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Le théâtre en dialogue

Yeats et le mélange des genres : du texte à la scène

Pierre Longuenesse

Résumés

Dans le projet de « théâtre de l’imagination » formulé par Yeats dès 1890, le Verbe poétique est porteur d’un pouvoir visionnaire, par la performativité de son énonciation concrète portée par le corps de ce que l’on n’appelle pas encore, avec Georges Banu, un « acteur-poète ». Ce projet fait de l’écriture dramatique un objet multiforme, où le drame n’a de sens que mis en tension par ce qui le « menace » dans sa pureté générique : la narration, le chant, la danse. ll conduit le dramaturge vers des collaborations audacieuses sur les scènes de ses créations, entre musiciens, compositeurs, et danseurs. En somme, loin de « menacer » son théâtre, ces figures d’un « hors-champ » artistique sont ce qui en constitue l’expression par excellence, puisque par le théâtre est dévolu au verbe le pouvoir extra-ordinaire de faire surgir, par sa physicalité propre, aussi bien le souffle du chant que le rythme du corps dansant.

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Texte intégral

  • 1  Voir Georges Banu, Les Voyages du comédien, Paris, Gallimard, 2012, p. 32 : “L’acteur-insoumis est (...)

1Il suffit d’un examen même sommaire de l’histoire éditoriale des textes de Yeats pour comprendre le malentendu qui semble présider à la compréhension de son texte,  malentendu que le poète est le premier à avoir lui-même construit : jusqu’en 1934, pas une œuvre de Yeats n’a été publiée qui ne mélange soigneusement les genres, entre poésie et drame. Cet état de fait oblige à revenir sur les formes prises par le projet initial de « théâtre de l’imagination » formulé par Yeats dès les années 1890, théâtre dans lequel, envers et contre tout et tous, le Verbe poétique est porteur d’un pouvoir visionnaire, de par la performativité de son énonciation concrète et vivante, portée par le corps de ce que l’on n’appelle pas encore, avec Georges Banu, un « acteur-poète »1. C’est ce projet qui fait d’emblée de l’écriture dramatique de Yeats un objet multiforme, où le drame n’a de sens que mis en perspective ou en tension par ce qui le « menace » dans sa pureté générique : la narration, le chant, ou la danse. C’est au demeurant cette hybridité qui conduit aussi le dramaturge sur le chemin de collaborations audacieuses sur les scènes de ses créations, entre musiciens, compositeurs, et danseurs. En somme, quatre-vingts ans avant les polémiques contemporaines sur le « post-dramatique », on comprend que loin de « menacer » son théâtre, ces différentes figures d’un « hors-champ » artistique sont au contraire ce qui en constitue l’expression par excellence, puisque par le théâtre est justement dévolu au verbe, proféré à voix haute, le pouvoir extra-ordinaire de faire surgir, par sa physicalité propre, aussi bien le souffle du chant que le rythme du corps dansant.

Histoire éditoriale d’un « mélange des genres »

2Si l’on se penche sur l’œuvre de Yeats du point de vue de son histoire éditoriale, on s’aperçoit rapidement que jusqu’en 1934 le mélange entre œuvre poétique et œuvre théâtrale est systématique. Parcourons rapidement cette histoire, sans prétendre être exhaustif. En 1889, Yeats publie The Wandering of Oisin and Other Poems. L’ouvrage contient, en plus de The Wandering  of Oisin, Mosada, The Seeker, The Island of Statues et Vivien and Time – Les « autres poèmes » mentionnés par le titre sont-ils donc les pièces de théâtre ? En 1892, The Countess Cathleen and Various Legends and Lyrics contient certains poèmes de Crossways et The Rose. En 1895, l’ouvrage Poems contient The Countess Cathleen et The Land of Heart’s Desire à côté de Crossways, The Wandering of Oisin et The Rose. Il en sera de même dans les  re-éditions de 1899, 1901, 1904, 1906 et 1908. En 1903, In the Seven Woods publié à Dundrum par la maison d’édition des sœurs Yeats, Dun Emer, contient le recueil lui-même, plus On Baile’s Strand. En 1906, le recueil Poems 1899-1905 contient On Baile’s Strand, The King’s Threshold, et aussi Baile and Ailinn, In the Seven Woods, et The Shadowy Waters (dramatic poem). A partir de 1907, l’ouvrage The Poetical Works of W.B.Y., qui prend la suite des Poems, est divisé en deux volumes : le volume 1 s’intitule Lyrical Poems, le vol. 2 Dramatical Poems. Les ré-éditions de 1909 et 1911 seront à l’avenant. En 1910, les Cuala Press (qui ont pris la suite de Dun Emer) publient sous un titre éloquent, de ce point de vue, The Green Helmet and Other Poems. Le titre sera ré-édité en 1911 puis en 1912. A partir de 1912, justement, la nouvelle édition des Dramatical Poems, (ré-imprimée encore cinq fois jusqu’en 1921) contient… la version dite « scénique » de The Shadowy Waters (acting version) ! Une édition allemande de Selected Poems of WBY, en 1922, contient The Countess Cathleen, On Baile’s Strand, Deirdre, un extrait de The Wandering of Oisin, et d’autres de In the Seven Woods ou de The Wind among the Reeds. Responsibilities, édité en 1914 aux Cuala Press, est sous-titré Poems and a Play. Deux ans plus tard, en 1916 et 1917, ce sera Responsibilities and Other Poems. Aux Cuala Press toujours, The Wild Swans at Coole en 1917 contient At the Hawk’s Well. En 1921, une édition new yorkaise des Selected Poems contient The Land of Heart’s Desire, The Countess Cathleen, On Baile’s Strand, Deirdre, en plus de certains poèmes de The Rose ou de Responsibilities. En 1924, les sœurs Yeats publient The Cat and the Moon and Certain Poems. Elles récidiveront avec Last Poems and two Plays, en 1939. Un peu avant, Wheels and Butterflies contenait The Herne’s Egg. Enfin, ultime exemple, on trouve encore post-mortem, en 1940, un ouvrage intitulé Last Poems and Plays. Ensuite, plus rien, ou plutôt, plus aucun mélange des genres.

Vision et voix

3Il n’est pas question, à travers un tel raisonnement, de déduire mécaniquement de cette porosité entre les genres dans le projet éditorial que tout, dans l’œuvre de Yeats, est indifféremment poème ou drame. Mais il n’en reste pas moins que cette proximité, par son caractère systématique, ne peut être considérée comme neutre, et qu’est alors incontournable l’examen de ce qui procède d’une hybridité des genres.

4Selon Curtis Bradford, un examen attentif du processus de création des textes de Yeats permet d’élucider en partie les tenants et aboutissants de cette hybridité. S’agissant du théâtre en particulier, il n’est pas un texte pour lequel Yeats n’ait au préalable jeté sur le papier, parfois sommairement, un « draft », ou brouillon narratif, avant de construire successivement plusieurs versions d’abord en prose, puis en vers. L’écrivain commence par visualiser une fable, avant de la modéliser selon des strates successives de « mise en forme » dramatique. De nombreux exemples pourraient être convoqués à l’appui d’un tel raisonnement, mais le plus emblématique est probablement celui de The Death of Cuchulain. En 1892, Yeats publie un poème intitulé Death of Cuchulain, tiré lui-même d’un récit légendaire irlandais qu’il a trouvé dans l’œuvre de Jeremiah Curtin Myths and Folk Lore of Ireland. Quarante-six ans plus tard, il termine, le 5 novembre 1938, un « prose draft », qui synthétise la fable dont il tire quelques mois plus tard la dernière pièce du cycle de Cuchulain.

5Curtis Bradford explique cette méthodologie adoptée par le poète par l’identification de deux traits selon lui typiques de sa démarche créatrice : d’une part, le fait d’être « visionnaire », c’est-à-dire de partir toujours, dans l’écriture, d’une « visualisation » globale d’un tableau plus que d’une fable ; et d’autre part d’avoir besoin d’une étape narrative pour construire, par tâtonnement, la fable dramatique de sa future pièce.

  • 2  Curtis Bradford, Yeats at work, Southern Illinois UP, 1965, p. 171-172.

Yeats had a visionary mind, and his scenarios record visions of a dramatic action, sometimes intense visions. Yeats sees in his mind’s eye, as it were a dramatic action unfolding before him in a theatre. When Yeats had trouble with a play, he would start again by writing new scenarios. A successful scenario states the theme of the play, begins to develop the principal characters, outlines the action, suggests the staging, and sometimes begins to develop the dialogue2.

6La question de la « vision » est à coup sûr essentielle, et nous y reviendrons. Quant au récit comme étape opératoire de la construction de la fable, on ne peut également que souscrire au raisonnement. Celui-ci, pourtant, n’explique pas tout. Pourquoi en effet, dans ces conditions, une grande part de l’œuvre poétique est-elle dialoguée, ou adressée ? Pourquoi trouve-t-on, dans l’œuvre dramatique, de constantes traces de récits ? Il n’est pas une pièce, y compris dans la première période, qui ne comprenne une part de poésie épique et narrative, ou de prose narrative, ou de prose dialoguée narrative. Le processus de création inscrit dans l’œuvre même la contigüité, sinon la confusion, entre narration et représentation (épique et dramatique). Dans la trame même du dialogue, des échappées lyriques, expression d’une individualité, succèdent à des moments de récit, individuel ou collectif – manifestant la continuité permanente entre œuvre poétique, œuvre narrative, et œuvre théâtrale. Autrement dit, dans le processus de dramatisation d’un poème narratif, Yeats théâtralise sans renoncer à la narration. Symétriquement d’ailleurs, une dimension supplémentaire est apportée à la narration : car ce n’est pas seulement cette narration qui s’ouvre sur une théâtralisation de son objet fictionnel, c’est aussi par contre coup elle-même qui se théâtralise : le narrateur devient personnage par contamination, puisque de fait il est dans l’espace concret du théâtre – ou du moins à la frontière entre l’actualité du monde réel et l’espace fictionnel du théâtre. Autrement dit, le drame est celui du récit d’un drame.

7Le théâtre est manifestement pour Yeats un genre carrefour. La narration est à la fois cadre et objet du drame – c’est pourquoi dans le processus d’écriture, c’est à dire du passage d’une parole première à une parole seconde, il reste forcément un résidu de la parole première : dans le passage du poème narratif au poème dramatique il y a préservation d’une parole « première » au statut hybride, à la fois extérieure à la fable et protagoniste d’une « méta-fable ». Autrement dit, à l’horizon d’un tel procédé se profile le postulat que tout est théâtre même le réel – toute la rêverie de Yeats sur les masques entre ici en jeu.  

8Ce processus d’écriture est donc loin de n’obéir qu’à des impératifs purement utilitaires. Se construit, dans le secret du cabinet de travail, l’identité elle-même multiple d’un écrivain qui s’essaye à une multiplicité de formes non seulement parce qu’il excelle dans chacune, mais aussi, précisément, parce que ce qui compte est plus leur inter-relation que leur contiguïté étanche. Certes, Yeats n’apparaît pas de prime abord, dans les jeunes années de sa carrière d’écrivain, comme dramaturge. Il est poète ; il mène également une intense activité journalistique ; il s’essaie au roman ; enfin, il est conteur, de par son travail de recueil ou de ré-écriture de récits légendaires. Mais précisément, c’est par toutes ces « entrées » latérales – relativement au drame, bien sûr, non dans l’absolu – que Yeats finit par écrire « du théâtre ». Entendons-nous bien : ce n’est pas contre la poésie, le conte, le récit, ni même l’essai, que Yeats écrit ses drames ; c’est bien par et avec tous ces genres réunis. Car s’il est entendu que la poésie lyrique est d’abord l’expression d’une voix personnelle, qu’est-ce à son tour que l’epos, sinon également, intrinsèquement, une histoire de voix. Et lorsque l’incarnation de cette voix induit la présence physique d’un diseur, alors le poète se trouve au seuil de la poésie dramatique.

Un théâtre de l’imagination

9La question de fond ainsi posée par une entreprise d’écriture aussi complexe, c’est celle du degré de réalisation, par Yeats, de son utopie d’un « drame poétique » nouveau. Ce projet s’inscrit pour lui dans le contexte d’un rejet de toute forme de théâtre naturaliste, et de la création d’un théâtre tragique refondé et renouvelé, en particulier sous l’influence de Nietzsche. D’où une telle constance dans son rejet d’un certain théâtre réaliste à la française, théâtre de conflit et de caractère :

  • 3  « Emotion of multitude » (1903), in Essays and Introductions, London, Macmillan, 1961, p. 215-216.

The Greek drama has got the emotion of multitude from its chorus, which called up famous sorrows… The French play delights in the well ordered fable, but by leaving out the chorus, it has created an art where poetry and imagination must of necessity grow less important than the mere will. This is why French dramatic poetry is so often rhetorical, for what is rhetoric but the will trying to do the work of the imagination ? […] Indeed all the great masters have understood that there cannot be great art without the little limited life of the fable, which is always the better the simpler it is, and the rich, far wandering, many imaged life of the half seen world beyond it3.

10De The Countess Cathleen à tout le cycle de Cuchulain, en passant par Deirdre ou The King’s Threshold, la fable théâtrale se développe dans une durée elle-même constituée par l’espace qui sépare la figure héroïque qui va mourir – ou survivre – de sa mort (Deirdre, Seanchan, Cathleen) ou de sa « résurrection » (le Cuchulain de On Baile’s Strand ou de The Green Helmet – qui mourra aussi, mais plus tard). Dans cette dramaturgie de la subjectivité, l’action ne se déroule plus tant sur le mode interpersonnel – même s’il en subsiste de larges manifestations – qu’à l’intérieur du personnage central, Cathleen, Deirdre, Seanchan, ou Cuchulain. Comme le dit encore Curtis Bradford :

  • 4 Curtis Bradford, op. cit., p. 268.

His situation is not used to define individual character or as the starting point of a plot, but as a gateway to the deeps of the soul life, and finally we are not left holding a mere Maeterlinckian mood, but are given  a theme – namely the idea that if we are to live… Our wintry and saintly virginity must descend into the dung of passion4.

  • 5 Cette conviction induit des questionnements aigus quant à la mise en scène possibles de ces « drame (...)

11C’est ici que se manifeste la subtilité d’une écriture fondée conjointement sur la parole et sur la vision, sur une articulation unique entre l’entendre et le voir, articulation qui elle-même unifie l’œuvre, malgré toutes les différences qui peuvent opposer des opus aussi apparemment dissemblables que les premières pièces et les dernières, les deux Cathleen ou The King’s Threshold d’un côté, et Calvary ou A Full Moon in March de l’autre. Car Deirdre et Seanchan n’ont pas pour symétriques le Christ ou la Reine, mais plutôt les musiciens : ce dont il faut se convaincre, c’est que s’il est clair que les héros des premières pièces sont des protagonistes qui « coulent » dans les profondeurs de leur vision via leur soliloque permanent, les héros des dernières ne sont pas ceux que l’on croit, puisque le drame est celui de la vision de la fable, et non directement de la fable elle-même : le héros est toujours celui qui parle et raconte et se tourmente de ce qu’il raconte et voit5. Dans The Philosophy of Shelley’s Poetry, Yeats pose en ces termes la question de l’imagination :

  • 6 « The philosophy of Shelley’s Poetry », in Essays and Introductions, op. cit., p. 65.

I have observed dreams and visions very carefully, and am now certain that the imagination has some way of lighting on the truth that the reason has not, and that its commandments, delivered when the body is still and the reason silent, are the most binding we can ever know6

12Ce qui rassemble Deirdre, Seanchan et les musiciens, c’est leur qualité de visionnaire, par les pouvoirs de la parole, et, de ce fait, leur fonction de double dramatique du poète. Dans Poésies et poétiques, Peter Szondi confie :

  • 7  Peter Szondi, Poésies et poétiques de la modernité, Presses Universitaires de Lille, édité par May (...)

Il faudrait se demander quelle est la relation entre le drame poétique et la poésie lyrique, ce qui distingue l’un de l’autre ou ce qu’ils ont de commun – problème que l’on pourrait résoudre en comparant soigneusement les poésies de Mallarmé, de Hoffmannsthal, de Yeats, et d’autres, avec leur théâtre poétique7.

13En fait, Peter Szondi donne partiellement la réponse. C’est bien l’entendre qui suscite le voir, donc le lyrique qui induit le dramatique – si l’on entend que l’une des conditions nécessaires, même si non suffisantes, du drame est l’opsis, le spectacle. Et dans cet « entendre », il faut comprendre deux phénomènes conjoints. D’une part, le fait que

  • 8 Ibid., p. 87.

Le drame poétique n’est pas de la poésie dialoguée, mais du théâtre imaginaire8.

  • 9 Ibidem.
  • 10  « […] It is natural that I go to Asia for a stage convention, […] for a chorus that has no part in (...)

14Dans les paroles de Seanchan comme dans celles des musiciens de The Dreaming of the Bones ou de The Cat and the Moon, « la métaphore devient autonome, a autant de réalité que la chose dont elle est l’expression figurée9 » : les étoiles parlent, les musiciens ne sont que souffle, le chat et la lune dialoguent à côté des deux mendiants ; l’espace imaginaire induit par la parole est cet univers dramatique spectral où « l’action devient un sujet pour la poésie, subit le régime de la métaphore et n’est plus liée au théâtre réel ». Par ailleurs Yeats, par la bouche de ces personnages-poètes, peint non les choses, mais l’effet qu’elles produisent sur la subjectivité. Ce qui est étonnant au passage, c’est son déni de toute implication des musiciens narrateurs dans le drame, comme il le prétend dans Certain Noble Plays of Japan, opposant ainsi ses chœurs de musiciens au chœur grec10 – alors que si quelque chose caractérise les musiciens des Plays for Dancers, c’est bien leur charge émotionnelle, comme en témoigne cet exemple parmi dix :

  • 11 At the Hawk’s Well, in Collected Plays, London, Macmillan, 1982 (Papermacs), p. 209.

I am afraid of this place11.

  • 12  Jean-Pierre Sarrazac, à l’ouverture de son livre L’Avenir du drame, nous rappelle la définition du (...)
  • 13  Peter Szondi, Poésies et poétiques de la modernité, édité par Jean et Mayotte Bollack, Presses Uni (...)

15Les musiciens des Plays for Dancers sont donc bien rhapsodes12, en ce qu’ils sont à la fois narrateurs et sujets, et que loin d’être un moi collectif épique « qui peindrait l’objet avec l’impassabilité parnassienne », ils sont, en même temps que narrateur épique, « sujet lyrique touché par un événement », et « enchainé à une situation13 ».

16Cela dit, dans l’entendre, un autre phénomène est, justement, celui de la dimension sonore, donc, littéralement, d’une praxis : le drame poétique, c’est celui dans lequel la parole, pour être efficiente, appelle la scène. Au demeurant, Yeats précise sa pensée dans Magic :

  • 14  « Magic », in Essays and Introductions, op. cit., p. 43

Have not poetry and music arisen, as it seems, out of the sounds the enchanters made to help their imagination to enchant, to charm, to bind with a spell themselves and the passers by14 ?

  • 15  « Certain Noble Plays of Japan », Ibid., p. 235.

17Autrement dit, si la rêverie à voix haute des personnages héroïques et des narrateurs est nécessaire à l’émergence d’un « théâtre imaginaire », il y manque encore le pouvoir performatif de la voix parlée, à cause de ses qualités rythmiques et sonores. « L’imagination » va de pair avec « le son des enchanteurs », et le théâtre est ainsi induit intrinsèquement par la dimension physique, incarnée, de l’enchantement : « We only believe in those thoughts which have been conceived not in the brain but in the whole body15 ».

Dépasser la représentation

18Il y a donc deux phénomènes conjoints. D’une part, c’est la performativité de la voix qui rassemble dans un même élan dramatique le lyrique et l’épique. L’epos, comme le lyrique, est voix. D’autre part, c’est aussi cette performativité qui permet l’épiphanie, la vision :

  • 16  Préface à Poetical Works II - Dramatic Poems, London, Macmillan, 1907, in Var. Pl., p. 1294.

Above all for one imagines as one pleases when the eyes are closed, it will be a theatre of speech ; the speech of the country side, the eloquence of poets, of rhythm, of style, of proud, living unwasted words, and among its players there may be some who can sing like a poet of Languedoc stories and songs where the music shall be as simple as in a sailor’s chanty for I would restore the whole ancient art of passionate speech, and would no more let a singer spoil a word or the poet’s rhythm for the musician’s sake than I would let an actor who, as Colley Cibber said, « should be tied to time and tune like a singer », spoil the poet’s rhythm that he might give to a  word what seemed to him a greater weight of drama16.

  • 17  Sur ce point, voir Michael Sidnell, Yeats’s Poetry and Poetics, London, MacMillan, 1996, et en par (...)

19L’analogie faite par Yeats avec la littérature médiévale et la poésie courtoise est significative. Entre la poésie lyrique et le récit en vers, le dénominateur commun est la présence d’une voix-qui-parle. Par ailleurs, c’est cette incarnation concrète de la voix qui induit la présence physique d’un « diseur ». Qui plus est, dès lors que la voix se manifeste dans toute sa dimension sonore et rythmique, alors le corps devient central. Les mots sont du corps, et musique, autant que la danse, s’imposent. Carle Bonafous Murat démontre ainsi comment la syntaxe de l’écriture poétique yeatsienne construit elle-même du mouvement circulaire ou spiralé, au point de construire une véritable « danse » de la phrase et du vers. Lorsqu’il s’agit alors d’évoquer la présence du danseur dans la dramaturgie de Yeats et dans ses projets scéniques, il faut comprendre que non seulement ce corps dansant n’est pas antinomique avec le verbe, mais qu’il est plutôt l’expression majeure du mode sur lequel le poète entend le traiter. Yeats convie acteur et danseur à collaborer en termes originaux ; son intérêt pour la danse ne se manifeste pas au détriment du Verbe ; au contraire, la dimension rythmique et sonore de la parole le conduit nécessairement à postuler la nécessaire présence d’un corps en mouvement17. Yeats articule ici par le rythme et la respiration, faisant inconsciemment écho à un Appia ou un Jaques-Dalcroze, les arts du temps et les arts de l’espace.

20 En somme, cette perspective donnée au verbe, celle de faire surgir l’imagination, s’incarne dans la performance d’un corps qui en est comme le prolongement visible. La performance dansée est au corps ce que l’écriture poétique est au verbe. Et le théâtre ainsi créé par l’expressivité du corps et de la voix est non un art de la représentation mais de la suggestion. Curtis Bradford rappelle ainsi à notre mémoire le court essai de Yeats « The Poet and the Actress », qui date de 1916 :

  • 18  « The Poet and the Actress », cité par Curtis Bradford in Yeats at Work, op. cit., p. 292-293.

Take anything you will – theatre or speech or a man’s body – and develop its emotional expressiveness, and you at once increase its power of suggestion and take away from its power of mimicry or of stating facts. The body begins to take poses or even move in a dance… Speech becomes rhythmical, full of suggestion, and as this change takes place we begin to possess, instead of the real world of the mimics, solitudes and wildernesses peopled by divinities and daimons, vast sentiments, the desires of the heart cast forth into forms, mythological beings, a frenzied parturition18.

21La vision n’est pas la représentation ; c’est une articulation entre l’impact sensoriel produit par la parole et l’image épiphanique qui en résulte ; tout du moins dans l’utopie d’un projet d’écriture scénique, au sens fort du terme. Ce mode de « présentation » peut s’apparenter à ce que Gilles Deuleuze décrit de Bacon… ou de Beckett, dans sa Logique de la sensation.

  • 19  Gilles Deleuze, Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002, p. 39.

Il y a deux manières de dépasser la figuration (c’est à dire à la fois l’illustratif et le narratif) : ou bien vers la forme abstraite, ou bien vers la Figure. Cette voie de la Figure, Cézanne lui donne un nom simple : la sensation. La Figure, c’est la forme sensible rapportée à la sensation ; elle agit immédiatement sur le système nerveux, qui est de la chair19.

22Pour Deleuze, la figure diffère de la figuration en ce que, loin de procéder d’une logique figurative, elle propose au récepteur de l’image, ou de la parole, ou du spectacle, la sensation de la terreur plutôt qu’un objet terrifiant – telle l’impression produite par les citations de Vélasquez par Bacon lorsqu’il peint sa série des portraits du pape Boniface. Michael Sidnell, de son côté, ne dit pas autre chose à propos de la logique selon laquelle Yeats déploie son théâtre imaginaire à partir des sensations produites par les voix, la musique, et le corps dansant.

  • 20  Michael Sidnell, op. Cit., p. 5.

In his poetry verbal art is made to pay tribute to the non verbal ones in many allusions to painting and sculpture ; in his critical essays, his examples are taken from painting as often – or more so – as from poetry […]. When the poem is recited or sung, it may be said to constitute a symbolic presence in the semantic context – meaning by « symbolic » a unique and meaningful instantiation of the phenomenal. In his poetry he created numerous images of the body, often borrowing from painting and sculpture20.

23Sidnell, pour appuyer ses dires, prend l’exemple de l’emploi transitif du verbe sing dans le poème Under Ben Bulben, comme si chanter était peindre :

  • 21 Collected Poems, London, Vintage, 1992, p. 343.

Irish poets, learn your trade,
Sing whatever is well made
[…]
Sing the peasantry, and then
Hard-riding country gentlemen
[…]21

  • 22  Voir à ce propos Gilles Deleuze, Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002, p. 39 : “Il y a deux (...)

24Yeats ne dit pas « sing of the peasantry » mais « sing the peasantry ». La capacité qu’a la parole chantée ou psalmodiée à convoquer ou créer l’image ou la vision est l’équivalent, en poésie dramatique, à celle qu’a la peinture de « figurer » – dans le sens où Deleuze emploie le terme à propos de Bacon22.

  • 23  C’est dans cette perspective, entre autres, que l’on peut comprendre les fameux vers extraits de  (...)

25C’est ainsi qu’avec cette logique, représentation et performance se rejoignent. Yeats reconnaît l’immanence de l’événement scénique, dans l’actualité de la présence vivante du diseur et du danseur. Si la narration est l’objet du drame, et le narrateur le personnage principal, le corollaire est que le temps ultime de l’événement théâtral est non celui d’une fiction au passé, mais bien le présent d’une parole hic et nunc, dont la performativité fait surgir, également dans « l’ici et maintenant », la vision incarnée par le danseur. Autrement dit ce n’est pas seulement à l’intérieur de l’événement scénique que se joue une porosité entre théâtre et autres arts (la parole dans sa dimension musicale induit le corps dansant), c’est aussi le théâtre lui-même qui est menacé par la performance – vertige d’une expérience qui a besoin de la scène comme cadre, mais dont l’horizon est le présent de l’extase poétique23. A son tour, la performance se fait « Autre » du théâtre, tout en étant, paradoxalement, sa raison d’être : pour Yeats, le théâtre (entendu comme représentation) vise à se résoudre en son contraire. Comme le dit justement Sylvia Ellis :

  • 24  Sylvia C Ellis, The Plays of WB Yeats, Yeats and the Dancer, New York, St Martin’s Press,1995, p. (...)

An accepted view of at least one of these very mysteries on a stage […] is that the actor combines « being » with « representing ». The audience deciphers the code presented by the actor and his/her role by our awareness that the actor is at one and the same time both Hamlet and X-playing-Hamlet, and thus not Hamlet at all […]. While heroes and heroines come to consciousness of Self through the play, so too Yeat’s theatre is eminently self conscious. […] We are in the realm of metatheatre where musicians or attendants or chorus comment on their own roles in interpreting the action24.

Le « mélange des genres » à l’épreuve du plateau

  • 25  Georges Moore, romancier, essayiste connu, est l’un des plus éminents représentants du roman natur (...)

26Osons donc, pour finir, évoquer une expérience scénique récente sur l’un des textes les plus controversés de Yeats, The Shadowy Waters. L’auteur lui-même, à qui ont emboité le pas plusieurs générations critiques, a attribué à cette pièce le statut d’œuvre de jeunesse laborieusement élaborée, discrètement publiée, rapidement remaniée, objet d’une maladroite et presque fortuite tentative scénique, et finalement abandonnée aux oubliettes de son œuvre. Pourtant son fond, autant que son processus d’écriture, la rendent emblématique d’une série de tentatives peut-être plus proches de l’utopie dramatique qui a porté le poète jusqu’à ses expérimentations avec le Nô, que bien d’autres œuvres plus « visibles », à commencer par les deux Cathleen. Avant que Georges Moore25 ne viennent « mettre de l’ordre » dans l’écriture comme dans les pratiques scéniques du poète, The Shadowy Waters est l’exemple même de la « danse de la parole » dont parle Carle Bonafous-Murat. Et cette danse n’est à coup sûr pas fortuite dans une œuvre dont le propos est une forme de danse de mort (celle des « Fomors » et des marins en quête de sacrifice humain) et d’envoutement (celle de Forgael fuyant et poursuivant Dectora d’un même mouvement), toutes deux médiatisées par la violence du verbe et la présence de la musique.

27Bien sûr, les détracteurs d’une telle démarche sont, du vivant de Yeats, nombreux. Cette opposition est due aux pressions du contexte esthétique et pratique sur la nature supposée d’un texte de théâtre. De ce fait, lorsque le poète entreprend de ré-écrire une version pour la scène de The Shadowy Waters, ou lorsqu’il ampute plusieurs textes de prologues ou de passages les apparentant par trop à leur statut poétique originel, Yeats cède à l’injonction de procéder à l’effacement dans le texte de théâtre de toute figure associée à un narrateur, ou en tout cas à un locuteur premier, et corolairement de fonder le texte de théâtre sur l’exigence d’une mimesis, d’une action dramatique, et d’une parole portée directement par ce qu’Anne Ubersfeld appelle les énonciateurs seconds que sont les personnages – l’énonciateur premier étant sommé de s’effacer à leur profit. Mais cette nouvelle version ne correspond pas à son véritable projet d’invention d’une nouvelle forme de drame poétique. Au demeurant, cinq ans après avoir retravaillé The Shadowy Waters en créant des passages en prose en en dialogisant des passages jugés trop lyriques, il dé-prosaise The Hour Glass ou The Green Helmet, en leur ajoutant des passages très lyriques et méditatifs – juste avant de s’engager dans l’esthétique absolument anti-naturaliste des pièces pour danseurs.

  • 26  Les Eaux d’ombre, W.B. Yeats, traduction G. Bernardi et P. Longuenesse, mise en scène P. Longuenes (...)

28Cela dit, et pour en revenir à The Shadowy Waters, dès ces années 1890 donc, date des premières tentatives sur cette pièce, est inscrit ce croisement entre Verbe, musique, et danse, avec comme horizon la résorption de l’espace-temps linéaire d’une fable dramatique dans la verticalité du poème et dans l’immédiateté du corps et de la musique. Si l’on regarde le parcours du dramaturge qui va suivre durant presque un demi-siècle, on comprend que cette inscription a en réalité valeur de manifeste. Et c’est une logique similaire que nous avons cherché à ranimer lors de deux tentatives successives, à quinze ans d’intervalle, de mise en scène26. La première fut plus proche du chantier ou de la performance que d’une représentation à proprement parler. Le projet ne fut pas de représenter un espace fictionnel, mais de laisser à l’imagination du spectateur le soin de construire une vision suscitée par  la conjonction entre le corps du danseur (Jean Guizerix), la parole bilingue des comédiens (Linda Wise, de la compagnie Panthéâtre, et deux autres comédiens-danseurs), le musicien (Gilles Petit, aux instruments originaux inspirés par l’Inde), et la peintre (Jacqueline Lobenberg). Dans la seconde, un travail de recomposition de la fable précéda le passage au plateau. Quelques fragments lyriques ou narratifs des premières versions s’insérèrent dans le tissu en grande partie préservé de la version de 1906, dite « dramatic poem ». Mais de nouveau – comme en 1996 –, on ne prit pas le symbole à la lettre, comme il l’avait été lors de la création en 1904, lorsque Forgael était effectivement un joueur de harpe (qui, d’ailleurs, ne jouait pas : l’instrument valait symboliquement par l’aura de sa présence). Par contre, en faisant de ce capitaine-druide-amoureux un danseur muet, doublé par une parole déléguée à un duo de comédiens, l’idée était de prendre à la lettre la physicalité de la parole du magicien. La figure était ainsi démultipliée non pour la diviser, mais pour la dilater.

  • 27  Le Tir-nan-Og est le paradis dans l’imaginaire celtique, littéralement, le “pays de l’éternelle je (...)
  • 28  Citation de Yeats dans Resurrection : « The heart of a phantom is beating ! ».

29Ensuite, plusieurs mediums se succédaient ou se superposaient, tous au service du caractère légendaire ou archétypal de la fable. Lors du dialogue entre les deux amants, deux acteurs marionnettistes parlaient pour deux petites figurines qu’ils portaient devant eux telles des effigies, tandis que parallèlement à eux, une danseuse venait se joindre à son partenaire. A la fin, des masques blancs portés par ces mêmes acteurs disent la métamorphose des protagonistes et leur départ vers le tir-nan-og27. Seuls s’incarnaient en personnage collectif les marins, figures du monde d’ici, perdus dans un espace où tout est à la fois incarné et délégué : la parole et la marionnette, la parole et le corps dansant, la musique et la parole, le mouvement et la musique.  Ainsi, l’incarnation n’induit pas nécessairement de représentation d’un être clos ; le théâtre a ce pouvoir de figurer (au sens deleuzien, peut-être) le « cœur d’un fantôme28 ». Elle n’est que le passage sur le plateau d’une figure de l’intériorité rendue visible par le verbe, le chant ou la danse. Et la mise en scène revendique alors que cette intériorité n’est pas une abstraction, mais bien de chair, de souffle, de rythme, et de voix.

  • 29  W. B. YEATS, Lettre à Katherine Tynan du 21 avril 1889, in Collected Letters I, op. cit., p. 160. (...)

30Chez Yeats, le théâtre est donc intrinsèquement hybride. La présence de la musique ou de la danse est fondatrice d’une poïétique autant que d’une praxis, d’un projet d’écriture autant que d’une pratique scénique. C’est sans doute dans cette perspective qu’il faut comprendre cet aveu discret formulé, très tôt, dans une lettre à Catherine Tynan « To me the dramatic is by far the pleasantest poetic form »29.

31C’est la raison pour laquelle les frontières tracées a posteriori entre les genres, le classement de l’œuvre en catégories, œuvre poétique et œuvre théâtrale, opéré par Yeats progressivement à partir des années 1910, puis en 1934, et ensuite repris par les éditeurs, sont une forme de trompe l’œil éditorial qui empêche de voir l’essor et l’évolution d’une tentative qui constitue, s’il faut employer le mot, un « genre » à part entière. Cela dit, le phénomène peut être compris, dans le contexte des conflits esthétiques permanents entre le poète et ses contemporains, plus comme la revendication implicite d’une légitimation de ses ambitions théâtrales, que comme le postulat d’une séparation irréductible entre des genres. Pourtant, même s’il répond à un désir de clarification louable, ce geste va durablement brouiller les pistes quant à une élucidation des caractères réels de l’œuvre, et figer des catégories dont on sait aujourd’hui qu’elles ne sont que relatives à leur appréciation à un moment historique donné.

  • 30  Les passerelles sont d’ailleurs nombreuses et multiformes : textes poétiques transférés dans l’œuv (...)

32Ainsi des œuvres échappent à la catégorie de théâtre alors qu’elles l’ont été à un moment de la carrière de Yeats – les premières versions de The Shadowy Waters, ou des œuvres que l’on retrouve dans une « œuvre poétique » clôturée par une identité générique, alors qu’elles mériteraient une étude au prisme d’autres catégories, surtout pour une œuvre aussi marquée par l’expérience mallarméenne : drame poétique, poème épique à la première personne, dialogue poétique : The Wandering of Oisin, Baile and Ailinn, entre autres30. Ces formes affirment une dramaturgie autant qu’une stylistique, plus clairement repérée depuis les analyses critiques de nombre d’écritures dramatiques contemporaines : peu ou pas d’action, espace ouvert par les mots, conflits internes à la psyché, « pièce-paysage », bref, syncrétisme entre lyrique, épique, et dramatique.

33Depuis cinquante ans un débat agite les dramaturges, dont l’un des points de rupture aura été constitué par les polémiques autour du « post-dramatique » de Lehmann : celui de la « pureté » ou de « l’absolu » du drame (Szondi), et de sa progressive « contamination » par l’altérité menaçante de corps étrangers à lui. Lehmann en arrive ainsi à postuler que tout ce qui ne procède pas de ce pur « dramatique » est « post-dramatique ». Or Yeats démontre, longtemps avant ces polémiques, que la question est ailleurs. La porosité de fait entre l’œuvre poétique et l’œuvre théâtrale montre la véritable nature d’un théâtre poétique et épique, dans lequel la figure du poète, à la fois conteur et conté, rhapsode et personnage, fonde une dramaturgie où « l’autre » – le danseur – n’est que le double secret de l’écrivain et du corps rêvé de son écriture.  

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Bibliographie

Georges Banu, Les Voyages du comédien, Paris, Gallimard, 2012

Curtis Bradford, Yeats at work, Southern Illinois UP, 1965

Gilles Deleuze, Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002

Sylvia C. Ellis, The Plays of W.B. Yeats, Yeats and the Dancer, New York, St Martin’s Press, 1995

Pierre Longuenesse, Yeats dramaturge, la voix et ses masques, Rennes, PUR, 2012

Béatrice Picon-Vallin, “L’Acteur-poète”, in Théâtre Public n° 164, 2002, p. 14-26

Jean-Pierre Ryngaert (dir.), Nouveaux territoires du dialogue, Arles, Actes-Sud Papiers, 2005

Jean-Pierre Sarrazac, L’Avenir du drame, Belfort, Circé Poche, 1999

— (dir.), Lexique du drame moderne et contemporain, Belfort, Circé Poche, 2005

Michael Sidnell, Yeats’s Poetry and Poetics, London, MacMillan, 1996

Peter Szondi, Poésies et poétiques de la modernité, édité par Jean et Mayotte Bollack, Presses Universitaires de Lille, 1982

W.B. Yeats, Collected Plays, London, Macmillan, 1982

—, Collected Poems, London, Vintage, 1992

—, Essays and Introductions, London, Macmillan, 1961

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Notes

1  Voir Georges Banu, Les Voyages du comédien, Paris, Gallimard, 2012, p. 32 : “L’acteur-insoumis est une apparition anomique. Unique et solitaire. Acteur-poète. Comme l’ont été Alain Cuny, Maria Casarès, Minetti... Acteur toujours seul parmi les autres !”

2  Curtis Bradford, Yeats at work, Southern Illinois UP, 1965, p. 171-172.

3  « Emotion of multitude » (1903), in Essays and Introductions, London, Macmillan, 1961, p. 215-216.

4 Curtis Bradford, op. cit., p. 268.

5 Cette conviction induit des questionnements aigus quant à la mise en scène possibles de ces « drames du regard ». Si l’on considère, par exemple dans A Full Moon in March, que les personnages sont la projection des narrateurs, on ne peut, idéalement, ni ne mettre en scène que 2 acteurs qui joueraient alternativement les uns et les autres (car la dissociation entre parole et image est nécessaire), ni en mettre en scène 4 (car il faut raconter la projection). En somme, ce dont nous pourrions rêver, c’est de trouver… deux paires de jumeaux ! Car là pourrait se mettre en scène le même et le différent, c’est à dire, littéralement, le jeu de double de ce jeu de vision.

6 « The philosophy of Shelley’s Poetry », in Essays and Introductions, op. cit., p. 65.

7  Peter Szondi, Poésies et poétiques de la modernité, Presses Universitaires de Lille, édité par Mayotte Bollack,  1982, p. 82.

8 Ibid., p. 87.

9 Ibidem.

10  « […] It is natural that I go to Asia for a stage convention, […] for a chorus that has no part in the action […] They sing as much as they speak, and there is a chorus which describes the scene and interprets their thought and never becomes as in the Greek theatre a part of the action. » « Certain Noble Plays of Japan », in Essays and Introductions, op. cit., p. 226 et 230. Certes, le chœur d’Electre ou d’Antigone, chez Sophocle par exemple, peut être jugé « intra-diégétique », alors que les musiciens narrateurs des Plays for Dancers, par nature, ne le sont pas. Mais leur implication sensible dans la fable, voire leur projection sur les personnages, est plus que lisible.

11 At the Hawk’s Well, in Collected Plays, London, Macmillan, 1982 (Papermacs), p. 209.

12  Jean-Pierre Sarrazac, à l’ouverture de son livre L’Avenir du drame, nous rappelle la définition du terme : « Rhapsode, terme d’antiquité grecque ; nom donné à ceux qui allaient de ville en ville chanter des poésies et surtout des morceaux détachés de l’Illiade et de l’Odyssée ; Rhapsoder, terme vieilli : mal raccomoder, mal arranger ; Rhapsodique, qui est formé de lambeaux, de fragments » (Littré) ; « Rhapsodie, 1 - suite de morceaux épiques récités par les rhapsodes ; 2 - pièce instrumentale de composition très libre » (Petit Robert). In Jean-Pierre SARRAZAC, L’Avenir du drame, Belfort, Circé Poche, 1999, p. 23. Ré-examinant le concept à la lumière des dramaturgies contemporaines, il parle d’une « pulsion rhapsodique à l’œuvre dans le drame moderne et contemporain ». Se démarquant de Peter Szondi, il montre comment, dans nombre d’œuvres dès la fin du XIXe siècle, se manifeste un sujet « clivé, à la fois dramatique et épique », « témoin de lui-même et de l’action dans laquelle il est pris ». Corollairement, il analyse comment le dialogue se fait rhapsodique « en tant qu’il coud ensemble et découd des modes poétiques différents (lyrique, épique, dramatique, argumentatif), voire réfractaires les uns aux autres, et qu’il est lui-même contrôlé, organisé, médiatisé par un opérateur (au sens mallarméen) reprenant certaines caractéristiques du rhapsode de l’antiquité ». Voir notamment Nouveaux territoires du dialogue, op. cit., pp. 11-16, ou Lexique du drame moderne et contemporain, op. cit., p. 69.

13  Peter Szondi, Poésies et poétiques de la modernité, édité par Jean et Mayotte Bollack, Presses Universitaires de Lille, 1982, p. 108.

14  « Magic », in Essays and Introductions, op. cit., p. 43

15  « Certain Noble Plays of Japan », Ibid., p. 235.

16  Préface à Poetical Works II - Dramatic Poems, London, Macmillan, 1907, in Var. Pl., p. 1294.

17  Sur ce point, voir Michael Sidnell, Yeats’s Poetry and Poetics, London, MacMillan, 1996, et en particulier le chapitre 1. On peut notamment relever sa réflexion sur les liens entre théâtre, sculpture et peinture dans l’imaginaire yeatsien : “In his Plays for dancers, he [Yeats] invited a collaboration between poetry and performer on new terms, apprehending dance as the art that may so far outreach painting, sculpture and even acting as to transcend representation altogether, through the presence of a human body in the fullness of its self identity. »

18  « The Poet and the Actress », cité par Curtis Bradford in Yeats at Work, op. cit., p. 292-293.

19  Gilles Deleuze, Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002, p. 39.

20  Michael Sidnell, op. Cit., p. 5.

21 Collected Poems, London, Vintage, 1992, p. 343.

22  Voir à ce propos Gilles Deleuze, Logique de la sensation, Paris, Seuil, 2002, p. 39 : “Il y a deux manières de dépasser la figuration (c’est à dire à la fois l’illustratif et le narratif) : ou bien vers la forme abstraite, ou bien vers la Figure. Cette voie de la Figure, Cézanne lui donne un nom simple : la sensation. La Figure, c’est la forme sensible rapportée à la sensation ; elle agit immédiatement sur le système nerveux, qui est de la chair.”

23  C’est dans cette perspective, entre autres, que l’on peut comprendre les fameux vers extraits de  « The Circus Animal Desertion » : « Players and painted stage took all my love / And not those things that they were emblems of » ; voir Collected Poems, op. cit., p.  362.

24  Sylvia C Ellis, The Plays of WB Yeats, Yeats and the Dancer, New York, St Martin’s Press,1995, p. 339-340.

25  Georges Moore, romancier, essayiste connu, est l’un des plus éminents représentants du roman naturaliste anglophone, et grand admirateur d’André Antoine

26  Les Eaux d’ombre, W.B. Yeats, traduction G. Bernardi et P. Longuenesse, mise en scène P. Longuenesse ; en 1996, à la Galerie Marquardt, Place des Vosges à Paris, dans le cadre de L’Imaginaire Irlandais Contemporain (reprise au Théâtre de l’Université de Caen) ; en 2011, à l’Atalante, Paris, et en tournée.

27  Le Tir-nan-Og est le paradis dans l’imaginaire celtique, littéralement, le “pays de l’éternelle jeunesse”.

28  Citation de Yeats dans Resurrection : « The heart of a phantom is beating ! ».

29  W. B. YEATS, Lettre à Katherine Tynan du 21 avril 1889, in Collected Letters I, op. cit., p. 160. « Pour moi la forme dramatique est de loin la plus satisfaisante pour la poésie ».

30  Les passerelles sont d’ailleurs nombreuses et multiformes : textes poétiques transférés dans l’œuvre théâtrale, ou textes poétiques en préludes à une œuvre théâtrale, ou textes poétiques extraits de l’œuvre théâtrale et transferés dans l’œuvre poétique : tous les modes de circulation peuvent se rencontrer.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Longuenesse, « Yeats et le mélange des genres : du texte à la scène »Sillages critiques [En ligne], 18 | 2014, mis en ligne le 15 mai 2015, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/3976 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.3976

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Auteur

Pierre Longuenesse

Docteur en Etudes Anglophones, Pierre Longuenesse est maître de conférences en arts du spectacle à l’université d’Artois, à Arras. Il a publié aux Presses Universitaires de Rennes Yeats dramaturge, la voix et ses masques, et donné diverses contributions aux revues Théâtre/Public, Etudes Théâtrales, Etudes Irlandaises, Yeats Annual, ou Registres. Il est par ailleurs metteur en scène et comédien au sein d’une compagnie subventionnée en Ile-de-France.
A former student of Ecole Normale Superieure, Paris, Pierre Longuenesse is an associate professor in drama studies at Artois University, Arras, France. He has published Yeats dramaturge, la voix et ses masques in 2012, and several contributions to French periodicals Etudes Théâtrales, Registres, Théâtre/Public, Etudes Irlandaises. Pierre Longuenesse is also an actor and a director in a professional theatre company in Paris.

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