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Résumés

Examinant la poésie de David Antin dans sa dimension cumulative, cet article compare les ouvrages de poèmes parlés agencés et transcrits par l’auteur à un dépôt d’archives. Écrits au présent continu, les poèmes fonctionnent en archive car ils soulignent la pertinence du passé dans le présent et permettent des reconfigurations infinies. Ces reconfigurations sont indexées à la contingence de lieux et de moments, tant du point de vue historiographique que du point de vue poétique : elles démontrent la dynamique de l’archive, par opposition avec la collection réactionnaire définie par Walter Benjamin, et ouvrent la voie à un mode de penser qui cristallise les Urphänomene afin de confronter le présent, de la manière décrite par Hannah Arendt.

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Notes de l’auteur

Une première version de ce texte, en anglais, a été publiée en 2012 : « The Continuous Present : A Note about David Antin’s Selected Essays », Golden Handcuffs, I 15 (Summer-Fall 2012) 158-168. Le présent article reprend cette première approche et développe le désir d’archive au travail dans l’œuvre de David Antin.

Texte intégral

maybe thats the problem with the notion of the avant-garde
that it turns itself from a discourse into a tradition
whose members worry about its decline in a threatening
future and maybe thats why i’m such a poor avant-gardist
because i’m mainly concerned with the present
(« what it means to be avant-garde », what it means to be avant-garde 53)

1Le travail sur l’archive comme source du matériau poétique est au premier chef un travail de l’avant-garde poétique, celui d’un vaste corpus de poètes dont la préoccupation principale, comme le met en évidence David Antin, interroge l’inscription de l’œuvre dans une temporalité complexe, prise entre l’articulation au passé, fût-ce pour le contester ou pour le valoriser sur le mode nostalgique (on peut ainsi penser à Ezra Pound, qui parvient au prix de tensions extrêmes à combiner ces deux attitudes contradictoires face à la tradition poétique), et la projection vers un avenir encore à construire, riche de potentialités novatrices. Ce qui revient à poser à nouveau la question de l’écriture au présent, de ses modalités et de ses contradictions internes.

2Si on considère le travail poétique de David Antin depuis le début des années 1980, avec la systématisation de la procédure du talk poem comme méthode de composition placée sous le signe de la performance et de l’improvisation, de la réécriture et de ce qui revient à un archivage de pseudo-transcripts sous la forme de recueils successifs, l’intérêt proclamé pour le présent semble se légitimer thématiquement en même temps qu’il est ébranlé par le geste de l’anthologisation. Ce paradoxe est d’autant plus frappant lorsqu’il s’agit du recueil publié en 2011 sous le titre radical coherency, selected essays on art and literature 1966 to 2005 (University of Chicago, 2011), dont la nature hybride et incertaine ainsi que l’envergure historique accentuent les effets de brouillage de la temporalité. Je voudrais ici émettre l’hypothèse selon laquelle l’attirance poétique pour l’archive, pour les modes de composition qui la caractérisent (hétérogénéité des matériaux, arbitraire de la classification, problématiques de type historiographique dans la relation de vérité à l’événement documenté, relativité liée à la subjectivité du témoignage), cette attirance pour l’archive engendre une écriture qui redéfinit radicalement ce qu’il faut entendre par le présent. Le présent dont parle David Antin n’est pas ce moment interstitiel furtif entre un passé perdu marqué au sceau du regret et un futur imminent, gros d’incertitudes et d’espoirs qui sont autant de sources d’anxiété possibles. Pourrait-il s’agir du présent continu, temps grammatical revendiqué, par Gertrude Stein, comme temps de son écriture ?

A continuous present is a continuous present. I made almost a thousand pages of a continuous present.

Continuous present is one thing and beginning again and again is another thing. These are both things. And then there is using everything. (Stein §23-24)

3Ce présent continu est mis en scène et actualisé par le texte même, en ce qu’il conserve les traces, en tant qu’il documente et archive une « redescription », dans les termes utilisés par Franck Leibovici dans Des documents poétiques (55), de faits classés, des aléas de leur renarrativisation et des difficultés de leur intellection et de leur interprétation. Un présent continu, également, au sens où le texte absorbe la diversité de l’existence même, transfigure l’autobiographique, l’anecdote personnelle et la pensée idiosyncrasique, en ce que Stein a appelé « l’autobiographie de tout le monde » et que Christophe Hanna définit comme suit :

En résumé, je compte empiriquement quatre conditions pour qu’un artefact ait quelque chance de fonctionner en tant que document :

qu’il produise un effet de création ou de désinvisibilisation d’un problème public ;

qu’il puisse être reconnaissable et traitable comme objet possible de diverses formes de discours ;

qu’il ne soit pas figé dans un mode d’immanence, qu’il puisse être – sans que cela détruise sa signification mais, au contraire, lui donne consistance – incorporé aux formats médiatiques, véhiculé sur les supports variés de l’information ;

que son mode d’énonciation puisse commuter d’un régime particulier vers un régime collectif indéfini, réduisant son sujet producteur à une simple position. (Leibovici 11)

4Sur la couverture de radical coherency, selected essays on art and literature 1966 to 2005, recueil dont le titre est tiré d’un talk poem inclus dans la sélection, deux personnages reconnaissables se font face et articulent cette notion de « position ». Comme à notre place de lecteurs et portant un regard rétrospectif, David Antin se voit, gravissant un chemin escarpé dans le taillis d’un canyon californien. Le montage semble à première vue signaler, de manière presque naïve et en tout cas fort transparente, que l’intention de l’ouvrage est bien de jeter ce regard en arrière sur le chemin parcouru au fil d’une carrière et d’une vie. Ce chemin raide et montagneux dans un paysage désertique pointe le parcours qui mène au présent de la rétrospection et de la mise en archive autant qu’il maintient la possibilité d’un regard prospectif, celui du marcheur, vers un avenir que ni Antin, ni le lecteur ne sont en mesure de visualiser clairement. Cependant, cette photographie peut aussi être lue comme documentant une méthodologie, une image redécrivant la pratique poétique de David Antin et son questionnement permanent et persistant de la relation entre l’agent de la création artistique et son spectateur : les destinataires sont dans l’image au plus fort sens de l’expression ; ils participent au et du projet du poète sur le mode d’un échange fondé sur une cohabitation effective, dans le même lieu, entre poète et lecteur.

5Dans le travail continu du talk poem, cette longue action poétique ou poétique-action qui remonte pour sa première instance au poème « talking at pomona » de 1972, David Antin propose une organisation et une rationalisation de la communication entre poète et lecteur : le talk poem émerge comme une performance improvisée, enregistrée dans le but d’être transcrite (redécrite) en un récit qui intègre, entre autres facteurs quasiment impossibles à déterminer et à lister, les réactions du public, comme lectorat test ou témoin. Ainsi, il est intéressant de faire une comparaison fine, mot à mot, de l’enregistrement de « talking at blérancourt », publié une première fois sur CD, à l’état brut pour ainsi dire, dans les actes du colloque de 1999 organisé par Jacques Darras à Amiens sur « 50 ans de poésie américaine » et le poème « talking at blérancourt », publié en 2005 par David Antin dans le recueil i never knew what time it was :

  • 1 Mes italiques pour signaler les éléments ajoutés dans la version écrite de 2005.

 someone asked me once a simple question an absurdly simple question and i gave an absurdly simple answer whats an
artist he asked and i said somebody who does the best he can
 by now ive said this so many times ive begun to believe it
because when you think about it there are very few people in this
world that do the best they can
a lemon of a car its your problem but if an artist makes a lousy
art work its his problem or her problem so it turns out that artists are the last people in this world who have to do the best they
can because their life is at stake
 you say you know a plumber who does the best he can i say he’s an artist you know lots of artists who dont do the best they
can? its very simple theyre not artists anyhow thats
how i answer the question because up to now thats the best i can do for an answer
 now as a poet thats the term i get stuck with

(Antin i never knew what time it was 49)1

  • 2 Voir sur ce point les conclusions au chapitre 3 « Le comique de caractère », point 5.

6En comparant l’enregistrement et le texte prétendument retranscrit, comme nous venons de le faire et comme il est possible de le faire tout au long de « talking at blérancourt », on remarque que les modifications ne sont pas mineures, ni dues à une rigueur flottante dans l’attention prêtée au texte oral. Il ne s’agit pas pas non plus de développements occasionnels ajoutés au hasard ou au gré d’un caprice poétique : ces écarts interviennent de manière quasiment systématique aux moments où la performance a provoqué une réaction perceptible du public (en particulier le rire du spectateur, rire dont on sait, depuis Bergson, qu’il n’est pas simplement un signe d’amusement, mais qu’il peut exprimer également la gêne, l’incapacité à comprendre, l’accord ou le désaccord des témoins d’un événement, qu’il est symptôme d’un clivage et vengeance sociale face à l’incompréhension ou le sentiment d’absurde2). Au début du talk poem, les phrases ajoutées traitent de manière cruciale des enjeux de la fabrique de l’art : des enjeux fondamentaux et constamment réactivés dans les œuvres de David Antin et que les Selected Essays reprennent, recontextualisent et relancent. Le talk poem, au même titre que les essais puisque cette distinction générique n’a pas cours dans la poétique de David Antin, pose la question de la réception du texte comme documentant, de façon complexe et équivoque, l’intention de l’auteur.

7La publication tardive des essais est contemporaine de la vente des manuscrits de David Antin au Getty Research Institute, et de la formation d’une archive dédiée à son travail, révélant la double forme de l’archive dans la poétique d’Antin et la tension qui énergise une démarche de réflexion historiographique et philosophique sur le travail de la mémoire individuelle et celui de la mémoire collective. L’une est préoccupée de la mise en récit, rationnelle et fluide, et de l’analyse d’un passé que les impératifs du présent reformatent et reformulent ; la seconde « archive » au sens strict du terme, accumulant les traces matérielles partielles et hétéroclites d’un passé dont l’hétérogénéité ne peut être transcendée sans précaution ; ensemble, l’archive mentale et l’archive concrète, la mise en archive, dans l’espace du livre et dans celui de la bibliothèque, impliquent la déstabilisation de toute narration, la prise en compte du collationnement comme véritable activité créative, génératrice de configurations et de discours nouveaux, l’intégration du caractère provisoire et précaire de toute organisation : la cohérence, pour reprendre le terme d’Antin, est furtive, le confort temporaire d’une trêve ou d’un repos, alternativement dans la linéarité d’un texte publié ou dans la lacune des manuscrits incomplets.

8La double mise en archive est ainsi une performance en elle-même et un geste significatif de (re)composition et de (ré)écriture. Ce geste mime, formalise et conceptualise l’activité de la lecture. Avec le talk poem, et son statut dérangeant et problématique de texte pluriel, écrit et oral, David Antin interroge de manière délibérée, répétitive et procédurale, la chronologie même de la composition, affirmant et réaffirmant la contingence de l’œuvre d’art en tant qu’objet autonome, stable et définitif. Inscrit dans la durée et la variabilité, le texte n’est plus séparable de sa valeur archivistique, suite d’enregistrements successifs qui inscrivent la génétique du texte et la nécessité de l’archive dans le corps même du poème. Les objets produits sont en conséquence divers, dans leur forme et dans leurs modalités : ils peuvent demeurer au stade premier d’enregistrements comme dans The Principle of Fit 2 ; ils peuvent être renvoyés au néant d’un discours perdu (comme est, d’ailleurs, irrémédiablement perdue la performativité du moment d’émergence du poème événement), de sorte que ne subsiste qu’une planche contact de photographies sans texte, ni date, ni lieu (Conversation 115) ; ils peuvent devenir les catalyseurs du rêve et de l’imagination comme dans les skypoems évoqués dans « Fine Furs » :

My image of those beautiful white letters, formed so elegantly by the plane and over such a long time, that I had to wait to find out what the words were, and had to remember them as they began to disappear – by the time it said FURS, FOX had begun to blur and the “I” had begun to vanish – my sense of sitting on the beach, in the bright light of a clear blue sky, and the new pleasure of reading, gave me such a physical experience of the act of reading that I thought it would be nice to do a poem that way, a skypoem. (« Fine Furs », Selected Essays 292-293)

  • 3 « [an] enrichment and expansion of their field of action from the virtual space of the gallery wall (...)

9Ce qui reste du poème, dans ce dernier cas de figure, est un récit, et une photographie (Conversation 120) qui, de manière très significative, ne révèle pas le texte des skypoems. L’archive frustre, car ce qui demeure est ce qu’Antin appelle « un simple souvenir », dans l’ouverture de « Fine Furs » (Selected Essays 292). Inclus, évidemment dans l’entreprise des Selected Essays, « Fine Furs » dessine les contours, les limites, les zones lacunaires de l’archive, quelle que soit son ampleur ou sa rigueur. Comme les carnets tachés de café ou brûlés des archives du Getty (Box 11, Folder 4 et Folder 9), les textes matérialisent la fragilité de la mémoire et la nature éminemment hypothétique de l’enquête qui vise la mise au présent continu. Il n’y a rien que l’on puisse appeler « un simple souvenir », de même qu’il n’y a pas de « simple » composition ou de « simple » réception. À en croire ce qu’en dit David Antin quand il commente l’invention du happening par Allan Kaprow, la pratique qu’il en eut et l’héritage qu’il a laissé aux arts de la performance, cette expansion du champ d’action du poème est le corrélat direct de cette révolution des peintres et des sculpteurs : un « enrichissement et une expansion de leur champ d’action de l’espace virtuel du mur de la galerie d’art et du socle de la sculture moderniste traditionnelle pour gagner le sol et l’environnement3 » (« Allan at Work », Selected Essays 146). Dans ce champ d’action étendu, les « limites » entre les arts, mises à l’épreuve et mises en question par le discours « aux limites » (« talking at the boundaries ») de David Antin, deviennent poreuses et la poésie comme « art du langage » acquiert l’omniprésence d’une « situation interactive » (Box 11, Folder 2).

  • 4 Pour plus de détails sur les rapports entre le talk poem et le happening, voir mon article « Instal (...)

10Être « postmoderne », en effet, c’est, pour David Antin, accepter un « répertoire de possibilités très élargi » (« Modernism and Postmodernism : Approaching the Present in Modern American Poetry », Selected Essays 185), répertoire que les Modernistes nous ont légué de sorte que le matériau, la forme, le contexte du poétique peuvent varier à l’infini sur le mode de la variation cagienne. Une fois désacralisée, par Kaprow et sa notion de « non-art » (« Allan at Work », Selected Essays 158) tout comme par Ezra Pound ou Robert Duncan, dans leur quête de théories alternatives (« Modernism and Postmodernism : Approaching the Present in Modern American Poetry », Selected Essays 188), l’œuvre existe moins par ses résultats palpables, réifiés et mercantilisés, que par le récit qui en est fait4. Dans cette mesure, l’entreprise de collationnement des textes des talk poems s’avère plus complexe et difficile qu’au premier abord en ce qu’elle ne livre pas seulement une histoire des enjeux philosophiques, sociologiques et esthétiques de l’art et de la littérature sur une période de quarante ans de révolutions poétiques continues : elle engendre une narration, un re-membrement et une re-collection.

11Les poèmes de David Antin s’agglutinent de manière à constituer un avatar de l’archive, voire une archive du monde contemporain, benjaminienne dans sa diversité dynamique autant que sa cohérence interne radicale, une archive parlée et écrite où se cristallise le travail d’un poète dans une variété de media possibles. Ils rendent les « choses présentes » en les « représentant dans notre espace et non, à la manière de la fiction, en nous représentant dans leur espace » :

The true method of making things present is to represent them in our space (not to represent ourselves in their space). (The collector does just this, and so does the anecdote). Thus represented, the things allow no mediating construction from out of “large contexts.” […] We don’t displace our being into theirs; they step into our life. (Benjamin, « The Collector » 206)

12Ou encore, les poèmes peuvent être considérés comme le mode d’expression ultime d’une poétique extrêmement cohérente, qui simultanément promeut et actualise la liberté et les contraintes d’une pratique engagée, démocratique et non-dogmatique. Loin de la spontanéité et de la facilité généralement connotées par l’improvisation, cette pratique est soigneusement cartographiée, planifiée, scénarisée et calculée, si bien que les divers objets qu’elle produit se combinent pour former une modélisation de l’action poétique contemporaine. Les poèmes offrent une continuité formelle, thématique et intentionnelle qui décrit le large spectre de la communication dans le langage.

13Geste poétique au double sens du terme (le geste et la geste), les poèmes de David Antin incitent le lecteur à voir la condition du poète comme un combat constant pour la polyvalence du texte, pour un poème qui soit action dans le temps (contre la perte) et dans l’espace (contre le vide), en flux au sens bergsonien du terme, au point où se perçoit la relation au temps et à l’espace en termes de durée. Ils témoignent donc également d’une injonction ouverte, exprimée par des actions diverses en des contextes divers, et intégrant les fondements de la poétique de David Antin : « tuning », une attention particulière prêtée au monde et à la pluralité des phénomènes ; « talking », la parole pour communiquer et l’idée selon laquelle l’individu n’existe que dans la relation verbale à l’autre, à celui qu’Antin appelle « l’étranger à la porte » (« the stranger at the door ») ; « thinking », penser comme ce qui nous rend humain, qui se développe dans le langage, de sorte que les textes sont les exemples d’une « danse de l’intellect » qu’Ezra Pound a définie et que William Carlos Williams a conceptualisée et transcrite dans son vers triadique ; « meaning », ou encore le sens, toujours difficile à déterminer, horizon certes fuyant mais qui ne peut être congédié, aspiration inéluctable et engagement éthique. De surcroît, le sens, dans les mots de David Antin dans un talk poem dérivé d’une performance au Musée des Beaux-Arts de Paris, se reconstruit en une interrogation plus ample sur la viabilité de tout discours :

can i bring my thinking close enough to my wanting to know what
i mean if not how can i tell whether or not i or you or all of us
know whether or not we can mean what we say  
(« can we mean what we say » 19)

14Dans une conversation avec Charles Bernstein à qui il dédie les Selected Essays, Antin repense la cohérence du chaos dans les happenings des années 1960 et, indirectement, commente l’hétérogénéité de sa propre pratique :

I didn’t see happenings as chaotic. Almost every happening I saw or took part in was carefully scripted. There is certainly in the ’60s work a kind of baroque painterly quality to surfaces. But Robert Whitman’s work, Ken Dewey’s, Allan Kaprow’s work in particular, were tightly scripted. Allan’s performers usually received very precise instructions and had specific jobs to carry out. The chaotic appearance resulted from the collision of many precise tasks. (Antin Conversation 46)

15« La collision de nombreuses tâches précises », voilà ce dont témoignent aussi les poèmes de David Antin : une « cohérence radicale » émergeant du chaos apparent de soixante ans de travail poétique, écrite au présent continu de la contemporanéité, et comparable à une archive, au singulier et singulière, qui diverge de la collection réactionnaire critiquée par Walter Benjamin, pour s’apparenter au « don de penser poétiquement » et transfigurer le monde en une archive précieuse, faisant du poète le « pêcheur de perles » dont parle Hannah Arendt :

Ce penser, nourri de l’aujourd’hui, travaille avec les « éclats de pensée » qu’il peut arracher au passé et rassembler autour de soi. […] Ce qui guide ce penser est la conviction que s’il est bien vrai que le vivant succombe aux ravages du temps, le processus de décomposition est simultanément processus de cristallisation ; que dans l’abri de la mer – l’élément lui-même non historique auquel doit retomber tout ce qui dans l’histoire est venu et devenu – naissent de nouvelles formes et configurations cristallisées qui, rendues invulnérables aux éléments, survivent et attendent seulement le pêcheur de perles qui les portera au jour : comme « éclats de pensées » ou bien aussi comme immortels Urphänomene. (Arendt 106-107)

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Bibliographie

AJI, Hélène. « The Continuous Present: A Note about David Antin’s Selected Essays », Golden Handcuffs, I 15 (Summer-Fall 2012): 158-168.

AJI, Hélène. « Installations et dispositifs poétiques : l’espace du poème américain contemporain ». Espaces multiculturels : sociétés et images. Martinet, Marie-Madeleine, Francis Conte, Jean-Marie Valentin, Annie Molinié (dir.). Paris: Presses de l’Université de Paris–Sorbonne, 2011. 273-284.

ANTIN, David. « can we mean what we say ». Golden Handcuffs Review I 13 (Summer-Fall 2010): 5-19.

ANTIN, David. i never knew what time it was. Berkeley: University of California Press, 2005.

ANTIN, David. talking at the boundaries. New York: New Directions, 1976.

ANTIN, David. what it means to be avant-garde. New York: New Directions, 1993.

ANTIN, David et Charles BERNSTEIN. A Conversation with David Antin. New York: Granary Books, 2002.

The David Antin Papers. The Getty Research Institute, Los Angeles.

ARENDT, Hannah. Walter Benjamin 1892-1940. Paris: Alia, 2007.

BENJAMIN, Walter. The Arcades Project. Cambridge: Harvard University Press, 1999.

BERGSON, Henri. Le Rire (1900). Paris : PUF Quadrige, 2012.

DARRAS, Jacques (dir.). Poésie américaine 1950-2000 (In’Hui 56-57). Bruxelles : Le Cri, 2002.

LEIBOVICI, Franck. Des documents poétiques. Marseille : Al Dante, 2007.

STEIN, Gertrude. « Composition as Explanation » (1925). Poetry Foundation Online Resources.
URL : https://www.poetryfoundation.org/resources/learning/essays/detail/69481 (consulté le 22 mars 2017).

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Notes

1 Mes italiques pour signaler les éléments ajoutés dans la version écrite de 2005.

2 Voir sur ce point les conclusions au chapitre 3 « Le comique de caractère », point 5.

3 « [an] enrichment and expansion of their field of action from the virtual space of the gallery wall and off the base of traditional Modernist sculpture out onto the floor and into the environment » (« Allan at Work », Selected Essays 146).

4 Pour plus de détails sur les rapports entre le talk poem et le happening, voir mon article « Installations et dispositifs poétiques : l’espace du poème américain contemporain » (Aji 2011).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hélène Aji, « David Antin : le poème, archive du monde contemporain »Sillages critiques [En ligne], 23 | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/5641 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.5641

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Auteur

Hélène Aji

Université Paris Nanterre
Hélène Aji is Professor of American literature at the Université Paris Nanterre, and President of the French Society for Modernist Studies (SEM). Recently, she co-edited an issue of online journal IdeAs on small presses and avant-garde poetry in the Americas (http://ideas.revues.org/1832, Summer 2017). At Nanterre, she co-directs the research program “Conceptualisms” on experimental American poetry and fiction, and the book series “Intercalaires.”
Hélène Aji est professeur de littérature américaine à l’université Paris Nanterre et présidente de la Société d’études modernistes (SEM). Récemment, elle a co-dirigé un numéro de la revue en ligne IdeAs sur les éditeurs et poètes d’avant garde dans les Amériques (http://ideas.revues.org/1832, été 2017). À Nanterre, elle coordonne le programme de recherche “Conceptualismes” sur la poésie et la fiction américaine expérimentales et la collection d’ouvrages “Intercalaires.”

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