclaves blancs originaires d’Iran et du Baloutchistan. Les baysir « are very white, sometimes very very white. They have nothing to do with blackness », confirme Jokha Alharthi. De même, l’appartenance à une tribu arabe n’est pas une condition suffisante pour distinguer les descendants libres des descendants d’esclaves, qui ont pour la plupart adopté le nom tribal de leur maître au moment de leur affranchissement14. « Les somor (foncés) ou les baysir peuvent être de la même tribu que les bīḍ (blancs), par conséquent, la tribu n’est pas un critère pour définir les gens ! Le critère, c’est l’origine (asl), les gens reconnaissent une personne par sa race (‘irq) », explique Ahmad15. Huda Hamed définit un baysar comme toute personne née d’une relation sexuelle légitime entre le maître et son esclave, alors que pour d’autres, le terme désigne simplement une personne née d’une union entre un « arabe blanc » et une « femme noire ». Le roman de Huda Hamed Al ashyā’ layssat fi amākiniha raconte l’histoire d’amour impossible entre Amal et Mohsin, à cause des empêchements matrimoniaux entre les baysir et les Arabes « libres »16. Bien qu’amoureux d’Amal, Mohsin, cet homme « libre » (hurr), accepte le mariage arrangé par sa mère avec Mona, amie d’Amal mais issue d’une tribu « noble » comme lui. La discrimination ne relève pas de la couleur d’Amal, mais de sa généalogie, de sa « macule servile » (Thioub 2012). Huda Hamed explique que le nombre élevé de divorces causés par un manque de compatibilité maritale (kafā’a) l’avait fait réfléchir à ce sujet : « De nombreux couples divorcent lorsque l’un des époux découvre que “quelque chose ne va pasˮ dans l’histoire familiale de l’autre », sous-entendu l’histoire cachée d’une descendance servile qui peut remonter à un arrière-arrière-grand-parent. « Je devais mettre en lumière les problèmes de takfu’ (équivalence de niveau entre les époux17) dans la société et les différences basées sur l’origine que les gens ici refusent de voir, considérant qu’il n’y a aucune stratification sociale dans ce pays18 ! » S’appuyant sur des hadiths19, certains interrogés soulignent ainsi : « Al ‘irq dass (la race ne change pas) et le roman n’y changera rien. Huda Hamed pense-t-elle vraiment trouver une solution au problème d’incompatibilité des mariages ? Il n’y a aucune solution même dans cinquante ans ! », affirme Hamid dans un discours stigmatisant. Le mariage est un lieu de reproduction des hiérarchies sociales et raciales. Au sultanat d’Oman, les politiques gouvernementales autour des interdits du mariage mixte et de la notion de kafā’a ont par ailleurs contribué à renforcer l’endogamie et la consanguinité, notamment chez les descendants d’esclaves dans les années 199020.

Le maintien de visions stéréotypées

23Dans les romans étudiés, le positionnement des romancières peut sembler paternaliste, car les femmes noires sont associées aux stéréotypes liés à la prostitution, à la sexualité facile, et à leur impossibilité pour elles de former une famille conjugale stable comme les femmes « blanches ». La perpétuation des discriminations à l’encontre de la vie de famille des anciens esclaves et de leurs descendants est un aspect fondamental de la période post-esclavage (Rossi 2021). Les Corps célestes de Jokha Alharthi met en avant la prostitution et le rôle d’initiatrices sexuelles des esclaves et de leurs descendantes :

Il s’était à peine passé quelques jours que Zarifa m’incitait à coucher avec l’une des filles de la maison. Je n’avais qu’à choisir celle que je voulais parmi la cohorte d’esclaves au service de mon père. Il s’agissait d’expérimentations grossières et totalement dépourvues de sentiment. La plupart des filles faisaient ça par peur ou par intérêt, en contrepartie de cadeaux. (ibid : 57)

24Hafidha est aussi décrite sous le sobriquet de « Bas el Chaab, le bus universel ». Mère de trois enfants de couleurs différentes et de pères inconnus, elle incarne une image familiale instable qui contraste avec la famille patrilinéaire et le modèle de la mère arabe. Hafidha est tombée enceinte la première fois à 17 ans d’une fillette « qui était encore plus brune de peau » qu’elle. Deux ans après, elle met au monde sa deuxième fille « qui cette fois avait la peau très blanche », « un portrait craché » du fils cadet du Cheikh Saïd. Mais Hafidha n’était pas plus sûre de l’identité exacte du père. « Trois ans plus tard, elle avait mis au monde une troisième fille, laquelle lui ressemblait beaucoup et devait clôturer sa descendance : après cette troisième grossesse, Hafidha avait fini par se mettre à la pilule contraceptive », comme pour prendre le contrôle de son propre corps.

De l’écriture féminine aux tentatives d’intimidation

Subjectivités et sources des romancières

Une écriture féminine construite sur l’histoire orale

  • 21 Le roman de Badriyya al Shihhi Al Tawaf Haythu al Jamr (Treading Around the Embers, 1999), qui tra (...)
  • 22 Le roman décrit des scènes d’accouchement et aborde avec subjectivité le corps maternel.

25Le « regard féminin » présente « un changement de perspective » (Gauthier 1985) dans la façon d’aborder les personnages et de reconstituer des histoires sur l’esclavage et le genre. D’après Huda Hamed, l’écrivaine a une plus grande sensibilité (hassiya) que l’écrivain pour approcher les sujets intimistes. L’écrivaine privilégie une entrée par les petits détails tandis que l’homme écrit sur la grande histoire21. Pour Jokha Alharthi, la différence réside dans « le traitement du personnage féminin », la femme connaissant mieux la personnalité d’une femme que l’homme. « En tant que femme, je peux entrer dans des lieux que l’homme ne peut pas pénétrer ; participer à des discussions intimes qu’il ne peut pas entendre ou qu’il n’est pas autorisé à entendre ; ce qui donne une autre vision pour dessiner le monde des femmes22. » Par un « parler-femme » (Irigaray 1977), les femmes peuvent mieux incarner la voix de leur sexualité et rendre compte des systèmes d’exploitation dans l’institution familiale. Huda Hamed affirme que la concubine Zarifa dans Les Corps célestes incarne un « personnage inoubliable » : « Lorsque le maître (sayyid) demande à Zarifa de coucher avec elle, elle y va, elle se fond avec son sayyid sans aucune distance Jokha Alharthi réussit à créer ce personnage fondu, à dessiner la personnalité à travers une description simple, sans besoin de préciser au lecteur que les personnages sont opprimés. » La « littérature féministe post-moderniste » du Golfe se distingue de la tradition littéraire masculine par l’usage de « stratégies narratives féministes » (Tijani 2018), de formes d’écriture et de techniques esthétiques plus variées. Les Corps célestes emploie par exemple la polyphonie, le mélange de dialectes vernaculaires du Golfe avec l’anglais et l’arabe littéraire, la poésie classique, des chapitres succincts, une focalisation intérieure, des monologues et l’absence de narrateur omniscient.

  • 23 La romancière avait signé son roman Al ashyā’ layssat fi amākiniha sous le nom de Huda Al Jahour (...)

26La place attribuée à l’histoire orale et aux archives dans la construction romanesque sert aussi à l’écriture mémorielle de l’esclavage dans le sultanat d’Oman sous l’angle du genre. « Je ne prétends pas que le roman est un miroir de la réalité, mais j’utilise la fiction et l’imagination pour recréer la réalité (taswīr al wāqi’), je ré-invente la réalité », explique Jokha Alharthi. Les romancières enquêtent en s’appuyant essentiellement sur les archives britanniques pour étudier l’histoire de l’esclavage dans la région, transformant l’avant-texte en texte romanesque (Debray-Genette & Neefs 1987). Mais surtout, leur travail romanesque s’appuie sur leur vécu et sur l’histoire orale (turth shafahi). « J’ai discuté avec de nombreuses personnes pendant l’écriture de mon roman », affirme l’autrice. S’appuyant sur les témoignages recueillis, Jokha Alharthi valide par exemple un récit méconnu de l’histoire de la traite d’esclaves du Baloutchistan à Oman. Selon elle, l’absence de reconnaissance de cette traite s’expliquerait par le fait que le sujet peut « déranger » des membres de la tribu « Al Bulushi ». Des marchands baloutches libres – aujourd’hui influents dans le pays – sont venus s’installer à Oman ; ils étaient impliqués dans le commerce des esclaves baloutches. « Mais ces gens (les anciens esclaves baloutches) existent ! Je les ai côtoyés personnellement. Je les connais, ils sont de mon village, de la région d’Al Sharqiyya. Petite, je connaissais une femme venue du Baloutchistan par rapt (ikhtitf) ; des bandes l’avaient capturée et vendue plusieurs fois jusqu’à arriver ici par mer. Elle était extrêmement blanche et belle, je lui rendais visite jusqu’à sa mort. » Huda Hamed indique aussi avoir, pour ses quatre derniers romans, mené des entretiens auprès d’anciennes générations de femmes afin de mieux comprendre leur vie à Zanzibar avant 1964 (date du massacre des Arabes dans l’île) et les liens qui unissent Oman et Zanzibar. L’objectif des entretiens était de questionner la légitimité de la présence omanaise à Zanzibar. « À qui appartenait cette terre ? La présence (wujūd) omanaise était-elle innocente ? […] il y avait des intérêts, des tentatives de mise en esclavage d’Africains ramenés sur des bateaux vers le Golfe », explique Huda Hamed. Son écriture, fondée sur des témoignages de femmes, offre un discours différent du récit national sur la grandeur de l’empire omanais en Afrique de l’Est, lequel reste dissocié du commerce florissant des esclaves. Le parcours professionnel des écrivaines et leur notoriété ajoutent aussi de la scientificité au travail d’archives écrites et orales sur l’esclavage. « Jokha Alharthi est respectée car elle vient du milieu académique, sans compter qu’elle vient d’une famille de Cheikhs », explique Ahmad. Diplômée de littérature arabe classique de l’université d’Édimbourg, elle est aujourd’hui professeure de littérature arabe à l’université Sultan Qabous. Quant à Huda Hamed, diplômée de littérature arabe de l’université d’Alep (Syrie), elle est surtout connue pour être une « très audacieuse » journaliste dans Jaridat ‘Uman23.

Faire le jeu du colonialisme : des subjectivités racialisées

  • 24 Jokha Alharthi précise ne pas avoir vécu en Afrique et ne pas avoir de grands-parents ayant vécu l (...)
  • 25 La tribu Al Harthy a pénétré vers l’intérieur de l’Afrique (Burundi, Rwanda) après avoir conquis l (...)
  • 26 Jokha Alharthi indique que lors de la promotion de son roman dans des pays occidentaux, certaines (...)
  • 27 Abduh Khal et Mahmoud Tarawiri sont considérés comme les rares écrivains du Golfe à avoir une hist (...)
  • 28 Voir aussi Pia Wiegmink (2022).
  • 29 La romancière faisait référence aux polémiques suscitées par le refus de choisir une traductrice h (...)

27Le statut des écrivaines est un autre élément pour saisir les positions de genre et les modes de légitimation du roman. Huda Hamed (Al Jahouri) tout comme Jokha Alharthi appartiennent à de grandes tribus arabes. Dans la mémoire collective, la tribu Al Harthy reste associée aux grandes familles marchandes qui ont fait du commerce des esclaves à Zanzibar leur principale source de profit au cours des siècles24. Confirmant cet héritage familial, un interrogé, Majid, préjuge que Jokha Alharthi aurait choisi d’aborder le thème de l’esclavage en raison des persécutions qu’elle a sans doute observées au sein de son entourage. De plus, cette tribu détient un pouvoir politique : des membres de cette famille font partie du gouvernement. Une branche de la tribu est parente avec l’ancien sultan Qabous (« la première ou la seconde épouse du sultan était une Harthy »)25. Pour Abdallah, fonctionnaire au ministère du Tourisme, le roman Les Corps célestes ne fait que préserver le statut des Al Harthy et de ses Cheikhs : « La tribu Al Harthy est fière de son histoire car [ses] ancêtres étaient courageux, ils capturaient les esclaves dans les forêts, ce qui était une entreprise difficile ! » Majid, quant à lui, conclut que « ces écrivaines omanaises restent conservatrices, portent le hijab26 et ne cherchent pas à bousculer l’ordre des choses ! » L’écriture mémorielle de l’esclavage par des écrivaines considérées comme « privilégiées », « blanches » (appartenant à une tribu arabe « pure »), se distingue des slave narratives écrits par des black feminists afro-américaines. Aucune écrivaine « noire » n’a d’ailleurs été identifiée au sultanat d’Oman et dans le reste de la péninsule Arabique27. En raison des difficultés des femmes noires ou descendantes d’esclaves d’accéder au discours politique, les femmes « blanches » peuvent ainsi s’approprier la cause de leurs « sœurs » pour asseoir leur propre pouvoir (Sánchez-Eppler 1993)28. Expliquant le développement des neo-slave narratives, Jokha Alharthi déclare que « la communauté noire aux États-Unis est arrivée au stade où elle a compris son appartenance et son histoire ; et elle s’identifie fièrement par la race disant “nous sommes noirsˮ, tandis qu’à Oman, c’est l’inverse qui s’est passé : l’identité individuelle s’est fondue dans le collectif. Beaucoup de personnes (noires) considèrent qu’il vaut mieux faire partie de la société plutôt que de créer their own narrative ». Elle conclut par ailleurs qu’il faut éviter d’exagérer les différences de genre ou de race dans le travail d’écriture. « Un homme peut très bien écrire sur une femme et vice versa, tout comme une Noire peut traduire une Blanche et inversement29 ».

La réception de l’œuvre : des romancières au cœur des polémiques sur l’esclavage

Des romancières mises en accusation

  • 30 Huda Hamed et Jokha Alharthi collaborent aujourd’hui avec la maison d’édition libanaise Dar al Ada (...)
  • 31 Principal forum d’expression public, le site aborde des thèmes divers et controversés. Très actif (...)

28L’œuvre de Jokha Alharthi autant que celle de Huda Hamed ont suscité des polémiques, la première pour avoir évoqué le système esclavagiste et la deuxième pour avoir mis en lumière les bayāsira, deux sujets mis en sourdine dans la société omanaise. Les critiques ont surtout fusé après l’attribution de prix littéraires. Jokha Alharthi, lauréate du Man Booker International Prize 2019, en rend compte en ces termes : « Dès le moment où j’ai reçu le prix, une attaque féroce s’est déchaînée contre moi impliquant certains de mes anciens étudiants. » Huda Hamed30, prix Sharjah de la créativité arabe en 2010 et meilleure publication omanaise en 2009, va dans le même sens : « J’avais reçu des insultes sur le forum Sablat Oman31. Le roman a souffert d’autant qu’il avait gagné un prix. Les gens ne voulaient pas qu’il soit lu en dehors d’Oman. “Pourquoi l’autre doit-il nous connaître ?ˮ, disaient-ils ; or le rôle de la littérature est justement d’affronter la réalité et d’aborder des thèmes cachés ! L’attaque était cruelle. Des personnes disaient que je “lavais le linge du paysˮ (tinshiri ghasīl al balad) ». Selon un responsable du comité littéraire, le roman de Huda Hamed a « ouvert une porte fermée » qui a heurté la communauté des bayāsira, tout comme Jokha Alharthi a « ouvert les yeux » sur des sujets silenciés susceptibles de saper la cohésion sociale. Huda Hamed confirme que certaines personnes avaient été heurtées par le caractère trop libéré de son personnage Amal. « Sans les deux lignes de mon roman qui évoquaient la décision personnelle d’Amal de perdre sa virginité, les critiques auraient été certainement moins féroces », explique-t-elle, soulignant ainsi l’intersection des questions de race, de statut et de genre dans son œuvre.

Des polémiques autour de la mémoire coloniale

  • 32 La (re)parution du roman à la suite du Man Booker International Prize intervient à un moment charn (...)
  • 33 Selon Jokha Alharthi, le problème essentiel repose sur le sentiment qu’ont les sociétés arabes d’ê (...)

29La traduction de l’œuvre a produit des discours locaux autour de l’esclavage. Les romancières disent avoir conscience des polémiques soulevées autour de la mémoire coloniale les accusant d’être des suppôts du colonialisme. Alors que certains « progressistes » estiment que Les Corps célestes de Jokha Alharthi décrit une réalité socio-historique « existante mais tue » sur l’esclavage à Oman qu’il est nécessaire d’élucider ; les « conservateurs » voient en ce roman une atteinte à l’image du pays. Montrer les Omanais sous l’angle des colonisateurs ou des esclavagistes « peut nuire à la réputation du pays ». Selon un responsable, l’un des griefs concernant le roman de Jokha Alharthi est le fait que la traduction en plus de vingt-quatre langues de son roman mettait en lumière des sujets propres à la société omanaise « conservatrice ». Force est de noter que Sayyidāt al Qamar (Les Corps célestes) a été publié une décennie avant sa traduction, mais que le public omanais n’en a réellement pris connaissance qu’après le Man Booker International Prize32. Alors que le roman avait obtenu le prix du meilleur roman omanais en 2010, Jokha Alharthi précise que « ce n’est qu’après la traduction du roman que les réactions se sont manifestées » dans une tentative de délégitimation. La romancière explique qu’en 2010, « les gens acceptaient de laver le linge sale entre nous, Arabes, mais ils refusent en 2019 de le laver avec le reste du monde ! » ; « certaines personnes disaient que mon roman était néfaste à notre pays ». Parmi les critiques, celle de Hamid : « Nous vivons dans une société égalitaire. Pourquoi aborder ce sujet [de l’esclavage] aujourd’hui ? Ce n’est pas le bon moment [pour] bousculer la société. » À quoi répond Jokha Alharthi : « Mais il est quand ce bon moment ? Quand parler ? Après notre mort ? » Huda Hamed renchérit : « On dit qu’il ne faut pas perturber la société, mais pourquoi pas ? Si on ne parle pas maintenant, quand parlera-t-on33 ? », considérant ainsi l’écriture comme « la possibilité même du changement » (Cixous 2010). Pour les plus réactionnaires, le succès international du roman de Jokha Alharthi est un prétexte pour l’Occident pour se dédouaner de son propre passé esclavagiste et colonialiste en pointant les pratiques des Arabes et des musulmans. Plus que l’œuvre en elle-même, ce sont des extraits du roman sur la toile et les réseaux sociaux qui ont principalement suscité les controverses. « Sur WhatsApp, un extrait d’amour décontextualisé circulait, de même qu’un passage sur l’homosexualité sorti de son contexte », note Jokha Alharthi. « Aujourd’hui les débats sont rares, il n’y a que des polémiques sur Twitter ! » « Il n’existe aucune plateforme pour échanger sur des sujets certes sensibles, mais présents dans notre société », s’insurge Jokha Alharthi. « Toute l’humanité partage cette honte (tatashārak al ‘ār). Nous avons participé à l’esclavage et cela fait partie de notre histoire ; pourquoi ne pas ouvrir le débat, d’autant que les petits-enfants de ces gens [sous-entendu les anciens esclaves] vivent dans la société ? » Par ailleurs, pour sortir de la notion de particularisme (khususiyya), il est selon elle nécessaire d’inscrire l’esclavage dans une histoire universelle : « Ce sujet n’est pas propre à Oman ; nous n’avons pas inventé l’esclavage, nous ne l’avons pas apporté au monde ni pratiqué d’une manière isolée du monde. » Huda Hamed va dans le même sens : « Les fortes réactions de la société à mon roman ont confirmé à quel point la blessure liée à cette question est profonde. » La vision officielle participe à cette absence d’un débat public. « Le silence vaut parfois mieux que le débat », note, à l’inverse, l’historienne Hoda Al Zadjali, considérant que ce genre de romans attise les conflits tribaux. Au niveau institutionnel, les autorités évitent ainsi d’engager un débat national autour de l’esclavage, « une affaire embarrassante ». « Le ministère de l’Intérieur et les chefs tribaux peuvent tenter de discuter autour d’une table, mais le gouvernement préfère que ce soit la société qui gère elle-même cette affaire », explique Ahmad. Hamid ajoute qu’« aborder officiellement cette question peut renvoyer aux autres pays l’image que ce problème [l’esclavage] et les discriminations raciales existent chez nous. On préfère montrer une image de tolérance et de vivre-ensemble ». Et il note que le gouvernement tolère les « petites histoires par-ci et par-là sur le commerce d’esclaves, mais sans considérer cela comme un réel phénomène ».

Conclusion

  • 34 Propos de Martha Nussbaum, cité par Solange Chavel (2012 : 96).

30Face au vide historiographique et anthropologique, la fiction contemporaine omanaise – essentiellement écrite par des romancières – s’est emparée de l’épineuse question de l’esclavage et du genre, présentant une piste privilégiée et novatrice pour l’écriture mémorielle de l’esclavage et de son legs. Dépassant les visions sur l’esclavage oriental considéré comme paternaliste, cette fictionnalité permet de rendre visibles les subjectivités des esclaves et de leurs descendant·es ainsi que les violences subies. Les romancières omanaises ont d’ailleurs pris la mesure des difficultés d’aborder le thème de l’esclavage, tout comme elles ont conscience de leur mise en accusation tantôt comme étant un relais du colonialisme, tantôt comme faisant le jeu du colonialisme. Les tensions entre une écriture mémorielle de l’esclavage et les positions de pouvoir et de genre des autrices rendent en effet difficile l’écriture de l’esclavage dans la péninsule Arabique. Les polémiques engendrées autour des romans étudiés participent toutefois de la construction d’une « mémoire sociale » autour de la question de l’esclavage dans la région. Au-delà d’un récit national d’homogénéisation, « la littérature joue un rôle particulièrement important pour rendre visible ce qui passe inaperçu dans l’espace public, elle donne à voir de l’intérieur des vies singulières et peut ainsi combattre la torsion de concepts génériques. Le roman est donc une manière de lutter contre l’expérience tristement familière de l’opacité de l’espace public, organisé en grande partie pour nous mettre en contact uniquement avec ceux des citoyens que nous voulons bien voir34 ».

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Notes

1 Les esclaves de sexe féminin étaient pourtant aussi nombreuses que les esclaves de sexe masculin (Zdanowski 2014) et leur prix sur le marché était plus élevé que celui de ces derniers.

2 Propos de Mona Kareem, cité par Salwa Benaissa (2019).

3 Les écrivaines omanaises Jokha Alharthi et Huda Hamed sont nées respectivement en 1978 et 1981.

4 Jokha Alharthi est la première femme arabe et omanaise à obtenir le Man Booker International Prize, qui récompense une œuvre traduite en anglais, pour Celestial Bodies.

5 L’enquête de terrain à Oman s’est déroulée du 13 février au 12 mars 2023 dans les villes de Sohar, Buraimi, Mascate, Ras el Hadd et Salalah. Le terrain a été mené grâce à une aide à la mobilité de l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM-EHESS).

6 Son roman Fombi (2022) est le premier roman omanais à examiner la colonisation belge au Congo et les premières expéditions du fameux marchand d’esclaves omanais Hamed bin Mohammed al Marjebi (plus connu sous le nom de Tippo Tip) dans l’est du Congo.

7 Pour plus de détails, voir Jennifer Morgan (2004, 2021) et Katherine Paugh (2017).

8 En 1978, Sayf al-islam ibn Sa’ud – qui n’est autre que le fils du roi saoudien Sa’ud bin Abdel Aziz Al Sa’ud – publie son roman Qalb min Binqalan (réédité en 2004 et interdit de vente dans le royaume), qui relate l’histoire douloureuse de sa mère, une concubine apportée du Baloutchistan au Najd.

9 Le prénom de l’esclave disparu, Selim, coïncide avec le prénom qu’Abdallah a donné à son fils, Salim, dans une forme de transfert (traduction à partir de la version arabe).

10 Le territoire de Makran était sous souveraineté omanaise jusqu’en 1958, année où Gwadar fut rétrocédé au Pakistan. Voir Beatrice Nicolini (2007).

11 Sur la désocialisation de l’esclave et la mort sociale liées à la capture, voir Claude Meillassoux (1986) et Orlando Patterson (1982).

12 L’arrière-grand-père maternel de l’esclave Zarifa a été capturé au Kenya en 1865.

13 Les esprits du zār représentent souvent « l’Autre », l’étranger ou le pouvoir colonial (Beeman 2018).

14 À Oman, les esclaves acquièrent une « identité́ ethnique indirecte » (Barth 1983) qui varie selon l’identité́ ethnique de leurs propriétaires : on trouve des esclaves arabes, des esclaves baloutches, des esclaves ‘ajam, etc.

15 Après l’abolition de l’esclavage et sous la contrainte du gouvernement, une large majorité d’affranchis acquièrent le nom tribal de leur ancien maître et restent ainsi considérés comme des « suiveurs de tribus ». « Ils continuent de dire : “Je suis le serviteur de la tribu unetelleˮ (ana khdim al qabila al fulniya) », confirme Majid.

16 La définition du baysar n’est pas univoque dans la société omanaise, mais les avis concordent sur le mélange de couleurs et de traits physiques entre les enfants nés de mêmes parents.

17 Voir Khaled Al-Azri (2010).

18 La femme peut aussi demander le divorce si elle découvre que son mari est un mawla (descendant d’esclaves) (Al Azri 2013).

19 Recueil des actes et paroles du prophète Mahomet et de ses compagnons.

20 Plus de la moitié des unions enregistrées sont consanguines (Safar 2015).

21 Le roman de Badriyya al Shihhi Al Tawaf Haythu al Jamr (Treading Around the Embers, 1999), qui traite du thème de l’esclavage, marque la naissance du véritable roman omanais (Ramsay 2006).

22 Le roman décrit des scènes d’accouchement et aborde avec subjectivité le corps maternel.

23 La romancière avait signé son roman Al ashyā’ layssat fi amākiniha sous le nom de Huda Al Jahouri. C’est en 2011, lors des printemps arabes, qu’elle décide de retirer son nom tribal, Al Jahouri. « C’était ma propre révolution », note l’autrice.

24 Jokha Alharthi précise ne pas avoir vécu en Afrique et ne pas avoir de grands-parents ayant vécu là-bas, même si les racines de sa tribu en Afrique sont très anciennes.

25 La tribu Al Harthy a pénétré vers l’intérieur de l’Afrique (Burundi, Rwanda) après avoir conquis la côte. Voir Colette Le Cour Grandmaison (1989).

26 Jokha Alharthi indique que lors de la promotion de son roman dans des pays occidentaux, certaines personnes étaient choquées de la voir avec un hijab oppressif. « Je leur expliquais que le hijab n’est pas seulement religieux, mais culturel aussi. L’oppression c’est lorsque le public occidental considère que le hijab est une oppression », explique l’autrice.

27 Abduh Khal et Mahmoud Tarawiri sont considérés comme les rares écrivains du Golfe à avoir une histoire liée à la question noire ou à l’esclavage.

28 Voir aussi Pia Wiegmink (2022).

29 La romancière faisait référence aux polémiques suscitées par le refus de choisir une traductrice hollandaise « blanche » pour traduire le poème de l’Afro-Américaine Amanda Gorman révélée lors de la cérémonie d’investiture du président américain Joe Biden. « C’est de la violence, c’est extrême ! », note Jokha Alharthi.

30 Huda Hamed et Jokha Alharthi collaborent aujourd’hui avec la maison d’édition libanaise Dar al Adab.

31 Principal forum d’expression public, le site aborde des thèmes divers et controversés. Très actif dans les années 2007-2009, il connaît une baisse de popularité après les printemps arabes et avec l’essor des réseaux sociaux.

32 La (re)parution du roman à la suite du Man Booker International Prize intervient à un moment charnière de l’histoire contemporaine du pays, puisqu’en janvier 2020, le sultan Qabous bin Saïd, celui qui abolit l’esclavage, s’éteint après quarante ans de règne. De même, la première édition du roman en 2010 paraît dans le contexte turbulent des printemps arabes.

33 Selon Jokha Alharthi, le problème essentiel repose sur le sentiment qu’ont les sociétés arabes d’être dans l’idéalisme et l’exagération.

34 Propos de Martha Nussbaum, cité par Solange Chavel (2012 : 96).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jihan Safar, « Écrire l’esclavage au féminin : une étude du roman contemporain omanais »Esclavages & Post-esclavages [En ligne], 9 | 2024, mis en ligne le 15 mai 2024, consulté le 20 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/slaveries/9378 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11o9q

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Auteur

Jihan Safar

Chercheuse post-doctorante, OMAM-ULB

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