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Carnet de la création
Traduction

Un suédois nous parle de la guerre

Elena Balzamo
p. 113-116
Référence(s) :

Hjalmar Söderberg, Basculement (Pièce en trois actes), traduction sous la direction d’Elena Balzamo, L’Harmattan, « Théâtre des cinq continents », 2013. ISBN : 978-2-343-01296-4.

Notes de la rédaction

La pièce de Hjalmar Söderberg vient de paraître en septembre 2013 aux éditions L’Harmattan ; nous reproduisons l’extrait de l’acte II avec l’autorisation aimable de l’éditeur et d’Elena Balzamo qui a dirigé la traduction collective. Pour lire intégralement la pièce, le lecteur pourra se reporter à l’édition suivante : Hjalmar Söderberg, Basculement (Pièce en trois actes), traduction sous la direction d’Elena Balzamo, L’Harmattan, « Théâtre des cinq continents », 2013. ISBN : 978-2-343-01296-4.

Texte intégral

1À la différence de beaucoup de ses contemporains, écrivains réalistes de la fin du xixe – début du xxe siècle, Hjalmar Söderberg (1869-1941), grand classique de la littérature suédoise, n’était pas un auteur prolifique. Son héritage littéraire consiste avant tout en quatre romans, quelques recueils de nouvelles, quelques essais et trois pièces de théâtre. Le reste comprend des articles de critique littéraire et théâtrale, des causeries et divers textes mineurs. Cette partie-là est plus ou moins tombée en désuétude ; en revan­che, le noyau de son œuvre, notamment les romans et les nouvelles, n’ont pas pris une ride et comptent parmi ce que la tradition littéraire suédoise a de meilleur.

2Dans les romans, Söderberg se montre un observateur perspicace, un fin psychologue et un styliste inégalable. Qu’il s’agisse d’une comédie de mœurs comme Égarements (1895), d’un Bildungsroman comme La Jeunesse de Martin Birck (1901), d’un questionnement sur le « droit de tuer » comme Docteur Glas (1905), ou d’un roman d’amour comme Le Jeu sérieux (1912), le lecteur voit se déployer un univers romanesque d’une rare densité. Dans le domaine de la nouvelle, Hjalmar Söderberg est à la Suède ce que Guy de Maupassant est à la France ou Anton Tchékhov à la Russie : un maître insurpassable, un miracle littéraire qui résiste au temps, aux modes, aux changements de préoccupations et de goûts. Dans tous ses écrits, on re­trouve son pays natal, la Suède, qui, pour l’écrivain, se confond souvent avec Stockholm, à la fois capitale et ville de province peuplée de petites gens, de bourgeois, de flâneurs désœuvrés, de filles de joie, de veuves, de bons vivants, de médecins nécessiteux, d’hommes d’affaires prospères, de chiens errants… Il s’y joue des farces et des drames, sans que la distinction entre les unes et les autres soit facilement perceptible. De ce kaléidoscope de per­sonnages, de situations sans cesse changeant, une vision du monde se dégage et s’impose. Celle d’un observateur à la fois perspicace, compatissant et désabusé, un pessimiste qui – comme il le dira ailleurs – ne croit qu’« au désir de la chair et à la solitude incurable de l’âme ».

3Alors, un auteur intimiste, plongé dans son époque, obnubilé par la comédie humaine qui se joue sous ses yeux, qui ne sait rien ni ne veut rien savoir du reste du monde ? Pas du tout. Dans une lettre à un ami, l’écrivain Bo Bergman, Hjalmar Söderberg, d’habitude très réservé, fait cet aveu sur­prenant : « Deux choses m’ont marqué plus que tout le reste dans ma vie : une histoire d’amour malheureux (1902-1906) et l’année 1914 ». Signi­ficativement, Söderberg choisit le genre dramatique pour traiter ces sujets douloureux : l’un comme l’autre furent à l’origine d’œuvres théâ­trales mémorables, Gertrude (1906) et Basculement (1922).

4La première des deux, la plus célèbre de la production théâtrale de Söderberg (qui a écrit en tout et pour tout trois pièces) rencontre un succès immédiat ; dès l’année qui suit sa parution, elle fait l’objet d’une mise en scène. Par la suite, elle continue à être jouée aussi bien dans le pays natal de l’auteur qu’à l’étranger. En outre, en 1962 elle fut portée à l’écran par le célèbre cinéaste danois Theodor Dreyer. Le destin de la seconde pièce, Basculement, fut très différent.

5Que la Grande guerre ait représenté un épouvantable choc pour l’humaniste qu’était Hjalmar Söderberg est une évidence. Ces quatre années de boucherie à l’échelle européenne firent voler en éclats sa vision du monde, pulvérisant sa croyance au progrès, sa confiance en la raison humai­ne. Persuadé de vivre l’avènement de la barbarie, il crut vite comprendre que le déclin de l’Europe, de sa culture qui était pour lui la valeur suprême, la raison d’être de l’humanité, n’en était encore qu’à ses débuts, qu’il s’agis­sait des prodromes d’une catastrophe encore plus grande : l’écroule­ment dé­finitif de la civilisation. Cette vision de l’avenir le paralysait. Son inspi­ration tarit. Après le cataclysme de 1914-1918, il n’arrivait plus à écrire, comme d’autres, plus tard, allaient se voir dans l’impossibilité de faire de la litté­rature « après Auschwitz ». À partir du milieu des années 10, il n’écrira plus de fiction, s’occupera d’histoire religieuse, d’articles polémiques, suivra avec un désespoir toujours grandissant la montée des totalitarismes en Europe.

6Avec toutefois une exception : Basculement, la pièce qui à la fois constitue un bilan de sa réflexion politique et un cri d’avertissement. Un drame d’idées qui reflète une situation historique très concrète, analysant les méca­nismes qui ont abouti au déclenchement de la Première guerre mondiale, mais qui possède aussi un côté intemporel : le conflit est épuré, dépouillé de l’accidentel – le hasard n’a pas de place dans le déroulement du drame. C’est la fatalité, le destin qui agit (le titre suédois, Ödestimmen, contient le mot ödet, « destin »), mais cette fatalité est présentée comme l’aboutis­se­ment des théories et des actions imputables aux hommes eux-mêmes.

7L’année 1914… Dans un pays d’Europe secoué par la fièvre nationaliste et la propagande, un homme d’État essaie de s’opposer à ceux qui, à différents échelons de la société et même parmi ses proches, souhaitent la guerre. Il est prêt à sacrifier sa carrière et à donner sa vie pour éviter le conflit armé. Y parviendra-t-il ?...

8Les circonstances n’étaient guère favorables à la pièce. Au lendemain de la Grande guerre (à laquelle, rappelons-le, la Suède, pays neutre, n’avait pas participé), nul ne croyait qu’un pareil désastre puisse se reproduire, on avait envie d’oublier, de tourner la page. La mise en scène au Théâtre royal, plu­sieurs fois évoquée, n’a pas eu lieu – ni dans les années 20, ni dans les années 30, la situation politique étant jugée « trop délicate » dans un pays qui se cramponnait de toutes ses forces à sa sacrosainte neutralité.

9Lorsqu’en 1939 le second conflit mondial éclata, certains en furent surpris, Söderberg s’y était attendu depuis des années. Il est mort en 1941, en pleine apocalypse, au Danemark – où il vivait depuis des années, suite à cet autre traumatisme, celui de l’amour malheureux –, occupé par les trou­pes allemandes. Il n’a donc jamais assisté à une représentation de sa pièce, qui eut lieu seulement en mars 1945, lorsque la fin imminente de la guerre ne faisait plus de doute. Un moment on ne peut plus mal choisi pour une œuvre qui traite du début d’un conflit armé.

10Beaucoup de temps s’est écoulé depuis, et voilà qu’un siècle entier nous sépare du sinistre événement qui inaugura la période historique marquée par une longue série de conflits, une série qui, à une moindre échelle, se prolonge à l’heure actuelle. Il se peut que le temps soit enfin venu de lire cette œuvre avec toute l’attention qu’elle mérite.

11La traduction de la pièce est un travail d’équipe. Elle s’effectua dans le cadre du séminaire de traduction qui existe depuis plusieurs années et dont les séances se déroulent à l’Institut suédois à Paris. Les rencontres consacrées au travail commun aboutissent chaque année à la publication de l’œuvre traduite. Avant de nous attaquer à la pièce, nous avons traduit une autre œuvre de Hjalmar Söderberg : Historiettes, un recueil de nouvelles dont certaines sont de véritables chefs-d’œuvre. Le travail sur Basculement s’est déroulé de septembre 2011 à juin 2012, et à l’automne 2012, un groupe de comédiens a généreusement prêté ses voix à une lecture de la pièce organisée dans les jardins de l’Institut suédois.

12Avec cette traduction, on peut affirmer que l’essentiel des écrits du grand auteur suédois existe désormais en français. Il nous reste à souhaiter que les metteurs en scène la découvrent et la portent à la connaissance du grand public théâtral.

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Pour citer cet article

Référence papier

Elena Balzamo, « Un suédois nous parle de la guerre »Skén&graphie, 1 | 2013, 113-116.

Référence électronique

Elena Balzamo, « Un suédois nous parle de la guerre »Skén&graphie [En ligne], 1 | Automne 2013, mis en ligne le 30 novembre 2016, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/skenegraphie/1081 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/skenegraphie.1081

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