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Partie IV. Rythmes et temps d’exposition

« A Single Tone Coming Out Of A Vast, Empty Space » : John Adams, le contemporain au risque de l’anachronisme

Mathieu Duplay

Résumés

La musique contemporaine existe-t-elle ? Il est impossible de répondre à cette question à moins de savoir ce qu’il en est du « contemporain », or cette notion est au plus haut point problématique. Pour qu’une musique me soit contemporaine, il faut qu’elle me donne à saisir sous forme audible ce qu’il en est du moment que je suis en train de vivre ; mais je ne peux la reconnaître comme telle qu’à condition de la mettre à distance, de m’écarter du présent que pourtant je prétends partager avec elle. Ce n’est pas tout : pour que l’on puisse parler de « musique contemporaine », encore faut-il qu’il y ait musique, ce qui là encore ne va plus de soi à une époque où la définition même de ce terme apparaît comme un point sujet à débat. On connaît la réponse pessimiste qu’Adorno donne à ces deux questions. La seule musique véritablement « contemporaine », celle qui exprime la réalité d’aujourd’hui, est condamnée à demeurer « inentendue » car, trop violente, elle nous rebute par son inhumanité. En dehors d’elle, il n’existe que des musiques du passé, dénuées de pertinence car réduites à l’état de marchandise par une industrie culturelle dont l’Amérique est le haut lieu. Cet article a pour propos de reposer après Adorno la question du contemporain en musique (à défaut de la résoudre) à partir d’un cas particulier, celui d’un compositeur américain que l’actualité intéresse au plus haut point. Praticien d’un théâtre de l’anachronisme, comme en témoignent ses opéras, John Adams propose déjà, dans Harmonium (1980‑1981), une exploration de l’écart entre soi et soi : d’une part parce qu’il accorde une place centrale, dans cette composition pour chœur et orchestre, à un célèbre poème d’Emily Dickinson où se déploie une écriture du désastre, du déphasage et de la dépossession ; d’autre part, parce qu’il mène en parallèle, dans un temps immobilisé, un travail musical sur le son perçu comme l’alliance paradoxale de l’immédiat et de l’ailleurs, de la présence et du vide, autrement dit comme le contemporain fait musique.

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Texte intégral

1La musique contemporaine existe-t-elle ? Cette question, qui peut paraître naïve, exige d’être aussitôt reformulée. On compose aujourd’hui de la musique ; mais cela suffit-il à faire de nous ses contemporains ? N’est con-temporain, au sens étymologique du terme, que ce qui est pris dans une relation de partage : partage de ce temps que nous disons nôtre, mais aussi d’une certaine expérience du temps d’où nous tirons la capacité d’y reconnaître ce qui nous appartient ou nous concerne. Une musique ne peut donc être dite contemporaine que si, de notre présent, elle offre en quelque manière la présentation sensible, si elle expose sous forme audible ce qu’il en est du moment que nous vivons. Or de cela, nous ne pouvons avoir conscience que si nous acceptons, le temps que dure l’écoute, de nous déporter en dehors de nous-mêmes, autrement dit de nous exposer à notre tour, sinon au regard d’autrui, du moins au nôtre. Ce présent exposé à la saisie, c’est le mien, ce qui fait de moi le témoin de ma propre existence, l’observateur d’un temps dont je me trouve être l’un des acteurs ; il introduit entre moi et moi le hiatus d’une distance à la fois minime et irréductible, d’un dédoublement qui, propice à la réflexivité et à la connaissance de soi, abandonne néanmoins une part de moi-même à l’épreuve d’une proximité sans intimité, d’un Dehors à portée d’oreille où je séjourne sans l’habiter. À quoi il convient d’ajouter que pour parler de « musique contemporaine », encore faut-il qu’il y ait musique, que ce qui me procure cette expérience du contemporain relève de ce qu’il est convenu d’appeler l’expression musicale ; or cela ne saurait aller de soi à l’ère où la permanence de l’œuvre au fil de ses diverses exécutions, le rôle du compositeur et de l’interprète, et jusqu’au concept même d’œuvre musicale ou artistique apparaissent comme autant de points sujets à débat.

[John Cage’s notational system] furnishes no means of identifying a work from performance to performance […]. Nothing can be determined to be a true copy of Cage’s autograph diagram or to be a performance of it. There are only copies after and performances after that unique object as there are only drawings and paintings after a sketch,

2note ainsi Nelson Goodman à propos du Concerto pour piano et orchestre de 1960 (187-188). Ce qui peut-être revient à dire que la musique telle qu’elle se pratique aujourd’hui présente de profondes affinités avec la question du contemporain, du dédoublement et du partage des temps : depuis Cage — et singulièrement en Amérique — la musique ne se déploie jamais que d’après elle-même, elle s’expose au double geste de l’abandon et de la reprise réflexive, ce qui peut-être fait d’elle l’art contemporain par excellence. À moins bien sûr que la musique ne soit justement ce qui est distancé par cet après, et que Cage ne nous ait fait entrer dans une ère post-musicale où la musique tout entière se trouve exposée à un questionnement radical sur sa nature et ses délimitations, sur la différence et la différenciation des arts. C’est en tout cas ce qu’indique l’exemple choisi par Goodman d’une pièce dont on ne sait si elle relève d’abord des arts graphiques, de la musique ou d’un travail poétique sur les multiples modalités de la notation, autrement dit sur des enjeux connexes à l’écriture.

3La question du contemporain, et notamment de l’existence, voire de la possibilité d’une musique digne de ce nom qui nous soit véritablement contemporaine n’est assurément pas nouvelle, puisqu’elle a déjà été posée et d’une certaine manière résolue par Adorno dans les ouvrages composés dans les années 1930 et 1940 pendant son exil américain. S’il importe d’y revenir, c’est parce que sa réponse pessimiste constitue aujourd’hui l’une des données du problème. Non que le diagnostic sur lequel elle s’appuie paraisse désormais contestable ; mais il révèle paradoxalement l’impossibilité de fonder une pensée du contemporain sur une conception diachronique de l’art, autrement dit de faire du contemporain un moment d’une histoire, en dépit de notre prédisposition à l’aborder à l’aune de l’actualité et des récits auxquels elle donne lieu. Penser l’art d’après l’art, tel est l’enjeu — au double sens de la réaction ou de la réponse à ce qui, quoique de même nature, se maintient à distance, voire agit comme un facteur de différenciation et d’écart, et de ce qui, faisant suite à un donné de cet ordre, manifeste ainsi son appartenance à un temps autre, peut-être postérieur (ce qui n’est jamais qu’une hypothèse parmi d’autres et donc demande à être vérifié). Le travail d’Adorno vise à relever ce défi, mais dans une double perspective hégélienne et marxiste qui, de cette altérité des temps, donne une lecture historique et interprète les tensions inhérentes à l’expérience esthétique comme les indices d’une configuration conceptuelle appelée à se déployer au fur et à mesure de l’évolution propre à chaque art (Philosophie de la nouvelle musique 13). Or la question du contemporain n’est pas celle de la succession mais celle de la simultanéité, qu’il s’agit de penser en tant que telle, comme pure exposition à un temps à la fois un et hétérogène où le disparate se trouve relié par sa déliaison même, autrement dit comme une modalité de l’intempestif, dont la narration ne peut rendre compte puisqu’elle a précisément pour vocation de distinguer et d’articuler ce qui se donne ainsi sur le mode problématique de l’asyndète et de l’anachronisme.

4Héritier de Hegel, Adorno l’est donc aussi de l’idée qu’il existe une diachronie propre à l’art. Aux yeux de Hegel, nous n’avons plus besoin du sensible pour accéder à l’idéalité ; par conséquent, nous avons cessé de croire que l’art constitue « le mode d’expression le plus élevé de la vérité » (Esthétique 1, 33). Nous ne lui reconnaissons plus pour fonction première d’exposer sous l’aspect de l’« extérieur », du « sensible » et du « périssable », la réalité intime de notre existence d’êtres pensants, autrement dit « la liberté infinie de la pensée compréhensive » (33). Aussi le rapport que nous entretenons avec lui est-il de nature principalement critique :

Nous respectons l’art, nous l’admirons ; seulement, nous ne voyons plus en lui quelque chose qui ne saurait être dépassé, la manifestation intime de l’Absolu, nous le soumettons à l’analyse de notre pensée, et cela, non dans l’intention de provoquer la création d’œuvres d’art nouvelles, mais bien plutôt dans le but de reconnaître la fonction de l’art et sa place dans l’ensemble de notre vie. (33)

5En d’autres termes, nous jugeons aujourd’hui l’art depuis son après, du point de vue de ce qui, à la fois, le dépasse et lui succède, ce que Hegel résume dans une formule célèbre : « [L]’art reste pour nous, quant à sa suprême destination, une chose du passé. » (34) Or si les formes actuelles de l’expérience esthétique se trouvent donc comporter, de par leur nature même, une composante historique, Adorno retient par ailleurs de la pensée marxiste que la classe dominante trouve son intérêt à ce que nous n’en ayons pas conscience ; « l’industrie culturelle a dressé ses victimes à éviter tout effort pendant les heures de loisir qui leur sont octroyées pour la consommation des biens spirituels » (Philosophie 20) de manière à leur faire perdre de vue l’assise de toute production artistique, qui est sociale et politique : « [l]es exigences du matériau [musical] à l’égard du sujet proviennent […] du fait que le “matériau” lui-même, c’est de l’esprit sédimenté, quelque chose de socialement préformé à travers la conscience des hommes » (45). Non seulement nous n’avons plus besoin de l’art musical pour cheminer vers l’idéalité, mais il est impuissant à nous conduire vers elle sous les formes réifiées qui sont les siennes à l’ère de la marchandisation ; d’où il ressort que la pratique artistique est désormais tenue, sous peine d’inauthenticité, de se montrer doublement critique. Consciente de sa propre finitude, elle se doit de la rappeler constamment pour mieux lutter contre la croyance nocive en une essence anhistorique de l’art. Quant à lui, l’artiste n’a plus pour tâche de créer des « œuvres » qui, sous l’aspect d’une totalité présentée comme achevée, se donnent pour les interprétants universels d’un monde lui-même pensé à tort comme homogène et soustrait au devenir ; au contraire, il se doit de procurer le « choc de l’incompréhensible », seul à même d’éclairer une réalité privée de sens, de la montrer telle qu’elle est sans le secours de la mimesis et de la distance faussement rassurante qu’elle instaure entre le spectateur et l’objet représenté (142). Autrement dit, point d’art qui vaille dans ces conditions, hormis une pure praxis non mimétique, production de dissonances données à éprouver sous une forme toujours renouvelée puisque l’artiste doit sans relâche lutter contre la tendance à la réification inhérente à toute technique artistique même la plus novatrice (142).

6On comprend dès lors tout l’intérêt qu’Adorno porte à la musique, art de la performance au plus haut point capable de produire des « chocs » non médiatisés par la « forme » constituée ou par des « images de l’émotion » (42). Cela dit, on en vient du même coup à douter que de cette musique qui expose ou exhibe les contradictions de notre présent, nous puissions jamais être les contemporains. Trop violente, elle rebute par son inhumanité et demeure donc « inentendue », à défaut d’être inécoutable : en attente de son hypothétique auditeur, elle est « la vraie bouteille à la mer » (142). D’un côté, les vestiges d’un passé périmé qui, pour être instrumentalisés par l’industrie culturelle aujourd’hui hégémonique, n’en sont pas moins désuets ; de l’autre, l’appel à « ce qui n’était encore jamais », c’est-à-dire aussi à une modalité inédite de l’écoute dont rien ne garantit qu’elle finira un jour par s’imposer. Entre les deux, pas de troisième terme, pas de musique du présent qui, expression de ce qui aujourd’hui existe, soit aujourd’hui comprise pour ce qu’elle est.

7On sait que, chez Adorno, l’Amérique passe pour la première responsable de la marchandisation culturelle qui condamne la « nouvelle musique » à un isolement quasi absolu : « La musique, à laquelle on accorde avec générosité tous les attributs des choses éthérées et sublimes, sert essentiellement, en Amérique, à la publicité des marchandises que l’on doit précisément acquérir avant même de pouvoir écouter de la musique » (Le Caractère fétiche dans la musique 28). L’Amérique, dans ce texte de 1938, c’est également le nom donné à un ici et maintenant, la désignation de la terre d’exil où le philosophe vient de se réfugier ; aussi n’y a-t-il au fond rien de surprenant à ce qu’il n’en saisisse pas la spécificité, la réalité contemporaine, comme en témoigne, sur le mode du comique involontaire, sa lettre à Walter Benjamin du 7 mars 1938. « Sérieusement, c’est bien plus européen ici qu’à Londres et la 7th Avenue, à proximité de laquelle nous habitons, rappelle par son côté paisible le boulevard Montparnasse, comme Greenwich Village, où nous sommes domiciliés, rappelle la Montagne Sainte-Geneviève » (Adorno et Benjamin 275). D’un côté, la remémoration nostalgique d’un passé encore tout proche dont les vestiges prestigieux sont plus que jamais exposés à la violence de l’histoire ; de l’autre, l’anticipation solitaire d’un retour rien moins que garanti vers une nouvelle Europe enfin affranchie de « la politique de Chamberlain et [de] la justice de Staline » (275). Entre les deux, nulle place pour l’étude de ce qui se trame d’inédit dans une musique américaine hâtivement confondue avec le jazz, lui-même réduit à ses variantes commerciales. La réaction du jeune John Cage à l’enseignement d’Arnold Schoenberg, installé pour sa part en Californie, témoigne pourtant de la capacité de cette Amérique en apparence séduite par l’immanentisme de la « marchandise musicale standardisée » (Fétiche 8-9) à faire des résistances inhérentes au matériau sonore le moteur de la composition, autrement dit à s’approprier les termes d’un débat sur le rôle esthétique du décalage et de la dissonance qu’Adorno présente un peu vite comme exclusivement européen :

After two years it became clear to both of us that I had no feeling for harmony. For Schoenberg, harmony was not just coloristic: it was structural. It was the means one used to distinguish one part of a composition from another. Therefore he said I’d never be able to write music. « Why not ? » « You’ll come to a wall and won’t be able to get through. » « Then I’ll spend my life knocking my head against that wall. » (Cage 238)

8Si l’on en croit le propos que Cage prête à Schoenberg, l’harmonie a pour fonction d’organiser le temps musical ; elle est ce qui distingue l’avant de l’après, et donc aussi ce dont se sert le discours musical pour se dissocier de son propre passé et cheminer vers l’inédit, à mesure que de nouvelles configurations sonores distancent celles qui les ont précédées, puis se trouvent à leur tour dépassées par d’autres : processus non sans analogie avec la dialectique qui, chez Adorno, oppose le geste musical aux sédimentations qu’il produit de lui-même lorsqu’il se mue en technique garante d’un achèvement possible (Philosophie 43). Se montrer réfractaire à l’harmonie, c’est en quelque sorte s’opposer à toute progression de cet ordre, ce qui n’équivaut pas à récuser les tensions qui la motivent, mais au contraire à les pérenniser, à les maintenir à leur point d’intensité maximale : à la recherche d’une résolution même temporaire, c’est en quelque sorte substituer la répétition insistante d’un geste qui suggère à la fois l’obstination et la conscience aiguë d’un obstacle qui ne se laisse pas surmonter, le heurt répété car dialectiquement improductif avec un donné inassimilable. Penser la musique hors de la diachronie, tel est le sens du propos cagien ; mais sans pour autant la renvoyer à l’immanence d’un temps identique à lui-même, puisque le présent est d’abord ici présence d’un point de résistance et d’achoppement, exposition au risque de ce qui est là de mon fait sans être mien, de ce qui ne fait que figurer les limites de ma propre sensibilité (« no feeling for harmony ») mais face à quoi je ne connais d’autre réaction que la révolte, puisqu’il se présente à moi sous l’aspect de l’extériorité. Ce présent anachronique que définit son hétérogénéité irréductible reste pensable en des termes proches de ceux qu’emploie Adorno, puisque le geste compositionnel dont il trouve des exemples chez Schoenberg ou son disciple Alban Berg présuppose et entretient un écart de soi à soi incompatible avec l’harmonieuse homogénéité de ce qui est tout entier d’un seul temps : « Les impulsions de l’œuvre, qui vivent dans ses atomes musicaux, s’insurgent contre l’œuvre qu’elles produisent. Elles ne tolèrent pas de résultat » (Philosophie 43). Pourtant, la différence est considérable, puisque Cage revendique le territoire qu’Adorno abandonne, celui, non de la nouveauté propre à la « nouvelle musique » (qui ne le reste jamais longtemps), mais d’un contemporain pensé comme ce qui introduit au sein de l’actualité la discorde, la dissonance et l’écart grâce auxquels nous y reconnaissons notre temps :

La contemporanéité est […] une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances ; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme. Ceux qui coïncident trop pleinement avec l’époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n’arrivent pas à la voir. (Agamben 11)

9Ainsi employé, le verbe « voir » revêt une signification bien différente de celle qu’on lui prête d’ordinaire, puisqu’il désigne une vision à la limite, un regard tourné non vers la lumière, mais vers l’obscur — lequel, à son tour, ne doit pas être compris comme la négation du visible mais au contraire comme l’une de ses modalités, peut-être même la première et la plus importante. Le contemporain me montre ce qui est là, devant moi, avec plus de clarté qu’à l’accoutumée, car il me procure le recul minimal sans lequel je ne pourrais m’apercevoir que tout cela a lieu dans un temps qui est aussi le mien : ce présent, il l’expose à mes regards au sens où un objet est exposé dans un musée, c’est-à-dire désigné à mon attention comme ce qui peut-être me concerne à un titre ou à un autre, qu’il m’appartient de reconnaître. Or ce qui est exposé se trouve du même coup mis à distance, offert à mon regard qu’il sollicite et appelle sans garantie de succès — à moins que ce ne soit l’œil qui en l’occurrence attende la vision annoncée, sans être jamais pleinement satisfait puisque cette attente renvoie à un horizon inaccessible plutôt qu’à un moment dont on peut espérer la venue, si éloigné soit-il. Autrement dit, rien n’est en l’occurrence vu que sur fond de ténèbres, si tant est que ce mot désigne ce que perçoit la rétine quand elle est en attente d’une lumière qui tarde à lui parvenir (Agamben 20-21) ; et ce percevoir est déjà un voir, puisque les ténèbres ne sont pas une privation de lumière, le gouffre béant qui sépare quelque chose et rien, mais l’indice de la relation positive que l’œil entretient avec la lumière qu’il tarde à recueillir :

Ce que nous percevons comme l’obscurité du ciel, c’est cette lumière qui voyage vers nous à toute allure, mais qui malgré cela ne peut nous parvenir, parce que les galaxies dont elle provient s’éloignent à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Percevoir dans l’obscurité du présent cette lumière qui cherche à nous rejoindre et ne le peut pas, c’est cela, être contemporains. (24)

10Ainsi définie par Agamben, la relation de contemporanéité est l’exact envers de l’aura au sens où l’entend Benjamin dans « L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », non pas « l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il » (74), mais au contraire le négatif inaperçu de tout ce qui est susceptible d’apparaître, la part d’infinie distance que toute proximité suppose, l’écart irréductible auquel reconduit immanquablement la plus étroite intimité. De même, l’image cosmologique des galaxies invisibles s’oppose à celle de la constellation qui, « saturée de tensions », « se présente » à l’historien matérialiste sous une forme où il « reconnaît le signe d’un blocage messianique des événements », comme l’écrit Benjamin dans « Sur le concept d’histoire » (441) : condition de toute reconnaissance, la galaxie d’Agamben ne peut elle-même être reconnue comme telle, tout simplement parce qu’elle échoue à se « présenter » sous quelque forme que ce soit. Le contemporain ne se manifeste donc ni comme le lieu d’une survivance où perdure une esthétique surannée de la présence auratique, ni comme « le signe d’une chance révolutionnaire » (441), ce qui lui permet d’échapper à l’aporie fatale où le raisonnement d’Adorno enferme toute musique véritablement nouvelle, ipso facto condamnée à demeurer « inentendue ». C’est qu’en vérité le contemporain se soustrait comme tel à la diachronie, et donc aux formes usuelles du récit historique ; mais il n’est pas pour autant étranger à la temporalité, puisqu’il illustre donc particulièrement bien le « concept d’un présent qui n’est point passage, mais arrêt et blocage du temps », auquel, selon Benjamin, l’historien digne de ce nom ne saurait renoncer (440). À vrai dire, l’analyse qu’Agamben propose de la relation de contemporanéité remet d’autant moins en cause la logique du raisonnement benjaminien qu’elle se contente de l’appliquer à un cas particulier auquel, semble-t-il, Benjamin n’avait pas songé, celui où l’historien enquête sur un moment qui ne se contente pas de ressembler au « présent dans lequel, pour sa part, il écrit l’histoire » (440), mais fait corps avec ce présent jusqu’à ne plus s’en distinguer. Le résultat n’en est pas moins paradoxal, puisque seul entre tous, ce moment, trop proche pour ne pas être infiniment lointain, échappe du même coup à toute entreprise de rédemption. « À nous, comme à chaque génération précédente, fut accordée une faible force messianique sur laquelle le passé fait valoir une prétention. […] [C]’est une image irrécupérable du passé qui risque de s’évanouir avec chaque présent qui ne s’est pas reconnu visé par elle » (429-430). Que dire alors de l’image de mon propre présent, s’il est vrai que me reconnaître visé par ce qui m’est ainsi montré, c’est pressentir du même coup que je n’y verrai jamais que ténèbres ? À cette question, l’on pourrait tenter de répondre en s’inspirant de la formule qu’Adorno glisse dans sa lettre à Benjamin du 5 juin 1935 : « Le passé le plus récent se présente toujours comme s’il avait été anéanti par des catastrophes » (Adorno et Benjamin 107). Le contemporain, dès lors, n’est autre que la catastrophe même, le lieu paradoxal d’un effondrement sans retour par où le présent, exposé à l’appréhension immédiate, s’abîme dans l’imprésentable et échappe à tous les regards, y compris celui, effaré, de l’Ange du Nouveau. Il ne s’ensuit pas que de ce qui m’échappe ainsi une fois pour toutes, je sois autorisé à me désintéresser, comme si cet imprésentable n’était pour moi que néant. Au contraire : la distance dont je fais ainsi l’expérience est encore une modalité de la proximité, à l’origine d’une relation de disjonction qui, pour être paradoxale, n’en est pas moins affirmée. M’apprendre ce qu’il en est du lien avec ce qui échappe à toute saisie, laisser deviner entre moi et ce qui m’est le plus intime l’éclat obscur d’une catastrophe irréparable et montrer qu’il n’y a de vision que permise par l’aveuglement qui en résulte, telle serait même, par delà toute velléité de rédemption esthétique, la tâche de l’art contemporain.

11De tous les compositeurs américains d’aujourd’hui, John Adams (né en 1947) est sans doute l’un de ceux qui explorent le plus assidûment cette problématique complexe. Ses opéras les plus marquants, Nixon in China (1987), The Death of Klinghoffer (1991) et Doctor Atomic (2005), ont pour sujet des événements récents (la visite du président Nixon à Pékin en février 1972, prélude au rétablissement des relations sino-américaines ; la prise d’otages survenue en octobre 1985 à bord du paquebot italien Achille Lauro sur fond de conflit israélo-palestinien ; le premier essai nucléaire de l’histoire, mené à Los Alamos en juillet 1945 sous la responsabilité du physicien Robert Oppenheimer). Quant à sa cantate On The Transmigration of Souls (2002), « espace mémoriel » (« memory space » [Schiff 191]) pour chœur, bande magnétique et orchestre, elle fut composée en hommage aux morts du World Trade Center dans l’année qui suivit les attentats du 11 septembre. L’intérêt que porte Adams à l’actualité résulte du choix décisif qu’il s’est senti contraint de faire à la fin des années 1960 entre l’héritage philosophique d’Adorno, associé, dans le droit fil de la Philosophie de la nouvelle musique, à une certaine lecture des œuvres de Schoenberg, et celui de John Cage, alors particulièrement influent sur la Côte Ouest :

[W]hen I got to Harvard, I saw a different image of what it meant to be a composer […]. The paradigm was no longer […] one of effortless creativity. It was rather the opposite, one in which composing music was presented as a series of problems to be solved, somewhat like mathematics. […] [T]here was no escaping the subliminal feeling […] that the glory days of music composition were long gone […]. (« John Adams Reflects on His Career », May 7)

« L’artiste n’est pas un créateur, » écrit de même Adorno, en des termes dont Adams paraît ici se souvenir :

L’époque et la société le restreignent non du dehors, mais dans l’exigence sévère d’exactitude, que ses œuvres formulent à son égard. Le stade de la technique se révèle à lui comme problème dans chaque mesure qu’il ose penser ; avec chaque mesure, la technique comme totalité demande à l’artiste qu’il lui rende justice et donne la seule réponse juste qu’elle admet au moment considéré. Les compositions ne sont rien que de telles réponses, rien que des solutions à des rébus techniques (Philosophie 47-48).

12À cette conception diachronique du travail d’écriture, qui d’emblée inscrit dans l’histoire chaque œuvre véritablement nouvelle puisqu’elle incite à y voir la résolution de problèmes auxquels il sera dorénavant inutile de s’intéresser de nouveau, Adams oppose ce qu’il appelle le « paradigme cagien », associé à une approche particulière du son — « let[ting] the “sounds be themselves” » (« John Adams Reflects on His Career », May 13) — et à la recherche de protocoles de composition ouverts à l’aléatoire, mais avant tout propice, selon lui, à l’acceptation joyeuse de l’hétérogène :

I loved the New Age humanism of Cage’s writings and his work: the idea that everybody could do art; that art wasn’t a stilted, ceremonial activity where people came out on the stage in white ties and tails to perform music by long-dead composers. Rather, Cage seemed to be advocating a much more communal, almost tribal creative process. (12)

13Par une quasi antonomase, le nom de Cage, tel qu’il est employé ici, désigne moins un compositeur ou un penseur de la musique qu’une articulation du multiple et de la multiplicité démocratique dans le présent de l’expérience esthétique, donné d’emblée comme anachronique puisqu’il est susceptible d’inclure sans distinction toute la musique du passé — « Beethoven quartets, Schumann piano music, The Rite of Spring » (12) — y compris donc les œuvres de Stravinsky, en qui Adorno dénonce un compositeur de la « restauration », incapable de renoncer au « songe » désuet de l’« authenticité » (Philosophie 146). Rien d’étonnant dans ces conditions à ce que les opéras de John Adams aient d’emblée ménagé les conditions d’un retour réflexif sur un temps présent appréhendé dans son épaisseur grâce à l’usage concerté du décalage et de la défamiliarisation : « the Nixons, Dr. Kissinger, and Madame Mao […] could all have attended the Houston premiere of the opera [Nixon in China] in October 1987 », notait ainsi le critique Andrew Porter (Steinberg 110), à ceci près que Chiang Ch’ing n’était plus alors, comme en 1972, la puissante épouse du président chinois mais une détenue coupable d’avoir fomenté les crimes de la Révolution Culturelle, et que l’Amérique de 1987 ne voyait plus en Nixon l’artisan adroit d’un rapprochement avec la Chine communiste, mais l’instigateur du Watergate.

14Cela dit, avant que ne prenne forme ce théâtre de l’anachronisme, c’est d’abord l’attention portée par Adams à la poésie qui, dès le début des années 1980, traduit sa volonté de faire place dans son œuvre à l’expérience d’un temps à la recherche de lui-même, ouvert à l’exploration et à l’épreuve de la distance irréductible entre soi et soi. (Du reste, on pourrait hasarder l’hypothèse que l’opéra est d’abord voué, dans l’esprit du compositeur, au dialogue entre musique et poésie, et que la dimension scénique du théâtre lyrique n’est pas prioritaire à ses yeux : « [I was asked] whether I’d like to write a libretto in rhymed couplets », se souvient Alice Goodman, la librettiste de Nixon in China, comme si la prosodie avait primé, à ce stade de la genèse, sur les considérations dramaturgiques [Christiansen 251]). La poésie, pour Adams, c’est d’abord le souvenir d’une voix, celle de Robert Frost, dont sa sœur lui faisait entendre les enregistrements alors qu’il était enfant : « Frost was already an old man with a gravel voice when he recorded those poems, and he’d probably recited them so many times he was sick of them […]. But I was enchanted by the mysterious person behind that voice » (May 16). La voix de Frost, autrement dit celle d’un acteur du temps présent, mêlé à la vie de la cité puisqu’il fut convié à réciter un poème lors de l’investiture du président Kennedy en janvier 1961, lorsque John Adams s’apprêtait à fêter ses quatorze ans (16) — mais aussi, d’emblée, celle d’un vieillard contraint de se remémorer non sans lassitude les œuvres d’autrefois qui ont fait de lui un auteur en vue : exposé aux feux de l’actualité, le poète ne peut éluder la confrontation avec des textes où il a sans doute cessé de se reconnaître même s’il fait toujours corps avec eux dans l’esprit du public. Qui plus est, Adams se réfère ici à une expérience de la poésie permise par le truchement du disque, c’est-à-dire d’une technologie du décalage et de l’écart : capable de prolonger la résonance d’une parole en un lieu et un temps très éloignés de l’énonciateur, l’enregistrement phonographique révèle à quel point toute voix, et non seulement celle du poète, s’expose au Dehors où s’abolit toute intimité. Certes, le timbre rocailleux de Frost expose, voire exhibe les traits marquants d’une personnalité, en l’occurrence perçue comme ensorcelante et mystérieuse car revêtue, dans sa proximité même, des alléchants attributs de la distance : écouter Frost réciter ses poèmes, c’est se laisser charmer par cette voix si pleine d’elle-même, admirer à tort ou à raison la manière dont l’auteur se contemple au miroir de sa propre lecture, et pourquoi pas se laisser séduire par le spectacle du narcissisme d’autrui. Cela dit, l’enregistrement n’en signale pas moins que parler, c’est d’abord, et par delà toute satisfaction de ce type, s’abandonner à sa propre parole, renoncer à la maîtrise absolue de ce qui est dit, et donc s’exposer au risque de la finitude, de la vieillesse et de la mort. La voix poétique livre ainsi les clefs de la violence catastrophique dont le contemporain est l’agent — violence subie non moins directement par le président Kennedy, lecteur et hôte de Frost assassiné à Dallas en 1963 ; et du reste peut-être faut-il faire l’hypothèse que de cette violence imprésentable, le parcours cahotant de Nixon, lui aussi président, dans la Chine de Mao, ne désigne jamais que l’envers tragi-comique, le négatif faussement rassurant. Écouter ainsi la poésie, c’est bien sûr se transporter déjà à l’Opéra sans le secours de la musique et de la scène, puisque la logique ainsi décrite rappelle en tous points celle qui, pour Stanley Cavell, préside au chant lyrique : « the signature—and surely the operatic voice is the grandest realization of having a signature […]—[is] the sign of abandonment to your words, hence of your mortal immortality […]. Opera may be said to absolutize this condition » (A Pitch of Philosophy 144). C’est aussi s’apercevoir en musicien que si le poème révèle l’anachronisme du présent à la manière d’un enregistrement discographique, peut-être doit-on y voir le signe que toute poésie, à quelque époque qu’elle ait été écrite, trouve sa temporalité propre dans un présent anachronique et qu’elle y transporte son lecteur. « I don’t know what’s happened to poetry in our own time », note Adams (16) — bonne raison de se demander si le poème peut être de notre temps, si sa fonction première n’est pas, dans ce temps que nous disons nôtre, de pratiquer la brèche par où l’intime communique avec l’inconnu.

15Dans ces conditions, on ne saurait s’étonner que Harmonium (1981), la toute première composition d’Adams où intervient la voix chantée, ne soit pas un opéra, mais une cantate pour chœur et orchestre dont le texte est emprunté à des poètes célèbres. Pour les mêmes raisons, l’on n’est guère surpris d’apprendre que le mouvement central de ce quasi-concerto se trouve mettre en musique un illustre poème d’Emily Dickinson, « Because I Could Not Stop for Death ». Récit de la « catastrophe irrémédiable » qui, selon Christine Savinel, sous-tend l’écriture dickinsonienne (71) — d’un désastre qui, pour citer Maurice Blanchot, « ruine tout en laissant tout en l’état » et, sans porter atteinte à la possibilité du sujet que « je » suis, « menace en moi ce qui est hors de moi » (7) — ce texte propose une expérience radicale du décalage et de la dépossession : dédoublement de la narratrice assise à côté de sa propre mort, alter ego masculin tout de familiarité distante, dont les prévenances ne font que souligner la suave étrangeté ; décalage temporel, puisque le cours de la vie ordinaire, « the school where children played », est appréhendé du dehors, du sein de la « menace » insituable qui pèse sur lui (Blanchot 7), depuis un temps à la fois autre et paradoxal où le péril, présenté comme encore à venir, est toujours déjà passé (la mort, chez Dickinson, ne peut venir puisqu’elle est là d’emblée, sous la forme d’un arrêt : « He kindly stopped for me » — « le désastre », à distinguer du simple décès, « [est] ce qui ne vient pas, ce qui a arrêté toute venue » [Blanchot 7]).

16Ce poème, la musique d’Adams en expose les moindres nuances : la mélodie chantée par le chœur se présente d’abord comme un adjuvant rhétorique de la récitation ; guidée par la prosodie du texte, elle révèle et démultiplie ses possibilités immanentes, dans un souci constant d’expressivité. Pourtant, quoique le chant se mette ici au service de la déclamation, c’est au prix d’un écart d’un autre type, à l’origine d’un déphasage qui, non moins radical, n’est plus poétique, mais proprement musical.

17Le récit dickinsonien explore les modalités de l’anachronisme, du voisinage et de la non-coïncidence des temps, figurés par la métaphore spatiale du paysage où le terrain de jeux, les champs mûrs pour la moisson et le soleil couchant apparaissent tout proches, comme prêts à être embrassés d’un seul regard. De cette manière, il attire l’attention sur l’altérité à l’œuvre au cœur de la parole : les « pauses » qui ponctuent l’itinéraire inachevé de la narratrice figurent le rythme inégal de l’iambe, autrement dit la pulsation du mètre, indice que le discours n’est jamais d’un seul tenant puisqu’il n’existe que par la différence et la succession des phonèmes. Or le travail du compositeur, fidèle en cela à l’exemple cagien, porte non sur le discours musical, mais sur le donné immédiat du son ; la musique n’a pas ici pour fonction première l’articulation des différences, mais le dépli de la vibration. Perçue non comme un phénomène diachronique mais comme une pure qualité qui ne peut se manifester sans se donner aussitôt à percevoir tout entière, la note n’a pas à être articulée : elle n’appartient ni à l’avant ni à l’après, mais expose sans recourir à une quelconque médiation ce qu’il en est d’un présent à la fois singulier et hétérogène, où surviennent dans une quasi-simultanéité les multiples événements vibratoires dont se compose la pulsation sonore. Le temps musical n’est jamais que le déploiement dans la durée de ce qui s’impose ainsi d’emblée ; il enchaîne moins plusieurs moments qu’il ne prolonge ou n’étire l’instant anachronique où, par exemple, l’oreille saisit ensemble les quatre cent quarante vibrations par seconde dont la succession produit le la du diapason moderne. C’est en tout cas ce que suggère John Adams lorsqu’il décrit l’idée initiale qui a présidé à la composition de Harmonium : « [the work] began with a simple, totally formed mental image : that of a single tone coming out of a vast, empty space and, by means of a gentle unfolding, evolving into a rich, pulsating fabric of sound » (livret). Autant dire que la musique, tout entière consacrée à la genèse du son, récuse la temporalité poétique qu’elle prétend pourtant servir : le présent musical est anachronique, comme celui du poème, mais en un autre sens bien différent, puisque la musique prolonge la résonance de ce qui est exposé d’emblée dans sa totalité là où le texte poétique installe son lecteur dans l’imminence d’une perte à la fois à venir et toujours déjà consommée. Entre musique et poème, ainsi conçus, nulle complémentarité possible ; au contraire : la partition d’Adams n’« adhère » au texte de Dickinson que dans le « déphasage », et la minutie même avec laquelle le chant du chœur s’attache à épouser les inflexions du poème ne fait sentir que plus clairement l’impossibilité de toute rencontre entre une poésie de la ruine et une musique qui, ainsi pensée, ruine d’avance toute poésie, ce qui en l’occurrence ne l’empêche pas de « laisser » le texte « en l’état ». Le texte de Dickinson fournit une image allégorique de cette proximité problématique : la musique est au poème ce que la mort est à l’énonciatrice, l’ouverture à un dehors du déroulement narratif, à une durée sans diachronie et à un voisinage sans intimité. Ainsi, le poème révèle ce qu’il en est du temps immobilisé propre à la partition d’Adams, qui n’apparaît plus comme un exemple de musique contemporaine, mais comme le contemporain fait musique, alliance paradoxale de présence et de vide (« a single tone coming out of a vast, empty space »), acheminement vers l’écoute d’une vibration qui n’en finit pas de nous arriver, comme si elle « cherch[ait] à nous rejoindre » sans y parvenir tout à fait, exposition au risque inhérent à la distance qui nous sépare de notre présent immédiat, c’est-à-dire de ce qui, à force de récuser toute médiation, pourrait bien nous demeurer à tout jamais inaccessible.

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Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Duplay, « « A Single Tone Coming Out Of A Vast, Empty Space » : John Adams, le contemporain au risque de l’anachronisme »Sillages critiques [En ligne], 17 | 2014, mis en ligne le 15 décembre 2013, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/3769 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sillagescritiques.3769

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Auteur

Mathieu Duplay

Mathieu Duplay est professeur de littérature américaine à l'Université Paris- Diderot-Paris 7, dont il dirige l'UFR d'Etudes Anglophones. Ses recherches actuelles portent sur les relations entre musique, écriture et expression scénique chez les compositeurs américains contemporains, de John Cage à John Adams. Mathieu Duplay est également l'auteur de nombreux travaux sur les rapports entre philosophie et littérature dans le domaine nord-américain (Etats-Unis, Canada anglophone).
Mathieu Duplay is Professor of American Literature at the Université Paris Diderot-Paris 7; he is also head of the English Department. His current research focuses on the relationship between music, literary writing, and theatrical expression in the works of contemporary American composers from John Cage to John Adams. Mathieu Duplay has written extensively on the dialogue between philosophy and literature in the North American tradition, including both the United States and Anglophone Canada.

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