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AccueilNuméros15Making sense of food and nurturin...Le figuratif de l’alimentation

Making sense of food and nurturing meaning

Le figuratif de l’alimentation

Jean-Jacques Boutaud

Résumés

La définition retenue par l’Unesco (2010) pour décrire le Repas Gastronomique des Français, convie à se représenter une micro-scène alimentaire mais avec un vaste champ figuratif. La « pratique sociale » y condense le repas « avec un schéma bien arrêté », mets et vins, moments, corpus de recettes, décoration de table, gestuelle spécifique, cercle familial et amical, liens sociaux, être bien ensemble, rites, transmission, etc. Une dimension figurative appréhendée de bonne heure quand Barthes plaide « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine » (1961), tant la nourriture tend à se transformer en situation. Au sein de la pratique, le figuratif se déploie sous des formes et des manifestations très diverses, motivant l’intérêt premier de la sémiotique pour le goût, l’image gustative ou gastronomique. Mais du goût à l’alimentation, le champ figuratif s’élargit encore. On ne saurait faire toutefois comme si la notion de figuratif allait de soi. Il convient déjà d’éprouver, à travers l’alimentation, les multiples colorations du figuratif et de son entour (figure, figural, figuration, figurativité). À partir de ce modelage ou bricolage assumé du figuratif, se pose la question de sa mise en ordre et en forme, au-delà du constat initial de sa manifestation plurielle, composite. Le modèle figuratif ainsi élaboré procède par échelles (bio, micro, méso, macro, méta) avec les opérations de conversion nécessaires en sémiotique, par rapport aux échelles déjà reconnues en sociologie de l’alimentation (Desjeux 1998 ; Poulain 2002, nouv. éd. 2017). En allant plus loin, il faudra s’interroger sur la productivité théorique et opérationnelle de ce modèle figuratif de l’alimentation, en dehors d’une vision linéaire, unidirectionnelle, hiérarchique, téléologique. L’image de la totalité, toutes échelles confondues, laisse entrevoir en dernière instance l’unité et la consistance du figuratif, avec le pouvoir englobant de la forme de vie alimentaire et de la culture qui la configure.

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Texte intégral

Introduction

1Des sensations les plus intimes aux pratiques les plus variées, notre relation à l’alimentation en appelle toujours, en quelque manière, à l’activité imageante et au-delà aux ressources figuratives. Le champ d’expérience, étendu des saveurs aux valeurs et croyances incorporées, ouvre et trouve constamment un champ de projection et un plan d’expression à travers la vie alimentaire. De part en part, analogies et métaphores viennent soutenir recherches d’arômes ou partage d’émotions dans la dégustation ; la table figure une mise en scène banale ou étudiée, théâtre de gestes, de rôles, de situations dans un champ de visibilité sociale ; l’alimentaire, le culinaire, le gastronomique peuplent le monde de l’édition, des médias, des écrans, de chefs iconiques en pathétiques ou valeureux candidats des affrontements télévisés. En élargissant le cadre, l’alimentation figure un espace ou un théâtre de valeurs qui s’incarnent dans le quotidien, en modèlent et modulent la forme sensible ; et plus loin encore, l’alimentation ouvre un espace de transcendance où prend forme l’âme des vins et des mets, le divin des saveurs ou la spiritualisation de la matière.

2De signes sensoriels en cultures alimentaires on subodore la perspective offerte au figuratif à travers les sémiotiques-objets et les polarités des plans d’immanence identifiés par Jacques Fontanille dans le « parcours génératif de l’expression » (Fontanille 2008, pp. 17-78). Mais si nous prenons la liberté de construire un modèle figuratif pour l’alimentation, la question se pose d’entrée sur le champ d’extension ou le niveau d’incorporation à donner au figuratif, entre tous les cadrages conceptuels apparemment hétérogènes, dans la relation au visible, au visuel, à l’image, l’iconique, travaillés par des formes, formants, figures et motifs.

3La prudence commande de s’en tenir au noyau figuratif, déjà densifié par de multiples enveloppes autour de la figure, du figural, de la figuration, de la figurativité. La simple énumération des termes, figurant elle-même une expansion et non un ordre a priori, suffit à amplifier le caractère téméraire d’une entreprise cherchant à définir le figuratif et les variations autour du figuratif, avant de voir et concevoir ses manifestations à travers l’alimentation. Une fois bricolée notre conception non plus du noyau mais du champ figuratif, en considération de sa formation sédimentaire et de sa plasticité de surface, nous appliquerons à l’alimentation les différentes sphères figuratives venant envelopper et « nourrir le sens », en distinguant six niveaux d’échelle : biologique (figures éthologiques), micro-individuelle (figures sensorielles), microsociale (figures interactionnelles), méso-échelle (figures médiatiques), macro-échelle (figures sociales et sociétales) et méta-échelle (figures transcendantes), pour nous limiter ici au plus schématique de la localisation. Un troisième temps d’analyse conduira du figuratif du cadre figuratif ainsi élaboré (1) et des échelles figuratives appliquées à l’alimentation (2) à la dynamique générative de cet espace figuratif d’une échelle à l’autre, d’une sphère à l’autre si la distinction entre les termes se révèle productive. En guise d’avertissement, notons déjà que selon les besoins de l’analyse, nous serons conduits à décrire le figuratif en référence à des registres, échelles, sphères, ordres, non par confusion des termes mais pour traduire les variations d’approches du figuratif, tantôt selon une vision stabilisée de chaque espace localisé, dans les frontières de cet espace (micro, méso ou macro, etc.), tantôt selon une vision dynamique dans le jeu d’échelles, de la localisation au parcours ascendant ou descendant (de biologique à méta et inversement), comme il en sera question dans notre progression (3).

4Pas de hasard à nourrir le sens à travers le figuratif de l’alimentation car, à bien y regarder, ce travail nous a toujours occupé dans nos recherches sémiotiques en communication (Boutaud & Verón 2007), d’un point d’origine où publier Images du goût (Boutaud 1997) présentait encore un caractère exotique, jusqu’aux explorations plus récentes où la dimension figurative, appliquée à l’image du vin (Boutaud 2020) ou aux formes conviviales (Boutaud 2021), entre dans un cadre de recherche maintenant développé autour du goût (Landowski 2011, 2019) et plus largement, autour de la cuisine, la gastronomie et l’alimentation (Marrone & Giannitrapani 2012 ; Marrone 2014, 2016 ; Stano 2016, 2021).

1. Le figuratif au risque du bricolage

5« Pris en lui-même, le figuratif n’a aucun sens » (Courtés, dans Greimas & Courtés 1986, p. 90). Voilà de quoi stopper notre élan premier vers le figuratif, à moins de suivre le cours de l’article « Figuratif » dans le Tome 2 du Dictionnaire raisonné : « Il n’acquiert (un sens) que lorsqu’il est thématisé : mises en discours, les figures du monde ne sont jamais que prétexte à l’affirmation renouvelée de systèmes de valeurs, préalablement posés (Greimas & Courtés 1986, p. 90). On reconnaît ici l’articulation greimassienne entre figuratif, thématique et axiologique, avant que Courtés ne revienne sur l’opposition entre le figuratif, avec correspondant au plan de l’expression dans la réalité perceptible, et le thématique, conceptuel, sans attache avec l’univers du monde naturel : « Sera donc considéré comme figuratif, dans un univers de discours donné (verbal ou non verbal), tout ce qui peut être directement rapporté à l’un des cinq sens traditionnels : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher ; bref tout ce qui relève de la perception du monde extérieur » (Courtés 1991, p. 163, en italiques dans le texte). Prenons par exemple le thème du sacré, il peut dans notre contexte sur l’alimentation, être pris en charge par de multiples figures lors d’une visite de cave en Champagne : voûtes et cathédrales de craie, galeries profondes jouant entre ténèbres et lumières ; design musical et enveloppement sonore, etc. (Boutaud & Dufour 2012).

6Quelles que soient les approches du figuratif, elles soulèvent inévitablement les oppositions entre figuratif et non figuratif, figuratif iconique et figuratif abstrait, conduisant de pas en pas, de frontières en déplacement, à traiter aussi la figure, le figural, la figurativité. Sur des bases sémiotiques, ouvertes comme souhaité en Appel de ce numéro de Signata, aux « processus communicatifs et sémioculturels », il nous revient alors, si nous prétendons décrire le figuratif dans l’alimentation, d’en définir le sens, non à l’intérieur d’une définition close et péremptoire, mais en considération de ces entours qui donnent au figuratif à la fois son étendue et sa force de centralité pour penser notre relation à l’alimentation.

7Si, par expérience, sans fixer les polarités les plus éloignées, le figuratif de l’alimentation se déploie de la Figuration de la saveur (Boutaud 2013) aux figures sensibles qui infusent dans les formes de vie alimentaires (Boutaud 2019), le modelage du figuratif en appelle donc à plusieurs modes d’entrée : l’empreinte sensorielle du goût compose avec la Figure (Deleuze 1981), dans son acception phénoménologique ; les moments de socialité alimentaire nous placent déjà dans le cadre microsociologique de l’interaction et de la figuration des acteurs sur la scène alimentaire (Lardellier 2011) ; la figurativité du goût, de la gastronomie, du culinaire, de l’alimentation se rapporte à la circulation des discours et à une énonciation non seulement visuelle (Bertrand 2020) mais sociale, donnant forme et vie aux espaces figuratifs en jeu (lieux, moments, formes gestuelles et corporelles, formes discursives privilégiées, etc.) ; et pouvons-nous laisser en dehors de notre modèle figuratif, les apports d’une « anthropologie de la figuration » (Descola 2021), précisément appliquée aux figurations alimentaires et aux ontologies manifestées.

  • 1 « Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâche diversifiées ; mais, à la différence de (...)
  • 2 « Le bricolage, que ce soit celui d’une identité visuelle ou de tout autre objet, s’avère un mode d (...)

8Élaborer notre modèle ou modelage du figuratif dans l’alimentation, suppose d’accepter et intégrer ces multiples entrées. Cela représente, s’il faut le dire de façon sérieuse et un peu solennelle, autant de décisions épistémologiques qui conviennent facilement aux approches communicationnelles, avides d’interdiscipline mais demandent d’ouvrir aussi largement l’empan sémiotique sur le figuratif. C’est pourquoi notre démarche peut rappeler aussi la figure du bricoleur chez Lévi-Strauss1. On sait combien, dans son approche du figuratif et de la figurativité Floch y fait référence, observant après Lévi-Strauss que si la pensée mythique est « une sorte de bricolage intellectuel » (Lévi-Strauss 1962, p. 26), « la pensée scientifique, elle aussi, bricole » (Floch 1995, p. 5). L’image a été suffisamment commentée et reprise pour ne pas s’y arrêter trop longtemps. Mais la forme de bricolage assumée qui est la nôtre revient précisément à travailler le figuratif avec des matériaux prélevés dans différents champs ou systèmes disciplinaires, avec la liberté créative2 d’opérer des assemblages entre des éléments parfois disjoints dans l’usage des concepts reliés au figuratif, en l’occurrence le figuratif de l’alimentation. Mais, dans notre cas, l’image a aussi ses limites car si le bricoleur de Lévi-Strauss, à la différence de l’ingénieur, « n’a aucun projet particulier », nous devons convenir que le figuratif s’érige bien ici en projet, libre de composer avec des blocs conceptuels d’inspirations diverses et de les appliquer à l’alimentation.

9Liberté déjà de ne pas disjoindre le figuratif et la figuration dans les termes de Descola, à savoir « l’opération universelle au moyen de laquelle des objets matériels sont transformés en agents de la vie sociale parce qu’on leur donne la fonction d’évoquer avec plus ou moins de ressemblance un prototype réel ou imaginaire » (Descola 2010, p. 17). Il importe alors de reconnaître non une typologie des images et des formes mais une morphologie des relations, avec modes d’inférences entre qualités selon l’appartenance à l’une des quatre régions de « l’archipel ontologique » : animisme, naturalisme, totémisme ou analogisme. Exemple parlant avec l’animal, afin d’entrevoir déjà ce qui vient porter ou heurter notre imaginaire de l’alimentation, s’il faut utiliser notre filtre :

On ne figurera pas de la même façon un animal perçu comme un sujet, ainsi que le postule l’animisme, ou perçu comme un emblème représentant un ensemble de qualités, ainsi que le suppose le totémisme, ou perçu comme un objet sans intériorité, ainsi que le veut le naturalisme (Ibid., p. 17).

  • 3 En fait, Barthes utilise l’expression dans « Le vin et le lait » : « Le vin est senti par la nation (...)

10Sans forcer le trait, on pourrait y reconnaître des visions du monde opposées dans l’alimentation : le vegan pour qui, entre animalisme et animisme, la figure de la viande n’évoque que le meurtre de l’animal et le viandard ; figure inversée chez Barthes pour qui le bifteck, aliment totem3, « participe à la même mythologie sanguine que le vin. C’est le cœur de la viande, c’est la viande à l’état pur, et quiconque en prend, s’assimile à la force taurine » (Barthes 1957, nouv. éd. 1970, p. 77). Et si l’on distingue animaux ou carcasses dans des natures mortes, n’allons pas chercher systématiquement « l’allégorie convenue », la vision naturaliste « ne demande de transformer le monde phénoménal en une abstraction soumise à un point de vue unique, mais de rendre visibles ses composantes les plus élémentaires dans toute la vérité d’une beauté “naturelle” car conforme à l’impression sensible qu’elles déposent en nous » (Descola 2021, p. 500). L’analogisme lui, se présente par exemple à travers la seule composition d’une assiette qui joue la correspondance directe entre la forme du dressage et le référent alimentaire (disposition de tous les éléments en forme de poisson) ou crée son cosmos à travers un jeu de position et d’orientation des aliments, avec leurs formes, textures, couleurs où tout fait sens pour préfigurer le goût, la sensation et l’émotion gustatives.

  • 4 « Au-delà des contextes toujours singuliers de leur production et de leur réception, au-delà des af (...)

11À la jonction de la sémiotique et de la communication, notre modèle intégratif du figuratif permet de bricoler aussi avec un autre bloc « précontraint » (Lévi-Strauss 1962, p. 29) : la figuration au sens goffmanien. Changement de perspective, de l’anthropologie à la micrososociologie, des schèmes figuratifs4 aux figurations sociales dans « La mise en scène de la vie quotidienne » (v Goffman 1956) :

Le travail de figuration partage des espaces sociaux selon un axe de représentation. D’un côté la région d’exposition où les acteurs sont sous le regard ou en présence d’un public, de l’autre la région où ils se préparent à la représentation. La métaphore théâtrale propose ainsi une première formule de l’organisation sociale de l’expérience qui distingue deux régions d’activité : la scène et les coulisses (Joseph 1998, p. 51).

12Cette dimension figurative aura toute sa place dans le modèle à construire car elle le renforce avec la dimension dramaturgique de la figuration, dans l’espace domestique ou privé (mise en visibilité ou non de l’espace de préparation culinaire, scènes de table, rôles afférents) comme dans l’espace public, professionnel (figuration des lieux de vente, activités de service, séparation front stage-back stage, etc.).

  • 5 Référence non dissimulée à l’approche sociologique de Corbeau & Poulain (2002). Mais la question du (...)

13À ce stade, nous avons déjà quitté le socle définitionnel du figuratif (voir supra, Greimas & Courtés 1986) pour entrer dans son champ extensif tel que nous le concevons, avant de penser l’alimentation5 dans l’ordre figuratif où les significations se déploient. S’il faut rester dans cette disposition, le pouvoir englobant du figuratif conduit encore à mobiliser la notion de figure, avec sa plus-value phénoménologique, même si Courtés n’y voyait pas un fondement bien « assuré » par rapport au principe d’immanence selon lequel « tout signifié, tout contenu d’une langue naturelle et, plus largement, de tout système de représentation (visuel, par exemple) a un correspondant au plan du signifiant (ou de l’expression) du monde naturel, de la réalité perceptible » (Courtés 1991, p. 163). Sous ce rapport, les aliments et les objets de la scène alimentaire ne sont pas des référents à part entière mais des figures du monde naturel, fonctionnant comme un langage et faisant l’objet de « lecture ».

14Là où Courtés voit dans le figuratif « un fondement plus assuré que le simple point de vue phénoménologique » (Ibid.), la figurativité va au contraire s’enrichir de considérations phénoménologiques avec l’entrée du sujet et du corps dans l’activité perceptive. À cet égard, on gagne à voir une complémentarité entre la sémiotique du corps développée par Fontanille et la théorie de l’iconicité de Bordron (v. Moutat 2021). Pour aller très directement sur ce qui vient enrichir notre modelage du figuratif, nous reconnaîtrons avec Bordron qu’à travers l’expérience gustative le perçu est l’expression d’un rapport, avec ses variations intentionnelles, et non un objet. La prise énonciative dont témoigne l’expérience de dégustation fait tenir ensemble « la diversité sensible (la matière de la sensation) et la forme-objet anticipée par le procès d’iconisation » (Bordron 2002, p. 660) dans le schème qui le rend intelligible. L’iconicité est aussi pour Bordron l’occasion de réarticuler sur de nouvelles bases la tripartition d’inspiration peircienne entre indicialisation, iconisation et symbolisation comme trois moments, sinon trois strates dans la genèse perceptive : l’indiciel qui fait signe, l’icône qui prend forme, le symbole qui fixe un certain ordre de signification à travers règles et contexte (Bordron 2011). Des « outils » bien sûr disponibles si nous devons porter une attention prioritaire à la « genèse perceptive du sens », tout particulièrement dans le contact sensoriel avec les aliments et l’expérience gustative à l’intérieur de l’alimentation.

15Sur des questions du même ordre, notamment la façon dont « se met en place l’effet iconique à partir de la sensation », Fontanille pose d’entrée que « l’iconicité est déjà un mode de présence au corps sensible » (1999, p. 2). Dans le domaine sensoriel « le changement ne peut être saisi qu’à travers un mouvement relatif au corps : dans l’espace, dans le temps, dans le corps, hors du corps, ou même entre l’intérieur et l’extérieur du corps. La perception n’est plus alors dissociable de l’action » (Fontanille 1999, p. 9). Le figuratif se complexifie donc dès ce niveau d’entrée sensible, au niveau de la sensation et de la perception. Mais, prévient Audrey Moutat, « le parcours jusqu’au “théâtre” des représentations symboliques et imaginaires est encore long » (2021, p. 92). Il faut pourtant bien s’y risquer si nous voulons aller plus loin dans le figuratif de l’alimentation, ne pas nous fixer sur le niveau perceptif et sensoriel mais reconnaître et parcourir d’autres contrées figuratives.

  • 6 Landowski n’aura de cesse de reprendre la question du goût, de sa dimension sensorielle à sa dimens (...)

16Une voie est tracée par l’un des travaux fondateurs en sémiotique gourmande, entre esthésie et sociabilité (Landowski 1998)6. Une sémiotique à concevoir et développer tant la relation à l’alimentation est de l’ordre de la signification. Mais pour Landowski, cela suppose l’exclusion du sociologisme, dans la mesure où, avant même que ne triomphe les Food Studies, « le goût n’est pas le simple résultat d’un ensemble de conformismes, ni même d’anticonformismes sociaux » (Landowski 1998, p. 6). Pas de sociologisme donc, mais la socialité comme espace d’énonciation où les sujets apparaissent « comme des instances compétentes pour construire leur propre rapport au monde environnant, à la fois comme présence sensible investie de valeurs et comme réseau de formes intelligibles » (Ibid., en italiques dans le texte). Dans une perspective figurative, l’alimentation donne matière à construire et relier ces formes intelligibles à partir même de la présence sensible des objets, des corps toutes substances confondues, des espaces, des situations, des relations, etc. Pas de biologisme non plus « car nos préférences ne sont pas la résultante directe de déterminations neuro-physiologiques qui régiraient automatiquement les attractions et les répulsions des corps en fonction des propriétés physico-chimqiues des choses » (Ibid.). Mais une ouverture au sens, pour ne pas dire une entrée dans la signification, comme on l’a vu, à partir de la sémiose perceptive et de la présence à soi, au corps sensible, que les premiers travaux de sémiotique gourmande situent d’emblée dans la relation entre sensible et cognitif, esthésie et esthétique.

17La dimension figurative revient d’ailleurs de façon significative, en pointillé et en continu dans ces premiers âges de la sémiotique de l’alimentation. On pense évidemment à Floch qui applique la mythologie bricoleuse à la cuisine et à l’univers figuratif de Michel Bras, ce « bricoleur-cuisinier » dont le logo compose avec « l’Ève et la Cistre », l’image typographique et la « figure métonymique d’une nature sauvage et fragile » (Floch 1995, p. 94) ; Barthes, bien sûr, sous différents angles d’attaque entre les Mythologies parcourant çà et là le monde alimentaire (Barthes 1957), la Lecture de Brillat-Savarin (Barthes 1975), la Psychosociologie de l’alimentation contemporaine (Barthes 1961), sans oublier la Rhétorique de l’image mise à l’épreuve avec la publicité alimentaire Panzani (Barthes 1964) ; Greimas aussi, qui donnera un statut quasi iconique à la provinciale Soupe au pistou (Greimas 1979, republié dans Id. 1983) au point que Gianfranco Marrone questionne ce qui fait sens pour Cuisiner après Greimas, en donnant toute son amplitude au figuratif :

La construction de l’objet, conduite au niveau figuratif, ne peut ne pas tenir en compte, en les présupposant, soit la construction de la subjectivité (par l’esthésie gustative éprouvée par les convives), soit l’institution sociale des valeurs (ce que Greimas appelle “code gustatif culturel implicite”). C’est ainsi que l’article de Greimas est très riche de remarques utiles pour l’édification d’une sémiotique du goût, de la cuisine, de l’alimentation, de la commensalité (Marrone 2017, p. 3).

  • 7 Voir notamment Lizie (2012).

18Les sémioticiens vont toutefois privilégier la dimension herméneutique et signifiante du goût, entre saveur (sapore) et savoir (sapere), là où les Food studies7 dès les années 2000 se donneront pour terrain non plus seulement le goût mais l’espace social de l’alimentation, de la compétence sémiotique reconnue au discours critique élargi sur l’alimentation en société (Poulain 2017 ; Boutaud à paraître). En suivant la recommandation de Landowski, d’éviter aussi bien le biologisme que le sociologisme, il ne faut pas moins concevoir le figuratif de l’alimentation non pas dans une segmentation disciplinaire mais dans un jeu d’échelles précisément déployé entre esthésie et socialité.

2. Les échelles figuratives de l’alimentation

19En nous donnant la liberté de bricoler le figuratif de l’alimentation, avec des matériaux conceptuels soudés, entre autres, à la figure, la figuration, la figurativité, nous devons maintenant composer avec sa dimension extensive, plurielle et complexe. Interviennent aussi, on l’a déjà perçu, des considérations phénoménologiques, esthétiques, sociologiques, anthropologiques, sur un éventail plus large encore entre les entrées disciplinaires mais avec l’impératif d’organisation et d’homogénéisation à respecter dans le figuratif, pour une approche sémiotique de l’alimentation. Entre esthésie et socialité, saveur figurable, figurée et valeur, ce figuratif se déploie donc, pour faire sens dans l’alimentation, des formes sensorielles les plus intériorisées aux figurations sociales et symboliques les plus étendues ou partagées, à l’échelle des mondes sociaux, des cultures, des imaginaires aussi.

20La notion d’échelle prend déjà en elle-même valeur de figure pour situer d’une part le choix d’un niveau d’observation et d’analyse des formes signifiantes dans l’alimentation et, d’autre part, le déploiement du figuratif à travers les différents niveaux. La démarche n’est pas nouvelle, tout particulièrement dans le champ de la consommation (Desjeux 1998) et de l’alimentation (Poulain 2002, nouv. éd. 2017). Ainsi pouvons-nous adopter une posture théorique déjà reconnue en anthropologie de la consommation pour l’orienter plus directement sur le figuratif de l’alimentation : « en fonction de la focale ou de l’échelle d’observation choisie, la réalité observée change, les points de repère se transforment, la question de la rationalité évolue » (Desjeux 2004, p. 5). Des pratiques et des effets de sens brouillés par la pluralité des figures et figurations dans le monde alimentaire ou pris en apparence, en surface, dans les contradictions entre relations tour à tour construites ou déconstruites à l’alimentation, engagent en réalité des jeux changements d’échelles et des modes d’interprétation différenciés selon la focale adoptée, tout en figurant le jeu d’échelles dans son ensemble. Si par exemple à micro-échelle on privilégie la dimension perceptive de l’empreinte gustative, à macro-échelle se détachera d’abord le système de valeurs mobilisé en société, mais le changement d’échelle ne signifie en rien l’étanchéité entre les niveaux de sens. Les échelles d’analyse supposent évidemment un niveau d’observation, de description des pratiques, en formes, en actes, avec le potentiel figuratif que la sémiotique conçoit, des formes sensorielles aux formes de vie. Il est possible à présent de se donner quelques repères, des échelles d’observation aux échelles figuratives.

Figure 1.

  • 8 « Dans certains domaines, comme celui de l’alimentation ou de l’ergonomie, il est indispensable d’a (...)

Échelles d’observation

appliquées à la consommation

(Desjeux 1998)

Échelles

d’analyse

en sociologie de l’alimentation

(Poulain 2002, nouv. éd. 2017)

Échelles d’observation

Anthropologie inductive

(Desjeux & Sarrat 2020)

Échelles figuratives

dans l’alimentation

(Boutaud 2019, 2020, 2021)

Bio

logique

Nutrition, besoin

(biologie)8

Saisir au niveau des données biochimiques et physiologiques impliquées dans le processus de la nutrition ou des choix alimentaires, l’impact des phénomènes sociaux

Cerveau

Activités perceptives,

Affections somatiques

Esthésie

Auto

Micro

Micro-individuel : individus, sujets, cognition, motivation, inconscient

Acteur unique

(micro-économie, marketing, psychologie)

Micro social (itinéraires)

interactions, pratiques, niveau micro-culturel, système d’approvisionnement Acteurs concrets

(ethnologie, micro-sociologie)

Individu, décisions et arbitrages, volonté

(Chiva 1985)

Individus : espaces domestiques et petits groupes

Formes d’interactions directes et cadres d’expérience domestiques, privés,

localisés, en situation de proximité

Méso

Cinq catégories interprétatives :

Sens, symbolique, affectivité (Fischler 1990)

Rapports de pouvoir (Corbeau 1992)

Imaginaire (Poulain 2002, nouv. éd. 2017)

Constructions identitaires (Pfirsch 1997)

Organisation sociale et réseaux (Corbeau & Poulain 2002)

Organisations et systèmes d’action

Formes discursives, énonciation sociale, figurativité médiatique

Macro

Macro-scope : cultures, générations, sexes, classes sociales, attitudes, styles de vie, modes de vie

Acteurs collectifs

(macro-sociologie, macro-psychologie, anthropologie)

“Classes sociales”

“Styles de vie”

“Modes de vie”

Macro-social : appartenances sociales

Formes sociales et sociétales des

pratiques alimentaires

Méta

Formes symboliques, transcendantes sacralisées, idéalisées

Des échelles d’observation aux échelles figuratives

  • 9 Dans la hiérarchie des plans d’immanence, les pratiques occupent une position intermédiaire : « En (...)

21À la différence des échelles d’observation, sur fond d’analyse sociologique et anthropologique, les échelles figuratives relèvent bien davantage d’une sémiotique des pratiques (Fontanille 2008). Mais là où niveaux de pertinence et plans d’immanence figurent un parcours génératif du plan de l’expression (signes, textes, objets, scènes pratiques, stratégies, formes de vie) avec les pratiques en position intermédiaire9 les échelles figuratives participe à tous les niveaux de la pratique, dans l’expérience de l’alimentation. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple à l’échelle micro-individuelle, l’espace figuratif de la « belle assiette » (objet) au restaurant (gestion stratégique du gastronomique) englobe-t-il l’empreinte sensorielle de la présentation des mets (signes sensoriels), reliée à l’annonce antérieure du plat sur le menu (texte), dans l’attente programmée ou préfigurée (stratégie) d’une émotion sublime à une table étoilée, ou indépassable, dans l’ordre symbolique de la mémoire familiale (forme de vie). En bouleversant un peu la hiérarchie des plans d’immanence, cette échelle condense et concentre donc à elle seule, tous les niveaux figuratifs engagés dans la pratique alimentaire, avec sa consistance figurative propre. Chaque niveau de l’échelle comporte cette dimension d’enveloppement des sémiotiques-objets (signes, textes, objets, etc.) mais le déploiement figuratif opère bien, cette fois, d’échelle micro à méta, avec une question sur la place du biologique.

2.1. Le biologique à la base du figuratif ?

22Les termes de base sont posés pour analyser le figuratif à travers un jeu d’échelles déjà reconnu, de la consommation (Desjeux 1998) à l’alimentation (Poulain 2002, nouv. éd. 2017). On aura noté (figure 1) le seuil de pertinence retenu dès le niveau biologique : « De son expérience de l’étude de l’objet alimentaire et de la recherche en coopération avec des scientifiques du milieu médical, Desjeux retient la nécessité d’intégrer dans l’analyse des faits sociaux l’espace d’interaction des dimensions biologiques et sociales » notamment pour saisir à cette échelle « les données biochimiques et physiologiques impliquées dans le processus de la nutrition ou des choix alimentaires » (Poulain 2002, nouv. éd. 2017, pp. 199-200). Or ces données, considérées au niveau des échelles figuratives se verront reportées dans la sphère « méso », celle de la circulation des discours sur la nutrition, notamment entre institutions publiques, discours professionnels, médiatiques, éducatifs (Cardon & De Iulio 2021).

  • 10 « Le cerveau doit disposer des messages provenant d’une combinaison de neurones aux spectres de sen (...)

23Si l’échelle biologique se concentre sur la nutrition, comme l’une de ses fonctions essentielles, et le « cerveau gourmand » (Holley 2006) comme lieu de sensibilité du goût et du plaisir, il est peut-être hasardeux de voir trop vite dans l’image olfactive, une manifestation première du figuratif. On ne saurait en effet confondre un processus sémiotique avec un mécanisme neuronal où des termes comme « messages », « signal », « information », « reconnaissance de forme » appartiennent à un champ scientifique d’un autre ordre10.

24En toute logique, on pourrait se tourner plus volontiers vers la biosémiotique, sémiotique du monde vivant et pas seulement humain, sachant qu’il a déjà été question, sur un autre plan, de schèmes figuratifs (Descola 2010) établissant des correspondances à l’échelle du vivant, humain ou autre qu’humain. Sans prétendre à une théorie biosémiotique complète et aboutie, Jacques Fontanille (2019, 2021) en a déjà posé les termes matriciels tout particulièrement à partir de l’éthosémiotique de von Uexküll (1956) et le concept central d’Umwelt, monde environnant et interactions qui font sens pour un « sujet », ou mieux encore pour un centre de référence, s’il faut éviter toute projection anthropomorphe.

25Se trouve ainsi rejetée la croyance en l’existence d’un monde unique (Welt) au profit de mondes vivants actualisés selon une tonalité donnée dont le régime sémiotique repose sur différents critères : 1) le taux de sélectivité et de dissociation des propriétés sensibles figurales ; 2) les régimes spatiaux et temporels ; 3) les types de schèmes syntagmatiques : improvisés, programmés, adaptés, etc. ; 4) la complétude ou l’incomplétude des scènes prédicatives convoquées par les tonalités (cf. les cas où un rôle prévu n’est attribué à aucun acteur, ou à un acteur incompatible avec la pratique en cours), 5) le mode d’existence du « remplissement actoriel » des rôles actantiels thématiques ; 6) le rôle et l’intensité des pressions tonales, affectives et passionnelles (Fontanille 2019, p. 40). Deux grandes dimensions permettent alors de caractériser les interactions : selon leur consistance (occasion et aléa ; programmation et adaptation) et selon leurs tonalités existentielles (régime ludique, imaginaire, vital ou accidentel) (Ibid., pp. 42-44).

26Ainsi arrive-t-on à définir pour des espèces, des groupes et individus, des régimes de signification spécifiés, avec des liens possibles à établir entre éthosémiotique et sociosémiotique. Apparaissent alors des similitudes entre interactions dans le monde animal et interactions dans l’expérience humaine, tout particulièrement lorsqu’on entend replacer le goût dans une perspective interactionniste : « (le goût) se construit dans la confrontation, ou mieux, dans l’ajustement entre les qualités sensibles immanentes au monde–objet et la compétence sémio-esthésique des corps-sujets que la rencontre avec ces qualités met à l’épreuve » (Landowski 2004, p. 247, en italiques dans le texte).

27Il importe donc, à l’échelle biologique du figuratif, d’appréhender la dimension biosémiotique des interactions et d’en retirer, avec la prudence méthodologique qui s’impose, des clés d’analyse pour les interactions dynamiques entre corps, entre corps et objets, comme procès de construction du sens. Avec en retour une dimension figurative amplifiée, des mondes sociaux et humains, à l’échelle globale du vivant : « la prise de conscience écologique, l’attention croissante pour la condition animale, les transformations profondes de la réflexion anthropologique, nous créent à tous une obligation, qui est autant éthique et politique que scientifique » (Fontanille 2019, p. 45). On observe sans peine combien le « bio » fonctionne désormais comme figure générique dans l’alimentation, en regroupant des domaines et des pratiques très diversifiés. On en connaît aussi les déclinaisons entre biodiversité, agriculture biologique et, sur les terres ésotériques de l’anthroposophie (Steiner), la biodynamie, avec bouse et corne de vache, forces cosmiques et vignobles iconiques : « Le sentiment commun est qu’il s’agit d’un breuvage ou d’un aliment “plus que bio”… Il faut accepter en plus un solide cahier des charges : les fameuses préparations 500 et 501, des tisanes, des décoctions, le respect du calendrier lunaire et planétaire » (Neiman 2021).

28Un tel changement d’échelle créé déjà, comme figuration de l’unité et du tout, un pont entre biosémiotique et méta-échelle figurative, avec des colorations surnaturelles pour les uns, surréalistes pour les autres.

2.2. L’échelle micro-individuelle du figuratif de l’alimentation

  • 11 « L’intérêt des sciences sociales et humaines pour l’alimentation s’est développé quasi simultanéme (...)

29L’échelle micro-individuelle place d’entrée le figuratif dans l’espace sensoriel, esthésique, synesthésique du goût, de l’image gustative. Un espace signifiant, complexe, qui a motivé l’intérêt premier de la sémiotique pour le goût, le gustatif, avant l’alimentation sous tous les angles d’attaque que ne manqueront pas d’explorer les Food Studies11, surtout à partir des années 2000. À l’intérieur du champ alimentaire, le goût constitue l’objet premier pour la sémiotique et la dimension sensorielle-perceptive figure évidemment parmi les questions premières dans la relation sensible aux aliments et la construction du goût. L’échelle micro-individuelle s’attache donc au figuratif des perceptions et sensations, tout particulièrement l’image des saveurs à travers des marques énonciatives à identifier. À ce niveau perceptif, sensoriel, le figuratif relève de dimensions plastiques et phénoménales, du figural et de la figure.

  • 12 Le schéma esthésique de Bordron (2011) distingue trois moments : « un moment indiciel (que l’on peu (...)

30Dans notre approche, soucieuse de considérer différentes entrées pour le figuratif, il est apparu déjà que l’allocation de sens se produit dès le niveau perceptif. Cela ressort notamment des travaux de Bordron pour saisir comment émerge l’expérience gustative (Bordron 2002) et comment se construit le schéma esthésique12 dans l’acte d’aperception signifiante (Bordron 2011). Le figuratif du goût se révèle d’abord figural ou plastique.

31Par d’autres voies, Jacques Fontanille replace ces dimensions non pas dans la perception directe des aliments mais à travers le processus synesthésique qui donne faculté de « déguster des yeux » (2006), à partir des photographies culinaires des créations de Michel Bras, déjà évoqué avec Floch (1995). Pour la circonstance, Fontanille cherche à décrire comment une sémiotique du voir et du faire-voir peut représenter d’autres modes sensoriels et selon quel parcours, de la saisie visuelle à l’appropriation gustative. La simple description d’un signe totem chez Bras, comme les niacs (terme pour figurer le « coup de fouet » de vinaigres, huiles ou poudres qui font signature aromatique et trace figurative pour un plat) permet de voir à l’œuvre, à partir des expressions mêmes du Chef et de la réalisation dans l’assiette, trois aspects d’une manipulation énonciative : (1) aspect plastique et compositionnel (disposition des éléments gustatifs, touches, traces) ; (2) narratif et énonciatif en préfigurant le « coup de fouet » (« éveiller des sensations », « provoquer », selon les termes du chef) ; (3) affectif et sensible (pathémique) sous la forme d’une « cuisine gaie qui dispense étonnement et joie ». On sort ainsi de la clôture de l’objet défini uniquement par des propriétés figurales, gestaltistes (Saint-Martin 1990), plastiques (Groupe µ 1992) ou même semi-symboliques (Floch 1995) fixées sur des éléments de structuration topologique (haut-bas ; centre-périphérie), morphologique ou chromatique.

32Au plus près de la sensation gustative, des gammes sensorielles impliquées dans le goût, le figuratif de la saveur (Boutaud 2013) émerge tout autant du figural (Aubral & Château 1999) et de la Figure (Lyotard 1971 ; Deleuze 1981) selon des conceptions phénoménologiques différemment abordées. Ainsi le figural donnerait figure « à ce qui par essence tend à la manifestation, à l’expansion vers le dehors, pour y laisser trace, s’y inscrire comme dynamique rythmique et pulsionnelle » (Schefer 1999, p. 923). Quant à « La Figure, c’est la forme sensible rapportée à la sensation ; elle agit immédiatement sur le système nerveux qui est de la chair. Tandis que la forme abstraite s’adresse au cerveau, plus proche de l’os » (Deleuze 1981, nouv. éd. 2002, p. 39). Des éléments stimulants pour penser la Figure en dehors du figuratif, des figures.

33Mais peut-être faut-il se donner des points d’appui plus assurés pour notre champ d’application dans l’alimentation, à la jonction sémiotique et phénoménologie. Valeria De Luca (2015) ouvre à cet égard des pistes pour le « figural, entre imagination et perception », à travers de multiples dimensions : énergie (formes et forces), altérité (de l’expérience aux pratiques sociales), émotion (émergence et cours d’action), médialité (d’une médiation à l’autre), temporalité (émergence et survivance, formes de vie et imaginaire), étendue (activités singularisantes et dynamiques globales). Mais entre toutes ces dimensions, le figural ouvre déjà le figuratif à d’autres échelles, si la perception de l’image gustative en appelle déjà à l’expérience, aux médiations, aux formes de vie, à l’imaginaire.

34Du micro-individuel au micro-social, le changement d’échelle du figuratif nous entraîne de la prise de forme de l’objet alimentaire, à la prise de forme de la situation de consommation et d’interaction. Cela ne signifie pas que l’expérience se densifie d’une échelle à l’autre mais l’espace figuratif change de proportions et projette le mangeur dans un cadre d’expérience et un mode d’existence précisément reconfigurés par ce changement d’échelle. Le point d’attention passe déjà de la proposition contenue dans l’assiette à la situation vécue à table.

2.3. Figuratif de l’alimentation à l’échelle micro-sociale

35La figure canonique de cette échelle micro-sociale : la table, comme foyer spatio-temporel et actoriel (Boutaud 2005b).

36Non réduite à sa fonction, la table construit un espace de signification au sein de la pratique, dimension impliquée à chaque niveau des échelles figuratives. En l’occurrence le figuratif de la table s’organise autour d’un espace regroupant déjà les différents niveaux pertinents de l’expérience convertis en autant de sémiotiques-objets, si l’on considère l’espace sensible qu’elle délimite, les comportements et les rôles qu’elle supporte, les formes de vie qu’elle incarne. Car avec la table, il s’agit de

faire de l’espace un destinateur et un prescripteur qui distribue valeurs et compétences dans la scène, détermine les styles rythmiques de la scène et les attitudes modales des sujets. En participant d’un côté au plan de l’expression (les styles rythmiques) et de l’autre, au plan du contenu (les attitudes modales), l’espace détermine, au travers des objets, des formes de vie telles la cordialité ou la convivialité (Beyaert-Geslin 2010, p. 104).

  • 13 « Les pratiques, en effet, se caractérisent principalement par leur caractère de processus ouvert c (...)
  • 14 Dans les situations professionnelles « l’observabilité du travail de l’agent et la séparation virtu (...)

37À l’échelle microsociale, la table représente, pour la sémiotique des pratiques, le foyer de scènes prédicatives ou pratiques13 et figure, pour la microsociologie, le théâtre de scènes de vie quotidienne dramatisées, au sens anthropologique : on y distribue des positions, des rôles, des jeux d’acteurs, à la fois dans l’espace normatif des pratiques et dans l’espace d’improvisation de la scène commensale, conviviale. La figuration joue en l’occurrence un rôle essentiel dans la métaphore théâtrale du jeu des interactions en société (Lardellier 2011), avec la table comme l’un des principaux foyers organisateurs dont la dramaturgie comprend aussi les coulisses (cuisine, cave, gestion des préparations, des services) et leur régime de mise en visibilité ou non14.

38Dans sa Physiologie du goût, Brillat-Savarin avait déjà pointé avec délectation ce que Barthes définira comme « une vague pulsion scopique ». En effet, lorsque Brillat-Savarin « veut saisir les effets voluptueux de la nourriture, c’est sur le corps adverse qu’il va les chercher ; ces effets sont en quelque sorte des signes, pris dans une interlocution : on déchiffre le plaisir de l’autre ». Et d’ajouter :

Il y a dans la mise en scène d’un bon repas autre chose que l’exercice d’un code mondain, eût-il une très ancienne origine historique : il rôde autour de la table une vague pulsion scopique : on regarde (on guette ?) sur l’autre les effets de la nourriture, on saisit comment le corps se travaille de l’intérieur (Barthes 1975, p. 10).

39Comment aussi « le dispositif de la scène alimentaire » place la table au centre de « l’espace figuratif de l’échange » (Boutaud 2005b, pp. 49-80) ou, à défaut, à moins de penser à d’autres contextes culturels, délimite un espace où s’affichent des positions et des dispositions, en mode privé ou public, construit ou déconstruit, ouvert ou fermé, routinisé, ritualisé ou libéré de certaines. Nous ne pouvons y revenir par le détail mais on voit déjà à quel point la table prend valeur de figure et de figuration à l’échelle microsociale, comme point d’origine et d’organisation des formes conviviales qui s’y tiennent ou s’en libèrent.

40C’est à partir de la figure canonique de la table que l’on peut définir des pratiques comme construites ou déconstruites (plateaux repas, grignotage), sédentarisées ou nomades (pique-nique, snacking), privées ou publiques (table de restaurant, hors domicile), ouvertes (buffet, brunch) ou tenues à des pratiques commandées par l’ordre commensal.

  • 15 Microsociologie non réductionniste car elle ne postule pas le repli du macro sur le micro, en ne co (...)

41En élargissant un peu le cadre d’expérience, à partir ou au-delà de la table elle-même, l’échelle microsociale reporte tout particulièrement le figuratif de l’alimentation sur des éléments de contexte comme le moment, cadre situé et descriptible privilégié par la microsociologie d’inspiration goffmanienne15, et la situation, au cœur de l’analyse chez Barthes dans sa Psychosociologie de l’alimentation contemporaine (1961). On connaît la formule : « la nourriture tend sans cesse à se transformer en situation ». Ainsi, boire un café sera « moins senti comme une substance que comme une circonstance… Or, si ce transfert de l'aliment à son usage est vraiment général, on peut imaginer que le pouvoir de signification de la nourriture en sera accru d'autant » (Barthes 1961, p. 986). La situation comme moyen d’articuler le grain du moment et une forme de vie qui s’incarne dans l’alimentation.

42À la faveur du figuratif, cette échelle micro-sociale relève d’une sociosémiotique précisément attentive à la sémiotique des situations (Landowski 1997), là où le sens se construit, se nourrit, dans l’intersubjectivité, voire l’interobjectivité (Landowski 2001) quand les choses s’accordent ou non entre elles, par exemple dans une scène conviviale ou une ambiance de restauration. Ce n’est pas un hasard si Landowski est revenu avec tant d’insistance sur la question du goût (Landowski 2019), entre esthésie et socialité (Landowski 1998, 2004). Mais le champ de l’énonciation s’ouvre à tous les régimes de figuration autour du culinaire, du gastronomique, de l’alimentation bonne ou mauvaise, ce qui nous conduit maintenant à un changement d’échelle dans le figuratif.

2.4. Figuratif de l’alimentation à méso-échelle

  • 16 Située à la base des échelles d’observation (Desjeux 1998) et d’analyse de l’alimentation (Poulain (...)

43Par définition, la méso-échelle occupe une position intermédiaire entre les échelles figuratives de niveau inférieur, micro-individuelle (alimentation et dimensions sensorielles, perceptives) et micro-sociale (alimentation et situations de proximité, d’interaction locale, localisée) et les échelles de niveau supérieur, macro (alimentation comme espace figuratif de valeurs incorporées) et méta (spiritualisation de l’alimentation et formes de transcendance)16.

44Sans reprendre les termes du figuratif mais sans méconnaître non plus les avancées sur le sensible en sémiotique et communication, Yves Jeanneret a développé le concept de trivialité comme point nodal de la médiation, avec tout le « caractère transformateur et créatif de la transmission et de la réécriture des êtres culturels à travers différents espaces sociaux » (Jeanneret 2014, p. 15). Bien sûr, il nous faudrait, comme pour toute écriture et pensée, mesurer la portée de chaque terme dans la langue de l’auteur, mais dans notre entreprise de calque entre trivialité et méso-échelle figurative, il s’agit de nous situer à un niveau fondamental, celui qui brasse tous les supports et registres de médiation sur l’alimentation. Non pas dans une transmission mécanique mais un processus permanent de circulation des figures et discours sur l’alimentation, d’appropriation, transformation, altération, traduction, réappropriation, réinterprétation, etc. Il s’agit très clairement de se nourrir au

grand magasin des énonciations énoncées et des images qui tapissent le fonds de mémoire collective. Chaque énonciateur y puise en convoquant ces produits de la praxis. On y trouve les topoï, les lieux partagés et communs, la stéréotypie et les récitatifs de la vie quotidienne qui fondent tous les bien entendus, tous les malentendus, l’acceptabilité de l’image ou son rejet scandalisé (Bertrand 2020, p. 57).

45Ce fond d’énonciation supporte les formes actualisées par la circulation des discours sur l’alimentation, entre toutes les médiations mises en jeu.

46Comme il nous faut aller au plus direct de l’illustration, prenons là encore un exemple de visibilité maximale dans la circulation médiatique des figures alimentaires : le foodporn. Terme suffisamment évocateur de la surexposition alimentaire : non plus la table qui s’efface, avec ses moments de socialité, mais l’assiette qui s’exhibe et s’étale jusqu’à saturation des images tous supports confondus. Foodporn, un phénomène qui désigne très largement « les pratiques médiatiques autour des photographies ou vidéos de plats, présentés sur les sites internet pour les restaurants, sur les sites spécialisés en cuisine ou encore les publicités audiovisuelles d’annonceurs » (Marti 2022, p. 109). Mais, au-delà de l’étalage et de l’exhibition, la référence explicite à la pornographie alimentaire ne laisse pas de doute sur la volonté plus affirmée encore de jouer l’excès, l’exagération, l’excitation des sens et l’indécence, tout particulièrement sur des plateformes comme Instagram. Un chiffre donne déjà la mesure… de la démesure : à l’orée 2023, le hashtag foodporn totalise 293.878.544 publications.

47Érik Bertin s’y réfère en donnant une très bonne illustration de la méso-échelle figurative sous le régime dominant des médiations qui intègrent à la fois le niveau de la médiatisation (tous médias confondus) et celui de la médiation générique (formes et contenus selon les contraintes de genre pour un média en particulier). En l’occurrence

le média Instagram exerce une pression générique sur les utilisateurs en les incitant à produire des scènes pratiques qui sont “instagramables”… la mise en énoncés photographiques de scènes pratiques devient une pratique qui détermine des conduites, et qui génère des pratiques de diffusion et d’interactions sociales (Bertin 2021, p. 371).

48Pression du média à la fois générique et homogénéisatrice pour les stratégies de visibilisation des énonciateurs relevant, toujours selon Bertin (Ibid.), d’une (contre-) culture populaire alimentaire et de pratiques hétérodoxes : rétro-transformation (le préparé du culinaire revient à l’état-matière) ; suppression de la scène pratique (frontalité sur le plat brut plutôt que la table ou la scène alimentaire) ; plongée haptique, avec effets de grossissements, d’hyperesthésie ; modulations de l’excès sans crainte de répéter jusqu’à saturation formes (photo)graphiques et formes de sensibilités libérées de la pression culturelle… à défaut de la pression du média. C’est parce que le média, sans dicter sa loi, imprime son cadre générique par rapport à d’autres médias qu’un tel mode d’énonciation figure en méso-échelle (dominante discursive) et non à l’échelle micro-individuelle (dominante perceptive).

49Pointe avancée de la visibilité offerte aux pratiques alimentaires par les médias, les réseaux sociaux ont motivé ce temps d’arrêt pour illustrer la méso-échelle du figuratif. Mais c’est plus généralement la question de la circulation éditoriale, médiatique, de la prolifération des discours sur l’alimentation qui se pose à cette échelle.

2.5. Figuratif de l’alimentation à macro-échelle

50Comme tout discours, celui sur l’alimentation se structure en profondeur autour des valeurs, intériorisées et incorporées dans des formes de vie. Mais encore faut-il, pour infuser dans une culture, une société, que ces valeurs prennent, trouvent leur consistance figurative à une macro-échelle d’expression des valeurs dans les pratiques et les formes de vie alimentaires.

51De longue date nous avons exploré, dans le champ du goût et de l’alimentation, la conversion des valeurs, du plan axiologique à leur expression figurative : ce sont les figures sensibles, dans une perspective sémiotique orientée vers le pouvoir de communication du figuratif. Ainsi, la distance à prendre entre la question de la santé dans l’alimentation, abordée à un niveau biologique (v. supra, 2.1) avec la figure du « cerveau gourmand » (Holley 2006) et un rapport fonctionnel à la nutrition, et à une autre échelle, sa reconfiguration dans la négociation axiologique avec d’autres valeurs en société, tout particulièrement la tension et l’équilibre à trouver entre plaisir et santé. On sait combien le discours médical ou la rationalité du discours échouent ou sont à la peine, notamment dans la prévention de l’obésité, tant que discours prescriptif ou normatif, données chiffrées et conseils bien avisés ne trouvent pas à se matérialiser à travers formes et figures de la vie sociale, mais aussi formes de vie agrégées positivement à la vie alimentaire.

52De la valeur à la figure sensible se construit et se déploie la dimension figurative, jusqu’à trouver une consistance entre toutes les échelles et investir différents espaces expressifs de la vie sociale, culturelle. Ainsi avons-nous exploré comme figures sensibles, de l’alimentation à des univers co-extensifs : la transparence (Boutaud 2005a), la convivialité (Bonescu & Boutaud 2012), la lenteur (Boutaud & Bratu 2007 ; Boutaud & Bertin 2012), le sacré (Boutaud & Dufour 2012 ; Dufour & Boutaud 2013), pour n’en donner que quelques références au sein d’une recherche plus globale sur le sensible, à la confluence sémiotique et communication.

53La prise de forme investit tout autant l’enveloppe figurative de la forme de vie, avec là encore une consistance figurative rapportée aux propriétés de cohérence et de congruence qui définissent selon Jacques Fontanille les formes de vie : une « cohérence “horizontale”, qui soutient la persévérance, et une congruence “verticale” entre des valeurs, des styles, des rôles, des qualités sensibles, des régimes temporels et des passions » (Fontanille 2015, p. 143). La forme de vie replace donc l’ethos ou le style alimentaire dans un style stratégique cohérent, récurrent dont l’enveloppe figurative opère à une échelle plus grande, à travers différents registres de pratiques mais aussi différents imaginaires dans la vie sociale.

  • 17 « Le glouton, le goulu, le goinfre, variétés d’un même genre, sont des êtres dont la voracité est t (...)

54Au xixe siècle, la physiologie sociale du goût ne distingue pas encore des formes de vie alimentaires mais « diverses espèces de gastronomes » (Borel d’Hauterive 1851) catégorisés, classés et déclassés selon une relation maîtrisée ou corrompue avec tous les registres d’exposition sociale du goût : d’un côté gourmet (valorisation du savoir) et gourmand (valorisation des saveurs et de la bonne chère) comme deux « subdivisions du gastronome » qui en serait la synthèse ; de l’autre, les types éloignés de l’art de vivre du gastronome, dans une relation dégradée avec qualités, quantités, gestes, rythmes, discours17. Et, s’il faut pousser le trait à l’extrême, d’un style proprement humain à une figure anatomique, un régime végétatif : « Au denier degré de l’échelle des gloutons, on rencontre le tube digestif. Il ne faut pas lui demander comment il vit ; il végète » (Ibid., en italiques dans le texte).

  • 18 Comme l’observe Dominique Desjeux (2002), « À une échelle macro-sociale, l’habitus est tout à fait (...)
  • 19 « L’ethos relate à la fois l’impact de déterminismes auxquels l’individu se trouve confronté et les (...)
  • 20 « L’ethos se présente comme un ensemble de propriétés figuratives et sensibles formant un tout reco (...)

55Les formes de vie alimentaires ne sauraient évidemment se confondre avec cette galerie de portraits quasi animalisés des bons et gros mangeurs. En macro-échelle, le goût et l’alimentation trouvent un point d’appui théorique assurément plus solide par référence à l’habitus, « forme incorporée de la condition de classe et des conditionnements qu’elle impose » (Bourdieu 1979, p. 112) qui agence les styles corporels et les manières de faire18. Avec le recul, on sait combien ont pu être discutées les notions de condition de classe, pour parler alimentation, ou l’habitus lui-même comme surévaluation d’un principe organisateur d’incorporation des normes. La sociologie de l’alimentation s’est libérée aussi de l’habitus au profit de l’ethos19 du mangeur dont Corbeau reconnaît que la reconstruction par le chercheur comme « représentation typicale » serait comme « la “fiction scientifique” d’une représentation dramatisée par l’acteur social, une métaphore au second degré en quelque sorte » (Corbeau & Poulain 2002, p. 119). Une figure bricolée, donc, par le chercheur et par le mangeur, entre la socialité et ses déterminismes, et la sociabilité avec ses forces centrifuges (pulsions, passions, imaginaires). De la sociologie de l’alimentation à la sémiotique, l’ethos conduit évidemment aux considérations éthiques et à la constitution d’un plan de l’expression à partir notamment de la « consistance » figurative qu’il présente, pour l’observateur20 mais aussi pour le mangeur qui en bricole la figure.

  • 21 « Ainsi, le goût est l’opérateur pratique de la transmutation des choses en signes distincts et dis (...)

56Ces approches ont en commun de rechercher un principe d’organisation, de structuration des styles de vie alimentaire21, sans confusion avec les socio-styles d’une pensée marketing pris dans la météorologie sociale et les humeurs de consommation. On doit à Marielle Macé d’avoir abordé par les styles, une « critique de nos formes de vie » (2016), à travers les colorations modales et les modulations des formes d’individuations et d’interactions dont le caractère figuratif transparaît, comparaît, dans le quotidien et la manière de vivre :

Des manières de se côtoyer et de se rapporter les uns aux autres, des façons d’habiter son corps, ses lieux, sa ou ses langues, son pays (et des façons de la quitter), des modes relationnels, des rythmes, des environnements… tout ce à quoi l’on décide de tenir ou que l’on défend simplement en le vivant, de façon discrète et tenace, sans mot d’ordre » (Ibid., p. 321).

  • 22 « Les idées, les comportements, les attitudes, les figures de notre vie quotidienne comme les objet (...)

57Des formes de vie sensibles à la déclosion, à l’ouverture à soi et aux autres, à l’étrangeté à soi et aux autres, ce qui nous éloigne du « profil » du mangeur. Sa disponibilité l’emporte sur sa prédisposition, comme les modulations du style sur les déterminismes de classe, mais cela n’interdit pas, à l’échelle macro, d’analyser le jeu des tendances22 de consommation alimentaire.

2.6. Figuratif de l’alimentation à méta-échelle

  • 23 Pour la nourriture comme « convertisseur » sensoriel, voir Dondero (2009, pp. 118-120).
  • 24 « Dans sa théorie des zones anthropiques (Rastier 2018) considère bien que le niveau sémiotique (et (...)

58Au sommet de l’échelle figurative, image qu’il nous faudra reprendre et discuter (partie 3), se produit un décollement, une conversion23 même du figuratif, porté vers : la spiritualité, la spiritualisation de la nourriture ; le religieux, avec ses croyances et interdits (Assouly 2002) ; les figures du sacré (Boutaud & Dufour 2012 ; Dufour & Boutaud 2013) ; l’alchimie des saveurs, du goût, sublimée par les Chefs et des réalisations dignes des plus grandes créations dans l’artification du culinaire (Cohen & Csergo 2013). Autant de formes de transcendance. Il s’agit de donner à l’alimentation, aux objets et pratiques alimentaires, un niveau de figurativité, déjà sous la forme d’une transcendance « représentée » et « thématisée » pour reprendre les termes de Louis Hébert24.

59Ainsi s’opère, dans l’expérience du goût ou la relation à l’alimentation, un phénomène de conversion du sensible, un changement de degré dans les échelles figuratives. Pas de fatalité à systématiquement entrer ou sombrer dans l’inconnu, le mystère absolu ou l’indicible, par les effets même du figurable, de la figurativité maintenue ou plutôt recréée à cette échelle.

  • 25 « Dans le Nouveau Testament, le pain, l’huile, l’eau ainsi que le vin sont les symboles de la vie é (...)

60À l’intérieur de l’alimentation, le religieux crée déjà une ligne de partage entre le goût des aliments, avec leur pouvoir de séduction, et la nourriture comestible, lavée d’interdits. C’est pourquoi le goût et les sensations gustatives s’effacent de la scène alimentaire, pour ne laisser place qu’à l’ordre moral et religieux de l’alimentation, avec ses interdits, ses rythmes et ses abstinences. Mais demeure toujours la promesse et la préfiguration de délices paradisiaques, de festins éternels ou de « béatitude nourrie de volupté »25, comme autant d’images de l’au-delà, avec la restauration des plaisirs sensuels et gourmands refusés dans le court passage de la vie terrestre.

61L’alimentation ne promet pas le paradis terrestre mais d’anabase (ascension spirituelle, imaginaire ou rituelle) en catabase (descente à valeur symbolique, initiatique) le processus d’incorporation nourrit la pensée magique. Les aliments consommés se transmuent en forces capables d’agir sur le corps et l’esprit, en bien ou en mal. Barthes, on l’a déjà noté, pense à la viande pour sa « mythologie sanguine » à l’égal du vin, mais si l’une permet d’incorporer « la force taurine », l’autre « est avant tout une puissance de conversion capable de retourner les situations et les états, et d’extraire des objets leur contraire… d’où sa vieille hérédité alchimique, son pouvoir philosophique de transmuter ou de créer ex nihilo » (Barthes 1957, ed. 1970, p. 74). Aujourd’hui, la mythologie du vin ne s’enracine plus dans le boire et ses effets mais dans l’image du terroir et le théâtre d’expérience du goût. Quant à la viande, elle fait l’objet d’assauts de plus en plus répétés par les militants vegans, antispécistes, les mouvements pour le bien-être animal, au point de donner aux fruits et légumes un nouveau capital symbolique, voire magique, dans la relation à la nature, à l’humanité, à la spiritualité (Parise 2015).

62Dans un contexte anomique où le mangeur se perd entre prolifération et confusion des discours (voir méso-échelle), il ne voit parfois de salut que dans la médicalisation de son alimentation, là encore en pur régime de croyances et d’images « bricolées » à partir des répertoires déconstruits : « Il le fait par le recours à des mentors diététiques, par la référence à des continuums culturels mythifiés ou par des vertus magiques, bénéfiques ou maléfiques, qu’il prête à une catégorie particulière d’aliments » (Corbeau & Poulain 2002, p. 134).

63Si le méta est hors de portée transcendantale, c’est précisément par le figuratif qu’il est converti dans une forme et devient de facto un espace en propre dans la sémiotique de l’alimentation, couplant à travers de multiples formes de transcendance, des expressions et des contenus actantialisés (matériels et immatériels), modalisés (pouvoir être et pouvoir-faire relevant du symbolique, du magique) et même modulés (colorations sensorielles et sensibles associées à un changement de degré dans la façon de voir et de vivre l’alimentation).

3. De l’ordre figuratif à la dynamique des échelles

  • 26 La figure du bricoleur convoquée d’entrée, dit combien notre conception du modèle relève du modelag (...)

64Le modèle figuratif26 développé ici reprend la méthode des échelles éprouvée en sociologie de l’alimentation (Desjeux 1998 ; Poulain 2002, nouv. éd. 2017), avec un champ d’extension élargi de micro en macro et méta-échelle à partir d’un point d’origine biologique. Le primat figuratif marque précisément l’ancrage sémiotique par rapport aux échelles d’observation sociologiques, tant il profite d’éclairages sémiotiques attachés aussi bien aux dimensions phénoménologiques de la perception, aux schèmes figuratifs les plus élémentaires, qu’à la figurativité sociale de l’alimentation, à travers situations et discours, valeurs incorporées et imaginaires.

65Tout bien considéré, ce capital théorique du figuratif vient pour suturer et structurer le sens des pratiques dans l’alimentation, avec un niveau d’échelles encore augmenté, de macro en méta. Ces échelles figuratives offrent un gain de visibilité sur une mise en ordre du sens, par étagement, progression ou extension, mais il reste précisément à questionner le gain d’intelligibilité d’un tel modèle. S’agit-il d’un ordre figuratif, au sens classique, construit comme dans les Pensées de Pascal sur une séparation et une hiérarchie des Figures et des ordres ? Les échelles préfigurent-elles une progression linéaire ? La méta-échelle de l’alimentation consacre-t-elle un aboutissant de la génération et de l’extension du sens, un point d’absolu ou de complétude dans le parcours du sens ? Et faut-il considérer l’ensemble des échelles dans une dimension avant tout systémique pour le figuratif dans l’alimentation ? Nous voilà déjà bien chargés avant même d’ouvrir ce dernier volet.

66Le modèle figuratif porte en lui-même une dimension figurative si la nature même d’un modèle en sciences humaines est d’offrir « une représentation sélective et symbolique d’un phénomène empirique (système ou processus) » (Bulle 2006, p. 781). En l’occurrence, les échelles figuratives permettent de régler la focale et situer les niveaux de pertinence pour le figuratif de l’alimentation sans confondre complexité et profusion des figures agglomérées dans le monde alimentaire.

67Un principe d’organisation prévaut, si ce n’est un ordre logique et plus encore symbolique. Parmi les traces écrites les plus révélatrices sur les relations ordre et figuratif, les Pensées de Pascal contiennent de nombreuses liasses avec les entrées Figures, Figuratifs, Loi figurative. Il est primordial de se figurer « trois ordres différents de genre » (53)27 entre corps, esprit et charité (sagesse), ou pour le dire autrement, entre ordre charnel, intellectuel et spirituel. D’une grandeur à l’autre « il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s’il n’y en avait pas de spirituelles ; et d’autres qui n’admirent que les spirituelles, comme s’il n’y en avait pas d’infiniment plus hautes dans la sagesse » (53). En superposant nos échelles figuratives à ces conceptions pascaliennes des ordres, on pourrait être tenté d’y retrouver des niveaux bas du figuratif, enfermés dans un rapport sensuel et charnel à l’alimentation, et des niveaux plus élevés, où se révèle l’activité de discours et de pensée du mangeur, jusqu’aux formes de transcendance, d’un autre ordre.

68Or la question est bien là, l’expérience du goût suffit bien souvent à casser les lignes dans les ordres de Pascal, en brouillant séparations, disproportions et ordres de grandeurs. Les dégustations de vin sont un bon exemple de migration entre chair, verbe, esprit, dès que les sensations premières portent vers le discours haut perché et le transport extatique. Si les échelles figurent un ordre, la verticalisation du sens et les changements de proportions, entre micro et méta, images premières et grandeurs infinies, cela reste toujours à portée d’imaginaire pour le mangeur, l’amateur de vin.

69Faut-il dès lors concevoir la génération du sens comme une gradation pas à pas, échelle par échelle, comme une succession bien ordonnée dans le figuratif de l’alimentation ? Rien n’est moins sûr. Ainsi la saveur d’un plat à la table d’un grand restaurant. Le discours social (méso) précède l’émotion gustative (micro-individuel) par une disponibilité et une prédisposition, une préfiguration d’une expérience assurément superlative. La réalité cassera peut-être l’enchantement mais le système d’attente s’édifie, en méso-échelle, sur une profusion de formes expressives (image du chef, classements gastronomiques, visibilité sur les réseaux, figurations du style architectural décoratif, culinaire, présentation de la carte et même de tarifs, comme signes d’excellence et d’exception) avant même de vivre le moment de table (micro-social) et de faire l’expérience du goût (sensorielle, micro-individuelle). Si les échelles figurent le déploiement du figuratif, des images les plus localisées dans la perception (micro) aux formes les plus ouvertes à la transcendance, sur les voies de l’imaginaire, du sacré, du symbole, du spirituel (méta), le figuratif peut suivre un parcours ascendant ou descendant, mais procéder aussi par bonds entre échelles. La dynamique du modèle échappe donc à la linéarité mais, comme on va le voir à présent, à la totalité aussi.

70L’échelle figurative de l’alimentation se présente comme multiscalaire. Chaque niveau — point de vue spatial ou extensif, pas nécessairement hiérarchique on vient de le voir — se détache déjà par discontinuité et différenciation des autres niveaux d’échelle. Par continuité aussi, à l’intérieur de la structure globale de l’échelle dont la forme est schématisée, stabilisée dans ses relations ascendantes et descendantes, fixée dans ses limites. En effet, pas d’en deçà du micro, ni d’au-delà du méta, ce qui marque aussi un choix heuristique et épistémique de laisser la porte ouverte au biologique, au biosémiotique, dont le figuratif accueille volontiers la métaphore du « cerveau gourmand » (Holley 2006) et donne écran aux grandes questions sur le vivant, indexées ou rapportées à d’autres échelles (méso et macro, médias et formes de vie).

  • 28 On voudra bien nous pardonner d’y ajouter, en italiques certes mais de façon appuyée, les référence (...)

71Quand un critique gastronomique de renom comme Jean-Claude Ribaut (Le Monde) évoque ce niveau biologique c’est aussitôt pour l’inscrire sur le fond inépuisable de la culture. Dès le bloc-titre de son article (Ribaut 2005), le figuratif de l’alimentation mobilise plusieurs échelles28 : « L’alchimie des saveurs [méta]. Le cerveau [biologique], siège de l’émotion gourmande, avide de surprises culinaires [micro-individuelles], conserve l’historique génétique [biologique] de la gastronomie [macro] ». D’échelle méta en niveau biologique, et inversement, la boucle figurative se referme donc sur elle-même, jusqu’à voir dans la cuisine classique, ce qui est bien sûr significatif de la bouche ou de la plume d’un critique gastronomique, « une culture du goût intégrée et transmise qui se joue des nouveautés. Elle les utilise, mais ne voit pas son intention première changée, constituée qu’elle est par une stratification mémorisée des goûts, d’usages et de choix qui constituent son image canonique » (Ibid.). À travers le figuratif de l’alimentation, la culture serait alors le lieu de compromis ou de syncrétisme entre le génétique du goût et le génératif de l’expression qui, à chaque échelle, convoque notre capacité interprétative et donne sens à l’alimentation. Cela écarte, par là-même, toute conception téléologique du figuratif qui fixerait la méta-échelle comme le point ou le niveau ultime à atteindre pour connaître la béatitude du goût, de sens en transe et transcendance, de physique en métaphysique. Chaque échelle garde en elle une potentialité de complétude, dès lors que l’alimentation fait sens et fait monde.

72Si l’on garde évidemment toute liberté de privilégier une échelle en particulier, c’est en considération du tout dont l’échelle figurative se veut elle-même la figure. Toutefois à l’image de la totalité, comme point de vue externe sur une schématisation, nous préférons le point de vue interne de l’unité et de la consistance figurative que l’on peut au besoin traduire d’une formule : tout se tient. La place va manquer pour développer la question mais pour donner illustration du figuratif sous les traits fondamentaux de l’unité et de la consistance figurative, sans mettre en avant totalité et système, deux exemples vaudront démonstration : le figuratif de la gastronomie non réductible aux normes, au discours (Ory 1998) ; le Repas Gastronomique des Français (RGF) pour figurer l’immatériel d’un patrimoine culturel reconnu par l’Unesco en 2010.

  • 29 Figure de la mythologie culinaire, aves son génie et ses controverses, qui connaîtra plusieurs cycl (...)

73Mieux qu’une définition, le figuratif de la gastronomie est pour le chef un moyen de faire monde et de ne pas donner dans le mondain. Ainsi Marc Veyrat29 dont Olivier Assouly recompose le monde à travers une pluralité des figures et l’unité consubstantielle du figuratif :

Les herbes ne sont pas cultivées ou arrachées, elles sont ramassées en montagne, de préférence à certains moments de la journée, au cours d’une procession rituelle digne d’un pèlerinage. À les supposer nécessaires, éthérées et délicates, les cuissons exigent retenue et justesse. La disposition des mets dans l’assiette est ordonnée, espacée, presque géométrique, avec un souci constant de clarté. Si les services employés rappellent la cuisine japonaise, c’est qu’elle fait autorité dans l’art de servir et de présenter rituellement les nourritures (Assouly 2002, p. 240).

  • 30 À l’image de la cheffe Anne Sophie Pic offrant ce Portait sur le site du groupe : « Pour comprendre (...)

74L’assiette à déguster des yeux (Fontanille 2006) devient, par là même, la figure synecdochique d’une assiette figurative élargie à toutes les échelles. Redisons-le, tout se tient, la totalité forme unité, entre toutes les figures d’univers : milieu naturel, moments propices, rituels de cueillette, cuissons justes, saveurs éthérées, art du dressage et géométrie de la disposition dans l’assiette, art du service et ritualité à la japonaise. Si l’image se laisse porter, emporter, la figure du Chef étoilé constitue dès lors l’hypostase, l’essence même du culinaire et du gastronomique dans ce qu’il y a de plus incarné. Un univers où les cheffes auront d’autant plus de mérites à décrocher leurs étoiles, en faisant valoir ou non un style féminin30.

  • 31 En voici la définition retenue par l’Unesco, en 2010, au titre de la Liste représentative du Patrim (...)

75Deuxième illustration du figuratif, dans ses propriétés de consistance et d’unité : le Repas Gastronomique des Français (RGF). Cette figure complexe, discutée si ce n’est discutable pour certains, est d’autant plus intéressante qu’elle devait répondre à la question centrale de l’immatériel du patrimoine gastronomique pour la reconnaissance de la France par l’Unesco. Là encore, impossible d’isoler un élément, de détacher une recette, un aliment, un plat, un équipement de cuisine comme figures matérielles ou matérialisées. La gastronomie trouvera sa meilleure incarnation dans la forme immatérielle du RGF31, moins une figure qu’un espace figuratif où nous retrouvons là encore les termes aisément affectables à leurs échelles figuratives respectives. Les figures se multiplient mais ne répondent pas moins à un principe d’organisation que nous pouvons maintenant établir à toutes les échelles entre : l’harmonie entre l’humain et les productions de la nature (biologique) ; bien manger et bien boire, bons produits dont les saveurs s’accordent, gestuelle spécifique pendant la dégustation, humer et goûter (micro-individuel) ; pratique sociale coutumière, repas festif, décoration, cercle familial et amical (micro-social) ; un corpus de recettes (méso) ; un schéma bien arrêté ; liens sociaux (macro) ; moments les plus importants de la vie (méta). Figure de synthèse : les gastronomes « qui possèdent une connaissance approfondie de la tradition et en préservent la mémoire, veillent à la pratique vivante des rites et contribuent ainsi à leur transmission orale et/ou écrite, aux jeunes générations en particulier » (https://ich.unesco.org/​fr/​RL/​le-repas-gastronomique-des-francais-00437). On comprend mieux pourquoi les tentatives de définir la gastronomie en général, le RGF en particulier, restent approximatives quand bien même elles multiplient ou précisément parce qu’elles multiplient les points d’entrée. L’enveloppe figurative domine alors la vision systémique.

76Qu’en est-il d’un changement d’échelle plus large encore, de la gastronomie à l’alimentation, comme lieux d’expression du sens dans les pratiques ? L’enveloppe figurative intègre un tel niveau de complexité qu’il faut bien souvent trouver recours et secours dans des notions à valeur quasi ontologique comme culture alimentaire, identité alimentaire ou vie alimentaire pour chercher ce qui fait unité de sens dans l’alimentation. Impossible de nous lancer dans une nouvelle instruction sur ce plan, mais dans le champ de la sémiotique gustative et alimentaire, les références sémiotiques ne manquent pas pour appréhender la culture comme forme d’homogénéisation, d’unité, au-delà des pluralisations et tensions internes (Marrone 2014, 2019 ; Marrone & Giannitrapani 2012 ; Stano 2015a, 2015b ; Lorusso & Marrone 2019). Face au déploiement, à l’amplitude du figuratif dans l’alimentation, peut-être faut-il se risquer à considérer son univers comme une sémiosphère, au sens lotmanien, l’alimentation en constituant une version figurativement construite à travers un conglomérat d’éléments et une dynamique de champ.

  • 32 Voir Sloterdijk (1998, 1999, 2004).

77Mais on se reconnaîtra sans doute mieux encore dans les Sphères décrites dans la trilogie de Sloterdijk, à trois niveaux : Bulles (microsphérologie), Globes (macrosphérologie), Écumes (sphérologie plurielle)32, en considérant que l’alimentation est un moyen de « faire voir les sphères » (Citton 2006). Comme structures protectrices, immunitaires, où se créent des espaces intérieurs pour s’affirmer et faire évoluer le processus d’individuation, les sphères représentent pour Sloterdijk la situation fondamentale de l’homme. Mais depuis l’implosion de la Sphère Une, des religions et de la métaphysique, « l’idiot du Cosmos » (Sloterdijk 1998, tr. fr. 2002, p. 24) habite un monde marqué par le multiple, la pluralité et trouve dans les sphères protection et immunité. Ce sont d’abord les Bulles, microsphères, égosphères, bulles de l’intime et du proche, de l’interfacial et consubjectif, avec la dimension « animante » des émotions et de la sympathie. Rapporté à notre monde de l’alimentation, cela nous situe dans de multiples formes cellulaires comme les moments de dégustation, les repas familiaux, les consommations alimentaires vissées dans le même temps sur des écrans ; pensons encore aux prises nomades sur le pouce, aux moments d’extase gastronomique ou au contraire de désœuvrement solitaire, solipsiste, coupés de l’émotion gustative.

78De micro en macrosphérologie, la perspective se replace à l’échelle des Globes et des systèmes globaux. S’il est permis d’aller droit sur notre champ d’application, les Globes se constituent entre temples de la consommation, lieux de célébration pour l’alimentation (restaurants, marchés, grandes surfaces, etc.), espaces de production mais de gestion des déchets aussi, à l’échelle de la maison, de la ville, de l’environnement, pendant que les médias alimentent le marché… de l’alimentation et peuplent notre imaginaire.

79On aura pressenti que les échelles figuratives, dans la pluralité des dimensions (biologique à méta-échelle), leur totalité et leur unité, nous permettent d’habiter micro et macrosphères de l’alimentation, mais situent plus encore la dynamique de l’échelle globale à un autre niveau : celui de la sphérologie plurielle chez Sloterdijk, imagée en Écumes. La métaphore de l’écume, non sans rappeler les mythes fondateurs (naissance d’Aphrodite), « évoque aussi bien la co-fragilité que la co-isolation des unités empilées sous forme d’associations denses » (Sloterdijk 2004, tr. fr. 2005, p. 226). Avec l’écume, l’approche devient nécessairement multifocale, multiperspectiviste, non-holiste. Nous retrouvons ici les propriétés des échelles comme pluralité des modes de figurativité de l’alimentation, selon un principe d’organisation et une consistance figurative non linéaire, non unidirectionnel, non hiérarchique, non téléologique. Mais à l’image de l’échelle se substitue celle de la sphère, de la sphérologie plurielle, un tout non totalisable, animé ou ventilé par des relations « atmosphériques » entre contrées localisées du biologique aux figures « méta ».

80On s’en donnera un ultime exemple, avec les pratiques et formes de vie qui entendent tenir à distance les plaisirs gastronomiques faciles, trompeurs ou dangereux. La diététique et l’hygiène fonctionnent, à cet égard, comme sphères d’immunité mais trouvent vite leurs limites avec une morale alimentaire fixée sur la santé, la sécurité. En revanche, le figuratif peut faire écume entre toutes les images qui impressionnent le rapport sensible à ces mondes alimentaires : gammes sensibles privilégiées et usages du corps (micro-individuel), pratiques sociales incorporées et transmises (micro-social), situation plus ou moins maîtrisée face à la prolifération des discours persuasifs et contradictoires sur le bien-faire et le bien-manger (méso), ethos alimentaire préservé ou tenté par d’autres formes ou modes d’existence plus vertueux, (macro), idéal alimentaire et philosophie de vie (méta). Une trajectoire à la fois matérialisée et fictive, du sensible au salutaire. Mais pas une trajectoire rectiligne pour le mangeur, plutôt une immersion dans un monde alimentaire, une sphère où la pluralité figurative vient s’agréger et faire sens, avec modulations expressives, constantes et colorations, contrastes dans les pratiques.

Conclusion

81Difficile d’imaginer ou de donner un terme à une analyse qui entend au contraire ouvrir la question du figuratif dans l’alimentation. Cela ne tient pas au caractère inédit du figuratif lui-même, tant les angles d’approche se multiplient dans le seul périmètre sémiotique, avec les variations abordées ici autour de la figure, du figural, de la figuration, de la figurativité. Une pluralité d’entrées offrant toujours un niveau de pertinence et validant des choix épistémiques pour le figuratif, entre phénoménologie, anthropologie, esthétique, communication, etc., avant même d’aborder le cadre général de l’énonciation du monde alimentaire et de ses pratiques.

  • 33 « Avec la même racine que fingere (“modeler”), figulus (“potier”), fictor (“modeleur”) ou effigie ( (...)

82Face à une telle densité d’outils et de matériaux, la figure du bricoleur s’est imposée pour donner au figuratif une forme enrichie de ces apports mais libre aussi de se construire par rapport à sa méthode et son objet33. La méthode viendra d’abord de la progression par échelles figuratives, dans la continuité des méthodes d’analyse et d’observation en sociologie de l’alimentation (Desjeux 1998 ; Poulain 2002, nouv. éd. 2017). Les échelles déjà reconnues, de niveau biologique en macro-échelle, ont pu être étendues à une méta-échelle dans le cadre d’une révision totale, relevant de la démarche sémiotique en général et du figuratif en particulier.

83Il importait de ne pas se fixer sur une dimension en particulier, par exemple le figuratif né de l’activité perceptive ou produit par l’énonciation médiatique, mais de considérer le figuratif dans tout le champ d’extension de l’alimentation. Cela veut dire très concrètement, ne pas lier exclusivement le figuratif à la nutrition, aux aliments, à l’acte de manger, ni prioritairement au goût, à l’image gustative, à la scène alimentaire, là où la sémiotique a pu trouver très tôt un terrain d’élection, de prédilection et délectation. En pointillé mais avec constance, Barthes aura tracé la voie pour suivre les échelles figuratives, entre la séduction des aliments dans les Mythologies (1957), la « rhétorique de l’image » publicitaire (1964), la « Psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine » (1961), Brillat-Savarin et sa Physiologie du goût (1975), expression d’un « humanisme » lié à un encyclopédisme « tant le discours est en droit d’attaquer la nourriture sous plusieurs pertinences ; c’est en somme un fait social total, autour duquel on peut convoquer des métalangages variés » (Barthes 1975, p. 32).

84Cette forme d’encyclopédisme nous pouvons y prétendre si nous voyons dans l’alimentation une sémiotique-objet mise à l’épreuve dans tous les registres de vie et de pratiques de ce monde à part entière, comme espace d’énonciation, de sens, de relation. L’image des échelles s’est imposée comme principe d’organisation vital et de schématisation du sens, sans nous laisser submerger par la profusion des figures dans l’alimentation. Mais les échelles n’ont pas dicté un modèle linéaire, hiérarchique, unidirectionnel, téléologique coiffé, au-delà de toute instance par la transcendance. Moins le système que l’agencement, au fond ; moins les échelles que les bulles, les sphères, le sensible des atmosphères, en nous donnant à notre tour la liberté de naviguer entre les figures. La dynamique interne d’un tel agencement forme unité, plutôt que totalité, ce qui crée un changement d’échelle ultime, du figuratif à la consistance figurative.

85De quel point de vue ? À l’évidence, déjà celui du chercheur qui prétend construire ici un modèle figuratif, à tous les niveaux d’échelle de la pratique. Mais au cœur même de la pratique s’impose le point de vue du mangeur dont la forme de vie alimentaire engrène de multiples registres figuratifs pour trouver sa configuration, sa consistance. C’est bien la culture, comme espace de construction identitaire, qui fait lien, unité, entre tous les registres figuratifs reconnus. Peu importe alors si la consistance figurative de l’alimentation relève de l’échelle ou de la sphère, « nourrir le sens » passera toujours par un imaginaire de la figure, de la forme, dans l’espace intersubjectif ainsi créé.

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Notes

1 « Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâche diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les “moyens du bord”, c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » (Lévi-Strauss 1962, p. 27).

2 « Le bricolage, que ce soit celui d’une identité visuelle ou de tout autre objet, s’avère un mode de création particulièrement fructueux en raison de ce qu’il exige de prise de distance par rapport à ce que l’usage impose comme norme ou fixe comme règle. Cela ne se limite pas aux objets matériels relevant des sphères du design ou de la production artistique ou commerciale mais touche aussi à des “objets de pensée”, des concepts, qui circulent dans le domaine de la recherche, y compris sémiotique » (Petitimbert 2022).

3 En fait, Barthes utilise l’expression dans « Le vin et le lait » : « Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses trois cent soixante espèces de fromages et sa culture. C’est une boisson-totem, correspondant au lait de la vache hollandaise ou au thé absorbé cérémonieusement par la famille royale anglaise » (Barthes 1957, nouv. éd. 1970, p. 74).

4 « Au-delà des contextes toujours singuliers de leur production et de leur réception, au-delà des affinités de style, d’expression et de technique propres à des périodes historiques et des aires culturelles, au-delà de certaines fonctions communes qu’elles sont réputées remplir, existe-t-il dans cet immense tohu-bohu de formes, de supports et d’objets représentés des schèmes figuratifs communs qui se perpétueraient indépendamment des traditions culturelles ? » (Descola 2010, pp. 11-12).

5 Référence non dissimulée à l’approche sociologique de Corbeau & Poulain (2002). Mais la question du figuratif et la perspective sémiotique nous entraînent ici sur d’autres terrains.

6 Landowski n’aura de cesse de reprendre la question du goût, de sa dimension sensorielle à sa dimension sociale, ce qui préfigure pour nous le champ d’extension du figuratif, plus seulement sur le goût en particulier mais pour l’alimentation en général, comme espace signifiant : « mise au point d’un modèle articulant entre elles les “formes du goût”, d’abord dans “Gosto se discute” (in Fiorin, O gosto da gente, o gosto das coisas, São Paulo 1997 ; tr. it., Gusti e disgusti. Sociosemiotica del quotidiano, Turin, 2000) puis sous forme plus étendue dans “Le goût des gens, le goût des choses” (in Passions sans nom, PUF, 2004) ; remaniement d’ensemble et refonte du modèle dans une version d’abord parue en lithuanien (Baltos lankos2011) puis revue et publiée en français sous le titre Pour une sémiotique du goût (São Paulo, CPS, 2013). À quelques détails près et l’ajout d’une conclusion, ce dernier texte est celui réédité » (Landowski 2019).

7 Voir notamment Lizie (2012).

8 « Dans certains domaines, comme celui de l’alimentation ou de l’ergonomie, il est indispensable d’ajouter une quatrième échelle, qui correspond au niveau biologique : dans le cas des comportements alimentaires, elle renvoie aux processus de nutrition (données biochimiques, physiologiques et les métabolismes alimentaires) » (Desjeux 1998).

9 Dans la hiérarchie des plans d’immanence, les pratiques occupent une position intermédiaire : « En ce sens, elles peuvent d’un côté accueillir comme composants, des unités de niveaux inférieurs — des signes, des textes et des objets — et, de l’autre, participer à la composition des niveaux supérieurs, celui des stratégies et des formes de vie » (Fontanille 2008, p. 34).

10 « Le cerveau doit disposer des messages provenant d’une combinaison de neurones aux spectres de sensibilité différents mais se recouvrant en partie […]. Au total, le cerveau va devoir réaliser sur ce message des opérations équivalentes à une reconnaissance de forme » (Holley 2006, pp. 53-54).

11 « L’intérêt des sciences sociales et humaines pour l’alimentation s’est développé quasi simultanément dans les univers anglophones et francophones, mais selon des chemins différents. À partir des années 2000 se développe en effet dans le monde anglo-saxon un mouvement appelé food studies qui opère sur le modèle des cultural studies un recentrage thématique pluridisciplinaire, à l’opposé de l’approche européenne, et notamment française, qui privilégie une perspective ouverte à l’interdisciplinarité mais disciplinairement ancrée » (Poulain 2017, p. 23).

12 Le schéma esthésique de Bordron (2011) distingue trois moments : « un moment indiciel (que l’on peut considérer comme proprement “plastique”), où une potentialité de sens surgit de la sensation brute ; un moment iconique — à distinguer du concept greimassien d’iconicité —, où l’objet (l’icône) devient forme et est reconnu grâce à des comparaisons avec le déjà connu ; et un moment symbolique, où la reconnaissance effective de cet objet est soumise à des règles qui le situent dans le cadre culturel d’un certain usage » (Estay Stange & Moutat, à paraître). On observera aussi que cela redistribue la trichotomie peircienne qui s’ouvre avec l’icône, dans l’ordre sémiogénétique icône-indice-symbole. Mais c’est une autre question (Verhaegen 1997).

13 « Les pratiques, en effet, se caractérisent principalement par leur caractère de processus ouvert circonscrit dans une scène : il s’agit donc d’un domaine d’expression saisi dans le mouvement même de sa transformation, mais qui prend forme en tant que scène… Mais ce processus scénarisé n’est « pertinent » que s’il contracte une fonction sémiotique avec une structure prédicative » (Fontanille 2008, p. 26, en italiques dans le texte). Le dispositif scénique de la table mobilise à cet égard des actants matériels et immatériels.

14 Dans les situations professionnelles « l’observabilité du travail de l’agent et la séparation virtuelle des territoires de l’agent et de l’usager sont typiques » alors que « le travail de figuration et de présentation de soi est également essentiel pour les métiers de l’hôtellerie et de la restauration » (Joseph 1998, pp. 58-59).

15 Microsociologie non réductionniste car elle ne postule pas le repli du macro sur le micro, en ne considérant comme structurant que le seul ordre de l’interaction.

16 Située à la base des échelles d’observation (Desjeux 1998) et d’analyse de l’alimentation (Poulain 2002, nouv. éd. 2017), la sphère biologique reste principalement rabattue sur la nutrition, le besoin vital de se (bien) nourrir, la santé par l’alimentation et le vivant avant le social. Mais elle occupe ici un statut à part dans la mesure où elle réinvestit potentiellement toutes les échelles figuratives, du terre à terre au cosmique, à l’image de la nature, du plus élémentaire de la vie, du vivant (biologique) et au plus transcendant du rapport entre l’homme et son univers (méta).

17 « Le glouton, le goulu, le goinfre, variétés d’un même genre, sont des êtres dont la voracité est trop grande pour être domptée, trop inintelligente pour être dirigée. Le goinfre mange avidement et avec excès ; le glouton dévore tout sans distinction ; le goulu choisit bien quelquefois ses aliments, mais ensuite il avale toujours avec la même précipitation, sans savourer, sans déguster, sans avoir senti la nature et les qualités de l’aliment. Le glouton, arrivé au dessert, ne saurait dire ce qu’il a mangé ; le goulu ne saurait dire combien il a mangé ou, pour mieux s’exprimer, l’un et l’autre ne mangent pas, ils engloutissent » (Borel d’Hauterive 1851).

18 Comme l’observe Dominique Desjeux (2002), « À une échelle macro-sociale, l’habitus est tout à fait visible comme grande régularité ; à une échelle micro-sociale, l’habitus disparaît en partie au profit de la diversité des groupes et des acteurs sociaux ».

19 « L’ethos relate à la fois l’impact de déterminismes auxquels l’individu se trouve confronté et les réponses, les efforts ou les espoirs que l’acteur formule pour y échapper, pour les subvertir ou les transgresser » (Corbeau & Poulain 2022, p. 118).

20 « L’ethos se présente comme un ensemble de propriétés figuratives et sensibles formant un tout reconnaissable, signature d’un comportement éthique collectif ou individuel. Pour cela, il doit obéir au principe de “consistance” iconique qui permet une telle reconnaissance par l’observateur » (Fontanille 2007).

21 « Ainsi, le goût est l’opérateur pratique de la transmutation des choses en signes distincts et distinctifs […] il opère continûment la transfiguration des nécessités en stratégies, des contraintes en préférences, et engendre, en dehors de toute détermination mécanique, l’ensembles des choix constitutifs de styles de vie classés et classants qui tiennent leur sens, c’est-à-dire leur valeur, de leur position dans un système d’oppositions et de corrélations » (Bourdieu 1979, pp. 194-195).

22 « Les idées, les comportements, les attitudes, les figures de notre vie quotidienne comme les objets, les environnements, les formes d'expression de toute nature, deviennent des tendances lorsqu’ils sont porteurs de traits qui, pour mettre en évidence leur différence, nient partiellement la conjoncture dans laquelle ils sont détectés, et contiennent en nuance le profil caractérisant celui à venir. Dans une perspective socio-sémiotique, ces signaux sont alors des manifestations discursives de différents types, qui articulent avec une intensité figurative différente l’interface sur laquelle se construit la dramaturgie anticipatrice » (Ceriani 2019, traduit de l’italien).

23 Pour la nourriture comme « convertisseur » sensoriel, voir Dondero (2009, pp. 118-120).

24 « Dans sa théorie des zones anthropiques (Rastier 2018) considère bien que le niveau sémiotique (et le niveau des représentations) contient une zone pour traiter de l’absent, de l’impossible, de l’inconcevable, etc., et donc notamment de la transcendance ; mais nous dirons qu’il s’agit alors d’une transcendance thématisée (ou représentée, pour le niveau des représentations), c’est-à-dire inscrite dans les signifiés (les concepts et images mentales, pour le niveau des représentations) » (Hébert et al. 2021, publié en 2023, p. 37).

25 « Dans le Nouveau Testament, le pain, l’huile, l’eau ainsi que le vin sont les symboles de la vie éternelle. Dans les Institutions divines, lorsque Lactance conjecture sur le degré de fertilité de la Terre promise, il note qu’elle produira spontanément touts les fruits imaginables et parmi les plus exquis. À l’image des jardins du Coran, du miel, du vin et du lait se répandront en ruisseaux. Dans l’Apocalypse de Paul, il est question d’arbres agrémentés de fruits, de palmiers, de vignes et de raisins… Le Coran (LII, 22, LVI, 20-21) va jusqu’à présenter le menu des festins éternels » (Assouly 2002, p. 236), où fruits, viandes et boissons confèrent à jamais aux élus plénitude et béatitude.

26 La figure du bricoleur convoquée d’entrée, dit combien notre conception du modèle relève du modelage, d’une modélisation à visée à la fois descriptive et explicative, sans prétention à s’ériger en modèle d’exemplarité.

27 Les chiffres renvoient aux pages des manuscrits originaux des Pensées (voir https://gallica.bnf.fr).

28 On voudra bien nous pardonner d’y ajouter, en italiques certes mais de façon appuyée, les références aux échelles figuratives, pour en donner une illustration plus directe.

29 Figure de la mythologie culinaire, aves son génie et ses controverses, qui connaîtra plusieurs cycles de fortune et d’infortune, tantôt au firmament de la haute gastronomie, tantôt en retrait, dans une relation complexe avec la Bible rouge du Michelin qui lui retire une étoile en 2019, juste un an après son retour en grâce et la consécration des 3 étoiles pour la Maison des bois (Manigod, Haute-Savoie).

30 À l’image de la cheffe Anne Sophie Pic offrant ce Portait sur le site du groupe : « Pour comprendre la cuisine d’Anne-Sophie Pic, il faut comprendre la femme. Elle est passionnée, sensible, libre et volontaire. Son parcours dénote d’une force de caractère hors norme car il lui a fallu beaucoup de conviction, de persévérance et de foi pour s’imposer en tant que femme autodidacte dans un univers résolument masculin » (https://anne-sophie-pic.com/portrait/).

31 En voici la définition retenue par l’Unesco, en 2010, au titre de la Liste représentative du Patrimoine Culturel Immatériel de l’humanité : « Le repas gastronomique des Français est une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes, tels que naissances, mariages, anniversaires, succès et retrouvailles. Il s’agit d’un repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, l’art du “bien manger” et du “bien boire”. Le repas gastronomique met l’accent sur le fait d’être bien ensemble, le plaisir du goût, l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature. Parmi ses composantes importantes figurent : le choix attentif des mets parmi un corpus de recettes qui ne cesse de s’enrichir ; l’achat de bons produits, de préférence locaux, dont les saveurs s’accordent bien ensemble ; le mariage entre mets et vins ; la décoration de la table ; et une gestuelle spécifique pendant la dégustation (humer et goûter ce qui est servi à table). Le repas gastronomique doit respecter un schéma bien arrêté : il commence par un apéritif et se termine par un digestif, avec entre les deux au moins quatre plats, à savoir une entrée, du poisson et/ou de la viande avec des légumes, du fromage et un dessert. Des personnes reconnues comme étant des gastronomes, qui possèdent une connaissance approfondie de la tradition et en préservent la mémoire, veillent à la pratique vivante des rites et contribuent ainsi à leur transmission orale et/ou écrite, aux jeunes générations en particulier. Le repas gastronomique resserre le cercle familial et amical et, plus généralement, renforce les liens sociaux » (https://ich.unesco.org/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437).

32 Voir Sloterdijk (1998, 1999, 2004).

33 « Avec la même racine que fingere (“modeler”), figulus (“potier”), fictor (“modeleur”) ou effigie (“portrait”), la figure fait penser à l’acte de façonner, au geste de sculpter, au travail de modelage, enfin, à l’opération de former » (Grigorovschi 2014, p. 84).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Jacques Boutaud, « Le figuratif de l’alimentation »Signata [En ligne], 15 | 2024, mis en ligne le 02 septembre 2024, consulté le 18 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/5087 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/127wu

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Auteur

Jean-Jacques Boutaud

Jean-Jacques Boutaud est, depuis janvier 2020, Professeur Émérite en Sciences de l’Information-Communication à l’Université de Bourgogne, rattaché à CIMEOS (EA4177, Dijon). Responsable des équipes de recherche en SIC de l'Université de Bourgogne, LIMCI (1996-2003), LIMSIC (2003-2011), Équipe 3S (2011-2018). Dans le seul domaine alimentaire, nombreuses responsabilités dans les comités scientifiques ou de pilotage : Pôle Bourgogne Vigne et Vin (BVV) ; CIGV (Cité Internationale de la Gastronomie et du Vin de Dijon) ; Cité des Vins et des Climats de Bourgogne (Beaune) ; Association des Climats du vignoble de Bourgogne - Patrimoine mondial. Membre fondateur, en 2018, du réseau AGAP (Alimentation, Gastronomie et Analyse des Pratiques communicationnelles). Dernière parution : Les dessous de la communication alimentaire. Où en est la recherche (dir.), Paris, Ellipses, septembre 2024. Recherches : sémiotique et communication ; sémiotique du sensible ; sémiotique alimentaire et gastronomique.
Courriel: jean-jacques.boutaud[at]u-bourgogne.fr

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