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Déchaînement et démesure : quelle liberté ?

Briser les chaînes de la métaphore : romances shakespeariennes et métaphores ravivées

Barbara Muller

Résumés

S’inspirant d’Aristote, de Quintilien et de Cicéron, les rhétoriciens anglais du XVIe siècle prescrivent le bon usage des figures et éreintent les métaphores inconvenantes ou trop audacieuses. Dans les romances (Pericles, Cymbeline, The Winter’s Tale et The Tempest), Shakespeare se plaît à contrevenir à ces prescriptions qui brident l’inventivité du poète : l’une des stratégies les plus subtiles que développe le dramaturge pour s’affranchir de ces figures imposées est le déploiement de métaphores ravivées, qui consistent à réveiller des métaphores mortes pour y redonner une charge imagée voire y déployer un sens neuf. En d’autres termes, ces figures ingénieuses brisent les chaînes des métaphores mortes qui, à force d’usage, emprisonnent en elles des sens cachés. Dans les romances, les métaphores ravivées ont également ce pouvoir de libérer un potentiel comique, y compris au sein de scènes tragiques. D’ailleurs, l’objectif est de souligner l’impact qu’ont ces figures sur l’hybridité générique des pièces tardives. Par l’emploi astucieux de ces figures, Shakespeare s’affranchit des règles de pureté générique formulées par les néo-aristotéliciens sur le continent. Dès lors, une double libération voit le jour : en brisant les chaînes de la métaphore, qui n’est plus assujettie aux prescriptions rhétoriques, le dramaturge affranchit aussi ses pièces des carcans génériques.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 George Puttenham, The Arte of English Poesie [édition de 1589], English Linguistics 1500-1800 (A co (...)
  • 2 Les traités de l’Antiquité et de la Renaissance qui ont été consultés sont les suivants : Aristote, (...)

1Par le truchement des jeux du discours figuratif, Shakespeare se désenchaîne, s’affranchit des prescriptions esthétiques et morales de son temps, telles qu’elles sont formulées dans les traités de rhétorique et de poétique anglais du XVIe siècle. Dans The Arte of English Poesie (1589), George Puttenham enjoint d’élaborer le discours figuratif dans le strict respect des règles édictées par les Anciens (Aristote, Cicéron et Quintilien) afin de se garder de toute inconvenance : « So as it appeareth by this order of theirs [our learned forefathers], that no vice could be committed in speech, keeping within the bounds of that restraint1 ». Le vocabulaire de la contrainte (« bounds », « restraint ») employé par Puttenham trahit bien une volonté d’imposer des normes très restrictives à l’élaboration du discours et donc de l’enfermer dans d’étroites limites. C’est ainsi que dans les traités anglais de la Renaissance, la métaphore est soumise à toute une série de règles héritées de l’Antiquité visant à la fois sa construction (la métaphore ne doit pas être cherchée trop loin) et son ethos (la figure doit être élaborée dans le respect des convenances sociales)2. Contournant ces règles, Shakespeare déploie des stratagèmes, dont l’un des plus ingénieux consiste à raviver les métaphores mortes. Les métaphores ravivées, nous le verrons, consistent à briser les chaînes des métaphores mortes, dont le sens a été emprisonné à force d’usage, pour en déployer un sens neuf et parfois inattendu.

2En élaborant ces figures audacieuses, Shakespeare transgresse les règles classiques du decorum telles qu’elles sont prescrites dans les traités de rhétorique du XVIe siècle. Ces figures participent dès lors à ce que Keir Elam, dans Shakespeare’s Universe of Discourse (1984), nomme « the unclassical and indecorous linguistic insubordination », expression qu’il emploie pour parler des jeux du discours dans les comédies shakespeariennes :

  • 3 Keir Elam, Shakespeare’s Universe of Discourse, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 3.

A dramaturgic dogma that insists a priori on the dutiful self-effacement of “diction”, that “lesser” ingredient of dramatic structure, can only lead to critical embarrassment before the unclassical and indecorous linguistic insubordination that marks the comedies in their livelier moments3.

  • 4 Face au genre protéiforme de ces pièces, J.H.P. Pafford opte pour l’appellation de « romantic tragi (...)
  • 5 L’anagnorisis, ou reconnaissance, est définie par Aristote dans la Poétique comme le « passage de l (...)

Si Keir Elam s’intéresse principalement aux tropes dans les comédies, je me concentre davantage sur des pièces au genre plus hybride, telles que les pièces tardives que l’on nomme tantôt « romances », tantôt « tragicomédies » (Pericles, Cymbeline, The Winter’s Tale et The Tempest4). La raison en est que, dans ces pièces, l’usage que fait Shakespeare des métaphores ravivées a aussi un impact sur la dimension générique. Ainsi, je montrerai que, dans les romances, Shakespeare libère le potentiel comique de ces figures, renforçant par là même la veine tragicomique de ces pièces. Si cet article se focalise sur la veine tragicomique des pièces, nous ne rejetons pas l’appellation de « romances », en ceci que les quatre pièces sont bel et bien des histoires d’amour dont les péripéties rappellent celles des odyssées des romans grecs du début de l’ère chrétienne, tels que les Éthiopiques d’Héliodore (naufrages, piraterie, séparation de proches, renversements inattendus de fortune et scènes d’anagnorisis5 élaborées). « Tragicomédie » et « romance » sont deux termes descriptifs utiles et complémentaires pour appréhender ces pièces au genre fortement hybride.

3Or, dès le début du XVIe siècle, les néo-aristotéliciens sur le continent s’évertuaient à tracer des frontières bien délimitées entre les genres, y compris entre la tragédie et la comédie. En Angleterre, Sir Philip Sidney, fervent classiciste, se fait le garant de la pureté des genres, notamment en éreintant le genre de la tragicomédie. Dans « The Defence of Poesy », il déplore le succès des « mongrel tragi-comed[ies] » (tragicomédies bâtardes) qui, selon lui, sont indignes d'une oreille chaste et présentent un monde où le vulgaire côtoie le noble :

  • 6 Sir Philip Sidney, « The Defence of Poesy », in Sir Philip Sidney: The Major Works, New York, Oxfor (...)

But besides the gross absurdities, how all their plays be neither right tragedies, nor right comedies, mingling kings and clowns, not because the matter so carrieth it, but thrust in the clown by head and shoulders to play a part in majestical matters with neither decency nor discretion, so as neither the admiration and commiseration, nor the right sportfulness, is by their mongrel tragi-comedy obtained. […] So falleth it out, having no right comedy, in that comical part of our tragedy, we have nothing but scurrility, unworthy of any chaste ears […]6.

Mon objectif est de démontrer que dans les romances de Shakespeare, une double libération voit le jour : en brisant les chaînes de la métaphore et, par extension, en se libérant des prescriptions rhétoriques, le dramaturge affranchit aussi ses pièces des carcans génériques.

4Premièrement, il s’agira de montrer dans quelle mesure les traités de rhétorique anglais enchaînent la métaphore, figure soumise à toute une série de règles quant à son élaboration. Puis, il conviendra de définir la métaphore ravivée à l’aide d’outils linguistiques actuels et de démontrer en quoi cette figure, par son fonctionnement même, est propice à une émancipation du carcan théorique des traités. Enfin, cet article se propose d’analyser les stratagèmes déployés par Shakespeare pour briser les chaînes de la métaphore, s’affranchir des prescriptions rhétoriques et libérer ses pièces des entraves génériques.

La métaphore « enchaînée » par les traités de rhétorique anglais du XVIe siècle

  • 7 George Puttenham, op. cit., livre III, chap. XVI, p. 148.

5S’inspirant des définitions de la métaphore par les Anciens, les traités de rhétorique anglais définissent la métaphore comme une figure du transport qui transfère le sens propre d’un mot à un sens qui lui est impropre, et ceci, afin de faire apercevoir une similitude. Aussi, par exemple, George Puttenham, dans The Arte of English Poesie (1589), définit-il ce trope en ces termes : « Metaphora, or the Figure of Transporte. There is a kinde of wresting of a single word from his own right signification, to another not so natural, but yet of some affinitie or conveniencie with it […]7 ». Dans les traités, les définitions de la métaphore sont souvent accompagnées de préconisations pour le bon usage de cette figure, comme ici dans le traité de Henry Peacham, The Garden of Eloquence (1577) :

  • 8 Henry Peacham, The Garden of Eloquence [édition de 1593], Londres, Historical collection from the B (...)

The Caution. In the choice and use of translation heed ought to be taken, that these faults be not found in Metaphors. First, that there be not an unlikenesse in steed of a likenesse, as if one should say, the bull barketh, which is very unlike. Secondly, that the similitude be not farre-fetcht, as from strange things unknown to the hearer, as if one should take Metaphors from the parts of a ship and apply them among husbandmen which never came at sea, he shall obscure the thing that he would fainest make evident. Thirdly, that there be no unclean or unchast signification contained in the Metaphore: which may offend against modest and reverend minds. Fourthly, that the similitude be not greater then the matter requireth, or contrariwise lesse 8.

  • 9 Voir Aristote, La Rhétorique (III.3.1406b) ; Cicéron, De l’Orateur (III.159-160) ; Rhétorique à Her (...)
  • 10 Quintilien, Institution Oratoire, vol. V, trad. Jean Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 2003, VIII. (...)
  • 11 Ibid., VIII.3.18, p. 65.

On le voit, élaborer une métaphore réussie, c’est prendre garde à sa construction et à son ethos. Premièrement, une bonne construction de la figure implique de ne pas chercher la métaphore trop loin, préconisation héritée d’Aristote, de Quintilien ou encore de La Rhétorique à Herennius9. Ce que les rhétoriciens du XVIe siècle entendent par «  farre-fetchted metaphor » recouvre en réalité trois défauts déjà soulignés par les Anciens : d’abord, la figure ne doit pas rapprocher des aires sémantiques trop éloignées, comme dire par exemple « les neiges de la tête », pour dire les cheveux blancs, exemple d’échec métaphorique donné par Quintilien dans l’Institution Oratoire10. Ensuite, la métaphore est obscure si elle cherche à faire voir des choses trop peu familières. Enfin, la métaphore est inappropriée si elle ne s’harmonise pas avec les figures qui l’environnent ; elle est alors « une boursouflure sur un corps uni » pour emprunter l’expression de Quintilien au livre VIII de son traité11.

  • 12 George Puttenham, op. cit., loc. cit.
  • 13 Voir Érasme, On Copia of Words and Ideas, traduit du latin, éd. Donald B. Kings et H. David Rix, Mi (...)

6C’est en somme l’excentricité métaphorique qui est ici vilipendée. En lisant les traités antiques, tout comme les traités anglais qui s’en inspirent, force est de constater que les limites imposées à la créativité métaphorique sont étroites. Dans The Arte of English Poesie, George Puttenham agrémente sa définition de la métaphore de figures pour le moins rebattues : « I feele you not », « the crowne of a tree », « I cannot digest your unkinde words12 ». De même, Érasme, dans De Copia (1514), recommande de puiser dans le fond culturel commun de métaphores et de proverbes13. Dès lors, une métaphore est acceptable précisément parce qu’elle a déjà été utilisée avec succès. Peu de place, donc, aux nouvelles hardiesses métaphoriques.

  • 14 Dans Parallèle des anciens et des modernes (1692), Charles Perrault définit le burlesque en ces ter (...)

7Ces critères se doublent de codes de recevabilité sur le plan de l’ethos. Suivant Quintilien, Cicéron et l’auteur anonyme de La Rhétorique à Herennius, Henry Peacham, George Puttenham ou encore William Scott proscrivent toute forme de grivoiserie, de trivialité ou d’indécence qui pourraient heurter l’oreille et l’esprit de celui qui l’écoute : « that there be no unclean or unchast signification contained in the Metaphore » (pour reprendre le passage de Peacham). En outre, Peacham cherche à bannir le recours à ce que nous nommons aujourd’hui le « burlesque dégradant » et le « burlesque dignifiant », à l’instar de Charles Perrault puis de Gérard Genette14. En effet, il interdit les métaphores qui consistent à ravaler ce qui est grand et noble au rang de ce qui est bas et vil ; et celles qui versent dans la démesure inverse, c’est-à-dire les métaphores qui donnent de la grandeur à ce qui ne le mérite pas : « that the similitude be not greater then the matter requireth, or contrariwise lesse ». C’est le régime ludique qui est donc visé ici, laissant peu de place au potentiel comique de la métaphore.

  • 15 « As the son of an alderman who became bailiff (or mayor) in 1568, [Shakespeare] had the right to a (...)
  • 16 Voir T.W. Baldwin, Shakespeare's Small Latine and Lesse Greeke, Urbana, Illinois, University of Ill (...)

8Tout cet ensemble de restrictions s’apparente à des chaînes, des chaînes empêchant le déploiement créatif de la figure et tout son potentiel à créer du sens neuf et inattendu. Comme le rappelle entre autres Stanley Wells, Shakespeare a bénéficié d’un enseignement de la rhétorique classique et de la lecture de rhétoriciens tels que Quintilien et Cicéron15. L’habileté avec laquelle le dramaturge parodie l’enseignement rhétorique dans The Merry Wives of Windsor et dans Love’s Labour’s Lost, ne peut qu’attester sa connaissance des textes théoriques16. On peut donc penser qu’il avait connaissance des critères de decorum auxquels les rhétoriciens soumettaient la métaphore.

9Or, dans ses pièces, Shakespeare se plaît à contrevenir à ces prescriptions qui brident l’inventivité du poète et favorisent un discours figuratif sclérosé. L’une des stratégies les plus astucieuses que développe le dramaturge pour s’affranchir du carcan théorique des traités est le déploiement de métaphores ravivées. Comment définir les métaphores ravivées et en quoi ces figures peuvent-elles constituer un outil puissant d’insubordination face aux règles classiques du decorum ?

Définition et enjeux de la métaphore ravivée : la libération d’un sens prisonnier

  • 17 Ce sont ces métaphores mortes qu’Umberto Eco nomme à son tour « catachrèses institutionnalisées » o (...)
  • 18 Paul Ricœur, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 384.

10La métaphore ravivée n’étant pas répertoriée dans les traités, je me tournerai directement vers les théories actuelles de la métaphore, et notamment vers la philosophie et la linguistique. La métaphore ravivée fait écho aux concepts de métaphore morte et de métaphore vive théorisés par Paul Ricoeur dans son ouvrage La Métaphore Vive (1975). La métaphore morte ou « catachrèse17 » est une métaphore qui a été sédimentée par le langage et lexicalisée à force d’usage (par exemple : « le pied de la table »). Lorsqu’il emploie une catachrèse, l’énonciateur n’a pas conscience de son caractère métaphorique. En d’autres termes, la métaphore morte ne relève plus d’une stratégie discursive. En somme, c’est comme si le sens métaphorique du mot était emprisonné, encapsulé à force d’usage. À l’inverse, la métaphore vive est une métaphore inédite, elle rapproche des aires sémantiques éloignées afin de faire surgir une signification nouvelle qui dit quelque chose du monde. Selon Ricœur, elle « inscrit l’élan de l’imagination dans un ‘penser plus’ au niveau du concept18 ».

  • 19 Eco, op. cit., p. 182.
  • 20 Nanine Charbonnel, Les Aventures de la métaphore, La tâche aveugle (3 volumes), vol. 1, Strasbourg, (...)

11Prolongeant les définitions de Ricœur, nous proposons d’envisager la vivacité de la métaphore, non comme une dichotomie entre mort et vie, mais comme un continuum dont les deux pôles extrêmes sont la métaphore morte et la métaphore vive. En effet, les métaphores convenues et rebattues, comme dire d’une femme qu’elle est une rose, ne sont ni mortes, ni particulièrement vives. Et ce continuum entre métaphore morte et métaphore vive n’est pas linéaire, il est dynamique : c’est là qu’intervient ce que nous appelons la « métaphore ravivée ». En effet, comme le souligne Umberto Eco dans Sémiotique et Philosophie du langage (1988), « aucune métaphore n’est ‘fermée’ dans l’absolu, sa fermeture est pragmatique19 ». Autrement dit, il est toujours possible de briser les chaînes de la catachrèse pour en libérer à nouveau tout le sens métaphorique. Dans Les Aventures de la Métaphore (1991), Nanine Charbonnel souligne que l’on peut parfois « réveiller » des catachrèses, ou « métaphores endormies », afin qu’elles retrouvent leur « statut de métaphores » et qu’elles « trouvent ou retrouvent une charge dite imagée20 ». Sylvianne Rémi-Giraud, dans son article « De la création à l’extinction : métaphore(s) et mondes de discours » (2006), évoque même une forme de résurrection :

  • 21 Sylvianne Rémi-Giraud, « De la création à l’extinction : métaphore(s) et mondes de discours », Cahi (...)

L’absence de métaphore n’est pas la mort de la métaphore. […] On donnera comme exemple l’énoncé : Marie est une peste dans lequel […] une peste attribue à Marie une forte capacité de nuisance sans que cette propriété soit alimentée par le référent virtuel de l’épidémie. Mais comme l’ont remarqué bien des auteurs, la mort des métaphores, à la différence de celle des humains, est toujours réversible. On ne se lasse pas de dire que ces belles au bois dormant ne s’assoupissent que d’un œil. De fait, il suffit qu’un indice quelconque dans le contexte active la signification littérale pour que l’énoncé se dédouble, ouvrant la dimension d’un monde virtuel qui vient alimenter la signification redevenue figurée. Ainsi si l’on ajoute à l’énoncé Marie est une peste le fait que sa sœur est un choléra… […] Ainsi pourrait s’expliquer l’extrême plasticité de la métaphore qui peut connaître tout à la fois vie et mort, mort et résurrection, dépérissement ou regain de vitalité21

On pourrait ajouter au propos de Sylviane Rémi-Giraud que la métaphore ravivée, en même temps qu’elle libère le sens de la catachrèse, fait voir le fonctionnement du jeu figuratif de l’intérieur et fait prendre conscience du caractère sédimenté du langage.

12En quoi les métaphores ravivées sont-elles potentiellement des figures d’insubordination face aux règles classiques du decorum ? Tout d’abord, parce que le degré de vivacité est une prise de risque d’après les rhétoriciens : les métaphores vives peuvent échapper à la compréhension ou susciter le ridicule ; on peut alors en conclure que les métaphores ravivées, si elles sont poussées trop loin, risqueraient, elles aussi, de semer le trouble dans l’esprit de l’interlocuteur. Par ailleurs, en ravivant une métaphore, on peut aussi facilement en détourner le sens, et glisser d’une métaphore moralement convenable à une figure inconvenante, indécente, voire obscène.

Méthode MIPVU, un outil favorisant l’analyse des métaphores ravivées

  • 22 Pour en savoir plus sur cette méthode, voir Pragglejaz Group, « MIP: A Method for Identifying Metap (...)
  • 23 Je consulte plus précisément l’Oxford English Dictionary online. Dans la suite de cet article, l’ab (...)

13Pour analyser l’usage que fait Shakespeare des métaphores ravivées, il peut être utile de recourir à une méthode linguistique permettant de déterminer si une métaphore donnée est morte, vive ou ravivée. La technique MIPVU (Metaphor Identification Procedure VU University Amsterdam) élaborée en 2007 par une équipe de linguistes baptisée le Pragglejaz Group22, permet de repérer les métaphores dans un texte donné. Cette méthode repose sur l’usage du dictionnaire. Si le Pragglejaz Group opte pour le dictionnaire Macmillan (The Macmillan English Dictionary for Advanced Learners), j’utilise pour ma part l’Oxford English Dictionary qui permet, dans un souci d’historicisation, de consulter les entrées du lexique aux XVIe et XVIIe siècles23. Pour illustrer cette méthode, prenons ce passage de Pericles, où Lysimachus, gouverneur de Mytilène et client d’une maison close, qualifie son esprit de corrompu devant Marina, qui vient juste de le dissuader de prendre sa virginité :

  • 24 William Shakespeare, Pericles, éd. Suzanne Gossett, Londres, Arden Shakespeare, 2004, p. 356. C’est (...)

LYSIMACHUS. I did not think
Thou couldst have spoke so well, ne’er dreamt thou couldst.
Had I brought hither a
corrupted mind
Thy speech had altered it. […]
(Pericles, IV.v.106-10924)

  • 25 Voir « corrupt, adj. », OED online (4). La première occurrence de ce sens mentionnée par l’OED onli (...)
  • 26 Les termes de « basic meaning » et « contextual meaning » sont ceux employés dans la technique MIPV (...)
  • 27 Voir « corrupt, adj. », OED online (II.2.a). La première occurrence mentionnée par l’OED online dat (...)

Il s’agit tout d’abord de déterminer si « corrupted » est une métaphore potentielle. La première étape consiste à chercher le « sens contextuel » du mot, c’est-à-dire le sens qu’il prend non pas de manière isolée, mais dans une situation donnée, comme ici, dans ce passage de Pericles. Dans son sens contextuel, « corrupted » relève de la perversion, comme en atteste cette entrée dans le dictionnaire : « Debased in character; infected with evil; depraved; perverted; evil, wicked25 ». La deuxième étape vise à repérer le « sens concret » c’est-à-dire le sens premier, le plus tangible et le plus littéral26. À la Renaissance, le sens concret de « corrupted » renvoyait à la putréfaction (« putrid, rotten or rotting »)27. Selon la méthode, il s’agit d’une métaphore potentielle, puisque le sens contextuel et le sens concret sont suffisamment éloignés pour ne pas être confondus tout en présentant une similitude : la perversion de l’esprit est semblable à une maladie corporelle.

14Cette méthode de repérage des métaphores peut être prolongée pour permettre de déterminer le degré de vivacité de la figure. Pour ce faire, je propose d’ajouter deux étapes à la méthode MIPVU, qui sont synthétisées dans le schéma ci-dessous (voir figure 1) :

15Tout d’abord, il s’agit de vérifier si le mot, dans son sens contextuel, a une entrée dans le dictionnaire lexical. Si oui, la métaphore est morte : elle a été sédimentée à force d’usage et trouve sa place dans le dictionnaire. L’adjectif « corrupted », au sens de perverti (sens contextuel), entre bien dans ce cas de figure puisqu’on trouve une entrée dans le dictionnaire aux XVIe et XVIIe siècles.

  • 28 Morris Palmer Tilley, A Dictionary of the Proverbs in England in the Sixteenth and Seventeenth Cent (...)

16À l’inverse, si le sens contextuel ne figure pas dans le dictionnaire lexical, la métaphore est vivante et potentiellement vive. Comment déterminer son degré de vivacité ? Cette seconde étape, plus délicate que la première, requiert d’avoir accès au fond culturel commun de la Renaissance anglaise. Une des manières d’y accéder, pragmatique, mais certes non exhaustive, est de rechercher une entrée du sens contextuel du mot dans un dictionnaire des proverbes des XVIe et XVIIe siècles, en l’occurrence celui de Morris Palmer Tilley28. Si la métaphore fait écho à un proverbe, alors elle suit des convenances balisées par la culture : elle est vivante, mais rebattue. On parlera alors de métaphore convenue. Si elle n’a pas d’entrée dans le dictionnaire des proverbes, alors la métaphore est vive, voire inédite.

  • 29 J’emprunte ici la terminologie de George Lakoff et Mark Johnson. Pour ces auteurs, le concept métap (...)
  • 30 On pourrait ici emprunter l’expression de « domaine-source » à la méthode MIPVU. Dans la terminolog (...)
  • 31 Précisons qu’il est non seulement possible de raviver une métaphore morte mais aussi de redonner de (...)

17Selon cette méthode, « corrupted » est a priori une métaphore morte. On peut imaginer que la connotation de maladie et de putréfaction qui se cache derrière le concept métaphorique29 ait pu passer inaperçue dans l’esprit du spectateur jacobéen. Seulement, comme nous l’avons vu, une métaphore morte est toujours susceptible d’être ravivée, que ce soit par une autre métaphore ou comparaison inspirée de la même aire sémantique30, ou encore par un geste ou un élément du décor qui ferait écho à la catachrèse (voir figure 2)31.

18Il faut alors observer attentivement le contexte et les figures environnantes. Ceci permet de déterminer si certains éléments sont susceptibles de libérer la charge sémantique et imagée emprisonnée dans la catachrèse :

  • 32 Pericles, op. cit., loc cit. C’est moi qui souligne.

LYSIMACHUS. I did not think
Thou couldst have spoke so well, ne’er dreamt thou couldst.
Had I brought hither a
corrupted mind
Thy speech had
altered it. […] (Pericles, IV.v.106-10932)

  • 33 Voir « alter, v », OED online (4).

Ici, la présence d’une seconde métaphore issue de la même aire sémantique, le verbe « to alter », revitalise la métaphore. En effet, ce verbe, à présent archaïque, renvoyait également dans son sens concret au domaine de la médecine et de la maladie : « †4. intr. Med. To administer or use an alterative medicine. Also trans.: to treat with such a medicine. Obs.33 ». La métaphore filée de Lysimachus suggère que son esprit vil et putride a été guéri par le discours régénérateur de Marina.

  • 34 L’« allegory » est ainsi classée parmi les figures de phrase (et non parmi les figures de mot). Geo (...)

19Il convient à ce stade de préciser que toutes les métaphores ravivées ne transgressent pas les limites imposées par les traités de rhétorique. En effet, le discours métaphorique du gouverneur relève de ce que les rhétoriciens anglais nomment une « allegory », terme employé pour désigner la métaphore filée34. La figure de l’esprit malade guéri par les mots, reste somme toute balisée par la culture et répond donc aux préconisations des traités. En outre, ce discours métaphorique s’harmonise bien avec l’atmosphère de déliquescence qui règne dans la maison close et répond aux critères de l’ethos auxquels les rhétoriciens soumettent la métaphore.

  • 35 Il va de soi que si les néo-aristotéliciens s’évertuaient à codifier et à cloisonner les genres, da (...)

20Ici, Shakespeare brise les chaînes de la catachrèse mais ne s’affranchit pas des prescriptions des traités de rhétorique. Je me tournerai à présent vers les modalités selon lesquelles Shakespeare use de la métaphore ravivée pour libérer la figure de son emprisonnement prescriptif et ses pièces du cloisonnement des genres tel qu’il est souhaité par les néo-aristotéliciens sur le continent35.

Romances shakespeariennes : la métaphore ravivée au service du décloisonnement des genres

  • 36 John Fletcher, « To the Reader », The Faithful Shepherdess: The Play, Londres, Forgotten Books, 201 (...)
  • 37 Giovanni Battista Guarini, Compendio della Poesia Tragicomica, « The Compedium of tragicomic poetry (...)

21Dans les romances, Shakespeare ne se contente pas de ramener les personnages à la vie (Thaisa dans Pericles, Imogen dans Cymbeline, Hermione dans The Winter’s Tale ou encore Ferdinand dans The Tempest), il donne aussi un souffle nouveau aux métaphores mortes, et en déploie tout le potentiel comique, y compris lorsque les scènes tendent vers une issue tragique. Aussi, ces métaphores ressuscitées contribuent-elles à renforcer la veine tragicomique de ces pièces au genre fortement hybride. John Fletcher fut l’un des théoriciens de la tragicomédie et tenta de lui redonner ses lettres de noblesse. Dans la préface de sa pièce intitulée The Faithful Shepherdess (1609), il définit ainsi le genre : « A tragicomedy is not so called in respect of mirth and killing, but in respect it wants [i.e., lacks] deaths, which is enough to make it no tragedy; yet brings some near it, which is enough to make it no comedy […]36 ». Giovanni Battista Guarini, dans Compendio della Poesia Tragicomica (1601), définit aussi les intrigues de ce genre dramatique comme tragiques en puissance mais non en acte. Par le truchement d’une analogie musicale, l’auteur ajoute que les tragicomédies mettent l’accent sur la dimension affective et sur une modulation de ton très travaillée, à mi-chemin entre la mélancolie tragique et la libération comique : « [The style of tragicomedy]. Styles are like the sensitive and pliant cords of a musical instrument, which, though they all have their proper tone, still are normally more or less intense or relaxed according as it pleases the musician37 ». Dans les romances shakespeariennes, comme nous le verrons, les métaphores ravivées contribuent pour le spectateur non pas à une modulation subtile entre les tons tragique et comique, au sens où l’entend Guarini, mais bien plus à une concomitance violente entre des affects opposés : le pathos et le rire.

22Les métaphores ravivées révèlent l’extrême plasticité des figures, qui peuvent être détournées afin de libérer le rire du spectateur. Au théâtre, le dramaturge a une grande marge de liberté quant au déploiement de la métaphore ravivée. En effet, la manière dont la figure s’épanouit sur les planchers de la scène dépend de la situation d’énonciation : elle peut être revivifiée au sein d’une même tirade, ravivée par la réplique d’un personnage ou encore réveillée par la présence d’un objet scénique.

23Cette étude se propose d’examiner trois stratagèmes employés par Shakespeare pour libérer le sens comique de ses métaphores. Le premier stratagème relève de la revivification métaphorique au sein d’un même discours, et ceci par les personnages bouffons. Dans le théâtre shakespearien, les personnages doués d’un certain degré d’autorité, ou du moins ceux qui cherchent à persuader par l’éloquence, sont maîtres dans l’art de la revitalisation délibérée de leur discours. Seulement, Shakespeare se plaît aussi à doter les bouffons de ce pouvoir de libération métaphorique. Or, les bouffons ne se contentent pas de raviver la métaphore, ils la désenchaînent aussi de toutes règles de convenance et la retravaillent dans le sens d’une réintroduction de la trivialité et du bas rabelaisien. Dans The Tempest, l’avènement d’un orage violent, censé susciter la terreur, provoque chez Trinculo une revitalisation métaphorique digne d’un ivrogne :

  • 38 William Shakespeare, The Tempest, éd. Virginia Mason Vaughan et Alden T. Vaughan, Londres, Arden Sh (...)

TRINCULO. Here’s neither bush nor shrub to bear off any weather at all, and another storm brewing; I hear it sing i’ th’ wind; yond same black cloud, yond huge one, looks like a foul bombard that would shed his liquor. If it should thunder as it did before, I know not where to hide my head: yond same cloud cannot choose but fall by pailfuls. […] I will here shroud till the dregs of the storm be past. (II.ii.18-4038)

  • 39 L’un des sens concrets de « dregs » est également celui de l’excrément, ce qui superpose un sens sc (...)

Non seulement la figure de Trinculo est une métaphore vive, mais elle est aussi une métaphore ivre. En effet, le bouffon ravive l’expression figée de l’orage qui se prépare (« the storm is brewing »), redonnant au verbe « to brew » son sens le plus concret, celui de la fermentation de la bière. C’est ainsi que tout naturellement, il compare le nuage noir et menaçant à un vilain tonneau qui va répandre sa liqueur. Il file ensuite la métaphore en annonçant qu’il va s’abriter en attendant, qu’une fois passée, il ne reste plus de la tempête que sa lie (« dregs39 »). En outre, pour le spectateur, les tropes du bouffon sont annonciateurs de l’arrivée imminente du sommelier, chantant, une bouteille à la main – autre forme de revitalisation métaphorique par le truchement du visuel, en l’occurrence par un accessoire sur la scène.

  • 40 Voir Démétrios, Du Style, trad. Pierre Chiron, Paris, Les Belles Lettres, 1993, §83-84, p. 28.

24Le dramaturge cherche ainsi non seulement à stimuler l’atelier mental du spectateur et à lui faire voir le fonctionnement du jeu métaphorique de l’intérieur, mais aussi et avant tout à solliciter son affect par des ressorts comiques. Le comique repose ici sur la comparaison entre quelque chose de grandiose, un ciel orageux, et quelque chose de trivial, un tonneau de vin. Le discours métaphorique de Trinculo, qui relève du burlesque dégradant, contrevient ainsi aux admonitions des rhétoriciens pour lesquels ce type de métaphores relève de la « médiocrité40 ». Pour le spectateur en revanche, le choix métaphorique du bouffon déclenche non pas le mépris, mais le rire, apportant ainsi une note comique à un moment de tension dramatique. Mais on rit aussi du fait que la métaphore définit Trinculo à ses dépens.

  • 41 Baldassare Castiglione, The Book of the Courtier, trad. Sir Thomas Hoby, Londres, J.M. Dent & Sons (...)
  • 42 Ibid., p. 155.

25Un deuxième stratagème employé par Shakespeare pour affranchir les métaphores des règles de convenance consiste à raviver la métaphore par des jeux de joute verbale. Shakespeare affectionne particulièrement les métaphores ravivées par jeux de répliques, qui sont propices à détourner le sens des métaphores mortes. Le dramaturge semble ici mettre en application les recommandations de Baldassare Castiglione dans Il Cortegiano, ouvrage publié à Venise en 1528, puis traduit par Sir Thomas Hoby et publié en Angleterre en 1561 sous le titre de The Book of the Courtier. Bien plus tolérant à l’égard des métaphores ludiques que les rhétoriciens, cet écrivain et diplomate italien enjoint aux courtisans d’exercer leur répartie notamment par les jeux du discours figuratif. Selon lui, les meilleures figures, et les plus divertissantes, sont celles qui consistent à filer la métaphore au sein d’un dialogue : « Also merry sayinges are much to the purpose to nippe a man, as well as grave sayinges to praise one, so the metaphors be well applyed, and especially if they be answered, and he that maketh answere continue in the selfe same metaphor spoken by the other41. » Par ailleurs, Castiglione ne rejette pas le recours au burlesque dégradant, qui permet bien souvent de rendre le discours plus piquant. Aussi donne-t-il l’exemple d’une métaphore rebattue, qui retrouve tout son éclat par le jeu de répliques. En effet, l’exemple donné est celui de messire Palla Strozzi qui, banni de Florence, chargea son messager de proférer une menace à l’encontre de Cosme de Médicis : « Tu diras de ma part à Cosme de Médicis que la poule couve » (« Tel Cosmus de Medicis in my name, that the henne sitteth a brood »). À son tour, Cosme de Médicis rétorqua à brûle-pourpoint que « les poules couvent mal hors de leur nid » (« Tell maister Palla in my name againe, that Hens can full ill sit a brood out of the nest42 »), manière pour cet homme d’État florentin de décrédibiliser la menace de l’homme banni et de lui retourner la métaphore, de manière à en faire ressortir tout le caractère burlesque.

  • 43 À propos de l’influence probable de Castiglione sur Shakespeare, voir Adam Max Cohen, « The Mirror (...)

26Dans les pièces shakespeariennes, tout comme chez Castiglione43, les métaphores ravivées au sein de la joute verbale ne sont pas l’apanage des bouffons. En effet, certains personnages dotés de noblesse s’adonnent aussi à ce jeu, même devant la mort, comme à l’acte V scène 4 de Cymbeline, où Posthumus, prisonnier de guerre, est destiné à la pendaison :

  • 44 William Shakespeare, Cymbeline, éd. J.M. Nosworthy, Londres, Arden Shakespeare, Second Series, 2007 (...)

FIRST GAOLER. Come, sir, are you ready for death?
POSTHUMUS.
Over-roasted rather; ready long ago.
FIRST GAOLER. Hanging is the word, sir; if you be ready for that, you
are
well cook’d.
POSTHUMUS. So, if I prove
a good repast to the spectators, the
dish pays the shot.
(V.iv.152-15744)

  • 45 Sens contextuel de l’adjectif « ready » dans l’OED online : « Inclined, disposed, or apt to do some (...)

L’adjectif « ready » a un sens concret tiré du domaine culinaire45. Il va de soi qu’« à point pour mourir » (« ready for death ») est une catachrèse qui, à ce moment de l’intrigue, ne peut que difficilement suggérer la cuisson de la viande. Et pourtant, Posthumus, dans une forme d’auto-dérision, lui donne cette charge imagée et entraîne son geôlier à faire de même.

27Shakespeare fait preuve d’une ingéniosité « castiglionienne » dans l’échange qui a lieu entre Posthumus et le geôlier, tout en y ajoutant une touche de trivialité qui aurait fort déplu aux rhétoriciens. Cette revitalisation comique a lieu entre les deux personnages tout en sollicitant la complicité du spectateur, qui est amené à rire même face à la mort. La conjonction entre le pathos et le rire est ici fort insolite. En effet, que sont les métaphores culinaires de Posthumus, si ce n’est une manière de détourner un instant l’attention du spectateur de la potentielle mise à mort du personnage ? Dès lors, la modulation entre les tons tragiques et comiques est exacerbée par le décalage flagrant entre l’action d’un côté et la rhétorique de l’autre.

28Le troisième stratagème repose sur le principe de double destination auquel sont soumises les métaphores énoncées sur la scène. En effet, Shakespeare joue de ce principe selon lequel la métaphore s’adresse non seulement aux personnages présents sur la scène mais aussi aux spectateurs dans la salle. En effet, au théâtre, la métaphore est un « trope communicationnel », pour reprendre la terminologie d’Anne Ubersfeld dans Lire le Théâtre III : Le dialogue de théâtre (1996) :

  • 46 Anne Ubersfeld, Lire le Théâtre III : Le dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996, p. 126.

[Q]uel que soit l’allocutaire « scénique » de l’énoncé prononcé par un locuteur X, et même si le fonctionnement du dialogue est conforme aux lois conversationnelles et se fait selon un tour de parole « vraisemblable », le spectateur sait que toutes les paroles prononcées le sont à son intention aussi. Toute la question est, pour chaque dialogue, de la « qualité » du trope communicationnel : de toute manière, le spectateur est partie prenante et en a conscience46.

29Dans une forme d’ironie dramatique, il arrive chez Shakespeare que seul le spectateur dans la salle perçoive la métaphore ravivée, tandis que les personnages sur la scène sont aveugles à ce jeu de revitalisation. Dans The Winter’s Tale, Autolycus est contraint de faire croire à ceux qu’il rencontre qu’il exerce une profession, ceci afin éviter les coups de fouets réservés aux vagabonds. Il endosse alors tour à tour différents rôles : celui de commerçant ambulant, de chanteur de ballades ou encore de noble pédant. Pour parvenir à ses fins, Autolycus se pare de costumes et parvient même à déguiser son discours figuratif. À l’acte IV scène 4, il est affublé de la tenue du prince Florizel échangée contre ses haillons. Il se fait alors passer pour un homme de cour auprès du Clown et du Shepherd. Ainsi déguisé, il cherche à en savoir plus sur les intentions du paysan, qui est menacé d’exécution pour avoir autorisé le prince Florizel à courtiser sa fille Perdita. Jouant son rôle jusqu’au bout, Autolycus troque son discours habituellement riche en métaphores extravagantes contre des phrases interrogatives et impératives singeant une noblesse pédante et autoritaire :

  • 47 William Shakespeare, The Winter’s Tale, éd. John Pitcher, Londres, Arden Shakespeare, 2010, p. 305. (...)

SHEPHERD. Are you a courtier, an’t like you, sir?
AUTOLYCUS. Whether it like me or no, I am a courtier. Seest thou not the air of the court in these enfoldings? Hath not my gait in it the measure of the court? Receives not thy nose court-odour from me? Reflect I not on thy baseness court-contempt? Think’st thou, for that I insinuate, or
toze from thee thy business, I am therefore no courtier? I am courtier cap-à-pie, and one that will either push on or pluck back thy business there: whereupon I command thee to open thy affair. (IV.iv.733-74247)

Autolycus emploie une métaphore, intéressante du point de vue du travestissement du discours, car elle révèle, en creux, l’identité sous laquelle il s’est présenté au Clown et au Shepherd lors de la fête de la tonte.

  • 48 Voir OED online (« †toze/tose, v », 1.a.). Première occurrence de ce sens mentionnée : 1250.
  • 49 Voir OED online ((« †toze/tose, v », 1.c.). Première occurrence de ce sens mentionnée : 1450 enviro (...)

30En effet, insistant pour soutirer des informations aux deux paysans, il emploie une métaphore du tissage : « Think’st thou, for that I insinuate, or toze from thee thy business, I am therefore no courtier? ». Seul emploi de ce terme dans le canon shakespearien, le verbe signifie dans son sens concret le fait de démêler, effiler un tissu (« To pull asunder; to separate or unravel the fibres of; to comb or card (wool, etc.48) ») et dans son sens contextuel le fait de soutirer une information (« fig. To separate, search out; to analyse; to elicit, « tease out49 » »). La métaphore d’Autolycus est une allusion à son commerce principal, celui des tissus, objets auxquels il consacre de longues tirades élogieuses. La catachrèse est ici réactivée, non pas par un autre élément du discours, mais par un contexte particulier auquel les deux interlocuteurs d’Autolycus sont aveugles. La métaphore ravivée du tissage est dès lors un clin d’œil au spectateur, qui connaît les manigances du personnage et rit du manque de discernement des deux paysans. Au moment où le fripon énonce cette métaphore du tissage, le masque tombe, et pourtant le Clown et le Shepherd ne le voient pas.

  • 50 Shakespeare, The Winter’s Tale, op. cit., p. 306.
  • 51 Pascale Drouet, « Rire aujourd’hui avec The Winter’s Tale et The Tempest », Revue de la Société d’É (...)

31Pourtant, plus loin dans la scène, le Clown et le Shepherd semblent soupçonner quelque chose de dissonant dans l’apparence du noble fanfaron : « SHEPHERD. His garments are rich, but he wears them not handsomely50 » (IV.iv.754). Mais tous deux finissent par s’accorder sur le rang élevé de leur interlocuteur, s’appuyant sur ses atours excentriques et sa manière de se curer les dents. La métaphore ravivée du tissage s’apparente dès lors à une forme de signature discrète d’Autolycus, que les deux paysans n’ont pas su relever. Les jeux métaphoriques d’Autolycus suscitent le rire du spectateur car ils dynamisent les jeux de rôles du fripon. Dans « Rire aujourd’hui avec The Winter’s Tale et The Tempest » (2013), Pascale Drouet démontre comment le « cache-cache identitaire » des personnages et les quiproquos qu’ils induisent suscitent le rire du spectateur51. Pour reprendre cette image ludique, on pourrait définir le discours du filou comme un jeu de cache-cache métaphorique. La métaphore ravivée d’Autolycus a également un rôle à jouer du point de vue générique : elle vient alléger ce passage par une touche comique à un moment où le spectateur craint pour la vie du Shepherd.

32Détournement d’une catachrèse au sein d’une même tirade, métaphore ravivée par la joute verbale ou encore jeu sur le trope communicationnel, on le voit, le théâtre offre une multiplicité de modalités selon lesquelles la métaphore ravivée va pouvoir désenchaîner la catachrèse et en dévoiler le potentiel comique.

Conclusion

  • 52 Ce sont ici les conclusions tirées par Keir Elam dans Shakespeare’s Universe of Discourse. L’auteur (...)

33En se libérant des prescriptions esthétiques et morales de son temps, Shakespeare cherche à redonner aux mots, et aux métaphores en premier lieu, une charge sémantique affective forte. Plus précisément, le dramaturge cherche à désenchaîner le potentiel comique des métaphores sédimentées et ceci, même au sein de scènes potentiellement tragiques. Dans les romances, les métaphores ravivées rappellent fortement celles des comédies en ceci qu’elles jouent de la malléabilité des discours et de l’incursion dans le registre bas. Si, dans les comédies, les figures s’inscrivent dans une forme de jeu réflexif sur le discours qui met en avant la plasticité du mot et stimule l’atelier mental du spectateur52, dans les romances, elles contribuent aussi, et peut-être encore davantage que celles des comédies, à enrichir le genre protéiforme des pièces. Ces métaphores ravivées contribuent dès lors à une porosité entre les genres et donc, chez le spectateur, à une contiguïté insolite entre des émotions contraires. C’est ainsi que Shakespeare renforce le genre tragicomique de ces pièces, à l’encontre des admonitions relatives à la bâtardise générique en vogue à la Renaissance. Ces figures permettent alors de mêler le genre de la tragicomédie à ces histoires d’amour dont le caractère odysséen justifie l’appellation de « romances ». Affranchies des exigences néo-aristotéliciennes de pureté générique, ces pièces sont un abrégé quintessencié de tout le théâtre qui précède, y compris du point de vue des jeux du discours. En effet, elles tirent des tragédies toute une rhétorique guerrière qui met en lumière l’hybris du patriarche et tout un réseau de métaphores christiques de la blessure, de la cassure et du cœur transpercé ; elles empruntent aux pièces historiques la force perlocutoire du discours, ainsi qu’un vaste réseau de métaphores de la maladie et de tropes de la guérison, figures sans cesse ravivées au sein de longues « allégories » ; et, comme nous l’avons montré, elles tirent des comédies cette capacité à briser les chaînes de la métaphore pour créer des effets burlesques et ainsi susciter le rire du spectateur. On voit donc comment les figures de style ne sont pas qu’un ornement du discours : elles contribuent à faire vivre au spectateur une odyssée des émotions.

  • 53 Emmanuele Tesauro, La Métaphore baroque d’Aristote à Tesauro. Extraits du Cannocchiale aristotelico (...)

34L’approche de Shakespeare présente des similarités frappantes avec celle du rhétoricien, poète et dramaturge italien Emanuele Tesauro, fervent défenseur des métaphores audacieuses et du mélange des genres et des registres. Postérieur au canon shakespearien, le traité de Tesauro, Il cannocchiale aristotelico (1670), propose une réflexion sur la métaphore à laquelle Shakespeare semble avoir donné corps dans les romances. En effet, l’auteur recommande de créer des effets de sens par la transgression de ce qu’il appelle la « sainte loi de la convenance » imposée par les traités antiques : « il y a autant de métaphores que d’écarts par rapport aux convenances : elles peuvent être de style élevé ou bas, véhémentes, tendres, boursouflées, frêles, vigoureuses, belles, ridicules, piquantes, distantes et énigmatiques »53. L’objectif de ces écarts est principalement de varier les genres et les registres au sein d’un même discours en fonction de l’effet voulu. C’est ainsi que Tesauro invite le poète et le dramaturge à se désenchaîner des prescriptions rhétoriques au profit de l’ingegno (que l’on pourrait définir comme le wit italien) :

  • 54 Ibid., p. 123.

Ne te laisse pas troubler par la rigueur des quatre lois que notre auteur [Aristote] impose à la métaphore – elle ne doit, selon lui, être impropre, ni ridicule, ni cherchée trop loin –, comme s’il voulait rogner les ailes de l’esprit et l’emprisonner dans ces étroites limites : car son discours porte ici sur les métaphores de l’art oratoire, non sur celles de la poésie ni d’aucun autre genre ingénieux et piquant54.

Pour reprendre le discours de Tesauro, que sont les métaphores ravivées dans les romances shakespeariennes, si ce n’est l’expression d’un dramaturge qui cherche à déployer les ailes de son esprit et à offrir au spectateur un genre ingénieux et piquant ?

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Notes

1 George Puttenham, The Arte of English Poesie [édition de 1589], English Linguistics 1500-1800 (A collection of Facsimile Reprints) n° 110, éd. R.C. Alston, Menston, the Scolar Press Limited, 1968, livre III, chap. VIII, p. 129.

2 Les traités de l’Antiquité et de la Renaissance qui ont été consultés sont les suivants : Aristote, La Poétique (c. 335 av. J.-C.) et La Rhétorique (c. 329 av. J.-C) ; Démétrios, Du Style (IIIe s. av. J.-C. ?) ; La Rhétorique à Herennius (auteur anonyme ; Ier s. av. J.-C.) ; Cicéron, De l’Orateur (55 av. J.-C ?) ; Quintilien, Institution Oratoire, livres II, III, VIII et XIX (c. 92 ap. J.-C.) ; Érasme, De Utraque Verborum ac Rerum Copia (1514) ; Richard Sherry, A Treatise of Schemes and Tropes (1550) ; Thomas Wilson, The Arte of Rhetorique (1553) ; Henry Peacham, The Garden of Eloquence (1577) ; Abraham Fraunce, The Arcadian Rhetoric (1588) ; George Puttenham, The Arte of English Poesie (1589) ; Sir Philip Sidney, « The Defence of Poesy » (1595) ; William Scott, The Model of Poesy (1599) ; et Sir John Hoskins, Direction for Speech and Style (1599).

3 Keir Elam, Shakespeare’s Universe of Discourse, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 3.

4 Face au genre protéiforme de ces pièces, J.H.P. Pafford opte pour l’appellation de « romantic tragi-comedy » (J.H.P. Pafford, « Introduction », The Winter’s Tale, William Shakespeare, éd. J.H.P. Pafford, The Arden Shakespeare, Londres, Routledge, 1994, p. xv).

5 L’anagnorisis, ou reconnaissance, est définie par Aristote dans la Poétique comme le « passage de l’ignorance à la connaissance » (Voir Aristote, Poétique, trad. et notes J. Hardy, Paris, Les Belles Lettres, 1979, 1452a, p. 44).

6 Sir Philip Sidney, « The Defence of Poesy », in Sir Philip Sidney: The Major Works, New York, Oxford University Press, 1989, p. 244. C’est moi qui souligne.

7 George Puttenham, op. cit., livre III, chap. XVI, p. 148.

8 Henry Peacham, The Garden of Eloquence [édition de 1593], Londres, Historical collection from the British Library, 2010, p. 14.

9 Voir Aristote, La Rhétorique (III.3.1406b) ; Cicéron, De l’Orateur (III.159-160) ; Rhétorique à Herennius (IV.45) ; Quintilien, Institution Oratoire (VIII.6.17).

10 Quintilien, Institution Oratoire, vol. V, trad. Jean Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 2003, VIII.6, p. 108.

11 Ibid., VIII.3.18, p. 65.

12 George Puttenham, op. cit., loc. cit.

13 Voir Érasme, On Copia of Words and Ideas, traduit du latin, éd. Donald B. Kings et H. David Rix, Milwaukee, Marquette University Press, 2007, livre I, chap. XVII, p. 29.

14 Dans Parallèle des anciens et des modernes (1692), Charles Perrault définit le burlesque en ces termes : « [Le burlesque], qui est une espèce de ridicule, consiste dans la disconvenance de l’idée que l’on donne d’une chose avec son idée véritable, de même que le raisonnable consiste dans la convenance de ces deux idées. Or cette disconvenance se fait de deux manières, l’une en parlant bassement des choses les plus relevées, et l’autre en parlant magnifiquement des choses les plus basses. » Cité dans Gérard Genette, Palimpsestes : la littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, p. 185.

15 « As the son of an alderman who became bailiff (or mayor) in 1568, [Shakespeare] had the right to attend the town’s grammar school. Here he would have received an education grounded in classical rhetoric and oratory, studying authors such as Ovid, Cicero and Quintilian, and would have been required to read, speak, write and even think in Latin from his early years ». Stanley Wells, « General Introduction », King Lear, éd. George Hunter, Londres, Penguin Books, 2005, p. viii.

16 Voir T.W. Baldwin, Shakespeare's Small Latine and Lesse Greeke, Urbana, Illinois, University of Illinois Press, 1944 ; et Stefan Daniel Keller, The Development of Shakespeare's Rhetoric: A Study of Nine Plays, Schweizer Anglistische Arbeiten 136, Tübingen, Francke Verlag, 2009, p. 15-34.

17 Ce sont ces métaphores mortes qu’Umberto Eco nomme à son tour « catachrèses institutionnalisées » ou encore « lexèmes codés ». Voir Umberto Eco, Sémiotique et Philosophie du langage, trad. Myriem Bouzaher, Paris, PUF, 1988.

18 Paul Ricœur, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 384.

19 Eco, op. cit., p. 182.

20 Nanine Charbonnel, Les Aventures de la métaphore, La tâche aveugle (3 volumes), vol. 1, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 1991, p. 302.

21 Sylvianne Rémi-Giraud, « De la création à l’extinction : métaphore(s) et mondes de discours », Cahiers de praxématique 46, 2006, 61-80, p. 76-78, accessible en ligne sur : http://praxematique.revues. org/612, consulté le 12 avril 2018.

22 Pour en savoir plus sur cette méthode, voir Pragglejaz Group, « MIP: A Method for Identifying Metaphorically Used Words in Discourse », in Metaphor and Symbol 22:1, 2007, 1-39 ; Gerard Steen, « From Linguistic to Conceptual Metaphor in Five Steps », in Metaphor in Cognitive Linguistic, éd. R. W. Gibbs Jr et G. Steen, Amsterdam, Benjamins, 1999, 57-77 ; Gerard Steen, « Towards a Procedure for Metaphor Identification », in Metaphor Identification, numéro spécial de Language and Literature 11.1, 2002, 17-34.

23 Je consulte plus précisément l’Oxford English Dictionary online. Dans la suite de cet article, l’abréviation OED online est employée. Il faut toutefois considérer une petite marge d’erreur quant à la datation des citations dans l’OED online et parfois procéder à des vérifications supplémentaires. La consultation d’un dictionnaire de l’époque est alors recommandable. Le site LEME (Lexicons of Early Modern English) propose de nombreuses ressources : https://0-leme-library-utoronto-ca.catalogue.libraries.london.ac.uk/. On peut, par exemple, y consulter le dictionnaire de Robert Cawdrey (A Table Alphabetical, Londres, J. Roberts pour E. Weaver, 1604). Le site permet non seulement d’accéder au manuscrit (via un lien vers EEBO – Early English Books Online), mais aussi d’entrer le mot souhaité dans une barre de recherche afin d’en obtenir directement la définition proposée par Cawdrey (https://0-leme-library-utoronto-ca.catalogue.libraries.london.ac.uk/lexicons/276/details#details, consulté le 4 novembre 2018)

24 William Shakespeare, Pericles, éd. Suzanne Gossett, Londres, Arden Shakespeare, 2004, p. 356. C’est moi qui souligne.

25 Voir « corrupt, adj. », OED online (4). La première occurrence de ce sens mentionnée par l’OED online date de 1380 environ. Dans « corrupted, adj. », l’OED online renvoie directement à la variante « corrupt, adj. », d’où la consultation de cette entrée qui est plus complète.

26 Les termes de « basic meaning » et « contextual meaning » sont ceux employés dans la technique MIPVU.

27 Voir « corrupt, adj. », OED online (II.2.a). La première occurrence mentionnée par l’OED online date de 1380 également.

28 Morris Palmer Tilley, A Dictionary of the Proverbs in England in the Sixteenth and Seventeenth Centuries : A Collection of the Proverbs Found in English Literature and the Dictionaries of the Period, 1876-1947, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1950  (accessible en ligne sur : https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.39015016495585;view=1up;seq=22, consulté le 27 avril 2018). Le site LEME rassemble également des dictionnaires de proverbes, dont celui de John Ray (A Collection of English Proverbs, Cambridge, John Hayes pour W. Norden, 1670) qui comprend non seulement des proverbes mais aussi des formes dialectales. En effet, il peut être intéressant de prendre en compte ce qui peut être forme dialectale et ne figure pas dans le dictionnaire de Tilley. Voir également l’ouvrage de Norman Blake, Shakespeare's Non-Standard English : A Dictionary of his Informal Language, Londres, Continuum, 2004.

29 J’emprunte ici la terminologie de George Lakoff et Mark Johnson. Pour ces auteurs, le concept métaphorique désigne l’équation sous-jacente à la métaphore ; chez ces auteurs, les concepts métaphoriques sont indiqués par des majuscules (exemple : pour « He broke down », « THE MIND IS A MACHINE »). Voir George Lakoff et Mark Johnson, Metaphors We Live By (1980), Chicago, University of Chicago Press, 2003, p. 28.

30 On pourrait ici emprunter l’expression de « domaine-source » à la méthode MIPVU. Dans la terminologie du Pragglejaz group, le « domaine-source » (« source domain ») correspond au domaine dont est tirée la métaphore (exemple : le domaine végétal) et le « domaine-cible » (« target domain ») désigne l’objet de la métaphore. En somme, le domaine-source correspond à ce qu’I.A. Richards nomme le « vehicle » dans The Philosophy of Rhetoric (1936), tandis que le domaine-cible correspond au « tenor ».

31 Précisons qu’il est non seulement possible de raviver une métaphore morte mais aussi de redonner de l’éclat à une métaphore convenue, selon le même procédé.

32 Pericles, op. cit., loc cit. C’est moi qui souligne.

33 Voir « alter, v », OED online (4).

34 L’« allegory » est ainsi classée parmi les figures de phrase (et non parmi les figures de mot). George Puttenham la définit ainsi : « [T]he figure allegorie [is] called a long and perpetuall Metaphore » (George Puttenham, op. cit., livre III, chap. XVIII, p. 155). Voir aussi Érasme qui définit également cette figure comme une métaphore continue, op. cit., livre I, chap. XVIII, p. 30.

35 Il va de soi que si les néo-aristotéliciens s’évertuaient à codifier et à cloisonner les genres, dans la pratique, les genres étaient plus ouverts et plus expérimentaux, les dramaturges et poètes élisabéthains et jacobéens faisant souvent fi des prescriptions théoriques.

36 John Fletcher, « To the Reader », The Faithful Shepherdess: The Play, Londres, Forgotten Books, 2012, p. 7.

37 Giovanni Battista Guarini, Compendio della Poesia Tragicomica, « The Compedium of tragicomic poetry (in part) », Literary Criticism: Plato to Dryden, Allan H. Gilbert, New York, American Book Company, 1940, p. 525.

38 William Shakespeare, The Tempest, éd. Virginia Mason Vaughan et Alden T. Vaughan, Londres, Arden Shakespeare, 2011, p. 230-231. C’est moi qui souligne.

39 L’un des sens concrets de « dregs » est également celui de l’excrément, ce qui superpose un sens scabreux à celui, déjà trivial, de la lie. Voir OED online (2) : « †2. transf. Fæces, excrement, refuse, rubbish; corrupt or defiling matters. Obs. ».

40 Voir Démétrios, Du Style, trad. Pierre Chiron, Paris, Les Belles Lettres, 1993, §83-84, p. 28.

41 Baldassare Castiglione, The Book of the Courtier, trad. Sir Thomas Hoby, Londres, J.M. Dent & Sons Ltd, 1974, livre II, p. 154.

42 Ibid., p. 155.

43 À propos de l’influence probable de Castiglione sur Shakespeare, voir Adam Max Cohen, « The Mirror of All Christian Courtiers : Castiglione’s Cortegiano as a Source for Henry V », Italian Culture in the Drama of Shakespeare & His Contemporaries : Rewriting, Remaking, Refashioning, éd. Michele Marrapodi, Aldershot, Hampshire, Ashgate, 2007, 39-50, p. 39-40.

44 William Shakespeare, Cymbeline, éd. J.M. Nosworthy, Londres, Arden Shakespeare, Second Series, 2007, p. 161. C’est moi qui souligne.

45 Sens contextuel de l’adjectif « ready » dans l’OED online : « Inclined, disposed, or apt to do something. » (A.I.1.c).

46 Anne Ubersfeld, Lire le Théâtre III : Le dialogue de théâtre, Paris, Belin, 1996, p. 126.

47 William Shakespeare, The Winter’s Tale, éd. John Pitcher, Londres, Arden Shakespeare, 2010, p. 305. C’est moi qui souligne.

48 Voir OED online (« †toze/tose, v », 1.a.). Première occurrence de ce sens mentionnée : 1250.

49 Voir OED online ((« †toze/tose, v », 1.c.). Première occurrence de ce sens mentionnée : 1450 environ.

50 Shakespeare, The Winter’s Tale, op. cit., p. 306.

51 Pascale Drouet, « Rire aujourd’hui avec The Winter’s Tale et The Tempest », Revue de la Société d’Études Anglo-Américaines des XVIIe et XVIIIe siècles 70 (2013) : 33-45. Actes du colloque tenu à l’Université Paris Diderot, 18-19 janvier 2013.

52 Ce sont ici les conclusions tirées par Keir Elam dans Shakespeare’s Universe of Discourse. L’auteur s’inspire ici des analyses d’Ernst Cassirer dans The Platonic Renaissance in England (1932) : « The philosopher Ernst Cassirer, in a brilliant commentary on the comedies, identifies what he calls the ‘game of the pure self-activity of the word’ as their main motive force » (Elam, op. cit., p. 1).

53 Emmanuele Tesauro, La Métaphore baroque d’Aristote à Tesauro. Extraits du Cannocchiale aristotelico, trad. et éd. Yves Hersant, Paris, Seuil, 2011, p. 121.

54 Ibid., p. 123.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Barbara Muller, « Briser les chaînes de la métaphore : romances shakespeariennes et métaphores ravivées »Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 37 | 2019, mis en ligne le 03 janvier 2019, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/4477 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.4477

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Auteur

Barbara Muller

Université de Lorraine (Laboratoire IDEA – Interdisciplinarité dans les études anglophones)

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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