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« His meanest garment ! » Cymbeline ou la mémoire des mots

Nathalie Vienne-Guerrin
p. 167-181

Résumés

« His meanest garment » (Cymbeline, ii.iii.130-35) : l’objet de cette contribution est de partir de ces trois mots pour analyser comment, dans Cymbeline, s’articulent la mémoire et l’injure. Dans cette pièce, insulte et calomnie s’accrochent à la mémoire. Nous examinerons tout d’abord l’offense faite à Cloten et la rancune qui en découle. Puis, nous étudierons comment la calomnie subie par Imogen se construit et s’efface. Enfin nous décrirons brièvement le parcours d’un nom à la fois plein et vide de mémoire, « Posthumus Leonatus », qui, de nom propre devient nom commun à la fin de la pièce.

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Texte intégral

  • 1  Cymbeline, éd. Martin Butler, Cambridge, C.U.P., 2005, ii.iii.127. Toutes les citations renverront (...)
  • 2  Keith Allan et Kate Burridge, Forbidden Words. Taboo and the Censuring of Language, Cambridge, C.U (...)
  • 3  Bien que l'édition Cambridge utilisée propose Innogen, nous préférons le nom Imogen, qui est resté (...)

1Il est des mots qui restent en travers de la gorge ; il est des mots qu’on n’arrive pas à digérer ; il est des mots qui demeurent à jamais gravés dans nos mémoires : contre toute attente, les trois termes de Cymbeline, « his meanest garment1 », font partie de ces mots indélébiles, de ces mots assassins, de ces mots indigestes. Contre toute attente en effet car, à première vue, ces mots paraissent bien anodins, bien incolores, bien indolores, bien inoffensifs. À coup sûr, ces mots ne font pas partie des « mot interdits » étudiés par les linguistes Keith Allan et Kate Burridge dans leur ouvrage Forbidden Words. Taboo and the Censuring of Language2. « His meanest garment » : à première vue, il n’y a pas là de quoi crier « venez-y voir ! » ; « his meanest garment », à première vue il n’y a pas, dans ces mots, « mort d’homme » ; « his meanest garment », à première vue, il n’y a pas là de quoi faire « toute une histoire ». Et pourtant Shakespeare fait « toute une histoire » de ces mots qui hantent la mémoire de Cloten et nourrissent sa rancune, jusqu’à ce que mort s’ensuive. L’objet de cette contribution est de partir de ces trois mots pour analyser comment, dans Cymbeline, s’articulent la mémoire et l’injure. Dans cette pièce, insulte et calomnie s’accrochent à la mémoire. Nous examinerons tout d’abord l’offense faite à Cloten et la rancune qui en découle. Puis nous étudierons comment la calomnie subie par Imogen3 se construit et s’efface. Enfin nous décrirons brièvement le parcours d’un nom à la fois plein et vide de mémoire, « Posthumus Leonatus », qui, de nom propre devient nom commun à la fin de la pièce. Les histoires que l’on se raconte sont de bons aide-mémoires. Trois histoires d’injure structurent Cymbeline, et nous allons tenter de montrer qu’elles sont également trois histoires de mémoire.

« His meanest garment » : l’injure et la rancune

[...] His meanest garment,
That ever hath but clipped his body, is dearer
In my respect than all the hairs above thee,
Were they all made such men. (ii.iii.127-30)

  • 4  On retrouve cette inversion lorsque Belarius compare la vie qu’il mène avec ses fils, à celle des (...)
  • 5  Nous utilisons ici la traduction de « meanest garment » par François-Victor Hugo, Œuvres complètes(...)
  • 6  Dans Renaissance Clothing and the Materials of Memory, Cambridge, C.U.P., 2001, p. 200-201, Ann Ro (...)
  • 7 « And that she should love this fellow and refuse me ! », i.ii.18.
  • 8  Voir « garment » dans l’Oxford English Dictionary : « Old French garniment, garnement (plural garn (...)
  • 9  Voir Cymbeline, op. cit., p. 129.
  • 10  Voir « foil », sens 6 et 8 dans l’OED.
  • 11  Traduction de François-Victor Hugo. Dans un article intitulé « Worn Worlds : clothes and identity (...)
  • 12  Nous empruntons l’expression à Hal dans 1 Henry IV : « When thou hast tired thysef in base compari (...)

2Voilà en quels termes Imogen, s’adressant à Cloten, décrit tout à la fois l’amour qu’elle porte à Posthumus Leonatus et le dégoût qu’elle ressent pour Cloten. L’éloge de l’un et l’injure à l’autre se chevauchent et se disent d’un même souffle. Le noble (« dear ») et l’ignoble (« mean ») s’inversent4. « La ‘moindre nippe5’, le moindre sous-vêtement de Posthumus est plus cher à mes yeux, dit Imogen, que tout ce que tu pourras jamais être ou offrir. Il y a plus de noblesse dans le plus vil habit de Posthumus qu’il ne pourra jamais y en avoir dans mille Cloten. » Tel est, en substance, le sens de l’injure qu’Imogen fait à Cloten au cœur de la pièce, à l’acte ii, scène iii6. En évoquant l’habit de Posthumus, Imogen répond en des termes vestimentaires aux attaques de Cloten qui, ne pouvant supporter d’être supplanté par un homme de peu7, vient de traiter Posthumus de « bon à rien », de « vaut-rien » (« hilding », ii.iii.117). « Tu n’as pas le droit, dit-il à Imogen, tu n’as pas le droit, toi fille de roi, de te marier avec un moins que rien (« base wretch »), avec quelqu’un qui a vécu de l’aumône des grands (« one bred of alms and fostered with cold dishes, / With scraps o’th’court », ii.iii.107-109) ». Les mésalliances sont acceptables chez les petites gens (« though it be allowed in meaner parties », ii.iii.110) mais sont inconcevables chez les puissants. En t’accoquinant avec un « garnement » de cette espèce — rappelons que le terme « garment » est lié étymologiquement au terme « garnement8 », qui signifie « vaurien » —, tu mets en péril l’image de la couronne, tu déshonores les tiens, tu entaches la réputation, le renom, la mémoire de la famille royale : « [you] must not foil the precious note [c’est moi qui souligne] of it [the crown] with a base slave », dit Cloten à Imogen. Dans l’édition Cambridge9, Martin Butler souligne que le mot « foil », qu’il traduit par « dishonour », a parfois été lu « soil » ou « file », termes qui renvoient alors à la souillure qu’Imogen fait subir, par sa conduite, au monde dont elle est issue. Mais cette tache dont Imogen souille la mémoire des siens est présente dans le terme « foil » lui-même, qui signifie « fouler au pied » et dont l’OED nous signale qu’il est lié à « foul » et peut signifier « foul, defile, pollute ». Le terme « foil » lui-même évoque la souillure10, le verbe pouvant signifier « to foul, defile, pollute » (sens III.6 dans l’OED) et « to cause filth, to drop excrement » (sens III.8 dans l’OED). Pour Cloten, Posthumus, le manant (« base slave », ii.iii.116), fait tache ; il est une souillure qui ternit la couronne et la lignée royale. Au cœur de cette tirade injurieuse qui précède la réplique d’Imogen, Cloten pose la question rhétorique suivante : « Yet who than he more mean ? » (ii.iii.111) : dans l’échelle sociale, peut-on imaginer plus bas que Posthumus ? Y-a-t-il quelqu’un au-dessous de ce moins que rien ? Voulant signifier la bassesse sociale de son rival, Cloten décrit alors Posthumus comme une « espèce à livrée11 » (« a hilding for a livery », un vaurien tout juste bon à être serviteur, à porter une livrée) et comme une « étoffe d’écuyer » (« a squire’s cloth », ii.iii.117). Aussi lorsque l’on entend Imogen dresser cette « basse comparaison12 » entre les deux hommes, on ne peut manquer d’apprécier l’écho et l’effet boomerang des termes lancés par Cloten, qui lui reviennent ironiquement en pleine figure. Le « mean » et le « garment » sont soufflés par Cloten à Imogen qui, en bonne rhétoricienne, retourne les armes verbales de Cloten contre lui.

  • 13  Ros King, Cymbeline :Constructions of Britain, Aldershot, Ashgate, 2005, p. 26.
  • 14  Voir Jones et Stallybrass, op. cit., p. 200-201.
  • 15  Ibid., p. 201.
  • 16  Ibid. Voir aussi l’article de Peter Stallybrass : « Worn Worlds : Clothes and Identity on the Rena (...)
  • 17  Jones et Stallybrass, op. cit., p. 38.

3Dans Cymbeline: Constructions of Britain, Ros King s’interroge sur le sens de cette injure: « The euphemism is here meant to puzzle, — which garment does she mean? And how mean can a garment get? The Elizabethans did not wear underpants. But the meaning of the sound of the phrase is clear: it almost necessitates curling the lip and spitting out the consonants13. » Dans leur ouvrage consacré au vestimentaire et à la mémoire, Ann Rosalind Jones et Peter Stallybrass notent comment, dans Cymbeline notamment, le vêtement est porteur de mémoire. Ils soulignent, en particulier, que, dans l’imaginaire de la Renaissance, les habits gardent la mémoire de ceux qui les portent et que dans le contexte de Cymbeline, où Posthumus est l’amoureux absent, le moindre de ses vêtements est chéri par Imogen14 : « In the Renaissance clothes could be imagined as retaining the identity and the form of the wearer15 ». Ils ajoutent: « The garment bears quite literally the trace and the memory of the owner16 ». Jones et Stallybrass ont bien analysé comment toute la pièce garde en mémoire cette image et comment le motif du vêtement circule au fil des scènes et se charge d’un sens hautement symbolique. Ils montrent bien comment, dans les portraits de l’époque, ce sont les habits qui dégagent des expressions, des personnalités : « The clothes provide a specificity that the faces do not17 ». Cette remarque éclaire la scène de fausse reconnaissance au cours de laquelle Imogen découvre le corps sans tête de Cloten/Posthumus (iv.ii.290-331).

  • 18  Evelyne Larguèche, L’Effet injure. De la pragmatique à la psychanalyse, Paris, Presses Universitai (...)
  • 19  L’image de la mémoire comme forme d’impression est présente dans le texte : « Some more time / Mus (...)
  • 20  Voir Jones et Stallybrass et également Lina Perkins Wilder, Shakespeare’s Memory Theatre. Recollec (...)

4Au-delà de cet aspect mémoriel de l’habit, ce que la présence obsédante du vêtement révèle, c’est l’impact de cette injure dans la mémoire de Cloten. Cymbeline met en scène de façon spectaculaire ce qu’Evelyne Larguèche a nommé « l’effet injure18 ». L’injure ici s’imprime19 dans la mémoire de Cloten et devient obsession. Tout comme Dogberry qui, dans Much Ado About Nothing, répète à l’envi qu’il est un âne (« Remember that I am an ass », iv.ii.74), Cloten nourrit la mémoire de cette injure par la répétition, par le ressassement. Alors que le texte montre qu’Imogen est préoccupée par la perte de son bracelet, Cloten est, quant à lui, obsédé par l’injure qui vient de lui être faite et qui lui reste sur le cœur. Le texte joue sur ce décalage comique : il faut, en effet, un petit moment à Cloten pour comprendre ce qui vient de lui arriver et Imogen est déjà passée à un autre sujet lorsqu’il finit par s’exclamer : « His garment ? » (ii.iii.131), « His garment ? » (ii.iii.133). Cloten veut en découdre avec son assaillante tandis qu’elle l’ignore royalement, tout occupée qu’elle est à discuter avec Pisanio : « You have abused me. / His meanest garment ? » (ii.iii.143-44) reprend-il une troisième fois. « Ay », finit-elle par répondre, « I said so, sir. / If you will make’t an action, call witness to’t » (ii.iii.144-45) : le défi ironique d’Imogen renvoie ici au goût que Cloten manifeste pour le conflit dans les scènes précédentes et, plus largement, à la mode élisabéthaine à la fois des duels et des procès en diffamation. Face à l’indifférence et à l’ironie, Cloten se rabat sur un « je vais le dire à ton père » (« I will inform your father », ii.iii.146) enfantin, qui ajoute à son ridicule. Rapporter l’injure en prolonge ici comiquement l’effet. Même la version BBC (réal. Elijah Moshinsky, 1982), qui propose une vision assez noire de la pièce, fait d’ailleurs ressortir le comique de la scène. Face à Imogen qui le renvoie dans les jupons de sa mère (« your mother too », ii.iii.146), Cloten se réfugie dans la vengeance. « I’ll be revenged. His meanest garment ? Well ! » (ii.iii.149-150). De cette injure et de la rancune qu’elle engendre va naître une bonne partie de l’intrigue puisque Cloten va bel et bien faire de cet affront une « affaire » (« make’t an action » dans le sens d’action en justice, ii.iii.145), ainsi qu’une « action » en revêtant le costume de Posthumus et en renvoyant ainsi à Imogen son injure à la face, de manière littéralisée. Si Cloten réagit à ces mots plus qu’à d’autres (il est notamment aussi traité de « fool », ii.iii.95-96), c’est qu’il cultive une conscience de classe mais aussi parce qu’il y a là « matière » à un riche jeu théâtral. L’habit est certes matière à mémoire, mais aussi matière à théâtre20.

5Dans Impersonal Passion, Language as Affect, Denise Riley ouvre un chapitre consacré à la malédiction en ces termes :

  • 21  L’expression « the word made flesh » est utilisée dans un autre ouvrage de Riley, écrit en collabo (...)
  • 22  Denise Riley, Impersonal Passion. Language as Affect, Durham et Londres, Duke University Press, 20 (...)

The worst words revivify themselves within us, vampirically. Injurious speech echoes relentlessly, years after the occasion of its utterance, in the mind of the one at whom it was aimed: the bad word, splinterlike [comme une écharde], pierces to lodge. In its violently emotional materiality, the word is indeed made flesh21 and dwells amongst us — often long outstaying its welcome. Old word-scars embody a ‘knowing it by heart,’ as if phrases had been hurled like darts into that thickly pulsating organ. But their resonances are not amorous. Where amnesia would help us, we cannot forget22.

  • 23  Op. cit., p. 50.
  • 24  Denise Riley souligne également l’effet d’écho produit par l’injure en terme de « réverbération », (...)

6Cette citation me semble bien exprimer le rapport de l’injure à la mémoire. Les mots qui blessent, tels des échardes, ne peuvent être extirpés de la mémoire et laissent des cicatrices (« word scar »). Dans The Force of Language, Denise Riley parle de « anamnesia » ou « unforgetting » et décrit l’effet que peut avoir l’injure en ces termes : « There is in effect a verbal form of post-traumatic stress disorder, marked by unstoppable aural flashbacks23 ». Cloten, pourrait-on dire, souffre d’anamnèse, d’une incapacité à oublier24. L’injure frappe autant de fois que Cloten la redit, fût-ce sur le mode interrogatif (« his menanest garment ? », ii.iii.150). Cette incapacité à oublier peut se formuler en un autre terme : la rancune, dont on peut voir la manifestation lorsque Cloten demande à Pisanio de lui apporter les vêtements de Posthumus et, se retrouvant seul, partage avec le public l’idée qu’il se fait de sa propre vengeance :

I would these garments were come. She said upon a time — the bitterness of which I now belch from my heart [c’est moi qui souligne]— that she held the very garment of Posthumus in more respect than my noble and natural person, together with the adornment of my qualities. With that suit upon my back will I ravish her; first kill him, and in her eyes; there shall she see my valour, which will then be a torment to her contempt. He on the ground, my speech of insultment [c’est moi qui souligne] ended on his dead body, and when my lust hath dined — which, as I say, to vex her I will execute in the clothes that she so praised — to the court I’ll knock her back, foot her home again. She hath despised me rejoicingly, and I’ll be merry in my revenge. (iii.v.129-139)

  • 25  Sur les codes de duels voir Nathalie Vienne-Guerrin, « La réécriture des codes de duel dans l’inju (...)

7« The bitterness of which I now belch from my heart »: l’injure touche à la fois au ventre, à la gorge et au cœur. Il n’est pas fortuit que le terme « belch » apparaisse ici, chargé des relents qui laissent à Cloten un goût amer (« bitterness »). Cloten exhale des odeurs de rancune que Shakespeare met en valeur en jouant sur le double sens du terme « rank ». À l’acte ii scène i, il se lamente de ce que sa haute naissance l’empêche de se battre en duel avec des plus petits que lui25 : « Would he had been one of my rank ! », s’exclame-t-il, ce qui donne lieu à un aparté ironique prononcé par le Second Lord : « To have smelled like a fool » (ii.i.14-15). Le terme « rank » signifie « rang » mais renvoie aussi à une odeur « rancie », sens vers lequel nous oriente le commentaire du Second Lord. Les mots « rancune » et « rancœur » français, tout comme le mot « rancour » en anglais sont liés étymologiquement à cette odeur de « rance ». Le Dictionnaire historique de la langue française souligne l’étymologie suivante : rance (en anglais « rancid », qui est l’un des sens de « rank ») est issu du latin rancidus qui signifie « avarié, qui sent » d’où « putréfié, infect » et au figuré « désagréable, déplaisant, insupportable ». Le mot dérive du verbe rare rancere signifiant « mûrir, pourrir ». Dans l’OED, on trouve ce lien étymologique dans le mot « rancour » (« classical Latin rancere to be rotten or putrid »). La mémoire des conflits s’inscrit dans le corps même de Cloten et se manifeste du début à la fin de la pièce par une trace olfactive. Aussi la première apparition de Cloten sur scène s’accompagne-t-elle d’une odeur signalée par le First Lord, odeur à laquelle s’accroche la mémoire du duel évité avec Posthumus : « Sir, I would advise you to shift a shirt ; the violence of action hath made you reek as a sacrifice. Where air comes out, air comes in; there’s none abroad so wholesome that you vent » (i.ii.1-4). Le terme « reek » renvoie aux vapeurs nauséabondes dégagées par la carcasse du bouc émissaire. Et la flatterie du Lord, qui semble suggérer que l’air exhalé par Cloten est des plus délicieux, ne peut faire oublier l’odeur de putréfaction évoquée par « reek sacrifice ». Lorsque l’on considère que Shakespeare laisse littéralement pourrir le corps de Cloten sur scène — ironique bien sûr lorsque l’on se souvient qu’il avait lancé un « The south fog rot him » (ii.iii.215) destiné à Posthumus — Cloten devient la « rancune » incarnée qui em-peste le monde. Quel que soit l’habit auquel il est associé, cet habit sent mauvais.

« You do remember / This stain upon her? » (ii.iv.138-39) : La calomnie ou la mémoire entachée

  • 26  Voir l’édition d’Elizabeth Story Donno, New York, Columbia University Press, 1962. Au sujet de ce (...)

8Contrairement à Cloten, Imogen, quant à elle, sent bon. Lors de sa visite nocturne, Iachimo souligne la douceur de son haleine : « ’tis her breathing that perfumes her chamber thus » (ii.ii.18). Le parfum qu’elle exhale est signe, trace, mémoire de sa beauté, dont l’emblème est le grain, hérité du Decameron de Boccace, qu’elle porte au sein gauche : « On her left breast / A mole cinque-spotted » (ii.ii.37-38). Mais tout comme le grain de beauté se transforme en tache (« stain »), le parfum d’Imogen vire au rance, une fois la sale besogne du calomniateur accomplie : « Poor I am stale [c’est moi qui souligne], a garment out of fashion » (iii.iv.49). Le terme « stale » signifie « défraîchi » mais aussi « uriner ». Il est chargé de l’odeur bien désagréable évoquée par Harington dans son ouvrage consacré aux lieux d’aisance : A new Discourse of a Stale Subject called The Metamorphosis of Ajax (1596)26. Calomniée par Iachimo, Imogen devient ironiquement ce linge sale (« meanest garment ») dont elle avait verbalement affublé Cloten.

9Comme Othello ou The Winter’s Tale, Cymbeline est, en effet, l’histoire d’une calomnie. Le motif bien connu du mot qui frappe et tue y est présent. Témoin de l’effet qu’a, sur Imogen, la lettre assassine écrite par Posthumus, Pisanio commente :

What shall I need to draw my sword? The paper
Hath cut her throat already. No, ’tis slander,
Whose edge is sharper than the sword, whose tongue
Outvenoms all the worms of Nile, whose breath
Rides on the posting winds and doth belie
All corners of the world. Kings, queens, and states,
Maids, matrons, nay, the secrets of the grave
This viperous slander enters. (iii.iv.30-37)

  • 27  Variante de « If her breath were as terrible as her terminations, there were no living near her, s (...)
  • 28  À ce sujet, voir notamment Nathalie Vienne-Guerrin, The Unruly Tongue in Early Modern England. Thr (...)

10Sont ici condensées toutes les images qu’employaient les Élisabéthains pour évoquer l’efficacité et la matérialité des mots : la pointe de l’épée, le venin, le souffle qui infecte jusqu’au bout du monde27 et porte son assaut plus loin que le bras, toutes ces images apparaissent de façon récurrente dans d’autres pièces de Shakespeare, dans les textes élisabéthains consacrés à la langue mais aussi dans leurs sources bibliques et classiques28. La calomnie atteint jusque dans la tombe (« the secrets of the grave ») et a une vie posthume. Il y a une vie après la mort pour le mot calomnieux, tant il s’incruste dans la mémoire. Imogen évoque elle aussi les blessures infligées par les mots que rien ne peut cicatriser :

I have heard I am a strumpet, and mine ear,
Therein false struck, can take no greater wound,
Nor tent to bottom that.
(iii.iv.112-14)

  • 29  Voir notamment le traité de Charles Gibbon, qui peut être lu comme un traité sur la mémoire, The P (...)
  • 30  Voir notamment les références à Philomel et Tereus (ii.ii.45-46) et à Tarquin (ii.ii.12).
  • 31  Cymbeline, éd. Roger Warren, Oxford, Oxford University Press, 1998.

11La profondeur de la plaie, décrite en termes chirurgicaux ici (« tent »), est insondable et intraitable. Ces images qui soulignent combien dire, c’est faire, et combien les mots peuvent laisser leur trace, ces images sont fréquentes dans la culture de la langue qui parcourt les textes élisabéthains29. Mais dans Cymbeline, ce lien du mot à la mémoire prend encore une autre dimension, plus originale, lorsque que l’on considère que la calomnie de Iachimo repose sur sa mémoire. Lorsque l’on voit Iachimo pénétrer l’intimité d’Imogen au cours d’une scène de viol euphémisée30 (dans la version BBC, Iachimo apparaît torse nu et le jeu avec le bracelet qu’il met à son propre poignet est très suggestif), on se rend compte que l’instrument de sa calomnie est sa mémoire. Il lui faut retenir le plus de détails possible afin de donner crédit aux propos calomnieux qu’il tiendra à Posthumus, afin de faire passer un mensonge pour une vérité. On comprend que Cymbeline, c’est « Much Ado About Nothing/Noting », lorsque Iachimo déclare: « But my design —/ To note the chamber. I will write all down. » (ii.ii.23-24). L’édition Cambridge indique alors qu’il sort un carnet (« takes out his notebook »), l’édition Oxford signale « He writes in his tables31 » : quelle que soit la didascalie choisie, le but de la manœuvre est de mémoriser le plus d’éléments possible. Quelle que soit la didascalie, dans ce carnet de notes, ou sur ces tablettes, c’est la calomnie qui est en train de s’écrire. Dans son ouvrage Shakespeare’s Memory Theatre, Lina Perkins Wilder note:

  • 32  Ces termes sont empruntés à Love’s Labour’s Lost, iv.ii.66-72.
  • 33  Perkins Wilder, op. cit., p. 5.

In the vocabulary of the memory arts, the gathering of materials that will become ‘forms, figures, shapes, objects,’ and ‘ideas32’ is ‘noting,’ a word that provides Shakespeare with one of his famous quibbles33.

  • 34  Perkins Wilder, op. cit., p. 35 et p. 37. « Peter recommends using women as memory images », p. 35
  • 35  Le jeu de mots sur « nothing » et « noting » est bien connu, mais Lina Perkins Wilder souligne éga (...)

12On trouve dans le monologue de Iachimo le terme « figures » (ii.ii.26) dont Martin Butler suggère qu’il fait référence aux motifs présents sur les tapisseries qui ornent la chambre d’Imogen. Mais à la lecture de l’ouvrage de Perkins Wilder, qui ne mentionne pas Cymbeline, il apparaît que ce terme doit être interprété dans le contexte des techniques de mémorisation développées à l’époque, qui reposaient sur des figures et des croquis. De même, lorsque Iachimo parle des « détails naturels de son corps » (« some natural notes about her body », ii.ii.28) qui l’aideront à convaincre Posthumus, on peut voir là la mise en œuvre d’un conseil qui était donné par certains artistes de la mémoire (« memory artists »), comme Peter Ravenna, d’utiliser des images de femmes comme aide-mémoires (« memory images », « mnemonic images34 »). Lorsqu’il en vient à ce détail corporel, Iachimo s’exclame « Why should I write this down that’s riveted, / Screwed to my memory? » (ii.ii.43-44). Le corps d’Imogen est si mémorable qu’il n’est point besoin de le coucher sur du papier. Dans cette scène, la chambre à coucher (« chamber », ii.ii.19) et le corps de la femme se superposent comme lieux de mémoire35.

13Un autre sens du terme « note » renvoie au renom, à la réputation. L’ironie apparaît dans toute sa splendeur lorsque l’on considère que chaque souvenir (« note ») de cette chambre sera une pierre à l’édifice diffamatoire construit de toutes pièces par Iachimo. L’ironie veut en effet que chacune des beautés qu’il remarque (« rubies unparagoned », ii.ii.17) dans cet espace intime s’inverse en laideur lorsqu’il le rapporte, de mémoire, à Posthumus. L’éloge se renverse en injure, le noble en ignoble. Ces beautés rapportées sont autant de coups portés à la fois à Posthumus et à Imogen. Aussi n’est-il pas étonnant que l’un et l’autre en meurent, au moins symboliquement. Seule la mort, euphémisée ou non, permet dans les pièces de Shakespeare de faire taire partiellement la calomnie. C’est le cas dans Othello, c’est le cas dans Much Ado About Nothing et dans The Winter’s Tale où Hero et Hermione doivent mourir symboliquement pour espérer laver leur mémoire entachée. Dans Cymbeline, ce passage nécessaire — mais non suffisant — par la mort est abordé en termes d’oubli. Pisanio donne, en effet, à Imogen le conseil suivant: « You must forget to be a woman » (iii.iv.153); « Nay, you must forget that rarest treasure of your cheek, / Exposing it »; « and forget / Your laboursome and dainty trims, wherein / You made great Juno angry » (iii.iv.153-64). De lieu de mémoire qu’elle était, Imogen doit devenir oubli, se faire oublier, s’effacer en rayant toute trace de féminité à laquelle la calomnie pourrait s’accrocher. Elle doit s’efforcer d’oublier son rôle (« the woman’s part », ii.v.22). En volant son bracelet, Posthumus lui a volé son nom pour le remplacer par celui de catin (« She hath bought the name of whore [c’est moi qui souligne] so dearly » dit Posthumus, ii.iv.218). L’un des termes élisabéthains qui expriment la calomnie est « detraction ». Dérivé de de-trahere, il renvoie à une forme de vol. L’OED traduit « detract » par « take reputation from ». En volant son bracelet, c’est à son nom, à sa réputation que Iachimo s’en prend. « You do remember / This stain upon her ? » (ii.iv.137-38) demande Iachimo à Posthumus, faisant allusion au grain de beauté d’Imogen. « Ay, and it doth confirm / Another stain, as big as hell can hold, / Were there no more but it. » (ii.iv.139-41), répond-il. La tache laissée par la calomnie demeure effectivement inoubliable, indélébile.

14Si Imogen subit cette détraction, le vol, la perte de son « nom », Posthumus quant à lui entend inscrire lui-même son nom dans les mémoires et invite à envisager cette trace dans les mémoires qu’on appelle re-nommée sous un jour paradoxal.

« Every villain / Be called Posthumus Leonatus! » (v.iv.223-24)

15Dans un ouvrage rarement cité et rarement étudié, The Praise of a Good name. The reproch of an ill name (1594), Charles Gibbon évoque de façon récurrente la trace que l’humain souhaite laisser derrière lui :

  • 36  Gibbon, op. cit., p. 1.

Every one by nature is desirous of a Name, and so desirous, that many rather then they will have it buried in oblivion, will pretermit no practises be they never so impious to procure it. In heathen histories it is reported of one that burnt the Capitoll of Rome who beeing demaunded why hee did so aunswered, because he would be spoken of36.

16Tels sont les mots qui ouvrent the Praise of a good Name. Selon l’auteur, chacun d’entre nous est désireux de préserver la mémoire de son nom. Et l’auteur signale que de ce principe découlent des règles sociales et politiques :

  • 37  Ibid.

The memoriall of Names, hath of antiquitie beene had in such reverend estimation, that our auncesters provided politicall Lawes to preserve their Names37.

17Les pratiques de mariage et de succession dont l’auteur trouve des exemples dans la Bible ont été conçues pour faire perdurer le nom. De tout temps, déclare l’auteur, les hommes se sont préoccupés de la mémoire de leur nom :

[…] that rather then they would have their Names extinct, they omitted nothing that might be a meane to maintaine them.

  • 38  Ibid., p. 2.

The Romaines […] had a Table of brasse, in which the Names of famous and noble men were used to be written for a perpetuall fame or memory, and if any of them afterward were convicted off fellony, or any egregious offence, he was presently strooke out of the Table, and that was called the death of prescription38.

18La pire punition que l’on puisse infliger à quelqu’un, c’est de le rayer des mémoires, de l’éliminer de la mémoire collective. Notre descendance fait office de mémoire et, lorsque l’on en est privé, on préserve son nom en construisant des monuments, des édifices, des villes. Les tombes, les sépultures et les épitaphes que l’on y grave sont les traces qui perpétuent notre souvenir après notre mort :

  • 39  Ibid., p. 3.

There be others that have epitaphs and epigrams engraved upon their gravestones, for no other cause, but that their names might be remembred when they are dead39.

19C’est sur un mode paradoxal que Posthumus s’emploie à graver son nom dans nos mémoires lorsqu’il découvre, avec horreur, l’innocence d’Imogen. Alors qu’il rebâtit verbalement un temple à sa gloire (« The temple / Of virtue was she », v.iv.220-21), il écrit conjointement sa propre histoire et se fait le héraut de sa propre infamie. La première scène chantait les louanges de Posthumus dont on nous disait à quel point il était unique (i.i.17-27). À la fin de Cymbeline, on passe de l’éloge (« the praise of a good name ») à l’injure (« the reproch of an ill name »):

Spit and throw stones, cast mire upon me, set
The dogs o’th’street to bay me. Every villain

Be called Posthumus Leonatus, and
Be ‘villain’ less than ’twas. (v.iv.223-25)

20On a là une description métaphorique détaillée de l’acte de langage qu’est l’injure (« spit », « throw stone », « cast mire ») et on assiste à la transformation d’un nom en injure. Mais ce qu’il faut noter, c’est que Posthumus inscrit ici son nom dans les mémoires, en l’inscrivant non pas sur une tablette mais dans la langue elle-même et en faisant d’un nom qui jusqu’ici était « propre », un nom commun, partagé par tous les scélérats du monde, au panthéon desquels il entend figurer. C’est dans la langue elle-même que Posthumus entend graver son infamie. Cette scène de remords renvoie à l’insuffisance, à l’impuissance du langage à exprimer la vilenie et à la nécessité de faire bouger la langue, à la nécessité de mettre à jour les dictionnaires.

21« Every villain be called Posthumus Leonatus, and be ‘villain’ less than it was » : Posthumus fait ici entrer son nom, aussi infamant soit-il, dans un dictionnaire imaginaire qu’il met à jour lui-même en signalant l’évolution diachronique du sens du mot « villain » et en mettant en relief le mécanisme même de la connotation. « I cannot delve him to the root » (i.i.28) nous disait le premier gentilhomme au début de la pièce. C’est Posthumus qui reconstitue la racine de ce nom ; à la fin de la pièce Posthumus « se fait un nom » ; revanche ironique pour un personnage dont l’origine du nom a été effacée par le roi, personnage dont le nom n’en est pas un et dont le premier gentilhomme nous disait au début de la pièce qu’il ne pouvait en retracer l’origine, qu’il ne pouvait en dégager la racine. Il y a des trous dans la mémoire, nous rappelle le nom Posthumus. La première scène nous donnait l’origine, la source, l’étymologie, bref, la mémoire lacunaire de ce nom. En faisant passer son nom du statut de nom propre au statut de nom commun, Posthumus nous en donne du même coup une nouvelle étymologie, une autre racine, une nouvelle mémoire. À l’image de la langue, incarnant la condition même de son évolution, « Posthumus Leonatus » est un nom à la fois plein de mémoire et vide de mémoire, à la fois lieu de mémoire et trou de mémoire.

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Notes

1  Cymbeline, éd. Martin Butler, Cambridge, C.U.P., 2005, ii.iii.127. Toutes les citations renverront à cette édition.

2  Keith Allan et Kate Burridge, Forbidden Words. Taboo and the Censuring of Language, Cambridge, C.U.P., 2006.

3  Bien que l'édition Cambridge utilisée propose Innogen, nous préférons le nom Imogen, qui est resté dans les mémoires.

4  On retrouve cette inversion lorsque Belarius compare la vie qu’il mène avec ses fils, à celle des vils escarbots (ou bousiers, « dung beetles »), dont la vie est plus noble et plus heureuse que celle des aigles : « The sharded beetle in a safer hold / Than is the full-winged eagle » (iii.iii.20-21). L’édition Cambridge signale qu’on a là une résurgence de la fable d’Ésope, « L’aigle et l’escarbot », dans laquelle le vêtement joue d’ailleurs un rôle important.

5  Nous utilisons ici la traduction de « meanest garment » par François-Victor Hugo, Œuvres complètes, Tome II, Paris, La Pléiade, 1959, p. 1333 et sq.

6  Dans Renaissance Clothing and the Materials of Memory, Cambridge, C.U.P., 2001, p. 200-201, Ann Rosalind Jones et Peter Stallybrass notent en effet qu’il peut être pertinent de retenir l’orthographe du Folio 1 et de lire « heires » (dans « His meanest garment […] is dearer / In my respect than all the hairs above thee ») derrière ce « haires », suggérant ainsi l’idée que le plus simple « appareil » de Posthumus est plus précieux que tous les nobles héritiers (heires) que Cloten pourrait bien engendrer. Si l’on considère qu’Imogen répond ici à Cloten qui vient de souligner que d’une union « ignoble » ne peuvent naître que des miséreux (« brats and beggary », ii.iii.113), cette lecture du mot « heires/haires » paraît d’autant plus attrayante.

7 « And that she should love this fellow and refuse me ! », i.ii.18.

8  Voir « garment » dans l’Oxford English Dictionary : « Old French garniment, garnement (plural garnemens) equipment, armour, vestments (in modern French only mauvais garnement rascal, or ellipt. for this) ».

9  Voir Cymbeline, op. cit., p. 129.

10  Voir « foil », sens 6 et 8 dans l’OED.

11  Traduction de François-Victor Hugo. Dans un article intitulé « Worn Worlds : clothes and identity on the Renaissance stage », Peter Stallybrass explique le paradoxe du terme qui renvoie à la fois à la servitude et à la liberté : « To oversimplify, livery in a household was a mark of servitude whereas livery in a guild was a mark of freedom ». Subject and Object in Renaissance Culture, éd. Margreta de Grazia, Maureen Quilligan et Peter Stallybrass, Cambridge, C.U.P., 1996, chap. 10, p. 289-320, p. 289.

12  Nous empruntons l’expression à Hal dans 1 Henry IV : « When thou hast tired thysef in base comparisons… » (ii.v.253).

13  Ros King, Cymbeline :Constructions of Britain, Aldershot, Ashgate, 2005, p. 26.

14  Voir Jones et Stallybrass, op. cit., p. 200-201.

15  Ibid., p. 201.

16  Ibid. Voir aussi l’article de Peter Stallybrass : « Worn Worlds : Clothes and Identity on the Renaissance Stage », in Subject and Object in Renaissance Culture, op. cit, p. 309-310.

17  Jones et Stallybrass, op. cit., p. 38.

18  Evelyne Larguèche, L’Effet injure. De la pragmatique à la psychanalyse, Paris, Presses Universitaires de France, 1983.

19  L’image de la mémoire comme forme d’impression est présente dans le texte : « Some more time / Must wear the print of his remembrance out, / And then she’s yours » (ii.iii.37-39).

20  Voir Jones et Stallybrass et également Lina Perkins Wilder, Shakespeare’s Memory Theatre. Recollection, Properties, and Character, C.U.P., 2010, p. 1.

21  L’expression « the word made flesh » est utilisée dans un autre ouvrage de Riley, écrit en collaboration avec Jean-Jacques Lecercle, The Force of language, Palgrave Macmillan, 2004, p. 1.

22  Denise Riley, Impersonal Passion. Language as Affect, Durham et Londres, Duke University Press, 2005, p. 9.

23  Op. cit., p. 50.

24  Denise Riley souligne également l’effet d’écho produit par l’injure en terme de « réverbération », mot dont elle commente l’étymologie. Le terme vient de verberare qui signifie « battre à coups de verge, frapper », verbera signifiant « baguette, verge, fouet » ou encore « réprimandes » (p. 12). Cette étymologie donne une racine très physique au phénomène de réverbération acoustique que Cloten donne à entendre.

25  Sur les codes de duels voir Nathalie Vienne-Guerrin, « La réécriture des codes de duel dans l’injure shakespearienne », Réécritures, éd. Jean-Pierre Maquerlot, Publications de l’Université de Rouen, 2000, p. 37-53.

26  Voir l’édition d’Elizabeth Story Donno, New York, Columbia University Press, 1962. Au sujet de ce texte et des traces qu’il laisse dans le script shakespearien, voir Nathalie Vienne-Guerrin, « ‘Castalian King Urinal Hector of Greece’ : la ‘langue latrine’«  dans The Merry Wives of Windsor », Langue et altérité dans la culture de la Renaissance, éds. Ann Lecercle et Yan Brailowsky, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2008, p. 15-30.

27  Variante de « If her breath were as terrible as her terminations, there were no living near her, she would infect to the north star », Much Ado About Nothing, ii.i.233-34.

28  À ce sujet, voir notamment Nathalie Vienne-Guerrin, The Unruly Tongue in Early Modern England. Three Treatises, Madison/Teaneck, Fairleigh Dickinson University Press, 2012, introduction, p. xvii-lii.

29  Voir notamment le traité de Charles Gibbon, qui peut être lu comme un traité sur la mémoire, The Praise of a good name. The Reproch of an ill name, Londres, 1594, STC (2nd ed.) / 11819. On y trouve, par exemple : « Although a good name may bee recovered agayne in time : […] yet it wilbe long ere it bee worne out of mens mouthes and memories : yea and when the best is done, as it is hard to cure a wound so well, but that a skarre will appeare in the skinne, so you shall as hardly recover the other, but it will be a blot to the name. » (Gibbon, p. 29).

30  Voir notamment les références à Philomel et Tereus (ii.ii.45-46) et à Tarquin (ii.ii.12).

31  Cymbeline, éd. Roger Warren, Oxford, Oxford University Press, 1998.

32  Ces termes sont empruntés à Love’s Labour’s Lost, iv.ii.66-72.

33  Perkins Wilder, op. cit., p. 5.

34  Perkins Wilder, op. cit., p. 35 et p. 37. « Peter recommends using women as memory images », p. 35.

35  Le jeu de mots sur « nothing » et « noting » est bien connu, mais Lina Perkins Wilder souligne également le lien entre le terme « locus » (« space », lieu) et l’appareil génital féminin : « Key among these spaces and objects is the not-quite-empty space, the locus, of the female body. An etymological coincidence connects women’s bodies to mnemonic ‘places’ : as well as signifying a ‘place’ in the memory arts, the word locus, as Helkiah Crooke notes, was a euphemism for the female genitalia », p. 2-3. On voit ici le lien entre la prise de possession d’un lieu (locus) et d’une femme, le terme « locus » renvoyant à un lieu de mémoire (« a place in memory arts ») mais aussi au sexe féminin (« a euphemism for the female genitalia »). Sur ce point, Perkins Wilder renvoie à l’ouvrage de Rhonda Lemke Sanford, Maps and Memory in Early Modern England. A Sense of Place, New York, Palgrave, 2002, p. 27-74.

36  Gibbon, op. cit., p. 1.

37  Ibid.

38  Ibid., p. 2.

39  Ibid., p. 3.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nathalie Vienne-Guerrin, « « His meanest garment ! » Cymbeline ou la mémoire des mots »Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 30 | 2013, 167-181.

Référence électronique

Nathalie Vienne-Guerrin, « « His meanest garment ! » Cymbeline ou la mémoire des mots »Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 30 | 2013, mis en ligne le 03 avril 2013, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/1956 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.1956

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Auteur

Nathalie Vienne-Guerrin

IRCL (UMR 5186), Université Paul-Valéry Montpellier 3

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