Les oies blanches
Texte intégral
1
La petite histoire continue sous un ciel rempli d'une lune rose.
Un matin s'élabore et la forme danse ainsi, sans soutient, en fin de compte nue.
La forme est partie, une fumée s'élève un instant puis retombe, avec à la main une histoire.
Puis tout glisse des doigts, le matin décline, le sol couvre les pas.
Et l'histoire s'enlise dans une forme incertaine.
2
Il y a des fois sans sommeil, il y a des fois sans nouvelle
Il y a des fois sans passion et des passions sans patience.
Il y a des jours encore heureux et des nouvelles pour croire que nous voulons.
Il y a des fois sans insistance et des insistances cent fois répétées.
Il y a des jours qui passent et des lendemains qui pensent
Qui pensent parfois aux lendemains qui passent et qui regrettent de n’être pas présents.
3
La page est mécanique.
Le soleil aussi regarde le bout des choses
Comme tous ceux qui pensent.
On écrit avec ses doigts
Les mains sont encore d'une grande importance
On pourrait toujours lire et parler
Ecrire cependant réunit les deux.
Un doigt s'enfonce dans la matière inerte.
On est passé par-là, on repassera encore par les voies désertes.
4
Derrière nous passe le vent
Devant nous pense la terre
Et l’air tout autour s’étend.
Le ciel encore s’est durci,
Le blanc des yeux c’est durci.
Dans la route passe le corps et nous respirons le sang des uns et des autres.
5
Le poète écoute l’éternité des âges
Tous les temps réunis dans la main
Qui descendent le long de la page.
Celui que nous sommes
Quand nous sommes là et qui va mourir un jour
Celui-ci, homme de toujours et qui sait accepter le passage des temps.
6
Le soleil nous reprend doucement comme il remonte du fond de la mer. Au loin s’étend
l’ombre perdue là-bas tout là-bas et les pieds touchant le sol sont à la base de tout
mystère. Ignorant comme un nouveau-né, sans déception, seulement incertain mais ne
sachant pas de quoi cette incertitude se nourrit.
7
Le vent n’a pas de forme, le soleil brille aussi sans rien dessiner et les corps sur la terre,
pliés par le temps, glissent sur le sol en laissant une trace. Trace néanmoins qu’un long
temps efface si bien qu’au loin il ne reste sur la terre que des poussières brillantes dans la
lumière et baladées par le vent.
8
Le corps gris remplace l'ombre autour des mots
Là-bas il y a ce qui rit, là-bas il y a ce qui pleure
Et l'averse gronde les jours éteints.
Il n'y a pas de souvenir, tout ce qui s'est défait a rejailli
Nous sommes tombés par hasard
Et nous nous sommes relevés, sans savoir pourquoi.
9
Là une main moite,
Là un matin,
Là, le jour et pour toujours se transformer.
Mais là n'est jamais vraiment formé, toujours, en ce qui vient se lie ce qui s'en va
Là, en étant un, un homme, trop mûr déjà pour mourir de rien.
Mais là, dans l'infini qui tombe journellement et qui nous étonne par sa simplicité, sa
vacuité, son inébranlable impuissance, là nous nous dressons, honteux et d'humeur
belliqueuse.
La page est tournée, le jour est sans morale et le temps qui l'accompagne ricane de nous
voir tomber.
10
Quand il n'y a plus rien à écrire c'est ceci qu'on a envie de dire :
Une forme et une forêt déjà passées, passées par-là.
Le mystère est dans les liens – La vie dans les plis –
Ce qui nous réunit, ce qui nous sépare
Ce qui fait de moi un homme de toi un autre
Ce qui fait pour l'un comme pour l'autre une sombre envie.
Le soleil recommence, la parole descend en sens inverse.
… Mais le sommeil me prend, je ne sais plus très bien ce qui me prend.
Pour citer cet article
Référence électronique
Bruno Di Rosa, « Les oies blanches », Sillages critiques [En ligne], 23 | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/6556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.6556
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page