La Langue de Shakespeare, l’accent de Tony Harrison : Quand matter rime avec water
Résumés
Dans son poème « Them & [uz] », Tony Harrison, poète né à Leeds en 1937, se remémore les critiques et moqueries que lui adressaient ses professeurs à cause de son accent du Nord de l’Angleterre, à la prononciation éloignée des normes cultivées (« RP »). Harrison se trouvait ainsi cantonné aux rôles comiques dans les représentations des pièces de Shakespeare auxquelles il participait, jugé incapable de rendre justice à la beauté des vers du barde national. En partant de la révolte phonétique de Harrison contre la « dictature » RP, cet article met en parallèle son éloignement géographique d’une langue policée et la distance temporelle qui nous sépare de la langue élisabéthaine afin de réévaluer le statut de Shakespeare en tant qu’icône de l’anglicité bien-éduquée. Prononcer Shakespeare avec l’accent du Nord permettra ainsi de s’interroger sur le statut des prononciations régionales à l’époque élisabéthaine et de repenser la différence entre culture élevée et culture populaire.
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- 1 Publié dans The School of Eloquence (1981), puis Selected Poems, Londres, Penguin Books, 1984, (...)
1Dans son poème « Them & [uz]1 », Tony Harrison se remémore les humiliations subies pendant ses années d’école à cause de son accent local, qu’il oppose à la norme imposée par ses professeurs, « received pronunciation » (RP). Fils de boulanger né à Leeds (Yorkshire) en 1937, Tony Harrison a fréquenté une grammar school avant d’entrer à l’Université où il a fait des études classiques. Dès le titre du poème, la rencontre entre des enjeux sociaux et linguistiques apparaît clairement : la confrontation de deux groupes géographiques, qui sont aussi deux classes sociales opposées, s’exprime graphiquement dans l’écriture phonétique du pronom de la première personne du pluriel, prononcé [ʌs] en anglais RP mais [uz] dans le Nord. Ce pronom de l’appartenance, de la revendication d’une identité collective, n’est jamais écrit autrement dans le poème qu’en symboles phonétiques, afin d’établir une équation entre facteurs géographiques, phonétiques et socioculturels.
- 2 William Shakespeare, The Tragedy of Macbeth, ii.iii.26-28, éd. Stephen Greenblatt, Walter Cohen (...)
2L’opposition entre l’anglais RP et le parler de Leeds se manifeste à travers des exemples concrets de récitation, à commencer par le célèbre poème de Keats, « Ode to a Nightingale » ; dit par Tony Harrison, celui-ci ne commence pas par « My heart aches », mais par « mi ’art aches » (vers 3), où l’on entend deux autres caractéristiques de la prononciation septentrionale, la modification de l’adjectif possessif, prononcé comme le pronom à l’accusatif « me », et la substitution des h- aspirés par des h- muets. Cette faute phonétique condamne le jeune Tony Harrison à devoir se contenter des rôles comiques secondaires dans les mises en scène des pièces de Shakespeare auxquelles il participe : « I played the Drunken Porter in Macbeth » (vers 6). L’équation s’enrichit alors d’un nouveau terme, le facteur générique. En effet, l’accent de Tony Harrison ne lui vaut pas simplement d’être cantonné à des rôles subalternes, mais le fait basculer irrémédiablement dans la comédie. Dans la scène de Macbeth évoquée, située à l’acte ii, immédiatement après le meurtre de Duncan, le portier détaille pour Macduff et Lennox les effets de la consommation excessive d’alcool sur les performances sexuelles : « Lechery, sir, it provokes and unprovokes: it provokes the desire but it takes away the performance »2. Voici donc la double équation complète : d’une part, RP = la norme d’élégance = le vrai Shakespeare = vers = tragédie ; d’autre part, l’accent du Nord, non-RP = une déviation grossière = pas le vrai Shakespeare = prose = comédie.
3Tony Harrison modifie cette double équation, dont il redistribue les termes, en revendiquant pour l’accent du Nord le droit à dire le vers, gage d’un statut supérieur, et en écrivant lui-même des vers, rimés de surcroît. Après avoir dû se remplir la bouche de galets comme l’apprenti orateur bègue Démosthène, afin de cesser d’être une figure comique aux yeux de ses instructeurs, l’élève de Leeds choisit de placer sur le même plan son anglais régional et la littérature classique, mettant côte à côte dans le premier vers l’expression grecque de la déploration et le ay septentrional d’affirmation (vers 1-2). Ce raccourci temporel ajoute une nouvelle donnée à notre équation multiple : si le fondateur de l’art oratoire grec partage certains traits phonétiques avec le fils de boulanger de Leeds, où se situe alors le fils de gantier des Midlands devenu trésor national culturo-linguistique dans cette équation modifiée ?
- 3 Dans « Resolution and Independence » (1802, publié en 1807 dans Poems in Two Volumes), on lit : (...)
- 4 William Shakespeare, The Tragedy of King Lear in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histories, (...)
4C’est peut-être un troisième poète, lui aussi marqué par son identité régionale, Wordsworth, qui peut fournir un début de réponse. Comme en écho au Keats cockney qui n’aurait peut-être pas prononcé le premier vers de son ode conformément aux normes RP, la figure du poète des lacs vient donner sa caution au trait phonétique déterminant du clivage Nord/Sud, le « flat a », validé par sa présence à la rime : « matter/water are full rhymes » (vers 29). Je n’ai pas retrouvé dans les œuvres de Wordsworth cette rime, mais une autre approchante, entre « chatters » et « waters3 ». La rime matter/water est en revanche bien présente chez le barde de Stratford en plusieurs endroits et notamment dans la prophétie du Fou, à l’acte iii, scène ii de King Lear : « When Priests are more in word, then matter; / When Brewers marre their Malt with water4 ». La double présence, manifeste et cachée, de la langue de Shakespeare dans le poème de Tony Harrison, a déclenché en moi une rêverie dont cet article est la condensation : que se passerait-il si l’on se mettait à prononcer tout Shakespeare, prose et vers, comédie et tragédie, avec l’accent de Tony Harrison ?
5Je commencerai par m’intéresser à l’équation phonético-sociale établie par les détenteurs de RP et relayée par Tony Harrison afin de me demander quel rôle joue la prononciation comme indice géographique et social dans les pièces de Shakespeare. J’étudierai ensuite la possibilité de modeler une nouvelle diction shakespearienne sur les spécificités phonétiques du Nord de l’Angleterre.
Shakespeare dans l’équation phonético-socio-générique
6D’après les professeurs dont Tony Harrison se fait le ventriloque dans « Them& [uz] », un accent régional marqué est nécessairement associé à l’irruption de la comédie dans la tragédie : « You’re one of those / Shakespeare gives the comic bits to » (vers 7-8). La déviance d’accent par rapport à la norme est en réalité rare chez Shakespeare, et pas nécessairement associée à la comédie, ainsi qu’en témoigne l’exemple du parler méridional adopté par Edgar face à Oswald dans King Lear. Cet accent du Sud-Ouest, considéré comme le plus étranger des accents anglais par les auteurs de la Renaissance, a pour caractéristiques de transformer /f/ en /v/ et /s/ en /z/ et d’utiliser comme pronom de la première personne du singulier la forme ich :
Edgar. Chill not let go, Zir,
Without vurther ’casion.
Steward. Let go Slaue, or thou dy’st.
Edgar. Good gentleman goe your gate, and let poore volke passe: and ’chud ha’ bin zwaggerd out of my life, ’twould not ha’ bin zo long as ’tis, by a vortnight. Nay, come not neereth’ old man: keepe out chevor’ye, or ice try whether your Costard, or my Ballow be the harder; chill be plaine with you.
Steward. Out Dunghill.
- 6 Voir Andrew Boorde, The first and best part of Scoggins iests full of witty mirth and pleasant (...)
- 7 Paula Blank, Broken English. Dialects and the Politics of Language in Renaissance Writings, Lon (...)
7À la différence des jest books ou des pièces de ses contemporains comme Ben Jonson6, cet unique exemple de parler régional n’a pas été introduit par Shakespeare pour susciter le rire : la situation ne s’y prêterait guère, puisqu’il s’agit pour Edgar de protéger son père contre Oswald. Paula Blank, qui fait référence aux analyses de M. de Grazia, A. Patterson et J. Dollimore sur les enjeux sociaux de ce passage, interprète le changement d’accent comme le signe d’un changement d’identité, Edgar devenant pour quelques lignes une figure du peuple : « Edgar’s (temporary) social descent makes it possible for the play to make good on the promise of political reform, and without any threat to the old system of aristocratic privilege7 ».
- 8 Voir Blank, op. cit., p. 100 sqq. Blank, qui mentionne notamment le Shepheardes Calender d’Edmu (...)
8De cet hapax phonétique, deux points sont à retenir : 1°) lorsque Shakespeare veut évoquer un parler populaire, c’est l’accent du Sud qu’il transcrit, et non celui du Nord, certes associé lui aussi au provincialisme, mais également considéré par certains comme un anglais plus pur, plus authentique parce que plus archaïque (moins marqué par l’influence latine et normande8) ; 2°) Shakespeare n’utilise qu’exceptionnellement les accents régionaux anglais, et sans visée comique évidente. Il en va autrement pour les autres accents britanniques, à savoir le gallois, l’écossais et l’irlandais.
9Le Pays de Galles, officiellement (et linguistiquement) annexé à l’Angleterre en 1536, compte plusieurs ressortissants parmi les personnages shakespeariens. Leur accent est ridiculisé principalement à cause de ses inversions consonantiques entre sourdes et sonores : en position initiale, /b/ devient /p/, /d/ devient /t/, /g/ devient /k/ ; en position médiane ou finale, c’est l’inverse ; dans tous les cas /v/ devient /f/ et /z/ devient /s/ ; s’ajoute une confusion entre /ʃ/, /tʃ/ et /dʒ/, prononcés soit /s/, soit /ʃ/. Le cas de Sir Hugh Evans, le pédant de The Merry Wives of Windsor, appartient indiscutablement à la comédie :
- 9 William Shakespeare, The Merry Wives of Windsor, iii.i, in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, (...)
Hugh Evans. ’Plesse my soule: how full of Chollors I am, and trempling of minde: I shall be glad if he haue deceiued me: how melancholies I am? I will knog his Vrinalls about his knaues costard, when I haue good opportunities for the orke. ’Plesse my soul9:
- 10 Je remercie Mylène Lacroix de m’avoir donné accès à sa communication sur « La traduction de l’i (...)
- 11 William Shakespeare, The Life of Henry the Fifth, in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histor (...)
10La situation est bien moins claire dans Henry V, où les représentants des nations de ce qui n’était pas encore le Royaume-Uni illustrent les particularismes phonétiques locaux du Pays de Galles, mais aussi de l’Écosse et de l’Irlande10. À l’acte iii, scène iii de Henry V, Fluellen le Gallois accueille sur scène Macmorris l’Irlandais et Jamy l’Écossais (ces deux derniers personnages figurant uniquement dans la version de l’in-folio de 1623 et pas dans le texte de l’in-quarto). Les trois hommes ne sont ensuite plus mentionnés que par leur nationalité. Alors que tous s’accordent sur la nécessité d’agir sans atermoiements, chacun retarde l’action en critiquant les autres, en déplorant la conduite des affaires passées, ou en tentant d’exhorter au combat – en présence d’un Anglais affligé qui essaie de maintenir la concorde. Fluellen, confirmant la propension de ses compatriotes à jurer, s’exclame à plusieurs reprises : « by Cheshu », transformant /dʒ/ et /z/ en /ʃ/ ; il confond également /p/ et /b/ (« by Cheshu, I think a’ will plow up all ») ainsi que /v/ et /f / (« Captain Jamy is a marvellous falourous gentleman »)11. L’Irlandais est lui aussi affligé d’un chuintement excessif qui fait des /s/ des /ʃ/ :
- 12 Ibid.
Macmorris. By Chrish Law tish ill done: the Worke ish giue ouer, the Trompet sound the Retreat. By my Hand I swear, and my fathers Soule, the Work ish illdone: it ish giue over: I would haue blowed vp the towne, so Chrish saue me law, in an houre. O, tish ill done, tish ill done: by my Hand tish ill done12.
11Quant à l’Écossais, il substitue la voyelle /a/ au /e/ et au /o/, long ou court, tandis que le son /u/ est prononcé « à la française », c’est-à-dire /y/, ainsi que le signale la graphie « u » ou « ue » :
- 13 Ibid. Ces prononciations sont conformes aux constatations de Richard Verstegan, qui compare en (...)
Jamy. It sall be vary gud, gud feith, gud captains bath: and I sall quit you with gud leve, as I may pick occasion; thats all I, marry. […] By the mess, ere theise eyes of mine take themselves to slomber, ay’ll de gud service, or ay’ll lig i’ the grund for it; ay, or go to death; and ay’ll pay ’t as valourously as I may, thats all I suerly do, that is the breff and the long13.
- 14 Stephen Greenblatt, Shakespearean Negotiations. The Circulation of Social Energy in Renaissance (...)
- 15 Jonathan Dollimore et Alan Sinfield, « History and ideology: the instance of Henry V », in éd. (...)
12Parce qu’ils prononcent des mots anglais avec un accent qui les identifie comme non-anglais, Fluellen, Macmorris et Jamy ont peut-être vocation à susciter le rire du public londonien ; ils incarnent surtout par la voix les dissensions au sein d’une entité géographique que le roi essaie de fédérer autour d’un ennemi continental commun. Pour Stephen Greenblatt, les répétitions de mots « mal » prononcés sont l’indice du triomphe de l’anglais sur les identités marginales, « prévisibles et automatiques14. » De même Jonathan Dollimore et Alan Sinfield parlent-ils à propos de l’accent gallois d’« asservissement (subservience) de la marge au centre15 ».
- 16 Shakespeare, Henry V, in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histories, & tragedies, Actus Quar (...)
- 17 On retrouve cette confusion comique (mais potentiellement dommageable) entre le physique et le (...)
- 18 Ibid., p. 89 [iv.vii.27-45, éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare].
13Or, la domination des langues marginales par l’anglais ne va pas de soi dans la pièce, ainsi que le prouve une scène plus tardive que l’on pourrait croire construite uniquement sur un comique d’accent. Tentant d’établir un parallèle entre Henry et Alexandre le Grand, Fluellen se trompe de mot et appelle le célèbre conquérant macédonien non pas « Alexander the Great », mais « Alexander the Big », ou plus exactement, avec son accent gallois, « the Pig ». À l’Anglais Gower qui tente de le corriger, Fluellen rétorque : « Why I pray you, is not pig, great? The pig, or the great, or the mighty, or the huge, or the magnanimous, are all one reckonings, saue the phrase is a little variations16. » Lorsqu’il échoue à prononcer correctement le nom du preux Alexandre, le traitant malgré lui de cochon sans se rendre compte de la portée de sa double erreur, Fluellen semble faire la preuve de son incapacité à s’élever au niveau du grand conquérant, dont il ne parvient pas à apprécier la grandeur symbolique, great, mighty, magnanimous, réduite par lui à la grandeur physique : big, huge17. Mais se pourrait-il qu’en assimilant Alexandre à un cochon, en comparant les meneurs d’hommes à des animaux, Fluellen atteigne la dignité du conquérant ? La prononciation comique viendrait alors renforcer la critique de l’attitude de Henry vis-à-vis de Falstaff que Gower et le spectateur ne peuvent manquer de percevoir quand Fluellen compare l’assassinat de Clitus perpétré par son ami Alexandre au reniement de Falstaff par Henry18.
14Si la comédie repose sur la prononciation erronée de certains mots pouvant prêter à contresens, comme dans cet exemple ou dans la leçon d’anglais de la princesse Catherine (leçon que Bowdler avait supprimée de son Family Shakspear), elle n’est pas détachée de l’intrigue principale. Fluellen, Macmorris et Jamy ne sont présents sur scène, et donc ne font sourire à cause de leur accent, que parce que la pièce est centrée sur la naissance d’une entité britannique, enjeu encore plus vif à l’époque de Shakespeare qu’au temps de Henry V. L’accent introduit une dissonance dans le système phonétique « neutre » des pièces de Shakespeare, un décalage par rapport au discours normatif – dans les deux cas étudiés, qu’il s’agisse de l’accent affecté d’Edgar ou de l’accent « naturel » des soldats non-anglais, ce décalage signale le surgissement d’une individualité (politique ou sociale), d’une singularité allant de pair avec l’idiosyncrasie phonétique.
15L’équation qui assimile traits phonétiques géographiques et sociaux semble donc valable pour Shakespeare, à condition de s’abstenir de porter un jugement de valeur lorsque l’on ajoute l’élément générique, la comédie. La révolte de Tony Harrison contre les normes génériques associées aux règles phonétiques de prononciation RP nous a conduits à rejeter le primat culturel de la tragédie en vers sur la comédie en prose, à refuser de déclarer comme seule authentique la première, au détriment de la seconde. Il faut alors réévaluer la série d’équivalences qui ferait de la comédie, nécessairement en prose, le simple signe d’un manque de raffinement – ce manque de raffinement qui avait valu à Tony Harrison de se faire traiter de « barbare », c’est-à-dire d’étranger incapable d’articuler les sons de la langue de référence car n’appartenant pas à l’entité géographique de référence, donc exclu de la classe sociale dominante. Or, les traits phonétiques qui identifient Tony Harrison comme un locuteur fautif de l’anglais RP sont justement ceux que la prononciation septentrionale contemporaine a en commun avec la prononciation élisabéthaine. De barbare, Tony Harrison pourrait-il devenir guide dans la reconstitution de la prononciation shakespearienne ?
Une diction shakespearienne authentique : chimère sonore ?
- 19 Voir notamment J.C. Wells, Accents of English 2. The British Isles, Cambridge, CUP, 1986, 1996, (...)
- 20 Manfred Görlach, Introduction to Early Modern English, Cambridge, CUP, 1978, 1991, p. 72.
- 21 Voir Roger Lass, « Phonology and morphology », in éd. Roger Lass, Cambridge History of the Engl (...)
16Tony Harrison fait explicitement référence à deux sons vocaliques pour lesquels la prononciation septentrionale diffère de la norme RP : [u] face à [ʌ] en RP ; [a] face au [ɑ:] RP. Conformément à ce que l’on entend dans « Them & [uz] », trap et bath se prononcent de la même façon dans le Yorkshire, avec un [a] bref, et strut rime avec foot19. Si l’on suit l’évolution de ces voyelles depuis le moyen anglais, on constate : 1°) que l’allongement du /a/ et parfois du /ɔ/ brefs devant [s, f, θ] n’intervient pas avant la fin du xviie siècle20 ; les contemporains de Shakespeare disaient donc [baθ] ; 2°) que l’on trouve les premières mentions d’une prononciation [ʌ] pour la voyelle brève « u » dans les années 164021. Le /o:/ du moyen anglais étant déjà devenu [u:], seule la quantité, fluctuante pour cette voyelle à l’époque élisabéthaine, distinguait foot de strut.
- 22 Oxford English Dictionary, s. v. love (version en ligne, 31 mai 2013).
- 23 Thomas Smith, De recta et emendata linguae anglicae scriptione dialogus, Paris, Robert Estienne (...)
- 24 Voir Fausto Cercignani, Shakespeare’s Works and Elizabethan Pronunciation, Oxford, Clarendon Pr (...)
- 25 William Shakespeare, Venus and Adonis, éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare.
17Commençons par cette dernière particularité. Bien qu’orthographié L-O-V-E, le mot « love » vient du vieil anglais lufu au /u/ bref22. À l’époque élisabéthaine, le réformateur de l’orthographe Thomas Smith lui attribue un [u:], de même que le pédagogue Richard Mulcaster, pour qui love et remove ont la même voyelle, dont la quantité reste indéterminée23. Cette rime est fréquente chez Shakespeare24, puisqu’on la trouve dans As You Like It (iv.iii.54-55), The Comedy of Errors (iv.ii.13-14), A Midsummer Night’s Dream (i.i.196-197), Twelfth Night (ii.v.107-109), ou encore les Sonnets (47.9-11) et Venus and Adonis. Arrêtons-nous sur ce poème, où les occurrences de la rime entre la voyelle brève /u/ du moyen anglais, peut-être allongée, et la voyelle /o:/ longue du moyen anglais devenue /u:/ après le changement vocalique, sont nombreuses. Les rimes entre « love » et « prove » (38-40, 595-597, 608-610 [proved/loved]), ou bien « remove » (79-81, 185-186, « move » en 433-435) ou « reprove » (787-789), cessent d’être des rimes pour l’œil si l’on considère que c’est le son [u] que l’on entend partout. L’unité phonétique, et non seulement graphique, permet de renforcer le contraste entre les promesses d’amour de Vénus et la réticence d’Adonis, quand « love » rime d’une part avec « prove » (dans le sens d’essayer) et de l’autre avec « reprove » : « ‘What have you urged that I cannot reprove? / […] / I hate not love, but your device in love’ », s’exclame Adonis (787-78925).
- 26 Charles Barber, Early Modern English, Londres, André Deutsch, 1976, p. 311. D’après les recherc (...)
- 27 « ‘In him a plenitude of subtle matter, / Applied to cautels, all strange forms receives, / Of (...)
- 28 « Rosaline. O vain petitioner! beg a greater matter; / Thou now request’st but moonshine in the (...)
- 29 « ‘So Priam’s trust false Sinon’s tears doth flatter, / That he finds means to burn his Troy wi (...)
18Le mot « water » n’appartient pas à la classe des « bath-words » dont la prononciation du <a> détermine le clivage phonétique entre le Nord et le Sud puisque sa prononciation contemporaine n’est pas un [ɑ:] mais un [ɔ:] dans le Sud, et plutôt [ɔ] que [a] dans le Nord. Néanmoins, l’affirmation de Tony Harrison selon laquelle ce mot rime avec « matter », c’est-à-dire que sa voyelle est un [a] bref, est valable à l’époque élisabéthaine. D’après le linguiste Charles Barber, le son [a] bref ne s’est en effet arrondi à cause du <w> qu’à partir du xviie siècle26. Water et matter sont ainsi à la rime chez Shakespeare non seulement dans l’exemple de la prophétie du Fou citée précédemment, mais aussi dans A Lover’s Complaint (302-30427) et Love’s Labour’s Lost (v.ii.207-20828). Dans The Rape of Lucrece, « water » rime avec « flatter » (1560-156129). Or, dans ces deux derniers exemples, l’ironie est au premier plan, que Rosaline se moque des déclarations d’amour de son soupirant ou que Lucrèce constate que le triomphe des Grecs sur les Troyens a été permis par les larmes hypocrites de Sinon.
19Qu’il s’agisse de la rime en [u] ou en [a], les cas que l’on vient de passer en revue où la rime de Shakespeare diffère de la rime RP ont comme point commun de concentrer le sens sur un contraste, voire une antithèse ; est-ce à dire que ce sont des rimes forcées, voire des rimes pour l’œil en ce qui concerne les poèmes et des rimes volontairement inexactes en ce qui concerne les pièces ? Ce questionnement rejoint bien sûr celui du statut de Shakespeare comme norme du bon goût poétique. L’hésitation qui marque les rimes shakespeariennes qu’une prononciation élisabéthaine reconstituée permettrait de rendre parfaites nous renvoie à deux autres débats à la fois contemporains et renaissants : le lien entre ancienneté et authenticité, et la réforme de l’orthographe pour correspondre à la prononciation.
- 30 Helge Kökeritz, Shakespeare’s Pronunciation, New Haven, Yale University Press, 1953, p. 243.
- 31 Il y a dans le choix de considérer Shakespeare comme « notre contemporain » (d’après l’expressi (...)
20Le premier débat concerne à la fois les sons de Shakespeare et ceux de l’anglais du Nord contemporain. Certains phonéticiens, en minorité certes, affirment que l’anglais de Shakespeare est très proche par ses sonorités de l’anglais moderne. C’est le cas de Helge Kökeritz, qui va jusqu’à affirmer que les rimes impliquant « prove » et « love » sont des rimes pour l’œil chez Shakespeare, voire que c’est le son [ʌ], et non [u], qui se répète dans ces deux mots quelques années plus tard chez Ben Jonson30. La ligne de partage constituée par le changement vocalique amorcé au xve siècle marquerait la différence entre un anglais qui n’est plus immédiatement compréhensible, figé dans son antiquité en quelque sorte, et un anglais dans lequel on reconnaît facilement la langue telle qu’elle est parlée de nos jours31. Si on lit toujours Chaucer avec la prononciation du xive siècle et si on imprime toujours Chaucer avec l’orthographe du xive siècle, parmi les Élisabéthains il n’y a que Spenser (qui revendiquait sa diction archaïque et empruntait des idiotismes aux dialectes du Nord) dont la graphie ne soit pas modernisée dans les éditions récentes.
- 32 Smith, De recta et emendata linguae anglicaescriptionedialogus ; John Hart, An orthographie con (...)
- 33 Mulcaster, Elementarie, chap. XIIII, en particulier p. 96 et 99.
- 34 Sur cette question, on pourra se reporter à Rob Jackaman, Broken English/Breaking English. A St (...)
21Le débat sur la correspondance entre l’écrit et l’oral, entre la graphie et la prononciation, agitait les linguistes de la Renaissance anglaise. Si Thomas Smith, John Hart ou Alexander Gill élaborent des systèmes afin d’établir une adéquation entre la lettre et le son32, d’autres, comme Richard Mulcaster, se montrent sceptiques quant à la validité d’une telle démarche : les réformateurs n’auraient-ils pas tendance à imposer leur propre prononciation dans leurs transcriptions phonétiques, les donnant pour universelles33 ? Si chacun fait de même, on ne se comprendra plus, ni à l’oral, ni à l’écrit. Ce type d’écriture phonétique « personnelle », utilisant les lettres de l’alphabet latin, se retrouve dans « Them & [uz] » au côté de l’alphabet phonétique international pour représenter la prononciation fautive de « My heart aches ». Tony Harrison a recours à ce procédé dans plusieurs poèmes de la série « The School of Eloquence », à laquelle appartient « Them & [uz] » mais, à la différence de poètes extra-territoriaux qui écrivent phonétiquement leur anglais caribéen comme Linton Kwesi Johnson ou leur anglais de Glasgow comme Tom Leonard34, c’est toujours en italique et en contraste avec un texte majoritairement neutre.
- 35 On ne trouve pas dans le manifeste poético-phonétique que constitue « Them & [uz] » l’équivalen (...)
22Tony Harrison ne revendique pas une authenticité historique saxonne contre l’affectation RP héritée des influences étrangères : l’authenticité de sa prononciation est personnelle, invitant à l’émulation et non à l’imitation servile. S’il reconnaît en Wordsworth un « compatriote » septentrional, il se sent tout aussi proche de Keats le Londonien, qu’il imagine nécessairement cockney, ne prononçant pas plus que lui les « h » aspirés au début des mots. S’il y a bien une forme de solidarité entre locuteurs « non-RP » contre les « Receivers », celle-ci passe par la reconnaissance de leur différence commune et l’exaltation de leurs spécificités locales. La reconstitution d’une prononciation authentiquement shakespearienne, si elle peut apporter des éléments utiles à l’interprétation en identifiant précisément les jeux de mots, par exemple, et en les séparant de simples assonances, n’est au bout du compte qu’une chimère phonétique qui ne permet pas de s’approprier intimement les œuvres du poète et dramaturge35.
23Au terme de ce parcours géographico-socio-phonétique, je souhaiterais souligner deux enjeux. Le premier concerne le double statut controversé du Nord, à l’époque élisabéthaine et de nos jours. Plus archaïque parce que plus éloigné de la métropole économique et linguistique, serait-il pour autant plus authentique, comme certains contemporains de Shakespeare semblaient le penser, ou est-il simplement en retard, économiquement et linguistiquement, sur le reste (c’est-à-dire le Sud) du pays ? Lorsque nous-mêmes partons à la recherche d’un Shakespeare « authentique », faisons-nous preuve d’une forme de nostalgie conservatrice qui irait à l’encontre même de l’élan novateur de ce grand créateur et importateur de mots ?
24Le second découle de la sorte de pan-anti-RPisme (si je puis me permettre le néologisme) qui se dégage de « Them & [uz] ». Faire que chacun prononce Shakespeare avec son propre accent, l’accent de l’intime, de la famille, de l’émotion directe, est-ce faire de Shakespeare un auteur « populaire » ? Les réalisateurs de films ne se sentent plus obligés d’engager des répétiteurs d’accents pour leurs vedettes américaines, ainsi qu’en témoigne l’évolution depuis le Romeo and Juliet de George Cukor, sorti en 1936, l’année précédant la naissance de Tony Harrison, et le Romeo + Juliet de Baz Luhrmann, sorti 60 ans plus tard. Pour autant, universitaire érudit, traducteur polyglotte, Tony Harrison n’est pas un lad ordinaire. En outre, si le rapport à la poésie s’établit dans l’expérience physique de l’accent naturel, quel espoir pour les non anglophones de s’approprier Shakespeare de manière sensible, en passant par l’émotion des sons ? Si les locuteurs des marges géographiques, sociales et linguistiques de l’anglophonie peuvent revendiquer la réhabilitation de leur parler local, la seule prononciation « authentique » pour un locuteur non-natif semble être cette prononciation RP décriée pour son artificialité.
Notes
1 Publié dans The School of Eloquence (1981), puis Selected Poems, Londres, Penguin Books, 1984, 1987, 2013. Sur Tony Harrison, voir la thèse de Cécile Marshall, « Tony Harrison, trouble-fête de la poésie anglaise (poésie, politique et ironie dans l’œuvre de Tony Harrison) », Université Bordeaux 3, 2007 ; je remercie l’auteur de m’avoir donné accès à une version électronique de son travail avant sa publication prochaine.
2 William Shakespeare, The Tragedy of Macbeth, ii.iii.26-28, éd. Stephen Greenblatt, Walter Cohen, Jean E. Howard, Katharine Eisaman Maus, The Norton Shakespeare, Londres et New York, Norton, 1997.
3 Dans « Resolution and Independence » (1802, publié en 1807 dans Poems in Two Volumes), on lit : « The Jay makes answer as the Magpie chatters / And all the air is fill’d with pleasant noise of waters » (vers 6-7).
4 William Shakespeare, The Tragedy of King Lear in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histories, & tragedies Published according to the true originall copies, Londres, Isaac Jaggard et Edward Blount, 1623, STC (2e édition) 22273, iii.ii, p. 297 (ce passage ne figure pas dans l’in-quarto de 1608) [iii.ii.79-80, éd. Greenblatt et al, « conflated text », The Norton Shakespeare]. Pour toutes les références portant un numéro de catalogue STC (Short-Title Catalogue) ou Wing, accès via Early English Books Online, 31 mai 2013.
5 Ici et dans les citations suivantes, c’est moi qui souligne. Shakespeare, Lear, iv.v, p. 304 [« conflated text », éd. Greenblatt et al, iv.v.224-233]. Cf. la version de l’in-quarto de 1608, où la prononciation régionale est moins marquée dans la graphie :
Edg. Chill not let goe sir without cagion.
Stew. Let goe slaue, or thou diest.
Edg. Good Gentleman goe your gate, let poore voke passe, and chud haue beene swaggar'd out of my life, it would not haue beene so long by a fortnight, nay come not neare the old man, keepe out, cheuore ye, or ile trie whether your coster or my battero be the harder, ile be plaine with you.
Stew. Out dunghill.
[they fight].
Edg. Chill pick your teeth sir, come, no matter for your foyns.
William Shakespeare, M. William Shak-speare: his true chronicle historie of the life and death of King Lear and his three daughters With the vnfortunate life of Edgar, sonne and heire to the Earle of Gloster, and his sullen and assumed humor of Tom of Bedlam, Londres, Nathaniel Butter, 1608, STC (2e édition), 22292, Kr°.
6 Voir Andrew Boorde, The first and best part of Scoggins iests full of witty mirth and pleasant shifts, done by him in France, and other places: being a preseruatiue against melancholy, Londres, Francis Williams, 1626 ; Ben Jonson, Bartholomew Fair, 1614 (accents du Sud-Ouest, du Nord, irlandais), Pleasure Reconciled with Virtue et For the Honour of Wales (accent gallois), 1618.
7 Paula Blank, Broken English. Dialects and the Politics of Language in Renaissance Writings, Londres et New York, Routledge, 1996, p. 92. Voir Margreta de Grazia, « Shakespeare’s view of language », Shakespeare Quarterly 29 (1978), p. 374-388 ; Annabel Patterson, Shakespeare and the Popular Voice, Cambridge et Oxford, Blackwell, 1989, chap. 5 ; Jonathan Dollimore, Radical Tragedy: Religion, Ideology and Power in the Drama of Shakespeare and His Contemporaries, Brighton, HarvesterPress, 1984, chap. 12.
8 Voir Blank, op. cit., p. 100 sqq. Blank, qui mentionne notamment le Shepheardes Calender d’Edmund Spenser (1579), rappelle qu’à partir du milieu du seizième siècle sont souvent confondus les archaïsmes et les termes spécifiques au Nord de l’Angleterre (p. 106).
9 William Shakespeare, The Merry Wives of Windsor, iii.i, in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histories, & tragedies, p. 48 [éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare, iii.i.8-12, qui s’ouvre sur « Jeshu pless me »].
10 Je remercie Mylène Lacroix de m’avoir donné accès à sa communication sur « La traduction de l’irlandais, du gallois et de l’écossais dans 1 Henry IV et Henry V de Shakespeare » (colloque « La traduction des dialectes, patois, parlers populaires et langues régionales », 7-8 novembre 2012, Paris Ouest Nanterre).
11 William Shakespeare, The Life of Henry the Fifth, in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histories, & tragedies, Actus Secundus, p. 78, iii.iii.8-9 et 21, éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare.
12 Ibid.
13 Ibid. Ces prononciations sont conformes aux constatations de Richard Verstegan, qui compare en 1605 le londonien « I would eat more cheese if I had it » au nordique « Ay sud eat mare cheese gin ay hadet » et à l’occidental « Chud eat more cheese an chad it » (A restitution of decayed intelligence, Anvers, Robert Bruney, 1605, STC [2e édition] 21361, p. 195).
14 Stephen Greenblatt, Shakespearean Negotiations. The Circulation of Social Energy in Renaissance England, Oxford, Clarendon Press, 1988, 1999, p. 57 : « the rambling, repetitious quality of Shakespeare’s dialect speakers transforms speech that is potentially alien into something predictable and automatic, and therefore readily mastered by the English ».
15 Jonathan Dollimore et Alan Sinfield, « History and ideology: the instance of Henry V », in éd. John Drakakis, Alternative Shakespeares, Londres et New York, Routledge, 1985, 2002, 210-231, p. 224.
16 Shakespeare, Henry V, in Mr. VVilliam Shakespeares comedies, histories, & tragedies, Actus Quartus, p. 88 [iv.vii.9-15, éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare].
17 On retrouve cette confusion comique (mais potentiellement dommageable) entre le physique et le symbolique dans Love’s Labour’s Lost, avec la calamiteuse Parade des Neuf Preux. Voir v.ii.546-547 (« Costard. Pompey, surnamed the Big— / Dumaine. The Great ») et 676 : « Berowne. Greaterthan ‘Great’. Great, great, great Pompey! Pompey the huge! » (éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare).
18 Ibid., p. 89 [iv.vii.27-45, éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare].
19 Voir notamment J.C. Wells, Accents of English 2. The British Isles, Cambridge, CUP, 1986, 1996, chap. 4, p. 364 pour les voyelles de Leeds.
20 Manfred Görlach, Introduction to Early Modern English, Cambridge, CUP, 1978, 1991, p. 72.
21 Voir Roger Lass, « Phonology and morphology », in éd. Roger Lass, Cambridge History of the English Language, Volume 3, 1476-1776, Cambridge, CUP, 1999, p. 89, qui fait référence à Richard Hodges, A special help to orthographie: or, The true-writing of English. Consisting of such words as are alike in sound, and unlike both in their signification and writing: As also, of such words vvhich are so neer alike in sound, that they are sometimes taken one for another. Whereunto are added diverse orthographical observations, very needfull to be known, Londres, Richard Cotes, 1644, Wing (2e édition) H2313.
22 Oxford English Dictionary, s. v. love (version en ligne, 31 mai 2013).
23 Thomas Smith, De recta et emendata linguae anglicae scriptione dialogus, Paris, Robert Estienne, 1568, p. 36r° (« amor – lüv »), STC (2e édition) 22856.5 ; Richard Mulcaster, The first part of the elementary vvhich entreateth chefelie of the right writing of our English tung, Londres, Thomas Vautrollier, 1582, p. 116, STC (2e édition) 18250. Dans son dictionnaire de rimes (le premier en langue anglaise), Peter Levens fait rimer « mooue » et « looue » (Manipulus vocabulorum. A dictonarie of English and Latine wordes, Londres, John Waley, 1570, STC [2e édition] 15532). E.J. Dobson rappelle qu’il ne s’agit pas d’observations sur la prononciation courante mais de ce que Levens considérait comme « la prononciation idéale » (E.J. Dobson, English Pronunciation 1500-1700. Volume 1, Survey of the Sources [1957], Second Edition, Oxford, Clarendon Press, 1968, 1985, p. 19-20).
24 Voir Fausto Cercignani, Shakespeare’s Works and Elizabethan Pronunciation, Oxford, Clarendon Press, 1981.
25 William Shakespeare, Venus and Adonis, éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare.
26 Charles Barber, Early Modern English, Londres, André Deutsch, 1976, p. 311. D’après les recherches de Dobson, sa valeur était parfois un /a/ bref, parfois un /a:/ long. C’est le premier son qui s’est développé en [ɒ:] puis [ɔ:] (voir E.J. Dobson, English Pronunciation 1500-1700. Volume 2, Phonology [1957], Second Edition, Oxford, Clarendon Press, 1968, 1985, p. 467, 532-535).
27 « ‘In him a plenitude of subtle matter, / Applied to cautels, all strange forms receives, / Of burning blushes, or of weeping water’ » (éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare).
28 « Rosaline. O vain petitioner! beg a greater matter; / Thou now request’st but moonshine in the water » (op. cit.).
29 « ‘So Priam’s trust false Sinon’s tears doth flatter, / That he finds means to burn his Troy with water’ » (in éd. Greenblatt et al, The Norton Shakespeare).
30 Helge Kökeritz, Shakespeare’s Pronunciation, New Haven, Yale University Press, 1953, p. 243.
31 Il y a dans le choix de considérer Shakespeare comme « notre contemporain » (d’après l’expression célèbre de Jan Kott, « Shakespeare Our Contemporary », titre d’un ouvrage paru en 1964) une dimension proprement idéologique qui transparaît dès le début de l’ouvrage de Kökeritz, quand celui-ci affirme qu’il veut un Shakespeare à la prononciation « moderne » (Shakespeare’s Pronunciation, p. 6).
32 Smith, De recta et emendata linguae anglicaescriptionedialogus ; John Hart, An orthographie conteyning the due order and reason, howe to write or paint the image of mannes voice, most like to the life or nature, Londres, William Seres, 1569, STC (2e édition) 12890 et A methode or comfortable beginning for all vnlearned, whereby they may be taught to read English in a very short time, vvith pleasure: so profitable as straunge, put in light, Londres, Henry Denham, 1570, STC (2e édition) 12889 ; Alexander Gill, Logonomia Anglica, Londres, John Beale, 1619, STC (2e édition) 11873.
33 Mulcaster, Elementarie, chap. XIIII, en particulier p. 96 et 99.
34 Sur cette question, on pourra se reporter à Rob Jackaman, Broken English/Breaking English. A Study of Contemporary Poetries in English, Madison, Fairleigh Dickinson University Press et Londres, Associated University Presses, 2003, notamment p. 181-182.
35 On ne trouve pas dans le manifeste poético-phonétique que constitue « Them & [uz] » l’équivalent phonétique de l’attitude de deux poètes des marges britanniques, Seamus Heaney le Nord-Irlandais et Simon Armitage, originaire du Yorkshire comme Tony Harrison. Le premier a traduit Beowulf (Beowulf – a new verse translation by Seamus Heaney, New York, Farrar, Strauss, Giroux, 2000) et le second Sir Gawain and the Greene Knight (Sir Gawain and the Green Knight, a new verse translation by Simon Armitage, New York et Londres, W.W. Norton & Company, 2007), poèmes composés en vieil anglais et en moyen anglais respectivement. L’un comme l’autre expliquent qu’ils ont perçu une proximité linguistique, et plus particulièrement phonétique, entre les poèmes à traduire et l’anglais de leur enfance (voir à ce propos Jackaman, Broken English/Breaking English, chap. 5 sur Heaney). Je remercie Jessica Stephens d’avoir attiré mon attention sur ces deux textes.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Laetitia Sansonetti, « La Langue de Shakespeare, l’accent de Tony Harrison : Quand matter rime avec water », Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 31 | 2014, 29-42.
Référence électronique
Laetitia Sansonetti, « La Langue de Shakespeare, l’accent de Tony Harrison : Quand matter rime avec water », Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 31 | 2014, mis en ligne le 01 mai 2014, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/2803 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.2803
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