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L’image scientifique entre expérimentation et vulgarisation

Quel est l’apport de la sémiotique visuelle à la réflexion sur « l’objectivité » des images scientifiques ?

What is the contribution of visual semiotics to reflection on "objectivity" of scientific images?
Catherine Allamel-Raffin

Résumés

Les images produites par les chercheurs dans leurs laboratoires ou par les illustrateurs sur des supports divers doivent satisfaire un certain nombre d’exigences en vue d’être intégrées dans les publications scientifiques. Au premier chef, on trouve celle d’être considérées comme « objectives ». Mais qu’entend-on par-là ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, la méta-norme que constitue l’objectivité est souvent assez mal définie. Ma contribution à la réflexion sur ce point se déclinera de la manière suivante : dans un premier temps, je tenterai de déterminer quelles sont les modalités objectivantes qui conditionnent la présence des images au sein des publications scientifiques. Dans un second temps, je m'attacherai à montrer comment la sémiotique visuelle permet de fournir un éclairage irremplaçable quant aux procédures à l’œuvre dans la production des images qui satisfont le réquisit de l’objectivité. L’ensemble de mon analyse reposera sur des données empiriques collectées au cours d’enquêtes de terrain déterminées. Celles-ci ont eu pour cadre différents domaines : la physique des surfaces et la chirurgie.

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Texte intégral

  • 1 Je me concentrerai sur les travaux de Groupe µ. Cela ne signifie en aucune manière que d’autres cad (...)

1Les images produites par les chercheurs dans leurs laboratoires ou par les illustrateurs sur des supports divers doivent satisfaire un certain nombre d’exigences en vue d’être intégrées dans les publications scientifiques. Au premier chef, on trouve celle d’être considérées comme « objectives ». Mais qu’entend-on par-là ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, la méta-norme que constitue l’objectivité n’a pas de définition rigoureusement circonscrite. Ma contribution à la réflexion sur ce point se déclinera de la manière suivante : dans un premier temps, je proposerai une réflexion portant sur les concepts d’objectivité et de subjectivité dans les sciences, en tentant notamment de déterminer quelles sont les modalités objectivantes qui conditionnent la présence des images au sein des publications scientifiques. Dans un deuxième temps, je distinguerai deux perspectives que l’analyste est susceptible d’adopter dès lors qu’il s’intéresse à la production et aux fonctions des images dans un contexte scientifique. La première de ces perspectives est génétique : comment l’image est-elle produite ? La seconde est téléologique : en vue de quelles finalités l’image est-elle produite ? À la lumière de cette distinction, je présenterai une typologie des images produites dans les sciences, en adoptant la perspective génétique. Enfin, je m‘attacherai à montrer sommairement comment la sémiotique visuelle1 permet de fournir un éclairage irremplaçable quant aux procédures à l’œuvre dans la production des images qui satisfont le réquisit de l’objectivité.

  • 2 Pour mener à bien ces études, je réalise depuis 2000 des études ethnographiques, en séjournant pend (...)

2L’ensemble de mon analyse reposera sur les données empiriques collectées au cours d’enquêtes de terrain déterminées2. Pour des raisons pratiques, je restreindrai le champ de mes exemples aux images réalisées en physique des surfaces et aux illustrations chirurgicales.

1. L’objectivité et la subjectivité en science

3L’objectivité constitue une des normes épistémiques en vigueur au sein des sciences, dont les réquisits se sont grandement affinés depuis la Révolution scientifique du xviie siècle. Ainsi, il est commun aujourd’hui d’affirmer que les sciences visent à produire des connaissances objectives, que celles-ci se présentent sous forme textuelle ou sous forme d’images. Pour ma part, je m’en tiendrai à ces dernières dans la suite de mon propos : chacun, en tant que lecteur de revues scientifiques ou de revues de vulgarisation, a pu constater que les images sont largement utilisées par toutes les sciences ou presque, et peut donc subodorer que si elles figurent dans l’état final des publications, c’est parce que, d’une manière ou d’une autre, elles satisfont au moins jusqu’à un certain point la méta-norme constituée par l’objectivité, aux yeux des chercheurs qui les ont réalisées.

4Or il y a là malgré tout comme un paradoxe apparent : l’objectivité scientifique demeure en effet un concept dont la définition se révèle très difficile à établir, que l’entreprise définitoire soit assumée par les philosophes ou par les scientifiques eux-mêmes. Qu’entend-on par objectivité ? L’objectivité est certes opposée traditionnellement à la subjectivité, mais les définitions des deux termes sont probablement asymétriques, ce qui ne simplifie pas la tâche pour qui souhaite les définir.

5Il est malgré tout possible, sur la base d’une recension des emplois des termes « objectivité » et « objectif » de parvenir, non pas à la constitution d’un ensemble de traits définitoires fonctionnant comme des conditions nécessaires et suffisantes, mais à la détermination d’une liste de « modalités objectivantes ». Ces dernières n’ont pas à être toutes simultanément présentes dans le cadre de l’attribution du label « objectivité » à une activité ou à un résultat ou à un produit. Chaque discipline scientifique développe son propre « dosage » en ce qui concerne les modalités objectivantes. Ce faisant, elle doit dans le même temps considérer comme acceptables, dans une certaine mesure, des déterminations subjectives qu’elle ne saurait éliminer totalement. Ceci vaut non seulement pour les illustrations en chirurgie, mais tout autant pour les sciences de la nature telles que la physique des surfaces.

6D’une telle définition de l’objectivité, relative à chaque discipline scientifique et associée à l’idée d’une part irréductible de subjectivité, on ne peut que tirer la conclusion qu’il n’existe pas d’objectivité absolue dans les sciences. Une vision gradualiste de ce type correspond à l’objectivité méthodologique, observable in concreto dans les laboratoires, et s’incarnant dans des pratiques : celle-ci est une affaire de plus et de moins, plutôt qu’une affaire de tout ou rien.

  • 3 La liste proposée ici est ouverte. Elle est conçue en prenant pour matériau de base les travaux men (...)

7Au sein de l’ensemble des sciences, j’ai identifié les modalités objectivantes suivantes3 : la formalisation, la mécanisation, l’indiciarité, la manipulabilité, l’interconnexion et l’auto-objectivation du sujet connaissant.

1.1. La formalisation

8Celle-ci renvoie à un ensemble d’opérations cognitives, celles qui consistent, dans les sciences de la nature plus qu’ailleurs, à « ne retenir que certains aspects, fixés au moins provisoirement, des objets du domaine, en faisant abstraction de leur identité, de leur “essence” ou plus simplement de leurs autres propriétés éventuelles » (Andler 2002, p. 1106). La formalisation va de pair avec plusieurs options : la délimitation d’un domaine d’objet propre, le recours à un langage (en particulier celui des mathématiques) ; en lien avec ce dernier, la soumission des phénomènes à une codification plus ou moins stricte qui leur ôte leur singularité et permet la détermination d’invariants « transportables », et donc universellement accessibles. Dans les faits, la formalisation revêt des expressions diverses : d’une très forte mathématisation en physique théorique, à la mise en place de lexiques spécifiques ou de codes représentationnels dans d’autres disciplines. Comme nous le verrons, l’usage des couleurs, par exemple, constitue l’occasion de développer un type de code représentationnel, massivement utilisé en science, dans le cadre de la formalisation.

1.2. La mécanisation

  • 4 Les termes « instrument » et « technique instrumentale »sont pris ici au sens large. Les statistiqu (...)

9Cette autre condition de l’objectivation est constituée par les instruments, autrement dit par un « résidu non formel » (Agazzi 1978, p. 23) inéliminable. Ce « résidu », dont la matérialité se révèle irréductible à l’analyse formelle, n’inclut pas seulement l’instrument, mais tous les constituants d’une « technologie » précisément « matérielle » : ce que l’instrument présuppose, à savoir l’existence de techniques instrumentales et d’opérateurs (dont le statut a évolué, du moins en apparence, depuis le xviie siècle), et ce que l’instrument rend possible (atteindre des finalités déterminées dans le cadre du travail expérimental). Chaque science dispose ainsi d’instruments et de techniques instrumentales4 dont on espère qu’ils permettent de produire des résultats impersonnels, conservant le moins possible les marques de la subjectivité des opérateurs ayant œuvré à la collecte des données.

1.3. L’indiciarité

10Comme on le sait, celui qui a attiré l’attention sur l’indice est Charles Sanders Peirce. Sont des indices l’empreinte de pas, la fumée pour le feu, les vestiges, l’intonation verbale, une relique, etc. (Bougnoux 2001, p. 183). Un indice est une représentation d’un objet nécessairement causée par la présence effective de cet objet. L’indiciarité renvoie ainsi aux traces, aux marques qui permettent d’affirmer l’existence des entités ou des processus étudiés avec lesquels ils entretiennent une relation de dépendance causale.

1.4. La manipulabilité

11Dans certaines sciences, les chercheurs peuvent intervenir sur leurs objets d’étude, manipuler les entités sur lesquelles ils travaillent, les purifiant, les raffinant, les conformant à leurs finalités du moment.

1.5. L’interconnexion

  • 5 Voir sur ce point Allamel-Raffin (2005).
  • 6 La littérature sur ce point est devenue abondante ces dernières années. Voir Soler (2012).

12En cas de doute quant à la fiabilité de son interprétation des résultats, le scientifique peut faire appel à des collègues : c’est l’intersubjectivité, qui consiste, pour un ensemble donné et non limité de sujets connaissants X1, X2, X3… Xn, à s’accorder sur la représentation de l’objet Y. Le scientifique peut également recourir à l’interinstrumentalité5, démarche où l’on se propose de multiplier les voies d’accès à l’objet Y. Plus précisément, on vise à obtenir des représentations R1, R2, R3… Rn d’Y au moyen d’instruments différents I1, I2, I3… In. Le constat de l’invariance de Y sous ses multiples descriptions autorise à affirmer que Y existe, ou du moins, renforce la conviction que les données empiriques obtenues n’aboutissent pas à la mauvaise identification de ce qui n’est en réalité qu’un simple artefact. Plus généralement, en science, on cherche à multiplier les voies d’accès, en recourant par exemple à différentes stratégies expérimentales, en vue d’obtenir des données convergeant vers un même résultat ou vers un même ensemble de résultats. On le voit, l’interconnexion n’est pas réductible à l’interaction entre un X et un Y, mais suppose que l’on entrecroise un ensemble de X ou de I en référence à un Y donné, afin de renforcer un faisceau d’éléments de preuve6.

1.6. L’auto-objectivation du sujet connaissant

13Les sciences ont développé, au fil des siècles, tout un ensemble de procédures (détachement émotionnel, évaluation de l’impact des traits idiosyncrasiques sur les résultats obtenus, etc.) visant pour le sujet connaissant à prendre conscience de ses déterminations subjectives et à saisir les effets qu’elles produisent sur la représentation de l’objet d’étude.

14Le passage en revue de ces modalités objectivantes se révèle en soi insuffisant si l’on ne prend pas la peine de préciser ce qu’il en est de la subjectivité, dont j’ai déjà suggéré qu’elle n’était pas un simple antonyme ou une figure inversée de l’objectivité. Comme l’a souligné le sociologue des sciences Steven Shapin (2001), la subjectivité constitue un point aveugle, un Doppelgänger, un « jumeau diabolique » de l’objectivité. Elle n’a suscité pour l’essentiel que le dédain des philosophes des sciences. Mais les sociologues eux-mêmes, pourtant plus soucieux d’en saisir les manifestations dans les pratiques et les résultats scientifiques, ont omis de la définir précisément.

15Pour ma part, je la caractériserai de manière très générale de la manière suivante. La subjectivité se traduit par :

  • le recours inévitable à une perspective située (dans le cadre de la production et de l’exploitation des images scientifiques, mais plus largement dans toute activité scientifique) ;

  • la possibilité d’opérer des choix (les scientifiques et les illustrateurs ont constamment à prendre des décisions dans le cadre de la réalisation des images) ;

  • une liste potentiellement infinie de déterminations subjectives (les types d’intelligence ou d’habileté mobilisés, les goûts et préférences individuelles de chaque chercheur, etc.).

16Ainsi, même si comme le souligne le Groupe µ, la « description classique de l’activité scientifique tend (…) à mettre le sujet entre parenthèses », forclusion qui se présente comme une « véritable loi » (Groupe µ 2015, p. 159), le sujet reste néanmoins irréductiblement présent dans le processus d’élaboration du savoir et en particulier dans celui qui aboutit à la production d’images scientifiques. Restent à préciser les perspectives à partir desquelles l’analyste peut rendre compte à la fois de la nature et de la spécificité de ces images, et des procédures qui ont permis de les réaliser.

2. Perspective génétique, perspective téléologique et objectivité

17Pour satisfaire la demande formulée dans la phrase précédente, je ferai d’abord référence à une formule du philosophe des sciences américain Ronald Giere. À propos de l’ensemble des types de représentations envisageables dans les sciences (images, mais également équations, modèles, etc.), celui-ci affirme : « S utilise X pour représenter W avec les finalités F. » (2006, p. 60, trad. personnelle). L’accent est mis ici sur deux points – l’utilisation du moyen X en vue de représenter W et l’existence de finalités F qui vont contraindre en une direction déterminée la représentation – que l’on retrouve, spécifiés différemment dans ces propos du Groupe µ :

La dernière phase de la production de l’image scientifique (…) est celle de l’intervention du sujet, une intervention qui présente plusieurs aspects. De première part, elle consiste en une réception du signal produit par l’appareillage ; de l’autre elle comporte l’émission d’un second message, qui est la communication d’une interprétation. Or cette communication a une forme fatalement rhétorique : l’élaboration d’une interprétation scientifique est toujours destinée à une communauté de récepteurs. (Ibid., p. 158.)

18Ce que je retirerai ici de la lecture de Giere et du Groupe µ, c’est qu’il est toujours possible de s’intéresser à la production des images scientifiques en adoptant deux perspectives :

  • une perspective génétique (comment est produite l’image, avec quelles contraintes imposées par l’objet d’étude et le dispositif imageant ?). Un chercheur qui s’intéresse à l’étude des images scientifiques en adoptant cette perspective devra se pencher sur les contraintes liées à la détectabilité. Ces contraintes constituent une éminente source de problèmes dans les sciences de la nature : produire une « bonne image » peut en effet nécessiter plusieurs mois de travail dans une discipline comme la physique des surfaces.

  • une perspective téléologique (dans quel but l’image a-t-elle été produite ? Et dès lors, quelle est la meilleure forme de représentation pour atteindre un tel but ?). Les finalités sont variées et diffèrent selon les disciplines : en physique des surfaces, les chercheurs souhaitent souvent obtenir grâce à leurs images des informations pour valider ou infirmer des théories physiques. En chirurgie, il s’agit de donner avant toutes les informations nécessaires afin de reproduire un geste chirurgical. La perspective téléologique nous amène donc à nous intéresser aux contraintes liées à la lisibilité : comment aboutir à la meilleure visualisation possible pour des modalités sensorielles et pour un entendement humain en fonction des finalités scientifiques visées ? Tout autant que les contraintes liées à la détectabilité et la réception du signal, les contraintes rhétoriques liées à la lisibilité gouvernent en partie les choix en matière de réalisation d’images.

19Vouloir comprendre ce qui est en jeu avec une méta-norme telle que l’objectivité suppose donc qu’on l’aborde en sachant quelle perspective, génétique ou téléologique, on privilégie à tel moment de l’analyse. Cela se révèle indispensable afin de cerner précisément quelles sont les stratégies mises en place afin d’obtenir les images les plus objectives possibles. Pour cela, il convient bien évidemment de se pencher sur la phase de production des images afin de déterminer comment les scientifiques s’y prennent pour leur attribuer une certaine valeur épistémique (perspective génétique). Il faut également étudier comment, en fonction des finalités qu’ils visent, les scientifiques garantissent que les informations contenues dans une image ne sont pas distordues par les stratégies elles-mêmes, mises en œuvre afin d’atteindre les finalités visées (perspective téléologique).

20L’utilité des travaux de sémiotique visuelle du Groupe µ apparaît aussi bien lorsqu’on aborde les images d’un point de vue génétique que d’un point de vue téléologique. Avant d’argumenter en faveur de cette proposition, je vais présenter brièvement une classification des images qui se révélera opératoire pour l’analyse qui suivra.

3. Quelques rappels relatifs à une typologie des images scientifiques dans une perspective génétique

  • 7 Je n’évoquerai ici que les images sources et les images retraitées.

21Dans mes travaux antérieurs (Allamel-Raffin, 2004, 2009), sur la base d’observations ethnographiques réalisées dans des laboratoires de physique des surfaces, d’astrophysique et de pharmacologie, j’ai proposé une première typologie, dans laquelle je distinguais trois types d’images : les images sources, les images retraitées et les images de synthèse7. Ces types sont tout à fait transposables au sein de mes champs d’investigation plus récents, à savoir la chirurgie et l’archéologie, comme nous le verrons plus loin.

3. 1. L’image source

22L’image source a la primauté d’un point de vue génétique : elle est la première dans l’ordre chronologique de production des images.

23En physique des surfaces : l’image résulte de l’interaction entre trois éléments : l’objet (l’échantillon), la source de rayonnement (photons, électrons, etc.) et le dispositif « imageant ».

Fig. 1

Fig. 1

Images sources Fabrice Scheurer. / DSI.

24Dans la figure 1, on trouve quatre images sources. Celles-ci représentent des dépôts d’alliage de cobalt et de palladium sur un substrat d’or. Les quatre images sources (a), (b), (c) et (d) correspondent à des compositions d’alliage à chaque fois différentes (par exemple en (a), l’alliage est composé à 20 % de cobalt et 80 % de palladium).

25Les couleurs choisies, ici, ne correspondent aucunement à une qualité sensible de ce qui est représenté, susceptible, à ce titre, d’être perçue par un œil humain. En toute rigueur, le physicien des surfaces a donc la possibilité d’exploiter d’autres gammes de couleur. La contrainte représentationnelle à laquelle il doit cependant se soumettre est de privilégier les gammes qui, selon lui, permettent de visualiser au mieux l’information pertinente. Il y a bien ici un choix à effectuer, relativement à une opération de formalisation – en l’occurrence un choix de codification qui peut, s’il est mal fait, nuire à la bonne compréhension des informations par le lecteur. La modalité objectivante que constitue la formalisation, dans ce contexte, ne supprime donc pas toute manifestation possible de subjectivité, mais tout au contraire, en impose une au chercheur, que celui-ci ne peut déléguer à un instrument ou à une méthode de calcul.

26Qu’en est-il dans le domaine de la chirurgie ? L’image source peut y revêtir deux formes :

27a) L’image source peut provenir du chirurgien lui-même qui envoie un film vidéo ou des photographies de différentes phases de son intervention à l’illustrateur.

28Prenons un exemple :

Fig. 2

Fig. 2

Image source de type photographique. Vue d’une partie du rein au cours d’une opération laparoscopique. Catherine Cers-IRCAD

29On peut aisément repérer les choix effectués ici par le producteur de l’image : il faut qu’il retienne l’angle de vue qui lui semble le plus pertinent pour faire comprendre à un autre chirurgien les gestes à reproduire. Les solutions retenues quant à ces choix nécessaires varient bien évidemment d’un chirurgien à l’autre.

30b) L’image source peut également consister en une esquisse ou en un croquis parfois très schématiques réalisés par l’illustrateur sur papier ou sur tablette graphique.

31Dans ce cas, l’illustrateur travaille directement à partir de situations réelles : il se rend en salle d’opération afin d’y réaliser ses esquisses. Dans ce cas, nous avons affaire à des images sources de type esquisse.

32Prenons un exemple :

Fig. 3

Fig. 3

Image source de type esquisse : première esquisse réalisée sur une tablette graphique d’un estomac que l’on va amputer afin de traiter une obésité morbide/ Catherine Cers-IRCAD

33Ici, l’illustratrice a choisi de ne pas représenter l’estomac en vue opératoire (bien qu’elle ait assisté à l’opération chirurgicale), mais a privilégié une vue anatomique classique. Celle-ci, en tant que telle, est rigoureusement codifiée dans le domaine de l’anatomie.

3.2. L’image retraitée

34L’image retraitée est obtenue à partir de l’image source. Dans les sciences de la nature telles que la physique des surfaces, on peut ainsi obtenir des courbes, des images filtrées ou d’autres images (avec ajout de couleurs ou superposition de plusieurs images, etc.).

Fig. 4

Fig. 4

Images sources et retraitée Fabrice Scheurer. / DSI

35La courbe figurant sous l’image correspond au relief observé le long de la ligne virtuelle tracée sur l’image (c) : cette courbe constitue l’image retraitée. Elle délivre des informations beaucoup plus précises relativement à la topographie. Cela dit, le producteur d’image retraitée, ici le chercheur, doit effectuer des choix :

  • tout d’abord, l’emplacement de la ligne virtuelle sur la micrographie. Dans le cas présent, s’il souhaite mettre en évidence un phénomène de formation de marches atomiques, il aura tendance à choisir un emplacement où celui-ci est manifestement présent. Les critiques des relecteurs portent fréquemment sur de tels choix : qu’est-ce qui garantit que ce qui est montré vaut pour l’ensemble de l’échantillon ? Ces critiques sont classiques en physique des surfaces.

  • d’autre part, l’échelle retenue pour la courbe va influer directement sur la perception du phénomène visualisé. Avec une échelle moins précise, on aurait ici l’impression que l’échantillon est plat.

36On le voit, dans la réalisation de telles images, et malgré le respect des modalités objectivantes (formalisation, mécanisation, indiciarité, manipulabilité, interconnexion et auto-objectivation du sujet connaissant), il reste toujours des choix personnels à effectuer, qui pour certains, touchent à la formalisation, et qui doivent à ce titre se conformer aux us et coutumes de la discipline considérée.

37Dans le cas de la chirurgie, plusieurs cas de figure vont se présenter :

38a) L’image retraitée est réalisée à partir d’une image source de type photographique avec enrichissement informationnel de cette dernière. Dans ce cas, l’image retraitée peut consister en un enrichissement de l’image source à l’aide d’une surimposition de codes anatomiques. Cette surimposition de codes va enrichir l’image source et la rendre plus lisible.

Fig. 5

Fig. 5

Image retraitée constituée à partir d’une image source de type photographique : Les informations codées ont été surimposées à l’image source de type photographique. Vue d’une partie du rein en opération laparoscopique. Catherine Cers-IRCAD

39Ici, la couleur bleue est utilisée pour mettre davantage en relief la veine surrénale, et la couleur jaune pour mieux identifier la glande surrénale. Ce type d’image retraitée porte un nom en chirurgie : il s’agit d’une illustration « en réalité augmentée ». L’illustratrice a choisi de bien mettre en évidence par des couleurs, deux éléments (veine et glande surrénales) qui lui paraissent très importants pour la conduite de l’opération et qui n’étaient pas clairement visibles dans l’image source. D’autres illustrateurs auraient pu estimer, par exemple, qu’il n’était pas utile de mettre en avant ainsi la veine surrénale, tout chirurgien sachant qu’elle est présente à cet endroit. C’est donc un choix personnel qui devra être validé par le chirurgien. Cela dit, une fois cette validation acquise, la concrétisation graphique doit respecter les codes couramment utilisés en anatomie : les veines sont en bleu.

40b) L’image retraitée est réalisée à partir d’une image source de type photographique avec appauvrissement informationnel de cette dernière. Dans ce second cas, nous avons également une image source de type photographique, mais selon l’objectif visé, l’illustrateur peut choisir, non pas d’enrichir l’image source, mais de l’appauvrir en ne retenant que les éléments pertinents.

41Prenons un exemple :

Fig. 6

Fig. 6

(a) Image en haut à gauche : image source de type photographique
(b) Image retraitée : illustration produite à partir de l’image source / Yvan Freund-Medical art &Communication

42Le champ de recherche concerné ici est celui de la chirurgie viscérale du rat. L’objectif de l’ouvrage (Aprahamian M. & Freund Y., 2004) dont sont tirées ces deux images est de former à la dissection du rat, des chercheurs qui n’ont pas de formation médicale, mais qui ont néanmoins à accomplir une telle activité dans le cadre de leurs travaux de recherche. L’image source de type photographique, placée en haut à gauche, représente l’abdomen d’un rat disséqué : on peut y distinguer, entre autres, le foie, le colon droit, le cæcum et l’intestin grêle. Ces organes sont dotés d’une certaine mobilité dans l’abdomen et l’illustrateur cherche ici avant tout à simplifier afin de rendre plus claire leur identification et à les placer dans une position au sein de l’abdomen qui facilite cette identification. On voit par exemple sur cette illustration que le colon droit est recentré par rapport à sa position sur l’image photographique et que certains éléments, comme la graisse et le sang, n’y figurent plus.

43L’illustrateur, bien qu’il ait appauvri l’image source, a néanmoins estimé qu’il fallait préserver la dimension réaliste de son illustration : le livre doit servir lors de dissections en étant par exemple posé ouvert sur la table, à côté de l’animal disséqué, afin que le chercheur puisse repérer facilement les différents organes.

44Dans quelle mesure la simplification et le repositionnement des organes sont-ils utiles ? Certains illustrateurs pourraient estimer que la seule reproduction de la photographie serait suffisante en l’occurrence. Ces choix sont discutés avec le chirurgien qui coordonne l’ouvrage, puis validés le cas échéant. Ainsi, dans ce cas de figure comme dans les précédents, des décisions restent à prendre, en dépit du degré élevé de formalisation et de mécanisation à l’œuvre.

45c) Les images retraitées créées à partir d’une image source de type esquisse.

46Ici, l’illustrateur ne va pas travailler à partir d’images photographiques ou vidéographiques, mais à partir de la situation observée directement en salle d’opération. Dans ce cas, l’image source qui est la première esquisse va être enrichie au moyen de différents codes, en particulier ceux qui se rapportent aux couleurs, afin de mettre en relief les informations essentielles.

47Prenons un exemple :

Fig. 7

Fig. 7

Images retraitées créées à partir de l’image source de type esquisse
(a) L’illustratrice a produit deux images retraitées.
(b) Image retraitée intermédiaire (on note l’apparition d’éléments d’un code visuel, en l’occurrence les pointillés pour signifier une incision).
(c) Image retraitée finale (tous les codes sont désormais en place). Catherine Cers-IRCAD

48Dans tous les domaines, et dans les exemples pris ici en physique des surfaces et en chirurgie, l’image source se révèle insuffisante quant aux informations qu’elle délivre (en matière de détectabilité et de lisibilité, selon les cas). Elle doit donc être soit enrichie, soit appauvrie afin d’améliorer sa qualité informative. Quel que soit le domaine considéré, on passe de l’image source à l’image retraitée en recourant massivement aux codes visuels en vigueur dans le domaine retenu. Une certaine liberté de choix est laissée au producteur d’image, notamment au moment de la production de l’image retraitée, choix qui renvoient fréquemment à la modalité objectivante constituée par la formalisation. C’est sur ce point que la sémiotique visuelle du Groupe µ va constituer une ressource analytique féconde.

4. L’apport du Groupe µ

4.1. Premier apport de la sémiotique visuelle : construction d’un Univers sémantique commun et lecture d’image

49La notion de signe plastique proposée par le Groupe µ est un outil fécond pour analyser les activités de lecture d’image, le terme de lecture étant pris ici dans le même sens que celui de lecture d’un texte. Ce dernier est dit lisible lorsqu’on est capable de constituer des unités de sens à partir d’unités élémentaires pour aboutir en définitive au sens du texte dans sa globalité. C’est la construction du sens par le lecteur. Dans le cas des images scientifiques au sens large, cela suppose donc l’existence préalable d’un univers sémantique commun. Cette lecture d’une image passe chez le Groupe µ par l’agencement de trois caractères propres à l’image : les couleurs, les formes et les textures. En physique de surfaces, cette lecture d’image est bien souvent extrêmement problématique. La manière de regrouper couleurs, formes et textures varie d’un scientifique à l’autre, ce qui fait que bien souvent apparaissent des désaccords quant au sens à conférer à une image donnée. Ces désaccords ont pour arrière-plan une multitude de savoirs explicites ou tacites différents. En outre, ces séances de lecture d’image donnent lieu bien souvent à la création de néologismes et contribuent à l’enrichissement du lexique. Ces lectures d’images se font bien souvent à travers de longues séances d’échanges entre scientifiques autour d’un microscope. Dans mes travaux antérieurs (Allamel-Raffin 2011), analysant les échanges des physiciens de surfaces, j’ai pu montrer à l’aide des notions de couleur, de forme et de texture, comment émergeait peu à peu un univers sémantique commun.

50Les couleurs, les formes et les textures sont produites via des instruments produisant des images (donc via des logiciels permettant de transformer une information physique en information visuelle), et elles permettent aux scientifiques, en les regroupant ou en les dissociant, d’identifier des qualités réifiées, qui deviendront des objets et permettront de constituer des encyclopédies personnelles ou collectives. Cela dit, bien que couleurs, formes et textures soient produites via des interactions physiques et qu’elles soient présentées sous une forme visuelle grâce à des logiciels (elles sont donc codées), rien ne dit de prime abord que ces couleurs, ces formes ou ces textures constituent le résultat d’une interaction physique pertinente pour une étude donnée, plutôt que la visualisation d’un artefact indésirable, d’un bruit, ou encore d’un problème de fonctionnement d’un logiciel. Et c’est bien là la difficulté… Repérer, en associant et en dissociant des formes, des couleurs et des textures, ce qui relève de l’information physique pertinente de ce qui n’en relève pas, se révèle à chaque fois une gageure. Ainsi, le sens d’une image source en physique des surfaces n’a rien d’un donné, mais résulte d’une activité d’élaboration du sens à partir d’une interprétation des données obtenues au moyen d’opérations instrumentales complexes. En tant que tel, ce sens reste toujours ouvert à des réinterprétations ultérieures.

51Il en va tout autrement dans les disciplines qui recourent à l’illustration scientifique. Pour des raisons évidentes (l’échelle macroscopique des phénomènes étudiés), couleurs, formes et textures sont clairement définies en amont de la production de toute illustration. Du coup, cette phase de construction du sens d’une illustration n’a rien de problématique, puisque concepteur de l’image et lecteur possèdent un code commun préétabli. L’univers sémantique n’est pas à bâtir dans ce cas-là, il existe déjà. Les travaux du Groupe µ permettent de bien mettre en avant une différence importante entre les pratiques de lecture d’images scientifiques dans différentes disciplines (ici, la physique des surfaces d’une part et la chirurgie, d’autre part). Dans certains domaines, la lecture d’image est extrêmement problématique et constitue un enjeu crucial, dans d’autres non. Mais quoi qu’il en soit, une fois publiées, ces images doivent avoir répondu aux réquisits de l’objectivité. Ce type d’analyse ne peut que nous inciter à développer une vision plurielle des différentes pratiques scientifiques.

4.2. Second apport du la sémiotique du Groupe µ : une compréhension des processus de formalisation de l’image scientifique

52Étudions maintenant le passage des images sources aux images retraitées. J’aborde ici la lecture d’image sous un autre angle. Reprenons l’analogie avec la lecture d’un texte. Un texte est également dit lisible quand son agencement sur son support matériel est tel qu’il facilite la lecture. Il s’agit des artifices de mise en page : positionnement des paragraphes, titres, caractères italiques ou gras, signes de ponctuation, etc. Le degré de lisibilité dépend des opérations de traitement matériel appliqué au support. C’est ici que le concept de signe iconique va se révéler utile. « Le signe iconique possède certains caractères du référent, conformément à la définition classique (…) Il possède aussi certains caractères ne provenant pas du modèle, mais du producteur d’image. » (Groupe µ, 1992, p. 133).

53Dans ce cadre, le Groupe µ propose une classification des transformations effectuées intentionnellement par le producteur d’images. Ces transformations sont de quatre types :

  • géométrique (les projections, les homothéties, les transformations topologiques) ;

  • analytique (reposant sur l’algèbre : la discrétisation, par exemple) ;

  • optique (amélioration de contraste, rajout de couleurs) ;

  • cinétique, prenant en compte, selon la formulation de Jean-Marie Klinkenberg (2000, p. 394-396), « les positions respectives de l’émetteur ou du spectateur d’une part, du produit élaboré ou stimulus d’autre part, et leurs déplacements respectifs ».

54Ce concept de signe iconique et les concepts qui lui sont associés offrent un outillage précieux pour qui souhaite décrire précisément tous les types de traitements d’images dans les sciences de la nature (nombreux, en particulier en astrophysique) permettant de passer de l’image source à l’image retraitée. La définition du signe iconique met en relief le fait que le producteur de l’image se livre à des choix, d’où une irréductible part de subjectivité.

  • 8 Les amendements apportés à la définition du référent par le Groupe µ sont à mettre en relation avec (...)

55« (…) le signe iconique possède certains caractères du référent, conformément à la définition classique (qui va être amendée de la manière qu’on va voir)8. Mais corrélativement, il possède aussi certains caractères ne provenant pas du modèle mais du producteur d’image. (…) Le signe iconique est donc un signe médiateur à double fonction de renvoi : au modèle du signe et au producteur du signe. » (Groupe µ, 1992, p. 133).

56Le sujet producteur d’images, du fait même qu’il se livre à des opérations de transformation, est confronté à des alternatives : quelles décisions prendre en ce qui concerne les transformations et les paramètres qu’elles amènent à faire varier dans le cadre de la réalisation d’une image retraitée, notamment ?

57Dans les sciences de la nature, le traitement d’images vise essentiellement à appauvrir les images sources, trop chargées d’informations, en éliminant les artefacts indésirables et les bruits et/ou en mettant en valeur les informations pertinentes. Les transformations mobilisées sont des transformations optiques, analytiques et géométriques.

58Prenons un exemple de transformation optique en physique des surfaces. Le scientifique va chercher à rendre plus perceptibles les différences de phénomènes physiques sur des images produites à l’aide d’un microscope à effet tunnel. En l’occurrence, l’image permet de représenter l’intensité du courant à la surface d’un film d’aluminium oxydé par technique plasma. En effet, si les gammes de gris présentent l’intérêt d’offrir une grande précision pour une mesure éventuelle, elles sont parfois trop précises pour être synthétiquement parlantes. Le chercheur a fait le choix d’une gamme de couleurs fortement contrastées afin de mieux percevoir un phénomène, une forte intensité de courant (en rouge) toujours corrélée avec une intensité moindre (en vert), et non pas avec une intensité nulle (en bleu). Pour vérifier que cette association de couleurs n’est pas un artefact dû à la colorisation, il a dénombré en recourant à l’ordinateur les pixels correspondant aux différents points et zones colorisés, et a ensuite réparti ce nombre de pixels de manière aléatoire sur une surface équivalente à celle de départ. Il s’agissait de montrer que l’image colorisée obtenue n’était pas l’effet du hasard. Les trois couleurs fortement contrastées rendent l’image immédiatement parlante.

59Le rôle des transformations en illustration scientifique va être tout autre. Il s’agit parfois d’appauvrir une image source comme dans l’exemple précité, mais le plus souvent, la visée est plutôt d’enrichir l’image source afin de lui permettre d’entrer dans l’univers codifié propre à la discipline concernée. La visée est avant tout d’expliciter les choix de contenu des illustrations scientifiques. Sur un dessin, tout est motivé et cette explicitation passe essentiellement par le recours à des codes. Les transformations au sens du Groupe µ utilisées en illustration scientifique sont : les transformations géométriques, optiques et cinétiques.

60Pour illustrer mon propos, je vais prendre le cas d’une transformation géométrique.

Transformations géométriques

61Le Groupe µ souligne dans son Traité du signe visuel le fait que les transformations géométriques ne sont « qu’une partie simple et banale de l’ensemble des opérations qui mènent au signe iconique » (Groupe µ, 1992, p. 156). En effet, le recours à la géométrie se révèle inévitable dans la mesure où comme le suggérait déjà René Thom, l’image et le modèle sont nécessairement des formes étendues dans l’espace. L’enjeu, dès lors, est de parvenir à rendre compte de l’ensemble des opérations productives fondées sur des conventions, qui aboutissent à ces transformations.

62Le rôle des conventions est ici essentiel. Les transformations qui visent à établir un angle de vue codifié relèvent toutes des transformations géométriques, et dans le cas déterminé de l’objet d’étude du présent article, concernent aussi bien les images sources que les images retraitées.

63Ces transformations géométriques peuvent tout d’abord intervenir au moment même de la production de l’image source. Par exemple, pour réaliser l’image source dans le cadre de la chirurgie visant à traiter l’obésité morbide, l’illustratrice a choisi de représenter l’estomac en position anatomique (voir plus haut la figure 3). Une telle transformation géométrique appartient à la catégorie des projections. Celles-ci peuvent être polaires, planes, cylindriques, sphériques, etc. En l’occurrence, dans le cas de l’illustration qui nous intéresse, le caractère projectif de la transformation est tout d’abord sensible dans le fait qu’un objet tridimensionnel (l’estomac) est présenté sur une surface plane.

64Lors de la réalisation, l’illustratrice prend donc en compte des projections codées qui permettent de représenter cet organe en position anatomique.

65Prenons également un exemple portant cette fois sur une image retraitée. Il s’agit d’une illustration produite dans le cadre d’une ablation de la vessie et de la prostate.

Fig. 8

Fig. 8

(a) Vue d’ensemble de la vessie en partie disséquée
(b) agrandissement d’une partie de la vessie
Yvan Freund/ Medical art& Communication

66Sur (a), l’illustrateur propose une vue d’ensemble de la vessie partiellement disséquée avant ablation, qui suppose ici encore une transformation par projection. Celle-ci a pour fonction de permettre au chirurgien de disposer de repères lors de l’opération. Lors de l’ablation de la vessie, il faut couper uniquement les vaisseaux qui vascularisent la vessie, la prostate et les vésicules séminales, qui se trouvent sur l’image agrandie (b). L’artère obturatrice, qui se destine à d’autres structures, doit, elle, être conservée.

67L’agrandissement ainsi obtenu est une homothétie. Un tel type de transformation conserve certaines propriétés du modèle, mais non les longueurs, ni l’orientation. Elle rend compte « de l’idée selon laquelle la maquette d’un immeuble peut être un signe iconique de celui-ci. On peut également citer l’agrandissement ou la réduction, que ces transformations soient photographiques ou autres. » (Ibid., p. 160). Dans le cadre de l’illustration qui nous intéresse ici, l’image agrandie (b), la transformation homothétique résulte d’un choix que l’illustrateur a fait, car il lui est apparu qu’il serait utile de donner à voir des détails de la vessie déjà partiellement disséquée, et notamment la proximité des vaisseaux entre eux, choix qui a été validé par le chirurgien.

Transformations optiques

68Le Groupe µ entend par là les transformations qui affectent les caractéristiques physiques de l’image, au sens optique du terme. Elles concernent « les rayons lumineux, soit dans leur intensité, soit dans leur convergence spatiale » (Groupe µ, 1992, p. 171). « Parmi ces transformations, on citera celles qui jouent sur les contrastes, lesquels peuvent être accentués ou adoucis (ce que les photographes savent bien). Importantes aussi sont celles qui jouent sur la netteté et la profondeur de champ : tant en photo qu’en peinture, on peut décider de présenter tous les plans avec la même netteté, ou au contraire de laisser flou le premier plan et l’arrière-plan. » (Klinkenberg, 2000, p. 399-400). De telles transformations optiques sont présentes dans les dessins réalisés en chirurgie.

69La couleur est très souvent utilisée dans ce domaine pour labelliser des éléments. Certains choix de couleur sont purement conventionnels (pour rappel, les veines en bleu, les artères en rouge, les nerfs en jaune). On a affaire à une transformation optique lorsqu’en chirurgie, un illustrateur crée une transparence pour faire apparaître une information non visible à l’œil nu. Pour mener à bien cette entreprise, il désature la couleur concernée et joue donc sur le contraste.

70Par exemple, dans l’illustration qui suit, il s’agit d’un acte chirurgical en vue de régler des problèmes de reflux gastro-œsophagien. On voit sur l’image le haut de l’estomac, et en rouge désaturé (transparence) les vaisseaux gastriques courts qui se trouvent en fait derrière l’estomac (donc a priori non visibles directement lors de l’opération). L’acte opératoire implique ici de mobiliser le haut de l’estomac. Sur l’image du bas, la vue montre ces vaisseaux sans l’estomac afin de comprendre leurs rapports postérieurs (rate et ligament gastro-phrénique). Il faudra couper ces vaisseaux gastriques courts afin de libérer la partie supérieure de l’estomac. Ces vaisseaux gastriques courts demandent une préparation chirurgicale en vue d’éviter un accident opératoire : comme il s’agit d’artères (d’où l’encodage en rouge), il faut effectuer une coagulation avant de pouvoir les couper. Connaître leur emplacement précis est donc important, leur position par rapport à l’estomac, la rate et le ligament gastro-phénique.

Fig. 9

Fig. 9

Chirurgie dans le cadre d’un reflux gastro-œsophagien / Yvan Freund-Medical art & Communication
(a) En haut : vaisseaux gastriques courts en transparence (en rouge), au premier plan l’estomac
(b) En haut : estomac retiré. On voit les vaisseaux gastriques courts à coaguler avant de les sectionner

71Le jeu sur la continuité de la couleur (en valeur et en saturation) permet, dans l’illustration, de faire figurer par transparence les vaisseaux gastriques courts (en rouge plus clair sur l’image (a)). Ces vaisseaux se trouvent derrière l’estomac et il ne faut pas les sectionner avant d’avoir effectué une coagulation.

72Tous ces choix renvoient à la modalité objectivante constituée par la formalisation. Les transformations auxquelles les illustrateurs se livrent sont réalisées en se conformant aux codes très stricts que l’on trouve en anatomie : codes de couleurs, codes quant aux projections que l’on peut effectuer, etc. Il n’en reste pas moins que certains de ces choix restent à la discrétion de l’illustrateur : le fait d’élargir un angle de vue, de rajouter de l’information non visible en jouant sur les contrastes, de choisir des nuances de couleur. On peut rendre compte du poids de telles prises de décision en adoptant un point de vue téléologique : dès lors que l’on détermine une des finalités visées par l’illustrateur, en l’occurrence produire les illustrations les plus lisibles afin de faciliter la compréhension des gestes à accomplir dans le cadre d’un acte chirurgical.

5. Conclusion

73Revenons brièvement à la question de l’objectivité. Dans le cas de la physique des surfaces, les images sources comme les images retraitées résultent d’un subtil dosage de toutes les modalités objectivantes que j’ai répertoriées plus haut. Il va de soi qu’au sein d’une telle discipline scientifique, les modalités de l’indiciarité et de la mécanisation occupent une place constitutive dans le cadre de la production des images : celles-ci doivent comporter des traces d’un référent et sont obtenues au moyen d’appareillages de détection d’une grande complexité. C’est pourquoi les chercheurs recourent également à la modalité de l’interconnexion sous la forme de l’interinstrumentalité. Ils confirment en effet les informations contenues dans leurs images à l’aide d’autres instruments reposant sur des principes physiques différents (Allamel-Raffin 2005). Ils prennent également un soin tout particulier à mettre en œuvre des procédures relevant de l’ordre de l’objectivation du sujet connaissant (être conscient de ses limites notamment en termes de savoir-faire manuels pour la préparation des échantillons, être critique sur l’ensemble des procédures adoptées). Enfin, dans le cadre de la modalité constituée par la manipulabilité, ils tentent de fabriquer plusieurs fois des échantillons du même ordre, même s’ils sont parfaitement conscients du fait que l’échantillon est détruit en raison des instruments utilisés au cours de l’examen lui-même. Le nouvel échantillon n’aura jamais exactement les mêmes caractéristiques que l’échantillon initial. Dernier point sur lequel j’ai beaucoup insisté dans le cadre de cet article : la formalisation. Celle-ci repose sur l’usage de codes et laisse place, comme on l’a vu, à une part de subjectivité (ici, le choix soit de la gamme de couleurs, soit de l’échelle par exemple). Si l’image est publiée, c’est que la communauté des scientifiques a estimé qu’elle satisfait l’ensemble des réquisits correspondant aux modalités objectivantes.

74Dans le cas de la chirurgie, l’indiciarité et la mécanisation vont jouer un rôle beaucoup moins important. Certes, une image source peut être de type photographique, et donc avoir un caractère indiciaire au départ du processus, mais sa lecture et les questions relatives à l’existence réelle de l’objet ne posent aucun problème particulier. Il en va de même en ce qui concerne la mécanisation (l’appareil photographique ou la tablette graphique sont des moyens de mécaniser que l’on considère comme des boîtes noires). Plus surprenant : la manipulabilité, quant à elle, joue un rôle parfois important. Certains illustrateurs scientifiques ont besoin de reproduire sommairement les gestes effectués par le chirurgien pour mieux les restituer graphiquement. Par exemple, dans le cas des différentes sutures, plusieurs illustrateurs ont affirmé qu’ils avaient besoin de refaire eux-mêmes les gestes pour les comprendre. C’est pour cette même raison qu’ils aiment assister à l’opération elle-même : afin de mieux percevoir les gestes effectués par le chirurgien. L’interconnexion constitue également une modalité d’une importance capitale : elle revêt la forme d’un échange constant entre le commanditaire et celui qui produit les illustrations. Celui-ci ne se réduit pas à une simple prestation de service, mais se présente comme un échange constant dans le cadre duquel chaque acteur détient des compétences qu’il s’agit de mutualiser. Enfin, en matière d’auto-objectivation du sujet connaissant, quelle peut être l’attitude de l’illustrateur ? L’ensemble de ceux que j’ai rencontrés, au cours de mes entretiens, ont fait preuve d’une réflexion poussée sur leur pratique. Certes, ils ont à respecter les codes de leurs disciplines, mais, parce qu’ils ont également des choix à opérer, et que tout trait dans une illustration scientifique doit être motivé, ils ne cessent de s’interroger sur ces choix graphiques en regard de l’objectif visé. La formalisation, enfin, est évidement centrale afin de garantir l’objectivité. Elle comprend les codes graphiques extrêmement nombreux propres à une discipline qu’il s’agit de respecter, mais également les choix qu’il s’agit d’effectuer. Pour revenir à l’apport de la sémiotique visuelle du Groupe µ pour une compréhension de l’objectivité, elle est essentielle et permet d’éclairer les procédures relatives à la modalité objectivante qu’est la formalisation.

75De manière plus générale, j’avancerai qu’en fonction des disciplines, certaines modalités objectivantes sont davantage présentes et l’entreprise consistant à les mettre en œuvre soulève plus de problèmes que dans d’autres. L’indiciarité, par exemple, en physique des surfaces, se révèle très problématique, alors qu’elle ne l’est pas en chirurgie. La formalisation, quant à elle, est une modalité essentielle, quel que soit le domaine envisagé. Certes, chaque discipline a ses propres codes, notamment visuels, mais même une discipline extrêmement codifiée laisse une place importante à la subjectivité des chercheurs dans la mesure où leurs choix ne peuvent être établis au moyen d’une instance de décision impersonnelle, qui serait réduite à un calcul réalisé par une machine. Et certains choix sont plus judicieux que d’autres, comme le dit Edward R. Tufte : « Il y a de bonnes et de mauvaises manières de présenter les données. Certaines donnent à voir la vérité, d’autres ne le font pas. » (Tufte 1997, p. 45, traduction personnelle). La sémiotique visuelle peut nous éclairer sur ces choix, car elle permet de les expliciter, de dresser un panorama des possibilités et du coup, d’en apprécier le degré de pertinence. Une telle entreprise est facilitée par le fait que la sémiotique convoquée ici est celle qui permet le mieux de rendre compte de ce que l’on doit entendre par « vérité » dans les sciences. En effet, le Groupe µ la conçoit comme n’étant jamais définitivement établie, mais comme provisionnelle. La fonction de la science elle-même est non pas tant de découvrir des vérités que de rejeter des erreurs. Un tel faillibilisme a incité Karl Popper à utiliser la métaphore de l’aveugle qui tâtonne dans une pièce, métaphore reprise par Jimenez, et à leur suite, par le Groupe µ.

76« Nous ‘palpons’ le monde et construisons de lui une image partielle en creux qui est strictement de l’ordre de l’indice. Le reste n’est que reconstruction. De sorte que le réalisme indiciel peut aussi être appelé inférentiel. À y regarder de près, nous ne percevons jamais que le négatif des choses, puisque nous sommes par rapport à elles toujours en dehors. » (Groupe µ, 2015, p. 164).

77L’objectivité telle qu’elle est visée par les scientifiques et par les illustrateurs doit être conçue sur la base d’un tel « réalisme en creux ». Celui-ci, en se distinguant à la fois du réalisme ontologique et de l’antiréalisme radical, rejette une conception de la relation entre référent et signifiant qui sacrifierait à une forme de naïveté chosale (Groupe µ, 1992, p. 133). Cela suppose que l’on « rende compte de la décision toute culturelle d’identifier ou non un phénomène sémiotique comme isomorphe à un référent » (Groupe µ, 1992, p. 133-134). Et pour mener à bien cette entreprise, il faut admettre comme principe qu’il existe une multiplicité de versions de l’isomorphisme entre référent et signifiant, ce qui revient à souligner « l’hétérogénéité et la labilité de la relation iconique, aussi bien que du caractère culturel des codes de reconnaissance à l’œuvre dans l’identification du signe » (Ibid., p. 134). D’autres principes encore (rendre compte du décodage et de l’encodage des signes iconiques ; rendre compte de la diversité des découpages sémiotiques du signifiant, du type et du référent, variables selon les circonstances de l’acte sémiotique) permettent de comprendre comment il est possible de penser un référent dans les sciences qui tout en n’étant jamais un « référent ultime » (Groupe µ, 2015, p. 160), ne disparaît pas pour autant des catégories d’analyse sémiotiques pertinentes, comme le voudrait à l’opposé un textualisme pour lequel « il n’y a que des textes » (Ibid., p. 160). L’objectivité méthodologique, à laquelle se conforment les scientifiques dans leurs activités quotidiennes, se caractérise précisément par la reconnaissance du fait que les opérations permettant de réaliser des images sources ou des images retraitées, ne permettent pas d’atteindre la « chose en soi », le référent ultime. La variété de ces opérations elle-même ne peut être appréciée qu’à partir de deux perspectives au moins, la perspective génétique et la perspective téléologique. Or cette dernière, plus particulièrement, souligne le fait qu’une image scientifique est toujours conformée par rapport à des finalités qui sont circonstancielles et culturellement déterminées. D’autre part, la variété des modalités objectivantes répertoriées met l’accent sur le fait que l’indiciarité en tant que telle ne suffit pas, et que d’autres modalités doivent toujours impérativement être mobilisées afin de constituer un faisceau d’éléments de preuve le plus robuste possible.

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Bibliographie

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Notes

1 Je me concentrerai sur les travaux de Groupe µ. Cela ne signifie en aucune manière que d’autres cadres sémiotiques ne sont pas pertinents. J’ai moi-même recouru abondamment à la sémiotique peircienne dans le cadre de mes analyses (Allamel-Raffin, 2004). Je pense également au livre de M.G. Dondero et J. Fontanille, paru en 2012 (Allamel-Raffin 2013, pour une recension), qui adopte plutôt une perspective téléologique, tandis que les pages qui suivent vont s’inscrire pour leur part dans une perspective génétique.

2 Pour mener à bien ces études, je réalise depuis 2000 des études ethnographiques, en séjournant pendant plusieurs mois dans des laboratoires. J’y effectue des observations et je réalise des entretiens semi-directifs avec les chercheurs ou des illustrateurs, afin de saisir en quoi consistent la production et les fonctions des images dans le cadre de la recherche quotidienne, jusqu’à la phase de publication. À ce jour, les disciplines étudiées ont été la physique des surfaces, l’astrophysique, la pharmacologie et plus récemment, la chirurgie, l’archéologie et la paléontologie (Allamel-Raffin 2004, 2009, 2014).

3 La liste proposée ici est ouverte. Elle est conçue en prenant pour matériau de base les travaux menés en histoire des sciences et les ouvrages d’épistémologie qui, au fil des siècles, ont prétendu déterminer le socle normatif à partir duquel l’homme de science est supposé travailler. En tant que telle, cette liste s’expose à toutes les critiques que l’on peut adresser aux analyses conceptuelles a posteriori : elle serait en particulier ad hoc et éclectique, inopérante dès lors qu’il s’agit d’élaborer une théorie systématique du concept d’objectivité. Mais un concept tel que celui-ci ne peut selon moi se comprendre que si l’on reconnaît son historicité foncière (Allamel-Raffin & Gangloff, 2007) : il a une texture ouverte comme la plupart des concepts empiriques. Autrement dit, on peut toujours ajouter de nouvelles caractéristiques à sa définition et la liste de celles-ci n’est jamais définitivement close. Pour prendre un exemple d’une toute autre nature, le concept d’eau : jusqu’à la fin du xviiie siècle, ses traits définitoires seront notamment le fait d’être une substance matérielle, d’être incolore, d’être inodore, d’être insipide, etc. À partir de cette époque, on ajoutera la caractérisation chimique H20. Celle-ci est devenue essentielle pour nous aujourd’hui lorsque nous souhaitons caractériser l’eau. Ce qui vaut pour le concept d’eau vaut pour le concept d’objectivité : ses déterminants se présentent nécessairement sous la forme d’une « liste etc. » (Hacking 1992), parce que la recherche d’objectivité donne lieu à la formation de normes nouvelles qui reconfigurent les modalités objectivantes répertoriées ici, sans préjuger par ailleurs du fait que de nouvelles modalités pourraient voir le jour, le cas échéant. Pour une réflexion plus développée sur ce point, voir Allamel-Raffin (2014).

4 Les termes « instrument » et « technique instrumentale »sont pris ici au sens large. Les statistiques, par exemple, peuvent être considérées comme un instrument d’analyse.

5 Voir sur ce point Allamel-Raffin (2005).

6 La littérature sur ce point est devenue abondante ces dernières années. Voir Soler (2012).

7 Je n’évoquerai ici que les images sources et les images retraitées.

8 Les amendements apportés à la définition du référent par le Groupe µ sont à mettre en relation avec la définition du signe iconique lui-même : celui-ci est « le produit d’une triple relation entre trois éléments », en l’occurrence le signifiant iconique, le type et le référent (Groupe µ, 1992, p. 135). Un tel concept triadique permet tout d’abord d’éviter les impasses auxquelles on se confronte lorsqu’on s’en tient à une relation binaire entre un « signifiant » et un « signifié ». D’autre part, il est l’occasion de repenser le concept de référent qui est « l’objet entendu non pas comme somme inorganisé de stimuli, mais comme membre d’une classe », dont l’existence est validée par celle du type (Ibid., p. 136). Le type lui-même est un modèle intériorisé et stabilisé, susceptible d’être décrit par une série de caractéristiques conceptuelles, dont quelques-unes peuvent correspondre à des caractéristiques physiques du référent, par exemple la présence de moustache pour le type « chat » (Ibid., p. 137).

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Table des illustrations

Titre Fig. 4
Légende Images sources et retraitée Fabrice Scheurer. / DSI
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-1.png
Fichier image/png, 273k
Titre Fig. 2
Légende Image source de type photographique. Vue d’une partie du rein au cours d’une opération laparoscopique. Catherine Cers-IRCAD
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 88k
Titre Fig. 3
Légende Image source de type esquisse : première esquisse réalisée sur une tablette graphique d’un estomac que l’on va amputer afin de traiter une obésité morbide/ Catherine Cers-IRCAD
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 100k
Titre Fig. 5
Légende Image retraitée constituée à partir d’une image source de type photographique : Les informations codées ont été surimposées à l’image source de type photographique. Vue d’une partie du rein en opération laparoscopique. Catherine Cers-IRCAD
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 316k
Titre Fig. 6
Légende (a) Image en haut à gauche : image source de type photographique (b) Image retraitée : illustration produite à partir de l’image source / Yvan Freund-Medical art &Communication
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 228k
Titre Fig. 7
Légende Images retraitées créées à partir de l’image source de type esquisse(a) L’illustratrice a produit deux images retraitées.(b) Image retraitée intermédiaire (on note l’apparition d’éléments d’un code visuel, en l’occurrence les pointillés pour signifier une incision).(c) Image retraitée finale (tous les codes sont désormais en place). Catherine Cers-IRCAD
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-6.jpg
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Titre Fig. 8
Légende (a) Vue d’ensemble de la vessie en partie disséquée(b) agrandissement d’une partie de la vessieYvan Freund/ Medical art& Communication
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-7.jpg
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Titre Fig. 9
Légende Chirurgie dans le cadre d’un reflux gastro-œsophagien / Yvan Freund-Medical art & Communication(a) En haut : vaisseaux gastriques courts en transparence (en rouge), au premier plan l’estomac(b) En haut : estomac retiré. On voit les vaisseaux gastriques courts à coaguler avant de les sectionner
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/docannexe/image/2294/img-8.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Catherine Allamel-Raffin, « Quel est l’apport de la sémiotique visuelle à la réflexion sur « l’objectivité » des images scientifiques ? »Signata [En ligne], 10 | 2019, mis en ligne le 30 juin 2019, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/2294 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/signata.2294

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Auteur

Catherine Allamel-Raffin

Catherine Allamel-Raffin est maître de conférences HDR en épistémologie et histoire des sciences et des techniques aux AHP-PReST (Archives Henri Poincaré - Philosophie et Recherches sur, les Sciences et les Technologies, UMR 7117, Université de Strasbourg, Université de Lorraine, CNRS). Elle s’est ainsi consacrée durant ces dernières années à l’étude de la production et des fonctions des images en astrophysique, en physique des surfaces, en pharmacologie, en archéologie, en paléontologie et en chirurgie en adoptant une perspective interdisciplinaire mêlant philosophie, sociologie des sciences et sémiotique. Quelques publications significatives : [2018] (Avec J.-L. Gangloff), “How to Classify Images in Natural Sciences? A Case Study in Nanoscience”, Vision Fullfiled. The Victory of Pictorial Turn, A. Benedek & K. Nyiri (eds.), Budapest, Hungarian Academy of Sciences, p. 155-166; [2016] « La sémiotique et les images en astrophysique et en physique des surfaces », Cartes & Géomatique, Dossier ‘La sémiologie dans tous les sens’, no 229/230, p. 263-276 ; [2015] “Interpreting Artworks, Interpreting Scientific Images”, Leonardo, section “Color, Scale & Technology in Scientific Visualization”, B. Nerlich, C. Robinson, C. Toumey (eds.), MIT Press, 48(1), p. 76-77.
Courriel : catherine.allamelraffin[at]unistra.fr

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Droits d’auteur

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