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Varia
Expériences théoriques

La musique et les pas de la danse, le partage d’un imaginaire sensible et l’imprévision

Une avancée sémiosique dans l’hypoicône
Jean Fisette

Résumés

Ce texte explore l’évolution de la partition du Sacre du printemps d’Igor Stravinski à travers deux chorégraphies majeures : celle de Vaslav Nijinski en 1913 et celle de Maurice Béjart près de 50 ans plus tard. À partir de ce corpus, nous examinons comment ce passage d’un ballet figuratif et narratif à un ballet non-figuratif et non-narratif révèle, selon nous, un glissement sémiotique vers un mouvement sémiosique dépourvu d’indice, qui correspondrait au parcours dans l’hypoicône. En nous appuyant sur les conceptions de la musique et de la durée chez Bergson puis celle du récit chez Ricoeur, nous proposons d’écarter toute référence à la narrativité pour nous concentrer sur une logique d’ouverture dans le développement du matériau sonore. Il s’agira de proposer un parallèle entre deux modes de la sémiosis : le parcours classique et un parcours dans l’hypoicône, mettant en lumière des signes composites qui échappent à la fermeture et à l’indétermination.

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Texte intégral

Introduction

1Une des difficultés que l’on rencontre avec la sémiotique réside dans l’unicité du parcours. Le parcours du modèle classique correspond à l’enchaînement des étapes suivantes : icône, indice et symbole. Même les dix classes de signe que Peirce reconnaît dans la cinquième conférence Lowell restent tributaires de cette même série. Or les signes que nous rencontrons et que nous analysons peuvent être très différents et construire des sens qui s’étendent sur un registre beaucoup plus large, donnant lieu à des variations importantes.

2J’ai choisi d’examiner la constitution du signe musical ; or ce signe repose sur une iconicité et porte des valeurs symboliques qui varient d’un contexte d’exécution à l’autre ; mais, il n’a pas d’objet propre auquel renverrait le deuxième constituant du signe, soit l’indice et qui fixerait le signe dans le réel d’une façon stable. Et pourtant, nous considérons les œuvres musicales comme des signes alors qu’elles n’ont pas d’objet propre. Dans un tel cas, on doit suivre le mouvement de l’avancée sémiosique ailleurs, dans ce que Peirce appelait l’hypoicône. Le mouvement de la sémiose suit, dans ce cas, les trois étapes suivantes qui sont beaucoup moins précises et donc, plus souples et plus ouvertes : l’image mentale, le diagramme (qui n’est qu’une analogie de proportion) et la métaphore.

3Le modèle de la sémiotique narrative repose sur le mouvement classique de la sémiose classique avec des prises directes de l’objet dans le réel. Or le décrochage de la musique du modèle narratif s’explique précisément par le lieu sémiosique prédominant dans l’hypoicône. Toute ma réflexion sur la sémiose musicale s’inscrit dans l’histoire de la partition du Sacre du printemps (Stravinski) et dans la succession de deux chorégraphies fortement différentes sémiotiquement, celle de Vaslav Nijinski (1913) et celle de Maurice Béjart (1959).

4Ma réflexion sur les conditions de la nature sémiotique de la pièce musicale m’a conduit à découvrir d’autres signes qui reposent sur le même recours au lieu de l’hypoicône ; je suggère comme cas typique une des photos les plus célèbre du xxe siècle, soit « La petite fille au napalm » de Nick Ut (1972). La portée sémiotique, anthropologique et politique de cette photographie repose en effet non pas sur le parcours classique de la sémiose, donnant l’image de la guerre, mais sur le mouvement des composantes du signe dans l’hypoicône. Cette reconnaissance de lieux différents de la sémiose me conduit à entrevoir la possibilité théorique de signes composites qui trouvent à s’appuyer sur plus d’un parcours de la sémiose.

Le cas exemplaire du Sacre du printemps

5Un spectacle de danse peut raconter une histoire, donc remplir une fonction narrative ; par exemple, les ballets classiques figuratifs, disons ceux de Tchaïkovski qui sont montés à Montréal à l’époque des Fêtes, à l’intention des enfants. Il y a là, trois plans : l’histoire racontée, la mise en scène théâtrale (jouant le rôle de discours narratif) et la musique (qui se greffe sur les deux premiers plans) ; ces trois plans se croisent, formant un ensemble cohérent. C’est un classique.

6Je prends un autre exemple un peu problématique, pour aller plus loin. Disons la chorégraphie originale de Nijinski du Sacre du printemps, tel que montée à Paris en 1913 par Diaghilev au théâtre des Champs-Élysées sous la direction musicale de Pierre Monteux ; on était alors dans le figuratif et le narratif qui, conformément au projet initial de Stravinski, réalisaient les scènes auxquelles renvoient les titres de section dans la partition.

  • 1 Igor Stravinski, Chroniques de ma vie, suivi d’une discographie critique, Denoël 2000 (1962), p. 44

7Le sous-titre est : « Tableaux de la Russie païenne ». Voici un témoignage de Stravinski lui-même tiré de Chroniques de ma vie : « J’entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages, assis en cercle, et observant la danse à la mort d’une jeune fille, qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps1. » Les danseurs portaient des masques et des costumes colorés et surtout lourds qui étaient susceptibles d’entraver les mouvements. Par « narration », je désigne la succession des épisodes de ce « grand rite païen » et par figuration les masques et les costumes des personnages.

8Ce fut un échec pour différentes raisons ; il y avait des problèmes dans le lien orchestre / danse et la cohésion des plans réussie chez Tchaïkovski, était dans ce cas, ratée ; probablement en raison de la trop grande complexité de la partition en regard de la chorégraphie de Nijinski. Il y a surtout qu’on en faisait trop, le spectateur était comme submergé : il n’y avait plus de place pour lui, pour son écoute, pour son imaginaire et il réagissait bruyamment, jusqu’à perturber le spectacle. Ce ne sera que l’année suivante que cette musique sera jouée, interprétée et écoutée sans aucune référence à la thématique originale. On raconte qu’après cette audition en concert à Paris, le musicien a été porté dans les rues à bout de bras par ses admirateurs.

  • 2 C’est vrai de la même façon du poème symphonique « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss (...)

9Le figuratif et le narratif avaient été éliminés : intéressant, n’est-ce pas ! Comme si, dans la présentation du ballet, la figuration narrative avait fait obstacle à une partition musicale dont on reconnaît aujourd’hui qu’elle est trop dense pour n’être que la servante d’un récit ou ici, d’un rituel2.

10Aujourd’hui encore, la musique résonne à nos pulsions intérieures, dans notre imaginaire, par elle-même, surtout par sa rythmique, en dehors de toute prise en compte de figures ou d’épisodes composant un rituel.

Le « pouvoir suggestif » de la musique

  • 3 C’est en 1959, à Bruxelles, que Maurice Béjart a créé la chorégraphie non-narrative et non-figurati (...)

11Il y a eu une autre étape au cours du siècle, après la seconde guerre. Cette même partition a été interprétée par des chorégraphies non-figuratives et non-narratives, préparées par Maurice Béjart pour les Ballets du xxe siècle3. Les gestes, les mouvements correspondent aux impulsions dans la matière musicale, suivant une forme de mimétisme. À ce premier niveau, on est dans la pure rythmique : des mouvements saccadés, dédoublés de la musique à la danse, sous la forme d’instants séparés. Mais dans la chorégraphie, il y a certainement plus que ces instants. Y aurait-il une nouvelle « narrativité », étrangère à la thématique originale qui a été abolie ? Je crois que le terme « narrativité », appelant une réalisation d’ordre symbolique, est ici, excessif.

12Mais quelque chose d’autre se passe. Je m’appuie ici sur une proposition d’Henri Bergson cherchant à saisir un cumul intériorisé des sons, source, écrit-il, d’un « pouvoir suggestif » :

  • 4 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 2013 (1889), PUF, p. 33.

Comprendrait-on le pouvoir expressif ou plutôt suggestif de la musique, si l’on n’admettait pas que nous répétons intérieurement les sons entendus, de manière à nous replacer dans l’état psychologique d’où ils sont sortis, état original qu’on ne saurait exprimer, mais que les mouvements adoptés par l’ensemble de notre corps nous suggèrent4 ?

  • 5 Les relations entre les impulsions musicales, les mouvements des corps des danseurs et les pulsions (...)

13C’est ainsi que se réalise un enchaînement qui recueille dans l’imaginaire les impulsions ressenties et réalisées dans les muscles du corps, dans les réactions du système nerveux, dans la proxémique des mouvements des danseurs, dans l’appartenance (ou la distanciation) à des ensembles, dans les certitudes et dans les errances des pas, dans les avancées des désirs, dans les écarts entre une grande force d’ordonnancement et des imprévus cueillis à la limite du non-sens. Puis, dans la partition musicale, des continuités et des accidents, des tensions suivies de détentes, des écarts excessifs et des recueillements qui commandent en quelque sorte les pulsions corporelles. J’écris « enchaînement » car ces mouvements, tout autant que ce qu’ils évoquent de leur provenance, créent une trame qui trouve son lieu d’existence dans la linéarité du temps. C’est là qu’on passe du simple martellement des instants à quelque chose d’autre qui est d’ordre syntagmatique, c’est-à-dire de nature continue. Car, il y a là, la naissance d’une rythmique. C’est en ce lieu que se croisent les impulsions de l’instant et que se réalise la médiation d’une continuité temporelle5.

Le partage d’un imaginaire chez tous les intervenants dans une salle de spectacle

14Ces croisements se réalisent dans nos imaginaires, autant chez les danseurs, chez les chorégraphes, chez les musiciens que chez les spectateurs. Chacun est un lieu de cette rencontre qui est comme virtuelle. Cette rencontre, c’est la résultante de l’écoute de la musique qui, au départ de son parcours, est strictement action. Et l’action du signe musical, c’est précisément de suggérer cette icône.

  • 6 Il va de soi que la même question se pose en ce qui concerne une production théâtrale. Sauf que dan (...)

15Se crée alors un lien iconique entre tous les intervenants du spectacle ; et ce lien, c’est le partage d’un imaginaire sensible. Allons plus loin, peut-être à l’essentiel : et si c’était le tout de ce qui se passe dans la salle où ce spectacle a lieu ? Comme si ce partage d’une sensibilité imaginaire, c’était le spectacle-même ? N’oublions pas qu’à ce niveau, on s’inscrit dans un lieu et un temps antérieurs au symbolique : en regard du symbolique pleinement réalisé dans les ballets de Tchaïkovski évoqués précédemment, on trouve à se situer ici dans une sorte de « régression », un retour vers quelque chose de pré-narratif, d’intériorisé dans un temps non-délimité et qui serait essentiel à la musique6. Alors que dans le cas des ballets de Tchaïkovski, l’histoire racontée, étant antérieure à sa mise en musique, subsiste au-delà de l’événement sonore qui n’aura été qu’une simple réalisation ponctuelle.

  • 7 Je rappelle que l’icône, au sens de Peirce, appartient à la catégorie de la priméité ; donc cette c (...)

16Dans la citation de Bergson donnée plus haut, il y a une correction dans le passage d’un « pouvoir expressif » à un « pouvoir suggestif » : en d’autres mots, la musique suggère plutôt qu’elle n’exprime. La nature de l’objet du signe musical est changée du tout au tout : le signe, au lieu de découler du symbolique déjà constitué, surgit de l’iconique et est à naître7. Cette distinction entre pouvoir expressif et pouvoir suggestif, j’en fais le point de départ de cette réflexion sur le signe musical.

17Lorsqu’on compare les extraits des deux chorégraphies (voir les « Illustrations chorégraphiques » données à la suite de ce texte), on a l’impression que dans la chorégraphie de Nijinski, la musique raconte une histoire mimée par les danseurs alors que dans la chorégraphie de Béjart, les gestes et les mouvements des danseurs figurent les pulsations de la musique. Comme si l’une était l’inverse de l’autre ; bref, le pouvoir expressif et le pouvoir suggestif.

  • 8 J’ai rencontré récemment un musicien qui me disait rejeter globalement une telle interprétation cho (...)

18Nous avons aussi assisté à une chorégraphie non-figurative sur la musique de la Messe de Requiem de Mozart. Cas patent où le symbolique est ancré le plus profondément dans la culture. La musique de Mozart, comme celle de Stravinski se dépouillait de toute cette accumulation de matière de nature symbolique8 pour rencontrer l’exigence essentielle d’une iconicité qui se crée à mesure de son expression.

Le paradoxe de la narrativité musicale

  • 9 Pour une discussion sur cette question, voir les diverses contributions à « Rencontres de narrativi (...)

19Cet enchaînement, on serait tenté de le nommer « narrativité ». Mais ce mot n’est pas juste ici ; ce serait un emploi métaphorique7 qui risque de prêter à des erreurs d’interprétation, voire à des contresens. Car ici, on est hors du sémantique : il n’y a pas d’histoire, il n’y a pas de compensation apportée à un manque initial. Il n’y a pas de narration, car rien n’est raconté. Il n’y a pas plus de personnage. Penser un instrument soliste comme un personnage dominant ne serait qu’un écart métaphorique. Il n’y a pas plus de discours de narration non plus que les effets de sens que couvre le terme « narrativité ». Il n’y a pas d’intrigue ou de trame romanesque, alors qu’une telle trame suppose on le sait un enjeu préalablement pensé, construit et posé9.

20Dans Temps et récit, Paul Ricœur, s’appuyant sur le Premier livre de la Poétique d’Aristote interprète la structuration narrative comme une victoire sur le temps, le temps étant maîtrisé parce qu’il est pensé comme un espace clos ; en fait, c’est un temps nécessairement délimité pour que trouve à s’y inscrire l’intrigue à laquelle Ricœur ramène le muthos. On peut aussi avancer, du point de vue inverse, que c’est la logique de l’intrigue qui impose un temps délimité. Car l’intrigue est un fil qui trace une voie circulant dans un espace clos jusqu’à aboutir à une issue de libération : un fil d’Ariane, quoi !

  • 10 Dans Essai sur les données immédiates de la conscience, notamment le chapitre 2 intitulé « De la mu (...)

21Alors, l’expression « narrativité musicale » paraît paradoxale : si la narrativité est une victoire sur le temps, comment pourrait-elle informer la musique qui est, comme je l’ai suggéré, un aménagement inséré dans un temps non-délimité et donc non-maîtrisé, une façon de vivre dans la durée, ce mot étant pris au sens que lui donne Bergson10 soit, un temps orienté du passé vers le futur et irréversible ; il s’agit d’un temps vécu de l’intérieur par un sujet et ouvert sur un ailleurs imprévisible, ce qu’il nomme le temps de la conscience. Au contraire d’une temporalité saisie d’une façon abstraite par l’esprit circulant dans les deux directions entre passé et futur ; cette temporalité évaluée de l’extérieur par un observateur serait assimilable, comme le suggère Bergson, à un espace. Je pense que c’est précisément le lieu d’inscription des composantes de la narrativité qui définissent un système.

22Cette distinction entre durée et temporalité représente un des axes majeurs qui sont au fondement de la pensée philosophique de Bergson. Il va de soi que la distinction entre le pouvoir suggestif et le pouvoir expressif n’est pas étrangère aux valeurs de la durée et de la temporalité.

Les formes de la musique et l’absence d’un temps délimité de l’intérieur

23La construction musicale peut prendre la forme d’une symphonie, celle d’une fugue ou de toute autre forme canonique ; je pense notamment aux formes issues de la danse comme la gigue, le menuet ou la chaconne. En ce sens, toute forme musicale est préalablement pensée et constitue un objet construit ; bien que sa structure ne soit pas interprétée par une emprise sémantique qui en ferait un récit, cette construction répond à des normes répondant à des exigences propres au matériau sonore, particulièrement à sa malléabilité (je pense ici aux fugues avec une reprise inversée du thème, à la fraction d’un thème en différents motifs ou encore à de simples variations) et qui sont donc d’une nature autre que narrative. Certes, ces formes construites comportent un début, un développement ou des variations et une fin ; il y a là une temporalité ordonnée construite par la forme canonique (les cas les plus évidents seraient ceux de la fugue et de la sonate), mais non pas un « temps délimité » qui serait issu d’une proposition narrative (à moins que ce ne soit la reprise d’un air déjà connu, comme dans certaines pages publicitaires).

24Il n’en reste pas moins que cet aménagement musical trouve à s’inscrire dans une durée qui, conceptuellement, s’émancipe du strict cadre formel d’où elle est issue. D’où l’ambivalence de l’objet musical inscrit dans des temps de diverses grandeurs, de divers ordres et donc appartenant à des logiques différentes.

  • 11 « Qu’est-ce que donc le temps ? (…) si rien ne passait, il n’y aurait pas de passé ; si rien n’adve (...)

25Ce qui nous retourne à la méditation de saint Augustin sur le temps au Livre XI des Confessions11. Il apporta une résolution au paradoxe du temps insaisissable dans ses trois instances (passé, présent, futur) en raison de la position instable du sujet ; il substitua aux instances du temps le mouvement qui, lui, est insécable et premier. Une solution que reprit Bergson avec sa définition de la durée, pure avancée vécue de l’intérieur de la conscience, versus des instants, saisis de l’extérieur, pensés comme des espaces mesurables qui correspondent aux composantes du tableau de la narrativité.

Le plan de l’iconique : l’immédiateté, l’instabilité et l’accueil généreux à l’imprévu

26Le plan que je tente de saisir est celui de l’iconique, qui repose sur l’expérience de ce que j’ai appelé plus haut, un « imaginaire sensible » partagé dans une communauté. Il n’y a pas d’intention, pas d’attente, pas d’espace clos ; et on déborde malgré tout l’instantané, le ponctuel. On se situe comme dans un entre-deux, à la fois dans la disponibilité la plus généreuse et la conscience de ce qui survient et qui créera le pas suivant. On est comme dans le milieu du temps, comme dans la conséquence d’un passé, ou dans l’appréhension d’une suite à venir. Ce qui décrit assez justement le parcours du musicien de jazz dans son jeu d’improvisation. On n’est pas bêtement dans un présent qui serait une neutralité blanche, une pure métaphore spatiale qui n’aurait aucun sens.

27En cette position, on est hébergé dans une conscience aux aguets qui se nourrit de son paysage sonore immédiat ; une conscience en éveil qui, s’inscrivant dans un flux, occupe un lieu fondamentalement instable, soit le pur mouvement que suggère saint Augustin. Les termes de l’immédiateté, de l’instabilité et de l’accueil généreux à l’imprévu caractérisent autant l’improvisation que l’écoute de la musique. Bien sûr, cette proposition s’inscrit dans la logique du « tiers inclus ». Car, ce sont les opposés de ces trois termes, la fixation des valeurs, la stabilité et la prévisibilité qui sont les principaux apports de la narrativité à la rationalité et donc à la structuration de la pensée fondée sur la logique du « tiers exclu » tel que défini par Aristote.

  • 12 Susan Sontag, Sur la photographie, Christian Bourgois éditeur, 1993, p. 192

28Ce thème de l’immédiateté pose paradoxalement la question de l’irréalité ou de l’éloignement du réel. À ce propos, je voudrais citer un fragment de texte de Susan Sontag qui met en contraste la longue quête du souvenir chez Proust et l’immédiateté de la photographie : « Tandis que le labeur proustien présuppose que la réalité est lointaine, la photographie implique que l’on y a accès instantanément. Posséder le monde sous forme d’images, c’est précisément refaire l’expérience de l’irréalité et de l’éloignement du réel12. » Parce qu’avec la photographie, qui n’est qu’une image, le réel n’est pas reconstruit comme dans la narration de Proust. Il va de soi que le terme image, évoqué ici par Sontag pour désigner la photographie, correspond à une présentation minimale qui n’est dotée que d’un pouvoir suggestif et non expressif. Force est de reconnaître que malgré l’écart de leur nature, une pièce musicale et un simple cliché photographique peuvent trouver une étonnante coïncidence sur le plan sémiotique.

  • 13 Ce terme, Peirce l’emprunte au philosophe épicurien Philodème. « Sèmeiôsis », dans le grec de l’épo (...)

29Je reprends la réflexion sur le signe musical, l’inscrivant dans la perspective de la sémiotique de Peirce. La notion centrale est celle de sémiose13 qui désigne un parcours ; car, dans la sémiotique pragmatiste, les signes sont en déplacement constant.

  • 14 L’anglo-américain possède deux termes pour traduire le mot français image : picture et image. Pictu (...)
  • 15 Voir la note 5.

30Le développement de la sémiose musicale se fait à partir de l’icône qui inaugure un déplacement non pas dirigé vers l’indice (une fonction référentielle, au sens du mot picture en anglo-américain) puis vers le symbolique, mais un déplacement dirigé vers l’ombre, sous l’icône, dans ce que Peirce nomme l’hypoicône, vers une image mentale14 (hypoicône première) qui est effectivement partagée par la communauté des interprètes ; il n’y a encore là qu’un pouvoir suggestif. L’avancée du mouvement de la sémiose passe alors par le diagramme (hypoicône deuxième) qui correspond assez justement à l’image que j’ai suggérée plus haut du rapport de proportion entre les pulsations de la musique, les mouvements des corps des danseurs et les pulsions dans la perception chez les spectateurs15. L’avancée de la sémiose s’achève dans la métaphore (hypoicône troisième) qui n’est qu’une ouverture de l’esprit vers des possibles, ce que j’ai appelé un « imaginaire sensible » qui, comme je l’ai suggéré plus haut, unifie les esprits des intervenants et des spectateurs constituant ainsi une représentation virtuelle de l’événement musical.

31Pour mieux comprendre le sens du terme métaphore tel qu’employé ici, je me réfère à un court passage tiré de l’un des derniers textes de Peirce qui définit l’icône dont la métaphore en marque comme un aboutissement :

  • 16 « Prolegomena to an Apology for Pragmaticism », dans The Monist, vol. 16, 1906. C.P. 4.531. Trad. d (...)

Les icônes partagent tous les caractères les plus évidents des mensonges et des déceptions – elles les affichent. Elles ont plus à voir avec le caractère vivant de la vérité que les symboles et les indices. L’icône ne se substitue pas de façon univoque à tel ou telle chose existante comme le fait l’indice. Son objet peut être une pure fiction qui fonde ainsi son existence. Rarement, son objet est une chose d’une sorte que l’on rencontre habituellement. Mais il y a une assurance que l’icône apporte au plus haut degré. Nommément, ce qui est affiché devant le regard de l’esprit — la forme de l’icône est aussi son objet — doit être logiquement possible16.

  • 17 Pour une analyse comparée des spécificités sémiotiques du langage musical et de la langue, on pourr (...)

32Il y a là assurément un gain immense pour l’établissement d’une spécificité du langage musical qui se démarque de façon importante de la langue17 et aussi, pour la reconnaissance de la liberté de l’imaginaire qui git dans un ailleurs, hors de la langue.

33La musique n’a d’existence que dans l’écoute ; la chorégraphie non figurative et non narrative, ce que j’ai appelé ici « les pas de la danse », figure visuellement l’écoute. C’est la seule façon, je crois, dont on peut encore aujourd’hui, c’est-à-dire dans une époque totalement décalée, écouter Le Sacre du printemps ou la Messe de Requiem. Est-ce un hasard si ce sont là deux œuvres qui proviennent de rituels dont elles se sont émancipées ? Compte tenu du changement radical de contexte, ces deux œuvres ont basculé ailleurs, dans un autre statut.

Le plan sémiotique proprement dit et le plan de l’hypoicône

34En dehors de cette situation non-figurative et non-narrative, subsistent tous ces signes qui circulent comme en plein jour suivant le parcours sémiosique de la triade classique : icône-indice-symbole. Je reviens au signe photographique. Le concours annuel de la « World Press Photo » affiche la photographie expressive par excellence dont les clichés rappellent les discours journalistiques tenus durant l’année précédente sur les événements référés. Dans cette circonstance, la question de « l’éloignement du réel » évoquée par Sontag ne se pose donc pas, dans la mesure où le terme « réel » désigne autant les événements eux-mêmes (indice) que le discours qui a été tenu sur ces événements (le symbolique). En ce sens, à la différence de la simple « image » évoquée par Susan Sontag, le signe photographique bien implanté dans le discours de la presse suit le parcours sémiosique classique. De sorte que l’on peut distinguer deux modes de sémiose, celui de la sémiose classique et celui d’une sémiose hypoiconique, telle qu’illustrée dans ce texte à propos de la musique et du ballet non-figuratif et non-narratif.

  • 18 Les conférences Lowell ont été données à Boston à l’automne 1903. Certaines ont été reproduites dan (...)

35C’est dans la cinquième de la série des conférences Lowell, intitulée : « Nomenclature and Divisions of Triadic Relations, as Far as they Are Determined » que Peirce construit le tableau de la sémiose classique où s’élaborent les 10 catégories du signe. Là résident les composantes de la sémiose classique. Étonnamment, dans ce tableau, aucune allusion n’est faite à l’hypoicône. Cette proposition est antérieure puisqu’elle figure dans la troisième des conférences Lowell, intitulée : « Sundry Logical Conceptions »18. C’est là que résident les composantes de ce que j’appelle la « sémiose hypoiconique ». Curieusement, cette proposition survient antérieurement au tableau total des catégories du signe, même si dans les textes ultérieurs, le terme « hypoicône » paraît à quelques occasions. Il me paraît qu’aujourd’hui, alors que nous étudions l’ensemble des propositions sémiotiques de Peirce, on ne peut esquiver cette complémentarité comme je tente de le faire ici.

36Sur la base de cette distinction qui origine des avancées de Peirce, on peut imaginer que des signes particulièrement complexes et très fins, notamment ceux de la poésie et de la chanson, ceux de certaines pensées philosophiques ou anthropologiques et plus généralement ceux des diverses formes d’art, peinture, aquarelle, dessin ou photographie, où le figuratif et le non-figuratif, l’explicite et l’implicite se superposent, circulent simultanément dans les deux registres et offrent ainsi une saisie simultanée des mondes référentiels puis symboliques et des mondes intériorisés puis métaphoriques. Ce qui permettrait de reconnaître que de tels signes composites échappent et à l’excès d’une fermeture sur eux-mêmes et à l’excès contraire d’une large indétermination. Peut-être y a-t-il dans cette recherche d’une certaine souplesse, une exigence éthique, au sens d’une protection contre la « langue de bois » ou contre la pure langue machinique comme celle imaginée par Orwell.

  • 19 Je rappelle que l’indécision et l’incertitude font partie intégrante de la position philosophique d (...)

37Nul doute qu’une certaine ambiguïté et aussi une certaine indécision marquent leur rencontre, ouvrant ainsi une zone de liberté où ce qui était encore impensé peut surgir. S’avançant sur ces deux voies, le signe s’inscrit simultanément dans les logiques de la certitude et de l’incertitude19 ; ce signe est simultanément fermé et ouvert, systémique et anti-systémique.

38On pourrait donner l’exemple de la photo célèbre de Nick Ut (1972) « La petite fille au napalm » que tous ont vue : celle de la petite Vietnamienne de 9 ans courant nue au centre d’un chemin, au milieu d’un petit groupe d’enfants et de quelques militaires, fuyant un village soumis à un bombardement d’obus au napalm. La photo possède son contenu documentaire concernant la guerre au Viêt-Nam suivant les règles de la sémiose classique. Du côté de la sémiose hypoiconique, cette image comporte une très lourde portée d’ordre fantasmatique qui projette dans un flou notionnel un acte de guerre, lui conférant des dimensions métaphoriques. Chacun reconnaîtra que cette photographie a projeté dans la culture mondiale des éclats allant dans le sens de la condamnation de la guerre. Quel en est le fondement ? L’horreur guerrière suggérée par cette image, notamment par le contraste entre la fragilité de l’enfant (elle est nue parce que son vêtement a brûlé) et la violence des armes, déborde l’entendement en ce que le contenu fantasmatique est sans contrôle, sans limite, voire insensé. Et pourtant, comme l’écrivait Peirce dans le fragment cité plus haut : « … ce qui est affiché devant le regard de l’esprit — la forme de l’icône est aussi son objet — doit être logiquement possible ».

39Si le contenu documentaire en relation avec la guerre relève de la certitude, le contenu fantasmatique ne connaît pas de limites ; il est marqué par l’incertitude, même s’il « … doit être logiquement possible ». Même si « son objet peut être une pure fiction », ce signe révèle, comme l’écrivait Peirce, « le caractère vivant de la vérité ». Comme quoi, l’incertitude loge aussi dans l’espace logique ; l’incertitude n’est pas qu’un manque, elle est aussi une ouverture vers des possibles.

  • 20 Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’ineffable, Seuil, 1983, p. 76.

40Ainsi, la photographie de « La petite fille au napalm » déborde de façon importante cet épisode de la guerre au Viêt-Nam. Et si le plaisir d’écouter de la musique était celui d’une ballade dans le territoire des possibles ? C’est en ce sens que Vladimir Jankélévitch écrivait : « … la musique expressive n’est musicale que dans la mesure où elle n’est jamais l’expression univoque et inambiguë d’un sens20. »

41Et, pour revenir à notre point de départ concernant Le sacre du printemps : le passage de la chorégraphie de Vaslav Nijinski à celle de Maurice Béjart marque un déplacement majeur vers l’hypoicône. Sur le plan de la sémiose classique, ne demeure plus que le partage entre les divers intervenants d’un imaginaire sensible.

Conclusion

42Au terme de mon analyse d’une grande pièce musicale et d’une photographie qui a marqué le xxe siècle, il me paraît que l’objectif qui avait été fixé au départ a été atteint. Ces signes musicaux et photographiques débordent nettement la filière étroite du parcours classique de la sémiose. Voire plus, l’essentiel de leur signification provient de parcours en prédominance dans l’hypoicône. Pour revenir sur la distinction entre l’icône et l’hypoicône, le trait central concerne la présence dans un cas et l’absence dans l’autre cas d’un objet spécifique. La disparition ou l’amenuisement de la fonction indiciaire en regard de l’objet vient libérer le signe d’une attache trop forte au réel. Ce qui reconduit à trois notions qui ont été centrales dans le parcours de ce texte.

43D’abord l’incertitude qui, comme je l’ai suggéré marque moins une carence qu’une ouverture à des possibles. Car on sait bien que la certitude marque la fin d’un parcours de sens, alors que l’incertitude ouvre à de nouvelles possibilités.

44Puis, l’imprévision ; cette notion qui trouve à s’inscrire dans le processus de la création est proche de l’improvisation, particulièrement dans la musique. Ce qui est central ici, c’est l’absence ou le grand amenuisement des déterminants sur l’écriture qui proviennent d’une structure sous-jacente que dans mon texte, j’ai assimilé aux exigences d’une forme narrative.

45Enfin l’imaginaire. En terminant, j’ai suggéré que des signes pouvaient se profiler dans les deux lieux de la sémiose classique et de la sémiose dans l’hypoicône. Ce que j’ai nommé des signes composites. Le signe composite, au double fonctionnement, pourrait être considéré comme le plus parfait. Car, l’on sait bien que les mondes de la pensée et de l’imaginaire ne sont jamais univoques, jamais totalement étrangers l’un à l’autre ; voire plus, ils s’alimentent mutuellement. Là réside l’enjeu central de la pensée sémiotique dans la reconnaissance de la pluralité des voies de la signification.

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Bibliographie

Bergson, Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2013 [1889].

Fisette, Jean, Pour une pragmatique de la signification, XYZ éditeur, Montréal, 1976.

Peirce, Charles S., The Essential Peirce. Selected Philosophical Writings, Volume 2 (1893–1913), Peirce Edition Project, Bloomington & Indianapolis, Indiana University Press, 1998.

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Annexe

Illustrations chorégraphiques

On trouvera quelques images de la chorégraphie de Vaslav Nijinski (1913) telle que reprise par l’Opéra national de Paris le 6 décembre 2021 sous la direction d’Alice Renavand.
https://www.google.com/​search ?q =le+sacre+du+printemps+ballet+nijinsky&rlz

On trouvera quelques images de la chorégraphie de Maurice Béjart (1959) reprise en 1971 par le Ballet du xxe siècle sous la direction du réalisateur Jean Boffety.
https://www.numeridanse.tv/​videotheque-danse/​le-sacre-du-printemps-1971-0

Ces deux extraits de chorégraphie comportent la bande sonore.

Illustration photographique

« La petite fille au napalm » (Nick Ut, 1972).
https://static.francetelevisions.fr/​styles/​scale_728/​public/​inline-images/​LA_PETITE_FILLE_AU_NAPALM_HISTOIRE_DUNE_PHOTOGRAPHIE_preview_2300.jpg?fv=1G7WDvJI&itok=efaEv1yt

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Notes

1 Igor Stravinski, Chroniques de ma vie, suivi d’une discographie critique, Denoël 2000 (1962), p. 44.

2 C’est vrai de la même façon du poème symphonique « Ainsi parlait Zarathoustra » de Richard Strauss en regard du recueil éponyme de Nietzsche. Or, à l’écoute de cette pièce, le souvenir du recueil de poèmes n’apporte absolument rien à la compréhension de la musique. On pense plutôt au film « 2001. A Space Odyssey ». L’association sensible est prédominante.

3 C’est en 1959, à Bruxelles, que Maurice Béjart a créé la chorégraphie non-narrative et non-figurative sur la musique du Sacre du Printemps, pour Les Ballets du xxe siècle. Bien sûr, Maurice Béjart a composé une chorégraphie et les danseurs n’improvisent pas (ce qui rendrait impossibles les mouvements d’ensemble), mais cette chorégraphie n’est tout au plus qu’une succession de schémas qui nous sont inaccessibles autrement que visuellement dans le cœur du spectacle. Ils n’ont pas d’existence autonome à l’extérieur de l’exécution musicale comme les référents figuratifs et narratifs.

4 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 2013 (1889), PUF, p. 33.

5 Les relations entre les impulsions musicales, les mouvements des corps des danseurs et les pulsions dans la perception chez les spectateurs, on peut les analyser, suivant Peirce, comme des analogies de proportion, prises au sens purement mathématique du terme (A est à B ce que C est à D). Ces analogies de proportion, il les traite sous le terme général de « diagramme ».

6 Il va de soi que la même question se pose en ce qui concerne une production théâtrale. Sauf que dans ce cas, l’enjeu narratif est central. Au niveau de la réalisation dans la salle, le partage d’un imaginaire sensible peut entrer en composition (et non en contradiction) avec la simple trame narrative. Je laisse à d’autres, plus compétents que moi, de penser ce schéma dialectique qui est peut-être au cœur du spectacle théâtral. Bien sûr, la même question se pose, peut-être avec encore plus d’acuité, en regard de l’opéra.

7 Je rappelle que l’icône, au sens de Peirce, appartient à la catégorie de la priméité ; donc cette catégorie est antérieure à une présence ponctuelle et antérieure aussi à une valeur de généralité, soit l’ordre du symbolique.

8 J’ai rencontré récemment un musicien qui me disait rejeter globalement une telle interprétation chorégraphique non-figurative de la Messe de Requiem parce que « s’y perd le sacré de l’œuvre ». On ne pourrait illustrer plus clairement le poids inhibiteur du symbolique qui est comme un lieu extérieur à la musique.

9 Pour une discussion sur cette question, voir les diverses contributions à « Rencontres de narrativités : perspectives sur l’intrigue musicale », numéro thématique des Cahiers de narratologie, 21, 2011.

10 Dans Essai sur les données immédiates de la conscience, notamment le chapitre 2 intitulé « De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée ».

11 « Qu’est-ce que donc le temps ? (…) si rien ne passait, il n’y aurait pas de passé ; si rien n’advenait, il n’y aurait pas de futur ; si rien n’était, il n’y aurait pas de présent. Mais ces deux temps, le passé et le futur, comment peut-on dire qu’ils “sont”, puisque le passé n’est plus, et que le futur n’est pas encore ? Quant au présent, s’il restait toujours présent sans se transformer en passé, il cesserait d’être “temps” pour être “éternité”. » (Augustin, Les Confessions, Livre XI, Chapitre xiv, 17) Pour sortir de cette redoutable difficulté, Augustin a proposé d’identifier le temps au mouvement ; en admettant cette solution, qui semble une simplification de celle d’Aristote, le problème disparaît, car si le temps n’est que le mouvement, il est clair que le mouvement peut être à soi-même sa propre mesure et, par conséquent aussi, qu’on pourra toujours mesurer du temps avec du temps, du mouvement avec du mouvement. Mohamed Arbi Nsiri, https://theconversation.com/la-philosophie-du-temps-selon-saint-augustin-146424. 22 septembre 2020.

12 Susan Sontag, Sur la photographie, Christian Bourgois éditeur, 1993, p. 192

13 Ce terme, Peirce l’emprunte au philosophe épicurien Philodème. « Sèmeiôsis », dans le grec de l’époque romaine, signifiait « l’action de signifier ». Peirce utilisait le mot « semeiosis » ; dans l’usage courant en anglais, le mot a été simplifié en « semiosis ». Et Gérard Deledalle l’a traduit par « sémiose ».

14 L’anglo-américain possède deux termes pour traduire le mot français image : picture et image. Picture renvoie à une représentation visuelle comme une peinture ou une photographie. Le mot picture correspondrait au mot icon qu’emploie Peirce, mais qui est beaucoup plus large ; car il y a des icônes auditives (des cris de détresse), gustatives (le thé de Proust), gestuelles (des gestes de menace), olfactives (un parfum évoquant des souvenirs), etc. En revanche, le mot anglais image renvoie à une présence mentale ou imaginaire. Un dictionnaire anglais donne comme définition du mot image : « mental picture ». De sorte que pour traduire en français le mot anglais image et éviter toute ambiguïté, il serait plus juste de le traduire par la formule image mentale. On comprend que le mot icône désigne la première composante de la sémiose classique alors que l’image mentale désigne la première composante de la sémiose hypoiconique. Je propose cette distinction dans le dernier fragment de mon texte.

15 Voir la note 5.

16 « Prolegomena to an Apology for Pragmaticism », dans The Monist, vol. 16, 1906. C.P. 4.531. Trad. dans Fisette 1976, p. 276-277.

17 Pour une analyse comparée des spécificités sémiotiques du langage musical et de la langue, on pourra se référer à : Jean Fisette, « Le visible et l’audible : spécificités perceptives, dispositions sémiotiques et pluralités d’avancées sémiosiques », Tangence, No 64, 2001, p. 81-98. Le texte de cette conférence est aussi disponible sur ma page web à l’adresse suivante : www.jeanfisette.net, dans la rubrique : « Musique, littérature et sémiotique ».

18 Les conférences Lowell ont été données à Boston à l’automne 1903. Certaines ont été reproduites dans The Essentiel Peirce II (Peirce 1998). La cinquième conférence (« Nomenclatures and Divisions… ») figure aux pages 289-299 et la troisième (« Sundry Logical Conceptions ») aux pages 267-288.

19 Je rappelle que l’indécision et l’incertitude font partie intégrante de la position philosophique du pragmatisme dont est issue la sémiotique. J’ai abondamment traité de ce sujet dans une conférence donnée à l’Université de Liège, intitulée : « L’incertitude de la représentation. Vecteur de la sémiotique de Peirce ». Le texte de cette conférence est disponible sur ma page web à l’adresse suivante : www.jeanfisette.net, dans la rubrique : « Travaux de sémiotiques ».

20 Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’ineffable, Seuil, 1983, p. 76.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean Fisette, « La musique et les pas de la danse, le partage d’un imaginaire sensible et l’imprévision »Signata [En ligne], 15 | 2024, mis en ligne le 02 septembre 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/5273 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127x3

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Auteur

Jean Fisette

Jean Fisette, sémioticien, professeur retraité de l’UQAM, a fait ses études doctorales à l’Université de Montréal et sa thèse sous la direction de Paul Zumthor. Il a dirigé plusieurs recherches de maîtrises et de doctorat en sémiotique. Il a publié trois livres et une cinquantaine d’articles, chroniques, revues, articles de fonds en sémiotique dans plusieurs pays. La plupart de ses articles en sémiotique ont été réédités sur sa page web à l’adresse : www.jeanfisette.net et plusieurs de ses travaux sont publiés sont disponibles sur Academia.edu.
Courriel : jean.fisette[at]cgocable.ca

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