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Texte intégral

1Commenter, c’est « appliquer son esprit à quelque chose ». Le commentaire postule donc l’esprit de celui qui médite (lat. « commentari »), et l’objet sur lequel s’exerce la pensée. Alors que les premiers usages définissent le commentaire comme tout ensemble de notes, le sens médiat, transitif est attesté dès l’époque classique, et se charge de connotations négatives, encore perceptibles dans l’usage courant. Or, même si le terme se précise après 1675, l’activité, voire le genre du commentaire précède la sémantique.

2Des Pères de l’Église aux humanistes, le commentaire, puis le commentaire des commentaires, constitue l’abondante littérature que l’on sait : lettres, sermons, silves, traités, exégèse, rien n’échappe à la glose. La traduction non plus, qui avec Ficin ne dissocie pas le commentaire de la traduction latine de Platon, donnant naissance à un hybride, aux limites du genre. Toute la Renaissance prend indistinctement le texte de Platon et sa glose comme une seule et même donnée. Traduction, explication, imitation y sont ainsi des pratiques poétiques à part entière : l’autorité est toujours là, dans la note marginale ou l’exergue, souvent abrégée tant l’identification va de soi.

3Le commentaire peut alors être perçu comme un double mouvement, rétrograde vers l’original, cité, révéré ; inventif aussi, lorsque, souvent dans une langue différente, vernaculaire, il donne naissance à un texte véhiculant une pensée nouvelle. Discours verbal tentant de « rendre » un original, y apposant des remarques périphériques, le commentaire est l’exercice-clef d’une pensée logocentrique et d’un système éducatif. « Nous ne faisons que nous entregloser », disait Montaigne, posant de manière aporétique la question de l’original, et donc celle de la hiérarchie entre un texte séminal, unique, et son commentaire, texte eunuque, et pourtant proliférant. « S’entregloser » comporte donc le risque d’ensevelir le texte premier sous la copia, la paraphrase, la glose mortifère. La crise du commentaire comme exercice autonome est un moment historique qui sera exploré dans les premières études de cet ouvrage. On verra dans les textes suivants comment le commentaire, comme citation ou comme interprétation, s’immisce dans des formes ou des genres qui ne l’attendent pas, et devient cet « acte d’exil » dont parle George Steiner, décalé, impertinent, parfois disconvenant.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Iselin, « Préface »Sillages critiques, 9 | 2008, 7-8.

Référence électronique

Pierre Iselin, « Préface »Sillages critiques [En ligne], 9 | 2008, mis en ligne le 21 novembre 2013, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/979 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.979

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Auteur

Pierre Iselin

Université Paris-Sorbonne, VALE EA 4085

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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