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La conceptualisation des modalités : statut et rôle épistémologique

Mode d’existence, modalité et modalisation : les apports de la sémiotique

Marion Colas-Blaise

Résumés

D’abord, souhaitant croiser le point de vue de la sémiotique et de la linguistique, nous réfléchissons aux différents statuts de la modalité, tels qu’ils sont définis en sémiotique (condition présupposée à laquelle un procès est soumis, dispositif modal et disposition (passionnelle)). Nous convoquons ensuite quelques oppositions chères à la linguistique (modalité vs modalisateur, intensité conceptuelle vs intensification énonciative). Afin de préciser la notion de disposition, d’une part, celle d’« émotion » ou d’« attitude » (Perrin), d’autre part, nous tentons une remontée vers les premiers balbutiements de la quête du sens. Ainsi, nous définissons une attitude (diathétique) au monde primitive, caractérisée par des proto-modalités, en relation avec des modulations. Dans une deuxième partie, il s’agit de réexaminer la notion de modalité à partir de la « grammaire de l’existence » selon Souriau. Nous nous demandons en quoi la modalité et la modalisation agissent sur les relations que l’instance en quête d’une identité modale noue avec le monde ou avec des objets de sens à instaurer. Nous cherchons à montrer que la modalité et la modalisation provoquent des altérations, des conjonctions et des disjonctions. L’élan vers quelque chose se heurte à des conflictualités. Enfin, une réflexion sur les dimensions fictive et fictionnelle, à la suite de Souriau et de Latour, conduit à placer la « surmodalisation fictionnelle » — constitutive ou constituante — à la base de la modulation des valeurs et, plus largement, de la construction énonciative de « mondes signifiants ».

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Texte intégral

1. Introduction

1La notion de modalité est une de ces notions-carrefours éclairées, simultanément, par des disciplines différentes. D’entrée, adoptons la perspective de la linguistique. Les demandes qui nous sont adressées sont plurielles et elles se font pressantes, également : la modalité et la modalisation — notions multiformes et aux embranchements nombreux — continuent à résister à l’analyse, malgré les nombreux travaux qui y ont été consacrés. On considérera comme emblématique le constat de Michèle Monte (2011), qui fait état d’une vraie perplexité : « Enracinée dans une longue tradition grammaticale et linguistique […], la notion de modalité paraît à la fois indispensable et chargée d’ambigüité. »

2Un point critique concerne le classement des modalités. Robert Vion (2003, p. 214) considère comme « fondamentalement disparate » l’inventaire proposé par Culioli (1984), c’est-à-dire la distinction entre (i) les modalités de phrase (assertion, interrogation, injonction ou « impératif » et assertion fictive ou « hypothétique »), (ii) les modalités logiques (épistémiques, déontiques, aléthiques), (iii) les modalités appréciatives (ou « affectives ») et (iv) la modalité intersubjective. On trouvera confirmation de la nécessité de considérer les modalités au sens large, en incluant, entre autres, les modalités appréciatives et axiologiques, dans les travaux de Laurent Gosselin (2015). Cela sans faire l’impasse sur des distinctions fécondes, notamment entre les modalités « allocutives » (Charaudeau 1992, pp. 574-575) et le « jugement modal » (Monte 2011). Une des entrées de La grammaire du sens et de l’expression (1992) de Charaudeau a ainsi trait au lien entre la relation inter-sujets, présente, par exemple, dans l’ordre, dans la permission, dans l’interdiction, et les modalités énonciatives proprement dites. Dans ce cas, la réflexion sur la modalité ne peut faire l’économie de l’interlocution et d’un espace interactionnel, la reconstruction des différentes modalités et la validation du sens pouvant incomber à l’interlocuteur (par ex. dans « Je reviendrai demain », où la modalisation se trouve « dans l’implicite du discours » [Ibid., p. 573]).

3Dans ce qui suit, nous poserons au départ de notre réflexion linguistique le couple modus vs dictum (Bally [1932] 1965), dont de nombreux chercheurs s’emploient à décrire les manifestations plurielles et variées. Plus précisément, nous focaliserons notre attention sur les oppositions entre l’intensification énonciative et l’intensité énoncive (Perrin 2014-2015) ainsi qu’entre le modalisateur et la modalité (Vion 2003). On scrutera, également, le couple montrer vs dire (Recanati 1979). Tout cela sans nous cacher le fait que, sur la question de la modalité, il n’existe entre les linguistes « aucun consensus », ceci en particulier en raison de la diversité des manifestations linguistiques selon les langues (Badir 2020, p. 80).

4Cependant, notre ancrage théorique sera fourni, principalement, par la sémiotique, qui confirme l’acuité des notions de mode (d’existence), de modalité et de modalisation. Pour résumer une longue tradition de recherche de manière cavalière : la sémiotique greimassienne distingue le faire modalisant l’être, dans le cas de la performance, l’être modalisant le faire, dans le cas de la compétence, l’être modalisant l’être, dans le cas des modalités véridictoires, et le faire modalisant le faire, dans le cas des modalités factitives. Dans Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (1979), la modalisation est conçue par Greimas et Courtés (1979, p. 230) comme la « production d’un énoncé dit modal surdéterminant un énoncé descriptif ». D’où une hiérarchisation possible entre énoncés « élémentaires (déclarés canoniques) » — qu’il s’agisse des énoncés de faire ou des énoncés d’état — et énoncés modaux « hyperotaxiques » (idem). Plus précisément, la question de la modalité est abordée sous l’angle de la narrativité et sous celui des passions (Greimas & Fontanille 1991).

5La sémiotique post-greimassienne n’est pas en reste : ainsi, la réflexion dégage des modulations dans un espace tensif (Fontanille & Zilberberg 1998). Si, dans Sémiotique des passions (Greimas & Fontanille 1991), le devoir, le vouloir, le pouvoir et le savoir sont dits respectivement ponctualisant, ouvrant, cursif et clôturant, les motivations (vouloir et devoir), les croyances (assumer et adhérer), les aptitudes (savoir et pouvoir) et les effectuations (être et faire) sont mises en relation, dans Tension et signification (Fontanille & Zilberberg 1998), avec les modes d’existence virtualisé, potentialisé, actualisé et réalisé.

6C’est ce que permet de vérifier un tableau emprunté à Fontanille ([1999] 2003, p. 179) :

Figure 1

Figure 1

Correspondances entre les modalités et les modes d’existence.

(Fontanille [1999] 2003, p. 179)

7Pour résumer, (1) le mode virtualisé est dit caractériser le vouloir et le devoir ; (2) le mode potentialisé caractérise les deux variétés du croire ; (3) le mode actualisé caractérise le savoir et le pouvoir. Quant au faire et à l’être, qui renvoient au mode réalisé, ils ne sont pas inclus dans le tableau, dans la mesure où « les énoncés du faire et de l’être […] ne comportent pas de distance modale » (idem).

8Il n’en va pas de même dans le tableau suivant :

Figure 2

Figure 2

Correspondances entre les modalités et les modes d’existence.

(Fontanille et Zilberberg 1998, p. 190)

9Le vouloir et le savoir concernent la relation entre un sujet et un objet ; cette relation peut elle-même être modifiée par le croire. Quant au devoir et au pouvoir, ils affectent la relation entre le sujet et un tiers. Ce dernier correspond soit à un destinateur (devoir), soit à un adversaire (pouvoir). Rappelant les quatre modalités distinguées traditionnellement — le pouvoir et le devoir, le savoir et le vouloir —, Jean-Claude Coquet (1984, p. 11) fonde la distinction entre l’actant autonome et l’actant hétéronome ou déontique sur l’absence ou la présence du devoir. La relation de dépendance du sujet par rapport au destinateur assimilé à un tiers actant est régie par le pouvoir transcendant du destinateur et le devoir du sujet.

10Enfin, on avancera, au titre des préliminaires, que la théorisation de la modalité est exemplaire en ce qu’elle fait voir certains déplacements d’accent qui ponctuent les travaux de recherche sémiotiques au fil des décennies. En particulier, elle permet de rehausser le cheminement de la pensée de Fontanille qui, plus récemment, convoque l’ontologie plurimodale d’Étienne Souriau ([1943, 1956] 2009) et les « modes d’existence » selon Bruno Latour (2012).

  • 1 L’entreprise n’est pas sans risques, en raison de la distance que la sémiotique a prise, de proche (...)
  • 2 Au sujet du dialogue que la sémiotique entame avec les travaux de Souriau et/ou de Latour, cf. surt (...)

11Aussi notre vision, dans cet article, est-elle plurielle du point de vue théorique et méthodologique. Pour montrer comment on peut négocier le passage d’une manière d’être (en faisant) au processus de la modalisation et à l’attribution de modes d’existence à des « mondes » signifiants fictionnels, nous ferons dialoguer la sémiotique avec la linguistique — dans une certaine mesure, contre la volonté affichée des sémioticiens et des linguistes1 —, mais aussi avec l’ontologie plurimodale de Souriau et avec la théorie des « modes d’existence » développée par Latour2.

12La tâche est ardue, en raison, déjà, du recours à l’expression « mode d’existence » dans des cadres théoriques différents. D’une part, en effet, nous prenons comme point de départ les définitions proposées par la linguistique et par la sémiotique, en particulier par Fontanille : dans un article intitulé « Le tournant modal de la sémiotique » (1995), ce dernier associe le mode d’existence (virtualisé, actualisé, potentialisé, réalisé) à un mode d’expérience (devoir, vouloir, croire, savoir, pouvoir, etc.). D’autre part, nous nous demanderons comment la sémiotique intervient dans le débat évoquant la version ontologique des modes d’existence. À des fins de clarification terminologique, nous pourrons parler, dans ce cas, de “formes d’existence”.

  • 3 Ainsi, nous ne prenons pas en considération les travaux des logiciens, même si ces travaux ont comp (...)

13Notre objectif n’est pas de brasser large ni de proposer un panorama complet des théorisations du mode (d’existence), de la modalité et de la modalisation, particulièrement nombreuses et fouillées3.

14Dans un premier temps, nous approcherons les différents statuts de la modalité — avant tout comme condition présupposée et comme disposition — du point de vue de la sémiotique. Nous nous autoriserons également une incursion dans les terres de la linguistique, pour distinguer (i) l’« intensité conceptuelle » de l’« intensification énonciative » (Perrin 2014-2015) et (ii) la modalité du modalisateur (Vion 2003). Enfin, nous nous attarderons sur les notions d’attitude (« diathétique ») et de proto-modalité.

15Dans un deuxième temps, nous mettrons les modalités (devoir, vouloir, croire, savoir, pouvoir, etc.) en relation avec la « grammaire de l’existence » définie par Souriau ([1943] 2009) et avec les altérations. Nous nous demanderons en quoi la relation entre l’homme et le monde est « suspendue » — pour utiliser un terme de Souriau — à un ensemble de modalités régissant des altérations et, en fin de compte, des prépositions, des conjonctions, des adverbes… (« grammaire de l’existence »).

16Enfin, dans un troisième temps, nous nous interrogerons sur la fiction comme mode d’existence de base, constituant ou constitutif. En quoi faut-il distinguer le fictionnel et le fictif ? La fictionnalisation se hisse-t-elle au rang de surmodalisation ?

2. Le différents statuts de la modalité : de la condition présupposée à l’attitude au monde

17Cette première partie sera consacrée à un survol d’approches en sémiotique et en linguistique décisives pour la suite de nos développements. Il s’agira de jeter les bases de propositions plus novatrices.

18Un champ de questionnement peut être circonscrit : en quoi le prédicat modal est-il présupposé par le prédicat modalisé ? Mais aussi, dans quelle mesure est-il possible de dégager une syntaxe modale et, plus particulièrement, une syntaxe passionnelle ? Comment passer du « dispositif modal » à la « disposition » (passionnelle) ? Tels sont les points que nous aborderons maintenant.

2.1. Le dispositif modal et la disposition

  • 4 Voir aussi Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas & Courtés 1979).
  • 5 À propos de cette notion, voir aussi Benveniste (1966, p. 174).

19Considérons, d’entrée, un des statuts de la modalité. S’inscrivant dans la tradition linguistique, Fontanille en précise la définition de base dans Sémiotique du discours ([1999] 2003, pp. 171-189) : les modalités sont des prédicats qui portent sur d’autres prédicats, qu’ils modifient4. Ceci au sein d’une scène prédicative qui comprend des actants ; les modalités en constituent les propriétés (bagage modal). Ainsi, d’une part, le prédicat modal est présupposé par le prédicat modalisé ; il énonce une « condition de réalisation du prédicat principal » (nous soulignons), eu égard, plus particulièrement, à la valeur de vérité. D’autre part, il est attribué à un « actant positionnel », appelé « actant de contrôle ». D’où la distinction entre la logique des forces, à la base des transformations, et la logique des places, qui renvoie entre autres à l’instance de discours. Le procès est à concevoir par rapport au « champ positionnel »5 de cette dernière. Il est perçu par un « observateur » : Fontanille (Ibid., p. 177) suppose que le sujet d’énonciation statue sur « la distance (spatiale ou temporelle […]) entre le procès et son observateur ».

20Sur ces bases, la discussion peut se développer dans deux directions, étroitement interreliées. Nous pouvons imaginer une syntaxe modale, notamment passionnelle, avec ses présuppositions et ses déterminations, mais aussi ses chevauchements de modalités, ses excès, ses heurts et ses accrocs (vouloir faire bien que l’on sache que l’on ne peut pas, le vouloir faire débordant le savoir faire, etc.) ; ensuite, la combinatoire modale peut fonder l’identité modale d’un actant.

21La visée syntagmatique déploie des enchaînements de modalités qui décrivent la compétence des actants. Les prédicats modalisés traduisent, quant à eux, l’accomplissement aspectuel de parcours sémiotiques, par exemple celui du sujet de quête. Ainsi, la position initiale du vouloir est caractéristique du programme tourné vers le futur. Enfin, des suites prédicatives peuvent être impliquées dans des processus de transformation gérant le rapport au temps (acquisition, perte de la compétence… [Ibid., p. 175]).

22Faisons un pas en direction de la mise à nu de combinaisons modales bénéficiant d’une certaine récurrence. Caractérisant la compétence des actants impliqués dans des transformations, elles peuvent sous-tendre un comportement typique. Le degré de complétude de l’équipement modal et sa capacité à hisser des instances au rang non seulement de non-sujet, mais de sujet, selon Coquet (2007), varient alors avec la nature des modalités impliquées, avec leur hiérarchisation et leur nombre.

23Dans ce cas, il ne suffit pas de parler de structure modale : le dispositif modal se conçoit à l’intersection de plusieurs structures et se déplie en parcours monnayant le passage d’une modalité à une autre et gérant leurs transformations.

24Poursuivons en concentrant notre attention sur la « disposition passionnelle » que Fontanille (1995) associe à la dimension affective du discours. Insérée, dans Sémiotique des passions (Greimas & Fontanille 1991, p. 170), dans un schéma pathémique, elle résulte d’une programmation discursive qui requiert la dynamisation et la sélection par l’usage de dispositifs modaux. Elle peut être mise en relation avec une aspectualisation de chaînes modales ainsi qu’avec des styles sémiotiques pourvus d’une dimension pathémique. La disposition est ainsi logée entre la constitution (ou l’être du sujet) qu’elle présuppose et la sensibilisation, dont elle constitue elle-même le présupposé. Cette dernière, qui est elle-même présupposée par l’émotion, consiste dans la transformation d’un sujet discursif en sujet réagissant. La séquence se clôt par la moralisation. D’où des présuppositions en cascade qui accueillent la disposition et en font un des paliers où un sujet passionné, avare, jaloux… se constitue à travers un certain nombre de déterminations :

Figure 3

Figure 3

Le schéma pathémique

  • 6 Cf. Greimas & Fontanille (1991, p. 142) : réalisé (conjoint) → virtualisé (non conjoint ) → actuali (...)

25L’intéressant pour nous, c’est que la syntaxe intermodale, qui repose sur une « trajectoire existentielle », peut être mise en relation avec un « primitif passionnel » produit par l’association figée par l’usage d’une suite modale et d’une aspectualisation. Deux points méritent une attention particulière. D’une part, nous avons affaire à des modalités régissantes et à des modifications rétroactives. Ainsi, dans le cas de l’avarice, le vouloir est régissant ; en même temps, il est engendré par le devoir, sur lequel il agit en retour (Ibid., p. 144). D’autre part, toujours du point de vue du sujet, qui peut être réalisé, mais aussi virtualisé, actualisé, voire potentialisé, la suite modale entre en résonance avec la variété des modes de jonction et avec des simulacres existentiels. Les configurations passionnelles prennent ainsi forme, d’un point de vue syntaxique, à travers la superposition d’une trajectoire existentielle (disjonction, non-conjonction, conjonction, non-disjonction ; virtualisation, actualisation, réalisation, potentialisation)6 et de la syntaxe intermodale. Entre autres choses, il incombe à cette dernière d’engendrer la disposition passionnelle.

26En quoi le détour par la linguistique permet-il d’ajouter une pierre à l’édifice ? Y retrouvons-nous l’idée de la disposition, fût-elle déclinée différemment ?

2.2. Modalité, modalisateur et intensification énonciative

  • 7 C’est précisément sur ce point que la sémiotique, qui s’intéresse aux modalités narratives sans pre (...)
  • 8 Par exemple, « Chic ! » est considéré comme un « indice conventionnel de la joie de celui qui l’éno (...)

27Aux linguistes incombe la délicate tâche du repérage de toutes les formules énonciatives manifestant la modalité au plan de l’expression verbale7 — une tâche qui est d’autant plus rude que la modalité n’est pas toujours explicitée. En vertu d’un déplacement d’accent, notre attention se focalise sur les expressions attestant une « émotion » et, plus largement, une « attitude » du locuteur (Perrin 2012, 2014-2015)8. Le cadre théorique proposé est celui de la distinction ballyenne entre le modus et le dictum. Dans l’ouverture du premier chapitre de Linguistique générale et linguistique française, non seulement la phrase est-elle définie comme « la forme la plus simple de la connaissance d’une pensée », mais, pour Bally ([1932] 1965), « penser, c’est réagir à une représentation en la constatant, en l’appréciant ou en la désirant » (nous soulignons). Mutatis mutandis, on rapprochera cette distinction de la bipartition entre le prédicat modal et le prédicat modalisé dont il a été question.

  • 9 L’ inventaire des expressions se chargeant de la monstration à l’intérieur du sens comprend, outre (...)
  • 10 Cf. Ducrot & Schaeffer (1972, p. 733], qui se demandent, à propos de tournures comme « Ce qu’il fai (...)

28Laurent Perrin met en avant l’« indicialité », au sens peircien du terme. Ne se contentant pas de relever le défi du repérage des catégories morpho-lexicales et morpho-syntaxiques (Perrin 2008)9, il distingue des types d’intensité et d’intensification : conceptuelle et énonciative (Perrin 2014-2015). L’« intensité conceptuelle » est soumise à une mesure quantitative numérique, par exemple dans l’expression conceptuelle d’intensité à travers l’adjectif « haut » : « une tour haute de 300 mètres ». L’emploi est à distinguer de cet autre, dans « Une tour tellement haute »10. Plus précisément, les expressions extraposées ou séquentiellement détachées de l’expression de la proposition (suprasegmentales), telles que « ouf », « enfin », « chic », c’est-à-dire les « formules énonciatives » conventionnelles, relèvent de l’intensification énonciative. Elles sont dites exclusivement « indiciaires » et énonciatives, parce que dépourvues, selon Perrin, de toute charge « symbolique », « descriptive », « dénotative » et « propositionnelle ».

  • 11 Notamment du point de vue peircien, l’assimilation de la « fonction symbolique » à une fonction « c (...)
  • 12 Cf. Colas-Blaise (2011).
  • 13 Si Perrin distingue différents stades de conventionnalisation qui, de proche en proche, font perdre (...)

29La théorie développée par Perrin gagne sans doute à être nuancée et à être discutée11. Renforçant l’idée d’un continuum, nous avons montré ailleurs12 que les frontières entre les différents stades de figement ou de conventionnalisation sont moins étanches13. Ces précautions prises, la distinction entre l’intensité conceptuelle et l’intensification énonciative nous interpelle à plusieurs titres et elle peut enrichir notre conception de la modalité (au sens large). En effet, les degrés d’intensité énoncive ou énonciative témoignent d’une charge subjective.

30Cependant, il ne suffit pas d’interroger conjointement l’« émotion » ou l’« attitude » selon Perrin et la disposition sémiotique, notamment passionnelle. Il faut poursuivre la discussion et noter que, selon Perrin, certaines formules ont comme fonction principale de modaliser la prise en charge énonciative, d’attirer l’attention sur le fait qu’il y a énonciation, plutôt que de représenter une configuration passionnelle.

  • 14 D’où l’idée, développée par bien d’autres linguistes, de places réservées, dans l’énoncé, à l’expre (...)

31Perrin convoque en arrière-plan de sa réflexion la distinction wittgensteinienne ([1922] 1993) entre le dire et le montrer : ce qui est dit n’est pas montré, et inversement. Il faut distinguer l’acte de dire une « réalité » de celui de montrer un acte d’énonciation comme événement de sens. C’est en s’appuyant sur cette opposition que François Recanati (1979, p. 156) a localisé dans la « marge » des expressions qui, d’un point de vue pragmatique, se chargent de réfléchir un dire comme factualité ou événement de sens. Ces expressions produisent une « signification additionnelle », un « supplément »14.

  • 15 Voir Parret (1983, p. 90) au sujet de la complémentarité de la modalisation opacificante et de la d (...)

32Certes, l’opacification modalisante15 ne réclame pas toujours une extraposition au niveau des mots de la phrase. Prenons l’énoncé « Quel magnifique pommier ! » : il permet non seulement de traduire un état mental, mais encore d’exhiber, dans un « donné sémio-linguistique perceptible, une relation elle-même sensible entre un acte noétique et son contenu noématique » (Ouellet 1992, p. 135). Des catégories morpho-lexicales et morpho-syntaxiques (l’adjectif « magnifique », très subjectif, ainsi que l’exclamation) mettent en évidence le lien entre l’acte de perception d’un sujet sensible et un état de choses, voire l’émotion ressentie par cette instance dotée d’un corps. Celle-ci prend position face à une réalité en la mettant en perspective subjectivement, à partir de son point de vue. Le donné est transformé en événement sensible. Dans ce cas, ce qui est montré, c’est la transformation même.

33Rappelons, enfin, que l’opposition entre le dictum et le modus nourrit les travaux de Robert Vion (2003, pp. 226-227) et qu’elle autorise la distinction entre la modalité et le modalisateur. D’abord, il incombe à la modalité d’exprimer « certaines dispositions n’affectant que le sémantisme de l’énoncé ». Il en va ainsi de l’inscription d’un énoncé dans un univers du « constat », du « général », du « particulier », du « nécessaire », du « certain », du « souhaitable »… L’expression de la quantité (« peu », « un peu », « trop », « assez »…) témoigne alors d’un problème de catégorisation. Et Vion d’ajouter des exemples : dire « c’est plutôt fruité, une pointe d’agrume, une sorte d’orange amère confite », c’est attribuer à l’énoncé un « cadre de référence » (idem). Ensuite, la modalité ainsi conçue se distingue du modalisateur et de la modalisation qui portent, quant à eux, des commentaires sur le dit et le dire. Ils donnent lieu, de ce fait, à un dédoublement énonciatif. Le couple de phrases « Il a parlé franchement » et « Franchement, il a tort / Il a tort, franchement » témoigne de cette opposition : dans le premier cas, l’adverbe « franchement » est un modificateur du verbe « parler » ; dans le deuxième cas, sa position détachée en début ou en fin de phrase nous signale sa capacité à faire de l’ensemble « il a tort » l’objet d’un commentaire.

34Que faut-il en retenir pour notre propos ? On voit mieux en quoi les approches linguistique et sémiotique sont complémentaires. Elles concourent à mettre en évidence le lien entre, d’une part, la modalité et l’« émotion » ou l’« attitude » selon Perrin, et, d’autre part, la modalité et la disposition, le dispositif ou le bagage modaux pensés par la sémiotique. Ensuite, l’idée de la capacité métalinguistique de certaines expressions modalisatrices (commentaire porté sur le dit et le dire) mérite notre attention.

  • 16 Voir infra.
  • 17 On notera que la question de l’intensification est délicate : d’une part, elle est liée à l’« atten (...)
  • 18 L’idée sera développée plus loin, en relation avec le mode d’existence de la fiction (Latour 2012).

35Or, cette capacité semble réservée à certaines formes d’expression modale. Opposons-y l’aptitude générale des modalités au repli réflexif. Elles rendent attentif à la production sémiosique comme événement. Cela est vrai pour la manifestation linguistique, mais aussi, dirons-nous, pour les signes ou indices visibles accompagnant une séquence passionnelle, par exemple dans le cas de la jalousie ou de l’avarice (pâleur, rougeur du visage, troubles de l’élocution, gestes, mimique…). On se risquera alors à parler d’une “mise en scène” modale qui attire l’attention sur la “traduction” possible entre les sémiosis perceptive et langagière (syntaxe des gestes, etc.). La “mise en scène” modale — en particulier quand elle est fictive ou fictionnelle16 — est intensifiante17. Elle peut être dite spectaculaire18.

36Le cadre ayant été tracé, creusons la notion d’identité modale des actants. À cette fin, interrogeons-nous, plus spécifiquement, sur la couche modale plus primitive qui confère son soubassement à l’édifice modal. Nous avancerons que la proto-modalité caractérise une attitude dite « diathétique ».

2.3. De la modalité à la proto-modalité

37En effet, en sémiotique, la notion de disposition ou d’attitude n’a pas livré tous ses secrets.

38Selon Fontanille ([1999] 2003, p. 181), l’actant « non modalisé » est un « actant immédiatement réalisé dans l’événement, un corps qui prend position ». Il se contente de « réagir aux tensions, sensibles et affectives, qui traversent son champ de présence » (idem). Prendre position au monde, en tant que corps et instance énonciative, n’est-ce pas être déjà modalisé ? Sans doute est-on en droit de répondre par l’affirmative, à condition de supposer, en amont ou à la base des modalités proprement dites, une attitude que Jean-François Bordron (2012) appelle diathétique :

La diathèse n’est ni un état de chose, ni un événement, ni un processus défini. Elle n’est pas non plus une simple modalité tout en relevant de l’ordre de la possibilité. Tout son intérêt réside dans ce statut particulier de la qualité qu’elle exprime et qu’il est difficile de traduire sans l’arrêter sur un état fixe qu’elle n’est pas. […] la diathèse est une qualité propre à l’instance énonçante qui peut se réaliser de façon multiple dans l’énoncé, celui-ci exprimant donc les possibilités de sens qui sont en elle […]. La diathèse est une qualité de l’âme en tant qu’elle s’exprime dans l’énoncé.

  • 19 Voir Bordron (2012) pour un rapprochement avec Tesnière.

39Nous disons que l’attitude renvoie à une manière d’être (en faisant) : à la manière dont une instance d’énonciation se situe par rapport à ce qu’elle exprime dans un énoncé. L’attitude relève d’une orientation qui n’est plus celle de la narrativité, ni même celle de la transitivité. Elle reste en amont des structures actantielles sous-jacentes aux diathèses active, passive, réfléchie, réciproque et réciproque fusionnée19. Selon Bordron, elle est au contraire de l’ordre du pli et du dépli, d’après une image d’Henri Michaux. Éminemment instable, l’« “état de l’âme” » à la base de l’inscription d’une subjectivité dans l’énoncé constitue une énergétique, en relation avec ce que nous appelons des styles d’existence. Notamment en relation avec des styles expérientiels (Colas-Blaise 2012). Ensemble, les styles d’existence pourvoient une instance d’une identité modale. Ils renvoient, en fin de compte, à une forme de vie, c’est-à-dire, fondamentalement, à une manière de persévérer dans l’être.

40Le geste d’énonciation permet de remonter vers cette strate d’organisation du sens que Bordron (2011) appelle indicielle. Dans nos termes, une instance sort de l’inhérence à soi-même ; une première rencontre avec le « monde » (on peut parler d’un être au monde) se traduit par un « il y a » (« il y a » avant « ce qu’il y a » , avant « il y a quelque chose »). La notion d’attitude reçoit un éclairage supplémentaire, du point de vue d’une gestation ou genèse du sens, quand Bordron (2012) la définit comme une qualité, qui n’est pas d’abord une qualité de quelque chose, mais une puissance liée à des possibles.

41Nous proposons ainsi de fournir à l’“attitude diathétique”, plus primitive que la disposition passionnnelle, un socle ou soubassement en relation avec la tensivité phorique (Greimas & Fontanille 1991) et avec des modulations dominantes au niveau profond, dans l’en-deçà du sujet sortant de l’inhérence à lui-même. Ce socle est constitué de proto-modalités (proto-vouloir, proto-devoir, proto-pouvoir…) témoignant d’un positionnement primitif au monde et face à l’Autre, d’une manière d’être au monde qui est une manière de persister (Colas-Blaise 2019). Il est question d’un premier infléchissement du sens qui est placé sous le signe de l’interrogativité, de l’hypothèse et de l’ouverture des possibles. Ainsi, une forme de proto-vouloir — d’élan primitif ou d’emportement vers, soutenu par une tension fiduciaire — donne lieu à des entrées en relation provisoires : le monde se constitue en tant que visé par une instance. Ceci à travers l’expérience de cette instance, à mesure que le il y a se transforme en il y a quelque chose. Enfin, l’instance est constituée elle-même, quand le quelque chose est un quelque chose pour moi. Le proto-vouloir, traversé par des tensions et des forces souterraines, est d’emblée concurrencé par d’autres proto-vouloirs, notamment sur un fond polémologique. Il est lié, également, à un ou plusieurs proto-devoirs, au point de jonction d’une interrogation fondamentale et de sollicitations, voire de contraintes diverses. La proto-modalité du pouvoir concerne, quant à elle, l’ouverture d’un éventail de possibles.

42Comme notre démarche est plus exploratoire, essayons de vérifier la validité et la portée de nos hypothèses à travers une phrase extraite de Ainsi, de Yann Andréa (2000, p. 27) :

Emportés hors de notre temps, hors de nous, débarrassés de toute modification on serait.

43D’entrée, deux lectures entrent en concurrence. D’une part, on peut déplier les constructions détachées comprenant des participes passés à travers une subordonnée hypothétique introduite par « si » : « si nous étions emportés hors de notre temps… ». On vise ainsi l’aspect inchoatif des actions d’emporter et de débarrasser, qui toutes les deux tendent vers une fin (aspect perfectif), mais signalent également une rupture par rapport à un état initial. D’autre part, on constate la phase accomplie, le résultat, traduit par des participes passés. Dans les deux cas, le soubassement modal semble être le même : un vouloir être et un croire pouvoir être se heurtent à un ne pas pouvoir être, à un savoir ne pas être — un savoir ne pas pouvoir être — et à un devoir ne pas être (contraintes externes et internes à l’être imparfait). Aussi l’advenue à l’être ou, plus exactement, le plein accomplissement de l’être, signalé, en l’occurrence, par le retour à un actant collectif « on » impersonnel, indéfini, indifférencié, sont-ils non seulement retardés, mais encore frappés du sceau de l’impossible. On en fait l’expérience dans le monde “réel” ; le mode du conditionnel indique un irréel dans le présent.

44À l’état modal sont alors associés des choix aspectuels manifestant un style sémiotique placé sous le signe du désir et de l’attente contrariés, mais aussi des modulations. La modulation ouvrante actualise, au niveau tensif, une visée, mais elle est combattue, immédiatement, par une modulation fermante, qui privilégie une saisie qui clôture : l’être “(d)échu” ne peut s’alléger de la structure du temps articulé en avant, maintenant et après et ne peut se soustraire aux transformations, c’est-à-dire à l’engoncement par une structure narrative. Ainsi, la modalisation s’assortit de l’aspectualisation, qui suppose un horizon tensif. C’est à ce niveau, marqué par des attractions et des répulsions, que sont gérées l’hétérogénéité et l’advenue des valeurs. On peut alors supposer :

45i. Un proto-vouloir : confronté à un proto-devoir exerçant des pressions, il fait l’expérience intime de concordances et de discordances.

46ii. Un proto-pouvoir, c’est-à-dire un ensemble de possibles qui sont ensuite envisagés sur le mode de l’hypothèse irréalisante.

47En parlant de l’« imperfection » de l’être et de son « accomplissement » toujours reporté, nous avons fait un clin d’œil à l’ontologie plurimodale de Souriau ([1956] 2009, p. 196). Ce dernier argumente l’« inachèvement existentiel de toute chose » en ces termes :

Rien, pas même nous, ne nous est donné autrement que dans une sorte de demi-jour, dans une pénombre où s’ébauche de l’inachevé, où rien n’a ni plénitude de présence, ni évidente patuité, ni total accomplissement, ni existence plénière. […] L’existence est-elle jamais un bien qu’on possède ?

48La notion d’état de choses est problématisée : si état de choses il y a, ce dernier est toujours imparfait, l’accomplissement étant toujours à venir. La “conjonction” avec l’état de choses — l’interaction avec lui — est à chaque fois imparfaite et provisoire.

49Nous poursuivrons dans cette voie, car les travaux de Souriau étaient connus de Greimas. On conçoit l’intérêt d’un rapprochement dont il faudra mesurer les conséquences.

3. Les modalités et la « grammaire de l’existence »

50Afin de dessiner les contours du mode d’existence, repartons de la définition de la modalité existentielle en sémiotique. Nous avons vu que, dans un article intitulé « Le tournant modal de la sémiotique » (1995), Fontanille associe un mode d’expérience (devoir, vouloir, croire, savoir, pouvoir, etc.) à la modalité existentielle (la virtualisation, l’actualisation, la potentialisation et la réalisation). Selon Fontanille ([1999] 2003, p. 175), « danser » est réalisé dans le seul cas de « Il danse », la réalisation étant réservée à « savoir » et « vouloir » dans « Il sait danser », « Il veut savoir danser ». La modalité reporte la réalisation du prédicat principal, elle la « suspend » (Ibid., p. 176). Retenons moins l’idée de la suspension que celle de l’attribution, au prédicat modifié par la modalité, d’un mode d’existence différent de celui de la réalisation.

51Ajoutons à cela que les énoncés sont soumis à une variation des modes d’existence ou des degrés de présence dans le champ discursif (Ibid.) : à partir de la virtualisation, en relation avec le système de la langue, jusqu’à la potentialisation, quand sont convoquées les formations signifiantes antécédentes de la praxis énonciative, et à l’actualisation, dans l’attente de la réalisation. La « présence modale » se caractérise par des variations de l’intensité, en fonction du nombre des modalités responsables du report de la réalisation du procès, c’est-à-dire du recul de ce dernier dans la profondeur du champ couplé avec un affaiblissement de l’intensité.

52Dans ce cas, le désir d’accomplissement, en relation avec l’« attente d’accomplissement » (Ibid., p. 177), se heurte indéfiniment à l’imperfection, comme Fontanille le souligne dans « Les modes d’existence : Greimas et les ontologies sémiotiques » (2014). Dans De l’imperfection, Greimas (1987, p. 9 et p. 99) note, en effet, que la modalité, le vouloir-être et le devoir-être se construisent à partir d’un paraître imparfait, signalant une « déviation du sens ». L’imaginaire est empli de « nostalgies » et d’« attentes », quand « autre chose est peut-être possible ». D’où un décrochage au sein de l’expérience sensible : « “la chose” » advient, « un autre “monde”, sous l’effet de l’imperfection, et pour un sujet sensible qui advient à l’existence » (Fontanille 2014, p. 9).

53Or, nous venons de voir que Souriau développe lui-même l’idée d’un accomplissement imparfait. D’une part, avoir lieu, c’est viser une pleine existence, l’intensité de l’accomplissement. L’instauration en est responsable :

Qu’est-ce que l’art ? S’il faut en dire quelque chose de général, l’art, c’est l’activité instauratrice. C’est l’ensemble des démarches orientées et motivées, qui tendent expressément à conduire un être […] du néant ou du chaos initial jusqu’à l’existence complète, singulière, concrète, s’attestant en indubitable présence (Souriau [1947] 1969, p. 45).

  • 20 Cf. Souriau (1938, p. 25) : « D’une façon générale, on peut dire que pour savoir ce qu’est un être, (...)

54À condition d’être instauré, l’être peut se manifester « en son entier accomplissement, en sa vérité propre »20. D’autre part, l’accomplissement est à jamais reporté. L’œuvre demeure imparfaite.

55Continuons donc en confrontant la définition sourialienne des modes d’existence — que nous appelons également “formes d’existence” — à celle des sémioticiens.

56Dans le détail, Fontanille et Couégnas (2018, pp. 68-70) mettent les modalités selon Greimas, imputées à l’imperfection de l’être, en résonance avec la « grammaire de l’existence » développée par Souriau. Rappelons les termes d’une telle grammaire :

  • 21 Souriau ([1943] 2009, p. 154) entend par « synaptique » le « matériel grammatical » formé de conjon (...)

Pour ce qui concerne le monde du synaptique, ce monde qui communique mieux avec le fait qu’avec tout autre mode d’existence, on sait quelle importance W. James attachait, dans la description du courant de la conscience, à ce qu’il appelait « un sentiment de ou, un sentiment de car ». Nous serions ici dans un monde où les ou bien, ou les à cause de, les pour et avant tout les et alors, et ensuite, seraient les véritables existences (Souriau [1943] 2009, pp. 153-154)21.

57Les conséquences de ce rapprochement sont considérables. En effet, n’est-ce pas considérer une dynamique incessamment relancée, dont témoignent des connecteurs, des conjonctions, des adverbes de liaison, des prépositions, des articles ? Du point de vue sémiotique, semble concerné prioritairement le « matériel grammatical » qui traduit des relations, logiques ou temporelles, iréniques ou conflictuelles, entre l’homme et le monde :

Les modulations d’existence pour, d’existence devant, d’existence avec, sont autant d’espèces de ce mode général du synaptique. Et par ce moyen on peut aisément se guérir du trop d’importance donné dans certaines philosophies au fameux homme-dans-le-monde ; car l’homme devant le monde, et même l’homme contre le monde (adversus : le contre en tant que conflit, que heurt et choc violent, qu’essai d’une prise d’ascendant toute offensive) sont aussi réels. Et inversement il y a aussi le monde dans l’homme, le monde devant l’homme, le monde contre l’homme. L’essentiel est de bien sentir que l’existence dans toutes ces modulations s’investit, non dans l’homme ou dans le monde, ni même dans leur ensemble, mais dans ce pour, dans ce contre, où réside le fait d’un genre d’être, et auxquels, de ce point de vue, sont suspendus aussi bien l’homme que le monde (Souriau [1943] 2009, p. 156).

58On cerne mieux le défi qu’il s’agit de relever : comment passer du synaptique aux modalités greimassiennes ? Grâce à la médiation de l’imperfection, avons-nous dit, puisqu’elle est pensée à la fois par Greimas et par Souriau. Grâce à celle de l’altération, pouvons-nous ajouter. Introduisons le point de vue de l’énonciation, qui semble étranger à Souriau : l’activité énonciative comprend l’altération comme passage de « quelque chose à autre chose » (Fontanille 2017, p. 54). L’altération constitue la condition même de la saisie du sens.

  • 22 Fontanille (2014, p. 12) a en vue l’expérience, qualifiée par Souriau d’anaphorique, qui advient en (...)
  • 23 Voir aussi Colas-Blaise (2020).

59Dans ce cas, on peut avancer que l’altérité module le synaptique : « M (même) ou bien A (autre) », « M à cause de A », « M pour A », etc. (Fontanille 2014)22. Poursuivons. Nous défendons l’idée, quant à nous, que les ensembles « M ou bien A », « M à cause de A », « M pour A », etc. sont modulés par les modalités du vouloir, du pouvoir, du devoir, du savoir, du croire23. Nous cherchons, par ce biais, à développer l’idée d’une configuration complexe : la modalité (au sens étroit du terme) régit la modulation « M (même) ou bien A (autre) », etc.

60Deux questions se posent : qui est en charge de ces configurations complexes ? Ensuite, quel est leur champ d’action ?

61Nous venons de voir que pour Souriau, l’homme et le monde sont « suspendus » au « pour », au « contre », etc. Nous avançons, à sa suite, que les modulations d’existence de la modalité, de l’altérité et du synaptique placent l’homme et le monde dans leur dépendance. La modalité, associée à l’altérité et au synaptique, infléchit les relations qui se nouent entre l’homme et le monde, c’est-à-dire détermine la manière dont tous deux interagissent. Elle gère ainsi les valeurs investies.

62Pour le dire autrement et clarifier notre propos : selon notre hypothèse, l’homme et le monde sont « suspendus » à l’existence investie non seulement dans le « pour », le « contre »…, mais encore dans les modalités, dans le même et l’autre. Cela de la même manière que la copule traduite par le verbe « être » à la troisième personne est « existence de la relation d’inhérence », les existences du sujet et de l’attribut y étant « suspendues » (Souriau [1943] 2009, p. 156). Est ainsi modulée et modalisée la relation qui s’établit entre l’homme et le monde. Elle est à la base de l’interaction (consensuelle ou dissensuelle, irénique ou polémique…) entre l’homme sujet d’énonciation et l’objet de sens à construire. Ces derniers négocient leur présence, sous l’effet des modulations et modalités, de l’altérité et du synaptique.

  • 24 Cf. Latour (2012, pp. 240-241) au sujet de la préposition : « […] chaque proposition définit donc u (...)

63Développons cette idée davantage, à partir d’un exemple. D’une part, la relation est adversative, quand l’homme se dresse contre le monde. D’autre part, tous deux sont pris dans une altération. Enfin, celle-ci est modalisée comme (im)possible, voulue ou non, nécessaire ou non, etc., comme accomplie ou non. Telle est l’idée que nous souhaitons soumettre au débat : à l’instar de la préposition ou de l’adverbe, la modalité indique, « à la façon des partitions en musique », « dans quelle tonalité, dans quelle clef, il va falloir se préparer à jouer ce qui suit » (Latour 2015, p. 22). Elle endosse, dans ce cas, un rôle semblable à celui de la préposition24, de la conjonction, etc. Au fond, elle indique comment l’instance d’énonciation à la fois compositeur et interprète s’unit avec l’objet de sens qu’elle construit, en l’instaurant, c’est-à-dire en le portant à un degré d’accomplissement.

  • 25 À propos de la possession de l’artiste par l’œuvre, cf. David Lapoujade (2011, p. 194), lecteur de (...)

64Essayons de faire le point. Nous avons vu, dans la première partie, que les modalités expriment les conditions de réalisation du procès modalisé et confèrent à l’actant une identité modale. Convoquant le cadre théorique sourialien, nous ajoutons, maintenant, que les modalités comme modes d’existence conçus à la suite de Souriau interviennent sur la relation qui s’établit entre l’homme et le monde, par exemple entre l’artiste et son œuvre. Nous souhaitons développer l’idée (i) que cette relation est modalisée selon le devoir, le vouloir, le pouvoir et le savoir …, qu’elle est altérée et qu’elle est modulée par la « grammaire de l’existence » ; (ii) que cette relation est une relation d’entrepossession, qui ne se réduit ni à une relation de possession de l’œuvre par l’artiste, ni à une relation de possession de l’artiste par l’œuvre25.

  • 26 Ainsi, les « êtres de fiction », par exemple Jean Valjean des Misérables de Victor Hugo, sont liés (...)

65Nous concevons l’entrepossession comme un rapport de possession réciproque intrinsèque, par exemple entre l’artiste et l’œuvre d’art. Quand celle-ci est à faire, elle a besoin de la « sollicitude »26 de l’artiste pour être pleinement instaurée, c’est-à-dire pour advenir à une existence pleine (Colas-Blaise 2020, 2021). Quant à l’artiste, il rejoint ce « nous » que l’œuvre en devenir « engage » (Latour 2012, p. 244).

  • 27 Donner vie à une œuvre ne consiste pas à appliquer une forme sur un matériau qui l’accueillerait, c (...)

66L’entrepossession réside ainsi dans un couplage. Ce dernier consiste en une interaction modalisée entre un sujet et un objet de sens à construire (instauration), qui fait valoir ses propres demandes27. Le couplage modalisé est responsable du passage du pré-objet à l’objet et du pré-sujet et au sujet. Nous parlons de cofondation du “sujet-en-tant-que-relié-à-l’objet” et de l’“objet-en-tant-que-relié-au-sujet”.

67Ainsi, au-delà de la simple conjonction réciproque d’entités préexistantes déjà pleinement réalisées, l’instauration modalisante consiste à donner une forme de “réalité” à certaines potentialités intrinsèques aux instances concernées, en tendant vers leur accomplissement.

68Essayons de mesurer les conséquences des déplacements d’accent que nous venons d’opérer.

  • 28 Commentant les modes d’existence de Souriau, Latour (2015, p. 27) critique la conception traditionn (...)

69Nous ne nous contentons plus de considérer les modalités comme des valeurs à la base de la définition de rôles, de dispositions et d’attitudes. Il ne suffit plus de dire que le prédicat modal énonce les conditions de réalisation du prédicat principal28. Qu’apporte, au juste, l’hypothèse d’une configuration complexe unissant des modalités à des formes d’altérité et au synaptique ? Nous venons de suggérer que le vouloir, par exemple, peut modifier la relation non plus seulement entre un procès et son observateur, mais entre une instance et le monde, en la soumettant à des altérations. Dans ce cas, franchira-t-on un pas en disant que les modalités s’autonomisent, c’est-à-dire s’affranchissent, sous certaines conditions, de leur lien avec un prédicat principal, qu’il s’agisse d’être ou de faire ? Sans doute acquièrent-elles en tant qu’existences plénières un début d’autonomie — à l’instar des prépositions, des adverbes, des connecteurs… selon Souriau —, tout en restant tributaires, non sans paradoxe, de ce qui ou de celui qui existe à travers elles. Ainsi, le vouloir ne modifie pas seulement le prédicat principal danser. Il ne se conçoit pas isolément de ce qu’il contient — le sujet et le monde, le sujet uni intimement à la danse… — « dans un même fait, qui est, lui, le véritable existant » (Souriau [1943] 2009, p. 156). Il faut penser ensemble ce qui — une instance et le monde — est, à lui, « suspendu ».

70Résumons. Examinant les différents statuts de la modalité en sémiotique greimassienne et mobilisant quelques approches linguistiques, nous avons proposé, dans la première partie, de creuser la notion de modalité (au sens large) : (i) en réexaminant les notions d’attitude (diathétique), de dispositif modal et de disposition ; (ii) en érigeant la “mise en scène” (opacifiante) au rang d’un des critères distinctifs de la modalité. Dans la deuxième partie, une incursion dans les terres sourialiennes a permis de creuser davantage l’idée d’un rapprochement entre les modalités, l’altération et le synaptique, en ce qu’ils font entrer l’homme et le monde dans un type de relation spécifique. Dans ce cas, on ne se contentera pas de dire que les modalités représentent ou indiquent une disposition passionnelle, une attitude, plus ou moins profonde. On avance que la modalité provoque des altérations, des conjonctions et des disjonctions, des élans vers et des entrées en conflit ; ceci, en intervenant sur les relations que l’homme en quête d’une identité modale noue avec le monde en l’instaurant.

  • 29 Pour cette abréviation, cf. Latour (2012).

71Dans la troisième partie, nous retrouverons l’idée de la “mise en scène”. Nous scruterons, en effet, le sort que Fontanille et Couégnas (2018) réservent au mode de la fiction [FIC]29, selon Latour (2012). D’entrée, deux aspects méritent toute notre attention :

72i. L’imaginaire selon Souriau, dont le possible et l’impossible sont des variétés et qui est lui-même une « variété du monde ontique ». Il s’agit de s’interroger sur les « êtres de fiction », les « mock-existences » ou « pseudo-réalités » (2009 [1943], pp. 134-135).

  • 30 Voir aussi Couégnas et Fontanille (2017) : si le mode de la Fiction [FIC] constitue une condition d (...)

73ii. Les « êtres de fiction » [FIC] selon Latour. Nous serons attentive à la manière dont la sémiotique intervient, au-delà de l’ontologie plurimodale de Souriau, sur la définition des modes d’existence par Latour. Nous nous demanderons, ainsi, en quoi le mode de la fiction [FIC] peut être conçu comme une « dynamique fondamentale de tous les autres modes » (Fontanille et Couégnas 2018, p. 79)30.

4. La fiction comme mode d’existence

74Un des enjeux concerne l’articulation de la modalité existentielle conçue par la sémiotique (la virtualisation, l’actualisation, la réalisation, la potentialisation) avec les modes d’existence selon Souriau et selon Latour (nous parlons également de « formes d’existence »). L’hypothèse qu’il faudra vérifier est la suivante : le mode d’existence (la forme d’existence) de la fiction est à la base du processus qui conduit des virtualités au stade de la réalisation. Plus précisément : est ainsi visé le processus qui porte un objet de sens au stade de l’accomplissement (toujours imparfait) et cofonde l’instance d’énonciation comme sujet.

75À cet effet, nous mobilisons l’ontologie plurimodale de Souriau ([1943, 1956] 2009), l’Enquête sur les modes d’existence de Latour (2012) ainsi que l’ouvrage Terres de sens de Fontanille et Couégnas (2018).

76Interrogeons-nous sur les conditions sous lesquelles la fiction peut être considérée comme une modulation ou une modalité profonde qui affecte toutes les valeurs, qui sous-tend toute construction de ce que Fontanille et Couégnas (2018) appellent un « monde » signifiant. En quoi la fictionnalisation se hisse-t-elle au rang de surmodalisation ? Quelles sont les conséquences épistémologiques de ce choix théorique ?

77Parmi les conditions ainsi visées, nous en retenons deux : une problématisation de l’opposition stricte entre la “réalité” et la fiction ; la distinction entre le fictionnel et le fictif.

4.1. L’expérience réelle d’un univers possible

78D’abord, chez Souriau, les « êtres de fiction », c’est-à-dire les imaginaires, sont pourvus d’un mode d’existence plénier, quel que soit leur degré d’accomplissement ou de perfection. Il en va ainsi des rêves, mais aussi de « microcosmes », d’« univers du discours » tels que Les Misérables de Hugo qui, nous l’avons vu, n’existent que dans l’exacte mesure où, « sollicitudinaires », ils bénéficient de notre attention.

  • 31 Cf. Souriau ([1943] 2009, p. 133) : « […] il faut donc les [les imaginaires] ranger dans une classe (...)

79Dans ce cas, l’imaginaire en tant que « variété du monde ontique » (Souriau [1943] 2009, p. 134) compte le possible parmi les formes qu’il adopte. Le possible est rejoint par le « pseudo-possible » (idem), qui repose « seulement sur les suggestions de la crainte ou de l’espérance, sur les essais représentatifs de la prévision »31. Il s’agit de rendre compte d’un possible (pseudo-possible) ou d’un impossible « suspendu » à un « phénomène de base souvent émotif » (Ibid., p. 133).

80Ne retrouvons-nous pas, toutes précautions prises, l’idée du simulacre tel que le définit la sémiotique des passions ? Dans la sémiotique des passions, la notion de simulacre se décline sous trois formes : modale, passionnelle et existentielle. Dans un sens restreint, le simulacre est une « configuration qui résulte seulement de l’ouverture d’un espace imaginaire par l’effet des charges modales qui affectent le sujet » (Greimas & Fontanille 1991, p. 63). Des débrayages localisés donnent lieu à des scènes imaginaires ou imaginées, l’imaginaire étant rapporté à ce qu’il n’est pas (« jugements de type véridictoire et épistémique ») (idem). La scène imaginée peut aussi être pensée par rapport au monde « actuel » (Ibid., p. 62). Dans un sens large, le simulacre « passionnel » est mis en circulation et se conçoit dans le cadre d’une interaction. Enfin, le simulacre « existentiel » recouvre le « mode d’existence du sujet », par exemple celui de l’avare qui, eu égard à l’attachement qui le lie aux objets, est conjoint (réalisé) ou non conjoint (virtualisé), disjoint (actualisé) ou non disjoint (potentialisé). Ainsi se dessinent une ou plusieurs trajectoires « existentielles », c’est-à-dire des mises en perspective, par l’imaginaire passionnel, des variétés de la jonction, en fonction d’une « image but » (Ibid., pp. 141-143).

81Ici et là, on note — mutatis mutandis — la volonté de conférer un mode d’existence : soit à l’imaginaire, et donc au possible / impossible (nous l’avons dit, l’imaginaire est une « variété du monde ontique » (Souriau [1943] 2009, p. 133 ; p. 135), soit au sujet passionnel entrant dans un certain type de relation ou de jonction avec l’objet (simulacre).

  • 32 Pour Schaeffer (1999), l’immersion mimétique porte à prendre une chose « comme » une autre chose, s (...)
  • 33 Si l’on veut poursuivre le débat à partir d’un autre cadre théorique, celui de l’interactionnisme, (...)

82Dans ce cas, en quoi la distinction stricte entre la “réalité” et la fiction garde-t-elle sa pertinence ? Comment repenser la frontière entre elles, sans rabattre le débat sur une opposition et une tension que seule résoudrait la modélisation analogique argumentée par Jean-Marie Schaeffer (1999)32 ? N’est-il pas avantageux d’opposer à une conception mimétique et à une sémantique des mondes possibles la réalité de la fiction comme construction d’une expérience humaine ? L’expérience, dirons-nous, est réelle et l’on peut dépasser jusqu’à l’opposition entre le monde “actuel” et le monde “possible”33.

83Considérons également les apports de chercheurs venant d’autres horizons théoriques : selon Lewis (1973, p. 85), « notre monde actuel » est « seulement un monde parmi d’autres ». On peut également avancer avec Goodman (1985) que « tous les mondes possibles font partie du monde réel » :

Le discours, même lorsqu’il traite des entités possibles, n’a nul besoin de transgresser les frontières du monde réel. Ce que nous confondons souvent avec le monde réel n’est qu’une description particulière de celui-ci. Et ce que nous prenons pour des mondes possibles ne sont que des descriptions également vraies, énoncées en d’autres termes (Goodman 1985, p. 74).

84Sur ces bases, nous proposons de distinguer le fictionnel (au sens où l’entendent Fontanille et Couégnas (2018), à la suite de Latour) du fictif.

  • 34 Voir aussi Badir (2020). Suite à Souriau, on pourra ajouter le désir, le souci, la crainte, l’espér (...)
  • 35 Nous n’abordons pas, ici, la délicate question de la vérité et de la véridiction. On sait, en revan (...)

85Le fictif, que nous associons aux possibles, autorise-t-il, dans la “réalité”, une expérience « par la pensée »34 ? Pour le dire avec Goodman (1985) : un énoncé contrefactuel conditionnel se trouve traduit en un énoncé qui se rapporte à la « réalité »35. Il est question d’une projection réelle dans une « circonstance fictive ».

  • 36 Selon Le Gaffiot, « fictĭō, ōnis, f. (fingo) » se définit comme l’« action de façonner, façon, f (...)

86Nous y opposons le mode de la fiction et la fictionnalisation comme surmodalisation, en rappelant que le lexème « fiction » a d’abord trait à l’action de façonner, de fabriquer, de donner une forme à quelque chose36. Le détour par Les modes d’existence de Latour (2012, p. 242) permet de le confirmer : en effet, plutôt que de diriger l’attention vers l’« illusion » et le « faux », la notion de fiction doit nous aiguiller vers la prise en compte du « fabriqué », du « consistant », du « réel ».

87Nous verrons mieux en quoi la fiction peut devenir la clé indiquant la tonalité à laquelle les autres modes d’existence peuvent être “interprétés”.

4.2. Le mode de la fiction et le « monde » signifiant

  • 37 Cf. David Lapoujade (2017, p. 29) au sujet des microcosmes sourialiens comme « quasi-mondes ».
  • 38 Fontanille et Couégnas rejoignent Souriau sur la volonté de se démarquer de la phénoménologie au se (...)

88Attardons-nous sur la notion de « monde » signifiant. Le « monde » mérite d’être mis en regard avec le microcosme sourialien37. Fontanille et Couégnas (2018)38 le définissent en ces termes :

  • 39 En 2020, Fontanille (2020, pp. d 7-d 8) définit le monde de manière très large, par rapport à l’uni (...)

Un « monde » […] rassemble tous les existants, toutes les propriétés, toutes les pratiques, toutes les significations qui sont nécessaires à tous les membres d’un collectif pour qu’ils puissent y vivre, y interagir, avec un sentiment de cohérence, de stabilité et d’identité durables et largement partagé (Fontanille & Couégnas 2018, p. 68)39.

  • 40 Une telle proposition peut susciter des débats. Pour prolonger la réflexion dans une autre directio (...)

89Selon Fontanille et Couégnas (Ibid., p. 79), « le mode de la fiction est probablement, d’un point de vue sémiotique, celui qui ordonne toute instauration d’un monde signifiant, en tant que monde, et en tant que signifiant » ; la fiction [FIC] est « à la source du pouvoir d’interpellation des autres modes ». Toute construction d’un « monde » signifiant, voire toute appréhension de la réalité serait-elle, alors, d’ordre fictionnel ? En somme, pour le dire de manière un peu abrupte, toute sémiosis serait constitutivement fictionnelle40.

90Prenons la mesure des conséquences théoriques.

91Le « monde » est suscité, construit et pourvu d’une forme d’existence. Le mode de la fiction, accompagné par celui du réseau (au sens où l’entend Latour), en charge de la « pluralisation énonciative », est alors à la base de son énonçabilité, c’est-à-dire de l’instauration des sémioses (Ibid., p. 80). Il gère la délégation énonciative, le débrayage : soit, pour nous, le transfert de l’apport sur un support, l’inscription d’une situation et d’une instance d’énonciation dans un espace d’implémentation (énonciation énoncée). Mieux : le mode de la fiction est en charge d’une interaction à jamais relancée qui, selon nous, prend les dehors d’une négociation, sous l’effet de propositions et de demandes, de possibles de sens et de contraintes. Sous-tendue par des tensions, par tout un soubassement modal et proto-modal, la dynamique interactionnelle se solde, avons-nous suggéré, par l’entrepossession d’un sujet et d’un objet.

92Nous avançons ainsi que la fictionnalisation à la base de la construction — de l’instauration — de « mondes » signifiants est de l’ordre de la surmodalisation comme manifestation d’une activité énonciative, responsable de la consistance sémantique du monde. La fictionnalisation orchestre le retrait provisoire du sujet et de l’objet en devenir, quand la relation d’entrepossession qui les unit est « suspendue » aux modulations d’existence.

93Les enjeux sont considérables, notamment pour une conception sémiotique de l’énonciation comme acte sémiosique. En effet, si la fictionnalisation opère à la base de la modulation par les configurations existentielles complexes unissant des modalités, des formes d’altérité et des expressions relevant de la « grammaire de l’existence », cela voudra dire qu’au départ de toute instauration d’un « monde » signifiant, d’un objet de sens, il y a une instance d’énonciation centrée. L’attitude « diathétique » est celle d’une instance dont le (proto)vouloir, le (proto)devoir, le (proto)pouvoir… sont confrontés à des vouloirs, des devoirs, des pouvoirs, peut-être contraires. L’instance prévoit alors, voire organise jusqu’à un certain point son propre “décrochage” provisoire, quand la relation qu’elle noue avec le monde, avec un objet de sens en devenir, est « suspendue » aux modulations d’existence, au sens sourialien du terme. Nous avons vu que les modulations d’existence interviennent sur la relation et l’infléchissent.

94Notre proposition peut alors être déclinée en plusieurs points : (i) une instance d’énonciation modalisée (proto-modalités et modalités) est à l’origine (ii) du mouvement de la fictionnalisation comme surmodalisation. Celle-ci consiste en une dynamique qui fait que des (iii) modulations d’existence — des modalités régissant des formes d’altérité et des formes d’expression de la « grammaire d’existence » — interviennent sur (iv) la relation que l’instance d’énonciation noue avec un objet de sens, avec un « monde » signifiant en devenir. L’instauration débouche sur (v) un rapport d’entrepossession, qui est fondateur du sujet en tant que lié à l’objet et de l’objet en tant que lié au sujet.

5. Conclusion

95Concluons en quelques mots. Nous avons cherché, au fil de ces étapes, à éclairer les notions de mode (d’existence), de modalité, de modalisateur et de modalisation diversement, à partir de points de vue théoriques concurrents qui n’excluent pas des convergences ou, du moins, la possibilité de traductions d’un cadre théorique dans un autre. Posant au départ de la réflexion l’association d’un mode d’existence (virtualisé, actualisé, réalisé, potentialisé) et d’un mode d’expérience (devoir, vouloir, croire, savoir, pouvoir, etc.) (Fontanille 1995), nous nous sommes tournée vers la linguistique pour montrer comment la réaction à un contenu propositionnel, constitutive du modus, peut être reformulée en commentaire sur le dit et le dire (Vion 2003), mais aussi en indice d’une intensification énonciative renvoyant à une « émotion » (Perrin 2014-2015). La notion d’attitude a, pour sa part, été rapprochée de la disposition passionnelle théorisée en sémiotique, mais aussi de l’attitude diathétique marquée par un questionnement liminaire (proto-modalités). L’expérience du monde par une instance énonciative qui entre avec une sémiotique-objet construite dans un rapport que nous avons qualifié d’entrepossession est alors suspendue à une trajectoire, au trajet que constitue le processus de l’instauration qui non seulement permet de passer de la virtualisation à l’actualisation et à la réalisation, mais qui — selon notre hypothèse — est placée sous le signe de configurations modales complexes, où les modalités (devoir, vouloir, pouvoir, savoir, croire…) déterminent les formes d’altérité, déterminant à leur tour le synaptique. Nous nous sommes penchée, enfin, sur le mode d’existence de la fiction, en en réinterrogeant le caractère constituant ou constitutif, du point de vue de l’énonciation d’un « monde » signifiant. Il est apparu, notamment, que parler de fictionnalisation, c’est mettre l’accent sur les instances d’énonciation qui en sont responsables ; des instances dont les proto-modalités et les modalités forgent une identité modale toujours provisoire.

96Pour finir, nous invitons à considérer que tant l’instance d’énonciation que le « monde » signifiant instauré et la relation d’entrepossession qui les unit sont affectés par des modalités ou des modes d’existence, cela de manières différentes. On peut retenir cinq points majeurs :

  • 41 La perception relève-t-elle de l’énonciation, comme le propose Bordron (2011) ? Celle-ci est-elle à (...)

97i. La fictionnalisation comme surmodalisation fournit son soubassement à l’instauration sémiosique par une instance d’énonciation. Cela implique une conception élargie de la sémiosis41 et de l’énonciation, qui englobe la prise de position subjective, l’attitude (diathétique) et la disposition (passionnelle) d’une instance énonçante appréhendant un il y a, percevant et articulant le monde autour d’elle.

98ii. L’attention se déplace de la suspension de la réalisation du prédicat principal par le prédicat modal sur l’attribution de modes d’existence au prédicat principal, voire au « monde » signifiant. Ce dernier est porté à un degré d’accomplissement.

99iii. Plus largement, énoncer, c’est construire un « monde » signifiant en faisant l’expérience sensible de la relation d’entrepossession. L’homme et le « monde » signifiant sont suspendus aux genres d’être des modalités (la relation est voulue, nécessaire, possible…), des formes d’altérité et du synaptique (en particulier de la préposition comme indiquant la tonalité dans laquelle le monde signifiant est énoncé). Une trajectoire suppose des prises et des reprises, des antécédences et des subséquences qui confèrent à l’énonciation un caractère pluriel.

100iv. Énoncer, c’est opérer une délégation ou un débrayage fictionnels. Le « monde » signifiant peut être considéré comme “fictif” sous certaines conditions (par exemple, dans le cadre de l’énoncé contrefactuel).

101v. Dire que les bases de l’énonciation sont modales, c’est insister sur la possibilité d’une réflexivité (la fictionnalisation se montre comme telle), voire de l’accès à un niveau méta- (commentaire sur le processus).

102Ainsi, parler de “surmodalisation” permet de cibler des aspects nodaux. Au moment du façonnement d’un “monde” signifiant, il s’agit de déterminer la manière dont le “monde” est construit, la clé ou la tonalité selon lesquelles il faut l’interpréter (au sens musical du terme, mobilisé notamment par Goodman), en engageant des valeurs. Il incombe à la surmodalisation fictionnelle, constitutive ou constituante, de moduler les valeurs et de leur attribuer, de ce fait, une profondeur sémantique.

103À cet effet, elle inscrit les modulations et les (proto-)modalités dans une même perspective, c’est-à-dire elle veille à mettre une attitude diathétique, une disposition, un dispositif modal et une syntaxe modale au service de l’énonciation de « mondes » signifiants, dont les modalités affichent la profondeur sémantique. Ainsi, la fictionnalisation gère l’instauration de ces « mondes » par une instance d’énonciation à laquelle le processus de la fabrication fictionnelle et l’interaction avec un objet de sens en devenir (un couplage qui prend la forme de l’entrepossession) confèrent un surcroît de subjectivité. Dans le processus, les « mondes » sont pourvus d’un mode d’existence.

104Mais la surmodalisation ne se résume pas à l’instauration de « mondes » signifiants. Grâce à un repli réflexif, le processus de l’énonciation-instauration modalisante est mis en évidence. Il est exhibé, donné à voir. En ce sens, toute énonciation-instauration donne lieu à une mise en scène fictionnelle, peut-être fictive, intense et intensifiante, singulière ou collective. Elle est fondée sur une mise en perspective organisée autour d’un procès et d’actants qui tiennent à la faveur d’une dynamique : autour de l’instance d’énonciation sensible et perceptivo-cognitive qui noue avec le « monde » signifiant une relation d’entrepossession.

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Notes

1 L’entreprise n’est pas sans risques, en raison de la distance que la sémiotique a prise, de proche en proche, par rapport aux approches linguistiques et logiques de la modalité.

2 Au sujet du dialogue que la sémiotique entame avec les travaux de Souriau et/ou de Latour, cf. surtout Greimas (1966), Parret (2006), Fontanille (2014), Couégnas et Fontanille (2017), Fontanille et Couégnas (2018). On pourra consulter Colas-Blaise (2020, 2021). Au sujet de Latour, voir également le n120 d’Actes Sémiotiques (2017), dont une partie est intitulée « Sémiotique et Anthropologie des Modernes ».

3 Ainsi, nous ne prenons pas en considération les travaux des logiciens, même si ces travaux ont compté dans l’élaboration d’une sémiotique des modalités. Voir en particulier l’adoption d’un point de vue déductif et la coexistence des perspectives logique et sémiotique (en plus de l’approche linguistique) dans un numéro de Langages (1976), coordonné par Ivan Darrault-Harris. Pour un bilan sur les modalités et une refonte de leur système, on se reportera à Badir (2020). Pour une réflexion en profondeur, cf. également le texte de Pierluigi Basso Fossali dans ce volume (« Le circuit entre modulations et modalisations »).

4 Voir aussi Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (Greimas & Courtés 1979).

5 À propos de cette notion, voir aussi Benveniste (1966, p. 174).

6 Cf. Greimas & Fontanille (1991, p. 142) : réalisé (conjoint) → virtualisé (non conjoint ) → actualisé (disjoint). Nous ajoutons “potentialisé (non disjoint)”.

7 C’est précisément sur ce point que la sémiotique, qui s’intéresse aux modalités narratives sans prendre en compte, nécessairement, les manifestations linguistiques, notamment celles des verbes modaux, se distingue de la linguistique.

8 Par exemple, « Chic ! » est considéré comme un « indice conventionnel de la joie de celui qui l’énonce » (Perrin 2012).

9 L’ inventaire des expressions se chargeant de la monstration à l’intérieur du sens comprend, outre les interjections et autres formules (ouf, enfin, tant mieux…), les adverbes de phrase (naturellement, certainement, probablement…), différents modalisateurs de proposition centrés sur des verbes de parole et d’attitude propositionnelle à la première personne (je dis que, je dois dire que, je veux dire que, je peux te dire que, disons que, mais aussi on peut dire que), certains connecteurs (c’est-à-dire, pour ainsi dire, on a beau dire), les emplois performatifs de verbes (j’hésite, j’avoue, j’y renonce) (Perrin 2008).

10 Cf. Ducrot & Schaeffer (1972, p. 733], qui se demandent, à propos de tournures comme « Ce qu’il fait chaud ! », « Il fait une de ses chaleurs » et « Il fait tellement chaud ! », comment « décrire l’effet sémantique de ces tournures, plus précisément, comment le distinguer de la simple indication d’un degré élevé de chaleur (celui que marque très dans “D’après la météo, il fait très chaud à Lyon”) ». Reprenant la distinction entre les expressions classifiantes et non classifiantes selon Milner, Ducrot et Schaeffer (Ibid., p. 735) soulignent la spécificité de « très », qui oscille entre l’attribution à l’objet d’une propriété et l’expression d’un « haut degré absolu », « hors échelle ».

11 Notamment du point de vue peircien, l’assimilation de la « fonction symbolique » à une fonction « conceptuelle » ou « propositionnelle », la définition des « formules énonciatives » dites « dépourvues de sens descriptif symbolique » (Perrin 2012) ou encore l’opposition stricte du sens « symbolique, c’est-à-dire dénotatif, conceptuel, et donc propositionnel » et d’un sens « exclusivement indiciaire et énonciatif » mériteraient d’être interrogées. On peut, entre autres, réfléchir au bien-fondé d’une conception plus large de l’énonciation comme acte de production de l’énoncé, comme acte sémiosique.

12 Cf. Colas-Blaise (2011).

13 Si Perrin distingue différents stades de conventionnalisation qui, de proche en proche, font perdre aux expressions leur force « descriptive » ou « dénotative », on peut considérer, du point de vue sémiotique, l’entrée en concurrence des valeurs, qui confère à la phrase son épaisseur. En témoigne l’énoncé « Enfin, la dernière marche ! » : l’adverbe « enfin » traduit le soulagement ; se transforme-t-il pour autant en indice « conventionnel » « pour ainsi dire sans rapport à une quelconque inférence associée à l’idée de fin » (Perrin 2012) ? Il nous semble que l’adverbe garde l’aspectualisation terminative qui motive l’émotion ressentie, comme par contraste. Il serait sans doute avantageux de considérer un cadre du dire où l’appréciation positive (soulagement) entre en résonance sinon en conflit avec une appréciation négative potentialisée ou virtualisée : l’effort demandé par l’action de gravir les marches jusqu’au bout. Voir également Pierre Ouellet (1992, p. 140).

14 D’où l’idée, développée par bien d’autres linguistes, de places réservées, dans l’énoncé, à l’expression des modalités. Même si des désaccords persistent quant à la nature des éléments que la marge peut accueillir : pour Alain Berrendonner (1981, p. 121), « l’énonciation est geste […]. Le geste, lui, est capable de montrer sans raconter. Je n’accepterais de voir nulle part ailleurs du “montré, et surtout pas dans les verbes performatifs, ni dans le contenu des incidentes à signification métadiscursive ; ces éléments, comme tout élément interne au contenu propositionnel, dénotent, banalement ».

15 Voir Parret (1983, p. 90) au sujet de la complémentarité de la modalisation opacificante et de la déictisation. On peut développer l’idée de la modalisation appelant un regard réflexif quand l’attention se porte sur le processus de l’énonciation, sur le dire, en se détournant du contenu du dire.

16 Voir infra.

17 On notera que la question de l’intensification est délicate : d’une part, elle est liée à l’« attente d’accomplissement » ; d’autre part, quand l’accumulation des modalités creuse la distance avec le centre de référence et fait peser une incertitude sur la réalisation du procès, l’intensité s’affaiblit (Fontanille [1999] 2003, p. 177).

18 L’idée sera développée plus loin, en relation avec le mode d’existence de la fiction (Latour 2012).

19 Voir Bordron (2012) pour un rapprochement avec Tesnière.

20 Cf. Souriau (1938, p. 25) : « D’une façon générale, on peut dire que pour savoir ce qu’est un être, il faut l’instaurer, le construire même, soit directement (heureux à cet égard ceux qui font des choses !) soit indirectement et par représentation. » Il tend alors vers le moment où il est « soulevé jusqu’à son plus haut point de présence réelle, et entièrement déterminé pour ce qu’il devient alors » (idem).

21 Souriau ([1943] 2009, p. 154) entend par « synaptique » le « matériel grammatical » formé de conjonctions, de prépositions, d’articles, etc. Il est opposé au verbe, qui est à mettre en relation avec l’événement, c’est-à-dire avec le fait : le « il y a le fait ; il y a le ceci est, le ceci advient » (Ibid., p. 152).

22 Fontanille (2014, p. 12) a en vue l’expérience, qualifiée par Souriau d’anaphorique, qui advient entre le même et l’autre. L’autre reprend le même.

23 Voir aussi Colas-Blaise (2020).

24 Cf. Latour (2012, pp. 240-241) au sujet de la préposition : « […] chaque proposition définit donc une façon de faire sens qui va différer des autres […] S’il existe un métalangage un tant soit peu général, c‘est au mode des prépositions [PRE] qu’il faudra le confier. Définir le sens d’un existant, c’est repérer ce qui n’est pas là et qu’il faut rajouter pour le traduire, le reprendre, le ressaisir, l’interpréter. Dans cette enquête, par conséquent, trajectoire, être et sens sont synonymes. »

25 À propos de la possession de l’artiste par l’œuvre, cf. David Lapoujade (2011, p. 194), lecteur de Souriau : « L’œuvre commence par être le fantôme qui hante l’âme de l’artiste avant que le rapport ne s’inverse et que l’artiste ne devienne le pâle fantôme d’une œuvre bien autonome, éclatante et pleinement réelle. C’est là le signe d’une profonde pensée de la possession. Avoir une âme, c’est se posséder ou aspirer à la possession de soi-même, à la possession des virtualités qui nous accomplissent et nous rendent autonome. Mais c’est aussi bien être possédé par cette perspective au sens cette fois où l’on est hanté par une âme autre. » Voir aussi Lapoujade (2017).

26 Ainsi, les « êtres de fiction », par exemple Jean Valjean des Misérables de Victor Hugo, sont liés à leur « polygone de sustentation » (Souriau [1943] 2009, p. 134). « Sollicitudinaires », ils bénéficient de notre attention : « Leur caractère essentiel est toujours que la grandeur ou l’intensité de notre attention ou de notre souci est la base, le polygone de sustentation de leur monument, le pavois sur lequel nous les élevons ; sans autres conditions de réalité que cela » (idem).

27 Donner vie à une œuvre ne consiste pas à appliquer une forme sur un matériau qui l’accueillerait, comme le prévoit une conception hylémorphique. Au contraire, le matériau dicte ses propres contraintes, comme le souligne l’image du potier. À l’artiste de préparer et d’inventer, mais aussi d’« accueillir », de « recueillir » (Latour 2015, p. 25), en tenant compte des demandes de l’objet. Le sujet doit entrer dans le point de vue de l’œuvre.

28 Commentant les modes d’existence de Souriau, Latour (2015, p. 27) critique la conception traditionnelle de la modalité : « La notion de mode est aussi ancienne que la philosophie, mais, jusque-là, on considérait, dans le discours, le modus comme une modification du dictum, lequel avait justement le privilège de demeurer semblable à lui-même. Dans la succession de phrases : “il danse”, “il veut danser”, “il aimerait bien pouvoir danser”, “il aimerait tellement bien savoir danser”, le “danser” ne change pas, malgré l’emboîtement, parfois vertigineux, des séries de modalisations. C’est sur ce même modèle du discours que l’on a d’abord pensé la modalisation de l’être, en faisant varier par exemple le degré d’existence de la puissance à l’acte mais sans jamais aller jusqu’à modaliser aussi le “ce qui” passait à l’acte. » Il s’agit, plutôt, d’attribuer des modes d’existence différents au procès principal.

29 Pour cette abréviation, cf. Latour (2012).

30 Voir aussi Couégnas et Fontanille (2017) : si le mode de la Fiction [FIC] constitue une condition de tous les autres modes d’existence, cela vaut également pour le mode du Réseau [RES], celui de la Métamorphose [MET], celui de la Technique [TEC] et celui de la Répétition [REP]. Nous notons toutefois que la fiction et le réseau constituent le soubassement, les modes [MET], [TEC] et [REP] intervenant directement dans l’instauration-énonciation.

31 Cf. Souriau ([1943] 2009, p. 133) : « […] il faut donc les [les imaginaires] ranger dans une classe existentielle beaucoup plus vaste : celle des êtres qui sont présents et existent pour nous d’une existence à base de désir, ou de souci, ou de crainte ou d’espérance, aussi bien que de fantaisie et de divertissement. De ces êtres on pourrait dire qu’ils existent à proportion de l’importance qu’ils ont pour nous — soit que nous nous inquiétions de beaucoup de choses, soit qu’une seule nous soit nécessaire. »

32 Pour Schaeffer (1999), l’immersion mimétique porte à prendre une chose « comme » une autre chose, sur le fond de l’éventail des possibles. Ensuite, la « feintise ludique partagée » développe le « comme » en « comme si ». Ce dernier est signalé par des marqueurs spécifiques qui entraînent une « neutralisation » du « leurre mimétique pré-attentionnel ». Enfin, la modélisation analogique résout, d’une certaine manière, la tension créée à travers la production d’« isomorphismes de second degré » établissant une relation entre l’objet représenté (par exemple photographié) et l’objet perçu (plutôt qu’avec l’objet « réel »).

33 Si l’on veut poursuivre le débat à partir d’un autre cadre théorique, celui de l’interactionnisme, on peut se rappeler que Goffman ([1974] 1991, p. 52) entend par « mode » (key) un « ensemble de conventions par lequel une activité donnée, déjà pourvue d’un sens par l’application d’un cadre primaire, se transforme en une activité qui prend la première pour modèle mais que les participants considèrent comme sensiblement différente ». L’intéressant pour nous, c’est que le « réel » et l’« effectif » sont considérés comme « des catégories de nature hybride composées à la fois d’événements perçus dans un cadre primaire et d’événements transformés, identifiés comme tels par chacun » (Ibid., p. 56).

34 Voir aussi Badir (2020). Suite à Souriau, on pourra ajouter le désir, le souci, la crainte, l’espérance…

35 Nous n’abordons pas, ici, la délicate question de la vérité et de la véridiction. On sait, en revanche, combien les logiciens attachent d’importance aux degrés de véridiction. En sémiotique, on se reportera plus particulièrement à Fontanille (2020) pour la distinction entre des « mondes de vérité ».

36 Selon Le Gaffiot, « fictĭō, ōnis, f. (fingo) » se définit comme l’« action de façonner, façon, formation, création ». Au sens figuré, le lexème désigne l’« action de feindre, fiction ». Ainsi, la fiction relève d’abord de la fabrication, dont l’artifice peut constituer une propriété. Nous remercions Pierluigi Basso Fossali qui, à la lecture du présent article, nous a rendue attentive à ce glissement.

37 Cf. David Lapoujade (2017, p. 29) au sujet des microcosmes sourialiens comme « quasi-mondes ».

38 Fontanille et Couégnas rejoignent Souriau sur la volonté de se démarquer de la phénoménologie au sens strict, c’est-à-dire d’abandonner la dualité sujet connaissant — monde sensible objet de la connaissance.

39 En 2020, Fontanille (2020, pp. d 7-d 8) définit le monde de manière très large, par rapport à l’univers de sens : comme un « processus d’actualisation d’un univers de sens hétérogène, mais cohérent — au moins congruent —, un ensemble de manières de pratiquer la connaissance, la vérité, la subjectivité, l’espace et le temps, les relations à autrui, parmi bien d’autres composantes ».

40 Une telle proposition peut susciter des débats. Pour prolonger la réflexion dans une autre direction, on peut lire Schaeffer (2005, p. 25 et pp. 31-32), qui discute l’idée de la fictionnalité de toute représentation, avant de distinguer les représentations « à prétentions factuelles » des représentations « fictionnelles » et d’asseoir la fiction artistique sur le fond de la feintise ludique. On voit l’importance de la distinction entre le fictif et le fictionnel. Nous nous demandons si la feintise ludique — qui, selon Schaeffer, n’engage pas la problématique de la vérité référentielle — ne constitue pas une modalité parmi d’autres, qui pourrait entrer dans l’énonciation des « mondes » tels que les conçoit la sémiotique à la suite de Souriau et de Latour.

41 La perception relève-t-elle de l’énonciation, comme le propose Bordron (2011) ? Celle-ci est-elle à la base de la sémiosis ? Selon Fontanille ([1999] 2003, p. 269), l’« acte sémiotique en général, relève d’abord de la sensibilité proprioceptive » ; « dans cette perspective, les deux opérations élémentaires, la visée et la saisie, sont d’abord des opérations perceptives, avant d’être prises en charge par une énonciation qui déictise, localise, mesure et évalue ». Pour Greimas et Courtés (1979, p. 219), la sémiosis constitue un « acte sémiotique ».

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Correspondances entre les modalités et les modes d’existence.
Crédits (Fontanille [1999] 2003, p. 179)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/3554/img-1.png
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Titre Figure 2
Légende Correspondances entre les modalités et les modes d’existence.
Crédits (Fontanille et Zilberberg 1998, p. 190)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/3554/img-2.png
Fichier image/png, 52k
Titre Figure 3
Légende Le schéma pathémique
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/3554/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 26k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Marion Colas-Blaise, « Mode d’existence, modalité et modalisation : les apports de la sémiotique »Signata [En ligne], 13 | 2022, mis en ligne le 01 juin 2022, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/3554 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/signata.3554

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Auteur

Marion Colas-Blaise

Professeur émérite à l’Université du Luxembourg, Marion Colas-Blaise a publié seule ou en collaboration de nombreux ouvrages collectifs et articles en sémiotique littéraire et visuelle, en linguistique de l’énonciation, en stylistique, en pragmatique et en analyse des discours. L’accent est mis sur les notions d’énonciation et de ré-énonciation, de créativité et d’invention, en relation avec l’art, l’environnement naturel, les institutions et les collectifs. Elle codirige la revue de sémiotique Signata – Annales des sémiotiques. Annals of Semiotics et elle est dans le comité éditorial de la collection « Sigilla » (Presses de l’Université de Liège). Parmi ses publications récentes : Les Déictiques à l’épreuve des discours et des pratiques (codir. A. Biglari), Paris, Classiques Garnier, 2021 ; « Re- » : répétition et reproduction dans les arts et les médias (codir. G.M. Tore), Paris, Mimésis, 2021.
Courriel : marion.colas[at]uni.lu

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