Avant-Propos
Texte intégral
1Avec la chute de Constantinople en 1453, l’Empire ottoman devient la principale incarnation de l’Orient, un Orient antagoniste et menaçant. Au xvie siècle, cet empire est le plus puissant du monde et l’intérêt pour les Turcs est en conséquence très intense comme en témoignent les innombrables histoires, dont la plus célèbre en Angleterre est celle de Richard Knowles (1603). L’établissement des « capitulations » anglaises dans le Levant à partir de 1580 semble coïncider avec une vogue pour les pièces orientales sur les scènes élisabéthaines. Mais, même s’il les éclipse au xvie siècle, l’Empire ottoman ne doit pas faire oublier les autres faces de l’Orient : celle d’Ivan le Terrible et des invasions tatares en Russie, ou celle des missions jésuites dans la Chine des Ming à partir de 1583, après l’abandon de la route de la soie et une longue période d’isolation.
2Vu à travers le prisme du théâtre élisabéthain et jacobéen, l’Orient renaissant commence à Venise, qui sert de cadre à Michèle Vignaux pour examiner dans Othello et The Merchant of Venice la figure de la conversion religieuse. Anne-Valérie Dulac explore un autre lieu de contact, que réfléchissent les théories optiques arabes, pour apporter un éclairage nouveau à la lecture des Sonnets. Les relations directes avec l’Empire ottoman sont à l’honneur dans deux contributions dont le point focal est le récit des voyages des frères Sherley. Ainsi, Jean-Pierre Villquin se penche sur The Travels of the Three English Brothers, une pièce directement inspirée de cette source, tandis que Richard Wilson traque le même intertexte historique dans Twelfth Night. Ces enquêtes sont complétées par l’examen des accessoires déjà « orientalistes » auquel Ladan Niayesh se livre sur le corpus shakespearien, et par des analyses élargies à la scène jacobéenne et caroléenne qu’Anne Duprat applique aux figures de ces « autres » orientaux que sont le Juif, le Maure et le Turc. Enfin, la perspective s’allonge un peu plus avec François Laroque qui passe au peigne fin les diverses représentations du désir inspirées par les échanges commerciaux avec la Chine et l’Inde.
3Mais la réflexion développée dans ce volume est double en raison de la nature même des études shakespeariennes. Si certains cherchent à explorer les échanges entre Orient et Occident au début de la période moderne, d’autres préfèrent étudier la réception et la transformation des pièces de Shakespeare dans les différents pays d’Asie de nos jours. Trois régions retiennent l’attention des nos auteurs. Tout d’abord le Japon qui est au cœur de deux contributions, celle d’Oliver Ammour-Mayeur sur l’adaptation de Macbeth par Akira Kurosawa et celle de Claire Bardelmann sur deux adaptations shakespeariennes à la scène japonaise d’avant-garde. Francis Guinle nous fait découvrir un subtil jeu d’écriture qui aboutit au texte hybride d’Al-Zîr Sâlim et le Prince Hamlet, entre saga médiévale et la tragédie que l’on connaît. Hamlet est aussi mis en perspective par Hui Wu dans deux récentes adaptations cinématographiques en Chine, qui cherchent dans la pièce élisabéthaine des lueurs d’espoir pour l’avenir.
4Ce va-et-vient à travers les époques et les cultures confirme l’incessante et mutuelle fascination pour l’« autre » qui, à l’aube d’une ère où une nouvelle polarité entre Orient et Occident semble se dessiner, ne peut trouver de meilleur terreau que le génie tragique.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre Kapitaniak, « Avant-Propos », Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 27 | 2009, i-ii.
Référence électronique
Pierre Kapitaniak, « Avant-Propos », Actes des congrès de la Société française Shakespeare [En ligne], 27 | 2009, mis en ligne le 13 décembre 2009, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/shakespeare/1496 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/shakespeare.1496
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