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Dossier
4. Les paradigmes en discours

Quand les syntagmes se font paradigmes : la cohésion rythmique de la répétition

Emmanuelle Prak-Derrington
p. 145-174

Résumés

La fonction poétique, telle qu’elle a été définie par Jakobson (1963, p. 220), suspend l’opposition entre l’axe paradigmatique et l’axe syntagmatique en les subsumant sous un principe unique, celui de l’équivalence. Les syntagmes se font paradigmes.
Cet article se penche sur les figures de répétition dites de construction (anaphore, épiphore, antépiphore, chiasme etc.), qui ont la particularité de porter sur l’ouverture et/ou sur la clôture d’une unité / séquence. La répétition de syntagmes en un même endroit de la chaîne les transforme en paradigmes. Traitées de manière dispersée dans les dictionnaires de rhétorique, ces figures de répétition ont jusqu’à présent fait l’objet d’études ponctuelles, ce qui a masqué leur capacité à fonctionner de concert comme mode de structuration textuelle (Prak-Derrington 2015a et 2015b) ainsi que l’originalité de leur mode de paradigmatisation.
Je pose que la répétition figurale relève de la signifiance, que je définis ici de manière restrictive comme « mode de signifier mis en œuvre par des signifiants non-substituables » (« toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir »). La signifiance s’oppose au régime ordinaire de la signification, dans laquelle les signifiants sont substituables et s’effacent, transparents, pour laisser place au sens (toujours équivaut à éternellement, tout le temps etc.).
Les figures de répétition affranchissent le discours des deux lois fondamentales proclamées par Saussure : celle du lien arbitraire entre signifiant et signifié, celle de la linéarité du signifiant. Leur spécificité est de tisser des paradigmes à la fois simples et recherchés. D’une part, elles mettent en œuvre les formes simples de la liste et de la langue parlée, mais, d’autre part, par leur figuralité, soit leur projection en un même point de la chaîne syntagmatique, elles ressortissent à la fonction poétique.
J’appelle cohésion rythmique ce mode de paradigmatisation créé par la répétition. Avec les figures de répétition, ce ne sont plus prioritairement les sens et les contenus qui régulent le discours, mais son organisation en unités rythmiques. Une définition gestaltiste de la figure est adoptée. Les figures de répétition sont des figures perceptives, qui permettent de penser différemment le lien d’iconicité entre son et sens posé par la fonction poétique : à la place d’un renchérissement de l’ambiguïté sémantique, elles opèrent souvent une « simplification » sémantique dans la mise en discours.
Les exemples étudiés sont volontairement empruntés à un genre de discours encore peu considéré sous l’angle de la signifiance — si l’on excepte l’étude des slogans : le discours politique épidictique. Ce genre rhétorique recourt de manière privilégiée à la cohésion rythmique. L’article montre que cette dernière peut soutenir et amplifier la cohérence sémantique, mais peut aussi, en passant au premier plan, autoriser la déliaison entre communication et information.
L’auteur met en avant les termes suivants : syntagme et paradigme, figures de répétition, signifiant et signifié, signifiance, cohésion et cohérence, discours épidictique.

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Texte intégral

1. Introduction

  • 1 Voir, à côté des innombrables ouvrages consacrés à la répétition chez des écrivains et artistes par (...)

1Le « principe de répétition » est au cœur des études littéraires et artistiques1 ; elle est par ailleurs, en linguistique, très largement étudiée dans les interactions orales, mais elle constitue une problématique plus marginale au sein de la « nouvelle rhétorique » et en linguistique textuelle. Je m’intéresse ici à des figures de répétition dites d’élocution (Fontanier 1968, pp. 329-332), (Lausberg 1982, pp. 79-89). Le renouveau de la problématique des figures les a tirées de l’oubli où les avait plongées la restriction de la rhétorique figurale au seul espace des tropes, mais elles sont en général étudiées séparément : études ponctuelles sur l’anaphore (Magri-Mourgues 2014, Mayaffre 2015), sur l’antimétabole (Rabatel 2008), sur la réduplication (Watine 2012, 2014), etc.

2J’ai montré ailleurs l’intérêt d’étudier ces figures comme relevant d’un phénomène plus général, la répétition réticulaire. Je renvoie, pour une ébauche de modélisation systématique quant à la capacité de structuration textuelle de la répétition et à son déploiement réticulaire, à deux articles antérieurs (Prak-Derrington 2015a, Prak-Derrington 2015b).

  • 2 Le terme de « répétition figurale » employé souvent par la suite désigne de manière générique l’ens (...)
  • 3 En allemand, le signifiant est parfois traduit par « Zeichenkörper », par opposition à « Zeicheninh (...)

3Par répétition réticulaire, il faut entendre non un entrelacement accidentel et fortuit mais un entrelacs très régulier de figures de répétitions2, à tous les niveaux de l’analyse linguistique (phonique, lexical, syntaxique, textuel). Dans la répétition réticulaire, les figures de répétition mettent toutes en avant les corps des signes, les signifiants3, et servent un mode de textualisation original qui fait la part belle non aux unités sémantiques, mais à la dimension sensible du langage, en particulier au rythme. On connait la part centrale accordée au rythme dans le langage dans l’œuvre d’H. Meschonnic (1982, 1995), il sera défini ici très simplement comme la « distribution d’une durée en une suite d’intervalles réguliers, rendue sensible par le retour d’un repère » (Le Grand Robert de la langue française), ce repère étant donné pour nous par la figure de répétition. La répétition réticulaire (soit l’entrelacement des figures de répétition) obéit à un principe que je nommerai de cohésion rythmique. Avec la répétition réticulaire, ce ne sont plus prioritairement les sens et les contenus qui régissent et régulent le discours, mais son organisation en unités rythmiques.

4Il s’agit ici de décrire cette cohésion rythmique et de montrer qu’elle est fondée sur une paradigmatisation spécifique, qui croise celles de la liste, de la langue parlée et de la fonction poétique. Mon approche se situe à la croisée de la linguistique textuelle, de la rhétorique et de l’analyse du discours ; mes exemples sont empruntés au genre épidictique, principalement au discours politique, mais aussi, pour les slogans, au discours publicitaire.

5Je reviens dans un premier temps sur l’opposition paradigme/syntagme, et sur les trois déclinaisons ou paradigmatisations mises en œuvre par la cohésion rythmique : paradigmatisations simples (la liste, la langue parlée) ou paradigmatisation élaborée de la « fonction poétique » (Jakobson 1963). Dans un deuxième temps, je montrerai l’originalité de la répétition réticulaire : la textualisation par cohésion rythmique, qui procède de ces trois modes, tisse des syntagmes-paradigmes à la fois simples et rigoureusement élaborés. Ce sera aussi l’occasion de revenir sur la notion de figure : la répétition permet d’articuler la figure à son sens premier, non figuré de forme. Nous verrons enfin, dans une dernière partie, comment la répétition peut fonctionner en accord mais aussi en déliaison avec la cohérence sémantique. C’est ce dernier aspect qui explique que ses manifestations dans le discours soient restée si longtemps marginalisées dans une linguistique qui plaçait la production et la réception du sens au cœur de ses préoccupations.

2. Syntagme et paradigme, quelles déclinaisons ?

2.1. La traditionnelle opposition des deux axes

6Le lecteur excusera ce rappel de définitions connues, mais puisque c’est à partir d’elles que se sont positionnés et distanciés par la suite les travaux sur le paradigme, ainsi que la présente étude, il paraît nécessaire de les mentionner.

2.1.1. In praesentia vs in absentia

  • 4 « Le rapport syntagmatique est in praesentia : il repose sur deux ou plusieurs termes également pré (...)

7Pour le Saussure du CLG, les unités syntagmatiques sont réalisées in praesentia dans une série effective, actualisée, tandis que les unités paradigmatiques sont associées in absentia dans une série virtuelle, non manifestée dans l’énoncé considéré4. Ces termes ont été repris avec une grande homogénéité terminologique (présence, co-présence, absence), de Barthes (1964) aux dictionnaires spécialisés, comme par exemple dans le Précis de sémiotique de J.-M. Klinkenberg :

[Les] relations syntagmatiques […] mettent en relation des éléments co-présents : on dira qu’elles opèrent in praesentia, littéralement « en présence » (des unités concernées). […] En vertu de ce qui précède, on définira donc un syntagme comme un certain modèle de relations entre unités. L’énoncé actualise ce syntagme virtuel. (Klinkenberg 1996, p. 111)
La notion de relation paradigmatique vise donc l’ensemble des liens que des unités non-manifestées entretiennent entre elles, hors d’un énoncé particulier. […] Comme elles mettent en relation des éléments qui ne sont pas co-présents, on dira qu’elles opèrent in absentia, littéralement « en absence » (absence d’un élément par rapport à l’autre, présent). (Ibid., p. 113)

8Les analyses de la langue parlée ont depuis montré les limites de cette définition du paradigme, qui vaut en réalité très largement pour la mise en écrit du discours, alors que la langue parlée réalise en discours des paradigmes effectifs (cf. 1.2.2.), sur la base de diverses relations associatives. La particularité de la répétition consistera à restreindre le principe associatif de construction des paradigmes à un critère positionnel — et donc syntagmatique.

2.1.2. Successivité vs associativité (Saussure)

9La deuxième opposition est bien plus complexe, puisqu’elle doit, au-delà du niveau de la manifestation, rendre compte des types de relations qui régissent l’organisation des unités syntagmatiques et paradigmatiques. Je ne me concentrerai ici, dans cette vaste problématique, que sur un seul des aspects de cette seconde opposition : successivité vs associativité. Les relations syntagmatiques imposent aux unités un ordre pertinent : “contre tout” vs “tout contre” ; en allemand, c’est par exemple l’ordre déterminant-déterminé dans la composition : “haushoch” (haut comme une maison) vs “Hochhaus” (immeuble) ; ce principe de linéarisation s’oppose à la diversité et l’ouverture du rapport associatif dans le paradigme (fondé sur une communauté de fonction, de nature, de forme, de sens etc. [Saussure 1965, p. 172]).

  • 5 S’agissant du paradigme, « on ne saurait dire d’avance quel sera le nombre des mots suggérés par la (...)

Tandis qu’un syntagme appelle tout de suite l’idée d’un ordre de succession et d’un nombre déterminé d’éléments, les termes d’une famille associative ne se présentent ni en nombre défini, ni dans un ordre déterminé5. (Ibid, p. 174, je souligne.)

10Il s’agit maintenant de voir comment ces principes très généraux se déclinent différemment, selon que la paradigmatisation est écrite ou orale, processuelle ou élaborée.

2.2. Mise en discours et paradigmatisations

2.2.1. Paradigmatisations in praesentia : la liste et la langue parlée

  • 6 « La liste tranche dans le texte en le débrayant de son grand continuum syntagmatique, syntaxique, (...)

11Les deux paradigmatisations de la liste et la langue parlée sont directement apparentées à la textualisation par répétition. Ces deux mises en discours ont déjà abondamment étudiées, elles ont en commun de faire la part belle au paradigmatique, au point parfois d’avoir été suspectées de ne pas être soumises aux règles de la syntaxe. C’est sans doute vrai pour la liste, qui incarne une sorte de degré zéro du syntagmatique (Hamon 2013, consulté le 6 novembre 2015)6 ; quant à la langue parlée, elle a longtemps été décrite comme déficiente, fautive, inachevée, etc., avant que ne soit reconnue la nécessité de distinguer entre, d’une part, ses mécanismes de production et d’autre part, la syntaxe de la langue : la langue parlée apparaît dès lors non pas comme a-syntaxique, mais comme révélant « l’émergence de la syntaxe dans les discours » (Blanche-Benveniste 1997, p. 90).

12Ces deux mises en discours réalisent des paradigmes effectifs, in praesentia, qui restreignent l’ouverture du rapport associatif fondé sur la substitution, à l’opération de commutation. Est commutable une unité substituable en un même point de la chaîne (sur l’opposition substitution/commutation, cf. ici même la contribution d’A. Rabatel).

13Quelles propriétés ces deux formes simples partagent-elles avec la répétition ?

14Au sein des discours, la liste occupe une place à part (Milcent-Lawson, Lecolle, et Michel 2013) : elle constitue la première trace d’écriture, elle peut être considérée comme « universelle, transhistorique et transgénérique » (Hamon 2013, consulté le 9 novembre 2015). Elle se situerait « en marge et même en dehors [de la syntaxe] » (Paveau et Rosier 2009, p. 114), se donnant comme « pure successivité paratactique, […] pure juxtaposition de mots » (Hamon 2013).

Cinq à six mille femmes, hommes et enfants, épuisés par un terrible voyage, laissés à eux-mêmes dans des bidonvilles, avec un maigre repas par jour, un accès quasi impossible à une douche ou à des toilettes, une épidémie de gale dévastatrice, des blessures douloureuses, des abcès dentaires non soignés. Et les viols des femmes. Les enfants laissés à eux-mêmes dans les détritus. Les violences policières presque routinières. Les ratonnades organisées par des militants d’extrême droite.
Jusqu’à quand allons-nous nous taire ?
(Appel de Calais, https://www.change.org/​p/​au-gouvernement-français-appel-de-calais)

15La disposition verticale, en colonne sur la page imprimée ou manuscrite, permet de distinguer entre liste et énumération et rend compte de manière sensorielle, pour l’œil, de cet effacement du syntagmatique au profit du paradigmatique.

Recette crêpes
Ingrédients, pour 4 personnes
250 g de farine
4 œufs
1/2 l de lait
1 pincée de sel
2 cuillères à soupe de sucre
50 g de beurre fondu

  • 7 Voir le paragraphe conclusif sur la mise en liste de Ph. Hamon ou bien, dans le même ouvrage, le pa (...)

16A priori permutables et amovibles, les éléments d’une liste sont cependant soumis à une mise en ordre (« Toute liste s’efforce de conjurer le vrac du monde », Ibid.), mise en ordre double et contradictoire, entre ouverture et clôture, fini et infini7. Très souvent, la liste est précédée d’une annonce totalisante, introductrice ou clôturante, qui permet de rassembler ses parties en un tout (la question posée à la fin de l’énumération dans l’ex. 1, la mention « Ingrédients, pour 4 personnes » dans l’ex. 2). On va retrouver cette dialectique du général et du particulier, de l’ouverture et de la clôture, ainsi que l’universalité, l’a-historicité de la liste avec la répétition.

17La langue parlée quant à elle, celle des échanges ordinaires, se distingue du produit fini qu’est la langue écrite parce qu’elle révèle comme autant de « brouillons » et de tâtonnements les opérations de sélection et de substitution. Son caractère processuel permet de suivre chacun des pas, chacune des « étapes » de son élaboration :

Les productions de langue parlée sont rarement des produits finis. […] Dans l’usage de conversation, la langue parlée laisse voir les étapes de sa confection. On y trouve des entassements d’éléments paradigmatiques et des allers et retours sur l’axe des syntagmes. (Blanche-Benveniste 2010, p. 26.)

18La quête du mot juste, la difficulté à le trouver, se traduit à l’oral en reformulation-énumération (bien souvent assortie de commentaires méta-énonciatifs). Par cette recherche, les paradigmes in absentia de la langue deviennent des paradigmes in praesentia dans le discours. Cet « entassement paradigmatique » (Ibid., p. 30), naturel et invisible dans la langue parlée, devient « exaspérant » (Ibid., p. 27) dès lors qu’il est mis en écrit. Une disjonction se crée entre, d’un côté, la mise en ligne qui par convention fait coïncider succession temporelle (elle ne se lit que dans un seul sens, de gauche à droite) et axe syntagmatique, et de l’autre côté l’appartenance des mots ébauchés, répétés et/ou reformulés, au même paradigme. La mise en écrit de la langue parlée, transforme, à tort, les paradigmes en syntagmes. Cette contradiction peut être surmontée en introduisant, à côté de la linéarisation horizontale, la verticalité de la mise en colonne pour les paradigmes in praesentia des productions parlées : « Il est plus simple de représenter ces phénomènes en plaçant les éléments paradigmatiques à la verticale, les uns sous les autres […] » (Ibid., p. 27).

Ce qui était fantastique dans ce
dans ce camping
dans ce
cet hôtel
(ex. de Blanche-Benveniste, 2010, pp. 16-27.)

  • 8 Cf. Roubaud & Loufrani (1993).

19Il existe cependant dans la langue parlée, un seuil maximal au-delà duquel la recherche du mot juste cesse d’être ressentie comme naturelle, je dirais ici, en écho à Récanati (Récanati 1979) et Authier-Revuz (Authier-Revuz 1995), « transparente », et devient pathologique8.

20La répétition figurale procède de ces deux modes de paradigmatisation. À l’instar de la liste, elle s’inscrit dans un vertige totalisant, une quête de l’exhaustivité qui lui permet de répéter bien au-delà de sept (plusieurs dizaines de fois parfois …) et à l’instar de la langue parlée, elle organise, en un point donné de la chaîne, des paradigmes non plus virtuels, mais in praesentia. Mais avec une différence remarquable : elle transforme « l’entassement paradigmatique » de la liste et de la langue parlée en figuralité.

La réalité, c’est qu’après avoir proposé l’actuel emplacement pour éloigner les migrants du centre-ville en avril 2015, vous avez maintenu le bidonville dans une zone de non-droit.
La réalité, c’est que vous n’avez mis en place aucun centre d’accueil administratif ou juridique envers les réfugiés au sein du campement.
La réalité, c’est que vous n’avez pas pris en charge les mineurs isolés comme l’impose pourtant la loi française.
La réalité, enfin, c’est que vous avez pratiqué une politique de dissuasion systématique envers les réfugiés induisant l’idée nauséabonde de migrations de confort. (« Appel des 800. La fracture détaillée », Libération, 06/03/2016)

21Avec la répétition, on n’est pas confronté à la genèse du discours en train de se faire, mais à la volonté d’explorer et de creuser en profondeur une forme et son entour. Blanche-Benveniste a souligné la parenté entre recherche des mots dans la langue parlée et le procédé stylistique utilisé en poésie « qui consiste à passer d’une caractéristique à une autre, pour affiner le trait » (Ibid., p. 29), spécialement dans la poésie moderne. En lieu et place de paradigmes basés sur la substitution-commutation, la répétition instaure des paradigmes rythmiques, construits autour d’un pivot strictement non-substituable.

22Il suffit en effet qu’un seul mot, qu’une seule structure soient répétés de manière régulière pour que le vrac et le tout-venant de la liste deviennent ordonnés, comme on va le voir dans l’exemple suivant. C’est un extrait de la clausule du discours du président Richard von Weizsäcker, qui commémore le 8 mai 1985 les 40 ans de la victoire des Alliés et de la défaite de l’Allemagne d’Hitler. C’est le plus célèbre des discours allemands d’après-guerre (Göttert 2015, p. 51), il se clôt par un appel à la jeunesse allemande (1), appel au refus de la haine et des divisions (2) :

  • 9 Discours disponible dans plusieurs langues (dont le français) sur le site : www.bundespräsident.de
    L (...)

(1) Hitler hat stets damit gearbeitet, Vorurteile, Feindschaften und Haß zu schüren. Die Bitte an die jungen Menschen lautet:
(2) Lassen Sie sich nicht hineintreiben in
Feindschaft und Haß.
(3a) gegen andere Menschen,
(3b)
gegen Russen oder Amerikaner,
(3c)
gegen Juden oder Türken,
(3d)
gegen Alternative oder Konservative,
(3e)
gegen Schwarz oder Weiß,
(4) Lernen Sie,
miteinander zu leben, nicht gegeneinander9.
(Richard von Weizsäcker, 08/05/1985.)

23Tous les procédés de la liste, la volonté d’embrasser et de circonscrire une totalité, se retrouvent dans la répétition : annonce introductrice et clôturante (en 1 et 4), énumération qui commence par le générique (1) et se poursuit par le singulier (3b à 3d), ordre a priori paratactique et réversible des éléments particuliers (3b à 3d). Si l’on enlevait le patron syntaxique de la répétition pour ne garder que l’énumération, on obtiendrait une liste qui paraîtrait parfaitement arbitraire, et dont seul un examen attentif permettrait de reconstruire la pertinence et l’organisation sémantiques qui la sous-tendent :

  • 10 « Ne vous laissez pas entraîner à des sentiments d’animosité ni de haine à l’encontre d’autres être (...)

Lassen Sie sich nicht hineintreiben in Feindschaft und Haß,
gegen andere Menschen,
gegen Russen, Amerikaner, Juden, Türken, Alternative, Konservative, Schwarz, oder Weiß
10.

24L’énumération entasse. Mais tous les éléments sont ici mis en ordre et soigneusement ordonnés par les répétitions. Plus que les harmonies phoniques (le rythme ternaire en (1) « Vorurteile, Feindschaften, Hass » ; les homéotéleutes (« Juden oder Türken », « Alternative oder Konservative »), c’est la répétition syntaxique qui ordonne le vrac de la liste, et décuple alors, sur le plan pragmatique, l’appel à la tolérance.

25La répétition en finale du syntagme « gegen + GNI oder GN2 » (figure de l’épanode) sert ici la mise en relief de paires antihétiques. La répétition proclame et réalise chaque fois un micro-acte de ré-conciliation, par l’intermédiaire de oder, connecteur de l’alternance inclusive, qui gomme l’antithèse entre les divisions, qu’elles soient d’ordre politique (« Russen oder Amerikaner », « Alternative oder Konservative »), religieux (« Juden oder Türken ») ou bien ethnique (« Schwarz oder Weiß »). À la place d’une énumération qui se contenterait de juxtaposer une pluralité bigarrée de groupes séparés, la répétition met en forme l’idéal d’une humanité plurielle et pacifiste, à l’opposé de l’idéologie nazie (1), idéal formulé tant sous forme particulière que générale, et condensé dans la formule finale (5) : « miteinander […] nicht gegeneinander ». La force de l’appel s’en trouve multipliée.

26On le voit dans ce bref exemple : la création d’un paradigme euphonique et rythmique a des répercussions directes sur notre interprétation sémantique (ainsi que sur la performativité de la parole, mais ce n’est pas le lieu d’en traiter ici).

27La répétition en discours suspend le principe d’équivalence des unités linguistiques entre elles (qu’elles soient morphologiques, syntaxiques, lexicales, etc.) et pose comme irremplaçables/non-substituables les unités répétées. Elle bloque l’existence du paradigme virtuel en langue (répéter, c’est refuser le principe hjelmslévien « ou…ou » de la disjonction en langue (Hjelmslev 1971, p. 52) pour instaurer des paradigmes discursifs rythmiques autour d’un pivot non-substituable.

28On peut distinguer deux cas : I. le paradigme discursif est vertical, II. le paradigme discursif est linéaire : c’est cette propriété qui est la plus remarquable.

29I. La répétition instaure la non-substituabilité en un même point de la chaîne, et ouvre sur l’exploration d’un paradigme qui peut rayonner à partir de ce pivot :

Il y a des jours comme ça où même anar on porte un drapeau parce que c’est tout ce qui reste à brandir après l’embrasement et il est bleu blanc rouge.
Il y a des jours où on aime ce pays même quand il a tort, même quand il se trompe parce qu’il est nous jusque dans les entrailles.
Des jours comme ça où on aime ce pays, ses hameaux, ses villages, ses monuments aux morts.
Des jours où on regrette de pas la ménager la vieille dame aux quatre cents fromages.
Des jours où on préfère la justice à sa propre mère, des jours où on est à l’envers.
Des jours qui dépassent nos propres idéaux de liberté, d’égalité, de fraternité.
Des jours plus forts que la vie et c’est des jours de mort.
(Zebda Magyd Cherfi, http://www.liberation.fr/​auteur/​3569-magyd-cherfi, 15/11/2015)

30II. Elle construit un paradigme discursif en le projetant dans la linéarité :

Live simply so that others may simply live (Gandhi)

31Ici, c’est le syntagme qui est transformé en paradigme. Le paradigme discursif est réduit à deux termes « infinitif + adverbe postposé » et « adverbe antéposé + infinitif ».

32Dans les deux cas, la répétition-signifiance disqualifie l’existence des paradigmes virtuels. Dans les deux cas, elle suspend la linéarité du syntagme. La figuralité de la répétition se soustrait au régime ordinaire de la signification. C’est ici qu’elle rejoint la fonction poétique de Jakobson.

2.2.2. La fonction poétique de Jakobson

33La fonction poétique permet en effet de subsumer relations syntagmatiques et paradigmatiques sous un principe unique, celui de l’équivalence. Les deux types de relations sont métaphoriquement représentés, pour les syntagmes, par un axe horizontal orienté vers la droite (l’axe de la chaîne parlée comme la ligne du temps), pour les paradigmes, par un axe vertical non orienté. Cette métaphore bi-axiale, « conceptuelle » (Lakoff & Johnson 1980), a sans doute largement contribué au succès de la définition jakobsonienne de la fonction poétique ou de « l’art du langage ». On retiendra ceci : elle suspend le rapport d’opposition entre les deux axes — par la mise « en évidence [du] […] côté palpable des signes » (Ibid., p. 218) —, comme je vais le rappeler ici (on verra que la répétition, c’est le recours à la matérialité des signes).

  • 11 Rapport de commensurabilité, d’isochronie ou de gradation dans les séquences, figures phoniques réi (...)
  • 12 « La rime n’est qu’un cas particulier, condensé en quelque sorte, d’un problème beaucoup plus génér (...)

34On connaît la célèbre formulation, soulignée en italique dans le texte, d’emblée destinée à se transformer en « aphorisation » (Maingueneau 2012) : « La fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison » (Jakobson 1963, p. 220, ital. dans le texte). Il poursuit : « L’équivalence est promue au rang de procédé constitutif de la séquence » (Ibid.). L’équivalence peut a priori porter tant sur le signifiant que sur le signifié, puisqu’elle renvoie à des relations « de la similarité et de la dissimilarité, de la synonymie et de l’antonymie » (Ibid.). Mais il n’est jamais question de figure de sens dans ce texte (pas de métaphore ou de métonymie, pas de litote ou d’euphémisme, d’antithèse ou d’oxymoron, etc.), ou alors, seulement de manière indirecte. Toutes les analyses de Jakobson portent d’abord sur une équivalence de la texture sonore, dont découle, dans un second temps une équivalence sémantique11. La fonction poétique chez Jakobson redonne ses lettres de noblesse aux signifiants, la part généralement oubliée des signes (ou du moins longtemps reléguée au domaine de la phonologie), elle met en œuvre, dit Jakobson, le principe fondamental de la poésie, le « parallélisme » (Ibid., p. 235)12 qui implique constitutivement une relation de motivation, une liaison indissociable entre son et sens :

Bref, l’équivalence des sons, projetée sur la séquence comme son principe constitutif, implique inévitablement l’équivalence sémantique […] (p. 235). En poésie, toute similarité apparente dans le son est évaluée en termes de similarité et/ou de dissimilarité dans le sens […] La poésie […] est une province où le lien entre le son et le sens, de latent, devient patent […]. (pp. 240-241)

35Pour Jakobson, la projection de l’axe de la sélection sur celui de la combinaison va nécessairement de pair avec une ambiguïsation et une complexification sémantique : « La superposition de la similarité sur la contiguïté confère à la poésie son essence de part en part symbolique, complexe, polysémique […]. » (p. 238). La poésie s’affranchit alors des deux lois fondamentales proclamées par Saussure : celle du lien arbitraire entre le signifiant et le signifié et celle de la linéarité des signifiants dans la chaîne syntagmatique.

36Tous les phénomènes décrits par Jakobson comme relevant de la fonction poétique peuvent, de manière plus traditionnelle, être subsumés sous le terme de répétition. Qu’est-ce que la rime sinon la répétition, entre deux ou plusieurs mots, en principe en fin de vers, de la voyelle finale accentuée (Aquien 1993, p. 235) ? Le mètre, sinon la mise en œuvre de structures récurrentes par césure, coupe, effets rythmiques (Ibid., p. 182) ? Les assonances ou allitérations, sinon des répétitions phoniques ? Etc. C’est d’ailleurs le terme de répétition, et non celui d’équivalence qui est en général employé par d’autres théoriciens du texte poétique/artistique [Smith (1968), Lotman (1973), Hamon (1990)…].

Repetition is the fundamental phenomenon of poetic form […] All the principles that have been or may be used to generate formal structure in poetry are describable in terms of repetition. (Smith 1968, p. 38.)

La versification n’est qu’une manifestation, particulière et institutionnalisée, du principe plus général de répétition. (Hamon 1990, p. 43.)

  • 13 Dire « Le son répète le sens » serait absurde.

37Mais c’est le terme d’équivalence (et non celui de répétition) qui a permis à Jakobson de dire au mieux tant la parenté secrète entre signifiant et signifié que la projection de la sélection sur la contiguïté. Le son équivaut au sens13. Les syntagmes se font paradigmes.

3. La répétition figurale

  • 14 Pourquoi le langage n’aurait-il que six fonctions ? Dans une interview avec Mitsou Ronat, Chomsky d (...)

38Je renoue ici avec la définition de Jakobson (en renonçant toutefois, en même temps qu’à la désignation de « fonction poétique », à la problématique des différentes « fonctions » du langage14), en me concentrant sur des figures de répétition syntaxique. Très souvent, ces figures sont qualifiées de lassantes, mécaniques, superflues, y compris par les spécialistes de la répétition (Noailly & Richard 2014). Ce faisant, on méconnaît et sous-estime leur dimension positive fondamentale, leur faculté de textualisation rythmique.

  • 15 « Toute tentative de réduire la sphère de la fonction poétique à la poésie, ou de confiner la poési (...)
  • 16 Toutes les analyses de « Linguistique et poétique » portent sur des exemples littéraires, et plus s (...)

39L’objectif est double : d’une part, et cela n’est en rien innovant, il s’agit de dissocier, comme l’exige déjà Jakobson, fonction poétique et poésie en l’étendant à d’autres types de discours15. Un demi-siècle d’analyse de discours permet aisément de surmonter la contradiction entre cette nécessité d’extension de la fonction poétique et le propre confinement en 1963 du linguiste structuraliste au seul discours littéraire — sur le mode « faites ce que je dis mais pas ce que je fais »16, la seule analyse détaillée d’un exemple non littéraire dans « Linguistique et poétique » étant celle … d’un slogan politique, « I like Ike » (Ibid., p. 218). Je m’intéresse au discours épidictique : en politique, ce sont les discours qui rassemblent orateur et auditoire autour de valeurs communes (Perelman 1958, p. 67), qui, par rapport au genre délibératif et judiciaire, se distinguent également parce qu’ils sont fondés sur une dimension esthétique (Ibid., pp. 63-64).

  • 17 Cité par Jakobson (1963, p. 240).

40D’autre part, et c’est ici que cette étude peut apporter un regard neuf, il s’agit de penser différemment le lien dit de consubstantialité entre son et sens dans la fonction poétique (le fameux « The sound must seem an echo of the sense » d’Alexander Pope17). Il faut reconnaître à certaines formes de mise en discours la possibilité d’être poétiques/rythmiques, alors même qu’elles suspendent la prééminence du sens. Pour Jakobson, la projection de l’axe paradigmatique sur l’axe syntagmatique crée nécessairement de la complexité, et la fonction poétique est pensée comme un renchérissement, un accroissement du sens, du symbolisme, de l’ambiguïté, etc. (« L’ambiguïté est une propriété intrinsèque, inaliénable de tout message centré sur lui-même », Ibid., p. 238). C’est aussi l’attitude des linguistes, quand ils disqualifient comme banals et gratuits les mécanismes de la répétition. Mais l’étude des exemples empruntés au discours politique et publicitaire nous montre au contraire que cette projection n’équivaut pas nécessairement à une « complexification », mais permet au contraire d’opérer une « simplification » du sens dans la mise en discours. C’est cette alternative qui est décrite ici avec les figures de répétition.

3.1. Deux répétitions : répétition-signifiance vs répétition-signification

  • 18 « On a coutume de distinguer la redondance, inhérente au langage et inscrite dans le code même, de (...)

41Avant d’être figurale, la répétition est constitutive du langage. Il n’est pas de langage sans répétition, c’est par la répétition d’un nombre fini de phonèmes, de morphèmes, de lexèmes que naît le discours, virtuellement infini. La répétition dans la langue, ou la redondance, s’oppose à la répétition en tant que mise en discours par un locuteur18. Mais la « répétition », en tant que mise en discours par un même locuteur, est elle-même ambiguë. Répéter, c’est soit redire le même autrement (avec d’autres mots), soit ne pas le redire autrement, mais au contraire à l’identique (avec les mêmes mots). Le langage métalinguistique ne dispose pas non plus de vocables distincts pour désigner ces deux opérations (on est alors contraint de préciser le mot répétition : « exact repetition », « exakte Wiederholung », « répétition à l’identique », etc.). L’indifférenciation terminologique a favorisé une indifférenciation dans l’étude des deux types de reprise, tant en rhétorique qu’en linguistique (Prak-Derrington 2015b), et favorisé un flottement et un piétinement théoriques, que les études récentes sur la répétition cherchent aujourd’hui à dissiper, mais sans définir de manière explicite ce qui distingue les deux modes de répétition. La position dominante aujourd’hui encore cautionne l’idée d’un continuum qui s’étend du Même à l’Autre de la répétition.

Toute répétition est reprise, toute reformulation aussi, d’une autre façon. Il faut commencer par poser une frontière entre la répétition, définie par la réitération du signifiant et du signifié d’un segment de nature variable et la reformulation, définie par la réitération « du » signifié, mais non du signifiant […]. Toutefois, cette définition, qu’il est nécessaire de poser, au plan praticopratique, il est encore plus nécessaire d’en montrer la relativité. (Magri & Rabatel 2015, pp. 9-10.)

42Dans notre perspective qui ne considère que la répétition figurale, le fait de répéter autrement ou à l’identique ne s’inscrit pas dans un continuum mais traduit l’opposition de deux modes de signifier hétérogènes.

43La répétition qui nous intéresse ici, celle de la cohésion rythmique, se définit par deux propriétés conjointes : a) la mise en suspens du principe de substitution paradigmatique ; b) cette mise en suspens doit être figurale.

44a) Le signe linguistique est analysé depuis Saussure comme un signe duel unissant signifiant et signifié, « concept et image acoustique » (Saussure 1965 [1916], pp. 98-99). Face au signe biface, on trouve, en toute logique une répétition verbale à deux visages : celle du signifié (rendre l’âme équivaut à mourir), celle du signifiant (« Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir »). Ces deux répétitions satisfont à la définition d’une l’opposition telle qu’elle a pu être définie en phonologie (Troubetskoï 1967 [1939]) : premièrement, elles ont une « base de comparaison », la reprise ; deuxièmement, elles s’opposent par une propriété distinctive : celle de la possible ou impossible substitution.

45La répétition du signifié autorise la substitution des signes. Mourir peut être remplacé par de multiples synonymes in absentia dans la langue (trépasser, s’éteindre, crever, casser sa pipe, etc.).

46La répétition des signifiants en revanche maintient, intégralement ou partiellement, les signes, non plus comme concepts interchangeables, mais comme « corps » singuliers et non substituables : répéter à l’identique, c’est refuser le principe de substitution paradigmatique du langage ordinaire.

47b) Au sein de ces paradigmes effectifs, seuls nous intéressent les paradigmes figuraux. Le deuxième trait définitoire de la cohésion rythmique est donc celui de la figuralité. On peut poser la question en ces termes : à quel moment une répétition cesse-t-elle d’être transparente pour s’imposer comme figure ? Je renvoie ici à Magri & Rabatel (2015, pp. 11-13) sur la question complexe de la saillance et de la rémanence et me contente de ce simple constat : plus un terme est répété, plus il perd sa transparence. Au-delà d’un certain seuil, tout signifiant (son, lettre, syllabe, morphème, affixe, mot, groupe de mots, phrase, paragraphe…) devient une forme-sens. Toute répétition est susceptible en contexte de faire figure.

48Les deux types de répétition s’opposent donc par deux modes de « paradigmatisation » hétérogènes.

  • 19 Le terme de signifiance a été proposé par Benveniste au sens très large de « propriété de signifier (...)

49La répétition du signifié ou la répétition substitutive procède de la signification, tandis que la répétition du signifiant (qui suspend le principe de substitution paradigmatique) procède de la signifiance19, si et seulement si elle est figurale. J’emploie donc le terme de signifiance dans une acception étroite. Relèvent de la signifiance et de la cohésion rythmique les répétitions qui satisfont à ces deux conditions : i) elles sont produites par les signifiants ; ii) elles sont figurales.

50Cette définition permet d’adopter une définition large de la « répétition à l’identique » et d’inclure les formes intermédiaires. Les répétitions avec variations (cf. Prak-Derrington 2008, Rabatel 2007), dès lors qu’elles sont figurales, procèdent également de la signifiance.

51Les signes ont un corps, mais cette réalité, le pouvoir et les propriétés qui découlent des signifiants sont encore largement réservés à l’étude de la poésie, de la littérature, à la psychanalyse, tandis que les linguistes qui s’intéressent à la répétition ne peuvent se résoudre à abandonner la quête de sens (signifié).

3.2. Répétition figurale et cohésion rythmique

3.2.1. De la figure comme Gestalt

  • 20 En général, on recourt à une série de critères ponctuels pour définir la répétition figurale (la qu (...)

52J’adopte ici une définition gestaltiste de la figure20. Pour la Gestalt-theorie, tout champ perceptif se différencie en un fond (situé en arrière-plan, amorphe, peu défini) et une figure (qui se détache au premier plan et possède formes, organisation, contours) (Rosenthal & Visetti 2003, p. 129). Ce principe général de saillance, associé à d’autres lois particulières (en particulier de similarité, de proximité, de symétrie et de clôture (Ibid., p. 137), permet d’organiser et de structurer les champs perceptifs, de la simple perception aux opérations mentales supérieures.

53Parmi toutes les figures de rhétorique, la répétition est celle qui transpose les principes décrits par la psychologie des formes de la manière la plus directe et la plus immédiate. Elle se présente d’emblée comme un phénomène perceptif ; figure de « co-émergence régulière » (Bonhomme 2005, p. 62) et par là même de saillance maximale, elle satisfait intrinsèquement à la loi de similarité et met en œuvre, en sus, l’une ou l’autre, voire toutes les autres lois. La Gestalt s’est intéressée prioritairement aux phénomènes perceptifs visuels, mais ses règles valent aussi bien pour la structuration des phénomènes auditifs, comme c’est le cas pour la répétition.

  • 21 « FIGURE. Terme de Rhétorique, de Logique et de Grammaire. Ce mot vient de fingere, dans le sens d’ (...)

54La rhétorique a depuis longtemps établi la capacité de structuration des figures de répétition dès lors que ces dernières sont associées au critère positionnel d’ouverture et de clôture de l’unité où elles apparaissent, et elle les a regroupées sous le nom de figures de construction. Elles ont nom : anaphore, épiphore, antépiphore, symploque, etc. Ces noms savants et exotiques cachent un système d’organisation très rigoureux. Par commodité, la terminologie rhétorique est ici maintenue, et explicitée en 2.3. Le rôle de structuration de ces figures est largement sous-estimé dans une rhétorique qui a placé et place encore les figures de sens au centre de ses préoccupations. Je prends au contraire figure dans son sens originel non pas comme trope mais comme disposition, arrangement, construction21 : « forme » ou « Gestalt ».

3.2.2. Les paradigmes-syntagmes de la répétition. Une cohésion rythmique

55Lorsque le locuteur répète à l’identique, c’est parce qu’il choisit de dessiner, avec une netteté inégalable, des figures qui découpent le continuum sonore et informationnel en autant de schèmes discursifs d’une remarquable et surtout mémorable audibilité.

  • 22 J’utilise les termes thème et rhème dans l’acception de la Functional Sentence Perspective (cf. Pra (...)

56Tandis que les reprises de l’oral spontané manifestent l’émergence de la syntaxe dans les discours (Blanche-Benveniste 1997, p. 90), les répétitions de l’oral élaboré, quant à elles, telles qu’elles sont distribuées dans les discours politiques épidictiques, gravent la syntaxe dans les discours. Elles mettent à nu, de manière simplissime et prévisible, le schéma minimal d’organisation de la parole, la structuration informationnelle en thème et rhème22. La dichotomie de la proposition devient cadence. L’organisation syntaxique du discours se voit métamorphosée en une expérience sensorielle et immédiate, une expérience rythmique et musicale pour le sujet. Parce que la répétition discrétise le flux discursif en unités sonores rigoureusement délimitées, elle transforme alors les unités syntaxiques en unités rythmiques. Les unités ainsi découpées sont d’une saillance qui traverse toutes les langues, universelle, parce qu’identifiable en dehors de toute considération sémantique.

57On connaît depuis longtemps cette fonction de discrétisation de la répétition pour la syllabe : en poésie, c’est le principe de la rime (ou la répétition entre deux ou plusieurs mots de la syllabe accentuée) qui marque, dans la poésie occidentale, la fin du vers. Dans les discours politiques épidictiques, la fonction de discrétisation de la répétition est principalement utilisée à partir et au-dessus du mot. Tous les procédés considérés comme trop pauvres et trop faciles en poésie sont justement ce qui fait leur efficacité dans le discours politique, qui doit emporter l’adhésion d’un auditoire foncièrement « composite » : il faut parler simplement pour être compris vite et facilement par le plus grand nombre. Les figures syntaxiques de la répétition sont alors au discours politique ce que le mètre et la versification sont à la poésie : sa mise en rythme, sa textualisation musicale. Ce sont, véritablement, des paradigmes-syntagmes.

58D’une part, c’est par la disposition sur l’axe syntagmatique que ces figures se définissent. La répétition porte sur l’ouverture et sur la clôture d’une unité /séquence, ou encore sur les deux. D’autre part, leur récurrence dans la chaîne parlée met en jeu l’axe paradigmatique du discours. La répétition crée des séries verticales et rend visible, à côté de la progression linéaire du discours, le principe de tabularité. Je renvoie ici à la description que je fais ailleurs de ces figures (Prak-Derrington 2015b). Les syntagmes-paradigmes (ou l’inverse) de la répétition se distinguent par une remarquable audibilité… et donc mémorabilité (cf. tableau en § 2.3).

  • 23 Le Dictionnaire électronique des synonymes donne parmi les synonymes pour entassement et empilement(...)

59Les paradigmes-syntagmes de la répétition peuvent difficilement être qualifiés « d’entassement » ou « d’empilement » (Magri -Mourgues 2014, p. 92) termes qui valaient pour la liste et la langue parlée. Ni le tas et la pile ne présupposent un agencement ou un ordonnancement rigoureux ; au contraire, ils renvoient à une disposition aléatoire, voire chaotique23. Alors que la vertu commune de toute répétition à l’identique est d’ordonner le chaos. La non-substituabilité d’une unité en un même point de la chaîne crée un paradigme euphonique et rythmique. Par exemple, toujours a de multiples synonymes dans la langue (continuellement, sans cesse, constamment, chaque fois, etc.), mais aucun d’eux ne peut se substituer à la répétition de toujours et à sa fonction rythmique, dans l’alexandrin de Corneille « toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir » ((2+2)+(2+2)+(2+2)). C’est la même chose dans la prose. De fait, la répétition apparaît comme le procédé universel, primitif (au sens de « qui est à son origine, qui est le plus ancien ») pour créer du rythme : il suffit que je répète pour créer du rythme ; dits une seule fois, une phrase, ou un segment de phrase, ne sont pas nécessairement rythmés ; X-fois répété-e, il ou elle le devient.

  • 24 Voir par exemple la présentation des grands types de progression thématique dans Riegel et al. (200 (...)

60De la grande simplicité de la répétition découle la possibilité d’une grande complexité dans la structuration du continuum sonore, la possibilité de l’organiser en un tout rigoureusement agencé. Cet agencement est d’ordre musical si l’on entend par musique l’« art de combiner des sons d’après des règles (variables selon les lieux et les époques), d’organiser une durée avec des éléments sonores » (Grand Robert de la langue française). Il faut prendre au sérieux cette dimension, quand il s’agit du discours politique. Il arrive parfois que la forme y soit plus importante que le fond. Il ne s’agit plus alors seulement de structurer son contenu informationnel, mais de varier et de réguler le flux sonore du discours. À la place d’être confronté à une structuration informationnelle, déclinée seulement en trois ou quatre types de progression thématique24, on trouve une multitude de schèmes positionnels. Ces schèmes, tout variés qu’ils soient, sont dans leur figuralité complètement prévisibles, ils introduisent une écoute de la re-connaissance, et de l’anticipation, une écoute doublement orientée, tant rétroactive qu’anticipatrice. C’est la fonction rassérénante de la répétition, qui permet à l’auditoire de prévoir l’à-venir des énoncés.

3.3. Tableau de classification des figures de répétition

61Les figures de la répétition figurale s’articulent en réseau (Prak-Derrington 2015a), le tableau ci-après récapitule les différentes configurations syntaxiques/rythmiques pouvant apparaître dans les discours politiques. À chaque paradigme répété correspond une lettre ; pour des raisons de place, la formule transcrit de manière horizontale ce qui en réalité devrait être mis en colonne.

Structuration thématique

anaphore

(A…/ A… /A…)

Structuration rhématique

épiphore (ex.1)
épanode (ex. 2)

(…A/…A/…A)
(…A/…AB/…AC)

Clôture par symétrie

symploque parfaite (ex. 3)
symploque avec épanode

(A…B/A…B/A…B)
(A…BC/A…BD/A…BE)

Clôture par cercle

cercle simple
antépiphore (4)
cercle composé
antimétabole ou chiasme formel (cf. infra, 3.1)
(antépiphore + anadiplose)


(A…………A)

(ABBA)

Transition entre les figures

anadiplose (ex. 5)

(…A/A…)

62Epiphore (…A/…A/…A) (et épanode)

(1) This is not, however, just America’s fight.
And what is at stake is not just
America’s freedom.
This is the world’s fight.
This is civilization’s fight.
This is the fight of all who believe in progress and pluralism, tolerance and freedom.
(George W. Bush, 20 /11/2001, Discours adressé à la nation25.)

63Epanode (…AB/…AC/…AD) :
voir l’exemple du discours de Weizsäcker en 2.2.1.
Symploque (A…B/A…B/A…B)

3) Salut aux humiliés, aux émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres.
Salut à
celles et à ceux qu’on bâillonne, qu’on persécute ou qu’on torture, qui veulent vivre et vivre libres.
Salut aux séquestrés, aux disparus et aux assassinés qui voulaient seulement vivre et vivre libres.
Salut aux prêtres brutalisés, aux syndicalistes emprisonnés, aux chômeurs qui vendent leur sang pour survivre, aux indiens pourchassés dans leur forêt, aux travailleurs sans droit, aux paysans sans terre, aux résistants sans arme qui veulent vivre et vivre libres. (Mitterrand, Discours de Cancun, 21/10/198126.)

64Antépiphore (A……A)

(4) Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi — et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle — nos frères dans l’ordre de la Nuit… (André Malraux, Paris, 19/12/196427.)

65Anadiplose (…A/A…)

  • 28 Ibid.

(5) Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat. (Ch. de Gaulle, Appel du 18 juin 194528.)

66Comme on le voit dans les exemples ci-dessus (volontairement empruntés à trois langues différentes), le renoncement aux formes singulatives (et donc non rythmiques) s’affirme par ailleurs dans le recours quasi-exclusif aux structures binaires et ternaires. Dans le discours épidictique, les mots n’existent pas seuls mais toujours accompagnés. Ils forment des paires, complémentaires ou rivales (deux pour marquer la symétrie, l’harmonie, la parité ou au contraire l’antagonisme, la rivalité, la dualité, etc.). Ou bien ils vont par trois : « Trois […] est un nombre parfait, l’expression de la totalité, de l’achèvement » (Chevalier et Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, 1982, p. 972). C’est de l’ensemble de ces répétitions, de leur jeu de cumul ou d’inclusion, de symétries, variations et d’échos que naît la puissance de la cohésion rythmique.

67On dit de la musique qu’elle est un langage universel, il en est de même pour la répétition : nul besoin de la comprendre pour la reconnaître. Que l’on soit enfant ou adulte, analphabète ou grand lecteur, ignorant ou savant, nul ne peut ne pas identifier (entendre ou voir) la répétition. L’identification est sensorielle : vocale et auditive (ou visuelle sur le blanc de la page). Quel que soit le contexte, quel que soit l’allocutaire, quels que soient le savoir encyclopédique ou l’origine sociale, quelle que soit enfin la connaissance de la langue où elle est proférée.

4. Déclinaisons de la cohésion rythmique

A text is best regarded as a SEMANTIC unit: a unit not of form but of meaning. (Halliday & Hasan 1976, p. 4, en majuscule dans le texte.)

Ni copie du sens, ni symbolisation, le rythme est […] antérieur au sens. (Meschonnic 1982, p. 98.)

  • 29 Pour une synthèse sur le couple cohésion/cohérence, cf. Salles (2006).

68La cohésion peut être définie comme « l’ensemble des moyens linguistiques qui assurent les liens intra- et interphrastiques permettant à un énoncé oral ou écrit d’apparaître comme un texte » (Adam in Charaudeau & Maingueneau 2002, p. 99). Ces moyens linguistiques ont été le plus souvent interprétés comme étant des moyens grammaticaux (cf. l’article de synthèse de Linke et Nussbaumer 2000). À partir des années 1980, dans l’analyse des textes et des discours, le concept de cohérence a peu à peu supplanté celui de cohésion. La répétition, ou le principe de récurrence, s’est trouvée progressivement rétrogradée, de condition nécessaire, à celle de condition nécessaire mais non suffisante, enfin à celle de condition même pas nécessaire29. Les linguistes se sont attachés à montrer la prééminence de la cohérence sur la cohésion, à l’aide de suite d’énoncés dépourvus de toute marque formelle de cohésion (du type « A : On sonne. / B : Je suis dans mon bain », Charolles 1995).

69La cohésion rythmique nous place devant la tâche inverse : il s’agit d’admettre la non moins grande pertinence communicative d’énoncés formellement cohésifs et sémantiquement peu voire pas cohérents. La pertinence de la cohésion rythmique n’est pas d’associer une intention communicative à une intention informative (le deuxième principe de pertinence, qui doit permettre de maximaliser le rendement de l’information, Sperber & Wilson 1986), mais au contraire de rendre possible la déliaison entre communication et information.

70Il faut donc distinguer entre deux grands modes de cohésion rythmique : celle qui soutient et amplifie la cohérence, celle qui peut s’affranchir de la cohérence.

4.1. La cohésion rythmique révèle et amplifie la cohérence

71Lorsque la répétition s’accompagne de variations sur le sens, elle est saluée par tous comme figure d’éloquence. Je prendrai trois exemples.

72Le premier est un extrait du discours prononcé en 1974 devant l’Assemblée par Simone Veil pour présenter le projet de loi visant à libéraliser l’IVG ; il s’agit d’une anaphore :

(6) Pourtant, d’aucuns s’interrogent encore : une nouvelle loi est-elle vraiment nécessaire ? […]
Pourquoi ne pas maintenir le principe et continuer à ne l’appliquer qu’à titre exceptionnel ?
Pourquoi consacrer une pratique délictueuse et, ainsi, risquer de l’encourager ?
Pourquoi légiférer et couvrir ainsi le laxisme de notre société, favoriser les égoïsmes individuels au lieu de faire revivre une morale de civisme et de rigueur ?
Pourquoi risquer d’aggraver un mouvement de dénatalité dangereusement amorcé au lieu de promouvoir une politique familiale généreuse et constructive qui permette à toutes les mères de mettre au monde et d’élever les enfants qu’elles ont conçus ?
Parce que tout nous montre que la question ne se pose pas en ces termes.
Simone Veil, 26 novembre 1974 (in Labiausse 2011, pp. 151-152)

73Au lieu de se contenter de poser de manière singulative la question qui subsumerait toutes ces variations : « Pourquoi ne pas continuer à interdire l’avortement ? », l’anaphore déploie une pluralité d’unités, un éventail varié d’énoncés, tous construits sur le même schéma syntaxique binaire (anaphore pourquoi + verbe à l’infinitif), qui égrènent à chaque pourquoi réitéré les arguments contra des adversaires de l’avortement. À l’énumération plurielle des arguments contra s’oppose la réponse, unique, claquant comme un fouet : parce que. C’est un merveilleux exemple d’art oratoire, de complétude entre son, sens, argumentation.

4.2. Le chiasme formel ou antimétabole : du renversement argumentatif au coup de bluff rhétorique

74Le chiasme revêt de multiples formes, mais jamais plus saillante que lorsqu’il porte sur des éléments lexicaux identiques. C’est une figure extrêmement complexe, car elle renverse autour d’un axe non pas une mais deux figures (ABBA), et sa symétrie se révèle vertigineuse, car elle est à la fois mobile et verrouillée. La symétrie est en effet répartie d’une part sur la figure de l’anadiplose, qui est une figure de rebond (…B/B… : la fin se transforme en ouverture), et d’autre part sur la figure de clôture de l’antépiphore (A…A), qui encadre le tout. À la manière d’un prestidigitateur, qui fait passer ses dés d’un gobelet à un autre, sans qu’il soit possible à l’œil du spectateur d’égaler en rapidité la dextérité de ses mouvements, l’énonciateur de l’antimétabole accomplit un tour de passe-passe dont l’auditeur, indépendamment de tout contenu et de toute démarche de compréhension, ne peut que saluer le caractère spectaculaire.

75Dans sa forme la plus achevée, ce renversement s’accompagne d’un changement de sens. Le chiasme idéal permet alors de structurer rythmiquement une antanaclase : « Live simply so that others may simply live » (Gandhi) : « live1 simply » : la manière de vivre, « simply live2 » : le droit de vivre.

76Le renversement peut être uniquement syntaxique, et la permutation autour d’un axe permet alors d’inverser, en même temps que les actants, la perspective. C’est le cas d’un des plus célèbres chiasmes de discours politique du xxe siècle, à la fin du discours d’investiture de John. F. Kennedy :

(7) And so, my fellow Americans: ask not what your country can do for you—ask what you can do for your country.
My fellow citizens of the world, ask not what America will do for you, but what together we can do for the freedom of man.
Finally, whether you are citizens of America or citizens of the world, ask of us here the same high standards of strength and sacrifice which we ask of you. With a good conscience our only sure reward, with history the final judge of our deeds, let us go forth to lead the land we love, asking His blessing and His help, but knowing that here on earth God’s work must truly be our own.
(John F. Kennedy, Discours d’investiture, 20 janvier 196130.)

77On voit que le procédé de transfert de sujet à l’objet et d’objet au sujet est ici varié autour du même verbe « to ask », trois fois. Mais la postérité n’a retenu que la première occurrence, la plus concise et la plus percutante. De fait, plus le chiasme est « pur » dans sa forme, plus il frappe l’oreille des auditeurs. Plus il est répétable. II devient mémorisable. Indépendamment, et c’est la position que je défends ici, de toute fonction argumentative :

La fonction cognitive de l’antimétabole (et du chiasme) est subordonnée à une fonction informative et argumentative forte. Ce dernier se situe dans un cadre qui, sans être nécessairement polémique, repose a minima sur le refus de se satisfaire des manières traditionnelles de voir. (Rabatel 2008, consulté le 12 décembre 2015.)

78Dans le discours philosophique, le chiasme est effectivement une figure de renversement. Dans le discours épidictique, peu importe si le renversement n’est pas véritablement informatif, il demeure un puissant procédé de captation et de séduction. L’exemple suivant constitue un bon exemple d’argumentation prestidigitatrice.

(8) (1) Tonight, we are a country awakened to danger and called to defend freedom [rythme binaire, répétition syntaxique d’un participe passé]. (2) Our grief has turned to anger and anger to resolution [binarité par anadiplose]. (3) Whether we bring our enemies to justice or bring justice to our enemies, justice will be done. [clôture par le chiasme]
(George W. Bush’s, Address to Congress and the American People, given on Thursday, September 20
th 200131.)

  • 32 Éventuellement le passage d’un point de vue moins guerrier (faire comparaître devant un tribunal) à (...)

79Il est possible d’y voir un changement de point de vue32, mais sur le plan des décisions politiques, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Le chiasme qui permute les éléments du rhème ne fait que mettre en scène une seule et unique réalité : « bring justice » transforme en entreprise humanitaire éclairée, quasi-irénique, la décision de « déclarer la guerre ». Décision qui apparaît, par les vertus de la répétition inversée, doublement et donc impérieusement justifiée. Sur le plan sémantique, dans un cas comme dans l’autre, la guerre aux terroristes et à l’Afghanistan est déclarée.

80Lorsque le chiasme n’apporte pas de réel renversement sémantique, il est interprété comme sacrifiant à la « gratuité », à la « banalité », à la « facilité » (Morier 1998, p. 123). Sans doute. Mais pour l’oreille et pour le rythme, pour la mémoire auditive, c’est l’exactitude formelle qui importe. On ne retient bien que ce qui s’entend bien. La publicité le sait, qui trouve dans le chiasme une source inépuisable de slogans, avec changement de sens (ex. 9, 10, 11) ou bien au contraire sans changement, et dont le renversement positionnel, une fois passé à la loupe de l’analyse, n’apparaît motivé que par la symétrie phonique (12, 13, 14) :

(9) « Des infos justes // et pas juste l’info. » (Pub. pour France 2)

(10) « Tout le monde est capable de fabriquer un véhicule électrique. // Mais qui sera capable de fabriquer un véhicule électrique pour tout le monde ? » (Pub. pour Renault)

(11) « Ce n’est plus la pêche qui donne la truite // mais la truite qui donne la pêche. »

(12) « Buvez Crémant d’Or. L’ivresse de la mousse, // la mousse de l’ivresse. » (ex. de Morier, p. 123)

(13) « It takes fire to make Jack // and Jack to make fire » (Pub. pour un whisky)

(14) « A: –You got peanut butter on my chocolate! // B: –You got chocolate in my peanut butter! (Voix off: ) Two great tastes // that taste great together. » (Pub. pour Reese, beurre de cacahuète)

81On le voit dans ces exemples, la mise en rythme par la répétition peut tout à fait être dissociée du contenu des arguments, et n’apporter aucune information. Ce qui compte avant tout, c’est que le slogan soit facilement répétable. Et par là mémorisable.

82C’est une exigence de la poésie que d’associer répétition de son et variation de sens. C’est la poésie qui distingue entre rimes pauvres (mêmes mots) ou rimes riches (homonymes). Le discours épidictique fait fi de ces distinctions : il fait feu du bois de toute répétition, fût-elle — comme on va le voir maintenant —, tautologique. Très souvent, et c’est là la force de la répétition dans le discours politique, sa cohésion rythmique l’emporte sur la cohérence sémantique.

83Je distingue ci-après deux cas : lorsqu’elle l’emporte sur la pauvreté (le trop peu) ou au contraire l’hétérogénéité (le trop plein) de sens.

4.3. La cohésion rythmique l’emporte sur la cohérence sémantique

4.3.1. La cohésion rythmique contre la pauvreté sémantique

84La séduction de la mise en rythme par la répétition opère, même lorsque le discours n’offre par son contenu que très peu d’arguments et très peu de variations, comme dans ce discours d’Université d’été de Marine Le Pen, où la répétition, mécaniste sur le plan du sens, déploie cependant des vertus incantatoires pour accroître la puissance de l’acte d’accusation :

(15) Ce n’est pas le peuple français qui est faible, ce sont nos élites qui l’affaiblissent.
Ce n’est pas le peuple français qui désespère, ce sont nos élites qui nous désespèrent.
Le peuple français n’a pas peur, ce sont nos élites qui nous font peur.
Ce n’est pas le peuple français qui manque de courage, ce sont nos élites qui le découragent.
(Marine Le Pen, Université d’Été, 15/09/201333.)

85L’opposition entre le discours du FN et celui des autres partis est portée par un parallélisme récurrent, qui fait se succéder une négation par sa rectification. Cette structure est répétée quatre fois. Cette construction clivée, duelle et antagoniste, sert au démasquement de la vérité : « Ce n’est pas le peuple français qui X’, ce sont nos élites qui X’’… » La négation mérite bien ici le nom de « polémique » (Ducrot 1984), elle rejette comme mensonges les discours qui seraient tenus sur la France et renforce ainsi la force illocutoire des affirmations positives données dans le deuxième mouvement. L’opposition se décline de manière systématique. Elle porte sur la valeur de vérité (phrase négative vs affirmative), sur le nombre (« le peuple français » mais « nos élites »), mais surtout, elle oppose les verbes conjugués terme à terme, par leur passage de l’intransitivité (le sujet grammatical « le peuple français » est non agentif dans la construction clivée) à la transitivité (le sujet grammatical « nos élites » est un sujet agentif : coupable, et « le peuple français » transformé en complément d’objet : victime). Sur le plan sémantique, on peut trouver simpliste et manichéiste le procédé, il n’empêche qu’il transforme ces quatre phrases en un paradigme rythmique, et insuffle au discours une cadence martiale.

86La fonction rythmique de la répétition est encore plus criante lorsqu’il n’y même plus de variations du tout (comme celle donnée par l’isotopie des verbes de sentiments négatifs dans l’exemple ci-dessus) et que le discours devient absolument tautologique sur le plan du sens.

(16) Alors, oui, je vous l’annonce aujourd’hui mes chers amis : nous allons gagner.
Nous allons gagner parce que la vérité ne peut que gagner.
Nous allons gagner parce que la justice ne peut que gagner.
Nous allons gagner parce que la France ne peut pas perdre !
(Marine Le Pen, La Baule, Université d’Été 201234.)

  • 35 C’est la figure décriée de la périssologie (de perissos, superflu) ou battologie : « répétition gén (...)

87On est ici confronté à une « répétition incantatoire », qui se soustrait à la linéarité de la progression syntagmatique et à une quelconque structuration informationnelle. Le discours est argumentativement tautologique, puisqu’il instaure une relation d’identité entre la cause et l’effet. Le parce que répété opère par glissement-gradation, les trois termes « vérité », « justice » et « France » se substituant au « nous » partisan. Excepté ce glissement stéréotypé, on atteint des sommets de circularité sur le plan sémantique : la seule variation est fournie par la reformulation de gagner en ne pas perdre35. La cohésion rythmique s’affranchit ici des lois de l’argumentation ou de progression informationnelle, pour servir l’acte pragmatique d’encouragement. On se rapproche d’une unification par le slogan : c’est la forme améliorée, pour les besoins du discours politique, du « On va gagner » des supporters de foot, dont nul ne songerait à contester l’efficacité. Peut-on imaginer une foule encourager son équipe avec des slogans individuels, tous différents ? Peut-on créer l’union et le rassemblement en scandant de l’hétérogène ? La répétition fait advenir, en un mouvement iconique et mimétique, l’adhésion de l’auditoire par la force de sa cohésion rythmique.

4.3.2. La cohésion rythmique contre le trop-plein sémantique

88Il faut reconnaître à la répétition une vertu profondément cohésive. Cette cohésion peut se déployer en dissonance avec la cohérence sémantique pour lui permettre de rassembler les contenus les plus hétéroclites. La répétition lisse et soude l’hétérogénéité la plus pure.

89Un morceau d’anthologie nous est fourni par les quarante-six fois du Pourquoi tant de haine, de Nicolas Sarkozy prononcées dans son discours de Dijon, au lendemain du premier tour des présidentielles de 2007, auprès desquelles les seize fois du Moi Président de Hollande paraissent bien raisonnables. L’orateur déroule une liste-répétition. On qualifie ces répétitions de « mécanique » (Noailly & Richard 2014), je parle de « répétition litanique ». La citation ci-après ne reprend que les premières et les dernières occurrences de cette répétition litanique :

Alors, pourquoi tant d’attaques personnelles, pourquoi tant de violence, pourquoi tant de haine ?
[…]

(1) Oui, pourquoi tant de haine ? Parce que je parle de la France ? De son identité ? De ses valeurs ? Parce que ce sont devenus des gros mots ?

(2) Pourquoi tant de haine ? Parce que je dis que dans l’identité française il y a des valeurs qui ne sont pas négociables ? Parce que je dis que l’égalité de la femme et de l’homme ce n’est pas négociable ? Parce que je dis que la laïcité ce n’est pas négociable ? Parce que je dis que la liberté de conscience ce n’est pas négociable ? Parce que je dis que le refus de la polygamie, de l’excision, du mariage forcé ce n’est pas négociable ?

(3) Pourquoi tant de haine ? Parce que je n’accepte pas la repentance ? Parce que je ne veux pas qu’on demande aux enfants d’expier les fautes supposées de leurs pères ? Parce que je considère que la France n’a pas à avoir honte de son histoire ? Parce que je dis que la France n’a pas inventé la solution finale, ni commis de génocide et qu’elle est le pays au monde qui a le plus fait pour la liberté des hommes ?

(4) Pourquoi tant de haine ? Parce que je dis que tous les Français n’étaient pas pétainistes ? Que des mères ont caché des enfants juifs au milieu de leurs propres enfants ? Que des résistants sont morts dans les maquis ?
[…]

(44) Pourquoi tant de haine ? Parce que je ne veux pas que l’impôt puisse prendre plus de 50 % du revenu ? Parce que je préfère que ceux qui réussissent reviennent en France créer de l’activité et des emplois au lieu de les créer à l’étranger ?

(45) Pourquoi tant de haine ? Parce que je veux instaurer le service minimum dans les transports ? Parce que je ne veux plus qu’une minorité puisse prendre la majorité des citoyens en otage ? Parce que je veux faire respecter le principe fondamental de la continuité du service public ? Parce que je ne confonds pas le droit de grève avec le droit de bloquer tout le pays ?

(46) Pourquoi tant de haine ?
(Nicolas Sarkozy, lundi 23 avril 2007 à Dijon, http://tempsreel.nouvelobs.com/​politique/​elections-2007/​20070424.OBS3756/​le-discours-de-nicolas-sarkozy-a-dijon.html)36

90Commentant ces exemples de répétition litanique, V. Magri-Mourgues et D. Mayaffre dénoncent leur cohésion, qui n’est que de « surface » :

La succession des énoncés n’est motivée que par la reprise systématique — au sens premier du terme — de séquences dans un mouvement cohésif de surface. (Magri-Mourgues 2014, p. 92.)

L’identique (i.e le répété) ici n’est que de surface et a pour vocation de masquer l’hétérogène la progression n’est quapparente dans un discours bégayé, non hiérarchisé et qui tourne en rond. (Mayaffre 2015, consulté le 15 décembre 2015.)

91Le fait que cette cohésion ne soit « que » formelle ne signifie pas pourtant qu’elle soit « superficielle », à appréhender seulement comme un manque : ces commentaires valent pour la mise en écrit du discours. La répétition litanique libère de la contrainte de la linéarité du signifiant, et de la contrainte de la « progression informative » dans les discours. Il ne s’agit plus ici d’aller de l’avant, ou d’informer mais de rendre le discours performatif. La lecture ne permet pas plus d’imaginer l’expérience physique et les effets provoqués par une telle énumération pour l’orateur et les auditeurs que le spectacle d’un marathon ne peut essouffler le spectateur assis devant sa télévision. La performativité est ici liée à la performance physique et à la cohésion rythmique déployée par la répétition.

92Le pouvoir performatif de la répétition peut être décomposé en trois temps :

  1. Sur le plan du contenu, l’énumération est parfaitement hétéroclite. La cohésion rythmique homogénéise, elle permet de rassembler un ensemble proprement incommensurable en un tout unifié : ici, pas moins que la France, son identité, ses valeurs, annoncées en (1), relayées ensuite par les propositions et promesses de changement du candidat (la fin de notre extrait).

  2. Le tour de force de la cohésion rythmique consiste ici à faire coïncider cet incommensurable avec la seule personne du candidat. Si « Pourquoi tant de haine » est répété 46 fois, « parce que » est répété 106 fois et mis en rapport avec le JE, répété 99 fois. Sarkozy est celui qui apporte le bien et les solutions au mal. De l’ensemble hétérogène, seul demeure dans la mémoire ce qui est invariant. La répétition litanique transforme l’ethos d’un candidat à la présidence en l’ethos d’un chef qui incarne la France. C’est là que se dessine le troisième mouvement de la répétition.

  3. La construction de l’ethos de président se fait en incluant la participation de l’auditoire. Les procédés linguistiques utilisés sont de deux formes : d’une part, le procédé de la question oratoire. Mais aussi, bien sûr, le procédé de co-locution imposée que constitue la répétition litanique. C’est parce que tout énoncé répété devient répétable, que l’auditeur le plus passif se voit transformé en un véritable co-locuteur, qui peut énoncer avec le locuteur non pas les variations, mais l’invariant de la répétition. La cohésion rythmique crée un lien sympathique, qui rassemble bouche et oreilles autour du corps vocal des signes répétés.

  • 37 (Meschonnic 1982, pp. 98-100.)

93Dans tous les exemples que nous avons vus, la cohésion rythmique est indissociable d’une mise en corps du discours. Dans le discours politique épidictique, c’est la désincarnation de l’écrit qui fait dire des répétitions qu’elles sont banales, mécaniques, gratuites, etc. Mais la cohésion rythmique créée par la répétition n’est ni gratuite ni de surface, elle est au contraire profonde et archaïque, parce qu’antérieure au sens37 : quiconque l’entend en subit l’effet sans pouvoir s’y soustraire, on la reconnaît avant de la comprendre. Le texte et sa cohésion ne doivent plus alors être définis de manière sémantique, mais de manière sonore. C’est le triomphe de la cohésion rythmique : au lieu que l’organisation sonore, rythmique et matérielle des discours soit oubliée aussitôt que perçue et que s’effacent les signifiants pour laisser place au sens, la musique des mots est promue monde en soi, première — et parfois ultime — réalité.

5. Conclusion

94L’analyse des textes et des discours a largement privilégié la répétition-signification ou répétition-cohérence et négligé l’étude de la répétition-cohésion, restée cantonnée au domaine de la littérature et à l’œuvre poétique. La non-différenciation entre le mode de la signification (où les mots sont interchangeables) et celui de la signifiance (où les mots ont un corps, non-substituable) a induit l’appréhension négative de la répétition à l’identique (le dire en plus comme dire en trop).

95On connaît la critique faite par l’empereur Joseph II à Mozart, à l’issue de la première représentation de l’Enlèvement au sérail : « Il y a je pense trop de notes dans cette partition ! ». Dire de la répétition qu’elle est « en trop » (machinale, mécanique, lassante, superflue …) n’est possible que parce qu’on la considère en oubliant son caractère phonique et rythmique. Il en découle de puissants effets pragmatiques qui n’ont pu être abordés ici.

96Le reproche de non-pertinence fait souvent à la répétition s’avère improductif dès lors que la signifiance déborde et échappe à la signification : lorsque les paradigmes rythmiques de la répétition, basés sur la non-substituabilité des signifiants, remplacent les paradigmes du langage ordinaire, fondés sur la substitution. C’est une entreprise d’émancipation et d’affranchissement de l’empire du sens conceptuel que de reconnaître, pour certains genres de discours, le primat du sensoriel de la répétition.

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Notes

1 Voir, à côté des innombrables ouvrages consacrés à la répétition chez des écrivains et artistes particuliers, les ouvrages de portée théorique générale, comme : Duborgel (1992), Bardèche (1999), Pütz (2004), Belloï et al. (2015).

2 Le terme de « répétition figurale » employé souvent par la suite désigne de manière générique l’ensemble des figures créées par la répétition.

3 En allemand, le signifiant est parfois traduit par « Zeichenkörper », par opposition à « Zeicheninhalt », le signifié.

4 « Le rapport syntagmatique est in praesentia : il repose sur deux ou plusieurs termes également présents dans une série effective. Au contraire, le rapport associatif unit des termes in absentia dans une série mnémonique virtuelle » (Saussure 1965 [1916], p. 171).

5 S’agissant du paradigme, « on ne saurait dire d’avance quel sera le nombre des mots suggérés par la mémoire, ni dans quel ordre ils apparaîtront » (Saussure 1965 [1916], p. 174).

6 « La liste tranche dans le texte en le débrayant de son grand continuum syntagmatique, syntaxique, narratif, orienté, aux éléments non permutables ».

7 Voir le paragraphe conclusif sur la mise en liste de Ph. Hamon ou bien, dans le même ouvrage, le paragraphe d’introduction de M. Colas-Blaise qui rappelle que la liste n’est ni ouverte ni fermée, mais soumise à une « tension fondamentale entre l’achèvement et l’inachèvement » (Colas-Blaise 2013, consulté le 9 novembre 2015).

8 Cf. Roubaud & Loufrani (1993).

9 Discours disponible dans plusieurs langues (dont le français) sur le site : www.bundespräsident.de
L’exemple est donné dans la langue originale, pour conserver les répétitions phoniques, essentielles dans la cohésion rythmique. En voici la traduction :
« (1) Une des méthodes d’Hitler a toujours été d’attiser les préjugés, les animosités et la haine.
(2) Voici donc ce que je demanderai aux jeunes : ne vous laissez pas entraîner à des sentiments d’animosité ni de haine
(3a) contre d’autres êtres humains,
(3b) que ce soit contre les Russes ou les Américains,
(3c) contre les Juifs ou les Turcs,
(3d) contre les alternatifs ou les conservateurs,
(3e) contre les Noirs ou les Blancs.
(4) Apprenez à coexister au lieu de vous dresser les uns contre les autres. »
Discours disponible en ligne, en allemand, anglais et français (http://www.bundespraesident.de/SharedDocs/Reden/DE/Richard-von-Weizsaecker/Reden/1985/05/19850508_Rede.html)

10 « Ne vous laissez pas entraîner à des sentiments d’animosité ni de haine à l’encontre d’autres êtres humains, que ce soit les Russes, les Américains, les Juifs, les Turcs, les alternatifs, les conservateurs, les Noirs et les Blancs. »

11 Rapport de commensurabilité, d’isochronie ou de gradation dans les séquences, figures phoniques réitératives du vers, de la syllabe, du mètre, de la rime, des assonances, des allitérations, des homonymes, etc.

12 « La rime n’est qu’un cas particulier, condensé en quelque sorte, d’un problème beaucoup plus général, nous pouvons même dire du problème fondamental de la poésie, qui est le parallélisme » (p. 235).

13 Dire « Le son répète le sens » serait absurde.

14 Pourquoi le langage n’aurait-il que six fonctions ? Dans une interview avec Mitsou Ronat, Chomsky déclare « Language is used in many different ways. Language can be used to transmit information, but it also serves many other purposes: to establish relations among people, to express or clarify thought, for play, for creative mental activity, to gain understanding, and so on […] this plurality of modes is characteristic of the most banal and normal use of language. » (Chomsky 2007, p. 88.)

15 « Toute tentative de réduire la sphère de la fonction poétique à la poésie, ou de confiner la poésie à la fonction poétique, n’aboutirait qu’à une simplification excessive. » (Jakobson 1963, p. 218.)

16 Toutes les analyses de « Linguistique et poétique » portent sur des exemples littéraires, et plus spécialement sur la poésie versifiée. Les mentions de « la préséance donnée au nom le plus court » dans « Jeanne et Marguerite », de la paronomase « L’affreux Alfred » ne sont pas des analyses. (Ibid., pp. 218-219). Pas plus que l’énumération des autres types de discours : « les vers mnémoniques … « tes père et mère honoreras […], les modernes bouts-rimés publicitaires, les lois médiévales versifiées, […] les traités scientifiques sanskrits en vers […] » (Ibid., pp. 221-222) n’est une analyse.

17 Cité par Jakobson (1963, p. 240).

18 « On a coutume de distinguer la redondance, inhérente au langage et inscrite dans le code même, de la répétition qui est libre et volontaire […] la répétition […] est indépendante du code […] » (Rey-Debove 1978, p. 23.)

19 Le terme de signifiance a été proposé par Benveniste au sens très large de « propriété de signifier » (Benveniste 1974, p. 51), puis réinterprété d’abord par Kristeva (1969) et par Barthes (1982) dans le cadre d’une sémiotique du texte pour la première, de l’image pour le second. Il a été abondamment utilisé et développé dans les travaux de Meschonnic (1982) sur le rythme.

20 En général, on recourt à une série de critères ponctuels pour définir la répétition figurale (la question de la richesse lexicale, de l’empan, du seuil (X+1 ou X+2…) etc., cf. « Quand la répétition se fait figure » (Magri & Rabatel, 2015, pp. 7-13).

21 « FIGURE. Terme de Rhétorique, de Logique et de Grammaire. Ce mot vient de fingere, dans le sens d’efformare, componere, former, disposer, arranger. » (Dumarsais, Article « Figure » dans l’Encyclopédie, d’Alembert et Diderot, cité dans Des Tropes ou des différents sens, 1988, p. 317)

22 J’utilise les termes thème et rhème dans l’acception de la Functional Sentence Perspective (cf. Prak-Derrington 2015) : Benes 1968, Danes 1972, Firbas 1964 et 1974.

23 Le Dictionnaire électronique des synonymes donne parmi les synonymes pour entassement et empilement les termes : amas, amoncellement, fatras etc. (http://www.crisco.unicaen.fr/des/, consulté le 4 décembre 2015).

24 Voir par exemple la présentation des grands types de progression thématique dans Riegel et al. (2009, pp. 1027-1028).

25 Discours disponible sur le site http://www.infoplease.com/ipa/A0900159.html.

26 Discours disponible sur le site : http://discours.vie-publique.fr/texte/817144500.html.

27 Discours disponible sur le site www.charles-de-gaulle.org.

28 Ibid.

29 Pour une synthèse sur le couple cohésion/cohérence, cf. Salles (2006).

30 http://www.jfklibrary.org/Research/Research-Aids/Ready-Reference/JFK-Quotations/Inaugural-Address.aspx.

31 http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/northamerica/usa/1341316/President-Bushs-speech-in-full.html.

32 Éventuellement le passage d’un point de vue moins guerrier (faire comparaître devant un tribunal) à un point de vue ouvertement guerrier (faire la guerre en Afghanistan).

33 Discours disponible sur le site http://www.frontnational.com/2013/09/universite-dete-2013-discours-de-marine-le-pen/

34 Discours et vidéo disponibles sur le site http://www.frontnational.com/videos/udt-2012-la-baule-intervention-de-marine-le-pen/

35 C’est la figure décriée de la périssologie (de perissos, superflu) ou battologie : « répétition généralement absurde d’une même idée par les mêmes mots » (Trésor de la langue française).

36 Discours disponible sur le blog de J. Veronis : http://blog.veronis.fr/2007/05/texte-mesure-lanaphore-1.html

37 (Meschonnic 1982, pp. 98-100.)

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Pour citer cet article

Référence papier

Emmanuelle Prak-Derrington, « Quand les syntagmes se font paradigmes : la cohésion rythmique de la répétition »Signata, 8 | 2017, 145-174.

Référence électronique

Emmanuelle Prak-Derrington, « Quand les syntagmes se font paradigmes : la cohésion rythmique de la répétition »Signata [En ligne], 8 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2018, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/signata/1397 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/signata.1397

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Auteur

Emmanuelle Prak-Derrington

Emmanuelle Prak-Derrington est maîtresse de conférences en linguistique allemande à l’École Normale Supérieure de Lyon. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en Études germaniques en 1997 : « Les Jeux du Je avec le temps. Une étude des rapports entre première personne et temps verbaux dans le roman ». Après avoir travaillé sur les marqueurs de l’énonciation dans le discours littéraire narratif (temporalité du récit, déictiques et place du lecteur, problématique de la parole des personnages en fiction), elle consacre aujourd’hui ses recherches à la répétition des signifiants dans les discours. La répétition y est abordée de deux points de vue complémentaires : celui de ses invariants (perspective énonciative) et celui de l’analyse du discours, où est prise en compte la diversité des types et genres de discours. Page personnelle : http://icar.univ-lyon2.fr/membres/eprakderrington/index.htm.

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