« The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d and loos’d1 »: Figures de l’espace dans Troilus and Cressida
Résumés
Dans Troilus and Cressida, l’idéal humaniste du disegno est constamment mis à mal par des personnages incapables de mener à bien les projets qu’ils ont échafaudés. Exacerbé par le conflit qui sous-tend la pièce, cet échec du disegno entraîne la remise en cause des principes de l’harmonie, de la règle et de la mesure traditionnellement associés au système de Ptolémée. Shakespeare se livre à un incessant questionnement des idéaux humanistes en créant un espace qui semble toujours se dérober, au gré d’une perspective multiple, éclatée et décentrée, à l’opposé de la costruzione legittima d’Alberti
Texte intégral
- 1 V.ii.155. Édition utilisée : éd. Kenneth Palmer, coll. The Arden Shakespeare, Londres & New York, (...)
- 2 Raymond Gardette, « Images d’espace dans Troïlus et Cressida », in Shakespeare. Troilus and Cressi (...)
- 3 Michel Jeanneret, Perpetuum mobile : métamorphoses des corps et des œuvres de Vinci à Montaigne, P (...)
1Troilus and Cressida est fréquemment décrite comme une pièce hybride caractérisée par un « enchâssement du vieux dans le neuf2 ». Son rapport aux grands questionnements de l’époque a souvent été souligné, qu’il s’agisse des questionnements scientifiques sur l’organisation du cosmos ou des questionnements artistiques liés au développement du maniérisme. Or, tous ces éléments procèdent d’un vocabulaire mis en place dans l’Italie de la Renaissance, qui définit des paradigmes que l’on reproduit ou dont on s’écarte. Troilus and Cressida est une pièce de l’écart par rapport aux mots-clefs du Quattrocento et à la rationalisation de l’espace qu’ils impliquent, tant d’un point de vue scientifique que pictural. En effet, dans cette pièce où tout n’est que dissolution, le nouvel espace ne parvient pas à se mettre en place alors que l’ordre ancien est déjà détruit : « L’ordre ancien est effacé, le nouveau n’apparaît pas encore. Désagrégées par la tempête, les choses ne sont plus rien que matière en suspension, sans figure ni identité3. »
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- 4 Joan Kelly Gadol, Leon Battista Alberti, homme universel des débuts de la Renaissance, trad. Jean- (...)
- 5 Ibid., p. 24.
- 6 Ibid., p. 26-27.
2Le mot « espace » désigne à la fois l’espace cosmique et l’espace pictural, les deux étant liés par les profondes modifications qu’ils subissent au cours des xve et xvie siècles. La tendance est à la géométrisation et à la rationalisation grâce au développement d’un système de proportions et de commensurabilité reposant entièrement sur des relations mathématiques. Le lien entre espace cosmique et espace pictural est d’autant plus étroit que la Renaissance est pleine d’hommes « universels » comme Leon Battista Alberti, parfait humaniste, « géomètre, arithméticien, astrologue, musicien et le plus extraordinaire spécialiste de la perspective depuis des siècles4 », mais aussi linguiste et moraliste, architecte et archéologue, théoricien de la peinture et de la sculpture. Non seulement il joue un rôle déterminant dans la théorie architecturale et artistique de la Renaissance, mais sa pensée révèle aussi les relations qui unissent les arts et « les préoccupations scientifiques, métaphysiques et religieuses de l’époque5 », traduisant une nouvelle vision du monde et de l’homme où les notions de mesure, d’harmonie et de proportion concernent aussi bien les sciences que les arts et les valeurs éthiques6. Si cette vision générale prévaut dans l’Italie de la Renaissance, elle prend des formes plus problématiques dans l’Angleterre de Shakespeare.
- 7 Voir, par exemple, le grand classique d’Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, trad. R (...)
- 8 Voir Margaret Jones-Davies, « ’The world is but a word’ – ‘spéculations spatiales’ dans l’œuvre de (...)
- 9 Même la chôra platonicienne, qui semblerait s’en approcher, demeure « une simple condition vide, e (...)
3L’histoire de l’évolution de l’astronomie à la Renaissance est bien connue7. On sait comment le système de Ptolémée est progressivement remis en cause par une série de spéculations et de découvertes scientifiques qui, de Copernic à Galilée et Kepler, affranchissent peu à peu la cosmologie de la physique aristotélicienne. De manière générale, on assiste au passage d’un monde parfaitement architecturé, hétérogène et hiérarchisé, à un monde toujours architecturé mais de manière homogène et rationnelle, et dont toute métaphysique est progressivement exclue. Le système de Ptolémée ne connaît que les lieux, un lieu (topos) étant, dans la physique aristotélicienne, un monde clos et clairement délimité, situé dans le Tout, lui-même fini et limité8. La notion d’espace est donc totalement étrangère à la physique antique9. La conscience de l’espace (euclidien) n’apparaît qu’avec Alberti, et se développe avec Copernic puis Galilée. Copernic ayant remarqué des irrégularités dans la trajectoire des planètes, censées décrire autour de la Terre des cercles parfaits, fonde son explication sur une révolution de la Terre et des autres planètes autour du soleil. Le système qu’il propose repose entièrement sur l’idée de proportion :
- 10 Épître dédicatoire au Pape Paul iii, cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 148.
Ainsi, en supposant les mouvements que j’attribue à la terre […], je découvris finalement […] que si les mouvements des autres planètes étaient ajoutés à la rotation de la terre et calculés comme pour la révolution de cette planète, non seulement les phénomènes des autres suivraient de cela, mais aussi qu’il liait ensemble à la fois l’ordre et la grandeur de toutes les planètes et les sphères et le ciel lui-même, si bien qu’aucune chose ne pouvait aucunement être modifiée sans confusion parmi les autres parties et dans tout l’univers10.
- 11 L’harmonie naît de la recherche d’une unité organique (module) obtenue par la commensurabilité des (...)
- 12 Voir Alastair Fowler, Time’s Purpled Masquers. Stars and the Afterlife in Renaissance English Lite (...)
- 13 Ptolémée, Géographie, cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 74.
4En représentant l’orbite de la terre autour du soleil comme le module11 de l’orbite des autres planètes et en donnant à voir un espace proportionné, l’astronomie copernicienne ne fait que reprendre les principes artistiques de la Renaissance12. Cela n’a rien de surprenant quand on sait que c’est en utilisant les instruments de la topographie et de la cartographie qu’Alberti établit les règles de la représentation en peinture. Il se sert en effet de la Géographie de Ptolémée, dont les cartes montrent la disposition des points d’un territoire au moyen de projections proportionnelles : Ptolémée voulait représenter « la position de chaque lieu ; et par l’exactitude des détails, la contenance des régions entre elles et par rapport à toute la terre habitée13 ». Il souligne d’ailleurs que l’idée de proportionnalité peut s’appliquer aussi bien à la peinture qu’à la géographie :
- 14 Ibid.
Comme dans une peinture entière, nous devons commencer par placer les grands traits, puis les traits détaillés que peuvent exiger portraits et tableaux, en conservant leurs proportions afin que leur mesure exacte […] apparaisse quand on les examine14.
- 15 Cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 157. En Angleterre, voir l’évolution vers plus de précision sci (...)
- 16 Le premier à proclamer vraiment l’infinité de l’espace est Giordano Bruno (De l’infinito universo (...)
- 17 Par exemple le poème de John Donne, Anatomy of the World (1611), cité par A. Koyré, op. cit., p. 4 (...)
- 18 Ibid., p. 9.
5Cet idéal de cartographe, Alberti l’introduit non seulement dans ses traités de peinture et d’architecture (le plan à l’échelle de Ptolémée est l’ancêtre du dallage en échiquier de la costruzione legittima), mais aussi dans ses plans et vues de ville, par exemple dans son Descriptio urbis Romæ (vers 1450). Jusqu’à la redécouverte de la Géographie de Ptolémée au xve siècle, la cartographie offre, en effet, un agrégat de lieux hétérogènes et non une représentation unifiée de l’espace : certaines régions sont grossies, les lieux ne sont pas reliés entre eux, de même que dans les plans et vues de villes c’est l’apparence des édifices qui est rendue, et non leurs relations spatiales. Avec la redécouverte de la perspective et de son corollaire, la proportionnalité, la peinture, l’architecture, la cosmologie et la cartographie évoluent de manière spectaculaire. Et si, au xvie siècle, les ouvrages de Ptolémée sont remplacés par ceux de Mercator, c’est bien Ptolémée qui, le premier, a donné une définition précieuse de la position, écho de ce que la rhétorique nous a appris au sujet de la dispositio : la position des édifices d’une ville est, selon lui « leur situation relative les uns par rapport aux autres, leur situation par rapport au tout15 ». De manière générale, la Renaissance marque donc une évolution vers un espace proportionnel, ainsi qu’un passage « du monde clos à l’univers infini ». Ce que propose la perspective tient à la fois des deux phénomènes : d’une part, elle permet de tendre vers une représentation picturale du concept d’infini ; d’autre part elle incarne aussi une limite, un cadre imposé par l’idée de la peinture comme fenêtre ouverte. L’homme de la Renaissance n’est pas encore jeté dans un espace infini et totalement vide. Paradoxalement, destruction du cosmos et géométrisation de l’espace sont donc liés. Paradoxalement encore, Copernic rejette le système de Ptolémée tout en utilisant, comme Alberti, les techniques mathématiques élaborées par l’astronome. Copernic ne croit pas à la notion d’infini16, mais l’univers qu’il présente est si grand qu’il n’est pas mesurable, ce qui suffit à provoquer de vives réactions, souvent teintées de désarroi17. Bien que l’essentiel de l’œuvre de Shakespeare soit, d’un point de vue strictement chronologique, légèrement antérieur aux grandes découvertes de Galilée et Kepler, il n’en est pas moins sensible à l’atmosphère d’ébullition scientifique, de discussions et de querelles de savants (et de métaphysiciens) qui agitait alors l’Europe. Ce sont ces doutes et cette « crise de la conscience européenne18 » que reflète Troilus and Cressida.
- 19 Nous employons ces termes par commodité mais Alberti lui-même n’utilise pas le mot « perspective » (...)
- 20 Le terme vient de Cicéron. Voir L’Orateur, xlix, 165-l, 167.
6Aux questionnements sur l’espace cosmique répond une recherche sur l’espace pictural que les théoriciens de la Renaissance italienne tentent également de rationaliser et de géométriser. Le premier à donner une assise véritablement scientifique à l’art du peintre est Alberti qui, dans son De pictura (1435), construit un espace pictural aussi architecturé que le sera celui du De re ædificatoria (1452). On y retrouve la même volonté de transformer un art « mécanique » en art libéral, grâce à la géométrie. Tout le livre i du De pictura porte sur la perspectiva naturalis, c’est-à-dire l’optique, dont la perspectiva artificialis n’est qu’une reconstruction mathématique, qu’Alberti applique à la peinture (livre ii)19. Déjà, il développe l’idée que la Beauté est un concept mathématique, la concinnitas20, idéal d’harmonie absolue, de symétrie et de régularité reposant sur un système de proportions objectif et mesurable. L’espace ainsi unifié acquiert une rigueur structurale parfaite. Alberti divise la peinture en trois grands principes (livre ii), dont les deux premiers sont la circonscription et la composition :
- 21 De la statue et de la peinture, trad. Claudius Popelin, Paris, A. Lévy, 1868, p. 138. Le troisième (...)
Tout d’abord, quand nous apercevons quelque chose, nous voyons que ce quelque chose occupe une certaine place. Aussi, vraiment, le peintre circonscrit-il l’espace de cette place, et le fait de tracer les contours s’exprime-t-il par le mot de circonscription. En considérant comment les diverses superficies du corps examiné se relient entre elles, l’homme d’art dessine ses conjonctions à leur place propre et nomme cela avec justesse la composition21.
- 22 Cicéron, L’Orateur, xliv, 149-xlv, 155.
- 23 De architectura, iii, 1.
- 24 Trad. J. Tricot, Paris, J. Vrin, 1994 (1re éd. 1990), ii, 5.
- 25 De la peinture, op. cit., p. 140-141.
- 26 Ibid., p. 124.
- 27 Ibid., p. 117.
- 28 Ses deux célèbres panneaux ont malheureusement disparu, mais nous sont connus grâce à la « Vie de (...)
- 29 « L’homme est au monde ce que l’homme connaît le mieux. C’est pourquoi, sans doute, Protagoras a d (...)
- 30 Ibid., p. 125.
- 31 Philippe Hamou, La Vision perspective (1435-1740). L’Art et la science du regard, de la Renaissanc (...)
- 32 Pour une explication détaillée de la construction albertienne, voir Rudolf Wittkower, « Brunellesc (...)
- 33 De re ædificatoria, i, 1.
7La composition est un écho évident de la compositio rhétorique22 et de la compositio architecturale dont parle Vitruve23. En architecture, elle comprend les lois de l’harmonie musicale et le jeu des moyennes (mediocritas) prônées par Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, où la moyenne a un sens purement éthique et représente le juste milieu entre l’excès et la déficience24. Éthique et esthétique sont donc liées. Par ailleurs, le travail de composition peut être facilité par l’utilisation d’un voile intersecteur qui permet, d’un point de vue pratique, de cadrer et de quadriller le sujet : les contours ne doivent pas être incertains, tout est affaire de calculs, de mesure et de proportions25. D’un point de vue théorique, cette image du cadre-quadrillage montre qu’Alberti considère la peinture comme une fenêtre ouverte par laquelle on regarderait l’historia (le sujet) : « Mon premier acte, quand je veux peindre une superficie, est de tracer un rectangle, de la grandeur qui me convient, en guise de fenêtre ouverte par où je puisse voir le sujet26 ». En effet, la peinture est pour lui une intersection de la pyramide visuelle27 et doit donc être précisément cadrée. Entre l’œil du spectateur, la peinture et la superficie perçue, tout est donc affaire de proportions. D’où l’importance de la place où se trouve le spectateur : s’il se déplace, ce qu’il regarde change d’aspect. S’inspirant de la réalisation pratique de Brunelleschi28, Alberti se livre à une véritable construction de l’espace, qui reste en fait un lieu circonscrit s’ouvrant sur l’infini, certes, mais un infini calculé et mathématisé par l’homme et à partir de l’homme, mesure de toute chose29. Après avoir expliqué comment placer ce qu’il appelle « le point de centre30 », il décrit sa technique de composition en échiquier : le dallage tracé sur la toile représente « l’espace visuel lui-même, dans sa fuite vers l’horizon31 ». Les personnages et les décors que le peintre y place sont à l’échelle et tout est proportionné. Toute composition repose donc sur cette construction perspective appelée par la suite « construction légitime32 » et qui apparaît ainsi comme une forme de disegno, terme par lequel Alberti désignera, dans le De re ædificatoria, le projet préalable à l’exécution, entièrement conçu dans l’esprit de l’architecte33.
- 34 Erwin Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, trad. sous la direction de Guy Ballangé, Pa (...)
- 35 Ernest B. Gilman, The Curious Perspective. Literary and Pictorial Wit in the Seventeenth Century, (...)
- 36 Op. cit, p. 42.
- 37 Cité par Christy Anderson, « The Secrets of Vision in Renaissance England », in Lyle Massey (éd.), (...)
8Par ailleurs, la perspective est aussi une construction intellectuelle supposant à la fois une prise de distance, une nouvelle objectivité face au monde, et « un élargissement de la sphère du Moi34 ». Elle reflète une nouvelle conception du monde. Elle est un facteur d’ordre, car tout ce qui se trouve au-delà du cadre qu’elle délimite appartient à l’univers de la disproportion. En outre, elle ne reproduit pas tant la réalité objective de l’expérience visuelle physiologique qu’elle ne répond à nos attentes intellectuelles en montrant à l’homme le monde tel qu’il souhaite le voir35. Cette tension, réactivée par le caractère contraignant du système perspectif (qui oblige le spectateur à se tenir parfaitement immobile, en un point de vue unique, et à regarder avec un seul œil) fait que, peu à peu, la confiance de la Renaissance paraît s’ébranler et faire place à une relation plus complexe entre sujet et objet. C’est le moment où la perspective glisse vers l’anamorphose (caractérisée par un décentrement du point de vue), grâce à laquelle elle rejoint par des voies détournées l’esthétique du grotesque. L’Angleterre élisabéthaine, quant à elle, demeure longtemps méfiante vis-à-vis de cette technique, que l’on considère comme fausse car elle revient, comme le remarque Panofsky, à « faire hardiment abstraction de la réalité », la réalité n’étant rien d’autre que « l’impression visuelle subjective36 ». Nicholas Hilliard ne dit pas autre chose dans The Arte of Limning (écrit vers 1600): « perspective, to define it briefly, is an art taken from, or, by the efect or Judgment of the eye, for a man to express anything in shortned lines, and shadowes, to deseave both the understanding and the eye37 ». Les ouvrages sur la perspective circulent dans l’Angleterre de Shakespeare mais ne correspondent guère à la sensibilité de l’époque. C’est un monde de la mouvance et de l’instable, qui se reflète littéralement dans les goûts architecturaux :
- 38 C. Anderson, op. cit., p. 329.
In English art it is the fractured glass, the window set into facets like gemstones […] which more correctly describes the Elizabethan relationship between artistic image and physical reality. In country houses glaziers set the glass in diamond patterns to relieve the stress on the leads so that the weight of the glass would not distort the glass and weaken the window. It was a practical solution with extraordinary visual results. From the exterior the angles of the window appear like diagonal stripes that reflect light and shadow. These large expanses of glass […] shimmer and dissolve the solid substance of the architecture with the changing light. […] From the interior […] the view is transformed through the small diamonds of glass […]. The image is fractured and multiplied, there is not one view of the landscape but multiple, separate images38.
9Cette dissolution des formes, cet éclatement de la vision sont à l’œuvre dans Troilus and Cressida, qui remet en question les constructions intellectuelles humanistes, qu’il s’agisse de l’espace cosmique, pictural ou humain (qu’il soit corporel ou moral). Shakespeare n’y montre pas un monde idéal comme celui que construit Alberti, mais une réalité froide, cruelle et morbide d’où tout idéal est définitivement banni.
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- 39 Voir François Laroque, « Perspective in Troilus and Cressida », in John M. Mucciolo éd. (avec Stev (...)
- 40 Les Métamorphoses du cercle, Paris, Flammarion, 1979 (1re éd. 1961).
- 41 Ibid., p. 79.
- 42 De architectura, i, 1. Chez Alberti, voir par exemple la transition entre le livre i et le livre i (...)
10L’hymne d’Ulysse à l’harmonie du monde (i.iii.75-134), qui fait grand usage de termes tels que « place », « proportion » et « order », est un adieu à l’harmonie qui se défait. Cependant, le personnage d’Ulysse ne pouvant être pris plus au sérieux que les autres39, l’hymne apparaît d’autant plus fragile, l’idéalisme est doublement bafoué. Ce n’est pas seulement de dissolution cosmique qu’il est question, mais aussi de dissolution politique et morale. Le glissement qui s’opère dans Troilus and Cressida ressemble à celui que décrit Georges Poulet lorsqu’il évoque la métamorphose de la sphère parfaite de la Renaissance en une sphère éphémère40. Les « fausses perfections de la bulle41 » s’apparentent parfaitement à l’hymne d’Ulysse, qui ne décrit pas tant ce qui est que ce qui devrait être. Loin de cet idéal, les images de liquéfaction et de dissolution, ainsi que les exemples de sphères dévoyées abondent dans la pièce, depuis les imprécations initiales d’Ulysse (i.iii.110-113) jusqu’au désespoir final de Troïlus : « The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d, and loos’d » (v.ii.155). La sphère parfaite et immuable est totalement pervertie : d’elle, il ne reste plus que la fragilité d’une larme (i.i.9) ou la déviance des nœuds qui abîment l’arbre (i.iii.7-8). Cressida, la perle (i.i.100) se révèle bien irrégulière ; les yeux, dévorés par la maladie, sortent de leurs orbites (v.x.49) et le monde entier, vu par Thersite, n’est plus, à son image (v.i.5), qu’un énorme furoncle (ii.i.2-3). Ce dévoiement des sphères est un défi à toute forme d’idéalisme. Le système de Ptolémée comme celui de Copernic sont des constructions idéales, de même que la perspective centrale d’Alberti. Mais aucun disegno, quel qu’il soit, ne résiste à l’épreuve de la réalité dans cette pièce de l’échec, de la frustration et de l’inaction. Or, pour Alberti, le disegno n’a de valeur que s’il débouche sur une réalisation concrète (déjà, Vitruve insistait sur l’idée que la ratiocinatio doit mener à la fabrica42). Dans Troilus and Cressida, la ratiocination étouffe toute tentative d’action. Tous les projets échouent, et si le dess(e)in est parfois beau, l’exécution est toujours catastrophique. Jusqu’aux scènes de bataille finales, il ne se passe quasiment rien, si ce n’est dans l’esprit des protagonistes (i.iii.3-5). Il n’est question que de la frustration du désir et du disegno, si bien que la métaphore d’Agamemnon pour décrire l’action des Grecs semble à elle seule résumer l’esthétique de toute la pièce :
[…] Checks and disasters
Grow in the veins of actions highest rear’d,
As knots, by the conflux of meeting sap,
Infects the sound pine and diverts his grain
Tortive and errant from his course of growth. (i.iii.5-9)
- 43 Plus loin, Thersite présente clairement Ulysse et Nestor comme les architectes de la guerre, les m (...)
- 44 Voir Françoise Choay, La Règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, P (...)
11La fameuse scène du conseil des Grecs (i.iii), dans laquelle Ulysse déplore l’insubordination d’Achille, peut, à cet égard, faire office de modèle pour l’ensemble de la pièce. On ne cesse d’y souligner l’infériorité de l’exécution par rapport au disegno (13-17). Ulysse, quant à lui, insiste beaucoup sur l’importance de la réflexion préalable, et reproche à Achille et Patrocle de n’être que de vulgaires exécutants43 qui négligent la part de l’esprit dans l’art de la guerre (197-210). Aussi cet archétype de la ruse et de l’esprit imagine-t-il un plan destiné à remettre Achille sur le droit chemin : « I have a young conception in my brain : / Be you my time to bring it to some shape » (307-309). Mais, là encore, le résultat s’avèrera décevant (Ajax, l’instrument du plan, devenant un nouvel Achille). Pendant toute la scène, Ulysse tente vainement de planifier l’action, amenant Nestor à donner une autre définition du disegno (337-340). Ce qui vaut pour l’intrigue guerrière vaut également pour l’intrigue amoureuse, et les projets de Troïlus avec sa bien-aimée sont désespérément limités par une réalité étriquée : « this is the monstruosity in love, lady – that the will is infinite and the execution confined ; that the desire is boundless, and the act a slave to limit » (iii.ii.77-80). Aucune construction n’est possible, qu’elle soit politique ou amoureuse, et les images de destruction alternent avec les images de frustration. Aussi la ville de Troie apparaît-elle doublement symbolique (« In Troy there lies the scene », annonce d’emblée le prologue, i.i.1). Elle est à la fois le symbole de l’inaction politique et celui de la frustration amoureuse, comme le montrent les premières paroles de Troïlus : « Why should I war without the walls of troy, / That find such cruel battle here within ? » (i.i.2-3) ; en concentrant ses propos sur le topos de la femme comme ville à assaillir, Troïlus néglige la notion d’édification morale associée par les Humanistes à l’image de la Cité. Le titre latin du traité d’Alberti, De re ædificatoria suffit à montrer que son propos va plus loin que celui de Vitruve, De architectura44. Chez Alberti, l’architecture se situe dans l’espace plus vaste de la ville qui est, pour les Humanistes, l’espace de l’édification, c’est-à-dire de l’Histoire. Dans son essai sur le traité d’Alberti, Giulio Carlo Argan donne à cette nécessité de passer du disegno à l’action une valeur non seulement esthétique mais aussi politique :
- 45 « Le traité De re ædificatoria (de Leon Battista Alberti) », in G. C. Argan & R. Wittkower, op. ci (...)
Il n’y a plus continuité mais distinction et corrélation de deux niveaux : celui de l’idéation ou de la théorie et celui de la pratique. Entre ces deux moments il y a le même rapport qui dans l’action « historique » passe entre la décision et l’action45.
- 46 Troilus and Cressida, coll. The Arden Shakespeare, op. cit., p. 134.
- 47 Ibid., p. 276.
- 48 L’édition Arden cite ce passage des Proverbes, xxv.29 : « he that hath no rule over his own spirit (...)
12Mais comment réaliser quoi que ce soit quand l’homme, mesure de toute chose, n’est que démesure ? Car la dissolution a également un sens moral très fort dans la pièce, affirmé dès le départ par le discours d’Ulysse : parce que les règles les plus élémentaires ont été négligées (« the specialty of rule hath been neglected », i.iii.78), l’harmonie du monde est en danger (« ’tis like a chime a-mending, with terms unsquared », 159). L’image utilisée ici est à la fois musicale et architecturale, puisque « to square » signifie « to make timber square in cross-section, i.e. to adjust, to harmonize46 ». Or, c’est le même terme qu’emploie Troïlus lorsqu’il découvre la trahison de Cressida et refuse « to square the general sex / By Cressid’s rule » (v.ii.131-132) : le double sens de « rule » est évident, ce mot désignant à la fois la règle en tant que principe de conduite et en tant qu’instrument de mesure (« carpenter’s square47 »). Toute tentative de construction est ainsi tournée en dérision alors que la moyenne aristotélicienne, pourtant évoquée à plusieurs reprises (ii.ii.167 ; 171-172 ; i.iii.116-117), n’est jamais respectée. À l’instar d’Agamemnon, tous ceux sur qui l’on essaie de construire quelque chose s’avèrent être des bases si peu solides que la hiérarchie finit par ressembler à un escalier qui s’écroule (i.iii.129-131). La seule exception est Troïlus, du moins pour un temps (iv.v.108-109), mais il s’effondre à son tour parce que celle sur qui il avait littéralement bâti tous ses espoirs (« Build there, carpenter, the air is sweet », iii.ii.50) n’est pas stable (v.iii.114-115). La jeune fille comparait pourtant son amour, dont il ne reste que des ruines (v.ii.161), à un bâtiment indestructible (iv.ii.104-108). Tandis que la relation des deux jeunes gens s’effondre comme un château de cartes, Troie, au contraire, semble refuser de tomber : la destruction de la cité, sa solidité apparente, sont une véritable obsession dans le camp des Grecs. Achille est successivement comparé à un engin destructeur, une machine de guerre capable d’abattre les murailles de Troie (ii.iii.136-137) et, à cause de sa soudaine inaction, à un bélier se retournant contre lui-même et son propre camp (175-177)48. C’est également ce que fait Cressida, après avoir longuement protesté de sa volonté de préserver sa vertu en reprenant le topos de la femme-ville (i.ii.268-269). Alors que tout s’écroule, Troie reste obstinément debout, non parce qu’elle est solide, mais parce que ses assaillants sont faibles, et la phrase « yet Troy walls stand » (i.iii.12) devient une sorte de leitmotiv (i.iii.75 ; i.iii.135-136 ), tandis que nombre d’images (ii.iii.8-10 ; iv.v.210-211) annoncent néanmoins la chute finale de la cité, après la mort d’Hector (v.viii.11-12). La grande erreur des Troyens est peut-être de ne pas croire au rôle du temps, qui joue en faveur des Grecs, contrairement à ce que pense Hector, qui ne voit en lui qu’un agent passif (iv.v.224-225). Cressida était persuadée, elle aussi, que le temps n’entamerait pas son amour. Ainsi se développe une relation perverse au temps, à l’Histoire et à la ville qui, derrière ses murailles, ne renferme que le vide. On est loin de la cité idéale dont rêvait Alberti :
- 49 G. C. Argan, « Le traité De re ædificatoria… », op. cit., p. 88.
Alberti dit que tous les arts convergent et que leur fin commune est […] la vie qui se déroule dans une cité bien ordonnée. Ce qu’Alberti veut définir et expliquer dans le De re ædificatoria, c’est la forme de l’espace urbain par rapport à la forme de l’espace naturel. Est urbain l’espace où vit une société organisée, où les techniques du travail humain s’élèvent à la dignité de science, où se prennent des décisions politiques et s’organisent des actions destinées à produire des effets lointains et durables : en un mot, l’espace de la ville est l’espace de l’Histoire49.
- 50 Voir F. Laroque, op cit.
- 51 Ibid.
- 52 Ibid., p. 234.
- 53 Timber or Discoveries, in Works, éd. C.H. Herford & P. Simpson, Oxford, Clarendon Press, 1925-52 ( (...)
- 54 Voir T. McAlindon, « Language, Style, and Meaning », in Priscilla Martin (éd.), Troilus and Cressi (...)
- 55 Pour une analyse sytématique de tous ces cas de figures, voir Jane Adamson, Troilus and Cressida, (...)
- 56 « The juxtapositions work not to cancel one thing with another but to make us question everything, (...)
- 57 A booke called the foundacion of rhetorike, Londres, 1563, (STC 20604), f° 25 et suiv. Voir à ce s (...)
- 58 The Rule of Reason, Londres, 1552, cité par M. Trousdale, in Shakespeare and the Rhetoricians, op. (...)
- 59 Voir par exemple le dialogue suivant dans 1 Henry iv :
13Si Troie, comme l’historia d’Alberti, est circonscrite par un cadre (ses murs), elle n’en est pas moins une perversion totale de l’idéal albertien. Tout d’abord parce que l’historia de Troilus and Cressida est dérisoire : les héros et leurs grands idéaux sont totalement démystifiés50 (Shakespeare se moquerait-il du culte que les Humanistes vouent à l’Antiquité ?) et la caricature n’épargne personne. L’historia se résume à peu de choses (« all the argument is a whore and a cuckold », ii.iii.74-75) et n’a plus rien d’héroïque (Prologue, 7-10). La deuxième source de perversion de l’idéal albertien est l’éclatement et le décentrement de la perspective, que François Laroque a analysé suffisamment en détail dans un article entièrement consacré à ce sujet51 pour que nous passions rapidement sur ce point. Le monde de Troilus and Cressida, totalement miné par le doute, est un monde où rien n’est sûr, ni stable, ni fixe. La mise en perspective se traduit par une série d’emboîtements et de jeux de miroirs mais est remise en cause par une fascination pour le vide, l’indéfini, l’informe et le grotesque. La perspective est multiple non seulement parce que Shakespeare multiplie les points de vue, mais aussi parce que l’observateur ne reste pas immobile et qu’il a des problèmes d’accommodation52. Si les personnages décident de prendre du recul en montant au sommet d’une tour, ils ne voient pas la même chose (i.ii). Cet éclatement de la perspective se double tout naturellement d’une interrogation sur le théâtre, dont Shakespeare présente ici une image dégradée, souvent caractérisée par un jeu de déformations grotesques : c’est le terme « pageant » (i.iii.151) qu’utilise Ulysse lorsqu’il imite Patrocle singeant Nestor et Agamemnon, et adopte par là même, sous prétexte de la condamner, l’attitude irrévérencieuse de ceux qu’il prétend fustiger. Aux antipodes de la « civic pageantry », le théâtre devient facteur de désordre et d’incivilité, jeu de miroirs déformants renvoyant à ceux qui s’y reflètent une image distordue et grimaçante qui rappelle les contorsions des grotesques (« o’er-wrested seeming », i.iii.157). Un peu plus loin, Troïlus affirme naïvement à Cressida « in all Cupid’s pageant there is presented no monster » (iii.ii.72-73), avant de se contredire (79-80). C’est ensuite « the pageant of Ajax » (iii.iii.271), présenté par Thersite et Patrocle d’après le disegno d’Achille (272-278). Auparavant, le spectateur a assisté au défilé des hommes d’Agamemnon devant la tente d’Achille (iii.iii), annonçant le « ballet » de Cressida devant les Grecs (iv.v). Enfin, Troïlus est témoin, en compagnie d’Ulysse, de la trahison de Cressida, l’ensemble de la scène étant observé et commenté par Thersite. Troïlus se trouve dans la position du spectateur face à un trompe-l’œil, puisque ce qu’il voit lui apparaît simultanément comme une illusion prétendant imiter la réalité, et une réalité se reconnaissant comme illusion (v.ii.140-145). Le monde entier n’est plus, pour lui, qu’une immense contradiction (« the spacious breadth of this division », 149) et une contraction anamorphotique où tout concourt à souligner la division de son propre esprit ; paradoxes extrêmes, ellipses, solécismes (136-159), autant de figures du désordre qui pourraient illustrer ces lignes de Ben Jonson : « neither can his mind be thought in tune, whose wordes do jarre ; nor his reason in frame, whose sentence is preposterous53 ». Or, ce langage « décadré » n’est pas l’apanage de Troïlus, mais c’est à l’échelle de toute la pièce que l’on retrouve des dissonances calculées dues à une syntaxe tortueuse ou à des sonorités discordantes (Prologue, 20 ; iv.v.141), à un excès de mots latins et de néologismes54, et au grand nombre de termes formés à partir d’un préfixe négatif qui crée ainsi la division au sein du mot lui-même55. Démultipliant les perspectives, juxtaposant les points de vue, Shakespeare fait de sa pièce une sorte d’architecture prismatique, aux antipodes de la firmitas classique. Mais il maîtrise parfaitement sa construction, qui s’inscrit dans la lignée de la perspective multiple chère aux rhétoriciens élisabéthains56. Ainsi Richard Rainolde a-t-il composé un modèle de discours sur la question « la Guerre de Troie a-t-elle eu lieu ? », et montré qu’en changeant simplement le cadre référentiel, on peut totalement transformer la teneur d’un argument57. Shakespeare semble adopter la technique de Rainolde et répondre par là à la définition de la logique donnée par Thomas Wilson : « an arte to reason probably, on bothe partes, of all matters that bee put furth, so farre as the nature of everythyng can beare58 ». Enfin, la troisième forme de perversion de l’idéal albertien est liée au cadre, élément nécessaire pour circonscrire l’historia. En ce sens, il est lié à la notion de « compass » (compas et limite) qui, comme « square » et « rule », recouvre les deux sens de la notion de « mesure » : pour les hommes de la Renaissance, la mesure mathématique est la garantie de la mesure morale59. On retrouve la même image dans Troilus and Cressida lorsque Pandare décrit, comme un tableau, Hélène à sa fenêtre, « into the compassed window » (i.ii.112), dans ce qui ressemble à une illustration fidèle de l’idée d’Alberti. Création et cadre semblent donc liés, mais dans Troilus and Cressida, les relations du cadre à l’historia qu’il est censé circonscrire sont complexes. Troïlus, par exemple, conçoit mal l’existence en dehors de la ville où réside sa bien-aimée (i.i.2-3), mais se contredit un peu plus tard en réclamant la guerre qui lui permettrait de plonger dans l’infini, à l’instar de son père, loin des contraintes d’un cadre étroit (ii.ii.28-32). Ulysse reprend la même image, mais en lui donnant un sens positif, lorsqu’il mentionne la nécessité d’un cadre qui servirait, comme en perspective, à limiter l’infini ; mais là encore, il évoque ce qui devrait être et son ironie vis-à-vis d’Ajax est grande et prend presque valeur d’antiphrase lorsqu’il s’adresse à lui en ces termes :
I will not praise thy wisdom
Which like a bourn, a pale, a shore, confines
Thy spacious and dilated parts. (ii.iii.248-250)
- 60 Voir F. Laroque, op. cit., p. 235.
- 61 Op. cit., p. 62.
- 62 Voir F. Laroque, op. cit., p. 228.
14Tantôt l’infini est considéré comme un idéal que le cadre, étroit et mesquin, réprimerait ; tantôt, au contraire, comme un espace vide et angoissant dans lequel on ne peut que se perdre parce qu’il n’est pas cadré. L’image d’Hélène est au cœur de cette ambivalence car, censée incarner l’infini, elle ne représente en fait que le vide. Lorsque Pandare évoque le tableau apparemment albertien que forme la jeune femme à sa fenêtre (i.ii.111-112), c’est une fenêtre qui ne s’ouvre pas vers l’infini idéal mais sur le vide car le tableau est ridicule (113-169). L’apparition d’Hélène au centre de la pièce (iii.i) nous donne à voir, en lieu et place de la belle historia que l’on attend, le vide le plus décevant60. Troïlus, quant à lui, commence par imaginer l’espace vide qui s’étend entre le palais de Priam et Troie (où réside Cressida) comme une étendue floue, mouvante, liquide (i.i.101-102). C’est ce vide qu’il rejoint finalement, déçu par Cressida, alors que, littéralement incapable de se « contenir » (« contain yourself », v.ii.179), il voit son être se répandre dans un espace incertain (« you flow to great distraction », 41), à l’image du cadre du cosmos qui, tout entier, se dissout (155). Georges Poulet a décrit « la mode du cercle érotique, cosmique et théologique » qui traverse toute la Renaissance61 ; tous ces cercles se dissolvent dans la pièce : l’espace se délite, les dieux sont triviaux ou grotesques62, et le sexe de la femme n’est que l’« imposture » vide évoquée par John Donne dans Love’s Alchemy. Au centre du tableau comme au centre de la cité de Troie, il n’y a que vide et pourriture. Les cadres deviennent mous, l’espace se fait liquéfaction et dissolution, à l’image de cette somptueuse armure qui ne renferme que la putréfaction (v.viii.1).
- 63 De la statue, in De la statue et de la peinture, trad. Claudius Popelin, op. cit., p. 75.
- 64 L’usage que fait Shakespeare du mot « perspective » est, à cet égard, très révélateur : il corresp (...)
- 65 Mikhail Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Ren (...)
- 66 Dans certaines éditions, ce passage est cité en appendice.
- 67 John Shearman évoque le Mercure de Giovanni Bologna (vers 1576) pour illustrer la ligne serpentine (...)
- 68 C’est moi qui souligne. On retrouve l’image du labyrinthe dans la bouche de Thersite, justement : (...)
15Ces images de dissolution procèdent en fait du corps humain : la dissolution politique et morale est avant tout symbolisée par les images de dissolution corporelle, à l’opposé du cadre, de la mesure et de la proportion. Dans son traité De la statue (1436), Alberti explique que les deux règles fondamentales du sculpteur cherchant à reproduire les attitudes du corps humain sont « la mesure et la délimitation des limites63 ». Les contours incertains sont, nous l’avons dit, un obstacle à toute composition de type albertien. Si la perspective centrale est impossible dans Troilus and Cressida, n’est-ce pas parce que le corps humain y est impossible à mesurer et à délimiter ? Les limites du corps sont aussi floues que celles du cosmos, le corps est vide ou grotesque, la perspective centrale laisse place à l’anamorphose64. Le grotesque et l’anamorphose sont deux manières de mettre en perspective la perspective centrale et, par là même, de créer un rapport différent à l’espace. Celui de Troilus and Cressida semble véritablement envahi par les marges. Pandare et Thersite, toujours en marge de l’action, font signe au spectateur (lecteur) à qui ils présentent un point de vue oblique et décalé qui reprend le principe du décentrement anamorphotique. Le grotesque, figure de la liminalité, sert fréquemment de cadre à l’espace illusionniste, mais déborde souvent comme il déborde des marges des manuscrits enluminés. En architecture, il est présent dans tous les espaces de transition : frises, chapiteaux, autour des portes, des fenêtres, des cheminées, dans les rinceaux et sur l’écran des grands halls élisabéthains, lieux de passage par excellence. En ce sens, Thersite et Pandare jouent donc tous deux le rôle traditionnellement dévolu au grotesque : ils servent à la fois de transition et de mise en perspective. On retrouve chez eux les autres caractéristiques bien connues du grotesque : l’insistance quasi obsessionnelle sur « le bas matériel et corporel65 », la nature protéiforme d’un corps malléable marqué par la division et la liquéfaction, en un mot, le refus des cadres contraignants et de la circonscription. Pandare est aussi bien un présentateur qu’un entremetteur : c’est lui qui introduit les guerriers tour à tour (i.ii) ; c’est lui, surtout, qui sert de transition entre Troïlus et Cressida (« gone between and between », i.i.71-72). Il est véritablement la créature des portes et des lieux de passage, celui qui introduit les deux jeunes gens dans une chambre et les pousse ouvertement à consommer leur amour (iii.ii.206-208). Son rôle de gardien des portes apparaît clairement dans la scène où Énée vient chercher Cressida pour qu’on l’emmène chez les Grecs : il veille sur les lieux de passage, y compris sexuels, si bien que toute allusion à une porte prend un double sens évident (iv.ii.2-3 ; 19). Ce rôle, il le revendique lui-même à la fin de la pièce, lorsqu’il invoque ses « brethren and sisters of the hold-door trade » (v.x.52)66. Thersite appartient à un genre différent : les images qu’il emploie sont bien celles de la tradition grotesque (corps, animaux, sexe…), mais elles témoignent également d’une fascination morbide et perverse pour la maladie, la pourriture et la dégénérescence du corps. Le grotesque malsain qu’il incarne se rapproche de celui d’un Wendel Dietterlin. Remplissant parfaitement son office de présentateur, il est aussi celui qui met le plus les choses en perspective : il a sa propre interprétation du rôle qu’Hector et Ulysse font jouer à Achille et Ajax (ii.i.106-109) ; il commente, non sans un certain voyeurisme, la scène de trahison de Cressida (v.ii) et la bataille finale entre Ménélas et Paris, loin du lyrisme d’Homère (v.vii.9). C’est également lui qui, en une image conjuguant subversion de la statue albertienne et déformation anamorphotique, décrit Ménélas – qu’il compare indirectement à Jupiter – comme « the primitive statue and oblique memorial of cuckolds » (v.i.53-54). Par ailleurs, il invoque fréquemment le grand trait de l’esthétique du grotesque qu’est la linea serpentinata, clairement mentionnée à travers la description du caducée de Mercure (ii.iii.12-13)67 ; elle caractérise d’ailleurs la forme de la pièce tout entière, comme le soulignent Cassandre (« distraction, frenzy and amazement / Like witless antics one another meet », v.iii.85-86)68 et Troïlus (v.iii.110). Son corps, enfin, n’est qu’une sphère dégénérée, idée résumée par l’expression « crusty botch of nature » (v.i.5), écho à l’échelle du microcosme, de la dégénérescence du macrocosme. Néanmoins, quelque important que puisse être le rôle de commentateur de Thersite et Pandare, il est impossible d’adopter leur point de vue plutôt qu’un autre. Le passage d’un point de vue à un autre est incessant, le regard et l’esprit ne peuvent se poser nulle part. Au bout du compte, c’est bien dans un espace vide à peine délimité par des cadres incertains que nous précipitent les multiples perspectives de la pièce. L’éclatement de la perspective signe le refus de l’illusion théâtrale, comme si Shakespeare se moquait des efforts d’Inigo Jones pour construire de parfaits décors de théâtre en perspective : ce qui demeure, au bout du compte, n’est qu’une version dégradée de la peinture, un vulgaire bout de tissu (v.x.46), que regardent des yeux à moitié mangés par la maladie vénérienne (49), et sur lequel Pandare barbouille une histoire répugnante où la chair est non seulement triste, mais suante et malade, et prête à répandre ses maladies sur le monde (47-57).
Notes
1 V.ii.155. Édition utilisée : éd. Kenneth Palmer, coll. The Arden Shakespeare, Londres & New York, Routledge, 1990 (1re éd. 1982). Pour les références à d’autres pièces, éd. Stanley Wells & Gary Taylor, The Complete Works (The Oxford Shakespeare, compact edition), Oxford, Clarendon Press, 1988.
2 Raymond Gardette, « Images d’espace dans Troïlus et Cressida », in Shakespeare. Troilus and Cressida, Actes du colloque des 9-10 novembre 1990, Lyon, CERAN, 1991, p. 56.
3 Michel Jeanneret, Perpetuum mobile : métamorphoses des corps et des œuvres de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, 1997, p. 76.
4 Joan Kelly Gadol, Leon Battista Alberti, homme universel des débuts de la Renaissance, trad. Jean-Pierre Ricard, Paris, Éditions de La Passion, 1995 (1re éd. 1969), p. 13.
5 Ibid., p. 24.
6 Ibid., p. 26-27.
7 Voir, par exemple, le grand classique d’Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, trad. Raissa Tarr, Paris, Gallimard, 1973 (1re éd. 1957) ; Margaret Llasera, Représentations scientifiques et images poétiques en Angleterre au xviie siècle. À la recherche de l’invisible, Paris, CNRS Éditions et Fontenay / Saint-Cloud, ENS Éditions, 1999.
8 Voir Margaret Jones-Davies, « ’The world is but a word’ – ‘spéculations spatiales’ dans l’œuvre de Shakespeare », in J. P. Naugrette éd., Cartes et strates, Tropismes, n° 7, Paris (Université de Paris x-Nanterre), 1995, p. 7-27 ; Anne Cauquelin, Essai de philosophie urbaine, Paris, PUF, 1982.
9 Même la chôra platonicienne, qui semblerait s’en approcher, demeure « une simple condition vide, et comme un cadre sans bords, un demi-être » tant qu’elle n’est pas « précisée par un corps concret », Anne Cauquelin, op. cit., p. 84. Platon la définit en effet comme un réceptacle, comme une virtualité difficile à saisir, Timée, éd. Émile Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 51c-52c, p. 430.
10 Épître dédicatoire au Pape Paul iii, cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 148.
11 L’harmonie naît de la recherche d’une unité organique (module) obtenue par la commensurabilité des différentes parties de l’édifice entre elles et avec le tout, c’est-à-dire par des rapports de proportions. Voir Vitruve, Les Dix livres d’architecture (De architectura), trad. C. Perrault (1684), Liège, Pierre Mardaga, s.d., i, 2.
12 Voir Alastair Fowler, Time’s Purpled Masquers. Stars and the Afterlife in Renaissance English Literature, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 33-58.
13 Ptolémée, Géographie, cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 74.
14 Ibid.
15 Cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 157. En Angleterre, voir l’évolution vers plus de précision scientifique de l’atlas de Christopher Saxton (1579) au Speculum Britanniæ de John Norden (1593) et surtout au Theatre of the Empire of Great Britain de John Speed (1611). R. V. Tooley, Maps and Map-Makers, New York, Bonanza Books, 1970 (1re éd. 1949).
16 Le premier à proclamer vraiment l’infinité de l’espace est Giordano Bruno (De l’infinito universo e mondi, 1584), mais il a peu d’influence sur ses contemporains. Voir A. Koyré, op. cit., p. 66-78.
17 Par exemple le poème de John Donne, Anatomy of the World (1611), cité par A. Koyré, op. cit., p. 47-48.
18 Ibid., p. 9.
19 Nous employons ces termes par commodité mais Alberti lui-même n’utilise pas le mot « perspective » : le premier à en user dans un sens moderne est Piero della Francesca, dans son De prospectiva pingendi (1482).
20 Le terme vient de Cicéron. Voir L’Orateur, xlix, 165-l, 167.
21 De la statue et de la peinture, trad. Claudius Popelin, Paris, A. Lévy, 1868, p. 138. Le troisième principe est la réception des lumières.
22 Cicéron, L’Orateur, xliv, 149-xlv, 155.
23 De architectura, iii, 1.
24 Trad. J. Tricot, Paris, J. Vrin, 1994 (1re éd. 1990), ii, 5.
25 De la peinture, op. cit., p. 140-141.
26 Ibid., p. 124.
27 Ibid., p. 117.
28 Ses deux célèbres panneaux ont malheureusement disparu, mais nous sont connus grâce à la « Vie de Brunelleschi » de Vasari et à son biographe, Antonio de Tuccio Manetti, qui en donne une description détaillée.
29 « L’homme est au monde ce que l’homme connaît le mieux. C’est pourquoi, sans doute, Protagoras a dit qu’il était le modèle et la mesure de tout. […] Cela nous enseigne que, quelque sorte de corps que nous venions à peindre, ils nous sembleront grands ou petits, selon la mesure des hommes que nous y aurons placés », De la peinture…, op. cit., p. 123.
30 Ibid., p. 125.
31 Philippe Hamou, La Vision perspective (1435-1740). L’Art et la science du regard, de la Renaissance à l’âge classique, Paris, Payot, 1995, p. 70.
32 Pour une explication détaillée de la construction albertienne, voir Rudolf Wittkower, « Brunelleschi et la proportion dans la perspective », in Giulio Carlo Argan & Rudolf Wittkower, Perspective et histoire au Quattrocento, trad. Jean-Jacques Le Quilleuc, Marc Perelman et Fra Marcello, Paris, Éditions de la Passion, 1990, p. 53-77, et J. K. Gadol, op. cit.
33 De re ædificatoria, i, 1.
34 Erwin Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, trad. sous la direction de Guy Ballangé, Paris, Éditions de Minuit, 1975 (1re éd. 1927), p. 160-161. Panofsky semble ici se faire l’écho de la théorie de Jacob Burckhardt sur le développement de la notion d’individualité à la Renaissance, La Civilisation de la Renaissance en Italie, trad. H. Schmitt (revu et corrigé par R. Klein), Paris, Le club du meilleur livre, 1958 (1re éd. 1860).
35 Ernest B. Gilman, The Curious Perspective. Literary and Pictorial Wit in the Seventeenth Century, New Haven & Londres, Yale University Press, 1978 ; Hubert Damisch, L’origine de la perspective, Paris, Flammarion, 1993 (1re éd. 1987).
36 Op. cit, p. 42.
37 Cité par Christy Anderson, « The Secrets of Vision in Renaissance England », in Lyle Massey (éd.), The Treatise on Perspective : Published and Unpublished, New Haven & Londres, Yale University Press, 2003, p. 325.
38 C. Anderson, op. cit., p. 329.
39 Voir François Laroque, « Perspective in Troilus and Cressida », in John M. Mucciolo éd. (avec Steven J. Doloff & Edward A. Rauchut), Shakespeare’s Universe : Renaissance Ideas and Conventions, Aldershot, Scolar Press, 1996, p. 230.
40 Les Métamorphoses du cercle, Paris, Flammarion, 1979 (1re éd. 1961).
41 Ibid., p. 79.
42 De architectura, i, 1. Chez Alberti, voir par exemple la transition entre le livre i et le livre ii du De pictura : « il nous reste maintenant, pour que nous formions un peintre, à rechercher comment il rendra avec la main ce que son esprit aura conçu », op. cit., p. 130.
43 Plus loin, Thersite présente clairement Ulysse et Nestor comme les architectes de la guerre, les maîtres du disegno dont Ajax et Achille ne sont que les instruments (ii.i.106-109).
44 Voir Françoise Choay, La Règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, Éditions du Seuil, 1980.
45 « Le traité De re ædificatoria (de Leon Battista Alberti) », in G. C. Argan & R. Wittkower, op. cit., p. 83.
46 Troilus and Cressida, coll. The Arden Shakespeare, op. cit., p. 134.
47 Ibid., p. 276.
48 L’édition Arden cite ce passage des Proverbes, xxv.29 : « he that hath no rule over his own spirit is like a city that is broken down, and without walls », p. 178.
49 G. C. Argan, « Le traité De re ædificatoria… », op. cit., p. 88.
50 Voir F. Laroque, op cit.
51 Ibid.
52 Ibid., p. 234.
53 Timber or Discoveries, in Works, éd. C.H. Herford & P. Simpson, Oxford, Clarendon Press, 1925-52 (11 vol.), vol. 8, p. 628. C’est moi qui souligne.
54 Voir T. McAlindon, « Language, Style, and Meaning », in Priscilla Martin (éd.), Troilus and Cressida. A Casebook, Londres & Basingstoke, Macmillan Press, 1976, p. 191-218.
55 Pour une analyse sytématique de tous ces cas de figures, voir Jane Adamson, Troilus and Cressida, Brighton, The Harvester Press, 1987.
56 « The juxtapositions work not to cancel one thing with another but to make us question everything, see it from several angles at once », Jane Adamson, op. cit., p. 43.
57 A booke called the foundacion of rhetorike, Londres, 1563, (STC 20604), f° 25 et suiv. Voir à ce sujet Marion Trousdale, Shakespeare and the Rhetoricians, Chapel Hill, N.C. & Londres, Scolar press, 1982, p. 4-7.
58 The Rule of Reason, Londres, 1552, cité par M. Trousdale, in Shakespeare and the Rhetoricians, op. cit., p. 38.
59 Voir par exemple le dialogue suivant dans 1 Henry iv :
Falstaff. […] Now I live out of all order, out of all compass.
Russell. Why, you are so fat, Sir John, that you must needs be out of all compass, out of all reasonable compass, Sir John. (iii.iii.18-22)
60 Voir F. Laroque, op. cit., p. 235.
61 Op. cit., p. 62.
62 Voir F. Laroque, op. cit., p. 228.
63 De la statue, in De la statue et de la peinture, trad. Claudius Popelin, op. cit., p. 75.
64 L’usage que fait Shakespeare du mot « perspective » est, à cet égard, très révélateur : il correspond à l’évolution du terme, qui, du sens qu’on lui donne habituellement en peinture, en est venu à désigner l’anamorphose (Oxford English Dictionary, « Perspective », 4b). Les exemples sont bien connus (Richard ii, ii.ii.16-20 ; Twelfth Night, v.i.213-214 ; All’s Well That Ends Well, v.iii.46-53). Dans Much Ado About Nothing, c’est bien d’une référence paradoxale à la costruzione legittima qu’il s’agit quand Margaret parle de « illegitimate construction » (iii.iv.45). La moquerie est peut-être une manière indirecte de remettre en doute cette construction idéale.
65 Mikhail Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance, trad. Andrée Robel, Paris, Gallimard, 1970 (1re éd. 1965), chap. vi.
66 Dans certaines éditions, ce passage est cité en appendice.
67 John Shearman évoque le Mercure de Giovanni Bologna (vers 1576) pour illustrer la ligne serpentine. Mannerism, Harmondsworth, Penguin, 1990 (1re éd. 1967), p. 89.
68 C’est moi qui souligne. On retrouve l’image du labyrinthe dans la bouche de Thersite, justement : « How now, Thersites ? What, lost in the labyrinth of thy fury ? », ii.iii.1-2.
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Référence papier
Muriel Cunin, « « The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d and loos’d »: Figures de l’espace dans Troilus and Cressida », Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 22 | 2005, 75-93.
Référence électronique
Muriel Cunin, « « The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d and loos’d »: Figures de l’espace dans Troilus and Cressida », Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 22 | 2005, mis en ligne le 01 janvier 2007, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/744 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.744
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