Shakespeare au « banquet » des langues étrang(èr)es
Résumés
Cette communication propose un aperçu des diverses fonctions du recours aux mots étrangers dans le théâtre de Shakespeare, du simple mot isolé aux passages presque entièrement écrits dans une langue étrangère. Elle aborde également la question de leurs problématiques traduction et mise en scène, notamment lorsque les passages concernés sont écrits en français. La métaphore du banquet convoquée dans le titre fait d’abord allusion au foisonnement de ces mots étrangers dans des pièces telles que Peines d’amour perdues, Les Joyeuses Commères de Windsor, ou encore Henry V, sans doute la pièce la plus polyglotte du corpus shakespearien. Certains passages reposent d’ailleurs à tel point sur l’hybridation des langues qu’ils frisent le macaronique. Mais l’image du banquet suggère également une certaine affinité, à la Renaissance, entre saveur et savoir, entre mets et mots. Les mots étrangers s’apparentent ainsi parfois à des mets exotiques dont on se délecte tout particulièrement sur scène. Ils représentent pourtant un véritable défi pour le traducteur, qui ne sait pas toujours comment traiter ces éléments allogènes dans le texte à traduire. Face aux multiples difficultés soulevées par l’étonnante « hétéroglossie » du texte shakespearien, l’entreprise du traducteur est-elle ainsi nécessairement condamnée à l’échec ?
Entrées d’index
Haut de pageTexte intégral
- 1 LLL, v.i.35-6. Toutes les citations empruntées à l’œuvre de Shakespeare seront tirées de l’édition (...)
- 2 « A constant translator ». Voir Neil Corcoran, « A Nation of Selves: Ted Hughes’s Shakespeare », in (...)
- 3 MWW , v.v.221.
- 4 1H4, ii.iv.261.
- 5 2H6, iv.ix.25.
1« They have been at a great feast of languages and stolen the scraps1 » : il semble que cette réplique de Moth à propos d’Armado, d’Holoferne et de Nathaniel dans Peines d’amour perdues pourrait tout aussi bien s’appliquer à Shakespeare lui-même. En effet, certains de ses personnages massacrent allègrement l’anglais avec leurs accents (gallois, irlandais, écossais et autres), tandis que d’illustres pilleurs de langues usurpent un vocabulaire issu de l’espagnol, de l’italien, du latin, du français, ou encore du néerlandais. Si j’ai choisi de m’intéresser d’un peu plus près à l’emploi des langues étrangères chez Shakespeare ainsi qu’à leur traduction parfois problématique, c’est avant tout parce que le dramaturge est un « traducteur permanent2 », selon le mot de Neil Corcoran : « traducteur permanent » non seulement parce qu’il puise sans cesse dans deux fonds linguistiques pour joindre des mots d’origine saxonne à des mots plus longs de racine latine (comme par exemple grâce à la figure de l’hendiadys dans les exemples suivants : « evitate and shun3 », « open and apparent4 », « a puissant and a mighty power5 »), mais aussi parce que
- 6 Nathalie Vienne-Guerrin, « “Base Phrygian Turk!” Injures et “espèces de…” » : analyse microscopiqu (...)
la langue [de Shakespeare] semble toujours étrangère, éternellement autre, objet de traductions et de translations infinies et […que] la langue anglaise semble n’y pouvoir être qu’un fatras de langues venues d’ailleurs6.
- 7 Je fais bien sûr référence au célèbre ouvrage de Michel Jeanneret, Des mets et des mots: banquets (...)
- 8 Much Ado, ii.iii.20-1.
2Une certaine affinité pour la traduction chez Shakespeare semble également transparaître dans des passages, le plus souvent parodiques, où la traduction se met en scène en tant que véritable procédé dramatique. On songe par exemple à deux scènes de séduction reposant sur ce dispositif : la scène de fausse traduction des Héroïdes d’Ovide (Lucentio / Bianca) dans La Mégère apprivoisée, ou encore, dans Henry V, la scène de conquête amoureuse impliquant Henry, la Princesse Catherine et sa suivante Alice, qui fait office d’interprète. À la lumière de ces quelques remarques préliminaires, j’aimerais tout d’abord revenir sur la métaphore du banquet convoquée par Moth, image qui ne manque pas de rappeler le lieu commun d’une affinité notoire, à la Renaissance, entre mets et mots7. On se souvient par exemple de la réplique de Benedick, lorsqu’il compare les mots de Claudio à des « mets étranges » : « his words are a very fantastical banquet, just so many strange dishes8. » Comme l’explique en effet l’acteur Alan Howard :
3Et, chez Shakespeare, on se délecte tout particulièrement de ces mets exotiques que sont les mots étrangers. Certaines scènes reposent à tel point sur l’hybridation débridée de deux ou plusieurs langues qu’on peut sans doute les qualifier de « macaroniques ». Cet adjectif est emprunté à l’italien maccheronico, lui-même dérivé de maccherone (« macaroni », au sens de « nourriture grossière »). L’œuvre la plus représentative du style macaronique est sans doute le Baldus (1517) de Teofilo Folengo, inventeur de cette langue hybride constituée d’un mélange de latin et de dialectes italiens. Pour ce dernier,
- 11 C’est-à-dire l’« introduction de mots étrangers dans une langue donnée, sans altération de la grap (...)
- 12 Penelope Gardner-Chloros, « Code-switching : approches principales et perspectives », La linguisti (...)
- 13 Je renvoie ici le lecteur à l’article de Patricia Parker (« The novelty of different tongues: poly (...)
- 14 « Shakespeare is a master of English and of foreign words in English. He is chief cook ». George W (...)
4Les passages « macaroniques » chez Shakespeare témoignent eux aussi, le plus souvent, d’un art de l’adjonction, du mélange et de la réécriture. Ils appartiennent à un continuum hybride et complexe, du mot « simplement » étrange au mot « proprement » étranger (xénisme11), en passant par des occurrences plus ou moins délirantes de « code-switching », terme utilisé par Penelope Gardner-Chloros dans le sens de « changement/alternance de langue ou de variété linguistique dans un discours ou une conversation12 ». J’exclus ici les noms propres aux consonances étrangères, qui pourraient à eux seuls faire l’objet d’une autre étude13. Dans son ouvrage consacré aux jeux de langage dans les comédies de Shakespeare, Keir Elam poursuit la métaphore alimentaire de Moth dans Peines d’amour perdues en désignant les quis, les quod, les quasi, les quare et les quoniam des pédants comme autant de bouchées non digérées, non incorporées à la mixture anglaise dont elles se distinguent. Toujours dans le même registre, George W. Williams, dans un article intitulé « The poetry of the storm in King Lear », qualifie quant à lui Shakespeare de virtuose de l’anglais mais aussi des mots étrangers en anglais ; il compare le dramaturge à un « chef de cuisine14 », et les mots étrangers dont il assaisonne ses pièces, à des anguilles récalcitrantes :
- 15 Ibid., p. 61-2.
Shakespeare does with his words what his “cockney did to the eels when she put ’em i’ th’ paste alive. She knapped ’em o’ th’ coxcombs with a stick and cried Down, wantons, down!” (ii.iv.123-127). […] Like the eels these words [“the foreign importations”] remain alive, refusing to submit completely to being Englished; in their alien setting they raise their heads15.
5Filons la métaphore. Ces mots réfractaires sont parfois de simples miettes, comme par exemple le monosyllabe don, titre plus humoristique qu’honorifique qui précède le nom d’Adriano de Armado et que Costard s’empresse de corrompre en Dun Adramadio, se moquant ainsi, à son insu, du teint basané de l’Espagnol. Il s’agit parfois encore de bouchées plus consistantes, comme celles qui, à la scène i de l’acte iii, mettent Costard en appétit : à savoir les quasi-synonymes « guerdon » (« récompense », en ancien français) et « remuneration », mot issu du latin par l’intermédiaire du moyen français et de l’anglo-normand.
Armado. […] There is remuneration, [Gives Costard a coin.] for the best ward of mine honour is rewarding my dependants. […]
Costard. […] Now will I look to his remuneration. ‘Remuneration’! O, that’s the Latin word for three farthings. Three farthings – remuneration. ‘What’s the price of this inkle?’ ‘One penny.’ ‘No, I’ll give you a remuneration.’ Why, it carries it! ‘Remuneration’! Why, it is a fairer name than French crown. I will never buy and sell out of this word. […](iii.i.130-9)
Biron. There’s thy guerdon; go.
He gives Costard a shilling
- 16 Voir note de bas de page de l’édition Arden : « The QF spelling ‘gardon’ […] as against ‘guerdon’ (...)
- 17 William Shakespeare, Love’s Labour’s Lost, éd. George Richard Hibbard, coll. World’s Classics, Oxf (...)
Costard. Gardon16, O sweet gardon! Better than remuneration, eleven-pence-farthing better. Most sweet gardon! I will do it, sir, in print. Gardon! Remuneration17!(iii.i.163-6)
6Dans ce dernier exemple, les deux orthographes distinctes du mot français « guerdon » peuvent suggérer qu’il serait d’abord prononcé en français par Biron puis corrompu en « gardon » lors du passage à l’anglais par le messager bouffon, attirant ainsi notre attention sur le caractère tout aussi étrange qu’étranger du mot employé par Biron. Quant à « remuneration », il est répété pas moins de dix fois dans l’ensemble de la scène, et se trouve assorti de commentaires métalinguistiques mettant l’accent sur sa non-appartenance au lexique anglais courant (« ‘Remuneration’! O, that’s the Latin word for three farthings », « ‘Remuneration’! Why, it is a fairer name than French crown. »)
7Au banquet des langues étrangères, ces miettes, bribes ou bouchées laissent souvent la place à des morceaux encore moins digestes, tout comme le mot de treize syllabes prononcé par Costard — le gargantuesque honorificabilitudinitatibus :
Moth. [to Costard] They have been at a great feast of languages and stolen the scraps.
Costard. [to Moth] O, they have lived long on the alms-basket of words! I marvel thy master hath not eaten thee for a word, for thou art not so long by the head as honorificabilitudinitatibus. Thou art easier swallowed than a flap-dragon. (v.i.35-41)
8Ce mot latin, supposément le mot le plus long, est ici comparé à un « flap-dragon », c’est-à-dire à un raisin ou une prune flambé(e) flottant dans un verre d’eau-de-vie qu’il fallait, au cours d’un jeu à boire populaire, essayer d’avaler sans se brûler. Mais la dimension métalinguistique de ce passage nous fait songer, en filigrane, à une autre sorte de mise en bouche périlleuse : celle du texte mâché et remâché par le comédien, lors des répétitions. Ce morceau de résistance n’est en fait rien d’autre qu’un petit morceau de bravoure.
- 18 Per., ii.ii.27.
- 19 Nathalie Vienne-Guerrin, « “Base Phrygian Turk!” Injures et “espèces de…” » : analyse microscopiqu (...)
- 20 Thomas Nashe, Strange newes, cité par Patricia Parker, « Shakespeare’s Sound Government: Sound Def (...)
9Bien sûr, de nombreuses autres pièces de Shakespeare recourent ponctuellement non seulement à des mots isolés mais aussi à des phrases entières en langue étrangère plus ou moins authentique, plus ou moins corrompue. On songe par exemple, dans Périclès, à la scène du tournoi de l’acte ii, scène ii. Six chevaliers défilent devant Thaisa et Simonidès pour présenter leurs armoiries, toujours accompagnées d’une devise, toutes en latin à l’exception d’une seule, écrite dans une langue fautive que Thaisa interprète comme de l’espagnol mais qui serait, en réalité, plus proche de l’italien : « Più per dolcezza che per forza18 » en est la version italienne corrigée et modernisée de l’édition Arden. À l’acte iv de Tout est bien qui finit bien, l’incompétence linguistique de Parole est démasquée par des soldats qui se plaisent à inventer un charabia au croisement entre le latin, le grec, l’italien et le russe. Les Joyeuses Commères de Windsor, pièce éminemment polyglotte, est décrite par Nathalie Vienne-Guerrin comme « une ‘galimafrée’, un salmigondis, un hochepot, une sorte de ragoût verbal où l’on se régale de morceaux de latin (Evans), de gorgées d’italien (Pistol), de bouchées de français (Caius), le tout assaisonné de petites pointes d’accent gallois (Evans)19 ». Caius y profère des phrases « hermaphrodites20 » mi-françaises mi-anglaises, pour reprendre le mot de Thomas Nashe. Son langage est ainsi soumis à un véritable « code-switching », comme en témoigne cet échange avec Nell Quickly :
Caius. Pray you go and vetch me in my closet une boîtine verte – a box, a green-a-box: do intend vat I speak? A green-a-box. […] Fe, fe, fe, fe, ma foi, il fait fort chaud. Je m’en vais voir à la cour la grande affaire.
Quickly. Is it this, sir?
Caius. Oui, mette-le au mon pocket. Dépêche quickly.(i.iv.40-9)
- 21 « Caius is a kind of walking bilingual dictionary. […] his translations oppose England and France, (...)
10Selon Deanne Williams, il s’agirait ici de pasticher les lexiques de l’époque à travers ce personnage qu’elle qualifie de « dictionnaire bilingue ambulant21 ». Le jeu de mot bilingue, comme le redondant « Dépêche quickly », est tout aussi amusant que l’accent de Caius, un accent à couper au couteau qui lui fait par exemple commettre d’intéressants lapsus, comme lorsqu’il pervertit la prononciation de l’adjectif ordinal « third »… en « turd », se couvrant ainsi malgré lui de ridicule :
Evans. If there is one, I shall make two in the company.
Caius. If there be one or two, I shall make-a the turd. (iii.iii.219-20)
11Le recours au mot étranger ou à la prononciation étrangère d’un mot anglais a le plus souvent une visée comique, notamment lorsque le jeu langagier repose sur l’interaction de deux ou plusieurs langues. Les commentaires métalinguistiques des autres personnages nous fournissent par ailleurs des renseignements extrêmement précieux, par exemple quant à la prononciation d’un mot ou d’une expression, ou encore pour ce qui est de l’interprétation d’un calembour, parfois relativement hermétique pour un lecteur d’aujourd’hui. Je pense par exemple à la leçon de latin des Joyeuses Commères, durant laquelle le gallois Evans teste les connaissances du jeune William à travers un exercice de rétro-traduction qui vire à l’obscène à cause des méprises répétées de Nell Quickly. Celle-ci croit en effet reconnaître dans chaque expression latine des allusions graveleuses : « pulcher » et « horum » se métamorphosent ainsi respectivement en « polecats » et en « whore », tandis que les déclinaisons latines ne sont pas épargnées — le vocatif se dégrade en « focative » et le « genitive case » en « Jenny’s case » (le vagin de Jenny).
- 22 William Shakespeare, Timon d’Athènes, adaptation de Jean-Claude Carrière, Collection créations thé (...)
12Chez Shakespeare, les personnages les plus polyglottes sont souvent des personnages bouffons et facétieux : Bottom, Feste, Sir Toby Belch, les pédants de Peines d’amour perdues, Parole, Mercutio, ou encore Pistol. Pourtant, le recours aux mots étrangers n’est l’apanage ni des comédies, ni des scènes exclusivement comiques. Dans le texte de Shakespeare, les mots étrangers semblent entourés d’une aura particulière, un peu à la manière des « mots rayonnants » de Peter Brook, lesquels, selon Jean-Claude Carrière, jalonnent la longue phrase de Shakespeare et « éclatent soudain, riches de sens divers, d’images, de parfums différents22 ». À la troisième scène de l’acte ii d’Othello, Iago prétend vouloir mettre fin à une rixe dont il est lui-même l’instigateur. Son appel à l’aide est assorti d’un juron potentiellement significatif :
- 23 C’est moi qui souligne.
Help, masters, here’s a goodly watch indeed.
[A bell rings.]
Who’s that which rings the bell? Diablo23, ho!
The town will rise, God’s will, lieutenant, hold,
You will be shamed for ever!(ii.iii.152-5)
- 24 Patricia Parker, « The novelty of different tongues: polyglot punning in Shakespeare (and others) (...)
- 25 On retrouve par exemple cette interjection dans la bouche du Connétable de France dans Henry V (iv(...)
13Le fait que l’interjection « diable » apparaisse ici en espagnol nous rappelle tout d’abord que le nom de Iago lui-même est d’origine ibérique. Dans un article intitulé « The novelty of different tongues : polyglot punning in Shakespeare (and others)24 », Patricia Parker s’est d’ailleurs intéressée de près aux résonances interlinguistiques de ce nom, sur lesquelles je n’aurai pas l’occasion de me pencher ici. Mais pour en revenir à « diablo », ce n’est sans doute pas par hasard si c’est à Iago, le « démon blanc » de la pièce, qu’il revient de l’invoquer. Contrairement aux multiples occurrences de « devil » ainsi qu’aux références à « Satan », « Lucifer », « Belzébuth » ou même encore au français « diable25 », l’espagnol « diablo » constitue un hapax chez Shakespeare et semble par là même doté d’une coloration particulière, intensifiée par la nécessaire prononciation en diérèse (diablo).
14Un autre exemple de « mot [étranger] rayonnant » est tiré de l’acte ii scène i de Coriolan. À l’annonce du retour en vainqueur de Caius Marcius à l’issue de son expédition contre les Volsques, c’est avec une jubilation malsaine que Menenius et Volumnia dénombrent les blessures de guerre du général selon une arithmétique morbide :
Menenius. […] [To Volumnia] Where is he wounded?
Volumnia. I’th’ shoulder and i’th’ left arm. There will be large cicatrices to show the people when he shall stand for his place. He received in the repulse of Tarquin seven hurts i’th’ body.
Menenius. One i’th’ neck and two i’th’ thigh—there’s nine that I know.
Volumnia. He had before this last expedition twenty-five wounds upon him.
Menenius. Now it’s twenty-seven. Every gash was an enemy’s grave.
(ii.i.145-56)
- 26 Cicatrice : 1.a. The scar of a healed wound; b. loosely. A scar-like mark or impression (OED).
- 27 On retrouve le nom « cicatrice » au sens de « marque » ou d’« empreinte » dans Comme il vous plair (...)
- 28 Le mot n’est pas traduit en anglais sur scène.
- 29 Stuprum, i, n : 1. déshonneur, opprobre ; 2. attentat à la pudeur, violence, action de déshonorer (...)
15Dans ce bref échange, on remarque une variation lexicale (et presque musicale) sur le thème de la blessure, dans une constante surenchère : « seven hurts », « twenty-five wounds », « every gash was an enemy’s grave ». La force illocutoire de cette dernière expression repose évidemment sur l’allitération gash / grave mais également sur l’impact visuel de la métaphore, qui rapproche la profondeur de l’entaille de celle de la fosse creusée dans le sol pour ensevelir les corps des ennemis. Mais c’est surtout le vocable plus long « cicatrices26 », emprunté au français, ainsi précédé de l’adjectif « large » et suivi du verbe « to show », qui semble le mieux mettre en évidence la volonté de monstration de Volumnia. L’emploi de ce terme rare est inhabituel chez Shakespeare (où l’on recense une trentaine d’occurrences du mot « scar » contre seulement quatre au total pour le mot « cicatrice27 ») et ne répond en outre pas à des impératifs métriques, puisque l’on a affaire à un passage en prose. Le mot semblerait donc avoir été choisi pour sa grandiloquence, sa musicalité, son caractère ostentatoire. Au sein du réseau de synonymes décrivant les balafres de Coriolan, « cicatrices » semble retentir d’un éclat particulier, un peu à la manière d’un mot latin28 aux résonances ovidiennes, « stuprum » (« viol29 »), que Lavinia parvient à écrire sur le sable à côté du nom de ses bourreaux.
- 30 # Christophe Camard, « ‘Petruchio, I shall be your ben venuto’ : Shakespeare, Jonson et la langue i (...)
- 31 Cette expression française donne lieu à un jeu de mots d’une autre nature dans Henry V, dans la sc (...)
16Le mot étranger (pris dans son sens large) est avant tout un mot vibrant, un mot qui se détache pour ainsi dire de la toile de fond anglo-saxonne du texte de Shakespeare. Il peut remplir des fonctions très diverses, dont nous avons déjà vu quelques exemples : une fonction de réalisme mimétique (effet de couleur locale à travers un « décor auditif30 », tel qu’il est produit par le substantif « gondola » pour évoquer Venise) ; une fonction de caractérisation des personnages (par exemple pour exhiber le pédantisme d’Holoferne ou l’ignorance de Costard) ; une fonction comique (on songe aux innombrables jeux de mots polyglottes et allusions grivoises) ; une fonction de citation (« Et tu, Brute? », JC, iii.i.77) ; une fonction proverbiale (« Ira furor brevis est », Tim., i.ii.27) ; une fonction esthétique (mettant au premier plan le simple plaisir des sonorités) ; ou encore une fonction poétique, notamment lorsque le recours au mot étranger se montre du doigt et fait l’objet de commentaires de la part des personnages sur scène. Cette dernière catégorie est par exemple illustrée par l’expression « pardonne moy31 », laquelle, dans Richard II, exprime un refus poliment masqué. À la scène iii de l’acte v, la duchesse d’York implore pour son fils le pardon du roi Henry :
Duchess of York. […] Say ‘pardon’, king, let pity teach thee how;
The word is short, but not so short as sweet;
No word like ‘pardon’ for kings’ mouths so meet. (v.iii.114-6)
17Ce « délicieux » mot de « pardon », le duc d’York le dénature lorsqu’il enjoint au roi de le traduire en français :
York. Speak it in French, king, say ‘pardonne moy’. (v.iii.117)
18Le changement de code linguistique est avant tout doté d’une fonction subversive puisqu’il donne lieu à un glissement de sens sournois. « Je pardonne » est en effet subverti en « pardonne-moi (sous-entendu : « …de ne pas lui pardonner »). La duchesse n’est pas dupe de ce tour de passe-passe langagier et reproche à son cruel mari de « dresser le mot contre le mot », ce que la rime « pardonne-moy » / « destroy » met d’ailleurs clairement au jour.
- 32 Chopping : Making frequent changes, switching from one sense to another, changing the meaning of w (...)
York. Speak it in French, King; say ‘Pardonne-moi’.
Duchess of York. Dost thou teach pardon pardon to destroy?
Ah, my sour husband, my hard-hearted lord,
That sets the word itself against the word!
Speak ‘pardon’ as ’tis current in our land,
The chopping32 French we do not understand.(v.iii.117-22)
19Ce dernier exemple met en évidence un problème particulier, lors du passage à la traduction. En effet, si les multiples bribes de phrases (pseudo-)italiennes, espagnoles, latines, etc. ne semblent pas poser au traducteur français de problème particulier (tant que le recours à la langue étrangère ne repose pas sur un jeu de mots bilingue, voire multilingue), l’insertion du français dans la langue anglaise constitue en revanche une véritable pierre d’achoppement pour le traducteur francophone. Comme l’explique Ton Hoenselaars :
- 33 English Literature and the Other Languages, éds. Ton Hoenselaars et Marius Buning, Amsterdam, Rodo (...)
It is not the individual languages that pose the problem in translation, but the juxtaposition of the various languages […]. A single language may be translated with a fair degree of satisfaction into another. However, when two or more languages or language varieties operate within the same text […] any attempt at a dependable translation is bound to flounder, certainly if it is intended for aural consumption, in performance33.
- 34 Thomas Healy, « Remembering with Advantages: Nation and Ideology in Henry V », in Shakespeare in t (...)
20Pire encore, les passages en français, censés signaler oralement la différence de nationalités (qu’il s’agisse du français, tout insolite qu’il soit, de Catherine de Valois, de sa suivante Alice, de Monsieur le Fer ou encore du docteur Caius), ne sont même plus du tout audibles lorsqu’il y a identité entre la langue source du personnage et la langue cible de la traduction : les traducteurs français sont-ils dès lors fatalement contraints à abandonner le jeu bilingue ? Thomas Healy va encore plus loin en taxant toute tentative de traduction française d’une pièce comme Henry V de monstruosité : « Henry V in modern French would indeed be a perverse beast34 ! ».
21C’est en effet sur cette question de l’incorporation du français dans le texte original — toute ambiguë et problématique qu’elle soit — que j’aimerais conclure cet exposé sur Shakespeare, les mots étrangers et la traduction, dans la mesure où les difficultés de traduction engendrées emmènent le traducteur francophone aux frontières de l’intraduisibilité. Je souhaiterais en effet montrer comment cette aporie en traduction (« traduire » le français de Shakespeare en français) peut donner lieu à des solutions diverses, sur la page ou à la scène, et je prendrai comme exemple-limite la scène de la leçon d’anglais entre Catherine et Alice au troisième acte d’Henry V, la pièce la plus polyglotte de Shakespeare. Dans cette scène comique sans doute héritée de la tradition des lazzi, le cours de langue étrangère dégénère rapidement en cours de langue ordurière.
22Cette leçon improvisée s’apparente en fait à une sorte de blason burlesque mettant en scène l’anglicisation méthodique du corps mentalement démembré de la princesse :
Katherine. Alice, tu as été en Angleterre, et tu bien parles le langage.
Alice. Un peu, madame.
Katherine. Je te prie, m’enseignez. Il faut que j’apprenne à parler. Comment appelez-vous la main en anglais?
Alice. La main. Elle est appelée de hand.
Katherine. De hand. Et les doigts?
Alice. Les doigts, ma foi, j’ai oublié les doigts, mais je me souviendrai les doigts. Je pense qu’ils sont appelés de fingres. Oui, de fingres.
Katherine. La main, de hand. Les doigts, les fingres. Je pense que je suis le bon écolier. J’ai gagné deux mots d’anglais vitement.
23Presque chaque nouveau mot appris donne lieu à un sous-entendu grivois lorsqu’il est perverti par les fautes de prononciation de Catherine. Comme le fait remarquer Deanne Williams :
- 35 Deanne Williams, The French Fetish from Chaucer to Shakespeare, op. cit., p. 219.
Translated into English, perfectly innocent French words (like perfectly innocent French princesses) turn into vulgar (barbarian) expressions in French35.
- 36 Eric Partridge, Shakespeare’s Bawdy, Routledge classics, Londres, Routledge, 2001.
- 37 Gordon Williams, Shakespeare’s Sexual Language: A Glossary, Londres, Continuum, 2006.
- 38 Norman Blake, Shakespeare’s Non-Standard English: A Dictionary of His Informal Language, Londres, (...)
- 39 Pour Gordon Williams (op. cit., p. 150), la main peut faire allusion au pénis, ce qu’illustre sans (...)
- 40 Ibid., p. 124-5.
- 41 Ibid., p 30.
- 42 Épée (réputée pour la flexibilité de sa lame) dont il est fait mention à deux reprises dans Les Jo (...)
- 43 « […] any sword is available for service as a bawdy word for ‘penis’ » (ibid.).
- 44 Voir note de bas de page de l’édition Arden : « F’s spelling Count may have originated in Shakespe (...)
- 45 Je renvoie une nouvelle fois le lecteur au glossaire de Gordon Williams, article « nick » : « nick(...)
- 46 « excellent had lewd connotations, and was especially associated with buggery, as was assez, under (...)
- 47 « Katharine’s language lesson is both a political and a sexual betrayal of the men of France. » Ib (...)
24À en croire les divers auteurs de lexiques shakespeariens que j’ai pu consulter pour l’examen de ce passage (Eric Partridge36, Gordon Williams37, ou encore Norman Blake38), cette scène serait en fait presque entièrement truffée de calembours, en anglais comme en français. Les allusions phalliques seraient nombreuses : « de hand39 » ; « de fingres40 » ; « de arm41 », ou encore le « bilbow » fautif de Catherine ayant pour homonyme « bilbo42 » (sorte d’épée), nom sans doute tiré de la ville de Bilbao où était forgée cette arme au symbolisme évident43. Les références aux organes sexuels féminins ne sont pas absentes non plus : on songe évidemment au terme censé traduire « robe » et qui clôt la leçon d’éducation sexuelle de la jeune princesse : « co(u)n(t)44 » (au lieu de gown), mot « de son mauvais, corruptible, gros et impudique ». Catherine feint de s’effaroucher mais prend pourtant plaisir à répéter ce mot tabou à pas moins de trois reprises. « Neck », qui traduit cou, est par ailleurs déformé en « nick », qui peut également faire référence aux parties génitales féminines45. Enfin, « foot », l’autre mot tabou de la série, fait évidemment écho au juron préféré de Pistol (foutre) et n’a de connotations « gros[ses] et impudique[s] » qu’en français. Dans le même registre, « sin », mauvaise prononciation de « chin », était sans doute un euphémisme pour désigner le péché de chair. Même l’adverbe « assez » (ass-y) (dans « C’est assez pour une fois »), prononcé à l’anglaise, serait peut-être moins chaste qu’il n’y paraît46, c’est tout au moins l’hypothèse de Juliet Fleming, qui interprète le mot comme une allusion anale. Ainsi donc, si le syntagme « French lesson » était en anglais un euphémisme pour désigner une visite chez une prostituée, notre « English lesson » semble quant à elle constituer une initiation sexuelle qui ne dit pas son nom : Juliet Fleming va même jusqu’à parler d’une scène de « trahison politique et sexuelle envers les hommes de France47 ».
- 48 William Shakespeare, Henry V, trad. Sylvère Monod, éd. Éric Dayre, GF, Paris, Flammarion, 2000 [19 (...)
- 49 C’est par exemple le cas de Jean-Michel Déprats. Voir William Shakespeare, La vie du roi Henry V, (...)
- 50 « Intersemiotic translation or transmutation is an interpretation of verbal signs by means of sign (...)
- 51 D’après le texte français de Jean-Michel Déprats.
25On comprendra donc aisément le sentiment d’impuissance des traducteurs français face à ce passage : non seulement le français parlé dans l’original semble extrêmement composite, mais les jeux de mots obscènes risquent par ailleurs d’échapper à un spectateur français, sans le secours de la fameuse note de bas de page. Certains traducteurs choisissent de reproduire cette scène telle quelle dans leur version française de la pièce, simplement accompagnée de la mention « en français dans le texte ». C’est le cas de Sylvère Monod48, qui cède de son propre aveu à un certain plaisir de la « patine ». Il préserve ainsi le charme archaïque du passage au détriment de son insertion « logique » dans le reste de l’œuvre. D’autres choisissent de traduire cette scène en français moderne49, parce que le français boiteux articulé par Catherine et Alice pose avant tout un problème logique évident : pourquoi ces deux personnages français, à ce moment-là de la pièce, parleraient-ils un français aussi fantaisiste, un français différent de celui parlé par les autres nobles français ? Par ailleurs, la scène pose également un problème de lisibilité : en l’état, ce dialogue est-il prononçable ? Est-il viable sur scène ? C’est alors au metteur en scène que revient la tâche de rendre ce texte jouable en prenant le relais de la traduction verbale. Ce que l’on appelle la traduction intersémiotique50 est d’ailleurs un exercice privilégié pour ceux qui débutent dans l’apprentissage d’une langue étrangère : c’est avec humour qu’un metteur en scène comme Jean-Louis Benoit a su en tirer parti dans sa version d’Henry V51, qui s’était jouée pour la première fois en France en français à l’occasion de l’ouverture du festival d’Avignon en 1999, soit quatre cents ans après la toute première représentation de la pièce au théâtre du Globe. Dans cette mise en scène, Marie Vialle et Isabelle Bouchemaa, les deux actrices interprétant respectivement les rôles de la princesse Catherine et de sa dame de compagnie Alice, nous ont concocté un véritable festin comique. Loin de mimer le texte, Marie Vialle en propose une interprétation « ironique » à travers une sorte de ballet verbal ingénieusement rythmé par la répétition des vocables anglais déformés par l’accent et la mémoire défaillante de la princesse.
- 52 Jean-Michel Déprats, « « I cannot speak your England » : sur quelques problèmes de traduction d’He (...)
26À chaque nouveau mot appris correspond un geste ; à chaque série de mots, un enchaînement gestuel assez savoureux. Un bras tendu vers l’avant et présentant la paume de la main introduit le nouveau mot « de hand » ; un majeur tendu (geste du doigt d’honneur) annonce le doigt (« de fingre ») ; les ongles (« de nails ») deviennent ici des griffes dans un geste suggérant aussi bien la hardiesse que l’érotisme de la princesse française. Un bras exagérément tendu vers le ciel signifie « de arm » ; le coude effrontément pointé vers le public, « d’elbow ». Catherine répète à nouveau tous les mots qu’elle vient d’apprendre. Lorsque son professeur improvisé corrige son « de bilbow » en « d’elbow », la princesse se fâche, bondit sur Alice et lui tord le cou. La leçon reprend… justement avec le mot « cou » (« de nick ») ! Très vite, Catherine mélange toute sa leçon et associe chaque mot au mauvais geste dans un enchaînement comique de mouvements d’intensité croissante : enchaînement qui aboutit finalement à un bras d’honneur couronné d’un majeur dressé associé au mot « nick », dont l’actrice semble exploiter la potentielle homonymie en français, surchargeant ainsi (tout en la déplaçant) l’« imagerie obscène52 » du passage. La fin de la scène, lorsque vient le moment pour Catherine de réciter l’ensemble de sa leçon, consiste en une chorégraphie énumérative faussement naïve aboutissant à la pirouette finale du personnage qui soulève malicieusement sa robe dans une virevolte.
- 53 Marianne Montgomery, Europe’s Languages on England’s Stages, 1590-1620, Farnham, Ashgate, 2012, p. (...)
- 54 Michel Jeanneret, Des mets et des mots: banquets et propos de table à la Renaissance, op. cit., p. (...)
27L’ensemble de la scène est savamment rythmé : mots et gestes s’enchaînent selon une logique accumulative presque étourdissante. La partition gestuelle ne se contente pas d’accompagner le texte : elle le parachève. Dans cette scène, l’attention au détail et au vérisme linguistique semble céder la place au langage corporel et au plaisir éminemment sensuel de la répétition et de la déformation des mots étrangers. Comme le fait remarquer Marianne Montgomery, « Language lessons […] emphasize the sensuality of language, encouraging an unchaste open mouth and active lips and tongue53. » Ce concept de plaisir sensuel et presque gustatif que procure l’articulation de mots étrange(r)s nous ramène à mon point de départ : celui du festin et des « affinités poétiques de la gourmandise et de la logophilie54 », selon une expression de Michel Jeanneret. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si Catherine, presque sans transition, se réjouit du dîner qui l’attend (« C’est assez pour une fois. Allons-nous à dîner », conclut-elle) : ce « banquet de langues » l’a mise en appétit.
- 55 La référence au procédé de l’anamorphose faite par Christophe Camard dans un article consacré à la (...)
28Que les mots étrangers de Shakespeare soient comparables à des mets raffinés ou bien à une nourriture grossière à l’image des macaronis de Folengo, leur emploi est rarement gratuit et témoigne le plus souvent d’un savant pétrissage de la matière première. Au-delà du pittoresque et de la « couleur locale », ces mots tout aussi étranges qu’étrangers constituent une inépuisable source de création et d’invention verbale55 et génèrent des jeux langagiers en tous genres, qui viennent constamment nourrir la langue anglaise et enrichir de significations diverses le « mille-feuille » du texte shakespearien.
Notes
1 LLL, v.i.35-6. Toutes les citations empruntées à l’œuvre de Shakespeare seront tirées de l’édition suivante : William Shakespeare, The Arden Shakespeare Complete Works, éds. Richard Proudfoot, Ann Thompson et David Scott Kastan, Londres, 2001. Toute référence à une autre édition sera systématiquement mentionnée en note.
2 « A constant translator ». Voir Neil Corcoran, « A Nation of Selves: Ted Hughes’s Shakespeare », in This England, That Shakespeare: New Angles on Englishness and the Bard, Margaret Tudeau-Clayton et Willy Maley, éds., Farnham, Ashgate, 2010, p. 197.
3 MWW , v.v.221.
4 1H4, ii.iv.261.
5 2H6, iv.ix.25.
6 Nathalie Vienne-Guerrin, « “Base Phrygian Turk!” Injures et “espèces de…” » : analyse microscopique d’un étrange spécimen shakespearien », La Revue LISA, volume vi, n°3, 2008, p. 84.
7 Je fais bien sûr référence au célèbre ouvrage de Michel Jeanneret, Des mets et des mots: banquets et propos de table à la Renaissance, Paris, Corti, 1987.
8 Much Ado, ii.iii.20-1.
9 Entretien avec Alan Howard retranscrit dans John Barton, Playing Shakespeare, Londres, Methuen, 1984, p. 11.
10 Je reprends ici la traduction proposée par Michel Jeanneret dans Des Mets et des mots. Banquets et propos de table à la Renaissance, op. cit., p. 207.
11 C’est-à-dire l’« introduction de mots étrangers dans une langue donnée, sans altération de la graphie, sans les marques de genre et de nombre de la langue-hôte. » (Trésor de la Langue Française informatisé, article « xénisme »).
12 Penelope Gardner-Chloros, « Code-switching : approches principales et perspectives », La linguistique, volume 19, fasc.2, 1983, p. 21.
13 Je renvoie ici le lecteur à l’article de Patricia Parker (« The novelty of different tongues: polyglot punning in Shakespeare (and others) ») portant sur les jeux de mots multilingues chez Shakespeare et certains de ses contemporains, et en particulier sur les « résonances interlinguistiques » de quelques noms propres. Voir Esthétiques de la nouveauté à la Renaissance, éds. François Laroque et Franck Lessay, Paris, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2001.
14 « Shakespeare is a master of English and of foreign words in English. He is chief cook ». George W. Williams, « The poetry of the storm in King Lear », Shakespeare Quarterly, volume ii, n°1, 1951, p. 61.
15 Ibid., p. 61-2.
16 Voir note de bas de page de l’édition Arden : « The QF spelling ‘gardon’ […] as against ‘guerdon’ […] may suggest Berowne pronounces the word in French, while Costard does so in English ». William Shakespeare, Love’s Labour’s Lost, éd. H.R. Woudhuysen, The Arden Shakespeare, Third Series, Londres, 1998, p. 171.
17 William Shakespeare, Love’s Labour’s Lost, éd. George Richard Hibbard, coll. World’s Classics, Oxford, OUP, 2008, p. 140.
18 Per., ii.ii.27.
19 Nathalie Vienne-Guerrin, « “Base Phrygian Turk!” Injures et “espèces de…” » : analyse microscopique d’un étrange spécimen shakespearien », article cité, p. 83.
20 Thomas Nashe, Strange newes, cité par Patricia Parker, « Shakespeare’s Sound Government: Sound Defects, Polyglot Sounds, and Sounding Out », Oral Tradition, 24/2, 2009, p. 364.
21 « Caius is a kind of walking bilingual dictionary. […] his translations oppose England and France, like so many soldiers eyeing each other across the battlefield. » Deanne Williams, The French Fetish from Chaucer to Shakespeare, Cambridge, CUP, 2004, p. 223.
22 William Shakespeare, Timon d’Athènes, adaptation de Jean-Claude Carrière, Collection créations théâtrales, Paris, CICT, 1974, p. 9-10.
23 C’est moi qui souligne.
24 Patricia Parker, « The novelty of different tongues: polyglot punning in Shakespeare (and others) », article cité.
25 On retrouve par exemple cette interjection dans la bouche du Connétable de France dans Henry V (iv.v.1) et dans celle de Caius dans Les Joyeuses Commères de Windsor (i.iv.62 et iii.i.81).
26 Cicatrice : 1.a. The scar of a healed wound; b. loosely. A scar-like mark or impression (OED).
27 On retrouve le nom « cicatrice » au sens de « marque » ou d’« empreinte » dans Comme il vous plaira (« […] lean upon a rush / The cicatrice and capable impressure / Thy palm some moment keeps », iii.v.22-4) et au sens de « blessure » ou de « cicatrice » dans Hamlet (« thy cicatrice looks raw and red », iv.iii.63) ou encore dans Tout est bien qui finit bien, assez significativement, dans la bouche du miles gloriosus qu’est Parole (« You shall find […] one Captain Spurio, with his cicatrice, an emblem of war, here on his sinister cheek; it was this very sword entrench’d it. », ii.i.40-3).
28 Le mot n’est pas traduit en anglais sur scène.
29 Stuprum, i, n : 1. déshonneur, opprobre ; 2. attentat à la pudeur, violence, action de déshonorer (Dictionnaire Gaffiot).
30 # Christophe Camard, « ‘Petruchio, I shall be your ben venuto’ : Shakespeare, Jonson et la langue italienne », Shakespeare et l’Europe de la Renaissance: Actes du Congrès de 2004, Paris, Société Française Shakespeare, 2005, p. 40, http://shakespeare.revues.org/740.
31 Cette expression française donne lieu à un jeu de mots d’une autre nature dans Henry V, dans la scène opposant Pistol et Monsieur Le Fer : « French soldier. O pardonnez-moi! / Pistol. Say’st thou me so? Is that a ton of moys? » (iv.iv.20-1). Le calembour provient évidemment d’un malheureux malentendu interlinguistique
32 Chopping : Making frequent changes, switching from one sense to another, changing the meaning of words (C. T. Onions).
33 English Literature and the Other Languages, éds. Ton Hoenselaars et Marius Buning, Amsterdam, Rodopi, 1999, p. xv-xvi.
34 Thomas Healy, « Remembering with Advantages: Nation and Ideology in Henry V », in Shakespeare in the new Europe, éds. Michael Hattaway, Boika Sokolova et Derek Roper, Sheffield Academic Press, 1994, p. 177. Cité par Ton Hoenselaars, English Literature and the Other Languages, op. cit., p. 38.
35 Deanne Williams, The French Fetish from Chaucer to Shakespeare, op. cit., p. 219.
36 Eric Partridge, Shakespeare’s Bawdy, Routledge classics, Londres, Routledge, 2001.
37 Gordon Williams, Shakespeare’s Sexual Language: A Glossary, Londres, Continuum, 2006.
38 Norman Blake, Shakespeare’s Non-Standard English: A Dictionary of His Informal Language, Londres, Continuum, 2006.
39 Pour Gordon Williams (op. cit., p. 150), la main peut faire allusion au pénis, ce qu’illustre sans doute beaucoup plus ostensiblement l’exemple tiré de Roméo et Juliette que Gordon cite à l’article « hand » de son glossaire (« the bawdy hand of the dial is now upon the prick of noon. », ii.iv.111-2) et qu’il commente ainsi : « Since timepieces had only a single hand, identification with an erect penis is simple ».
40 Ibid., p. 124-5.
41 Ibid., p 30.
42 Épée (réputée pour la flexibilité de sa lame) dont il est fait mention à deux reprises dans Les Joyeuses Commères. Voir Charles Edelman, Shakespeare’s Military Language: A Dictionary, Londres, Continuum, 2000, p. 51.
43 « […] any sword is available for service as a bawdy word for ‘penis’ » (ibid.).
44 Voir note de bas de page de l’édition Arden : « F’s spelling Count may have originated in Shakespeare’s (or the compositor’s) wish to make the joke clear to English audiences (or readers) more familiar with the English word cunt than with the French word con. That Alice adds a final t is improbable. […] Q, in which the word also occurs four times, always spells it ‘con’. William Shakespeare, King Henry V, éd. T. W. Craik, The Arden Shakespeare, Third Series, Londres, 1995, p. 224.
45 Je renvoie une nouvelle fois le lecteur au glossaire de Gordon Williams, article « nick » : « nick vagina. Plentifully recorded in the C17, and perhaps familiar enough in the 1590s to allow play in H5 iii.iv.55 […]. Catherine has mispronounced neck a few lines earlier, but here the audience is alerted by her comments on con and foutre. Now her distortions sound obscene to her, the audience may recognize undetected bawdry amongst these last four words which cause her most difficulty (chin perhaps suggesting sexual sin). » Gordon Williams, Shakespeare’s Sexual Language: A Glossary, op. cit., p. 215-6.
46 « excellent had lewd connotations, and was especially associated with buggery, as was assez, understood to mean ass-y enough. » Voir Juliet Fleming, « The French Garden: An Introduction to Women’s French », ELH, Volume 56, n°1, 1989, p. 45.
47 « Katharine’s language lesson is both a political and a sexual betrayal of the men of France. » Ibid., p. 44 (ma traduction).
48 William Shakespeare, Henry V, trad. Sylvère Monod, éd. Éric Dayre, GF, Paris, Flammarion, 2000 [1957].
49 C’est par exemple le cas de Jean-Michel Déprats. Voir William Shakespeare, La vie du roi Henry V, trad. Jean-Michel Déprats, éd. Gisèle Venet, Folio théâtre, Paris, Gallimard, 1999.
50 « Intersemiotic translation or transmutation is an interpretation of verbal signs by means of signs of nonverbal sign systems. » Roman Jakobson, « On Linguistic Aspects of Translation », Selected Writings: Word and Language, Mouton de Gruyter, 1971, p. 261.
51 D’après le texte français de Jean-Michel Déprats.
52 Jean-Michel Déprats, « « I cannot speak your England » : sur quelques problèmes de traduction d’Henry V », Shakespeare et la France : Actes du Congrès de 2000, éd. Patricia Dorval, Paris, Société Française Shakespeare, 2001, p. 80.
53 Marianne Montgomery, Europe’s Languages on England’s Stages, 1590-1620, Farnham, Ashgate, 2012, p. 41.
54 Michel Jeanneret, Des mets et des mots: banquets et propos de table à la Renaissance, op. cit., p. 217.
55 La référence au procédé de l’anamorphose faite par Christophe Camard dans un article consacré à la langue italienne chez Shakespeare et Ben Jonson semble particulièrement pertinente lorsqu’il s’agit de décrire les prodigieuses déformations verbales subies tant par les mots étrangers que par les mots familiers rendus étrange(r)s dans les jeux de mots interlinguistiques inventés par Shakespeare : « la plupart du temps l’auteur y ajoute sa touche personnelle, utilise ces mots étrangers afin de créer des jeux de mots porteurs de sens, si bien que Shakespeare dépasse le simple effet de couleur locale et cherche aussi à enrichir la langue anglaise afin de démultiplier les significations des mots de façon presque anamorphotique. » Cf. Christophe Camard, « ‘Petruchio, I shall be your ben venuto’ : Shakespeare, Jonson et la langue italienne », article cité, p. 41.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Mylène Lacroix, « Shakespeare au « banquet » des langues étrang(èr)es », Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 31 | 2014, 1-17.
Référence électronique
Mylène Lacroix, « Shakespeare au « banquet » des langues étrang(èr)es », Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 31 | 2014, mis en ligne le 30 avril 2014, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/2793 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.2793
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page