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Food, culture, and ideology

Sémiotique du carnage : la chair animale comme unité indicielle et symbolico-discursive

Adrien Mathy

Résumés

Le présent article est pensé comme une lecture exploratoire et synthétique des travaux sur la question de la présence animale dans les discours sur la viande. Nous envisageons le fonctionnement sémiotique de la chair animale en le considérant du point de vue indiciel et symbolico-discursif. Ainsi, nous cherchons à montrer par quels processus l’indicialité de la chair animale dysfonctionne cependant qu’elle remplit, dans les discours culinaires, un rôle symbolique central, eu égard à l’idéologie dont les discours carnistes sont la matérialité, qui témoigne de la persistance d’un régime ontologique de type analogique.

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Texte intégral

Introduction

1Notre article se veut une proposition de lecture exploratoire de la chair animale comme unité à la fois indicielle et symbolico-discursive. Cette lecture, qui cherche à combiner la sémiotique et l’analyse du discours, s’inscrit par ailleurs dans une perspective critique en envisageant la viande du point de vue idéologique, telle qu’elle entretient des rapports notamment avec des systèmes de domination et d’exploitation. Dans cette perspective, nous pouvons identifier une culture et un imaginaire spécifiques au carnisme, qui ont pu être rapprochés d’un « mythe de la viande » (Barrineau 2016, pp. 1‑4) — que le véganisme et l’antispécisme cherchent précisément à déconstruire et à étudier selon une méthode similaire à celle des « mythologistes » (Barthes 1957). Il s’agit d’étudier la manière dont la viande participe d’une humanité carnivore (Burgat 2017) qui, bien qu’ayant les moyens culinaires et techniques de s’affranchir de l’alimentation carnée, la maintient et l’institutionnalise voire l’universalise (Berthier & Larrère 2017, paragr. 6). Ces approches sont éminemment situées — au sens de Donna Haraway (1988) — et s’inscrivent en opposition aux épistémologies hégémoniques en proposant des lectures antispécistes ou écoféministes de la question de la viande — ainsi que de la question animale qui lui est consubstantielle. Nous souhaitons inscrire notre étude dans ce déjà-là théorique et critique, en mettant au jour dans les discours carnistes — c’est-à-dire les discours qui réalisent cette humanité carnivore en permettant « une mise à mort non criminelle » (Derrida 1989, p. 107) de l’animal non humain — un processus paradoxal d’effacement-spectacularisation du rapport entre la viande (comme objet culinaire) et l’animal non humain (comme être-en-soi rentrant dans le champ de notre considération morale).

2Ce phénomène d’effacement-spectacularisation, propre au discours carniste, nous pensons pouvoir en décrire son fonctionnement précisément en approchant la chair animale du point de vue de sa double fonction sémiosique : indicielle et symbolico-discursive. Pour ce faire, nous devons étudier tant les discours sur la viande que les discours par la viande, c’est-à-dire les discours qui trouvent leur matérialité dans la chair animale. Nous pourrons ainsi montrer en quoi la chair animale est une unité sémiotique spécifique et spécifiquement investie, attendu qu’elle s’efface indiciellement pour ne plus être que de la viande, c’est-à-dire un simple consommable déconnecté de l’animal dont elle est issue, mais pour réapparaître symboliquement, par un jeu de simulacre pseudo-indiciel, dans le discours, comme la chair d’un animal — charriant de facto une série de valeurs axiologiques et idéologiques propres à un régime ontologique particulier. Car, selon nous, ce phénomène d’effacement-spectacularisation, qui met en jeu l’indicialité et la symbolico-discursivité de la chair animale, rend compte d’un syncrétisme en tension entre deux régimes ontologiques, dans lesquels s’inscrivent les rapports qu’entretient l’humain avec l’animal non humain.

3Notre travail articule donc plusieurs hypothèses : (H1) l’humanité carnivore est réalisée par un discours carniste que nous pouvons décrire en étudiant (H1a) un phénomène d’effacement-spectacularisation de la chair animale du point de vue (H1b) de son fonctionnement sémiosique indiciel ou symbolico-discursif ; (H2) ce phénomène caractéristique du discours carniste rend compte d’un syncrétisme en tension entre deux régimes ontologiques que nous pouvons mettre au jour en étudiant, dans lesdits discours carnistes, les phénomènes d’effacement-spectacularisation et leur fonctionnement sémiosique et discursif sous-jacent. Pour ce faire, nous définirons dans un premier temps notre approche (paragr. 1) en considérant d’une part son inscription dans un déjà-là critique concernant les questions du carnisme et de l’antispécisme (paragr. 1.1) et, d’autre part, notre méthode de lecture, envisagée à l’intersection de la sémiotique et de l’analyse du discours (paragr. 1.2). Dans un second temps, nous envisagerons le processus sémiosique indiciel dans lequel s’inscrit la chair animale afin d’appréhender le phénomène d’effacement (paragr. 2) en considérant d’une part les conditions dispositionnelles et contextuelles nécessaires à l’indicialité (paragr. 2.1) et, d’autre part, la portée idéologique de cet effacement — à l’aune des notions d’ignorance épistémique et de référent absent (paragr. 2.2). Dans un troisième temps, nous envisagerons la chair animale du point de vue symbolico-discursif (paragr. 3) en considérant la dynamique complexe entre sémiotique et discours (paragr. 3.1) et en mettant au jour le syncrétisme ontologique conflictuel dont nous formulons l’hypothèse (paragr. 3.2). Enfin, nous conclurons notre exposé en articulant la question sémiotique de l’indicialité et la question sémiotico-discursive de la symbolico-discursivité de la chair animale, afin d’appréhender comment l’idéologie carniste trouve sa matérialité dans les discours sur et par la chair animale qui, tout en réalisant cette idéologie, rendent compte de la tension interne à cette dernière, entre deux régimes ontologiques a priori incompatibles (paragr. 4).

1. Praxéographie du carnisme : proposition d’un modèle de lecture

1.1. Discours carniste(s) et éthique(s) animale(s) : une approche critique

4Articuler l’analyse du discours, a fortiori dans une perspective énonciative, et la sémiotique est relativement problématique, attendu qu’il s’agit de disciplines dont les objets et les approches sont a priori fortement dissemblables, même s’il existe des convergences et des tentatives de synthèse (Fontanille 1998). En outre, le terme de discours est relativement complexe à manipuler attendu qu’il recouvre de nombreuses notions (Maingueneau 1979). Nous considérerons, pour notre part, le discours comme un (ou des) énoncé(s) considéré(s) du point de vue de leurs conditions de production — en ce compris les conditions énonciatives : c’est précisément par l’intermédiaire de la question énonciative que nous entendons articuler la notion de discours à la notion de sémiotique. Par ailleurs, nous pouvons approcher le discours par une autre définition, en l’occurrence la définition foucaldienne, en considérant que le discours est « [l’]ensemble des énoncés qui relèvent d’un même système de formations » (Foucault 1969, p. 141). Ainsi, lorsque nous nous proposons d’étudier le discours carniste, nous souhaitons en fait étudier l’ensemble des énoncés qui relèvent du système de formation propre à l’idéologie carniste. Ces énoncés, dès lors que nous les envisageons du point de vue de leurs conditions de production, sont considérés comme du discours — au sens de Maingueneau et non plus au sens de Foucault. Les deux emplois dont nous faisons usage s’articulent aisément : est discours au sens foucaldien tout énoncé qui répond aux mêmes conditions de production, qui constituent un système de formation — et qu’il faut donc envisager du point de vue desdites conditions de production, c’est-à-dire comme du discours au sens de Maingueneau.

5Enfin, dans la perspective qui a pu être développée par Pêcheux, nous considérons le discours comme le lieu de matérialisation de l’idéologie (Pêcheux 1969 ; Pêcheux & Fuchs 1975) : autrement dit, l’idéologie se matérialise dans le discours qui se matérialise dans la langue. Plutôt que de parler de l’idéologie au singulier, comme s’il existait une seule idéologie — qui dans la perspective péchaldienne est l’idéologie capitaliste — nous parlons de complexe idéologique, dans lequel plusieurs idéologies, sociohistoriquement situées, sont en tension. Dans cette perspective, l’analyse du discours telle que nous l’envisageons vise à mettre au jour le système de formation auquel appartiennent les énoncés étudiés, pour finalement rendre compte du complexe idéologique en vigueur dans une société donnée. Afin d’analyser le discours, il convient donc de s’intéresser (P1) à la formation des énoncés et (P2) à l’infrastructure idéologique qui la contraint. Cette distinction correspond à la décomposition de notre hypothèse en introduction : la formation des énoncés (P1) suppose d’étudier leur fonctionnement matériel, formel et énonciatif, dont relève, sinon le phénomène d’effacement-spectacularisation (H1a), le processus sémiosique qui lui est sous-jacent (H1b) ; quant au complexe idéologique (P2), il rend compte du syncrétisme conflictuel entre les régimes ontologiques (H2). Aussi, avant de nous intéresser spécifiquement à notre méthode de lecture et d’analyse du discours, qui nous permettra d’envisager la formation des énoncés, nous pouvons aborder brièvement les questions idéologiques et envisager la question du carnisme et, spéculairement, celle de l’antispécisme.

  • 1 Singer (1975) crée le terme antispécisme comme un calque sur les notions de racisme et de sexisme. (...)
  • 2 L’approche antispéciste suppose que l’espèce n’est pas un critère pertinent pour évaluer la considé (...)

6Ainsi, comme nous l’avons brièvement expliqué en introduction, notre approche s’inscrit dans un interdiscours théorique et critique ancré dans des traditions convergentes quoique non réductibles : la critique du discours hégémonique de la modernité occidentale, les discours antispécistes (et, conjointement, les discours dont la critique s’inscrit à l’intersection des questions de sexe, de genre, de race, de classe et, en l’occurrence, d’espèce, attendu que le terme antispécisme leur est initialement analogique1) ainsi que les discours éthiques qui questionnent l’extension du champ de notre considération morale. Les discours éthiques dont il est question ne sont pas nécessairement antispécistes ou sentientistes2 — le welfarisme est, dans cette perspective, un discours éthique sur l’exploitation animale qui ne critique par l’exploitation en elle-même (il s’intéresse plutôt à l’exploitation industrielle) et ne questionne par l’arbitrarité morale du spécisme (Regan 2004).

7Au demeurant, notre approche s’inscrit pleinement dans une démarche antispéciste en questionnant le fonctionnement du discours carniste — ainsi que de l’idéologie et du régime ontologique sous-jacent audit discours — en tant qu’il refuse l’extension de la considération morale aux animaux non humains. Ce refus suppose de facto qu’il est moralement justifié de tuer des animaux non humains pour s’en nourrir, eu égard à un système moral propre à la modernité occidentale qui considère comme de l’ordre de l’exploitable tout ce qui est du domaine de la nature, en ce compris les animaux non humains (Vignola 2021). Aussi, lorsque nous parlons d’étudier le système de formations des énoncés, il s’agit de mettre au jour ce qui ou ne peut pas se dire dans l’ordre du discours carniste, et, dès lors, considérer le processus d’effacement-spectacularisation. Les énoncés qui parlent de la viande ne peuvent dire le rapport réel entre la viande et l’animal, par contre, conjointement, ils doivent dire le rapport qu’il y a entre la viande et l’animal — mais, comme nous allons le montrer, il s’agit alors d’un animal fantasmé.

  • 3 Burgat rapporte ainsi les banquets médiévaux où étaient servies des dindes dont chacune des plumes (...)

8Cette tension entre effacement et spectacularisation peut s’expliquer notamment par le processus d’« absentéisation » identifié par Adams (1990, nouv. éd. 2016), qui repose sur trois procédés (v. Almeida Pereira 2021, p. 65) : l’animal est rendu littéralement absent par la mise à mort ; discursivement [définitionally] par la manière dont on parle de la viande, qui est radicalement différente de la manière dont on parle de l’animal — dont la viande est pourtant issue ; et, enfin, métaphoriquement, par l’emploi de métaphores animales afin d’explorer l’expérience humaine. Notre réflexion porte sur les deux premiers procédés de cette absentéisation : il s’agit d’étudier la manière dont, dans le discours, la viande ne renvoie plus à l’animal : autrement dit, comment s’efface la chair animale dans les discours et, conséquemment, s’efface la réalité sémiotique de la chair animale concrète, en présence ? C’est sur ce point, précisément, que s’articulent la réflexion discursive et sémiotique : si la viande, comme objet concret, comme aliment, en présence, ne renvoie pas, de façon indicielle — dans une logique peircienne — à l’animal dont la mise à mort a été nécessaire, c’est précisément parce que discursivement le rapport entre l’animal et la viande est effacé. Cet effacement discursif — dont procède in fine l’effacement sémiotico-indiciel — se réalise à travers divers procédés — particulièrement présents dans le marketing (Burgat 2017, pp. 149‑51). Toutefois, et nous insistons sur ce point, conjointement à l’effacement s’opère bel et bien un système de spectacularisation, que Florence Burgat a pu identifier. Elle pointe ainsi l’animal ostensible, pratique culinaire consistant à reproduire l’animal dans et par le plat lui-même (Ibid., p. 141)3, mais aussi divers procédés par lesquels l’animal réapparaît soit dans une « négation absolue » (Ibid., p. 146), soit dans l’assentiment de l’animal.

9La « négation absolue » rend parfaitement compte de la dynamique d’effacement-spectacularisation dans une perspective à la fois discursive et sémiotique. Burgat cite ainsi le cas des silhouettes animales quadrillées par les marques de la découpe bouchère. La chair animale est simultanément en absence et en présence : en présence, puisqu’il est clairement identifiable qu’il s’agit de la chair (les parties) d’un animal ; mais, de fait, en absence puisque l’animal n’est pas envisagé comme un être qui a été mis à mort, mais bien comme « l’enveloppe d’un contenu déjà élaboré » (Ibid.) : c’est l’animal qui est l’enveloppe de la viande, et non plus la viande qui procède de l’animal mis à mort. De façon similaire, nous pouvons observer ce phénomène d’effacement-spectacularisation dans certaines considérations mécanistes selon lesquelles l’animal est une machine à transformer des aliments indigestes ou non comestibles pour l’humain en aliment qu’il peut consommer — c’est-à-dire en viande. Les bovidés deviennent ainsi des « unités de transformation de cellulose naturelle de prairie en aliments pour humains » (MacLesggy [@MacLesggy] 2023). Cette vision est par ailleurs téléologique : l’animal non humain a comme raison d’être de produire de la nourriture pour les êtres humains. Ainsi, il nous semble que l’absentéisation « définitionnelle » dont discute Adams (1990, nouv. éd. 2016) se réalise concrètement à travers cette tension discursive entre l’effacement et la spectacularisation. Il faut et effacer le lien entre la viande et l’animal non humain, ou plus spécifiquement effacer l’étape intermédiaire — à savoir la mise à mort — et souligner le lien entre la viande et l’animal, afin de mettre en exergue tantôt sa qualité, tantôt son utilité, tantôt sa fonction sacrificielle, pour parler comme Burgat (2017) — qui reprend le terme à Baudrillard (v. aussi Berthier & Larrère 2017 ; Derrida 1989).

10Cette tension entre effacement et spectacularisation tire son origine, selon nous, du conflit ontologique dont nous discutions en introduction : elle rend compte de la conflictualité entre deux idéologies sous-jacentes aux discours carnistes. D’une part, une idéologie qui implique l’effacement de l’animal et de sa mise à mort, sans quoi la réalité de la viande comme chair animale deviendrait apparente et pourrait rendre difficilement soutenable — moralement — son acceptation ; d’autre part, une idéologie qui implique au contraire la spectacularisation de l’animal, qui confère des valeurs axiologiques positives à la viande. Cette spectacularisation n’apparaît néanmoins que dans l’effacement : la mise à mort reste de côté, attendu que l’animal est déjà-viande ou machine à produire de la viande. Cet effacement-spectacularisation est au cœur du mécanisme discursif qui autorise cette « mise à mort non criminelle » dont nous parlions en introduction (v. Derrida 1989, p. 107). Rendre apparente la chair animale en tant qu’elle est issue d’un animal, sans pour autant faire dysfonctionner l’effacement indiciel, repose sur un effacement de l’animal réel auquel se substitue tantôt un animal « absolument nié » tantôt, au contraire, un animal que nous pourrions qualifier d’absolument fantasmé, d’absolument symbolique qui s’inscrit dans un ordre ontologique particulier, qu’il va s’agir de spectaculariser.

1.2. La chair animale entre matière et matérialité : du discours sur au discours par

11Afin de comprendre le processus d’effacement-spectacularisation, qui touche à la fois au discours et au sémiotique, il faut s’intéresser au discours et au réseau de contraintes sur le discours — le système de formation. Pour ce faire, nous proposons une approche que nous qualifions de praxéographique. Afin de saisir le système de formation des discours, il faut distinguer deux processus : premièrement, le processus énonciatif qui consiste en la matérialisation de l’énoncé, tant sur le plan physique que sur le plan formel (c’est-à-dire le plan sémiotique, celui du système de signes s’il y en a un) ; et deuxièmement, le processus discursif, dont résultent les effets de sens discursifs dudit énoncé matérialisé. Cette distinction est importante à plusieurs égards : elle nous permet notamment de distinguer le fonctionnement sémiotique et sémiosique propre à la production d’un énoncé — en ce compris ses effets de sens spécifiques — du fonctionnement proprement discursif, qui repose sur d’autres logiques et d’autres mécanismes.

  • 4 Dans cette approche, il y a, de fait, deux niveaux d’effets de sens : les effets de sens propres à (...)
  • 5 Par exemple, l’activité scientifique peut être envisagée comme une praxis sociodiscursive puisqu’il (...)

12Outre ce double processus, nous pouvons donc identifier une triple praxis qui définit le système de contraintes sur le processus énonciatif/discursif. Former des énoncés porteurs d’effets de sens spécifiques — co-construits entre énonciateur(s) et énonciataire(s) — suppose un processus de matérialisation et un processus de production de sens discursifs qui sont contraints par la praxis dans laquelle s’inscrit cette formation4. Ainsi, toute production de sens — et matérialisation conséquente — s’inscrit dans une activité sociale donnée (la praxis sociale) qui peut, d’ailleurs, être une praxis de production de discours (nous parlons alors de praxis socio-discursive)5. Elle s’inscrit par ailleurs dans une praxis qui détermine ce qui peut être dit ou ne pas être dit, pour un locuteur donné (comme sujet social), dans une situation donnée : il s’agit de la praxis discursive (ou ordo-discursive, pourrions-nous dire, afin de mettre l’accent sur l’ordre du discours défini par cette praxis). Enfin, la praxis énonciative définit les conditions matérielles de l’énonciation et de la production de sens strictement énonciatif — c’est-à-dire propre à la matérialité physique ou formelle de l’énoncé.

  • 6 Par exemple, la couleur de notre énoncé relève de sa matérialité physique et constitue un effet des (...)
  • 7 Dans cette perspective, nous pouvons considérer que le processus énonciatif contraint par la praxis (...)

13Aussi, la praxis discursive est, a priori, propre à surdéterminer et contraindre le processus discursif — c’est-à-dire la production des effets de sens discursifs — tandis que la praxis énonciative est, a priori, propre à surdéterminer et contraindre le processus énonciatif — c’est-à-dire la matérialisation de l’énoncé, dont découlent des effets soit épiphénoménaux aux effets de sens discursifs, soit protophénoménaux, pourrions-nous dire6. Ainsi, d’une façon simplifiée, nous pourrions considérer que le processus énonciatif s’opère dans une praxis énonciative spécifique — une situation locale (un ego, hic et nunc), un support physique et formel, duquel découle un déploiement spatio-temporel, en environnement énonciatif (les énoncés en coprésence), des conditions matérielles spécifiques (bruits, parasites, etc.) ainsi que des conditions médiologiques et (dia-)mésiques propres. En outre, la praxis énonciative définit le système de signes dans lequel l’énoncé trouve sa matérialité physique et formelle7. Le processus discursif s’opère quant à lui spécifiquement dans une praxis (ordo)discursive, caractérisée par l’ordre du discours, par la situation de ce qui peut ou ne peut se dire, au-delà de la situation locale. Enfin, la praxis sociale intègre les deux praxis dont il est question. Ces praxis varient constamment — et varient avec elles les processus énonciatifs et discursifs — et diffèrent d’un énonciateur/énonciataire à un autre. Produire un énoncé suppose la matérialisation sémiotique d’un énoncé porteur d’effets de sens discursifs contraints par l’ordre du discours ; interpréter un énoncé suppose de produire, à rebours, à partir de l’énoncé matériel, des effets de sens discursifs — auxquels s’ajoutent des effets de sens formels et matériels, purement sémiotiques, propres à la matérialité de l’énoncé. En cela, le sens in extenso ne procède jamais d’un codage, mais bien d’une co-construction qui se produit à deux niveaux — énonciatifs et discursifs — qui engagent différemment la question sémiotique.

  • 8 Nous pourrions identifier un troisième type d’effets de sens, qui ne relève ni du matériel/énonciat (...)

14Afin de rendre compte du fonctionnement de cette approche discursive, illustrons-la avec l’activité de production de graffitis que nous avons pu étudier par ailleurs (Mathy 2018, 2019) et qui illustre adéquatement la démarche que nous proposons. Pour chaque énoncé-graffiti nous pouvons identifier les trois praxis : la praxis énonciative permettra d’envisager les autres énoncés-graffitis auxquels s’articulent le graffiti étudié, la manière dont il occupe physiquement et formellement l’espace, la situation diamésique — certains marqueurs formels sont propres à la situation de communication différée —, et ainsi de suite ; la praxis discursive permettra d’envisager la possibilité du dicible et du non-dicible comme un espace ordo-discursif au sein duquel s’inscrit la pratique du graffiti, contraignant les jeux de transgression ; enfin la praxis sociale permet d’envisager l’activité sociale dans laquelle s’inscrit la pratique du graffiti : du graffiti politique prémédité dans le cadre d’une action au graffiti spontané d’un sujet social somnolant durant un exposé. En substance, le processus énonciatif — la matérialisation physique et sémiotico-formelle de l’énoncé graffiti — s’inscrit spécifiquement dans la praxis énonciative qui le contraint, tandis que le processus discursif — la coproduction des effets de sens proprement discursifs — s’inscrit spécifiquement dans la praxis ordo-discursive. La praxis sociale contraint quant à elle les praxis ordo-discursives et énonciatives8.

15Dans cette perspective, nous pouvons distinguer des discours en fonction de la matérialité langagière qui les réalise. Ainsi, nous pouvons distinguer les discours dont la matière, au sens du sujet, du topos, est l’alimentation et le culinaire, des discours dont la matérialisation se réalise par l’alimentation et le culinaire. En d’autres termes, nous pouvons distinguer les discours sur les aliments, quel que soit leur statut sémiotique, des discours des aliments et du culinaire, c’est-à-dire les discours que produisent les aliments en tant qu’ils sont des unités symboliques dans un processus discursif spécifique. Ces discours par les aliments peuvent d’ailleurs porter sur les aliments eux-mêmes dès lors que les discours sur les aliments peuvent avoir des matérialités sémiotiques variées. Car il s’agit bien d’une question de matérialisation et donc d’énonciation — par conséquent, dans notre approche, d’une question de sémiotisation. Un discours par les aliments suppose un processus énonciatif qui matérialise des effets de sens spécifiques à l’aide d’un système de signes dont les unités symboliques sont des aliments et, inversement, suppose que des aliments — dans leurs modalités d’apparition et d’existence — puissent produire des effets de sens spécifiquement discursifs.

16Par ailleurs, les discours sur les aliments et les discours par ou des aliments entretiennent une relation interdiscursive, attendu, d’une part, que les discours sur les aliments contiennent in fine les discours des aliments et, d’autre part, que les discours des aliments sont définis, identifiés, construits, structurés, appréhendés et appréhendables comme tels, par l’interdiscours sur les aliments. Par exemple, l’idée qu’un plat peut raconter une histoire a pu être popularisée par les discours sur les aliments propres aux dispositifs télévisuels caractérisés par les émissions compétitives culinaires qui travaillent évidemment l’imaginaire des consommateurs (Ketchum 2005). Dans une perspective praxéographique, nous pouvons considérer que le discours par les aliments suppose une articulation matérielle et formelle propre — dresser une assiette n’est pas écrire un énoncé, encore qu’un dressage peut contenir un énoncé en langue — propre au processus énonciatif et à la praxis énonciative dans laquelle il s’inscrit. Les effets de sens proprement discursifs par contre sont contraints et travaillés, nous l’avons dit, par un interdiscours qui définit tant ce qui peut se faire ou ne pas se faire dans une assiette que ce que cela signifie, à divers niveaux interprétatifs. Cet interdiscours est constitutif de la praxis ordo-discursive. La praxis sociale quant à elle n’est autre que l’activité de production ou de consommation de nourriture, dans un lieu spécifique en l’occurrence. Les discours par sont donc contraints par du non-dit et du dit — et le dit consiste en les discours sur. Les discours sur ce que nous mangeons constituent donc un interdiscours qui entoure et « investi[t] la nourriture de plusieurs significations et valeurs qui, en retour, médient notre expérience gastronomique » (Stano 2021, p. 147, nous traduisons), mais surtout rend fonctionnel et possible le discours par.

  • 9 Notre définition peut paraître tautologique. Lorsqu’un signe fonctionne, sémiosiquement parlant, de (...)

17Les discours sur la nourriture, peu importe leur nature médiologique et sémiotique, constituent donc un interdiscours culinaire qui impacte notre expérience gastronomique en tant qu’elle est une praxis sociale spécifique, mais aussi en tant que cette expérience gastronomique est de nature discursive et énonciative — dans son pan physique et sémiotico-formel. En effet, si manger un plat est une pratique de consommation qui peut s’appréhender socialement, il s’agit aussi de la réception d’un discours par la nourriture que nous pouvons appréhender grâce aux discours sur la nourriture. Dans cette perspective, une assiette peut donc être un discours à part entière. Aussi, au même titre qu’il existe un discours musical ou architectural, il existe un discours culinaire qui est une matérialisation spécifique d’effets de sens discursifs donnés. Au demeurant, nous pouvons nous interroger quant à l’application au sens strict de la notion de discours à la réalisation d’une assiette ou d’un plat. Insistons sur le distinguo que nous produisons entre les discours sur le culinaire — par exemple la description du plat réalisée par le serveur qui apporte l’assiette — du discours par le culinaire, c’est-à-dire le discours que constitue dans sa matière le plat qui est servi. Si nous nous en tenons à notre approche : dès lors qu’il y a des effets de sens discursifs et une matérialisation donnée — l’une et l’autre sont nécessairement conjoints — il y a du discours9.

  • 10 Nous pourrions identifier un troisième fonctionnement sémiosique. En effet, nous pouvons dédoubler (...)

18Ainsi, l’assiette est un discours eu égard aux combinaisons possibles dans sa sémiotique interne, aux articulations d’éléments de significations qui font sens structurellement, compte tenu de règles socialement définies et de conditions de productions spécifiques : la combinaison des aliments, en fonction de leurs couleurs, leurs senteurs, leurs gouts, leurs origines, géographiques ou historiques, les topoï qui y sont associés, le choix de la disposition sur la surface qui accueille les aliments, le choix de ladite surface, du lieu qui encadre l’activité alimentaire, et ainsi de suite. Tout ne peut pas être fait dans l’assiette au même titre que tout ne peut pas être dit et le champ du licite est défini par des règles sociales et sémiotiques spécifiques — peut-être aussi par des règles propres à la matérialité alimentaire. Ainsi, nous pouvons considérer que le discours peut trouver sa matérialité certes dans le langage, mais aussi dans d’autres sémioses, dont les sémioses culinaires, qui relèvent de logiques sensibles et sensorielles propres, dont le gout et l’odorat, mais aussi le visuel. Quant aux contraintes sur la matérialisation et la production de sens, elles s’inscrivent pleinement dans les praxis que nous avons identifiées10.

19Il reste encore à envisager comment la matérialité énonciative dans son pan physique — dans sa substance — peut, elle-même, signifier, même de façon symbolique. Lorsque nous envisageons le statut sémiotique d’un aliment, ce dernier n’apparaît que subrepticement à travers une opacité sémiotique conséquente à la superposition des phénomènes de sémiotisations et de mise en discours que nous avons observés. La chair animale en tant qu’unité sémiotique est prise dans un phénomène de superposition sémiotique. À titre d’exemple, considérons une glace qui serait achetée auprès d’une grande marque d’un glacier de rue. Cette glace est composée de trois boules, disposées dans un petit pot aux couleurs de la marque, aisément identifiable, et recouvertes d’un nappage à base de biscuits d’une autre marque reconnue — qui a réalisé un partenariat avec la première. Considérer cet objet culinaire implique de démêler un véritable enchevêtrement sémiotique. Premièrement, nous pouvons identifier une matrice de significations propres à la praxis sociale : un individu — qui, dans son ensemble, est lu de façon praxique — il mange une glace, de telle marque, de telle nature, en tel, lieu, de telle façon, et ainsi de suite. La praxis est caractérisée par un réseau de significations dont aucun élément n’est, dans l’absolu, le centre. Toujours est-il que l’acte de manger cette glace hic et nunc sera signifiant eu égard à l’imaginaire sur les pratiques de consommation — c’est-à-dire compte tenu de l’interdiscours sur le culinaire et la consommation alimentaire. Deuxièmement, nous pouvons identifier une matrice de significations propres à l’aliment en lui-même — en tant qu’il est discours par.

20Cependant, cette matrice de significations peut être appréhendée dans ce que nous envisageons comme son extériorité et son intériorité sémiotique. Un objet du réel en tant qu’il signifie peut être appréhendé selon ce qui le constitue ou selon ce qu’il constitue. L’extériorité sémiotique d’un objet du réel qui s’inscrit dans un processus sémiogénétique consiste en l’ensemble des éléments signifiants qui entourent l’objet et qui ne participent pas de sa matérialité ; tandis que, de façon opposée et complémentaire, l’intériorité sémiotique d’un objet du réel qui s’inscrit dans un processus sémiogénétique consiste en l’ensemble des éléments signifiants qui constituent l’objet dans sa matérialité physique — reprenons l’exemple de la couleur de notre énoncé. Cette extériorité et cette intériorité sémiotiques sont constitutives de la praxis énonciative : elles accompagnent le processus de matérialisation de l’énoncé et participent aux effets de sens qui lui sont propres.

21Dès lors, si nous considérons un énoncé en langue naturelle : l’intériorité sémiotique consisterait en la sémiotisation de ce que qui compose l’inscription matérielle. Par exemple, l’usage d’un papier recyclé ou d’une encre végane chez un tatoueur constitue des éléments propres à la matérialité de l’énoncé mais qui peuvent être sémiotisés à leur tour — même symboliquement. Quant aux éléments qui entourent l’objet sans participer de sa matérialité, il s’agit de tous les éléments sémiotiques en coprésence, l’ensemble de l’environnement énonciatif et sémiotique, en ce compris l’environnement discursif. Si nous achetons un paquet de saucisses, l’extériorité sémiotique consistera en l’ensemble des signes et des discours qui accompagnent ledit paquet : la recette sur le dos du paquet, les ingrédients, la date de péremption, le code barre, les indices marketing, et ainsi de suite. L’intériorité sémiotique, quant à elle, concernera ce qui constitue lesdites saucisses : les épices, la viande, etc. Chacun de ces éléments, propres à l’extériorité et à l’intériorité, sont signifiant et signifient de fait dans leur propre sémiose. Ainsi, si nous considérons l’exemple de la glace, nous pouvons identifier l’extériorité sémiotique (le pot de la glace dont les couleurs signifient la marque) qui charrie des valeurs axiologiques et des propriétés stéréotypiquement associées à la marque compte tenu de l’interdiscours sur celle-ci dans une situation de l’espace social donnée. Concernant les effets propres à l’intériorité constitutive et matérielle, il s’agira d’identifier que la glace est un aliment sucré, un aliment lacté, et ainsi de suite. Chacune de ses sous-unités active ses propres discours et symbolisations intérieures. En outre, les unités propres à l’intériorité sémiotique peuvent avoir leurs propres extériorités et intériorité sémiotiques, et ainsi de suite. Au demeurant, il ne nous semble pas pertinent d’envisager l’aliment-total et les effets symbolico-discursifs qui sont les siens d’un point de vue additifs. Les logiques sémiotiques et discursives en jeu peuvent être en tension, en synergie, en co-construction mutuelle, ou en coexistence sans effets surajoutés. L’aliment est, dès lors, pris dans un réseau de significations qui constitue une véritable matrice combinant des effets de sens discursifs et sémiotiques, à différents niveaux.

2. L’indicialité de la chair animale : praxis sociale et interdiscours carniste

2.1. Praxis et indicialité : disposition et contexte

22La section précédente nous a permis d’opérer plusieurs distinctions afin d’appréhender le fonctionnement de l’effacement-spectacularisation de la chair animale d’un point de vue discursif et sémiotique. En effet, nous opérons une distinction entre les discours sur dans lesquels la chair animale est un sujet, et qui peuvent se réaliser dans n’importe quelle matérialité, et les discours par dans lesquels la chair animale est la matérialité sémiotico-énonciative du discours — qui peut par ailleurs être, simultanément, du discours sur, attendu que le discours par la chair animale peut porter sur la chair animale. Dans les discours par la chair animale, cette dernière, en tant qu’unité sémiotique, fonctionne d’un point de vue symbolico-discursif. Par ailleurs, la chair animale peut fonctionner sémiosiquement — tout en étant en dedans ou en dehors du discours — de façon indicielle et renvoyer, comme indice causal, à l’animal mort. Ainsi, une unité sémiotique, propre à un système de signe donné dans lequel le discours trouve sa matérialité, a une fonction sémiosique symbolique dès lors qu’elle est dans un énoncé discursif. Par conséquent, dans les discours par, la chair animale peut avoir une fonction indicielle ou une fonction symbolico-discursive. En effet, si nous considérons une assiette comme un énoncé en considérant que sa matérialité énonciative (et donc sa sémiose), les aliments qui la composent signifient sur le plan discursif, au sein d’une construction et d’une articulation sémiosique (qui a ses propres règles formelles), et sont contraints par l’ordre du discours. Lorsqu’un aliment signifie sur le plan strictement sémiotique, il signifie dans sa matérialité physique, il signifie per se.

  • 11 Si dans le cas d’une langue naturelle, comme la langue française par exemple, la distinction entre (...)

23Procédons par analogie, afin de rendre compte de la différence entre ces deux modes de fonctionnement. Considérons un discours musical, c’est-à-dire un discours qui se réalise dans la matérialité sonore de la musique. La note est signifiante en tant qu’elle est une unité discursive, qui répond à des règles combinatoires et des logiques propres tant à la grammaire musicale (contrainte propre à la praxis énonciative) qu’à l’ordre du discours musical, qui définit le dicible et le non dicible (contrainte propre à la praxis ordo-discursive)11. La note signifie en tant qu’elle participe au tout, à la structure, à un système d’oppositions ; elle signifie en tant qu’elle appartient (ou non) à la gamme utilisée pour la composition, en tant qu’elle est attendue (ou non) eu égard aux règles de composition musicale, en vigueur. La note n’est pas signifiante en tant qu’elle est un son de 36.71 hertz émis par un instrument donné, à un endroit donné, à un moment donné, eu égard à un contexte donné : elle n’est pas signifiante dans sa matérialité physique. Cet aspect relève de la perséité de la note qui, dans notre manière d’appréhender les choses, concerne le plan de la matérialité énonciative, donc le plan strictement sémiotique. En fonction de la sémiose activée, le fonctionnera comme un indice ou comme un symbole ; mais, il fonctionnera relativement à sa phénoménologie propre et non relativement à son inscription dans une structure donnée qui est mobilisée en tant que telle comme matérialité d’un discours et non comme matérialité en soi. Au demeurant, pour fonctionner dans une structure donnée, le doit fonctionner de façon symbolique.

24Ainsi, envisager le discours en distinguant le processus de matérialisation et le processus discursif, permet de distinguer au moins trois effets de sens répartis sur les deux niveaux dont nous parlions précédemment : au niveau discursif, nous observons les effets de sens co-construits et émergents, qui ne sont pas dus à l’unité en elle-même, mais au tout dans lequel elle s’intègre ; effets de sens qui, nous l’avons dit, impliquent le fonctionnement sémiosique d’ordre symbolique de l’unité ; qu’il s’agit encore de distinguer des effets de sens produits par l’unité dans la perséité de sa matérialité. Si nous considérons un lexème donné, il signifie en tant qu’il est dans un tout (un énoncé-phrase) et en lui-même, symboliquement (son propre sémiotique) ; mais il signifie, en sus, dans sa perséité matérielle, hors de toute sémiose symbolique — quoique les éléments de son intériorité peuvent fonctionner symboliquement. Dès lors, si nous envisageons les discours par la chair animale, elle peut signifier en tant qu’unité symbolico-discursive ou en tant qu’unité indicielle. En substance, sur le plan discursif, nous n’observons que les effets de sens émergents du tout ; sur le plan énonciatif, nous distinguons les effets de sens sémiotico-formels propres à la sémiose symbolique du signe, qui lui permet de fonctionner dans le discours des effets de sens sémiotico-physiques, propres à la matérialité physique du signe.

25Enfin, dans une perspective d’architecture sémiotique, les plans de la signification ne sont évidemment pas exclusifs. Aussi, si nous appliquons ces considérations à la chair animale dans les discours par, il apparaît que cette dernière ne se donne jamais à voir dans une nudité sémiotique où elle signifierait seule dans sa pure matérialité physique de ce qu’elle est chair animale. Au contraire, la chair animale est transformée en un aliment — la saucisse par exemple — qui, elle-même, est cuisiné dans un plat, lui-même conditionné et vendu dans dispositif commercial qui l’entoure de symboles et de discours. La chair animale est donc effacée par un premier mouvement de subduction interne — autrement dit, la chair animale est la composante d’un aliment de degré supérieur, ou, plus largement, de l’entièreté d’un plat — et par un second mouvement de sémiotisation externe : plus que de la viande de porc, le consommateur mange une viande d’une marque donnée ou, plus largement, une viande qui s’inscrit dans un narratif spécifique qu’une marque ou un label peut incarner, constituant par ailleurs une rente de monopole au sens de Harvey (2001, tr. fr. 2018). Cependant, il apparaît que, sémiotiquement, la relation fondamentale entre l’aliment brut et sa production est absente.

26En effet, l’huile de palme n’est pas l’indice de la déforestation dont elle participe — quand bien même l’huile de palme est, d’un point de vue causal, la marque sensible de cette déforestation. Aussi, une sémiose n’existe pas in abstracto de façon transcendante. Pour qu’il y ait présomption sémiotique, il faut une double praxis sociale : une praxis dispositionnelle qui participe de la socialisation sémiotique de l’individu et qui le pourvoit des dispositions sémiotiques nécessaires ; une praxis contextualisante qui participe de la contextualisation qui active, ou non, la sémiotisation d’un élément du réel. Envisager ainsi une double praxis sociale permet de considérer les effets de sens produits dans le cadre d’une sémiose dont la dynamique est intrinsèquement liée d’une part aux dispositions sémiotiques et, d’autre part, au contexte sémiotique. En effet, si toute sémiose est en réalité sociale, toutes les sémioses ne sont pas liées de la même manière à la praxis sociale. Considérons les exemples suivants, dans une approche peircienne. Une trace de pas est, d’un point de vue sémiotique, un indice, attendu qu’il s’agit d’une trace directe du phénomène qu’il signifie incidemment par le fonctionnement sémiotique. Toutefois, tout indicielle qu’est cette trace de pas, elle s’inscrit néanmoins dans une praxis sociale spécifique qui d’une part permet, par socialisation, la différenciation, la considération et la reconnaissance sémiotique de l’indice en question.

27Aussi, si Peirce considère que « l’indice est lié physiquement à son objet [qu’] ils forment une paire organique, mais l’esprit qui interprète n’a rien à faire avec ce lien, sauf à le remarquer après qu’il est établi » (Peirce cité par Jappy 2014, par. 8), la capacité à remarquer ce lien et le contexte dans lequel cette distinction s’opère relèvent de praxis spécifiques : remarquer l’indice et remonter en quelque sorte jusqu’à son objet implique deux praxis sociales spécifiques que nous pouvons distinguer avec les termes de disposition et de contexte. Imaginons, de façon quelque peu romancée, un trappeur qui poursuit sa proie, les indices qu’il reconnait ne sont indiciels qu’en vertu d’un processus sémiotique de l’ordre de la différentiation, de la reconnaissance et de la considération. Le trappeur doit, dans un espace sensible et phénoménologique spécifique, différencier un phénomène donné de l’espace auquel il appartient (repérer un élément discrépant), le considérer pour ce qu’il est (une trace potentielle) et enfin le reconnaitre (l’indice de ce qu’il poursuit). Cette reconnaissance n’est possible qu’à condition d’avoir les dispositions à cette reconnaissance. Sans savoirs théoriques et pratiques d’ordre cynégétique, il n’y a pas de reconnaissance possible.

28Par ailleurs, si la sémiotisation de la trace comme indice repose sur une praxis sociale spécifique — celle dont procèdent les dispositions sémiotiques —, la trace ainsi sémiotisée s’inscrit elle-même dans une autre praxis — plus ou moins en homologie sur la première — qui est celle de l’action que mène un trappeur, à savoir retrouver sa proie. Ce faisant, nous distinguons les deux praxis définies aux paragraphes précédents : une socialisation passée dont procèdent les dispositions et les compétences à sémiotiser un phénomène donné et une praxis qui constitue le contexte qui nécessite cette sémiotisation et qui active les dispositions à reconnaitre comme signe la trace. Aussi, la trace de pas est l’indice sémiotique qu’un animal est passé par là et signifie en sus que le chasseur est sur la bonne voie. Cette seconde signification est propre à la praxis du moment, à celle de la traque – une autre praxis aurait produit une signification divergente, par exemple une auto-injonction à l’éloignement à cause d’un danger à prévoir. Toutefois, cette seconde praxis est en homologie sur la première : il est attendu qu’un individu qui traque a eu une socialisation le motivant à réaliser cette dernière — et le lui permettant. Considérons un second exemple : une trace de rouge à lèvres sur un verre. La reconnaissance comme un indice de ladite trace implique une socialisation qui la permet ; la signification de cet indice s’inscrit dans une sémiose propre à la praxis contextuelle : un employé d’un restaurant qui doit nettoyer ledit verre y verra l’indice d’une difficulté à venir — en l’occurrence le signe est à la fois trace sensible d’un phénomène passé, de l’ordre de la conséquence, et trace sensible d’un phénomène à venir, de l’ordre de la cause.

2.2. L’impossible indicialité de la chair animale : référent absent et épistémologie de l’ignorance

29La reconnaissance indicielle, au sens peircien, implique donc, d’une part, une praxis sociale première qui permet la prédisposition à reconnaître l’indice et, d’autre part, un contexte qui active cette sémiotisation. Aussi, si tout aliment est, potentiellement et de façon latente, l’indice du processus de sa propre émergence et des conséquences dudit processus, la reconnaissance sémiotique de cette valeur indicielle et l’activation de cette reconnaissance dépendent de la praxis de socialisation et de la praxis contextuelle. Dès lors, si on s’intéresse à l’hypothèse d’Adams (1990, nouv. éd. 2016) en envisageant les choses d’un point de vue strictement sémiotique, la chair animale n’est, a priori, pas le seul cas d’indicialité non réalisée. Toutefois, et sur ce point Adam met en lumière le fonctionnement propre au phénomène qui nous intéresse, elle spécifie que le référent absent n’est pas tant un phénomène qu’une stratégie discursive qui vise à invisibiliser l’origine animale de la chair animale. Si nous envisageons les choses du point de vue du processus de sémiotisation que nous venons de décrire, nous pouvons considérer que la non-activation de la potentialité indicielle et l’absence du référent sont deux phénomènes sémiotiques qu’il s’agit de distinguer et qui ne relèvent pas des mêmes opérations praxiques. Dans le premier cas, il s’agit de l’ignorance de la présomption de sémiotisation — ou de sa non-activation ; dans le second cas, il s’agit de la fabrication de cette ignorance. Si nous envisageons ce dysfonctionnement sémiotique sous l’angle d’une fabrication, nous risquons de produire une analyse de l’intentionnalité des acteurs. Dès lors, cette fabrication, nous l’envisageons comme la résultante de l’idéologie hégémonique, que nous rapprochons de la notion d’ignorance épistémique (Sullivan & Tuana 2007), déjà mobilisée autour des questions antispécistes (Kahn 2011) : cette notion d’ignorance épistémique ou d’épistémologie de l’ignorance interroge la manière dont la production de la connaissance dans un cadre hégémonique marginalise les alternatives théoriques et entérinent des situations de domination donnée ; d’une certaine manière, tout comme toute connaissance est située (Haraway 1988), nous pourrions considérer que toute ignorance est, elle aussi, située et, en l’occurrence, autorise la perpétuation de la logique sacrificielle.

  • 12 Les discours qui cherchent à faire apparaître la violence de la mise à disposition de la chair anim (...)

30Les discours constitutifs de l’extériorité sémiotique de la chair animale ainsi que l’ensemble des discours hégémoniques sur la chair animale — qui peuvent, ou non, participer de l’extériorité sémiotique — constituent ainsi des stratégies, notamment marketing, qui consistent à substituer au référent réel — l’animal mort — des fictionnalisations et des mythologies modernes : l’animal heureux et bien traité, l’animal dansant, l’animal promouvant sa propre consommation, et ainsi de suite (Burgat 2017 ; Pilgrim 2013 ; Trapara 2017). Ces mythologies relèvent, selon nous, non de l’animal fantasmé dont nous formulions l’hypothèse, mais bien de la négation absolue, attendu que l’animal comme être-au-monde est absolument nié et que l’animal qui apparaît n’en est pas un : il est du déjà-viande qui sera d’autant plus délicieux qu’il est bien traité. Dans cette perspective, tous les discours qui cherchent, au contraire, à réhabiliter le référent absent, à le faire réapparaître et, de fait, à participer la praxis sociale no 1 ou, a minima, à la praxis no 2, sont considérés comme des discours violents12 — produisant une inversion, attendu que la violence devient propre au discours montrant la violence, en révélant le référent absent, et non la mise à mort de l’animal. Par conséquent, compte tenu des éléments que nous venons d’exposer, nous pouvons envisager la sémiotisation de la chair animale dans sa matérialité physique — dont relève l’indicialité — selon les termes qui suivent. Dans sa sémiotisation interne, l’indicialité latente de la chair animale n’est pas activée, attendu soit qu’il n’y a aucune disposition sémiotique, propre à la praxis de socialisation, soit que, le cas échant, rien ne permette l’activation de cette sémiotisation, propre à la praxis contextuelle ; en outre, la chair animale s’efface — et sa sémiotisation s’opacifie — dans les aliments ou les plats dont elle est constitutive. Dans sa sémiotisation externe, la chair animale est accompagnée de signes et de discours qui participent d’une stratégie d’ignorance épistémique, de démotivation du signe, d’effacement du référent qui, conséquemment, devient absent de la sémiotisation comme des discours. En outre, cependant que cette sémiotisation externe efface le référent indiciel, elle peut activer ou renforcer la fonction symbolico-discursive de la chair animale. Autrement dit, la sémiotisation externe participe directement des discours qui agissent sur la praxis de socialisation ou la praxis contextuelle et sert l’effacement du référent.

3. La chair animale comme unité symbolico-discursive : l’effacement-spectacularisation

3.1. Matérialité énonciative, interdiscours idéologique et sémiose symbolico-discursive/indicielle

31Les deux sections précédentes nous ont permis de penser la chair animale de multiples points de vue, de l’énonciation au discours, dans une perspective d’architecture sémiotique. Nous pouvons ainsi distinguer le processus énonciatif, dont le pan physique permet d’envisager l’intériorité sémiotique de la chair animale et le pan sémiotico-formel d’envisager le fonctionnement sémiosique symbolique, du processus discursif, dans lequel la chair animale comme unité symbolique produit des effets de sens spécifiques. La praxis discursive contraint les effets de sens dont il est question eu égard à l’interdiscours — les discours sur la viande qui ne sont pas en coprésence — tandis que la praxis énonciative contraint les effets de sens — notamment l’indicialité — eu égard aux énoncés en coprésence (propres donc à l’extériorité sémiotique). Les discours sur la viande peuvent donc constituer l’extériorité sémiotique de la chair animale : un logo « poulet heureux » apposé sur un poulet entier est un discours sur la viande et participe simultanément de l’extériorité sémiotique du poulet qu’achète le consommateur — ce discours sur la viande appartient à la praxis énonciative en tant qu’énoncé en coprésence. En outre, ces discours sur la viande participent des praxis sociales no 1 et no 2, c’est-à-dire des praxis dispositionnelles et contextuelles.

32Aussi, cette analyse rend compte de la centralité des discours sur la viande qui définissent tant la grammaire et la narration culinaire (autrement dit le fonctionnement des discours par la viande), la signification praxémique des actes de consommation alimentaire, le fonctionnement signifiant des aliments en tant qu’unité sémiotique, tantôt dans une logique sémiosique — la chair animale pouvant être indicielle ou symbolico-discursive — tantôt dans une logique coénonciative en tant qu’éléments en présence dans l’extériorité sémiotique, tantôt encore en tant qu’éléments interdiscursifs portant sur l’intériorité sémiotique. Il reste néanmoins une question à problématiser : comment articuler l’effacement du référent avec une approche discursive que nous voulons non-intentionnaliste ? Notre proposition est la suivante : le discours trouve sa matérialité dans un système de signes donné. Les discours fonctionnent de façon radicalement différente en fonction dudit système, attendu que leur matérialité ne repose pas sur les mêmes règles et s’organisent grammaticalement de façon distincte. Comme nous le remarquions précédemment, dresser une assiette est, in fine, une production discursive. Chaque élément de cette dernière est signifiant et s’articule avec les autres éléments de l’assiette selon une grammaire — que d’aucuns ont pu essayer de décrire (McWilliams 2016). Si le discours, comme nous l’expliquions précédemment, trouve sa matérialité dans des systèmes sémiotiques spécifiques, et que les complexes idéologiques trouvent leur matérialité dans les discours, alors les systèmes axiologiques et épistémiques en vigueur et en tension dans une société donnée, eu égard au différentialisme interne propre à chaque position dans l’espace social, constituent une sous-catégorie de l’ensemble idéologique.

33Nous avons en effet envisagé, précédemment, en quoi la nourriture et sa consommation étaient socialement signifiantes, eu égard à des valeurs axiologiques, mais aussi épistémiques. L’acte de se nourrir de telle ou de telle manière est un acte signifiant dans l’espace social — compte tenu de la compréhension stéréotypée de l’espace social, autrement dit, au regard de l’ensemble des discours qui qualifient axiologiquement la nourriture in extenso et ses pratiques de consommation. Dès lors, nous pouvons entendre que l’idéologie est foncièrement parlant interdiscursive. Dans cette perspective, nous pouvons envisager que les discours matérialisent un complexe idéologique qui, lui-même, existe en tant qu’interdiscours. Parallèlement, nous pouvons envisager la manière dont l’idéologie impacte les processus sémiogénétiques eux-mêmes en conditionnant les dispositions à reconnaitre les signes. Nous pouvons ainsi considérer que les systèmes de signes et les sémioses relèvent d’une culture donnée qui est, in fine, définie par l’ensemble des discours in extenso, autrement dit, par l’interdiscours. L’interdiscours contraint ainsi l’ensemble des sémioses et si tout est, in fine, une inscription matérielle potentiellement signifiante, ce n’est possible qu’eu égard à une certaine disposition à faire signifier et à un contexte spécifique, qui ne sont possibles que par un interdiscours spécifique. Nous pouvons donc dresser une représentation diagrammatique qui synthétise la dynamique entre les éléments que nous avons mobilisés : la triple praxis et le double processus, la sémiogénèse indicielle spécifique, l’ensemble des effets de sens produits, le discours sur et le discours par (cf. Fig. 1).

Figure 1.

Figure 1.

Discours par et sur la viande.

34Afin d’en rendre compte, considérons un nouvel exemple fictif, à savoir un burger d’une enseigne connue. Ce dernier raconte une histoire — pour reprendre, comme nous l’évoquions précédemment, le trope largement véhiculé par les dispositifs télévisuels de type émission culinaire. Cette histoire n’est probablement pas saisissable in abstracto. Des discours sur le burger, des métadiscours dans une matérialité langagière, mais aussi visuelle notamment, constituent un interdiscours qui permettra d’appréhender le discours-burger. Des dispositifs publicitaires, télévisuels ou urbanistiques, auront mis l’accent sur les petits producteurs ayant participé à la production des tomates dudit burger, du pain bio dudit burger, de la mayonnaise dont les œufs sont issus d’une poule élevée en plein air, de la viande dont l’animal a été choyé et soigné dans la considération de son bien-être (Pilgrim 2013 ; Trapara 2017). Chaque élément du burger — chaque élément qui participe de son intériorité et de son intériorité sémiotique — raconte quelque chose — eu égard aux discours narrativisant qui les entoure — qui sont donc autant de discours sur. Lorsque l’individu mange son burger, il mange une histoire. Il s’agit encore d’un discours sur les aliments qui accompagnent et glosent, en quelque sorte, le discours réalisé dans la matérialité culinaire. Ce discours sur les aliments constitue l’interdiscours qui s’activera lors de l’évaluation axiologique de ce que l’individu mange — in fine, lors de la sémiotisation de chacun des aliments participant à l’internalité sémiotique de son burger : cette tomate est bio, elle est signifiante en tant qu’elle charrie des valeurs axiologiques, en l’occurrence positives. Par ailleurs, le discours par peut être enchâssé dans un discours sur, dans une perspective spectacularisante ou simplement accompagné, en présence, d’un discours sur : la description du plat sur le menu ou par le serveur. Il faut donc distinguer d’une part le discours sur propre à l’interdiscours — et donc à la praxis ordodiscursive, qui relève de la mémoire dispositionnelle du sujet, et le discours sur propre à la praxis énonciative, qui contient tous les énoncés en coprésence propres à l’extériorité et à l’intériorité sémiotique et discursive.

35Quant au discours qui se réalise dans la matérialité alimentaire, il relève de l’ensemble des possibles combinatoires, des articulations attendues et imaginables, licites, eu égard au système de règles propres audit discours — si tant est qu’il y ait des règles stables et formalisables. Il s’agit du fonctionnement (plus que de la fonction) des combinaisons alimentaires et culinaires possibles. La signification desdits discours se situe certainement sur un autre plan — nous pourrions ainsi nous interroger sur la possibilité de verbaliser, de transcrire par un discours en matérialité langagière, le sens d’un discours culinaire-alimentaire. L’interdiction de combiner tel ou tel aliment — interdiction qui peut se situer à divers niveaux de nature radicalement différente : gustatifs, religieux ou diététique — ainsi que le respect ou le non-respect de cette interdiction, les règles associatives et positionnelles dans l’espace bidimensionnel (ou tridimensionnel) de l’assiette ou de la table, dans la temporalité du repas (l’accompagnement de tel aliment par tel vin, par exemple), constituent les éléments signifiants du discours culinaire qui relèvent de règles définies par l’interdiscours sur les aliments et le culinaire.

36Si nous considérons un discours par la chair animale, nous pouvons identifier un énoncé matériel (le plat qui est servi) porteur d’effets de sens discursifs, propres à la combinaison des éléments sémiotiques. Les effets de sens discursifs sont déterminés par l’interdiscours (idéologique) propre à la praxis ordodiscursive dans laquelle s’inscrit le processus discursif. Cette idéologie et ces effets de sens trouvent leur matérialité dans un système de signes donné, défini par la praxis énonciative dans laquelle s’inscrit le processus de matérialisation (processus énonciatif). Dans ce système de signes, une unité donnée peut fonctionnellement signifier de façon symbolique, et participer de facto d’un énoncé matériel porteur d’effets de sens discursifs ; ou de façon indicielle, et ne participer à aucun discours — l’unité signifie dès lors en elle-même, dans sa propre matérialité et non en tant qu’elle participe à la matérialité (tant physique que formelle et sémiotique) d’un discours. Par ailleurs, le fonctionnement sémiosique, fût-il indiciel, symbolique ou les deux en même temps, est contraint par la sémiose sociale tant dispositionnelle que contextuelle. Enfin, la praxis énonciative suppose outre un système de signes tout un environnement extra-discursif, ainsi qu’un environnement co-énonciatif, qui contient l’ensemble des énoncés et discours en coprésence, autrement dit l’extériorité et l’intériorité sémiotique du discours par — qui contraint en conséquence ces effets de sens discursifs. Les discours sur lorsqu’ils sont en coprésence participent de cet environnement, sinon, de l’interdiscours.

3.2. Discours carnistes et régimes ontologiques : tensions interdiscursives

37La chair animale est une unité sémiotique qui peut signifier différemment selon la sémiose activée et, de fait, la praxis contextuelle et la praxis dispositionnelle du locuteur qui participe au processus sémiogénétique. Parmi les significations possibles, sa signification indicielle dysfonctionne, eu égard à un interdiscours qui participe de l’absentéisation du référent et qui agit par inhibition contextuelle de la praxis sociale no 2 ou ignorance dispositionnelle de la praxis sociale no 1. La chair animale peut être une unité symbolico-discursive dans un discours qui trouve sa matérialité dans une sémiose donnée qui comprend la chair animale. Ce discours est lui-même l’expression d’une idéologie spécifique (comme ensemble des valeurs axiologiques en vigueur dans une position sociale donnée) qui définit les significations et les possibles licites des combinaisons des unités symboliques dans le discours qui, lui-même peut s’appréhender comme un interdiscours, dont procède des sémioses et des dispositions spécifiques, et ainsi de suite. L’idéologie définit donc la mise en discours des unités symboliques qui deviennent, par cette mise en discours, des unités discursives au sein d’un système idéologique donné.

38Pour le dire autrement, dans le discours culinaire, le discours par l’aliment, la viande — ainsi que tout autre aliment — est une unité qui a une fonction symbolique (et symbolico-discursive) et non plus indicielle. La question qu’il s’agit d’investiguer concerne la symbolique de cette unité, dans le système discursif alimentaire. Que signifie la chair animale dans le discours qu’est telle assiette ou telle recette ? Afin de considérer sa signification dans le discours culinaire, synthétisons le fonctionnement symbolico-discursif de la chair animale. Elle a une architecture propre que nous pouvons décrire du point de vue de l’internalité/sémiotique ou du point de vue de son enchâssement dans des discours sur. La chair animale peut signifier dans sa nudité, ou en tant qu’elle participe d’un tout sémiotique supérieur (si elle a été travaillée dans une forme culinaire donnée, si elle est emballée et estampillée, etc.). Elle peut par ailleurs participer à un discours en tant que matière, ou participer à un discours en tant qu’il porte sur elle. En outre, les discours sur une chair animale donnée peuvent participer de son externalité sémiotique (par exemple, si le paquet de saucisses affiche une vache heureuse avec la mention « bien-être ») et, inversement l’externalité sémiotique d’une chair animale donnée peut être le discours dont elle participe en tant qu’unité discursive : si la chair animale constitue une carbonade flamande en conserve, la chair animale (unité minimale) est constitutive d’une unité sémiotique plus large (carbonade flamande dans une conserve) qui contient des discours sur la carbonade flamande et la chair animale (ingrédients, mentions d’origine, images) et qui constitue en sus un discours dont la chair animale est l’unité symbolique.

  • 13 Philippe THÉVENIAUD 🇫🇷 [@TheveniaudPhil]. (2022, août 29). Une pensée pour @sandrousseau et @Clem_A (...)

39Afin d’appréhender l’interaction entre toutes ces dimensions, considérons la polémique dite du barbecue, en France (Boudard, 2022 ; Le Breton, 2022). La députée française Sandrine Rousseau ayant affirmé qu’il existe des liens attestés d’une part entre l’alimentation carnée et le réchauffement climatique et, d’autre part, entre l’alimentation carnée et le virilisme/patriarcat, de nombreuses manifestations discursives de spectacularisation de la carnation ont émergé, notamment sur X/Twitter — qui est une plateforme sociotechnique qui favorise ce type de spectacularisation. Parmi les nombreux exemples à disposition, nous pouvons nous concentrer sur celui de Philippe Théveniaud, Conseiller Municipal d’Amiens, qui constitue un exemple paradigmatique de spectacularisation, et illustre parfaitement l’analyse que Barthes propose du steak/frites (Barthes 1957) — notamment concernant les liens entre le plat et l’identité nationale. En réponse à Sandrine Rousseau, Philippe Théveniaud a ainsi posté une photographie d’un steak sur un lit de frites, accompagné de la mention « #France » manifestant le lien entre patriotisme et viande13. Lorsque nous nous intéressons à cette réponse, nous observons la cascade sémiotique et discursive. L’interface sociotechnique constitue un discours à part entière (Maingueneau 2016) qui fonctionne comme une instance qui regroupe, articule et médie les discours que sont les tweets. Le discours-tweet présente une configuration textuelle et sémiotique spécifique, propre à la plateforme. Le discours sur la viande mobilise un discours second qui est d’ordre iconographique qui répond lui-même à une grammaire visuelle propre à la matérialité iconographique dans laquelle il s’inscrit — le choix du cadre, de la lumière, de la disposition, etc.

  • 14 Il est entendu que nous n’accédons pas pleinement à ce troisième discours, étant donné que la matér (...)

40Ce discours second médie un troisième discours qui est le discours réalisé dans la matérialité alimentaire elle-même : les aliments présents sur l’assiette, leur combinaison, leur occupation de l’espace, et ainsi de suite14. Ou, si nous prenons la cascade à rebours, nous avons un premier discours qui est un discours par la viande, dont l’extériorité discursive est un discours sur la viande de type iconographique, lui-même enchâssé dans un discours textuel médiatisé par une plateforme sociotechnique. La viande ne présente aucune extériorité sémiotique particulière et, dans le discours tel qu’il se présente, la viande n’existe aucunement qu’en tant qu’affirmation qu’elle n’est que viande et en rien l’expression d’une idéologie — et, de fait, en rien l’indice de la mise à mort d’un animal ou des conséquences écologiques de l’industrie de cette mise à mort. La spectacularisation discursive de la viande est donc une expression de l’idéologie carniste. Cependant, si le discours est la matérialité de l’idéologie, il devrait être possible d’identifier l’idéologie sous-jacente à l’alimentation carnée en elle-même, c’est-à-dire l’idéologie sous-jacente à la prédominance de la chair animale dans le discours culinaire — dans le discours par l’alimentaire. Il devrait être possible de saisir la signification de l’unité chair animale dans le discours en matérialité alimentaire. Si d’un point de vue sémiotique l’indicialité de la chair animale dysfonctionne ; si d’un point de vue praxémique le fait de manger un steak est un acte quasiment patriotique (Barthes 1957) ; si d’un point de vue discursif (au sens du discours sur) spectaculariser la chair animale permet de s’inscrire, socialement, idéologiquement et axiologiquement en opposition au discours critique ; alors, d’un point de vue ‘discursif par’, que signifie l’unité sémiotique chair animale dans une assiette ? Sur l’image qui spectacularise la viande, que signifie la centralité de cette dernière ? De quoi la présence de la chair animale est-elle l’idéologie ?

41L’hypothèse de lecture que nous proposions en introduction est la suivante : le rapport discursif et sémiotique à la chair animale met au jour une tension entre deux régimes ontologiques présents dans l’interdiscours qui fonde le complexe idéologique — dans lequel les discours sur la viande et de la viande prennent leur matérialité. Le régime ontologique dominant dans la société occidentale ou, a minima, continentale, depuis la fin de la Renaissance est le régime ontologique que Descola (2005) qualifie de naturaliste. Il nous semble que, paradoxalement, ce régime naturaliste participe de la dénégation de l’animal comme sujet, caractéristique des sociétés postdomestiques (Leroy & Praet 2017) par opposition aux sociétés cynégétiques où le rapport à l’animal peut s’inscrire dans des praxis sociales et narratives spécifiques (Ibid.). Au demeurant, la place centrale donnée à l’alimentation carnée, l’association sémiotique avec la symbolique du sang (Barthes 1957), les discours qui entretiennent des rapports entre la consommation de la viande et la force ou la masculinité, qui sont à l’origine des spectacularisations illustrées avec la polémique du barbecue, discours qui entrent en tension avec la critique de la masculinité hégémonique (Rogers 2008), tendent au contraire à montrer un régime ontologique de l’ordre de l’analogie. Ce régime subsisterait et existerait, en fonds, dans les discours culinaires voire dans les discours épistémo-diététiques — comme en témoignent les mythes diététiques et scientifiques mobilisés par le marketing de la viande (Bogueva & Phau 2016).

  • 15 Willy Shraen, président de la Fédération nationale des chasseurs expliquait ainsi, le 6 mai 2022, s (...)

42Dans le régime ontologique dominant de la société occidentale la viande ne peut être appréhendée que du point de vue positiviste de l’épistémologie médicale, diététique ou écologiste. Pourtant, d’autre part, contrastivement à ce régime hégémonique, subsiste un autre régime, d’ordre analogique, qui prête à la chair animale les vertus fantasmées de l’animal lui-même, dans une perspective presque cannibale et sacrificielle (Burgat 2017). Au demeurant, la considération morale envers l’animal semble pouvoir s’inscrire dans les deux régimes ontologiques : le régime analogique suppose de prêter à l’individu-animal une agentivité et un pouvoir que lui refuse la vision cartésienne de l’animal-machine — que l’on retrouve chez différents chasseurs, alors même qu’ils mobilisent, par ailleurs, le régime analogique15.

43La situation d’un point de vue interdiscursif est relativement intéressante puisque coexistent deux régimes qui s’activent de sorte à favoriser un rapport de domination sur l’animal. Le régime ontologie naturaliste hégémonique s’efface au profit d’un régime ontologique analogique, dès lors qu’il s’agit d’entretenir le rapport de domination sur l’animal et l’idéologie qui lui est propre. En outre, cette contradiction est traversée par une seconde contradiction propre à l’émergence de l’éthique animale : l’animal est tantôt une unité d’un réservoir écologique qu’il s’agit de gérer dans une perspective naturaliste et démographique — vision gestionnaire caractéristique de la modernité — tantôt un individu à part entière étant, en sus, un être-au-monde spécifique — vision que l’on retrouve typiquement dans le régime analogique. Or, certaines réflexions antispécistes visent, justement, à reconnaître l’individualité animale — et son agentivité morale — tout en l’inscrivant au sein d’un régime ontologique naturaliste. Il faut donc éviter une vision dichotomique selon laquelle le carnisme reposerait d’office sur un régime et l’antispécisme sur un autre : le carnisme implique un syncrétisme entre les deux régimes et, de façon similaire, la considération morale peut s’inscrire dans les deux régimes.

44Dès lors, nous pouvons observer la mécanique d’effacement-spectacularisation : dans une perspective analogique, il s’agit de spectaculariser la chair animale, sa consommation, et son rapport à l’animal dont la consommation confèrera ses attributs au consommateur mais ce rapport supposerait, simultanément, une considération morale spécifique envers l’animal puisqu’il s’agit alors de le considérer comme un être-au-monde — dont l’ingestion confère les qualités ; or, dans la perspective naturaliste, d’un point de vue cartésien, cette considération morale n’a guère plus de sens que l’idée fantasmagorique d’une assimilation des attributs. La spectacularisation de la chair animale sans considération morale propre repose ainsi sur une articulation entre les deux régimes. Cependant, la mise à mort industrielle de l’animal ne correspondant pas du tout à la construction discursive du régime analogique, il s’agit de l’effacer. Le dégout des abattoirs industriels ne s’explique pas tant par une sensibilité antispéciste que par une sensibilité analogique : dès lors que nous consommons des animaux pour des raisons analogiques — et non diététiques ou médicales — nous leur devons une considération propre — ainsi, s’expliquent les alternatives fonctionnelles de la mise à mort respectueuse ou du retour, fantasmé, à l’acte cynégétique ou à la mise à mort personnelle. L’importance du régime analogique apparaît dans le refus de consommation de chair animale cultivée, quand bien même elle serait moléculairement identique, elle n’est analogiquement parlant, d’un point de vue ontologique, pas du même ordre. Le régime naturaliste de l’animal-machine autorise la réalité de l’abattage industriel, dans une perspective d’exploitation de la sphère de la nature. Ce régime nécessite l’effacement indiciel de l’animal comme être-en-soi — qui est, au contraire, totalement envisagé dans une perspective analogique. Ainsi, la négation absolue de l’animal est un effacement caractéristique du régime naturaliste — l’animal est un déjà-viande à exploiter — tandis que la spectacularisation repose, au contraire, sur la reconnaissance de l’animal-en-soi qui, toutefois, implique une considération morale... qui sera simultanément niée par l’effacement-négation absolue, et ainsi de suite dans une dialectique continue entre les deux régimes.

Conclusion : entre indicialité forclose et spectacularisation symbolico-discursive

45Ce parcours exploratoire nous a emmené à interroger le fonctionnement de la chair animale du point de vue de son potentiel de signification. L’humanité carnivore repose sur un discours qui permet de rendre la mise à mort des animaux non humains non criminels en produisant un phénomène sémiotico-discursif et sémiogénétique qui, d’une part, forclos ce dont la viande est l’indice, dans un premier geste d’effacement, et, d’autre part, produit un simulacre de ce dont la viande est l’indice, dans un second geste de spectacularisation d’ordre symbolico-discursif. Ce double mouvement d’effacement indiciel (par négation absolue de l’animal) et de spectacularisation symbolico-discursive s’inscrit lui-même dans un interdiscours porteur d’une conflictualité interne, propre à deux régimes ontologiques a priori incompatibles : le régime naturaliste de la modernité occidentale, qui suppose que tout ce qui est du domaine de la nature est de l’ordre de l’exploitable, et le régime analogique, qui, au contraire, suppose un ordre explicatif analogique et, en conséquence, une considération morale pour les animaux non humains — quand bien même faudrait-il s’en nourrir. Les deux régimes entrent en syncrétisme et autorisent de penser simultanément un animal-machine déjà-viande et un animal être-en-soi dont les qualités ontologiques peuvent être absorbées. Cet équilibre suppose un effacement de l’indicialité — sans quoi la réalité de l’exploitation animale, a fortiori dans sa logique industrielle, neutraliserait instantanément le discours de l’animal-machine et fragiliserait, en sus, l’édifice analogique qui suppose d’accorder à l’animal un statut d’être-en-soi — et, simultanément, une spectacularisation pseudo-indicielle, qui consiste à rappeler le lien entre la chair animale et l’animal, mais de façon fantasmée, propre au régime symbolico-discursif. Ainsi, deux discours sur la chair animale peuvent coexister : un discours analogique qui met l’accent sur la vertu sacrificielle de l’animal qui doit, dès lors, s’envisager comme être-en-soi ; et, inversement, un discours naturaliste qui met l’accent sur la non-individualité de l’animal qui n’est qu’une machine et un déjà-là exploitable à l’envi.

46L’articulation de la non-activation de l’indicialité latente de la chair animale, c’est-à-dire l’effacement de l’animal réel dont il a fallu une mise à mort, et le simulacre pseudo-indiciel propre au fonctionnement symbolico-discursif de la chair animale dans les discours par, c’est-à-dire la spectacularisation de l’animal fantasmé dont il faut la mise à mort, est constitutive d’une ignorance épistémique. En effet, cette forclusion du référent sert tant le discours hégémonique que la situation sociale de domination sur les agents moraux non humains qui lui est consubstantielle. Quant à cette situation de domination, elle agit sur trois plans : premièrement, elle construit, rétroactivement, au niveau de la praxis de socialisation, l’ignorance même qui la valide et l’entérine ; deuxièmement, elle inhibe l’activation sémiotique du référent absent au niveau de la praxis de contextualisation ; et, troisièmement, elle active le sens symbolico-discursif de la chair animale qui rend sa consommation autant morale — puisque tantôt propre à l’ordre analogico-naturel — que nécessaire — pour maintenir ledit ordre analogique. Cette situation de domination est donc soutenue idéologiquement cependant que l’idéologie qui la légitime se réalise dans les discours qui constituent l’interdiscours contraignant les praxis sociales sémiogénétiques. Cet interdiscours sémiogénétique est donc constitué des discours dans lesquels l’idéologie carniste trouve sa matérialité : ces discours sur et ces discours par la chair animale manifestent la survivance d’un régime ontologique analogique qui, s’amalgamant au régime dominant, produit les contenus doxiques mêmes dont l’interdiscours se nourrit, conditionnant de fait les possibilités de signification de la chair animale dans sa perséité matérielle et indicielle (la viande n’est pas chair animale mais produit d’une machine, ou d’un déjà-viande consentant) ou dans un système structurel en tant qu’unité symbolico-discursive (la viande est chair d’une force-animale qu’il faudrait, dès lors, respecter mais dont le sacrifice est nécessaire). Pour le dire autrement, les discours hégémoniques sur la viande (1) légitiment (1.1) la situation de domination dont ils sont le produit (1.2) en étayant doxiquement l’idéologie qu’ils matérialisent par un syncrétisme orienté qui amalgame deux régimes ontologiques, et (2) traversent les praxis sociales dont pourrait procéder l’indicialité de la chair animale, en tant que lesdits discours hégémoniques sur sont à la fois (2.1) le centre de l’interdiscours sémiogénétique de la culture carniste qui dysfonctionne la sémiocité indicielle de la chair, et (2.2) l’épicentre de cet interdiscours, que caractérise la sémiocité externe de la chair animale qui, dans l’assiette, n’est plus que de la viande et non le cadavre d’un animal — tout en étant, dans un geste dont l’aspect paradoxal cristallise toute l’effectivité du discours carniste — la force dudit animal, sacrifié pour l’humanité carnivore.

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Notes

1 Singer (1975) crée le terme antispécisme comme un calque sur les notions de racisme et de sexisme. Par ailleurs, de nombreux auteurs, à commencer par Adams (1990, nouv. éd. 2016), ont réfléchi aux convergences et articulations entre les systèmes de domination sexiste et raciste (Salmen & Dhont 2023 ; Fernandez 2015).

2 L’approche antispéciste suppose que l’espèce n’est pas un critère pertinent pour évaluer la considération morale que l’on doit à un individu. Le sentientisme suppose que le critère pertinent est la sentience, que l’on peut envisager graduellement, qui est la capacité d’un individu d’avoir des expériences de vie subjectives, en ce compris la douleur. Pour certains auteurs, le sentientisme n’est toutefois qu’une lecture qui implique de nouveaux préjudices moraux (Regan 1995). Notons que ces approches, qui critiquent la vision de l’animal non humain dans la modernité occidentale, s’inscrivent nonobstant pleinement dans ladite modernité, en mobilisant des discours propres à cette dernière. Ainsi, à titre d’exemple, Tom Regan a pu être critiqué pour son appareil philosophique qui, certes, cherche à démontrer que les animaux non humains ont des droits moraux, mais qui mobilise des épistémologies et des méthodes pleinement inscrites dans la modernité dont procéderaient les logiques d’exploitation critiquées (Regan 1983, tr. fr. 2012, pp. 64‑73).

3 Burgat rapporte ainsi les banquets médiévaux où étaient servies des dindes dont chacune des plumes avait été préalablement redisposée sur l’animal déplumé.

4 Dans cette approche, il y a, de fait, deux niveaux d’effets de sens : les effets de sens propres à la matérialité énonciative, dans sa perséité matérielle ou ses agencements formels — nous y reviendrons —, et les effets de sens propres à l’énoncé dans un contexte discursif défini par la praxis discursive qui contraint lesdits effets de sens.

5 Par exemple, l’activité scientifique peut être envisagée comme une praxis sociodiscursive puisqu’il s’agit d’une praxis sociale dont l’objectif est de produire du discours scientifique. Ainsi, si tout discours s’inscrit dans une praxis sociale donnée, toute praxis sociale n’a pas pour objectif de produire du discours. Ainsi, cuisiner dans un restaurant est une praxis sociale, dans laquelle peut être produite une série de discours contraints par ladite praxis sans que cette praxis ait pour autant comme objectif de produire les discours dont il est question. Par ailleurs, nous identifions par la suite des praxis sociales sémiogénétiques qui permettent le fonctionnement sémiosique.

6 Par exemple, la couleur de notre énoncé relève de sa matérialité physique et constitue un effet des sens épiphénoménaux qui s’additionnent aux effets discursifs — et qui le deviennent de fait, même s’ils ne relèvent pas du processus discursif. Par contre, la sémantique formelle qui permet la construction grammaticale de notre énoncé est de l’ordre des effets de sens protophénoménaux, puisqu’ils sont nécessaires à l’émergence des effets discursifs.

7 Dans cette perspective, nous pouvons considérer que le processus énonciatif contraint par la praxis énonciative est, a minima, un processus sémiosique. Notons par ailleurs, que le processus énonciatif peut aussi être contraint par la praxis ordodiscursive : la typographie ou la couleur de notre énoncé est défini par l’ordre du discours, par l’ordre du dit et du non-dit, en ce compris la matérialité énonciative du dire.

8 Nous pourrions identifier un troisième type d’effets de sens, qui ne relève ni du matériel/énonciatif, ni du symbolico-discursif : il s’agit d’un sens purement praxémique propre, en l’occurrence, à la reconnaissance de l’énoncé comme un énoncé-graffiti. Être reconnu comme graffiti, comme une inscription matérielle qui transgresse dans sa matérialité (et non dans son contenu) les normes sociales — qui définiraient que l’on ne peut écrire sur telle surface ou que seules certaines personnes peuvent écrire sur certaines surfaces, avec seulement certains outils scripturaux — demande de penser la praxis sociale en tant qu’elle influence la réception de l’énoncé à un autre degré que la praxis ordo-discursive. Le graffiti a donc un double effet de sens : il est reconnu (ou non) comme graffiti et il a un sens propre — contraint par sa reconnaissance comme graffiti. Être reconnu comme graffiti est déjà un effet de sens. Par conséquent, un énoncé donné peut faire sens du point de vue interne à l’énoncé, tout comme il peut faire sens en tant qu’il a été énoncé. Autrement dit, il s’agit de distinguer le sens du dire du sens du fait de dire, c’est-à-dire l’action même d’énoncer dans une situation donnée. Les deux niveaux des effets de sens dont nous discutons produisent évidemment entre eux des interférences.

9 Notre définition peut paraître tautologique. Lorsqu’un signe fonctionne, sémiosiquement parlant, de façon symbolique, il produit des effets de sens qui ne sont plus propres à sa matérialité physique. Aussi, tout symbole produit des effets de sens propres à sa matérialité physique — et, dans une certaine mesure, formelle — et des effets de sens propres à sa fonction symbolique, autrement dit des effets de sens discursifs, puisque cette fonction symbolique ne peut s’appréhender hors d’une co-construction de sens, qui implique énonciateur(s) et énonciataire(s). Si nous envisageons notre texte, nous pouvons considérer et distinguer les effets de sens énonciativo-matériels d’ordres physiques (la typographie, la couleur, etc.) et d’ordres formels propres au système de signes (la grammaire française, pour le dire vite), des effets de sens discursifs, propres à la co-construction d’un sens symbolique émergeant du tout, contraint par la praxis ordo-discursive et co-constructible qu’eu égard à ladite structure formelle du système de signes — dont nous qualifions précédemment les effets de sens de protophénoménaux.

10 Nous pourrions identifier un troisième fonctionnement sémiosique. En effet, nous pouvons dédoubler l’ensemble de nos distinctions en considérant la sémioticité et la discursivité du fait : le fait de manger de la chair animale est signifiant en soi, tant sur le plan indiciel que sur le plan symbolico-discursif — au même titre que le fait de tenir un discours sur est signifiant en soi. La sémiogénèse du fait de dire ou de fait de consommer permet d’envisager tant les valeurs axiologiques qui participent d’une logique de distinction dans les pratiques de consommation que de l’interdiscours constitutif desdites valeurs. En effet, ces effets de distinction — qui sont in fine, autant d’effets de sens — sont produits compte tenu d’un réservoir de stéréotypes et de valeurs associées aux pratiques sociales alimentaires. Ces réservoirs sont constitués par l’interdiscours sur, c’est-à-dire par l’ensemble des discours sur les aliments et le culinaire qui sont, de fait, des discours sur les pratiques alimentaires et culinaires — des discours sur le fait de. Dans cette perspective, les pratiques sociales sont appréhendées de façon signifiante parce qu’elles sont elles-mêmes des unités sémiotiques dans une sémiose qui est une actualisation de l’interdiscours axiologique sur les pratiques sociales. Nous pouvons considérer que les jugements axiologiques sont définis par des discours antérieurs sur lesdites pratiques. Le fait est signifiant en soi comme si faire était déjà de l’ordre de l’indice du symbolico-discursif. Dans cette perspective, dès lors que nous envisageons la chair animale dans son fonctionnement symbolico-discursif, nous devons appréhender tant son inscription dans un contexte de consommation que les valeurs sociosémiotiques additionnelles. Il ne s’agit pas tant de proposer une sociologie de la consommation — ce n’est pas notre propos — que de mettre au jour la sémiotisation de la consommation — qui enveloppe et englobe au final les discours qui peuvent être produits dans cette praxis de consommation. Ces pratiques, en tant qu’elles sont signifiantes et qu’elles s’inscrivent dans le faire — et dans le prolongement de la praxis sociale qui devient, en quelque sorte, la praxis énonciative — nous pouvons les considérer comme des praxèmes dont les effets de sens praxémiques et discursifs sont contraints par la praxis ordo-discursive, c’est-à-dire par le réservoir de stéréotypes et l’interdiscours, en ce compris l’imaginaire sur les pratiques — qui peut différer des pratiques de consommation effectives. Cet interdiscours est, par ailleurs, constitué des discours sur. Au demeurant, les discours par la chair animale et par la consommation de la chair animale ne sont pas clairement distinguables — le second enveloppe en quelque sorte le premier. Enfin, il est à noter que les discours dont nous discutons s’articulent et percolent : les discours sur s’accompagnent et accompagnent les discours par la viande — et par le fait de manger de la viande.

11 Si dans le cas d’une langue naturelle, comme la langue française par exemple, la distinction entre les contraintes propres à la praxis énonciative et la praxis ordo-discursive est relativement opérante, elle peut s’effacer dans d’autres sémioses. Dans le cas du discours musical, la distinction entre les contraintes propres à l’ordre du discours et à la grammaire, au sens formel, qui définit non ce qui peut se dire mais ce qui est valide — c’est-à-dire ce qui est formellement constructible et énonçable du point de vue de la matérialité formelle —, nous paraît plus floue.

12 Les discours qui cherchent à faire apparaître la violence de la mise à disposition de la chair animale agissent dans les deux praxis puisqu’elles peuvent chercher à donner les dispositions sémiotiques à la reconnaissance du référent absent ou activer contextuellement le processus de sémiotisation, attendu que même en présence de dispositions adéquates elles sont inhibées constamment par l’ensemble des discours qui construisent cette absence de référent en produisant une disjonction entre la chair animale et ce dont elle est l’indice : l’animal lui-même. Par ailleurs, de façon ironique, sur les réseaux sociaux, les militants véganes qui révèlent en quelque sorte l’intermédiaire entre l’animal vivant et la viande, à savoir la mise à mort et l’abattoir, sont régulièrement sanctionnés par les modérations (humaines ou algorithmiques) pour contenu violent.

13 Philippe THÉVENIAUD 🇫🇷 [@TheveniaudPhil]. (2022, août 29). Une pensée pour @sandrousseau et @Clem_Autain 🤭 #France 🇫🇷 https://t.co/JgVTP0G3x9 [Tweet]. Twitter. https://x.com/TheveniaudPhil/status/1564310392326733824.

14 Il est entendu que nous n’accédons pas pleinement à ce troisième discours, étant donné que la matérialité alimentaire n’est pas que visuelle, mais aussi gustative et olfactive. L’enchâssement des discours décontextualise et remet en discours des fragments qui, sinon, fonctionnent de façon autonome. Un discours en langue, sur une image (qui est un discours iconographique) d’un plat (qui est un discours culinaire) écrase les dimensions sémiotiques et discursives propres aux discours qu’il enchâsse et médie.

15 Willy Shraen, président de la Fédération nationale des chasseurs expliquait ainsi, le 6 mai 2022, sur la chaine de télévision LCP qu’un animal sauvage ne peut « [que] se reproduire, manger, c’est tout » véhiculant la vision d’animal-machine a priori incompatible avec la vision analogique qui suppose un monde-animal, avec ces états mentaux et sa perception propre (voir https://lcp.fr/programmes/politiques-a-table/willy-schraen-109064).

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Table des illustrations

Titre Figure 1.
Légende Discours par et sur la viande.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/5105/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 209k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Adrien Mathy, « Sémiotique du carnage : la chair animale comme unité indicielle et symbolico-discursive »Signata [En ligne], 15 | 2024, mis en ligne le 02 septembre 2024, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/5105 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127wx

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Auteur

Adrien Mathy

Adrien Mathy est responsable scientifique pour les sciences humaines au sein de la bibliothèque de l’Université de Liège (ULiège Library/ULiège) et doctorant au Centre de Sémiotique et Rhétorique de l’Université de Liège, en Belgique (CESERH/ULiège). Ses thèmes de recherches concernent l’analyse du discours et l’articulation des questions discursives, sémiotiques et énonciatives dans divers contextes et productions (discours scientifique, graffiti, jeu vidéo, etc.). Parallèlement, il travaille sur les questions relatives à la littéracie informationnelle chez les chercheurs, dans une perspective notamment didactique.
Courriel: amathy[at]uliege.be

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