Un poète, une muse, un Falstaff : Le Songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas ou Shakespeare devenu personnage du théâtre lyrique romantique
Résumés
Plus d’un siècle avant l’opéra de Benjamin Britten Le Songe d’une nuit d’été (1960), un opéra-comique français éponyme du compositeur Ambroise Thomas (1850 pour la première version, 1886 pour la seconde), ayant quant à lui usurpé le titre de la comédie shakespearienne, connaît un franc succès sur les scènes françaises. Cette contribution se propose d’éclairer quelques aspects de la présence protéiforme de « Shakespeare après Shakespeare » dans le livret de Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, ainsi que sa réception productive en dehors de l’Hexagone. Près d’un demi-siècle après la première individuation dramatique de l’auteur-personnage Shakespeare en France, dans la comédie d’Alexandre Duval Shakespeare amoureux (1803), les deux librettistes mettent ainsi en scène, sous couvert de l’illustre patronyme et dans une intrigue inédite, une figure d’artiste qui, sous les auspices d’une mystérieuse muse s’avérant être la reine Élisabeth Ire, passe du statut de jeune auteur débauché à la recherche de l’Amour à celui de Poète national, l’ébauche d’idylle entre les deux protagonistes se muant en apothéose finale associant pour l’éternité le personnage de Shakespeare à sa puissante souveraine. Cette appropriation de la figure du poète-dramaturge élisabéthain par le genre lyrique, s’exonérant de toute vérité historique ou biographique, se double d’un jeu intertextuel : les grands motifs du théâtre de Shakespeare plus ou moins trivialisés se retrouvent mis au service d’intrigues parallèles se recoupant à la manière de la dramaturgie shakespearienne, tandis que les scènes d’auberge, rivalisant avec leurs illustres modèles, servent l’atmosphère de l’opéra-comique. Enfin, la réécriture du personnage de Falstaff, côtoyant la figure de son créateur, rappelle aussi les affinités de l’anti-héros shakespearien avec l’opéra.
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Mots-clés :
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1Le Songe d’une nuit d’été, l’une des comédies de Shakespeare aujourd’hui les plus jouées, ne s’est imposée que tardivement dans les répertoires du théâtre lyrique, grâce à l’opéra de Benjamin Britten de 1960. Pourtant, plus d’un siècle plus tôt, un opéra-comique ayant en fait usurpé le titre de la comédie shakespearienne connaît un franc succès sur les scènes françaises puis européennes : il s'agit du Songe d’une nuit d’été joué en 1850 sur un livret de Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven. Cette œuvre est celle du compositeur français Ambroise Thomas, auteur prolifique de drames lyriques dont les plus célèbres resteront sans doute Mignon (1866), inspiré d’un épisode du roman d’éducation de Goethe Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (Wilhelm Meisters Lehrjahre), et Hamlet (1868), d’après la tragédie de Shakespeare.
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- 2 Joué au Théâtre Impérial de Compiègne, dans le cadre des « Séries lyriques de Compiègne ». Voir à c (...)
2Laissant de côté l’étude musicologique de cet opéra-comique déjà menée par Élisabeth Malfroy1, notre contribution se propose essentiellement d’éclairer, dans le livret de Rosier et de Leuven, quelques aspects originaux de la présence protéiforme de « Shakespeare après Shakespeare » dans cette œuvre du XIXe siècle, en les replaçant dans le contexte général de la réception de Shakespeare. Trait d’union entre passé et présent, entre l’Angleterre et ses figures mythiques et une France certes convertie au culte shakespearien sans toutefois se départir complètement d’une certaine distance à l’égard du Poète national anglais, l’opéra-comique Le songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas, tombé dans l’oubli après avoir remporté un franc succès en son temps et connu une abondante réception productive hors de l’Hexagone, fut à nouveau monté par Pierre Jourdan à Compiègne2 en 1994, à l’occasion de l’inauguration du tunnel sous la Manche.
L’opéra-comique d’Ambroise Thomas : présentation et contexte
- 3 Georges Masson, Ambroise Thomas: un compositeur lyrique au XIXe siècle. Metz: Éditions Serpenoise, (...)
3Figure éminente de l’opéra français du XIXe siècle aujourd’hui assez peu connue du grand public, souvent attaquée par la critique de son temps dans sa tentative de renouveler l’opéra français en se démarquant des influences italienne ou wagnérienne, le compositeur Ambroise Thomas (1811-1896)3 aura eu une longue carrière émaillée de succès s’étendant des années 1830 jusqu’à sa mort peu avant la fin du siècle, lui permettant ainsi d’assister à la millième représentation de son opéra Mignon. À partir de 1837, il se consacre essentiellement à la composition d’opéras et de musiques de ballet pour les scènes parisiennes : la majeure partie de ses 23 œuvres, dont 20 opéras, sera composée pour l’Opéra-Comique (deuxième salle Favart), il ne s’imposera que tardivement à l’Opéra avec Hamlet (1868) et Françoise de Rimini (1882). C’est dans la période d’instabilité politique située entre l’élection présidentielle de décembre 1848 et le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte en décembre 1851 que ce musicien lauréat du Prix de Rome (1832) et formé au Conservatoire de Paris (dont il deviendra lui-même directeur en 1871), deviendra l’un des compositeurs les plus en vue de la vie musicale parisienne grâce à trois succès remportés sur la scène de l’Opéra-Comique : Le Caïd (janvier 1849), Le Songe d’une nuit d’été (avril 1850) et Raymond, ou le secret de la reine (juin 1851). Grâce à eux, Ambroise Thomas se verra élire triomphalement à l’Académie des Beaux-Arts en 1851, évinçant Hector Berlioz qui n’obtiendra pas une seule voix.
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4Lorsque Le songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas est représenté pour la première fois sur la scène de l’Opéra-Comique, le 20 Avril 1850, la comédie shakespearienne n’a pas encore été jouée à Paris4, mais Shakespeare, en cette moitié du XIXe siècle, jouit en France à la fois d’un large lectorat, grâce à la traduction de François Guizot parue en 18215, qui révise celle de Pierre Le Tourneur datant du siècle précédent (édition en 20 volumes publiée entre 1776 et1782), ainsi que d’un public désormais acquis à la cause shakespearienne6, même si les grandes représentations des rôles shakespeariens par Mounet-Sully ou Sarah Bernhardt sont encore à venir. Le ralliement du public français au théâtre de Shakespeare a certes suivi des voies détournées, puisqu’il aura d’abord fallu les tragédies en alexandrins de Jean-François Ducis (1733-1816) et leur succès sur la scène de la Comédie Française, qui s’étendra de la fin des années 1760 jusque dans la première moitié du XIXe siècle, pour que le public français se familiarise avec des intrigues et des personnages shakespeariens largement adaptés aux exigences de la scène française, mais magistralement interprétés par le tragédien François-Joseph Talma (1763-1826)7. Les représentations des comédiens anglais à Paris en 1822, mais surtout en 1827-1828 puis 1833 et 1844, ainsi que les opéras d’inspiration shakespearienne auront également joué un rôle déterminant dans la réception du dramaturge élisabéthain en France, en particulier par les auteurs romantiques8.
- 9 Robert Folkestone Williams, Shakespeare and His Friends, Or, The Golden Age of Merry England, 3 vol (...)
- 10 Adolphe de Leuven, de son vrai nom Adolphe Comte de Ribbing, auteur ou co-auteur de plus de 170 tex (...)
- 11 Ancien clerc d’avoué, Joseph Bernard Rosier devient à partir de 1830 auteur de théâtre et librettis (...)
- 12 Le livret fait l’objet d’une publication indépendante, édition dont sont tirées les citations de ce (...)
- 13 Voir Paul Franssen, Shakespeare’s Literary Lives. The Author as Character in Fiction and Film, Camb (...)
5 Avec le Romantisme, l’intérêt pour l’œuvre dramatique de Shakespeare, essentiellement pour ses tragédies au centre des débats dramaturgiques des décennies précédentes, s’élargit maintenant aux comédies mais aussi à la personne de leur créateur, comme en témoigne entre autre l’exégèse des sonnets shakespeariens par les romantiques allemands, ainsi que la conséquente présentation de la vie de Shakespeare dans l’édition de Guizot. La figure de l’auteur, son intériorité et ses données (pseudo)biographiques, jusqu’ici hors de propos dans un débat critique opposant essentiellement art et nature, vont être désormais appréhendées comme un tout indissociable de l’œuvre, tandis que fleurissent à travers l’Europe, à la suite de Walter Scott, des romans historiques très populaires aux multiples rééditions tels que ceux de Robert Folkestone Williams en Angleterre, Heinrich Koenig en Allemagne et Clémence Robert en France9, qui offrent au lecteur les péripéties souvent imaginaires de la vie du héros élisabéthain. À une époque où Shakespeare fait désormais partie de l’imagination romantique, tandis que l’Histoire connaît aussi un regain d’intérêt comme domaine de recherche ainsi qu’au théâtre, le couple dramatique de Shakespeare et de sa souveraine Élisabeth pouvait donc espérer les faveurs du public. La vogue du drame et de la peinture historique gagnant également l’opéra, Ambroise Thomas s’y rallie dans plusieurs de ses œuvres, le cadre historique servant généralement aux librettistes de toile de fond à une pure fiction, les effets dramatiques primant sur la vraisemblance, à la manière d’Eugène Scribe (1791-1861). Adolphe de Leuven (1802-1884)10 et Joseph Bernard Rosier (1804-1880)11, les auteurs du livret12 de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas, s’inscrivent dans cette tendance. Renonçant à une réécriture de la comédie shakespearienne dont ils emprunteront néanmoins le titre, ils vont, à l’instar d’autres auteurs à travers l’Europe13, composer une intrigue inédite mettant en scène le Barde, qui devient grâce à eux pour la première fois héros d’opéra : le point d’orgue de l’opéra-comique en trois actes Le songe d’une nuit d’été, situé dans l’Angleterre du XVIe siècle, est ainsi constitué par la rencontre et une amorce d’idylle imaginaire entre un personnage d’auteur nommé Shakespeare menacé par la débauche et une reine Élisabeth encore très juvénile, sublimée en Muse du Poète. Cette idylle romantique entre le personnage du jeune auteur et sa souveraine, se jouant des rapports entre rêve et réalité, aboutit finalement à rappeler sa vocation créatrice au héros Shakespeare, appelé à devenir la gloire de sa patrie et le fleuron de l’époque élisabéthaine.
6L’acte I ayant pour cadre la Taverne de la Sirène à Londres montre Shakespeare s’enivrant lors d’un banquet donné en son honneur, après le succès de la représentation d’une de ses œuvres. La reine Élisabeth et sa suivante Olivia, qui viennent d’assister incognito au spectacle, entrent par hasard dans l’auberge et rencontrent d’abord Falstaff qui les courtise. Shakespeare se conduit ensuite grossièrement envers la souveraine masquée qu’il ne reconnaît pas, alors que celle-ci apparaît déjà fascinée par l’auteur. Pour le sauver du ridicule et de l’opprobre, celle-ci fait transporter le jeune auteur complètement ivre par son régisseur Falstaff jusqu’à son domaine royal de Richmond.
7À l’acte II, situé dans le parc royal de Richmond au clair de lune, la souveraine va incarner le génie de Shakespeare rappelant celui-ci à sa vocation de poète et à une vie rangée. Mais l’homme meurtri s’exalte pour cette femme voilée qui l’a fait ainsi renaître et la reine, visiblement sensible au charme de Shakespeare, peine à résister à ses assauts. L’intervention de la suivante Olivia, qui se substitue à la reine au moment le plus critique, sauve celle-ci d’une situation embarrassante, en se compromettant elle-même aux yeux de son fiancé des plus jaloux, Lord Latimer. Ce dernier provoque alors en duel son supposé rival Shakespeare, qui croit finalement avoir tué le jeune noble et prend la fuite.
8L’acte III a pour décor le palais royal de Whitehall, où la reine, Olivia et Falstaff tentent de persuader Shakespeare qu’il a rêvé toutes ces péripéties et qu’il ne s’agissait que du songe d’une nuit d’été. Convaincu d’avoir perdu la raison, il veut se donner la mort. Mais la reine le sauve en lui révélant finalement la vérité et se pose en protectrice et en amie, replaçant ainsi leur relation dans le cadre strictement conventionnel du lien unissant le mécène-protecteur des arts et le poète. La fin de l’opéra met en scène une apothéose de Shakespeare et de sa souveraine, désormais unis dans la gloire pour l’éternité.
- 14 La première version de cet opéra-comique a connu, rien qu’à l’Opéra-Comique, 117 représentations en (...)
9Du point de vue de la composition, Ambroise Thomas, désormais engagé sur la voie qui le mènera à l’opéra dans les années 1860, se conforme encore ici à la convention française de l’opéra-comique où alternent scènes parlées et morceaux chantés comprenant solos, duos, trios et ensembles avec chœur. La distribution vocale traditionnelle de ce type d’opéra est aussi largement respectée : les rôles féminins d’Élisabeth et de sa suivante Olivia sont confiés respectivement à une « chanteuse à roulades » comme l’indique la partition (on dirait aujourd’hui « soprano colorature »), capable donc de prouesses vocales, et à une « jeune chanteuse », soprano à la tessiture plus modeste. Face à elles, le rôle de Shakespeare est tenu par un ténor lyrique, celui de Latimer, amant d’Olivia, par un ténor léger, tandis que le personnage comique de Falstaff revient à une basse. En 1886, alors que Le songe d’une nuit d’été a connu 198 représentations14 à Paris entre 1850 et 1867 et qu’une adaptation de la comédie shakespearienne par Paul Meurice est jouée pour la première fois au Théâtre de l’Odéon (Le songe d’une nuit d’été : féerie en 3 actes et 8 tableaux, sur la musique de Felix Mendelssohn-Bartholdy, avec Paul Mounet dans le rôle d’Obéron et Eugénie Weber dans celui de Titania), Ambroise Thomas réécrira le rôle de Shakespeare pour le célèbre baryton Victor Maurel (1848-1923). Ce dernier triomphera d’ailleurs l’année suivante en tant que Iago dans l’Otello (1887) de Guiseppe Verdi, avant d’interpréter Falstaff dans l’opéra éponyme du célèbre compositeur italien, joué en 1893 à la Scala de Milan. Les librettistes de la première version étant entre temps décédés, les quelques modifications du livret seront alors confiées à Jules Barbier (1825-1901), ayant déjà travaillé avec Ambroise Thomas pour sa tragédie lyrique Mignon (1866) et son opéra Hamlet (1868). Également librettiste de la plupart des opéras de Charles Gounod (dont Faust (1859)), Barbier vient d’achever quelque temps auparavant le livret des Contes d’Hoffmann (1881), opéra fantastique en cinq actes de Jacques Offenbach, d’après la pièce homonyme (1851) qu’il avait écrite avec Michel Carré peu après le triomphe de la première version de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas. Dans cette œuvre comme dans celle d’Offenbach, un personnage de poète en quête de l’amour absolu, désabusé et célébrant l’ivresse, sera finalement sauvé par sa Muse.
Un personnage d’auteur nommé Shakespeare
10Un des éléments les plus originaux de la réception productive du poète-dramaturge élisabéthain dans l’opéra-comique d’Ambroise Thomas nous semble être le choix d’un personnage d’auteur dramatique nommé Shakespeare en tant que protagoniste d’une œuvre portant justement le titre d’une des comédies les plus célèbres du dramaturge élisabéthain éponyme, ainsi que la confrontation de celui-ci au personnage de la reine Élisabeth Ire d’une part, ainsi qu’à la figure de l’anti-héros shakespearien Falstaff.
L’illustre précédent : Shakespeare amoureux (1803) d’Alexandre Duval
- 15 Johann Friedrich Schink, Schakespear in der Klemme oder Wir wollen doch auch den Hamlet spielen. Ei (...)
- 16 Shakespear Theatralische Werke. Aus dem Englischen übersetzt von Herrn Christoph Martin Wieland, 8 (...)
- 17 Valérie Courel, « Ombres de Shakespeare dans le théâtre germanophone du XVIIIe siècle », Shakespear (...)
- 18 Alexandre Duval, « Shakespeare amoureux, ou La pièce à l’étude, comédie en un acte et en prose, Rep (...)
- 19 Paul Franssen, « Shakespeare in Love, 1804; or, Conquering the Continent with William » in Cahiers (...)
11 L’entrée en scène du personnage de Shakespeare n’est en soi pas nouvelle, puisque des auteurs anglais avaient déjà mis en scène le dramaturge élisabéthain dans des prologues datant du XVIIe et XVIIIe siècle. Cette pratique se retrouvera d’ailleurs aussi en Allemagne, où la figure tutélaire de Shakespeare, si déterminante dans le processus d’émancipation des lettres françaises et l’émergence d’une littérature nationale allemande, sera mise au service des courants littéraires qui jalonneront le XVIIIe siècle, du Sturm und Drang au Romantisme et même au Classicisme allemand. Le personnage de Shakespeare entrera d’abord en scène essentiellement dans des écrits à caractère programmatique et sous la forme éthérée de l’Esprit ou de l’Ombre de l’autorité littéraire et dramatique Shakespeare, mais remportera aussi son premier succès théâtral en 1781 sur une scène de Vienne, alors capitale du Saint Empire Romain Germanique, à l’époque où ce dernier connaît une véritable « fièvre Hamlet ». Le personnage de « Shakespeare dans l’embarras », selon le titre du prologue dramatique15, cautionnera sur le mode comique les efforts entrepris à l’époque dans l’espace germanophone pour mettre en scène les œuvres théâtrales de cette autorité littéraire importée, alors encore essentiellement connue à travers le débat littéraire et dramaturgique qu’il suscite et grâce aux traductions de Christoph Martin Wieland puis Johann Joachim Eschenburg16. Une originalité de ce prologue est aussi de mettre en scène la condamnation sans appel des adaptations de Ducis, qu’un Esprit de Shakespeare désespéré, consolé par celui de Garrick, accuse de dénaturer son Hamlet en l’adaptant au goût français17. C’est pourtant un personnage de Shakespeare lui-même bien francisé qui foulera la scène française au début du XIXe siècle dans la comédie d’Alexandre Duval Shakespeare amoureux ou La pièce à l’étude (1803)18, première véritable individuation dramatique de l’auteur-personnage Shakespeare, librement inspirée de l’anecdote rapportée par John Manningham concernant la rivalité galante entre l’auteur dramatique et son ami acteur Richard Burbage. La femme aimée, une actrice (!) répétant son rôle dans Richard III, y est cette fois courtisée par un riche aristocrate ayant le soutien de la soubrette, la jalousie de Shakespeare constituant le point d’orgue de cette comédie qui se termine par le triomphe du poète reprenant une variante du célèbre bon mot prêté à l’auteur : « William the Conqueror was before Richard III ». Conçue par Duval pour le tragédien et illustre interprète des rôles shakespeariens dans les adaptations de Ducis qu’est François-Joseph Talma, désireux de chausser le brodequin comique, cette comédie française ayant Shakespeare pour protagoniste connaîtra une importante réception à travers l’Europe napoléonienne19.
12 Près d’un demi-siècle après le succès de la comédie d’Alexandre Duval, les librettistes Rosier et de Leuven vont mettre à leur tour en scène, sous couvert de l’illustre patronyme, une figure d’artiste qui, sous les auspices d’une mystérieuse muse s’avérant ensuite être la reine, passe du statut de jeune auteur débauché en quête de l’Amour absolu à celui de Poète national. L’avènement du poète-dramaturge et son intronisation comme auteur national, motif de prédilection du drame d’artiste ayant Shakespeare pour protagoniste en ce milieu du XIXe siècle (essentiellement en Allemagne et en Angleterre) est traité de façon originale dans cet opéra-comique français, genre dont les codes vont aussi s’enrichir d’éléments de la dramaturgie shakespearienne tels que les intrigues croisées et le mélange des genres.
Un auteur-personnage dévoyé en quête de l’Amour absolu ou Shakespeare héros romantique
- 20 Acte I, scène XI, p. 28-29 cité à partir de Joseph Bernard Rosier, Adolphe De Leuven, Le Songe d’un (...)
13La caractérisation de l’auteur-personnage au premier et second actes de cet opéra-comique met avant tout l’accent sur la débauche d’un poète certes déjà reconnu, mais dont les désillusions sentimentales seraient à l’origine de la dépravation. Les éléments de la biographie shakespearienne rappelés par le personnage de la reine au premier acte20, en soi très peu nombreux et parfois fantaisistes, prêtent ainsi à la figure de Shakespeare une existence vagabonde après un mariage malheureux et un veuvage précoce qui l’aurait conduit pauvre et malade à Londres, où il serait devenu souffleur, acteur puis auteur de théâtre, les détails pseudo-biographiques invoqués soulignant le tragique paradoxal d’un personnage meurtri en quête de l’amour absolu.
- 21 Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte I, scène II, p. 5.
- 22 Idem, Acte I, scène VI, p. 18.
- 23 Idem, Acte I, scène XI, p. 29-30
- 24 « ÉLISABETH : Toutes les femmes se ressemblent-elles ? SHAKSPEARE : Oui, comme toutes les gloires, (...)
14Pourtant, si l’amour semble fuir le personnage d’opéra Shakespeare, la gloire et le succès lui sont déjà acquis. Dès la scène 2 du premier acte, Falstaff, « le joyeux ordonnateur » du festin donné à la Taverne de la Sirène en l’honneur de l’auteur couronné de succès, annonce en effet à l’aubergiste Jérémy qu’il va avoir « l’honneur insigne » de recevoir le « grand Poète et ses amis »21, tandis que le chœur de la scène 6 chante, dans l’esprit du culte shakespearien, la « gloire de Shakespeare et ses brillants succès »22, en prédisant l’immortalité des œuvres dramatiques de celui qui se voit à plusieurs reprises qualifié dans le livret de « roi des Poètes ». Face à la reine qui n’est encore qu’une inconnue qu’il veut démasquer sans ménagement, l’auteur-personnage désabusé ne semble pourtant pas y attacher de prix. Il se plaint en effet que la gloire lui coûte « de longues veilles, de brûlantes insomnies, des défaillances d’esprit et de cœur », et ce pour les applaudissements et les quelques pièces de monnaie de ses spectateurs ordinaires, les matelots et les ivrognes du théâtre de Blackfriars23. Pour ce héros en proie au Weltschmerz, gloire et célébrité sont synonymes d’illusion et de tourment ne se laissant dissiper que par l’ivresse : « les femmes trahissent, la gloire abuse, les amis trompent », seule la dive bouteille tiendrait selon lui ses promesses24. Ce personnage de Shakespeare semble donc porter en lui le désespoir du héros romantique aspirant à un idéal supérieur, incompatible à ses yeux avec la réalité dans laquelle il vit.
Le couple dramatique Shakespeare-Élisabeth
- 25 Idem, Acte I, scène IV, p. 9.
15 Répondant au premier chef aux exigences du genre lyrique réclamant des duos d’excellence, cette œuvre est aussi la première en France, ainsi qu’en Allemagne, à mettre sur le devant de la scène le couple dramatique de Shakespeare et de sa souveraine, pendant féminin à la figure de l’auteur qualifié à plusieurs reprises de « roi des Poètes ». L’intrigue se concentre alors sur le moment fictif où la reine décide d’intervenir dans la vie dissolue du jeune poète, pour le ramener sur la voie de la gloire. L’inclination royale s’exprime d’ailleurs dès le début du livret, la souveraine n’hésitant pas à braver les interdits sociaux ainsi que les dangers de la vie nocturne londonienne pour assister incognito à la représentation d’une œuvre de Shakespeare, espérant à cette occasion voir pour la première fois les traits de celui dont elle annonce prophétiquement qu’il « sera un jour le premier Poète d’Angleterre ».25
- 26 Idem, Acte I, scène XI, p. 32.
16 La première rencontre des personnages de Shakespeare et de la reine est placée vers la fin du premier acte dont elle constitue le point d’orgue. Les écarts de conduite du poète s’imposent alors comme une réalité scénique sous les traits d’un Shakespeare ivre, titubant, et se conduisant de façon grossière envers cette femme inconnue qu’il tutoie et tente de démasquer. Le personnage de la souveraine profondément humaine se fait alors de plus en plus compatissant à son égard, le vouvoiement impérieux se transformant en tutoiement, tandis que le prénom William supplante désormais le patronyme. Une familiarité s’instaure entre les deux personnages dès cette première confrontation dramatique et la différence de statut social s’estompe. La reine se fait même suppliante face à un Shakespeare qui n’aspire qu’à l’ivresse profonde et lorsque l’auteur-personnage s’effondre finalement sur un banc, complètement ivre, elle se met au service de ce « poète aux élans si beaux », pour le dérober à l’opprobre et empêcher qu’« un noble esprit dont elle sera fière expire ainsi dans sa première fleur ». Se posant désormais en « ange protecteur » de Shakespeare, ce personnage de reine à la fois femme et souveraine, agissant « pour [elle] et pour l’Angleterre »26, devient moteur de l’intrigue en ordonnant de cacher le poète ivre dans son domaine royal de Richmond.
- 27 Citons par exemple pour la France les deux tragédies intitulées Le Comte d’Essex de Thomas Corneill (...)
17 Cette première rencontre détermine donc les rapports d’emblée ambigus entre les deux personnages de ce nouveau couple au centre de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas. La reine Élisabeth du livret de Rosier et de Leuven n’est plus une figure austère et autoritaire, responsable de la mort de Marie Stuart ou de son favori le Comte d’Essex, traits sous lesquels elle était jusque-là apparue dans le théâtre français ou allemand27. Peu soucieux de vérité historique, Ambroise Thomas et ses librettistes font semble-t-il abstraction de la différence d’âge de 31 ans entre William Shakespeare et Élisabeth Ire et mettent en scène ce personnage sous les traits d’une jeune souveraine téméraire et volontiers espiègle, bravant les interdits sociaux en assistant masquée aux représentations théâtrales ou s’aventurant dans une taverne. Elle n’apparaît pas non plus insensible au charme d’un Shakespeare, attirance qu’elle a peine à dissimuler derrière un intérêt littéraire et national pour le poète.
Mme Ugalde (1829-1910), rôle de la Reine Élisabeth dans Le Songe d’une nuit d’été (1er acte), Paris, Maison Martinet, 1850-1851.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
- 28 Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte II, scène VII, p. 45-46.
- 29 Idem, Acte II, scène VII, p. 46-47.
- 30 Idem, Acte II, scène VII, p. 47-48.
- 31 Idem, Acte II, scène VII, p. 48.
18 La seconde grande scène mettant en présence le personnage de Shakespeare et celui de la reine intervient au second acte (scène 7). L’atmosphère animée de la taverne a laissé place à celle, non moins shakespearienne, d’un « rêve enchanteur » : dans le parc royal de Richmond baigné par le clair de lune, le jeune poète qui s’éveille et se dit habité par l’âme de Roméo attendant que « sa Juliette adorée vienne enivrer son cœur et fasse de son plus beau rêve une réalité »28, voit s’avancer une femme voilée, incarnation de l’Amour qu’il appelle de ses vœux. Pour conforter l’intertextualité avec la tragédie shakespearienne, Pierre Jourdan a d’ailleurs réintroduit fort adroitement une scène de balcon dans sa mise en scène de 1994 : le personnage de Shakespeare s’adresse ainsi à une apparition voilée se tenant sur un promontoire au-dessus de la demeure du régisseur Falstaff, et non plus, comme lors des mises en scène du XIXe siècle, à une femme se tenant devant lui (voir les illustrations ci-après). Celle-ci se présente comme son Génie outragé et exilé de son cœur par sa conduite dissolue, qui, devenu son juge, viendrait le remettre sur la voie de l’honneur29. L’évocation du « destin exécré » que constitueraient le déshonneur et l’oubli suffit à susciter chez le personnage de Shakespeare une prise de conscience, qualifiée par lui de renaissance. Mais les aspirations des deux personnages divergent néanmoins : tandis que la reine veut pour le jeune Poète « gloire et splendeur »30, celui-ci aspire avant tout à l’amour, qu’il croit avoir trouvé auprès de cette mystérieuse inconnue lui ayant redonné force et espoir. Cet amour apparaît finalement comme réciproque quand la reine confie en aparté le pouvoir qu’exerce Shakespeare sur son cœur, mais il semble aussi d’emblée condamné, celle-ci regrettant de devoir, sa vie entière, y renoncer31.
Les perles du théâtre de l’Opéra-Comique, Le songe d’une nuit d’été [opéra-comique d’Ambroise Thomas, reprise de 1859]. Scène VII, le parc du château de Richmond. William Shakespeare, M. Mautaubry ; Élisabeth, Mme Monrose.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Couverture du DVD de la mise en scène du Songe d’une nuit d’été par Pierre Jourdan, Kultur Video, collection "L’opéra français", 1994.
- 32 En particulier dans les scènes 1 et 2 de l’acte III.
- 33 Idem, Acte III, scène VIII, p. 68.
19 Ce motif de l’amour impossible du Poète et de la Reine Vierge qui clôt cette scène au caractère féerique réapparaît au cœur du troisième acte, mettant quant à lui l’accent sur la dichotomie tragique entre femme amoureuse et souveraine consciente de son devoir32. Une nouvelle confrontation entre les deux principaux protagonistes intervenant à la fin du troisième acte (scène 7) a ainsi pour cadre la cour, les ramenant tous deux sur le terrain de la réalité et du pouvoir. Cette entrevue met pour la première fois en scène le rapport hiérarchique entre sujet et souveraine, cette dernière n’étant jusqu’alors apparue face au personnage de Shakespeare que sous le masque de l’inconnue espiègle de la taverne ou derrière le voile de la mystérieuse allégorie du génie shakespearien, incarnation de l’Amour absolu aux yeux d’un Shakespeare à la recherche du bonheur. Ce personnage public de reine entourée des personnalités les plus éminentes de son royaume, mais qui peine toutefois à dissimuler ses sentiments, tente alors de convaincre Shakespeare qu’il a rêvé leur entrevue de la nuit passée, l’incitant à écrire une comédie intitulée Le Songe d’une nuit d’été33, allusion intertextuelle à la comédie shakespearienne donnant aussi son titre à l’opéra-comique d’Ambroise Thomas.
- 34 Idem, Acte III, scène XI, p. 71.
20 Cette entrevue solennelle entre les personnages de Shakespeare et de la reine vient relancer l’intrigue dramatique en induisant un nouveau rebondissement. Le jeune auteur, n’acceptant pas le fait qu’il puisse avoir rêvé, tente de trouver un nouveau témoin en la personne de Falstaff, devenu dans l’œuvre d’Ambroise Thomas gardien du parc royal de Richmond, celui-ci, tenu au secret par la reine, ne pouvant dire toute la vérité. Le jeune poète croit finalement que sa raison l’abandonne quand il aperçoit le personnage de Latimer qu’il croyait avoir tué en duel et il décide alors d’en finir avec la vie. La scène 11 du troisième acte met en scène un personnage de Shakespeare tragique qui, seul et accablé, déplore avec des accents hamlétiens que tout n’ait été qu’un songe et s’apprête à se suicider34. Un retournement de situation intervient grâce à la médiation du personnage de Falstaff parti prévenir la reine.
- 35 Idem, Acte III, scène XII, p. 72-73.
- 36 Idem, Acte III, scène XII, p. 73-74.
- 37 Idem, Acte III, scène XIII, p. 74-75.
- 38 Termes que nous devons respectivement à George Bernard Shaw (1856-1950) et à Christian Dietrich Gra (...)
21 Les deux dernières scènes mettent ainsi à nouveau en présence le couple Élisabeth et Shakespeare, la scène 12 lors d’une entrevue privée et la 13e et dernière scène dans le cadre des fastes de la cour. La reine y ordonne au poète de « vivre pour la gloire de l’Angleterre, pour l’illustration de son règne »35 et lui révèle enfin, sous le sceau du secret, que le génie de cette nuit se tient devant lui. Elle présente l’entrevue nocturne à Richmond comme l’audience d’une protectrice et d’une amie des Belles Lettres36. La scène finale va ainsi replacer chacun des deux personnages dans le rôle qui lui est dévolu par la société. La souveraine présente le jeune auteur aux lords et courtisans, en l’associant à la gloire et aux splendeurs de la patrie. Tandis que les seigneurs s’inclinent devant le poète, le chœur proclame la gloire de Shakespeare et chante les louanges de la reine qui, s’adressant à nouveau à ce dernier, genou à terre devant elle, l’élève au rang de Poète national et fleuron de l’époque élisabéthaine. Cette double apothéose, à la fois visuelle et sonore37 associe étroitement et pour l’éternité la gloire de Shakespeare au règne et à la personne de sa souveraine et vient ainsi consolider un culte shakespearien qui peine encore à s’imposer en France dans le grand public, tandis que l’Angleterre cultive depuis longtemps déjà sa « bardolâtrie » et l’Allemagne sa « Shakespearomanie »38.
Mme Ugalde, rôle de la reine Élizabeth dans Le songe d’une nuit d’été (3e acte) d’Ambroise Thomas. Galerie dramatique ; Theâtre de l’Opéra comique, lith. Decan.
Source : Folger Shakespeare Library (ART File U26 no.1)
Personnage de Falstaff et intertextualité shakespearienne
22 Une autre particularité du livret de Rosier et de Leuven est de mettre en scène un personnage nommé Falstaff dans une intrigue inédite le mettant en présence de la figure de son créateur Shakespeare. Même s’il a été avancé que ce personnage shakespearien aurait effectivement eu un modèle en la personne de Sir John Oldcastle, les librettistes français n’ont cependant pas recours au référent historique. Sans doute désireux de tirer parti de la notoriété du personnage comique shakespearien, ils s’inscrivent ainsi dans le prolongement de la réception de Falstaff en France, tout en continuant d’explorer et d’exploiter la théâtralité de cette figure dans des épisodes comiques inédits.
Réception du personnage de Falstaff sur le continent
- 39 Paul Meurice, Falstaff; en collaboration avec Auguste Vacquerie; Théâtre de l’Odéon, 2 Octobre 1842 (...)
- 40 Voir à ce propos « Romantic legacy: the ‘Shakespeare-stage’ » in Simon Williams, Shakespeare on the (...)
23Personnage déjà présent dans les traductions françaises du théâtre de Shakespeare par Pierre-Antoine de La Place (dans la comédie Les femmes de bonne humeur, ou Les commères de Windsor partiellement traduite et parue en 1746), puis par Pierre Le Tourneur, celui-ci étant aussi le premier à transposer les deux parties de la pièce historique Henri IV dans les tomes 9 et 10 de son Shakespeare traduit de l’Anglois, dédié au Roi, Falstaff se retrouve évidemment à l’époque romantique dans la réédition des traductions de Le Tourneur par François Guizot en 1821 (10e volume). Mais au théâtre, ce sont avant tout les grandes tragédies shakespeariennes qui sont jouées, que ce soit par les comédiens anglais lors de leurs tournées à Paris, sur les grandes scènes parisiennes ou même dans des adaptations mélodramatiques sur les théâtres de boulevard. Les comédies shakespeariennes, de facture si différente de celles du répertoire français, susciteront certes l’intérêt de la génération romantique mais ne seront jouées que tardivement sur le continent, et en France en particulier. En 1842, Falstaff foule cependant la scène du Théâtre de l’Odéon (première le 2 octobre 1842 avec un prologue de Théophile Gauthier) dans une comédie éponyme en 3 actes et en vers de deux jeunes disciples de Victor Hugo, Paul Meurice et Auguste Vacquerie39, pièce qui ne renvoie pas aux Joyeuses Commères de Windsor mais reconstitue l’histoire de Falstaff à partir de la pièce historique Henry IV. Meurice et Vacquerie seront d’ailleurs également à l’origine d’une adaptation de la comédie shakespearienne All’s Well That Ends Well intitulée Capitaine Paroles et jouée moins de six mois plus tard dans le même théâtre en février 1843. Cette même année, en Allemagne, l’écrivain romantique et grand connaisseur de Shakespeare Ludwig Tieck met en scène pour la première fois la comédie shakespearienne Le Songe d’une nuit d’été, accompagnée de la musique de Felix Mendelssohn-Bartholdy (dont la célèbre marche nuptiale) et dans un décor renvoyant à la scène élisabéthaine40. Mais il ne s’agit encore que d’initiatives isolées.
- 41 Parmi ces quatre œuvres, l’une est française, deux sont allemandes et une autre est en italien, mai (...)
- 42 Carlo Prospero Defranceschi, Antonio Salieri, Falstaff, osia Le tre burle: dramma giocoso per music (...)
- 43 Carl Alexander Herklots, Antonio Salieri, Arien und Gesänge zu dem komischen Singspiel: Falstaff in (...)
- 44 Felice Romani, Saverio Mercadante, La gioventù di Enrico V.: melodramma in quattro parti di Felice (...)
- 45 Hermann Salomon Mosenthal, Otto Nicolai, Die lustigen Weiber von Windsor: komisch-phantastische Ope (...)
- 46 Il sera joué en France en 1864 à Bordeaux et en 1866 sur la scène du Théâtre Lyrique dans une adapt (...)
- 47 Arrigo Boito, Giuseppe Verdi, Falstaff: commedia lirica in tre atti di Arrigo Boito; musica di Gius (...)
24 C’est dans le théâtre musical que le personnage de Falstaff va faire l’objet d’une réception particulièrement productive. Les premiers opéras ou pièces chantées le mettant en scène remontent à la seconde moitié du XVIIIe siècle et renvoient à l’action des Joyeuses Commères de Windsor41, avec un succès encore limité à l’exception de Falstaff, osia Le tre burle d’Antonio Salieri sur un livret de Carlo Prospero Defranceschi42 : monté pour la première fois le 3 janvier 1799 à Vienne sur la scène du Théâtre de la Porte de Carinthie (Kärntnertortheater), il fut joué 26 fois au total sur les scènes viennoises des Théâtres de la Cour, mais aussi dans d’autres grandes villes allemandes, dont Berlin, cette fois dans une traduction allemande de Carl Alexander Herklots43. Mais c’est le XIXe siècle qui offrira à Falstaff ses succès les plus marquants sur les scènes européennes : un opéra italien La gioventu di Enrico Quinto de Saviero Mercadante (joué au Théâtre de la Scala en 1834) sur un livret de Felice Romani44, qui s’inspire en réalité d’une comédie d’Alexandre Duval La jeunesse de Henri V jouée au Théâtre Français à partir de 1806, inspira traductions ou adaptations que l’on retrouvera sur différentes scènes européennes et connaitra ainsi cinq autres transpositions musicales et même une adaptation sous forme de ballet. C’est finalement l’opéra comique du compositeur allemand Otto Nicolai Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor), sur un livret de Hermann Salomon Mosenthal45, joué pour la première fois à Berlin le 11 mai 1849, qui connaîtra dans l’espace germanophone un succès durable et jamais démenti jusqu’à nos jours, sans cependant réussir à s’imposer à l’étranger46. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que le Falstaff de Giuseppe Verdi, sur un livret d’Arrigo Boito, impose définitivement ce personnage sur la scène lyrique européenne47.
Le Falstaff d’Ambroise Thomas
- 48 Gary Schmidgall, “Several fat knights”, in Gary Schmidgall, Shakespeare & opera, New York, Oxford, (...)
- 49 Louis Palianti, Le Songe d’une nuit d’été; opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Rosier et D (...)
25Parmi les 25 opéras connus ayant Falstaff pour personnage48, celui d’Ambroise Thomas occupe une place particulière. Son action ne constitue en effet pas une réécriture de la comédie shakespearienne Les joyeuses commères de Windsor et ne s’inspire pas non plus directement des célèbres passages de la pièce historique Henri IV. Dans l’opéra-comique d’Ambroise Thomas, le personnage de Falstaff est non seulement intégré à une intrigue relevant du drame d’artiste, mais il y occupe même une place de premier plan, tant dans l’économie générale de l’œuvre que du point de vue musical. La distribution qui figure en tête du livret de Rosier et de Leuven lui attribue d’ailleurs le second rôle masculin (« première basse chantante »), juste après celui de Shakespeare. Référence intertextuelle facilement identifiable et doté dans les « Indications générales sur la Mise en Scène » de caractères physiques évoquant le personnage shakespearien49, Falstaff entre en scène dès le début de la pièce dans son cadre de prédilection, l’auberge, rappelant au spectateur qu’il est d’abord la figure incontournable des scènes de taverne dans la première partie de la pièce historique Henry IV, où il incarne le compagnon de débauche amoral et spirituel du prince Harry (Hal), futur Henri V, qui le rejettera d’ailleurs lors de son accession au trône dans la seconde partie de ce drame. L’opéra de Rosier et de Leuven reprend cette figure comique, sans doute la plus célèbre du théâtre shakespearien, pour la transposer sous le règne d’Élisabeth Ire près de deux siècles plus tard. Le gros chevalier truculent à la figure joviale, occupant désormais la fonction de garde général du domaine royal de Richmond, va contribuer à installer au premier acte une ambiance propre à l’opéra-comique, avant qu’il ne soit mis au service de l’intrigue, tout en faisant toujours office de vecteur du comique.
- 50 Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte I, scène I, p. 2.
- 51 Idem, Acte I, scène V, p. 16.
- 52 Idem, Acte I, scène III, p. 5-6.
- 53 Idem, Acte I, scène V, p. 15.
- 54 Idem, Acte I, scène VII, p. 23
26Héros par excellence des scènes d’auberge, Falstaff est ainsi particulièrement présent au premier acte ayant pour cadre la Taverne de la Sirène, où il apparaît dans huit scènes sur douze. Accueilli d’emblée par l’aubergiste Jérémy comme une personnalité de choix et le « joyeux ordonnateur »50 du festin en l’honneur de l’auteur Shakespeare, celui qui se présente avec fatuité comme « la grande ombre du grand Shakespeare »51 apparaît d’abord dans le premier acte sous les traits d’un joyeux ripailleur honorant Bacchus et Cupidon. La présence de ce personnage, également officier recruteur dans la pièce historique de Shakespeare, est l’occasion d’un grand défilé culinaire comique52 où Falstaff passe en revue cuisiniers, rôtisseurs et sommeliers lui présentant plats et vins, comme s’il s’agissait d’une armée. Il sort finalement de scène trônant dans un fauteuil hissé sur les épaules des garçons taverniers, qui le portent triomphalement dans la salle du banquet (voir illustration ci-après). Il reparaît peu après pour une longue scène 5 le mettant en présence de la reine et de sa suivante masquées, tout juste entrées par hasard dans cette taverne pour se mettre à l’abri de l’orage et de matelots ivres, après avoir assisté incognito à une représentation de Shakespeare. Reconnaissant celui qui, dans cet opéra, occupe la fonction de garde général du domaine royal de Richmond, elles se jouent longuement, cachées derrière leur masque, d’un Falstaff convaincu que ces dames sont éprises de lui. Conformément à la logique d’intertextualité avec l’œuvre shakespearienne, ce Don Juan ridicule et imbu de sa personne renvoie à son rôle de séducteur berné dans la comédie Les Joyeuses Commères de Windsor. Affirmant bien connaître toutes les « qualités » de Falstaff qu’elle énumère en le définissant comme « un assemblage de tous les travers » qui sera « cité d’âge en âge », ses bravades, fanfaronnades et autres rodomontades n’étant que « faux airs »53, la figure d’Élisabeth aligne ainsi tous les attributs du personnage shakespearien, buveur illustre, menteur volubile et indémontable, doublé d’un poltron. L’auteur-personnage Shakespeare rappelle d’ailleurs peu après les traits de cet anti-héros shakespearien, dont l’opéra-comique venait de reconnaître les potentialités, en définissant Falstaff comme « le gai, le gros, le rond, le joufflu, le vantard, le bouffon Falstaff ».54
Le songe d’une nuit d’été, [opéra-comique d’Ambroise Thomas, Théâtre de l’Opéra-Comique, 1850] : Falstaff porté en triomphe, rôle de M. Charles Battaille (1822-1872), 1ère Basse.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
- 55 Idem, Acte II, scènes III et IV.
- 56 Idem, Acte III, scène X.
- 57 Nous reprenons ici une expression inspirée du titre de la pièce de Luigi Pirandello Six personnages (...)
27 Outre ces deux emplois de compagnon de débauche et de séducteur infatué mais ridicule, rappelant à la fois le personnage shakespearien de la pièce historique Henry IV (Partie I) et celui de la comédie Les joyeuses commères de Windsor, le gros chevalier paillard va ensuite être mis au service de la progression de l’intrigue. Le livret de Rosier et de Leuven développe de façon originale ce caractère si fortement déterminé par l’intertextualité et sur lequel se concentre l’essentiel du comique. En tant que garde du domaine royal de Richmond, il participe à l’intrigue principale en obéissant aux ordres de la reine qui, sans se faire reconnaître, va à la fin du premier acte, lui donner l’ordre de transporter un Shakespeare ivre dans son domaine royal. Il devra ensuite garder le domaine afin qu’aucun importun ne puisse y pénétrer et troubler l’entrevue de la reine et de son poète, ces scènes55 venant illustrer la poltronnerie et la roublardise de Falstaff, effrayé dès qu’il est seul dans la nuit ainsi que garde resquilleur flouant la reine de son meilleur gibier, tout en se vantant de ses larcins devant celle qu’il prend encore pour une conquête. Cette souveraine volontiers espiègle, qui s’amuse des travers de son garde, va à nouveau se jouer de lui au troisième acte, quand il s’agira de faire croire à Shakespeare qu’il a rêvé les événements de cette nuit. La confrontation de Falstaff et de l’auteur-personnage est l’occasion d’un nouveau morceau de bravoure comique débouchant sur une péripétie : alors que le poète-dramaturge le salue comme son « sauveur » et son « excellent ami », sûr que celui-ci va corroborer sa version des événements, Falstaff, flatté d’avoir « l’honneur d’être l’ami du fameux Shakespeare, de cette intelligence sublime »56, est sur le point de parler, mais se ravise en pensant aux menaces de la reine au courant de ses larcins, avant d’affirmer à un auteur-personnage désemparé que rien d’anormal ne s’est passé cette nuit au domaine de Richmond. Mais en prévenant la souveraine du désespoir d’un Shakespeare désormais sur le point de se suicider, Falstaff sauvera finalement la vie du Poète par cette intervention qui fera éclater la vérité, ce « personnage en quête d’auteur »57 se voyant alors promettre une place dans l’œuvre shakespearienne ainsi que l’immortalité.
28
Émile-Alexandre Taskin (1853-1897) dans le rôle de Falstaff, opéra-comique d’Ambroise Thomas Le songe d’une nuit d’été, Théâtre de l’Opéra-Comique, 1886.
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L’intertextualité shakespearienne
29 Cette première appropriation de la figure du poète-dramaturge élisabéthain par le genre lyrique, s’exonérant largement de toute vérité historique ou biographique, conforte donc le statut de son auteur-personnage en recourant à des allusions manifestes à l’œuvre de Shakespeare. Mais le jeu intertextuel, composante si emblématique de la présence de « Shakespeare après Shakespeare » dans la littérature, prend ici des formes particulières. L’opéra-comique d’Ambroise Thomas se joue en fait dans son titre de l’intertextualité shakespearienne, puisque Le songe d’une nuit d’été ne renvoie pas directement à la comédie éponyme et ne constitue pas une réécriture de cette pièce ou de l’une de ses intrigues, mais fait référence au subterfuge inédit mis en place par la reine pour ramener le poète dévoyé sur la voie de son destin d’exception, celui-ci devant croire que sa rencontre avec sa muse royale n’était qu’un rêve. La souveraine invitera ensuite le poète à écrire une comédie intitulée : Le songe d’une nuit d’été… Pourtant, l’intertextualité shakespearienne n’en est pas moins omniprésente dans l’atmosphère féérique du parc au clair de lune (acte 2), évoquant celle de la comédie shakespearienne, ou bien manifeste par la présence d’un personnage nommé Falstaff. Elle s’inscrit aussi en filigrane à travers un réseau de motifs ou de situations du théâtre de Shakespeare qui servent l’atmosphère de cet opéra comique ou sous-tendent les intrigues parallèles se recoupant à la manière de la dramaturgie shakespearienne. Les histoires des deux couples de personnages Shakespeare-Élisabeth et Latimer-Olivia sont ainsi étroitement imbriquées à la manière de la dramaturgie shakespearienne, mais seule celle de Latimer et Olivia connaît une fin véritablement heureuse s’ouvrant sur la perspective d’un mariage, après avoir surmonté l’obstacle de la jalousie obsessionnelle de Latimer envers Falstaff, puis Shakespeare, pâle réplique des obsessions d’Othello. Le mouchoir se voit remplacé par un bouquet, accessoire galant jugé sans doute plus approprié pour un public français. Quant au duel entre Shakespeare et Lord Latimer, il renvoie aux célèbres combats du théâtre shakespearien.
- 58 William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été, réplique d’Oberon à l’acte II, scène 2.
30 Même le mélange des genres semble mis au service de l’opéra-comique. Le dénouement heureux, les péripéties et les quiproquos afférents au genre n’occultent cependant pas la présence de motifs conférant à cette œuvre une note plus sérieuse : le renoncement de la reine à ses sentiments au nom de la Raison d’État ou la recherche de l’amour comme but ultime de l’existence d’un Shakespeare meurtri ne sont pas dénués de potentiel tragique. Mais toujours dans l’esprit de la dramaturgie shakespearienne, la détresse, voire le désespoir du poète, alterne avec des scènes comiques où domine très naturellement le personnage de Falstaff. À l’instar de cette figure réécrite pour le genre de l’opéra-comique, l’essentiel de l’intertextualité larvée est attachée aux personnages nourris aux sources de la théâtralité shakespearienne. La verve de la reine Élisabeth à la taverne du premier acte rappelle ainsi celle des héroïnes des comédies de Shakespeare, tandis que ce même personnage en mystérieuse femme voilée dans l’atmosphère surnaturelle du parc de Richmond, évoquant l’épisode central du Songe d’une nuit d’été, apparaît comme le pâle reflet de Titania, les tribulations des deux couples n’évoquant il est vrai que très lointainement le désordre régnant cette nuit-là dans le bois près d’Athènes. Quand dans le cadre merveilleux du parc au second acte, le personnage de Shakespeare, se disant habité par l’âme de Roméo, croit voir s’avancer Juliette, son « idéale beauté », point d’orgue de cet opéra-comique, l’évocation du couple sans doute le plus célèbre du théâtre shakespearien incarne l’amour absolu auquel aspire ici par-dessus tout le Shakespeare d’Ambroise Thomas. Mais l’évocation de la tragédie Roméo et Juliette revêt aussi un caractère prémonitoire : comme dans le cas des amoureux de Vérone, et en dépit des sentiments qui les poussent l’un vers l’autre, l’amour entre Shakespeare et Élisabeth sera finalement lui aussi impossible, du fait d’étoiles contraires. Élisabeth, que l’Histoire a surnommée la Reine Vierge, doit rester « la Vestale qui trône à l’Occident » sur qui les flèches de Cupidon n’ont aucune prise, selon la formule qui la caractérise, justement dans la comédie shakespearienne Le songe d’une nuit d’été 58. Quant à l’autre couple dramatique réunissant l’auteur-personnage Shakespeare et Falstaff, sa portée intertextuelle laisse ainsi présager qu’à l’instar du prince Harry de l’œuvre shakespearienne, qui avait abandonné sa vie dépravée et son compagnon de débauche lors de son accession au trône, le personnage de jeune poète dévoyé Shakespeare va finalement retrouver lui aussi le chemin de l’honneur et de la gloire.
Réception productive de cet opéra en Europe et au-delà
- 59 Luigi Zanetti, Il sogno d’una notte d’estate; opera comica in tre atti; parole di Rosier e De Leuve (...)
- 60 Voir Karl Gollmick, Der Sommernachtstraum. Komische Oper in drei Akten. Nach dem Französischen des (...)
- 61 Hermann Meinhardt, Der Sommernachtstraum. Komische Oper in drei Akten, nach dem Französischen von H (...)
- 62 L’opéra d’Otto Nicolai (1810-1849) Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windso (...)
31 Alors qu’en cette moitié du XIXe siècle, Paris apparaît aux yeux du monde comme la capitale de l’art dramatique, les succès remportés sur les scènes parisiennes incitent les théâtres et auteurs étrangers, en recherche constante de nouvelles pièces, à jouer également ces œuvres, en les traduisant ou en les adaptant. Le Théâtre de la Monnaie de Bruxelles inscrit ainsi l’opéra-comique d’Ambroise Thomas à son répertoire dès octobre 1850, Liège suit en 1851, de même que Genève et Buenos Aires en 1854, Barcelone en 1868 et Lisbonne en 1878. Deux transpositions du livret de Rosier et de Leuven paraissent aussi en italien (Il sogno d’una notte d’estate), celle de Luigi Zanetti59 dans les années 1860, puis d’Angelo Zanardi en 1896. En Allemagne et en Autriche, l’adaptation de Karl Gollmick60, publiée à plusieurs reprises et en plusieurs points de l’espace germanophone, dès 1850 à Mayence, puis à Vienne en 1854 et Weimar en 1858, et sous des titres parfois légèrement différents (Der Sommernachtstraum, Eine Sommernacht, Der Traum einer Sommernacht oder Königin und Dichter) reste essentiellement fidèle à l’original de Rosier et de Leuven, mais n’atteindra que huit représentations sur la scène du Théâtre de la Porte de Carinthie à Vienne en janvier 1854. À Berlin, l’adaptation du ténor Hermann Meinhardt (Der Sommernachtstraum)61, jouée trois fois sur la scène du Friedrich-Wilhelmstädtisches Theater en février 1854 et dans laquelle l’adaptateur lui-même tient le rôle de Shakespeare, prend quant à elle quelques libertés avec l’original, qui témoignent de certaines réserves à l’égard du modèle français. Après le succès sans précédent qu’a connu dans l’espace germanophone l’œuvre d’Otto Nicolai Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor)62, premier opéra d’inspiration shakespearienne en Allemagne ayant pour personnage principal Falstaff, il n’est pas étonnant que les deux adaptateurs allemands aient saisi l’opportunité de proposer à nouveau au public cette figure comique devenue si populaire, cette fois mise en présence de son illustre créateur William Shakespeare, érigé en référence dramatique dans l’espace germanophone depuis près d’un siècle ainsi qu’objet d’une « Shakespearomanie » rivalisant au cours du XIXe siècle de plus en plus ouvertement avec la « bardolâtrie » britannique. Mais si les adaptateurs allemands reprennent volontiers le personnage comique de Falstaff, ils vont quant à eux achopper sur cette figure de souveraine prenant, dans l’opéra-comique français, un plaisir bien peu royal à taquiner le gros chevalier : Gollmick renonce ainsi à toute caractérisation ironique du personnage de Falstaff par Élisabeth, le librettiste allemand ayant sans doute estimé qu’un tel discours ne sied pas à une reine consciente de son rang, celle-ci ne pouvant décemment se faire l’écho des turpitudes de celui à qui elle confie néanmoins la garde de son domaine royal. L’adaptateur Meinhardt choisit pour sa part de supprimer purement et simplement cet échange entre les personnages de Falstaff et Élisabeth, indigne à ses yeux d’une souveraine ou même ressenti comme crime de lèse-majesté, susceptible de s’attirer les foudres de la censure ou de choquer les monarques et princes devant lesquels serait représentée son adaptation.
32 En dehors de l’Europe, l’opéra-comique d’Ambroise Thomas sera également joué aux États-Unis, d’abord en 1851 à la Nouvelle-Orléans où il figure au répertoire de la troupe française de Mme Fleury Jolly, qui se produira en 1852 lors d’une tournée au Niblo’s Garden de New-York. Les réticences d’un critique de l’hebdomadaire Spirit of the Times (26 juin 1852) sont alors encore plus marquées que les réserves perçues à travers le texte des adaptateurs germanophones puisqu’au nom du culte shakespearien, il est reproché aux Français, avec une pointe de condescendance, de « profaner la mémoire du doux Cygne de l’Avon en mêlant son nom à une telle absurdité », ce qui constitue à la fois « une insulte envers ceux qui le vénèrent et une preuve que les Français sont complètement ignorants de ses glorieuses œuvres » :
- 63 The Spirit of the Times, 26 juin 1852, p. 228. Cité d’après Vera Brodsky Lawrence, Strong on Music. (...)
Queen Élisabeth, Falstaff, and Shakespeare are introduced under most ridiculous circumstances, and in absurd relations to each other. We could forgive our Gallic friends for scandalizing Queen Bess and rendering fat Jack ridiculous, but to profane the memory of the sweet Swan of Avon by introducing his name into such balderdash is at once an insult to all who reverence him and an evidence that the French are wholly ignorant of his glorious works. Poor fellows !63
33Sans doute pour les mêmes raisons que celles évoquées par ce critique, l’opéra-comique d’Ambroise Thomas ne sera joué en Grande-Bretagne qu’en 1898 à Glasgow, dans une transposition anglophone du livret de Rosier et de Leuven par William Beatty Kingston. Pour éviter toute confusion regrettable avec la comédie shakespearienne qui aurait pu exaspérer les admirateurs du Barde, il sera alors simplement intitulé A Poet’s Dream. Le personnage de Shakespeare devient alors un poète du nom de Pedro Valdez, la reine étant ramenée au rang de Comtesse Erminia et Falstaff à celui de Don Federigo de Pardan.
- 64 Giuseppe Sesto Giannini, La gioventù di Shakspeare; commedia lirica in tre atti tratta dal francese (...)
- 65 Patricio de la Escosura, Joaquín Romualdo Gaztambide y Garbayo, El sueño de una noche de verano; op (...)
- 66 Giovanni Casati, Shakespeare ovvero Il sogno d’una notte d’estate; ballo in tre parti di Giovanni C (...)
- 67 Salvatore Taglioni, Gustave Carey, Shakespeare ovvero Il sogno di una notte d’estate; ballo in quat (...)
34 Mais la réception productive de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas a pris aussi d’autres formes. D’une part, certains compositeurs ont pu être tentés de reprendre le livret en l’adaptant plus ou moins librement, mais en lui adjoignant leur propre partition, comme ce fut le cas en Italie et en Espagne. La « commedia lirica in tre atti » La gioventù di Shakespeare 64 fut ainsi jouée au Teatro del Fondo de Naples le 29 décembre 1851 sur une musique de Giuseppe Lillo, plaçant cet opéra dans la tradition du Belcanto de Rossini, Bellini et Donizetti. Quant au livret de Giuseppe Sesto Giannini, il renonce à mettre en scène une idylle entre Shakespeare et sa souveraine, remplaçant cette dernière par une jeune veuve, Lady Arabella, dont la suivante est une demoiselle Emma, Lord Latimer étant ramené au rang de baronet (Arturo Morton), tandis que Sir John, rebaptisé Sir Goffredo, est désormais régisseur du parc du frère de Lady Arabella. En Espagne, El sueño de una noche de verano65 est jouée le 21 février 1852 au Théâtre del Circo de Madrid dans une transposition assez libre du livret de Rosier et de Leuven par Patricio de la Escosura y Morrogh, sur une musique originale de Joaquin Romualdo Gaztambide y Garbayo, compositeur reconnu de zarzuelas et qui dirigera à partir de 1856 le tout nouveau Teatro de la Zarzuela. Une autre curiosité liée à la réception de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas est d’avoir inspiré plusieurs ballets ayant connu un succès certain en Italie : Shakespeare devenu danseur entre ainsi en scène le 27 janvier 1855 à la Scala de Milan dans un ballet en trois actes Shakespeare ovvero Il sogno d’una notte d’estate66 du chorégraphe Giovanni Casati sur une musique du compositeur Paolo Giorza, qui fut joué 55 fois à la Scala entre 1855 et 1856. Il sera repris en 1855 au théâtre San Carlo de Naples dans une adaptation en quatre actes des chorégraphes Salvatore Taglioni et Gustave Carey67, et en 1856 à La Fenice de Venise. Traversant ainsi les genres et les frontières, la figure de Shakespeare conçue par Ambroise Thomas et ses librettistes participera, par son importante réception productive, à l’essor et à la consolidation du culte de Shakespeare en Europe.
- 68 Ambroise Thomas composera aussi un ballet fantastique La Tempête (1889), dont le livret de Jules Ba (...)
35 S’affranchissant de la lettre de l’œuvre, le culte de Shakespeare investit ainsi d’autres genres très populaires en leur temps, en se cristallisant de plus en plus autour de la personne de l’auteur et de ses figures les plus célèbres68. L’icône Shakespeare est en marche et des œuvres telles que celle d’Ambroise Thomas et son importante réception productive contribueront aussi largement à son enracinement dans le grand public, pour qui l’appropriation de l’auteur élisabéthain ne passe pas nécessairement par une connaissance approfondie de son théâtre. Apportant leur pierre à l’édifice du culte shakespearien, ces œuvres aujourd’hui souvent retombées dans l’oubli auront donc contribué à leur manière à conforter la popularité de Shakespeare en l’inscrivant dans les genres les plus prisés par le public à une époque et dans un pays donné. La marche du poète-dramaturge vers son statut d’icône emprunte alors des voies atypiques: par leur succès auprès du grand public, ces formes dérivées contribuent à ancrer le mythe shakespearien dans une nation. La réception théâtrale de Shakespeare en France apparaît dans ce domaine comme exemplaire : les adaptations de Jean-François Ducis et leur extraordinaire longévité sur la scène française, le succès inattendu de la comédie d’Alexandre Duval Shakespeare amoureux ou l’opéra-comique d’Ambroise Thomas Le songe d’une nuit d’été et ses nombreuses représentations constituent ainsi des jalons incontournables de l’accueil de Shakespeare par le public, non seulement français mais aussi européen. La France n’étant pas encore sensible à la sacralisation du texte shakespearien qui s’impose par exemple en Allemagne avec le mouvement romantique, ces œuvres choisissent plutôt d’introduire la théâtralité shakespearienne dans des genres déjà reconnus, que celle-ci contribue alors à faire évoluer, tout en préparant leurs contemporains à l’accueil des œuvres originales, démarche toutefois susceptible d’apparaitre aux yeux de l’étranger comme un témoignage de méconnaissance flagrante du canon shakespearien, voire comme un crime de lèse-majesté envers le vénéré Barde.
- 69 Voltaire, « Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne » (préface de Sémiramis, 1748). Texte (...)
- 70 Voir à ce propos l’article de Michèle Willems, « L’excès face au bon goût : la réception de Gilles- (...)
- 71 Les Contes d’Hoffmann, drame fantastique en cinq actes de J. Barbier et M. Carré, a été joué au Thé (...)
36 Car le mythe shakespearien peut aussi sembler quelque peu égratigné à certains moments de cet opéra comique, anticipant le processus de déconstruction de l’autorité Shakespeare telle que la pratiquera l’époque moderne et post-moderne. L’auteur-personnage que cet opéra comique se complaît à représenter ivre et grossier avec les dames, offre un spectacle peu compatible avec l’imagerie du culte shakespearien qui, au cours du XIXe siècle, va aussi faire de l’auteur élisabéthain une autorité morale dont on distillera la sagesse dans des recueils de préceptes et aphorismes, comme en France celui de Charles Nodier Pensées de Shakespeare, extraites de ses ouvrages (1801), ou l’ouvrage allemand au titre évocateur Shakespeare précepteur de l’humanité (Shakespeare als Lehrer der Menschheit. Lichtstrahlen aus seinen Werken) (1864) de Hermann Marggraf. Mais Voltaire lui-même n’avait-il pas évoqué Shakespeare et son Hamlet en ces termes : « on croirait que cet ouvrage est le fruit de l’imagination d’un sauvage ivre »69, imposant l’idée que cohabiterait chez cet auteur « ce qu’on peut imaginer de plus fort et de plus grand, avec ce que la grossièreté sans esprit peut avoir de plus bas et de plus détestable » ? En France depuis Voltaire, la notion d’excès70 est en quelque sorte constitutive de l’image de l’auteur élisabéthain et pourrait avoir vaguement inspiré les égarements du jeune héros romantique d’Ambroise Thomas, en passe de devenir un poète maudit sans l’intervention de sa souveraine. En dépit de l’immense succès remporté dans la seconde moitié du XIXe siècle par cet opéra-comique ayant Shakespeare pour protagoniste, c’est une autre figure de poète ayant vu le jour à la même époque71, également désabusé par ses expériences amoureuses et célébrant l’ivresse avant d’être finalement sauvé par sa Muse, qui deviendra, grâce à Jacques Offenbach et son opéra fantastique Les Contes d’Hoffmann (1881), le héros d’un des opéras français les plus représentés dans le monde.
Notes
1 Voir Élisabeth Malfroy, Ambroise Thomas, l’homme et son œuvre, thèse de doctorat en musicologie, Paris IV, 1992 et Élisabeth Rogeboz-Malfroy, Ambroise Thomas ou la tentation du lyrique. Besançon: Cêtre, 1994.
2 Joué au Théâtre Impérial de Compiègne, dans le cadre des « Séries lyriques de Compiègne ». Voir à ce propos Gérard Condé, « Résurrection à Compiègne. Le Songe d’une nuit d’été en V.F. », Opéra international. Le magazine de l’art lyrique. Paris, n° 180 (Mai 1994), p. 22-25. Un DVD de cette mise en scène est disponible dans la collection « L’Opéra français » [Ghyslaine Raphanel (Élisabeth), Alain Gabriel (Shakespeare), Jean-Philippe Courtis (Falstaff), Cécile Besnard (Olivia) et Franco Ferrazzi (Lord Latimer)] (Ambroise Thomas, Le Songe d’une nuit d’été, Théâtre Français de la Musique, Festival de Compiègne 7 Mai 1994; mise en scène Pierre Jourdan. s.l : Cascavelle, 2003). Voir également le coffret de 2CD reprenant un enregistrement plus ancien : Ambroise Thomas, Le Songe d’une nuit d’été. Chœurs et orchestre Radio Lyrique de Paris; Manuel Rosenthal, enregistré en 1956 à Paris, Hamburg: Line Music, Cantus Classics, 2010.
3 Georges Masson, Ambroise Thomas: un compositeur lyrique au XIXe siècle. Metz: Éditions Serpenoise, 1996. Élisabeth Rogeboz-Malfroy, Ambroise Thomas: témoin du siècle 1811-1896, Besançon, Cêtre, 1999.
4 Le texte de la comédie est néanmoins connu depuis 1821 grâce à l’édition de Guizot. Madame Amable Tastu et Louise Colet en avaient repris quelques scènes dans l’édition de leurs Poésies ou les déclamaient dans des salons. Amable Tastu, « Shakespeare; à Madame Louise Sw.-Belloc », in Amable Tastu, Poésies, 3e édition, Paris, Dupont, Tastu, 1827, p. 293-326. Louise Colet, « Fragments du Songe d’une nuit d’été (Imitations de Shakespeare) [1837] », in Louise Colet, Poésies, Paris, Lacrampe, 1842, p. 245-252. Le titre lui-même connut une fortune particulière : en 1841, le compositeur Hector Berlioz, grand admirateur de Shakespeare, avait composé son op. 7, intitulé Les nuits d’été, d’après des poèmes de Théophile Gautier. Après le succès de l’opéra-comique d’Ambroise Thomas, Édouard Plouvier fera jouer sa comédie Le songe d’une nuit d’hiver (1854) au Théâtre Français et Étienne Tréfeu Le rêve d’une nuit d’été (1855) au Théâtre des Bouffes Parisiens, toutes deux accompagnées d’une musique de Jacques Offenbach. Les comédies shakespeariennes n’entreront que tardivement dans les répertoires des grandes scènes parisiennes, dans la première moitié du XXe siècle.
5 Œuvres complètes de Shakespeare, traduites de l’Anglais par Pierre-Prime-Félicien Letourneur; nouvelle édition, revue et corrigée par François Pierre Guillaume Guizot et Amédée Pichot traducteur de Lord Byron; précédée d’une notice biographique et littéraire sur Shakespeare, par F. Guizot, 13 vol. Paris, Ladvocat, 1821.
6 Isabelle Schwartz-Gastine, « Shakespeare on the French Stage: A Historical Survey », in A. Luis Pujante, Ton Hoenselaars, éd., Four Hundred Years of Shakespeare in Europe, Newark, University of Delaware Press, 223-240, en particulier p. 229.
7 Cet acteur, interprète réputé de Corneille et ami de Jean-François Ducis, interprète les grands rôles shakespeariens des adaptations de ce dernier, Le Roi Jean de 1791 à 1792, Othello de 1792 à 1825, Macbeth de 1792 à 1826, Hamlet de 1803 à 1826.
8 Voir à ce propos Catherine Balaudé-Treilhou, Shakespeare romantique. La réception de Shakespeare en France de Guizot à Scribe (1821-1851), thèse de doctorat, Paris 3 - Sorbonne Nouvelle, 1994.
9 Robert Folkestone Williams, Shakespeare and His Friends, Or, The Golden Age of Merry England, 3 vol., Paris, Londres, 1838 ; Robert Folkestone Williams, The Youth of Shakespeare. By the Author of Shakespeare and His Friends, 3 vol., Londres, 1839 ; Heinrich Koenig, William’s Dichten und Trachten, 2 vol., Hanau, 1839 réédité plusieurs fois sous le titre William Shakspeare (en 1850, 1859, 1864 puis 1875) ; Clémence Robert, William Shakspere (sic), 2 vol., Paris, Roux et Cassanet, 1844.
10 Adolphe de Leuven, de son vrai nom Adolphe Comte de Ribbing, auteur ou co-auteur de plus de 170 textes de théâtre, essentiellement des opéras-comiques, travaillait depuis deux décennies déjà avec différents compositeurs français, dont A. Thomas (Le panier fleuri (1839) et Carline (1840)). Il participe par la suite à deux autres opéras aux motifs shakespeariens, le Falstaff (1856) d’Adolphe Adam et Le saphir (1865) de Félicien David. De 1862 à 1874, il codirige l’Opéra-Comique et démissionnera après s’être vainement opposé à la représentation de Carmen de Bizet.
11 Ancien clerc d’avoué, Joseph Bernard Rosier devient à partir de 1830 auteur de théâtre et librettiste. Il participe avec Adolph de Leuven à la rédaction du livret de l'opéra-comique d’A. Thomas Raymond ou Le secret de la reine (1851), puis sera l’auteur du livret de l’opéra-comique en deux actes de Thomas La cour de Célimène (1855).
12 Le livret fait l’objet d’une publication indépendante, édition dont sont tirées les citations de cet article: Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, Le Songe d’une nuit d’été, opéra-comique en trois actes, par MM. Rosier et De Leuven, musique de M. Ambroise Thomas, représenté pour la première fois, à Paris au Théâtre de l’Opéra-comique, le 20 Avril 1850, Paris, Dondey-Dupré, s. a., 1850.
13 Voir Paul Franssen, Shakespeare’s Literary Lives. The Author as Character in Fiction and Film, Cambridge, CUP, 2016.
14 La première version de cet opéra-comique a connu, rien qu’à l’Opéra-Comique, 117 représentations entre 1850 et 1856, avant d’être reprise en 1859 et d'apparaître 68 fois à l’affiche jusqu’en 1864. Treize autres représentations auront lieu pendant la saison 1866/67. L’œuvre remaniée en 1886 sera représentée 29 fois. Les autres grands théâtres de province reprendront aussi abondamment cet opéra-comique.
15 Johann Friedrich Schink, Schakespear in der Klemme oder Wir wollen doch auch den Hamlet spielen. Ein Vorbereitungsspiel zur Vorstellung des Hamlets durch Kinder von Schink, aufgeführt im k. k. Kärntnerthor Theater, Wien, Gerold, 1781. Réédition in Gerhard Müller-Schwefe (éd.), Shakespeare im Narrenhaus. Deutschsprachige Shakespeare-Parodien aus zwei Jahrhunderten, Tübingen, Francke, 1990, p. 125-134.
16 Shakespear Theatralische Werke. Aus dem Englischen übersetzt von Herrn Christoph Martin Wieland, 8 vols, Zürich, Orell, Geßner, 1762-1766 et William Shakespear’s Schauspiele, Neue Ausgabe, Von Johann Joachim Eschenburg, 13 vols. Zürich, Orell, Geßner, Füeßlin, 1775-1782.
17 Valérie Courel, « Ombres de Shakespeare dans le théâtre germanophone du XVIIIe siècle », Shakespeare vu d’Allemagne et de France des Lumières au Romantisme (Revue germanique internationale, vol. 5), Paris, CNRS, 2007, p. 223-240.
18 Alexandre Duval, « Shakespeare amoureux, ou La pièce à l’étude, comédie en un acte et en prose, Représentée pour la première fois le 1 janvier 1804 », in Œuvres complètes d’Alexandre Duval, membre de l’Institut (Académie Française), 9 vol., Paris, Chasseriau, 1822-1823, vol. 5, 1822, p. 169-204.
19 Paul Franssen, « Shakespeare in Love, 1804; or, Conquering the Continent with William » in Cahiers Charles V, n° 45, 2008, p. 211-230.
20 Acte I, scène XI, p. 28-29 cité à partir de Joseph Bernard Rosier, Adolphe De Leuven, Le Songe d’une nuit d’été, opéra-comique en trois actes, op. cit. note 10 : « ÉLISABETH : Je connais tous les détails de ta vie. SHAKSPEARE : Eh bien ! Je n’ai pas cette prétention-là, moi, car j’ai oublié bien des choses. ÉLISABETH : Tu te nommes William Shakspeare…Ta ville natale est Stratford, dans le comté de Warwick. SHAKSPEARE : Oui, et je me rappelle avoir, dans ma première enfance, gardé les troupeaux dans de vastes solitudes, sur le penchant des montagnes, au milieu des silencieuses majestés de la nature, seul, la nuit, sous les étoiles du ciel… Ce fut là le temps le plus rêveur, le plus fécond peut-être, et, assurément, le plus heureux de ma vie ! ÉLISABETH : Tu t’es marié à dix-huit ans avec une femme qui en avait vingt-six. SHAKSPEARE soupirant: Oh ! ce détail-là, je ne l’oublierai jamais ! ÉLISABETH : Deux ans après, tu perdis ta femme. SHAKSPEARE : Les dieux nous font un devoir de nous souvenir de leurs bienfaits. (Souriant.) Je n’oublierai jamais cela non plus. ÉLISABETH : Dès lors, tu menas une vie vagabonde… SHAKSPEARE : C’est vrai ! ÉLISABETH : Pauvre et malade, tu te rendis à Londres, où tu devins souffleur, puis acteur, puis auteur. SHAKSPEARE, étonné: Qui es-tu donc, pour connaître ainsi mon passé ? »
21 Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte I, scène II, p. 5.
22 Idem, Acte I, scène VI, p. 18.
23 Idem, Acte I, scène XI, p. 29-30
24 « ÉLISABETH : Toutes les femmes se ressemblent-elles ? SHAKSPEARE : Oui, comme toutes les gloires, comme tous les amis… les femmes trahissent, la gloire abuse, les amis trompent… Une seule chose, dans le monde, donne ce qu’elle promet. ÉLISABETH : Et c’est ? SHAKSPEARE désignant la bouteille: La voici! (Il boit) ÉLISABETH : Assez, Shakspeare, assez, je t’en supplie ! Déjà tes yeux se troublent, tes pas chancellent. », idem, Acte I, scène XI, p. 30.
25 Idem, Acte I, scène IV, p. 9.
26 Idem, Acte I, scène XI, p. 32.
27 Citons par exemple pour la France les deux tragédies intitulées Le Comte d’Essex de Thomas Corneille et de Claude Boyer (jouées à quelques semaines d’intervalle en 1678). La première, ayant remporté le plus grand succès (281 reprises à l’Hôtel de Bourgogne), fait l’objet d’un commentaire de Lessing dans sa Dramaturgie de Hambourg (morceau 22) ; pour l’Allemagne, il s’agit de la tragédie Marie Stuart de Friedrich Schiller (1800).
28 Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte II, scène VII, p. 45-46.
29 Idem, Acte II, scène VII, p. 46-47.
30 Idem, Acte II, scène VII, p. 47-48.
31 Idem, Acte II, scène VII, p. 48.
32 En particulier dans les scènes 1 et 2 de l’acte III.
33 Idem, Acte III, scène VIII, p. 68.
34 Idem, Acte III, scène XI, p. 71.
35 Idem, Acte III, scène XII, p. 72-73.
36 Idem, Acte III, scène XII, p. 73-74.
37 Idem, Acte III, scène XIII, p. 74-75.
38 Termes que nous devons respectivement à George Bernard Shaw (1856-1950) et à Christian Dietrich Grabbe (1801-1836) pour désigner l’engouement dont Shakespeare fait alors l’objet.
39 Paul Meurice, Falstaff; en collaboration avec Auguste Vacquerie; Théâtre de l’Odéon, 2 Octobre 1842, in Paul Meurice, Théâtre: Hamlet - Falstaff - Paroles d’après Shakespeare. Paris, Pagnerre, 1864, p. 145-254. Recension de Théophile Gautier, Feuilleton de La Presse, 5 Octobre 1842: Odéon: Le Falstaff de Shakespeare, par MM. Va[c]querie et Meurice, in La Presse, Paris, 5 octobre 1842, p. 1-2.
40 Voir à ce propos « Romantic legacy: the ‘Shakespeare-stage’ » in Simon Williams, Shakespeare on the German Stage, vol. 1: 1586-1914, Cambridge, CUP, 1990, p. 172-194, en particulier p. 183-185.
41 Parmi ces quatre œuvres, l’une est française, deux sont allemandes et une autre est en italien, mais a été écrite pour une scène viennoise. Falstaff entre ainsi pour la première fois en scène à Paris le 7 septembre 1761 à la Comédie-Italienne, dans un opéra comique en trois actes intitulé Le vieux coquet, ou les deux amies du compositeur Papavoine, œuvre n’ayant connu encore qu’un succès très limité. En Allemagne, le livret de Georg Christian Römer édité en 1792 sera mis en musique d’abord par le compositeur Peter Ritter, pour ce qui ne s’appelle pas encore en Allemagne un opéra mais un Singspiel (une « pièce chantée ») en quatre actes Die lustigen Weiber, joué au Théâtre national de Mannheim le 24 novembre 1794. Le second sera composé par Carl Ditters von Dittersdorf, Die lustigen Weiber von Windsor und der dicke Hanns, joué au Théâtre de la Cour d’Oels en Silésie (aujourd’hui Oleśnica en Pologne) le 25 juin 1797.
42 Carlo Prospero Defranceschi, Antonio Salieri, Falstaff, osia Le tre burle: dramma giocoso per musica in due atti; (soggetto inglese); da rappresentarsi negl’imperiali regj teatri di corte l’anno 1798; (la poesia è del Sig[nor] Carlo Prospero Defranceschi, candidato di giurisprudenza; la musica è del Sig[nor] Antonio Salieri, primo Maestro di Cappella della Corte Imperiale), Vienne, Schmidt, 1798.
43 Carl Alexander Herklots, Antonio Salieri, Arien und Gesänge zu dem komischen Singspiel: Falstaff in zwey Aufzügen; nach dem Italiänischen von C. Herklots, die Musik von Salieri, Berlin [S. n.], 1799.
44 Felice Romani, Saverio Mercadante, La gioventù di Enrico V.: melodramma in quattro parti di Felice Romani; da rappresentarsi nell’Imp[eriale] Regio Teatro alla Scala l’autunno 1834, musica nuova del Maestro signor Saverio Mercadante, Milan, Pirola, 1834.
45 Hermann Salomon Mosenthal, Otto Nicolai, Die lustigen Weiber von Windsor: komisch-phantastische Oper in drei Akten, mit Tanz, nach Shakespeare’s gleichnamigem Lustspiel gedichtet von H. S. Mosenthal; Musik von Otto Nicolai, Königlich Preußischer Kapellmeister; zum ersten Male aufgeführt im Königlichen Opernhause zu Berlin, am 9. März 1849, Berlin, Litfaß (Bloch), 1849.
46 Il sera joué en France en 1864 à Bordeaux et en 1866 sur la scène du Théâtre Lyrique dans une adaptation de Jules Barbier, sous le titre Les joyeuses commères de Windsor (Jules Barbier, Otto Nicolai, Les joyeuses commères de Windsor: opéra comique en trois actes par Jules Barbier; musique de O. Nicolai, représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre-Lyrique-Impérial, le 25 mai 1866, Paris, Lévy, 1866. Entre temps, le Falstaff d’Adolphe Adam joué au Théâtre Lyrique le 18 janvier 1856, sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint Georges, ne connaitra pas non plus un succès durable.
47 Arrigo Boito, Giuseppe Verdi, Falstaff: commedia lirica in tre atti di Arrigo Boito; musica di Giuseppe Verdi; Teatro alla Scala, stagione 1892-93; impresa Piontelli & C., Milan, Rome, Naples, Palerme, Paris, Londres, Ricordi, 1893. Joué le 9 février 1893 à la Scala de Milan avec le baryton français Victor Maurel dans le rôle principal, puis dans de grandes villes italiennes, ainsi qu’à Vienne et Berlin, le Falstaff de Verdi sera représenté le 18 avril 1894 à Paris à l’Opéra-Comique, dans une version française de Paul Solanges.
48 Gary Schmidgall, “Several fat knights”, in Gary Schmidgall, Shakespeare & opera, New York, Oxford, Oxford University Press, 1990, p. 321-330.
49 Louis Palianti, Le Songe d’une nuit d’été; opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Rosier et De Leuven, musique de M. Ambroise Thomas, représenté, pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de l’Opéra-Comique, le 20 avril 1850. Indications générales sur la Mise en Scène, par M. L. Palianti, Paris, Brière, s. d. 1850: « FALSTAFF. Très-gros, très-puissant, très-réjoui personnage. Type anglais. − Barbe légère, collier, moustaches, royale, chevelure claire tirant un peu sur le rouge [suit une description détaillée du costume] », p. 15.
50 Joseph Bernard Rosier et Adolphe de Leuven, op. cit., Acte I, scène I, p. 2.
51 Idem, Acte I, scène V, p. 16.
52 Idem, Acte I, scène III, p. 5-6.
53 Idem, Acte I, scène V, p. 15.
54 Idem, Acte I, scène VII, p. 23
55 Idem, Acte II, scènes III et IV.
56 Idem, Acte III, scène X.
57 Nous reprenons ici une expression inspirée du titre de la pièce de Luigi Pirandello Six personnages en quête d’auteur (1921) pour évoquer l’aspiration de Falstaff à devenir « héros de comédie » dans une pièce de Shakespeare.
58 William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été, réplique d’Oberon à l’acte II, scène 2.
59 Luigi Zanetti, Il sogno d’una notte d’estate; opera comica in tre atti; parole di Rosier e De Leuven; versione italiana di Luigi Zanetti; musica di Ambrogio Thomas, Milan, Florence, Rome, Naples, Londres, Ricordi, s. d. 1865.
60 Voir Karl Gollmick, Der Sommernachtstraum. Komische Oper in drei Akten. Nach dem Französischen des Rosier und de Leuven von Karl Gollmick. Musik von Ambroise Thomas, Mayence, Schott, 1850; Karl Gollmick, Eine Sommernacht. Komische Oper in drei Akten. Nach dem Französischen des Rosier und de Leuven von Karl Gollmick. Musik von Ambroise Thomas, Mitglied der Academie der Künste und Wissenschaften, Vienne, Pichler, 1854 et Karl Gollmick, Der Traum einer Sommernacht oder Königin und Dichter. Romantisch-komische Oper in drei Aufzügen. Nach dem Französischen von Rosier und de Leuven von Karl Gollmick. Musik von Ambroise Thomas, Weimar, Hof-Buchdruckerei, 1858.
61 Hermann Meinhardt, Der Sommernachtstraum. Komische Oper in drei Akten, nach dem Französischen von Hermann Meinhardt. Musik von Ambroise Thomas, Berlin, Litfaß, 1854.
62 L’opéra d’Otto Nicolai (1810-1849) Les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor) (livret de Salomon Hermann Mosenthal d’après William Shakespeare), fut joué pour la première fois le 9 mars 1849 à l’Opéra Royal de Berlin (Königliches Opernhaus), avec un succès jamais démenti depuis dans l’espace germanophone.
63 The Spirit of the Times, 26 juin 1852, p. 228. Cité d’après Vera Brodsky Lawrence, Strong on Music. The New York Music Scene in the Days of George Templeton Strong. Volume II: Reverberations, 1850-1856. Chicago, London: University of Chicago Press, 1995, p. 318.
64 Giuseppe Sesto Giannini, La gioventù di Shakspeare; commedia lirica in tre atti tratta dal francese da rappresentarsi nel Teatro Nuov (la poesia è di Giuseppe Sesto-Giannini; la musica è del Maestro Giuseppe Lillo), Naples, Flautina, 1851.
65 Patricio de la Escosura, Joaquín Romualdo Gaztambide y Garbayo, El sueño de una noche de verano; opera comica en tres actos; escrita en frances por los Señores Rosier y De Leuveu (sic), libremente traducita al castellano por Don Patricio de la Escosura, y puesta en música por el maestro Don Joaquín Romualdo Gastambide; representada por primera vez en el Teatro del Circo en Febrero de 1852, 2e édition, Madrid, Muñoz, 1853.
66 Giovanni Casati, Shakespeare ovvero Il sogno d’una notte d’estate; ballo in tre parti di Giovanni Casati da prodursi sulle scene dell’ Imperiale Regio Teatro alla Scala il Carnovale, 1855 (la musica di questo ballo è scritta espressamente dal maestro Paolo Giorza), Milan, Ripamonti Carpano, 1855.
67 Salvatore Taglioni, Gustave Carey, Shakespeare ovvero Il sogno di una notte d’estate; ballo in quattro parti di Giovanni Casati riprodotto dai signori Salvatore Taglioni e Gustavo Carey pel Real Teatro San Carlo (la musica è la stessa che fu scritta dal maestro Paolo Giorza, per Genova), Naples, Flautina, 1855.
68 Ambroise Thomas composera aussi un ballet fantastique La Tempête (1889), dont le livret de Jules Barbier s’inspire très librement de la comédie shakespearienne éponyme, supprimant en particulier la figure de Prospero pour focaliser l’action sur le couple Miranda-Ferdinand. Il sera présenté 31 fois sur la scène de l’Opéra sur une chorégraphie de Joseph Hansen.
69 Voltaire, « Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne » (préface de Sémiramis, 1748). Texte accessible en ligne http://www.theatre-classique.fr/pages/programmes/edition.php?t=../documents/VOLTAIRE_SEMIRAMIS.xml, consulté le 16 janvier 2017.
70 Voir à ce propos l’article de Michèle Willems, « L’excès face au bon goût : la réception de Gilles-Shakespeare de Voltaire à Hugo », Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 25 | 2007, 224-237. Version accessible en ligne à l'adresse http://shakespeare.revues.org/1032, consultée le 16 janvier 2017.
71 Les Contes d’Hoffmann, drame fantastique en cinq actes de J. Barbier et M. Carré, a été joué au Théâtre de l’Odéon le 21 mars 1851. Il servira plus tard de fondement au livret de Jules Barbier pour l’opéra fantastique de Jacques Offenbach Les contes d’Hoffmann (joué pour la première fois à l’Opéra Comique en février 1881).
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Pour citer cet article
Référence électronique
Valérie Courel, « Un poète, une muse, un Falstaff : Le Songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas ou Shakespeare devenu personnage du théâtre lyrique romantique », Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 35 | 2017, mis en ligne le 29 mai 2017, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/3917 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.3917
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