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Histoire de la réception et histoire du livre

History of Reception and History of the Book
Roger Chartier

Résumés

Cet article s’ouvre avec un examen critique des notions de « réception » et d’« histoire du livre ». Il rappelle la pertinence des notions d’« horizon d’attente » et de « communauté d’interprétation » proposées par Jauss et Fish, mais souligne aussi leurs limites, puisque ces approches considèrent les textes dans leurs seules dimensions linguistique et tendent à effacer les déterminations sociale de la lecture. L’analyse souligne ensuite l’importance des mutations de l’histoire du livre, avec l’avénement de l’histoire de la culture graphique avec Petrucci et de la sociologie des textes avec McKenzie. Dans les deux cas, la matérialité même des textes, leurs formes d’inscription et de publication, sont tenues comme essentielles dans le processus de leur réception. Pour le montrer, l’article développe deux études de cas, toutes deux consacrées à l’Angleterre des XVIIe et XVIIIe siècles et qui associent étroitement matérialité des textes et significations des œuvres : d’abord, les différentes modalités de la circulation des pièces et poèmes de Shakespeare (dans les formats in-quartos ou in-folios, dans des recueils les reliant avec d’autres œuvres et d’autres auteurs, dans les anthologies de lieux communs ou comme citations dans les « Beauties » shakespeariennes du XVIIIe siècle), ensuite, les multiples formes d’appropriation de Don Quichotte en Angleterre : traductions, adaptations théâtrales, éditions abrégées. La conclusion de l’article récapitule les indices textuels ou les éléments « non verbaux » qui proposent ou imposent attentes, interprétations et réceptions des œuvres. 

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Texte intégral

1L’histoire du livre permet-elle de repenser une histoire de la réception ? Pour répondre à cette question, il nous faut commencer par l’examen de ces deux notions. « Histoire de la réception » est entré dans le lexique de la critique textuelle et de l’histoire culturelle avec la théorie ou la poétique de la réception proposée par Hans Robert Jauss dans un article fondamental publié en 1970. Au sein de la critique littéraire des années soixante et soixante-dix du XXe siècle le dilemme était le suivant : comment libérer les lecteurs de la soumission obligée à la machinerie linguistique du texte sans pour autant basculer dans un inventaire infini, disparate, subjectif de la diversité des lectures ?

2Dans la perspective de l’esthétique de la réception, c’est le concept d’« horizon d’attente » qui doit permettre de surmonter la difficulté. Pour Jauss (1970 ; 1978), la notion désigne les catégories esthétiques partagées auxquelles les œuvres généralement se conforment mais que les plus provocantes d’entre elles (par exemple Don Quichotte ou Madame Bovary) transforment profondément :

[L]’analyse de l’expérience littéraire du lecteur échappera au psychologisme dont elle est menacée, si, pour décrire la réception de l’œuvre et l’effet produit par celle-ci, elle reconstitue l’horizon d’attente de son premier public, c’est-à-dire le système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs principaux : l’expérience préalable que le public a du genre dont elle relève, la forme et la thématique d’œuvres antérieures dont elle présuppose la connaissance, et l’opposition entre langage poétique et langage pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne. (Jauss 1978, 49)

3La reconstitution des « horizons d’attente » des lecteurs doit ainsi rompre avec l’évidence d’un « sens objectif, une fois pour toutes arrêté, immédiatement accessible en tout temps à l’interprète » (Jauss 1978, 58).

  • 1 Fish 1982, 11.

4Confronté au même défi (comment construire la capacité inventive de la réception sans tomber dans l’arbitraire des significations, aussi nombreuses et variés que les lecteurs ?), Stanley Fish a proposé en 1982, dans son livre Is There a Text in This Class ?, la notion d’« interpretive communities ». Destinée à éviter tant l’absolue tyrannie du texte que le radical solipsisme de la lecture, la notion désigne les catégories interprétatives qui, pour n’être pas universellement partagées, ne sont pas non plus irréductiblement propres à chaque lecteur. Par exemple, pour Stanley Fish, « l’acte qui fait reconnaître la littérature n’est pas contraint par quelque chose dans le texte, et il ne résulte pas non plus d’une volonté indépendante et arbitraire, il procède d’une décision collective concernant ce qui doit être considéré comme littérature, une décision qui ne vaut que tant qu’une communauté de lecteurs continue de l’accepter »1. La notion de « communautés d’interprétation » doit ainsi permettre d’annuler la distance entre les textes et les lecteurs, entre l’évidence du sens et les expériences de lecture. Stanley Fish écrit : « Une communauté d’interprétation n’est pas objective parce que en tant qu’elle est définie par un ensemble d’intérêts, de propos et buts particuliers, sa perspective est engagée et non pas neutre, mais pour la même raison, les significations et les textes produits par une communauté d’interprétation ne sont pas subjectifs parce qu’ils ne résultent pas d’un individu isolé mais de la perspective d’un public partageant les mêmes conventions » (Fish 1982, 14). Pour lui, les stratégies d’interprétation qui définissent les différentes communautés de lecteurs sont, tout à la fois, décisives pour la construction du sens de ce qui est lu et antérieures à l’acte de lecture lui-même car elles impliquent les normes et valeurs qui gouvernent, pour chacune de ces communautés, leur relation à la littérature.

5On pourrait ranger aux côtés des notions proposées par Jauss et Fish la manière dont Barthes dans « La mort de l’auteur », un essai d’abord publié en anglais dans le Aspen Magazine en 1967, définit la position de lecture comme le lieu où se construit un sens qui échappe au contrôle et la volonté de l’auteur : 

[U]n texte est fait d’écritures multiples, issues de plusieurs cultures et qui entrent les unes avec les autres en dialogue, en parodie, en contestation ; mais il y a un lieu où cette multiplicité se rassemble, et ce lieu, ce n’est pas l’auteur, comme on l’a dit jusqu’à présent, c’est le lecteur : le lecteur est l’espace même où s’inscrivent, sans qu’aucune ne se perde, toutes les citations dont est faite une écriture ; l’unité du texte n’est pas dans son origine mais dans sa destination.
D’où la conclusion sans appel : « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur. » (Barthes 1984, 66)

6Ces perspectives ont eu le mérite d’« extraire » » la lecture du texte, de lui assigner un rôle essentiel dans la construction du sens et de l’inscrire dans des conventions collectivement partagées. Leurs limites, toutefois, étaient doubles. D’une part, elles considéraient les textes dans leur seul contenu linguistique ou sémantique, sans accorder aucune attention à leur matérialité même. D’autre part, de diverses façons, elles effaçaient les déterminations sociales et historiques de l’acte de lecture mis au cœur du processus de construction du sens. Barthes le fait en affirmant que « la destination [des textes] ne peut plus être personnelle : le lecteur est un homme sans histoire, sans biographie, sans psychologie ; il est seulement ce quelqu’un qui tient rassemblé dans un même champ toutes les traces dont est constitué l’écrit » (Barthes 1984, 69), Jauss le fait en supposant l’universalité, en un moment donné, « d’une expérience esthétique intersubjective préalable qui fonde toute compréhension individuelle d’un texte et l’effet qu’il produit » (Jauss 1978, 51) et Fish en réduisant la définition des communautés de lecteurs à leurs seuls principes herméneutiques : « les communautés d’interprétation sont constituées par tous ceux qui partagent les mêmes stratégies d’interprétation » (Fish 1982, 56). Pour dépasser ces limites, il faut tenir le monde des textes comme un monde d’objets et de « performances » et le monde des lecteurs comme celui des communautés auxquelles ils appartiennent et que définissent un même ensemble de compétences, de pratiques et d’usages de l’écrit.

7De là, la rencontre avec l’« histoire du livre ». Dans la tradition française, qui sera ensuite exportée, un ouvrage a fondé la discipline : celui publié en 1958 par Lucien Febvre (alors décédé) et Henri-Jean Martin : L’Apparition du livre. Cette fondation n’allait pas sans paradoxe comme le constata cinquante ans plus tard Henri-Jean Martin « On peut contester le titre d’Apparition du livre, dont la formule a le tort d’occulter l’existence d’une longue tradition du livre manuscrit avant l’invention de l’imprimerie ». (Febvre et Martin 1999, 67)

8C’est bien une telle « occultation » que produisent les formules tranchantes de Lucien Febvre : « Le Livre, ce nouveau venu au sein des sociétés occidentales ; le Livre qui a commencé sa carrière au milieu du XVe siècle » (1999, 12). Pour Febvre, le livre est le livre imprimé, et c’est avec Gutenberg qu’il apparaît. L’objet de l’ouvrage est donc d’« étudier l’action culturelle et l’influence du livre pendant les trois cents premières années de son existence » (Febvre 1999, 11). De là, l’accent mis sur le lien entre le livre imprimé et les pensées nouvelles ; de là, la désignation du livre comme « ferment ». L’élève de l’École des Chartes qu’était alors Henri-Jean Martin ne pouvait qu’être troublé par l’idée que le livre naissait avec l’imprimerie. La réticence se traduisit de deux manières. D’une part, le livre s’ouvre avec une « Introduction » rédigée par Marcel Thomas, conservateur au Cabinet des manuscrits à la Bibliothèque Nationale dont les premières lignes sont : « En tête de cet ouvrage consacré à l’apparition et au développement du livre imprimé [sic], il a semblé nécessaire de rappeler brièvement ce que fut dans le monde occidental le livre manuscrit qui, durant des siècles, fut l’unique instrument de diffusion de la pensée écrite » (Febvre 1999, 17). D’autre part, Henri-Jean Martin insiste sur le rôle conservateur de l’imprimé, en particulier en ce qui concerne la diffusion des savoirs aux XVe et XVIe siècles et la reproduction des genres anciens : les corpus juridiques, les chroniques historiques, les romans de chevalerie. La novation est ainsi déplacée par Henri-Jean Martin des répertoires textuels, massivement fidèles à la tradition, à la présentation matérielle du livre. En effet, c’est durant le premier siècle de son existence que le livre imprimé « s’écarta peu à peu de son modèle initial, le manuscrit, pour acquérir ses caractéristiques propres » (Febvre 1999, 113), à savoir, l’emploi des caractères romains et italiques, la présence de la page de titre, l’indication de la pagination, l’usage de formats portatifs ou l’introduction de gravures sur cuivre. En un certain sens, écrit avec et pour Lucien Febvre, L’Apparition du livre l’est aussi contre lui. Henri-Jean Martin s’efforce d’y montrer qu’il y a eu des livres avant Gutenberg et que la nouvelle technique a produit, tout à la fois, des innovations formelles et des continuités textuelles.

9Aujourd’hui, l’histoire du livre n’est plus ce qu’elle était. Elle a été doublement transformée. D’abord en devenant, grâce au travail d’Armando Petrucci, une « histoire globale de la culture graphique » (2019). « Histoire globale » définit un projet dont l’objet est les liens étroits, multiples, inégaux, qui situent les pratiques et les productions écrites d’une société au sein des rapports de domination, des processus de communication et d’administration, et des conditions d’existence qui la caractérisent. « Culture graphique » désigne la totalité des supports de l’écrit, non seulement les textes manuscrits et imprimés, mais aussi les écrits gravés sur la pierre, inscrits sur le métal des médailles et des monnaies, brodés sur les tissus ou peints sur les tableaux ou sur les murs.

10Dans cette perspective, qui privilégie l’analyse paléographique et typologique des témoignages écrits, l’étude de la réception des textes emprunte deux voies. La première consiste à recueillir les traces écrites laissées par les lecteurs dans les livres qu’ils ont lus. Comme le suggère Petrucci (Petrucci 1979), l’étude de ces annotations, longtemps réservée à des lecteurs qui étaient souvent écrivains eux-mêmes, peut aussi rencontrer des lecteurs moins illustres, comme le montrent les nombreux travaux consacrés aux « marginalia » (Sherman 2008). La seconde possibilité est donnée par l’analyse des dispositifs graphiques (types d’écriture, formats des objets écrits, distribution du texte sur les pages, structure même des livres) qui indiquent les lectures supposées ou espérées. Morphologie du livre et modèles de lecture sont ainsi étroitement liés, soit parce que de nouveaux modes de lecture sont rendus possibles, ou nécessaires, par un nouveau genre de livre, soit parce que de nouvelles attentes de lecture imposent une nouvelle typologie des productions écrites.

11La seconde mue de l’histoire du livre l’a transformée en une « sociologie des textes ». Dans un ouvrage devenu classique, Bibliography and the Sociology of Texts, D. F. McKenzie a souligné que les formes typographiques transmettent ou affectent la signification des textes (1986). Un texte est toujours porté par une matérialité spécifique : l’objet écrit où il est copié ou imprimé, la voix qui le lit, le récite ou le profère, la représentation qui le donne à voir et à entendre. Chacune de ces formes de « publication » organise la réception selon des dispositifs propres qui contraignent la production du sens. Ainsi, dans le cas de l’écrit imprimé, le format du livre, la mise en page, le découpage du texte, les conventions typographiques, la ponctuation se trouvent investis d’une « fonction expressive. » Produits par différentes intentions et interventions (celles de l’auteur, du libraire éditeur, du maître imprimeur, des compositeurs ou des correcteurs), ces dispositifs visent à qualifier le texte, à contraindre la réception, à contrôler la compréhension. Guidant l’inconscient du lecteur ou de l’auditeur, ils gouvernent, pour partie au moins, l’interprétation et l’appropriation de l’écrit. Contre toutes les définitions uniquement sémantiques des textes, totalement indifférentes à leur matérialité tenue pour insignifiante, D. F. McKenzie rappelle avec force que les sens donnés aux œuvres dépendent, aussi, de leurs formes graphiques et des modalités de leur inscription sur la page. Est ainsi fondée une sociologie des textes, entendue comme la discipline « qui étudie les textes en tant que formes conservées, ainsi que leurs processus de transmission, de la production à la réception » (McKenzie 1991, 53).

12La notion de « matérialité du texte » a été reprise et reformulée dans un article devenu classique, « The Materiality of the Shakesperean Text », publié en 1993 par Margreta De Grazia et Peter Stallybrass dans Shakespeare Quarterly. Leur critique visait, d’abord, les approches strictement formalistes, celles du « New Criticism » ou de la « Nouvelle critique », qui considèrent les textes comme des structures linguistiques dont le fonctionnement est tenu comme tout à fait indépendant des modalités matérielles d’inscription de l’écrit. Leur seconde cible était le « New Historicism » qui historicise les « transactions » ou « négociations » entre les discours ou pratiques du monde social et les œuvres littéraires, mais sans pour autant prendre en compte une historicité première : celle des formes de publication des textes eux-mêmes.

13Cette matérialité n’est pas seulement celle qui a retenu l’attention de la « New Bibliography », soucieuse d’une description formalisée des objets imprimés afin de reconstituer le processus de leur impression et désireuse de reconnaître, grâce à l’identification des habitudes, des préférences ou du matériel typographique des compositeurs qui ont composé les différents cahiers et pages du livre, les altérations qu’ils ont pu infliger à l’œuvre. La « matérialité du texte » s’attache aux modalités d’inscription qui « font le texte » – au moins pour les lecteurs de l’édition où elles se rencontrent. C’est en cela que, selon la formule de McKenzie, « forms effect meaning » (1986, 13).

14Je voudrais montrer la pertinence de l’histoire des livres ou des objets imprimés pour une histoire des réceptions à partir de deux « case studies » qui associent étroitement matérialité des textes et significations des œuvres et qui portent tous deux sur l’Angleterre des XVIIe et XVIIIe siècles.

15Le premier exemple est celui de la réception des poèmes et des pièces de Shakespeare. L’histoire de leurs éditions, donc de leur réception, est bien connue, scandée par les contrastes entre les éditions de chaque pièce ou poème, imprimées séparément dans les fragiles in-quartos dont les cahiers sont cousus et brochés, la monumentalisation du corpus dramatique dans le majestueux Folio de 1623 et ses trois rééditions, et au XVIIIe siècle, la canonisation de l’œuvre dans les imposantes éditions des Works of Shakespeare, distribuées entre plusieurs volumes (entre six et dix) et accompagnées d’abondants commentaires et notes critiques (Chartier 2021, 133-157).

16Cette histoire ne doit pas occulter deux autres formes de la réception des textes shakespeariens. La première est celle de la présence des œuvres imprimées en format in-quarto dans des recueils qui les associent à d’autres textes. Le geste, qui est un geste de collectionneur et de lecteur, et non de libraire éditeur, vise à préserver les fragiles « pamphlets » en en reliant plusieurs dans un même volume (Knight 2013, 54-84). C’est ainsi qu’en 1609, la bibliothèque de Sir John Harrington comprenait 135 pièces de théâtre rassemblées en onze volumes. Les dix-sept pièces shakespeariennes qu’il possédait s’y trouvaient dispersées entre huit de ces onze volumes et, même dans le premier volume qui en réunit cinq, ou sept si leur on ajoute The London Prodigal et la Tragedie of Locrine, attribuées sur leur page de titre à William Shakespeare ou à W.S. ; Shakespeare y est relié avec le King Leir anonyme de 1605, trois pièces de Ben Jonson, une de Chapman et une pièce anonyme. Tous les volumes de Harrington qui rassemblent des in-quartos dramatiques sont des miscellanées, qui ne donnent aucune importance particulière au nom d’auteur. Dans les listes énumérant les pièces contenues dans les onze volumes, seulement dix-neuf d’entre elles sont explicitement attribuées à un dramaturge. Le nom de Shakespeare est mentionné quatre fois, associé au Roi Lear et aux Joyeuses Épouses de Windsor, mais aussi à deux autres pièces qui ne demeureront pas dans le corpus shakespearien au XVIIIe siècle : A Yorkshire Tragedy (annoncée comme « Written by W. Shakspeare » dans son édition en 1608) et The Puritaine, or the Widow of Watling Street (imprimée avec les initiales W.S. en 1607).

  • 2 Voir Folger Shakespeare Library STC 4619.
  • 3 Folger Shakespeare Library STC 22335 Copy I.

17Relier un ou plusieurs in-quartos shakespeariens avec les œuvres d’autres auteurs est une pratique qui perdure au cours du XVIIe siècle. Soit deux exemples proposés par Jeffrey Todd Knight. Dans un volume datant de la décennie 1630, Henry IV, Première Partie et Richard III sont associés à treize autres pièces, toutes consacrées à la vie (et à la mort) de souverains ou d’hommes illustres (Knight 2013, 65-682). Dans un autre volume, deux « pamphlets » sont reliés ensemble: THE LATE And much admired Play, Pericles, Prince of Tyre. By William Shakespeare, et THE QUEENES ARCADIA. A Pastorall Trage-comedie de Samuel Daniel dont le nom n’apparaît pas sur la page de titre. Dans ce cas, c’est le genre tragi-comique et ses implications politiques qui ont pu rapprocher la pastorale de Daniel et la pièce de Shakespeare (Knight 2013, 75-77) 3.

  • 4 Huntington Library 59000-59002. Voir aussi trois autres recueils poétiques contenant Venus et Adoni (...)
  • 5 British Library C 39.a.37.

18Les poèmes shakespeariens sont eux aussi reliés avec les œuvres d’autres poètes, par exemple, dans un volume rassemblant Venus and Adonis, The Passionate Pilgrim et Epigrammes and Elegies by J.D. [John Davies] and C.M. [Christopher Marlowe] (Knight 2013, 73-75)4, ou dans un autre volume où le Rape of Lucrece est relié avec quatre poèmes d’inspiration ovidienne et des copies manuscrites de chansons d’amour et d’épigrammes érotiques (Knight 2013, 80-81) 5.

19On peut supposer que ces associations de Shakespeare avec d’autres auteurs ont été plus fréquentes que ne le laissent penser les collections des bibliothèques puisque souvent, aux XIXe et XXe siècles, les miscellanées ont été « déreliées », transformant ainsi en « livres » richement reliés contenant seulement une œuvre shakespearienne, les modestes « pamphlets » in-quarto qui devaient leur survie à leur coexistence avec des textes non-shakespeariens, mis ensemble par la volonté de leurs acheteurs. Ces proximités leur donnaient des significations originales, effacées lorsque les bibliothécaires les ont séparés de leurs voisins de reliure.

20À l’inverse de cette intertextualité matérialisée par une commune reliure, une seconde modalité de la réception des textes de Shakespeare est donnée par la dissémination de citations extraites de ses œuvres. Il ne s’agit plus de relier les œuvres de Shakespeare avec d’autres, mais d’extraire de chacune d’elles des « sententiae » qui sont autant de vérités universelles et de les distribuer entre les thèmes des recueils de lieux communs. Shakespeare est ainsi soumis à une modalité de lecture dont il était lui-même un praticien expert. Aux XVIe et XVIIe siècles, la technique des « lieux communs » commande, à la fois, les gestes des lecteurs et les stratégies des éditeurs (du moins, de certains d’entre eux). Les lecteurs doivent repérer dans les textes qu’ils lisent les sentences et exemples nécessaires pour nourrir la « copia verborum ac rerum » exigée de tout discours (Blair 2020, 123-125 ; 177-179). Après avoir indiqué dans la marge du livre lu la rubrique correspondant aux lignes ou vers retenus, le lecteur copie et redistribue ces extraits entre les rubriques de ses cahiers de lieux communs, composant ainsi un répertoire de citations mobilisables pour ses propres discours. Certains éditeurs ont mis à profit cette pratique dans leurs éditions, soit en publiant des anthologies imprimés de lieux communs (Moss 1996), soit en indiquant dans les pièces ou poèmes qu’ils faisaient imprimer les passages qui devaient être extraits, distingués typographiquement par la présence d’« inverted commas » au début du fragment à copier ou par son impression en italiques.

  • 6 Crawford 1910-11 et Crawford 1932. Voir aussi Erne and Singh, 2020 pour l’identification de nouvell (...)

21Traditionnellement vouée à puiser les citations dans les classiques grecs et latins ou les autorités chrétiennes, la technique s’empare dans l’Angleterre de 1600 des écrivains contemporains qui ont écrit et écrivent en langue vernaculaire. Deux anthologies ont joué un rôle fondamental dans la réception des œuvres de Shakespeare. En 1600, Shakespeare entre dans le répertoire des « lieux communs », sublimes parce qu’universels, avec des extraits de ses poèmes et de ses pièces, présents dans le recueil intitulé Bel-vedere OR THE GARDEN OF MUSES. Mais dans ce cas, si Shakespeare est bien nommé dans la liste des quarante-et-un poètes dont des vers sont cités, sa réception n’est pas « auctoriale » puisque les citations ne sont pas attribuées à leurs auteurs lorsqu’elles apparaissent dans l’ouvrage. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que Charles Crawford identifia et attribua les deux cent treize citations tirées de Shakespeare. Elles privilégient les deux poèmes, avec cent vingt-cinq citations (quatre-vingt-onze tirées du Viol de Lucrèce et trente-quatre de Vénus et Adonis), pour seulement quatre-vingt-huit extraites des pièces (Crawford 1932, t. 2, 489-518)6.

22La même année 1600, un autre recueil de lieux communs convoque également Shakespeare, mais dans ENGLANDS Parnassus OR The choysest Flowers of our Moderne Poets, les citations sont plus longues et sont attribuées à leur auteur (non sans erreurs d’ailleurs). Quatre-vingt-dix-sept sont attribués à Shakespeare avec également une préférence donnée aux poèmes (trente-neuf citations de Lucrèce, vingt-six de Vénus et Adonis) pour trente citations de cinq pièces dont treize de Roméo et Juliette. Le Shakespeare démembré des anthologies de lieux communs est donc, d’abord, Shakespeare le poète.

23Mais il est aussi un poète et dramaturge dont les œuvres énoncent de sublimes vérités qui doivent appartenir à tous. Même attribués, les lieux communs désignent les vers et les phrases dont chacun peut et doit s’emparer. Les compilateurs des anthologies, Anthony Munday ou Robert Allott, organisent thématiquement cette « appropriability », selon le mot de Margreta de Grazia (1991, 57-91). Les éditeurs de ses pièces (par exemple, les deux premiers in-quartos d’Hamlet en 1603 et 1604 ou le premier in-quarto de The Historie of Troylus and Cressida en 1609) la facilitent typographiquement, en plaçant en début de ligne les “inverted commas” qui signalent aux lecteurs les lieux communs (Lesser et Stallybrass 2008).

  • 7 Voir « James Whitehall’s Commonplace Book, 1605-1609 », « Edward Pudsey’s Commonplace Book, ca. 160 (...)

24Certains lecteurs, dès les commencements du XVIIe siècle, copient des citations de Shakespeare dans leurs cahiers de lieux communs : ainsi Edward Pudsey, qui extrait des sentences tirées de six pièces de Shakespeare, présent parmi une dizaine de dramaturges, ou James Whitehall, pasteur de Checkley et gradué d’Oxford, qui puise ses lieux communs dans trois pièces7. La réception de Shakespeare assurée par les recueils des lieux communs est donc ambiguë. Il fait partie du corpus des écrivains dont les vers sont dignes d’être copiés et cités. Mais, il n’est pas le seul, loin de là, à recevoir un tel statut et, de plus, les citations extraites de ses œuvres, attribuées ou non, sont destinées à être détachées du nom de leur auteur.

  • 8 « I have ventured to assume the task of placing his Ethic merits in a more conspicuous point of vie (...)

25Au XVIIIe siècle, une nouvelle modalité du démembrement s’empare des œuvres de Shakespeare. Reprenant la forme et le lexique des recueils de lieux communs, cette nouvelle modalité de réception a un propos tout à fait contraire. Il ne s’agit plus de repérer dans les textes shakespeariens les vérités universelles qui doivent appartenir à tous, mais d’y recueillir les « beautés » qui sont les témoignages de son inspiration unique et de son art incomparable. Pope avait ouvert la voie dans son édition de 1725 en indiquant par des guillemets inversés placées au début de certains vers ou de certaines scènes les « shining passages », les beaux endroits des œuvres. La première anthologie qui réunit les plus belles expressions de l’invention shakespearienne est celle publiée par William Dodd en 1752 sous le titre de The Beauties of Shakespear. Le vocabulaire du titre demeure celui des lieux communs (« digested », « proper heads »), mais le contenu du livre est tout différent puisqu’il est composé d’extraits de pièces qui montrent ce que seul Shakespeare pouvait écrire. En 1775, Elizabeth Griffith publie The Morality of Shakespeare’s Drama Illustrated8, qui rassemble les préceptes et enseignements moraux proposés par les œuvres. Au critère esthétique de Dodd était ainsi substitué le jugement moral, mais, dans les deux cas, l’anthologie rassemble ce qui est unique dans les pièces du grand écrivain. À la fin du siècle, en 1787, un Shakespeare philosophe est ajouté au moraliste et au poète avec l’ouvrage d’Andrew Beckett A Concordance to Shakespeare. Le compilateur y rassemble les citations de Shakespeare qui exprime les axiomes pratiques, la sagesse domestique et la prudence civile du dramaturge.

26Cette dernière forme de réception de Shakespeare, qui compile les citations attestant la singularité de son génie poétique, de son autorité morale ou de sa sagesse philosophique, ne peut pas être séparée d’un nouvel ordre du discours qui associe l’individualisation de l’écriture, l’originalité des œuvres et la propriété intellectuelle. Dans cette nouvelle économie de l’écriture, les citations deviennent tout comme les œuvres elles-mêmes la propriété imprescriptible de l’écrivain qui en fut l’auteur. Désormais, démembrer Shakespeare n’est plus, comme en 1600, effacer son génie propre dans des recueils qui rassemblent des citations de nombreux auteurs, mais puiser dans son œuvre tenue pour unique les beautés, les moralités et les pensées que seul il a pu imaginer, concevoir et exprimer.

27Le second exemple est la réception de Don Quichotte en Angleterre. Elle fut assurée, bien sûr, par la présence du livre et sa traduction (Randall et Boswell 2009, 1-18). Le livre de Cervantès fut connu en Angleterre l’année même de sa publication en Espagne. En avril 1605, une ambassade anglaise conduite par le comte de Nottingham, Lord Amiral d’Angleterre, fut envoyée à Philippe III pour ratifier le traité de paix signé à Londres l’année précédente. Nottingham et les gentilshommes anglais qui quittèrent Valladolid le 8 juin 1605 emportèrent peut-être avec eux des exemplaires de Don Quichotte, imprimé à Madrid à la fin de 1604 et largement diffusé avec cinq éditions publiées en 1605 : deux à Madrid, deux à Lisbonne, une à Valence. C’est cette même année qu’un exemplaire du livre entra à la Bodleian Library à Oxford, sans doute acheté par le libraire londonien John Bill, qui avait été envoyé en Espagne par Sir Thomas Bodley pour acquérir des ouvrages espagnols, mettant ainsi à profit une donation de 100 livres faite à cette fin par le comte de Southampton.

  • 9 Cité dans Randall et Boswell 2009, 5, 27.
  • 10 Cervantes 1605, Chap. XXXIII-XXXV.

28Un autre exemplaire fut surement introduit en Angleterre par Dudley Carlton qui est cité parmi les « gentlemen of condition » par la Relation de 1605. Dans une lettre adressée à son ami John Chamberlain en novembre 1605, il indique : « pendant que j’étais en Espagne j’ai accordé de l’attention aux livres parce que ceux de cette langue sont rares en Angleterre ». L’année suivante, dans une lettre du 11 mai 1606, il écrit au même John Chamberlain : « Je vous envoie le défi de Don Quichotte, qui est traduit dans toutes les langues et envoyé dans le monde entier »9. L’allusion demeure obscure, puisque nous ne savons pas de quel « défi » il s’agit et qu’en 1606 Don Quichotte n’avait encore été traduit dans aucune langue, mais la remarque hyperbolique s’inscrit dans le corpus des premières allusions à l’« histoire » écrite par Cervantès dans les œuvres théâtrales anglaises. La série en est bien connue. Certaines références sont sans ambiguïté. Ainsi, dans les deux pièces de Ben Jonson Epicœne, or the Silent Woman et The Alchemist, vraisemblablement composées en 1609 et 1610, qui associent explicitement Don Quichotte et Amadis de Gaule. Ainsi, l’utilisation de la Novela del curioso impertinente10 pour une intrigue secondaire dans la pièce de Middleton The Second Maiden Tragedy, écrite également en 1609-1610. D’autres allusions sont moins évidentes, comme, par exemple, l’expression « to fight with a Wind-mill » employée dans des pièces de Middleton et Wilkins datant de 1607 (même s’il semble que l’image n’existait pas avant Don Quichotte), ou la relation chronologique complexe et incertaine existant entre The Knight of the Burning Pestle de Beaumont et Don Quichotte. Il est donc certain que Don Quichotte, le livre et le personnage, était bien présent en Angleterre dès 1605.

29Leur présence fut renforcée par la traduction anglaise. Elle parut à Londres en 1612, établie par le catholique Thomas Shelton et publiée par Edward Blount, qui avait fait des traductions d’ouvrages modernes espagnols, italiens ou français la caractéristique spécifique de sa politique éditoriale. Cela ne l’empêcha pas de publier poètes et dramaturges anglais et d’être en 1623 l’un des quatre libraires londoniens éditeurs du Folio qui rassemblait trente-six pièces de Shakespeare et le seul dont le nom est mentionné à la dernière ligne de la page de titre, « Printed by Isaac Jaggard, and Ed. Blount » alors même qu’il n’était pas imprimeur.

30Toutefois, le cas de Don Quichotte en Angleterre manifeste clairement que l’étude de la réception d’une œuvre ne peut pas se limiter aux lectures du texte original ou de sa traduction. Comme en Espagne auparavant, comme en France un plus tard, le livre de Cervantès fut aussi reçu en changeant de genre. Au début de 1613, il donna la matière d’une pièce représentée deux fois à la cour, The History of Cardenio, attribuée quarante ans plus tard à Fletcher et Shakespeare par le libraire Humphrey Moseley, qui en obtient le « right in copy » mais ne la publia pas (Chartier 2011). La pièce fut perdue et devint un mythe qui hante jusqu’à aujourd’hui la critique littéraire, les fictions romanesques et les productions théâtrales. Il ne s’agit pas d’en dire l’histoire une nouvelle fois, mais de souligner qu’en Angleterre comme dans toute l’Europe une forme majeure de la réception de Don Quichotte fut ses adaptations théâtrales. La Première Partie a fourni leur intrigue, non seulement à la pièce perdue de Fletcher et Shakespeare, mais aussi à la tragi-comédie de Pichou, Les Folies de Cardenio, jouée à Paris en 1628, ou aux deux Don Quichotte de Guérin de Bouscal en 1639 et 1640. La troisième pièce cervantine de Guérin de Bouscal, Le Gouvernement de Sanche Pansa, représentée en 1640, commence la série des œuvres qui portent sur les scènes européennes des épisodes de la Seconde Partie sous la forme de spectacles de foire (par exemple, à Paris, les Foires Saint-Germain et Saint-Laurent), de comédies (à Paris, par Dufresny en 1694 et Dancourt en 1712), d’opéras (par exemple, les deux opéras composés par Antonio Caldara pour la cour de Vienne) ou de pièces pour les théâtres de marionnettes (comme la Vida do grande Don Quixote de la Mancha écrite en 1733 par Antônio José da Silva pour le théâtre du Bairro Alto à Lisbonne). Les adaptations théâtrales produisent de nouveaux textes de l’œuvre, tout comme le font ces autres « traductions » que sont les incarnations des personnages dans les fêtes carnavalesques, aristocratiques ou religieuses, et les illustrations introduites dans les éditions, et non seulement au frontispice (comme dans le cas de la traduction française de la Seconde Partie en 1618).

31 Dans l’Angleterre de la Restauration, de la Glorieuse Révolution et des premiers Hanovre, Don Quichotte fut aussi reçu dans les éditions abrégées publiées par les libraires londoniens (Chartier 2011, 207-226). C’est ainsi que l’œuvre entra dans le répertoire des « chapbooks » ou livres de colportage. L’histoire fournit la matière d’un « small book » de vingt-quatre pages en format in-douze publié par George Conyers en 1686, l’un des éditeurs les plus actifs dans le marché des « chapbooks » même s’il fut aussi l’un des libraires qui partagèrent la publication de la traduction de l’œuvre complète par Stevens en 1700 et celle de la réédition de la traduction de Shelton en 1725. Ce même format, celui d’un « small book » en format in-douze composé de vingt-quatre pages, accueille une autre édition très condensée de l’histoire de Cervantès dont l’éditeur en est H. Green. D’autres éditions abrégées, mais plus longues, sont publiées à la fin du XVIIe siècle par des éditeurs qui ne sont pas ceux des livrets de colportage. Soit deux exemples. En 1689 le libraire Benjamin Crayle publie un volume in-douze fort de deux cents pages intitulé The Delightful History of Don Quixot qui supprime « tout ce qui était ennuyeux, obsolète et bavard ». Dix ans plus tard, Boddington publie à son tour un Don Quichotte abrégée, réduit à deux cents pages dans le même format in-douze qui propose la « quintessence » de l’œuvre, utilisant ainsi la métaphore de la distillation qui était celle, en français, des livres désignés comme « esprit ».

32À la fin du XVIIe siècle, pour le public anglais Don Quichotte pouvait paraître trop copieux, avec ses multiples événements enchaînés les uns après les autres et ses longs discours devenus obscurs. De là, une modalité de publication qui n’est aucunement propre à la réception de Cervantès, à savoir la contraction drastique de l’intrigue et la transformation des dialogues en narrations. Une telle réécriture est une matrice qui fut utilisée largement pour d’autres « romans », très ou trop longs eux aussi : par exemple, ceux de Richardson, qui feront l’objet d’éditions abrégés, remplaçant la forme épistolaire par une narration continue et impersonnelle (Price 2000, 13-42).

  • 11 Chartier 2015, 107-142.. Sur les traductions anglaises du livre de las Casas, voir en particulier 1 (...)

33« L’histoire du livre permet-elle de repenser une histoire de la réception ? ». Sans aucun doute, mais à condition de repenser l’histoire du livre elle-même en la comprenant fondamentalement comme une histoire de la mobilité et de la matérialité des textes. Dans cette perspective l’étude des réceptions peut s’appuyer sur des indices longtemps négligés. En liant intertextualité et reliure, elle montre qu’un livre peut être plus qu’une seule œuvre. L’attention portée aux significations inversées d’un même signe typographique, les « inverted commas », atteste que tant le démembrement des œuvres que leur réception sous forme d’anthologies de citations peuvent soit les situer dans le répertoire universel des lieux communs, soit célébrer le génie unique de leur auteur. Les pages de titre et les textes préliminaires des livres sont également des sources pour une histoire des réceptions des œuvres dont ils indiquent les contextes de leur publication et leurs différents horizons d’attente. À preuve, les quatre titres successifs des traductions anglaises de la Brevísima relación de la destrucción de las Indias de Las Casas, publiée comme The Spanish Colonie en 1583 au temps des rivalités coloniales, comme The Tears of the Indians en 1656 dans le contexte biblique de la gloire de Cromwell, comme Popery Truly Displayed in its Bloody Colours en 1689 dans le cadre de la dénonciation féroce de l’Église de Rome, et comme A Relation of the First Voyages and Discoveries made by the Spaniards in America en 1699 lorsque, curieusement, le texte fut présenté comme un récit de voyage11.

34Il serait possible continuer l’inventaire de ces indices de réception en pensant aux mutations du format de publication d’une même œuvre, au choix des caractères (dans les éditions bilingue ou trilingue ou dans les emplois en Angleterre de la black letter), aux effets produits par la publication d’un texte sous forme de livraisons, et ce dès le XVIIIe siècle, avant même l’âge d’or du feuilleton, ou encore à la ponctuation qui, dans l’entrecroisement entre volontés d’auteur, décisions éditoriales et habitudes typographiques, indique au lecteur comment il doit lire le texte qui lui est proposé. C’est en associant ces différentes approches que l’histoire du livre, ou des livres, contribue à celle des textes et des œuvres.

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Bibliographie

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Notes

1 Fish 1982, 11.

2 Voir Folger Shakespeare Library STC 4619.

3 Folger Shakespeare Library STC 22335 Copy I.

4 Huntington Library 59000-59002. Voir aussi trois autres recueils poétiques contenant Venus et Adonis in Jason Scott-Warren, Shakespeare’s First Reader. The Paper Trails of Richard Stonley, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2019. 37.

5 British Library C 39.a.37.

6 Crawford 1910-11 et Crawford 1932. Voir aussi Erne and Singh, 2020 pour l’identification de nouvelles références.

7 Voir « James Whitehall’s Commonplace Book, 1605-1609 », « Edward Pudsey’s Commonplace Book, ca. 1600-1615 » et « A Commonplace Book ca. 1622-1625 », Shakespeare documented. An online exhibition documenting Shakespeare in his own time, Folger Library, 2016, en ligne https://shakespearedocumented.folger.edu/ (consulté le 14 février 2024).

8 « I have ventured to assume the task of placing his Ethic merits in a more conspicuous point of view, than they have hitherto been presented in to the Public » (Griffith 1775, ix).

9 Cité dans Randall et Boswell 2009, 5, 27.

10 Cervantes 1605, Chap. XXXIII-XXXV.

11 Chartier 2015, 107-142.. Sur les traductions anglaises du livre de las Casas, voir en particulier 122-124, 131-133, 137-139.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Roger Chartier, « Histoire de la réception et histoire du livre »Sillages critiques [En ligne], 36 | 2024, mis en ligne le 20 juin 2024, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sillagescritiques/15545 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/120mj

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Auteur

Roger Chartier

Collège de France

Roger Chartier est Professeur émérite du Collège de France et de l’École des hautes études en sciences sociales et Annenberg Visiting Professor in History à l’Université de Pennsylvanie. Ses derniers livres publiés sont La main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 2015, Éditer et traduire. Mobilité et matérialité des textes (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Gallimard et Seuil, Collection ”Hautes Études”, 2021, et Cartes et fictions (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Éditions du Collège de France, 2022.

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