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AccueilNuméros23Mots d’auteursLes oies blanches

Texte intégral

1

La petite histoire continue sous un ciel rempli d'une lune rose.  
Un matin s'élabore et la forme danse ainsi, sans soutient, en fin de compte nue. 

La forme est partie, une fumée s'élève un instant puis retombe, avec à la main une histoire.
Puis tout glisse des doigts, le matin décline, le sol couvre les pas. 

Et l'histoire s'enlise dans une forme incertaine. 

2

Il y a des fois sans sommeil, il y a des fois sans nouvelle 
Il y a des fois sans passion et des passions sans patience. 

Il y a des jours encore heureux et des nouvelles pour croire que nous voulons.
Il y a des fois sans insistance et des insistances cent fois répétées. 

Il y a des jours qui passent et des lendemains qui pensent 
Qui pensent parfois aux lendemains qui passent et qui regrettent de n’être pas présents. 

3

La page est mécanique.  
Le soleil aussi regarde le bout des choses 
Comme tous ceux qui pensent. 

On écrit avec ses doigts 
Les mains sont encore d'une grande importance
On pourrait toujours lire et parler
Ecrire cependant réunit les deux. 

Un doigt s'enfonce dans la matière inerte. 
On est passé par-là, on repassera encore par les voies désertes. 

4

Derrière nous passe le vent
Devant nous pense la terre 
Et l’air tout autour s’étend. 

Le ciel encore s’est durci,  
Le blanc des yeux c’est durci. 
Dans la route passe le corps et nous respirons le sang des uns et des autres. 

5

Le poète écoute l’éternité des âges 
Tous les temps réunis dans la main
Qui descendent le long de la page. 

Celui que nous sommes 
Quand nous sommes là et qui va mourir un jour 
Celui-ci, homme de toujours et qui sait accepter le passage des temps. 

6

Le soleil nous reprend doucement comme il remonte du fond de la mer. Au loin s’étend
l’ombre perdue là-bas tout là-bas et les pieds touchant le sol sont à la base de tout
mystère. Ignorant comme un nouveau-né, sans déception, seulement incertain mais ne
sachant pas de quoi cette incertitude se nourrit.

7

Le vent n’a pas de forme, le soleil brille aussi sans rien dessiner et les corps sur la terre,
pliés par le temps, glissent sur le sol en laissant une trace. Trace néanmoins qu’un long
temps efface si bien qu’au loin il ne reste sur la terre que des poussières brillantes dans la
lumière et baladées par le vent.

8

Le corps gris remplace l'ombre autour des mots 
Là-bas il y a ce qui rit, là-bas il y a ce qui pleure
Et l'averse gronde les jours éteints. 

Il n'y a pas de souvenir, tout ce qui s'est défait a rejailli  
Nous sommes tombés par hasard  
Et nous nous sommes relevés, sans savoir pourquoi. 

Là une main moite, 
Là un matin, 
Là, le jour et pour toujours se transformer. 

Mais là n'est jamais vraiment formé, toujours, en ce qui vient se lie ce qui s'en va
Là, en étant un, un homme, trop mûr déjà pour mourir de rien. 
Mais là, dans l'infini qui tombe journellement et qui nous étonne par sa simplicité, sa
vacuité, son inébranlable impuissance, là nous nous dressons, honteux et d'humeur
belliqueuse. 

La page est tournée, le jour est sans morale et le temps qui l'accompagne ricane de nous
voir tomber. 

10 

Quand il n'y a plus rien à écrire c'est ceci qu'on a envie de dire : 

Une forme et une forêt déjà passées, passées par-là. 
Le mystère est dans les liens – La vie dans les plis –
Ce qui nous réunit, ce qui nous sépare 
Ce qui fait de moi un homme de toi un autre 
Ce qui fait pour l'un comme pour l'autre une sombre envie.  

Le soleil recommence, la parole descend en sens inverse. 
… Mais le sommeil me prend, je ne sais plus très bien ce qui me prend.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bruno Di Rosa, « Les oies blanches  »Sillages critiques [En ligne], 23 | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/6556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.6556

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Auteur

Bruno Di Rosa

Écrivain plasticien, Bruno Di Rosa est le créateur de Carnet Bleu et le concepteur du Cabinet du Livre d'Artiste. Il a publié des livres chez Tarabuste et aux éditions Incertain Sens. Il a participé à de nombreuses expositions tant individuelles que collectives.
« J’ai toujours eu du plaisir à voir des cantonniers balayer la rue. Ceux que je préfère ce sont ceux qui longent le trottoir alors qu’au sommet de la rue une bouche déverse un petit ruisseau courant le long du caniveau. Je suis alors comme fasciné, saisit par le bruit du balaie frottant l’asphalte arrosé ; ces branches de buis d’un autre temps trainées dans l’eau à un rythme lent et régulier me subjuguent. Il me semble être en accord parfait avec ce geste. Nettoyer la rue, pousser les saletés de la veille afin de préparer le jour qui commence, faire ce travail avec calme et nonchalance, sans état d’âme mais le faire car c’est à nous qu’en incombe la charge.
Pour peu qu’il y ait un soleil appuyé sur l’horizon et que petit à petit scintille le frémissement de l’onde alors, celui qui racle son balai sans âge devient un employé des dieux, un intermédiaire entre l’éternité et le temps.
Le poète de même que le cantonnier balaye la rue des déchets de la veille, c’est à lui qu’incombe la tache de préparer le jour, de faire place nette pour que les enfants du moment puissent jouer alors que leurs parents vont d’un pas précipité accomplir leurs devoirs.
C’est un emploi peu gratifiant mais combien nécessaire ! Et ce travail est encore mieux fait s’il est accompli avec lenteur et détachement. Le poète, comme le cantonnier, porté par le rythme de son geste et par les frottements de son outil est un peu dans la lune, il a l’esprit dans les nuages et regarde la terre et les hommes avec l’affection de l’absent. »

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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