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Mots-clés :

absence, expression, présence, voix
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Texte intégral

« You must allow vox »
William Shakespeare, Twelfth Night (V.1.288)

1En désinvestissant Feste de sa « voix » histrionique, la comtesse Olivia veut entendre la voix originale de Malvolio, l’auteur d’une lettre aliéné de sa propre voix, et qui, en bon puritain, espère son salut du texte. Or, plus fondamentalement, la revendication de Feste pose le problème de l’appropriation, du truchement, voire de la perversion d’un texte par celui qui lui donne voix. Elle énonce un paradoxe : signe in absentia, la voix, est une fiction de présence, signe d’un corps qui a été, et qui fait retour.

2En ce qu’elle est à la fois expression et travestissement de l’intimité, émanation de l’intérieur et manifestation au monde extérieur, la voix est pour ainsi dire théâtrale par définition. Instrument de la médiation, elle est d’abord passage, interface, limite entre les sphères du dedans et du dehors, expression et communication, et se définit contrastivement.

3Instrument de l’expression individuelle parce que son timbre est unique, elle est signature aérienne, moyen de reconnaissance subtil. Travaillée, elle est éloquence, conviction, persuasion, et même charme. Mais qu’elle soit chant ou parole, la voix est par excellence l’aporie de l’incarnation : elle est et n’est pas. Résidu de présence dans le texte, elle est spectre, substitution, absence ou distance. C’est dire que plusieurs types de ventriloquie et de prosopopée seront considérés au cours de ces douze études.

4Au sens direct, s’oppose à la voix parlée la voix chantée, dont traitent plusieurs des textes présentés dans ce volume. Dans la première partie, « Voix parlée, voix chantée », il sera question de la voix physique et de ses implications (idéologiques, poétiques, ou sociales). Dans la seconde partie, intitulée « La voix comme trope », seront abordées les principales questions de poétique que sous-tend la notion : ventriloquie, interdit, voix lyrique, voix spectrale. Même si la partition proposée est poreuse, puisque au moins trois des articles présentés font dialoguer les deux acceptions, il semble que la classification opérée rende au mieux justice aux orientations théoriques de ces travaux.

5Dans une analyse d’une des figures du Printemps de Botticelli, Philippa Berry propose un commentaire sur Zéphyr considéré dans le contexte néoplatonicien de la Renaissance italienne comme « afflatus », voix intérieure. Pierre Dubois explore la place de la voix dans la conception de la musique au XVIIIe siècle, en particulier dans la forme musicale de l’oratorio, et considère le problème plus vaste des rapports de la nature à la culture, de la vérité naturelle de la voix, de ses excès, et des rapports qu’elle entretient avec l’idéologie. À travers trois romans victoriens, Laurent Bury s’interroge sur la relation symptomatique entre la cantatrice juive et l’aphonie : simple reflet du monde du spectacle au XIXe siècle, écho des préjugés victoriens ou relation symbolique ? Dans le contexte de la Renaissance américaine et du débat théologique sur la langue, Michèle Bonnet considère dans La Lettre écarlate la voix éloquente du prédicateur comme catalyseur du lien social, mais aussi comme outil de vérité permettant de dire l’interdit sans le verbaliser. Alexandra Poulain met en parallèle voix parlée et voix chantée dans une pièce de l’Irlandais Tom Murphy, qui révèle que parole et chant ne sont pas du même ordre, et qui explore l’abîme qui les sépare, ainsi que les implications dramaturgiques d’un cliché, selon lequel le chant va au-delà des mots. Hélène Aji, dans son étude sur le talk-poem, y voit la revalorisation de la voix comme véhicule premier du poème, et de la poésie comme discours à visée performative.

6Dans l’exploration de la voix comme trope, Alain Jumeau identifie les différentes voix d’une fresque polyphonique, qui expriment les sentiments divers de Carlyle à l’égard d’un événement complexe, la Révolution française : celle, omniprésente, de l’historien, celle du prophète, qui s’élève pour dénoncer le sort injuste réservé au peuple de France, mais également celle des différents acteurs du drame : les héros, les dirigeants, ou le peuple. Partant d’un corpus très différent, celui de la musique pop et de ses échos chez les poètes contemporains (Philip Larkin, Hugo Williams and Paul Muldoon), Adrian Grafe en vient à la conclusion que la voix poétique n’est pas à chercher dans le poème comme l’un des traits qui le définissent, mais que chaque poème est une voix en soi. C’est d’un autre lyrisme, mais de manière également paradoxale, que parle Christine Savinel à propos de la poésie de Dickinson, en relation avec celle de Jorie Graham et de Michael Palmer : mise en scène et en perspective, la voix « désengagée » participe à la construction d’une altérité feinte qui est la visée de tout le travail poétique. Catherine Bernard, pour sa part, considère la phonè impersonnelle et ventriloque du pastiche, jadis prégnante, désormais fantomatique, chez Peter Ackroyd et A. S. Byatt : pour l’un et l’autre, le rêve d’incarnation qui fait écrire n’est pas complètement exorcisé. Pour Françoise Sammarcelli, le dialogue chez William Gaddis relève d’une poétique de l’instable et du discontinu : conversations téléphoniques, conversations interrompues, voix intertextuelles, extrême mobilité de la voix narrative, tout contribue à l’incertitude entretenue par une voix insaisissable.Enfin, Monica Michlin parle des voix « interdites » dans la fiction afro-américaine, ces voix engagées qui donnent la parole aux oubliés de l’Histoire ou du présent.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Iselin, « Introduction »Sillages critiques, 7 | 2005, 7-9.

Référence électronique

Pierre Iselin, « Introduction »Sillages critiques [En ligne], 7 | 2005, mis en ligne le 15 janvier 2009, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/826 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.826

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Auteur

Pierre Iselin

Université de Paris IV-Sorbonne

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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