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Comptes-rendus de lectures

Laurent MELLET, Jonathan Coe. Les politiques de l'intime

Paris : PUPS, Mai 2015
Catherine Pesso-Miquel
Référence(s) :

Laurent MELLET, Jonathan Coe. Les politiques de l'intime, Paris : PUPS, Mai 2015, SBN : 978-2-84050-978-3, 340 pages, 23 €

Texte intégral

1Jonathan Coe. Les politiques de l'intime est la toute première monographie consacrée à l’œuvre de Jonathan Coe, écrite par Laurent Mellet, Professeur à l'université de Toulouse et spécialiste de littérature britannique contemporaine.

2L'ouvrage, relativement long (318 pages), est préfacé par Serge Chauvin, co-traducteur de quatre des romans de Jonathan Coe. Dans son introduction L. Mellet présente brièvement l'écrivain et la façon étonnamment diverse dont son œuvre a été reçue jusqu'à présent, avant de poser son hypothèse de travail : Jonathan Coe ne serait pas seulement un « écrivain politique » maîtrisant le genre de la satire, mais il « [politiserait] tout ce qui relève de l'intime dans la création de ses personnages », construisant « une œuvre autrement politique que celle qu'on croit lire de prime abord » (26). Après cette introduction de 14 pages, l'ouvrage comporte six chapitres, une conclusion de 5 pages, une bibliographie de 14 pages, et un index de trois pages.

3L. Mellet circule avec aisance dans les écrits de Jonathan Coe, analysant sa fiction bien sûr, mais tirant aussi des conclusions très pertinentes à partir des essais de son auteur, de ses écrits critiques, de ses livres pour enfants. L'index, très utile, permet de retrouver les occurrences de ces écrits divers. L. Mellet écrit en français pour un large public français, et cite Jonathan Coe dans la traduction française, mais il a pris soin de fournir en note le texte original correspondant, et les numéros de page de l'édition anglaise. Ce système, bien expliqué par la note éditoriale de la page 13, est très appréciable, mais l'ouvrage aurait été plus lisible et plus facilement exploitable si les doubles renvois avaient été étendus aux innombrables exemples et allusions non assortis d'une citation, pour lesquels, quand il y a une référence, seul le numéro de page de l'édition française est donné. Un simple système de double pagination aurait été facile à mettre en place, et sans doute apprécié pour ceux des lecteurs qui lisent les œuvres en anglais.

4Le premier chapitre, intitulé « De la satire politique à l'erreur », évoque tour à tour le maniement de la satire comme arme, la façon dont l'erreur et l'échec servent de charpente aux intrigues, et de ressort narratif, et enfin le motif de l'incomplétude et de l'inachevé. Le deuxième chapitre, « Une intimité narrative et politique », explore « les multiples visages de l'intime » tels que Jonathan Coe en dessine les contours, et décortique les écarts subtils entre « privacy » et « intimacy ». Puis ce chapitre s'attache à montrer toutes les corrélations entre l'intime et le politique, ainsi que la façon dont Jonathan Coe convoque un « idéal démocratique » (94) dans sa représentation de relations homosexuelles, avant d'aborder très brièvement « les modalités esthétiques de la politisation de l'intime » (103). Un troisième chapitre intitulé « L'échec du consensus » revient sur les liens entre l'intime, l'erreur, l'échec et la politique et suggère que Jonathan Coe est hostile au consensus politique.

5Le chapitre 4, « alternatives romanesques et coïncidences intimes », explore l'exploitation, par Jonathan Coe, des coïncidences et des répétitions, puis précise la distinction qu'il convient d'établir entre le politique et la politique. Le chapitre aborde aussi la question de la métafiction, ainsi que l'influence sur Jonathan Coe de B. S. Johnson et de R. Lehmann. Dans le chapitre 5, « Les écarts politiques des intimités du texte », L. Mellet insiste sur la détermination de Jonathan Coe à maintenir en suspens l'alternative entre l'intime et le politique, le public et le privé, « afin que tout choix soit écarté au profit d'une esthétique narrative double toujours renouvelée » (183). Après une exposition de la figure du dissensus chez Jacques Rancière (189) vient une partie très éclairante sur la métafiction chez Jonathan Coe, sur l'influence de Henry Fielding, et sur le statut du texte et l'identité de l'écrivain/narrateur dans What a Carve up!.

6Le dernier chapitre étudie la façon dont Jonathan Coe met en relation les mots et les sons, les mots et les images (photographiques en particulier), et analyse les rapports qu'entretiennent ses romans avec des arts tels que le cinéma, la littérature, et surtout la musique. Ce chapitre analyse aussi les figures récurrentes du vide et de l'absence. Dans la conclusion, L. Mellet évoque le fait que le romancier semble se détourner à présent du genre de la satire, et de la peinture de types humains, pour privilégier « l'intime et ses nouvelles démocraties plus individuelles ».

7On l'aura compris, l'ouvrage, fidèle à son titre, reste parfaitement focalisé sur les liens entre l'intime et le politique, tout en touchant de façon tangentielle à d'autres questions soulevées par l’œuvre. Il est écrit avec concision et clarté, ce qui le rend agréable à lire, et sa construction autour d'un thème précis fait sans cesse naviguer le lecteur à travers tout le corpus des écrits de Jonathan Coe.

8Parmi les aspects les moins réussis, on peut citer la trop grande importance accordée à des digressions d'ordre théorique qui considèrent la littérature de très loin, d'une façon générale et abstraite, si bien que le lien avec Jonathan Coe peut devenir ténu et peu convaincant. Par exemple, après des pages entières (186-194) consacrées à résumer les idées de Jacques Rancière, puis les « concordances » entre « le travail de Rancière » et celui de Nelly Wolf, Laurent Mellet interrompt comme à regret son « explicitation théorique » (195) pour en revenir à Jonathan Coe.

9Inversement, on pourrait reprocher à ce travail de mettre le nez du lecteur trop près des détails des intrigues, sans instaurer la distance critique nécessaire, lorsque des exemples tirés de l’œuvre sont accumulés, sans être analysés en détail, en guise d'illustration. L. Mellet relève avec pertinence la « figure de la liste et de l'énumération » qui « parcourt l’œuvre de Coe » (256), mais cette figure semble parfois affecter son propre travail. Il en est ainsi de l'avalanche d'exemples d'erreurs dans le chapitre 1 (52-55) puis dans le chapitre 3 (106-107), ou encore lorsque les motifs du silence et de la musique sont évoqués, et que le « rôle central » qu'a joué la musique de Vaughan Williams pour le personnage de Harding est mentionné, sans commentaire (237). La seule juxtaposition de tels exemples peut produire un effet de raccourci surprenant : ainsi quand L. Mellet cherche à montrer que « l’œuvre de Coe ne se résume pas à une littérature de l'engagement, une littérature de propagande » (43), la mise sur le même plan des termes « engagement » et « propagande » surprend d'autant plus que parmi les exemples cités figure l'idée, exprimée par un personnage contestablement présenté comme « un autre jeune lecteur », que To Kill a Mockingbird est « du bidon, de la propagande » (43). Cet exemple n'est pas du tout commenté, et on aurait aimé que l'auteur de la monographie prenne le temps de définir plus clairement les termes employés, et surtout de contextualiser et mettre en perspective les propos du personnage en question, en l'occurrence Culpepper. 

10Ces quelques remarques sur la méthode mises à part, on ne peut que louer ce travail, où s'exprime la conviction qui anime son auteur lorsqu'il cherche à démontrer à son lecteur la subtilité de l'écriture de Jonathan Coe, et où se manifestent la finesse et la compétence critique avec lesquelles il traque tous les « « écarts » qui font la spécificité de cette écriture. L'argumentation est bien menée, approfondie, amenant le lecteur à réfléchir sur des questions philosophiques telles que le choix, « la nécessité éthique de choisir de ne pas choisir » (127), la différence ou la ressemblance entre le cynisme et « une éthique personnelle » (127). Plus généralement, la figure de l'écart est utilisée avec une grande habileté, nourrissant la réflexion. La bibliographie offre une recension scrupuleuse de l'état de la critique, tout en listant aussi beaucoup d'autres ouvrages moins directement liés à Jonathan Coe. Si accumulation il y a parfois, on ne doute pas que les spécialistes de Jonathan Coe sauront décoder, contextualiser et exploiter les allusions et les exemples ainsi balisés : Laurent Mellet, en pionnier, leur a facilité le travail, ouvrant la voie aux futures monographies qui ne manqueront pas de voir le jour. On ne peut donc que recommander chaleureusement la lecture de cet ouvrage critique, même à un public « plus large », car son auteur a su transmettre, dans un langage clair et accessible, l'admiration et le respect que lui inspire son sujet d'étude, ce remarquable écrivain contemporain qu'est Jonathan Coe.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Catherine Pesso-Miquel, « Laurent MELLET, Jonathan Coe. Les politiques de l'intime »Sillages critiques [En ligne], 19 | 2015, mis en ligne le 05 avril 2016, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/4385 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.4385

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Auteur

Catherine Pesso-Miquel

Université Lumière Lyon II, Reviewer

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