La place des Européennes dans la colonisation de l’Algérie (1830-1939). Place impartie, place occupée
Résumés
L’Algérie offre un champ d’investigation privilégié pour étudier la place prise par des Européennes dans un processus de colonisation. Dans aucun autre territoire de l’Empire français, les femmes européennes ne furent aussi nombreuses dans l’absolu et par rapport à la population masculine. La colonisation de l’Algérie nécessitait la venue de femmes européennes car les immigrés de sexe masculin ne pouvaient guère compter sur les femmes autochtones pour leur servir de compagnes, comme ce fut le cas dans plusieurs colonies d’Afrique noire ou d’Asie. La stricte surveillance familiale qui s’exerçait sur les jeunes musulmanes à partir de douze ans est généralement considérée comme responsable du petit nombre de mariages ou même de liaisons affichées entre colons et colonisées. Mais les autorités françaises tenaient aussi à limiter le plus possible les cas de métissage. Il s’agissait de créer une colonie de peuplement européen.
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Mots-clés :
XIXe siècle, XXe siècle, Algérie, colonialisme, Empire colonial français, femmes européennes, genre, colonisationKeywords:
19th century, 20th century, Algeria, colonialism, French Colonial Empire, European women, gender, colonisationPlan
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- 1 Le terme d’Européennes a été préféré à celui de Françaises car, jusqu’aux lois dites de naturalisat (...)
- 2 On compte, parmi la population européenne, 511 016 femmes et 468 953 hommes.
1L’Algérie offre un champ d’investigation privilégié pour étudier la place prise par des Européennes1 dans un processus de colonisation. Dans aucun autre territoire de l’Empire français, les femmes européennes ne furent aussi nombreuses dans l’absolu et par rapport à la population masculine. La parité numérique hommes-femmes fut atteinte dès le début du XXe siècle et, en 1954, lors du dernier recensement avant l’indépendance de l’Algérie, plus de la moitié de la population européenne était de sexe féminin2. Cette situation démographique, exceptionnelle pour une colonie, s’explique par une immigration féminine précoce à la demande des représentants de la France en Algérie, la présence de femmes européennes étant jugée essentielle à la réussite de la colonisation.
- 3 Comité Bugeaud, Le peuplement de l’Algérie par Bugeaud d’après les écrits et discours du Maréchal. (...)
- 4 Archives nationales d’Outre-mer d’Aix en Provence – Algérie – Série F 80-1425.
- 5 Docteur Cabrol, De l’Algérie sous le rapport de l’hygiène et de la colonisation, Strasbourg, 1863.
2Bugeaud, nommé gouverneur de l’Algérie en décembre 1840, est à cet égard très net. « Si contre mon attente, nos soldats ne trouvaient pas de femmes, mon système serait sapé à la base ; il faudrait y renoncer »3, déclare-t-il, en 1842, dans l’exposé de ses projets de colonisation militaire. Les autorités civiles et militaires partagent cette opinion : « Point de colon sans la femme, point de colonisation sans la famille », écrit un médecin militaire4. Et le service des Affaires algériennes du ministère de la Guerre fait remarquer que « l’homme qui a passé sa journée à défricher ou à cultiver son champ a besoin en rentrant chez lui d’y retrouver une compagne ne serait-ce que pour lui préparer ses aliments… »5.
- 6 Telles les « ménagères » étudiées par Amandine Lauro dans Coloniaux, ménagères et prostituées au Co (...)
- 7 A partir de la puberté, les filles ne sortent plus que voilées et sont constamment soumises à une s (...)
- 8 Le nombre de mariages mixtes fut dérisoire (moins de trois pour mille mariages annuels en moyenne a (...)
- 9 La guerre fut pratiquement incessante jusqu’en 1857, année de la conquête de la Kabylie, et l’Algér (...)
3La colonisation de l’Algérie ou plutôt le type de colonisation, décidé par la France en 1841 – à savoir la conquête totale de l’Algérie et la création d’une colonie de peuplement – nécessitait la venue de femmes européennes car les immigrés de sexe masculin ne pouvaient guère compter sur les femmes autochtones pour leur servir de compagnes, comme ce fut le cas dans plusieurs colonies d’Afrique noire ou d’Asie6. La stricte surveillance familiale qui s’exerçait sur les jeunes musulmanes à partir de douze ans7 est généralement considérée comme responsable du petit nombre de mariages ou même de liaisons affichées entre colons et colonisées. Mais les autorités françaises tenaient aussi à limiter le plus possible les cas de métissage8. Il s’agissait de créer une colonie de peuplement européen. Des raisons militaires et racistes commandaient sans doute ce choix ; il fallait à la fois éviter d’envenimer les rapports avec les musulmans en leur prenant leurs femmes, et empêcher les liaisons ou mariages avec des femmes jugées de race inférieure. En outre, pendant longtemps, la situation militaire ne facilita pas les relations franco-musulmanes9 et, par la suite, colonisés et colonisateurs se côtoyèrent sans vraiment chercher à se connaître. Toujours est-il que les autorités en place en Algérie entre 1840 et 1870 étaient conscientes du risque d’échec de la colonisation en cas d’immigration féminine insuffisante.
Une participation effective aux rôles attendus
- 10 Dans les convois organisés de 1849 et de 1872-1873, la priorité est donnée aux familles. Et les fem (...)
- 11 Si les femmes représentent au milieu du XIXe siècle 32 % des émigrants français, toutes destination (...)
4La place officiellement impartie aux immigrées européennes en Algérie était celle traditionnellement dévolue aux femmes : compagne, épouse et mère. Des Européennes acceptèrent de venir et de remplir ces rôles. La proximité de l’Algérie par rapport au continent européen et la politique d’immigration familiale10 pratiquée par le gouvernement expliquent que les femmes y partirent en plus grand nombre que vers toute autre destination11. Même si les migrantes furent toujours moins nombreuses que les migrants, leur présence permit à la colonie européenne de s’installer et de se développer.
- 12 Les épouses de quinze à dix-sept ans sont nombreuses au XIXe siècle parmi les Européennes d’Algérie
- 13 Sur le taux de natalité, de mortalité et de croissance de la population européenne, voir Claudine R(...)
5Mariées souvent très jeunes au XIXe siècle12 et se remariant rapidement en cas de veuvage, ces Européennes furent des mères particulièrement prolifiques. De 1835 à 1939, leur taux de fécondité a été constamment supérieur à celui des métropolitaines. Au milieu du XIXe siècle, la fécondité moyenne par femme était de sept enfants, toutes femmes confondues sans limite d’âge. De ce fait, malgré un taux de mortalité infantile très élevé, la colonie européenne connut une rapide croissance numérique13. La politique d’expansion territoriale fut ainsi favorisée au détriment des tribus arabes repoussées toujours plus loin des côtes. L’apport des femmes européennes à la colonisation de l’Algérie peut donc, à ce titre, être considéré comme fondamental.
- 14 ANOM d’Aix-en-Provence – Algérie – F 80 1424.
- 15 ANOM d’Aix-en-Provence – Algérie – F 80 1424 – Rapport d’inspection des colonies du Constantinois e (...)
- 16 ANOM d’Aix-en-Provence – Annuaire statistique de l’Algérie de 1843-1844, Etablissements hospitalier (...)
6Mais les autorités comptaient aussi sur les femmes européennes pour aider les hommes à mettre en valeur les terres de colonisation. Que les femmes secondent les hommes dans les tâches agricoles, en cas de besoin, allait de soi, comme en métropole à la même époque. Aussi la participation des femmes aux travaux de défrichement et de labour est-elle rarement mentionnée dans les archives administratives. Officiellement les femmes ne sont nécessaires qu’à l’entretien du foyer et au soutien moral du colon. C’est indirectement que leur contribution aux travaux agricoles est évoquée dans quelques rapports. « Il faudrait des pantalons de toile pour les hommes et des cotonnades peu coûteuses pour les femmes dont les effets sont détériorés par les jujubiers et les épines »14, note un inspecteur de centre de colonisation. Et un général reproche aux femmes de colons d’avoir trop d’enfants « pour pouvoir faire autre chose que de s’occuper de leur ménage »15. Les conseils fournis par le gouvernement général aux religieuses chargées de l’éducation de jeunes orphelines permettent de préciser les tâches imparties aux femmes : « Outre les genres de travaux auxquels les femmes peuvent se livrer tels que couture, ravaudage, repassage, blanchissage, on les exercera aussi à tous les travaux de la campagne, vacherie, laiterie, soin des étables et de la basse-cour, éducation des vers à soie, cuisine, boulangerie, etc. »16.
- 17 Ce terme n’a commencé à être utilisé pour désigner les Européens d’Algérie qu’à partir de la guerre (...)
- 18 Marie Absalon. Ayant émigré de Lorraine en Algérie en 1849, elle a écrit ses souvenirs à la fin de (...)
- 19 Biographie de Marianne Hein, rapportée par le journal Les femmes algériennes, en avril 1937.
7Il est certain que les concessionnaires, pour la plupart dénués de toutes ressources à leur arrivée en Algérie, ne pouvaient guère compter que sur leur famille pour les aider à mettre en valeur le lot de terre, en friche, qui leur était confié. Les témoignages de « pieds noirs »17 qui attestent du dur labeur des femmes travaillant aux côtés des hommes ne manquent pas. « Les femmes aidaient leur mari à défricher les terres couvertes de broussailles, de lentisques et de palmiers nains dont les racines atteignaient au moins un mètre de profondeur. C’était bien pénible car la terre était beaucoup plus dure qu’en France »18. Une femme de colon de 1871 rapporte que « levée tôt, elle laisse ses enfants à la garde de l’aînée… et part avec son mari travailler dans les champs, défricher, piocher, semer, faucher ou moissonner »19.
- 20 Voir Les récits de vie des agriculteurs français de 1830 à 1960, rapportés par Nicole Barthe-Hugon, (...)
- 21 Ce n’est que tardivement que les Européens utilisèrent la main-d’œuvre indigène pour défricher et m (...)
8Pendant tout le XIXe siècle et encore au début du XXe siècle, les femmes des nouveaux colons continuèrent à travailler dans les champs aux côtés de leur mari20. Certes, à partir du dernier tiers du XIXe siècle, pour les femmes de colons de la deuxième ou même troisième génération ayant suffisamment réussi pour embaucher un ou plusieurs salariés agricoles, il n’était plus question de participer aux travaux agricoles. Mais comme des concessions furent accordées jusqu’au cours des années 1920, un décalage certain des conditions de vie des colons et de leur famille continua à exister, même quand les concessions étaient de valeur équivalente. C’est seulement avec la généralisation de l’emploi peu coûteux des musulmans et des musulmanes21 dans l’agriculture que les Européennes cessèrent d’aider leur mari ou leur père aux travaux des champs, ce qui ne voulait pas dire qu’elles n’avaient plus aucune activité dans l’exploitation. Certaines pouvaient ainsi être chargées de la comptabilité. Ce qui pouvait être le cas aussi bien d’une femme de colon français aisé que d’une épouse de petit fermier maltais produisant des cultures maraîchères. D’autres n’assuraient plus que la surveillance de certains travaux agricoles, effectués par des musulmans ou allaient vendre au marché le plus proche les légumes ou les produits de la ferme.
- 22 Louis de Baudicour, La colonisation de l’Algérie. Ses éléments, Paris, Lecoffre, 1856, p. 146.
- 23 Pour la période étudiée (1830-1939), le seul dénombrement complet de la population active d’Algérie (...)
9Le gouvernement comptait aussi sur les femmes européennes pour la confection des vêtements et l’entretien du linge et du foyer. Les activités de couturières et de lingères étaient, avec celles de filles de ferme et de dévideuses de cocons, les professions féminines jugées nécessaires à l’implantation d’une colonie en Algérie. Dès 1846, des circulaires furent envoyées par le ministre de la Guerre aux préfets de métropole pour attirer en Algérie des femmes assurant ces activités. On leur promettait un passage gratuit22. Au XIXe siècle, « couturière » est l’activité la plus souvent notée dans les actes de mariage des Européennes d’Algérie23. L’entretien du linge fut aussi longtemps assumé exclusivement par des Européennes. Comme en métropole, à la même époque, les blanchisseuses, qui assuraient le nettoyage mais aussi parfois le repassage du linge, effectuaient ce travail chez elles ou en atelier, alors que les laveuses se déplaçaient au domicile de leurs clients. Des récits de vie d’Européens d’Algérie évoquent le travail de ces laveuses, le plus souvent espagnoles ou d’origine espagnole.
- 24 Seul Marc Baroli affirme que dès 1900, des musulmanes se plaçaient comme femmes de ménage à Alger ((...)
- 25 Le recensement professionnel de 1936 comptabilise 14 539 domestiques musulmanes et 12 972 domestiqu (...)
- 26 Bien que devenus officiellement français par le décret Crémieux de 1871, les juifs furent toujours (...)
10D’une façon générale, au XIXe siècle, et encore bien souvent jusqu’en 1939, quand une famille européenne avait les moyens de se faire aider pour les diverses tâches ménagères, elle faisait appel à d’autres Européennes. Selon la quasi-totalité des sources24, les musulmanes ne commencèrent à entrer au service des Européens qu’après la Première Guerre mondiale. En 1936, les domestiques européennes étaient encore presque aussi nombreuses que les domestiques musulmanes25. Beaucoup de familles européennes furent longtemps réticentes à employer des musulmanes et les musulmans acceptaient mal le placement de leurs femmes ou de leurs filles. En fait, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les musulmanes remplacèrent massivement la domesticité européenne ou juive26.
- 27 En 1936, le secteur secondaire employait 21 813 Européennes et 2 725 musulmanes. Ces dernières étai (...)
11Des femmes européennes travaillaient aussi comme ouvrières. Elles étaient, certes, relativement peu nombreuses, en raison d’un secteur secondaire peu développé et du nombre réduit d’emplois industriels ouverts aux femmes. Elles travaillaient surtout dans les manufactures de tabac, les ateliers de confection ou de fabrication de toiles et dans les industries alimentaires. Elles subissaient très peu la concurrence des femmes musulmanes27 ; pour ces dernières, l’usine était souvent considérée comme un lieu de perdition.
12A partir de la fin du XIXe siècle, comme en métropole, les femmes eurent plus largement accès à certaines professions : institutrices, sages-femmes, infirmières, demoiselles de magasin et employées de bureau ou des postes. Ces activités salariées et reconnues sont notées et prises en compte dans le recensement professionnel par sexe de 1936. Mais les autres emplois féminins étaient irrégulièrement déclarés, soit parce qu’ils n’étaient assurés que ponctuellement, soit parce qu’ils étaient jugés déshonorants pour la famille. En terre méditerranéenne plus encore qu’ailleurs, le travail féminin a longtemps été considéré comme un signe de pauvreté, une reconnaissance publique de l’incapacité du père ou du mari d’assumer son rôle d’homme, capable de nourrir seul sa famille. Il est donc difficile d’estimer l’importance du travail féminin à partir des données déclarées aux agents de l’administration. Il paraît toutefois évident que le travail invisible des femmes a été particulièrement important durant les premières décennies de la colonisation. L’image classique de la coloniale alanguie, servie par de nombreux domestiques indigènes, ne correspond nullement à la vie quotidienne de la plupart des Européennes d’Algérie au XIXe siècle, pas davantage jusqu’en 1939 (au moins).
- 28 Selon les données chiffrées fournies par le gouvernement général de l’Algérie, la scolarisation des (...)
13Cependant, à partir du XXe siècle, la société européenne se transforme peu à peu. Entre les deux guerres, le mouvement naturel l’emporte sur le solde migratoire dans l’accroissement de la population européenne. En même temps, les indigènes entrent au service des Européens. Ces derniers cessent d’être des immigrés pour devenir des coloniaux établis. La participation attendue des femmes à la colonisation fut alors moins « active » et plus « représentative ». Les femmes devinrent, comme c’est souvent le cas, les figures symboliques de la « civilisation ». La supériorité des colonisateurs sur les colonisés devait paraître évidente à travers les images massivement répandues et fortement opposées des femmes européennes et musulmanes : d’un côté, des femmes quasiment cloîtrées, dépendant totalement de leur père, mari ou frère, ne sortant guère que voilées et maintenues dans l’inculture et, de l’autre, des femmes ayant été précocement et massivement scolarisées28, devisant librement dans les rues, affichant, pour les plus jeunes, leurs charmes et leurs toilettes sur les boulevards ou les cours transformés en lieux de promenade, les soirs d’été, comme dans la plupart des villes méditerranéennes. Mais la liberté supposée des Européennes était, en fait, étroitement contrôlée : les filles ne sortaient guère qu’accompagnées, du moins jusqu’en 1939, et la protection de leur vertu était l’affaire de tout le clan familial ; la conduite des Européennes se devait d’être exemplaire.
Des initiatives non prévues mais acceptées
14Mais les femmes européennes ont pris dans la colonisation une place bien plus importante que prévue. Leur champ d’activité devait en principe se limiter à la sphère des colonisateurs. Elles n’étaient pas censées intervenir de manière directe dans les rapports avec les colonisés. Or certaines Françaises entendaient contribuer à la « mission civilisatrice » en faisant preuve d’initiative. Tout au long de l’histoire de l’Algérie, on trouve des femmes européennes, religieuses mais aussi laïques, cherchant à améliorer le sort des femmes musulmanes. La plupart se contentaient d’offrir une aide ponctuelle aux personnes jugées les plus misérables dans le cadre d’associations charitables. Mais quelques Françaises d’Algérie tentèrent de fournir à des femmes algériennes les moyens d’accéder à une certaine instruction. A priori, les autorités françaises ne voyaient pas l’intérêt de se préoccuper des musulmanes. Que la place des femmes soit déterminée par les hommes ne devait pas paraître scandaleux à la plupart des Européens de cette époque. De plus, il fallait éviter d’envenimer les rapports coloniaux en intervenant dans la sphère privée des colonisés. Il n’est pas certain que sans la pression de quelques Françaises d’Algérie, le gouvernement se serait intéressé à l’éducation des filles indigènes ; ou, du moins, cet intérêt aurait sans doute été plus tardif.
- 29 Le prénom de Madame Allix n’est pas connu avec certitude.
- 30 ANOM – Algérie – Série F 80 1732 – Ecole de Madame Allix.
- 31 Même carton. Brochure à l’intention des membres du conseil supérieur d’administration d’Alger, Alge (...)
- 32 Zénaïde Tsourikoff, L’enseignement des filles en Afrique du Nord, thèse en Droit, Paris, 1935. En f (...)
- 33 Il faut attendre le décret de 1892 qui étend l’obligation d’un enseignement primaire aux garçons mu (...)
- 34 Yvonne Turin, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, 1830-1880, Paris, Maspero, 1971.
15Des Françaises furent, en effet, à l’origine du premier programme d’enseignement pour filles musulmanes. Depuis 1836, une école spéciale pour les garçons musulmans s’était ajoutée aux trois écoles d’enseignement mutuel pour garçons de toutes appartenances ouvertes à partir de 1833. Des écoles privées pour les filles européennes et un établissement pour les jeunes juives avaient également été créés à Alger. Aussi, une Française, Mme Allix29, voulut-elle offrir les mêmes chances aux petites musulmanes. Ce ne fut pas sans difficulté qu’elle finit par obtenir, en 1845, l’autorisation d’ouvrir, à ses frais et « à ses risques et périls », une petite école pour les jeunes musulmanes30. Son objectif était de donner aux fillettes des notions non seulement de couture mais aussi de lecture, d’écriture et de calcul. Il s’agissait d’un véritable défi ; même en métropole, l’instruction des petites Françaises était alors largement négligée. Mais Mme Allix sut utiliser les arguments capables d’intéresser à son projet certains responsables de l’enseignement et de l’administration. Selon elle, seule l’éducation des filles musulmanes pourrait ouvrir la société arabe à la civilisation. « Régénérées par l’éducation, les filles seraient les intermédiaires de la civilisation qui les a conquises et les mères d’une génération nouvelle qui nous appartiendra par le cœur et l’esprit »31. L’atmosphère était alors profondément « civilisatrice ». Son école finit par être subventionnée et devint officielle en 1847. C’est peut-être l’existence de cette école qui incita le gouvernement à élargir l’expérience d’un enseignement destiné spécifiquement aux filles musulmanes. Le décret du 14 juillet 1850 décide la création de quatre écoles de filles, parallèlement à l’établissement de six écoles pour les garçons musulmans32. Mais les écoles de filles ne rencontrèrent que peu de succès auprès des familles musulmanes, de sorte que les autorités françaises supprimèrent toute subvention en 1861, ce qui mit fin aux premières tentatives de scolarisation des jeunes colonisées33. Ces écoles, dont celle de Mme Allix, ne purent subsister qu’en se transformant en ouvroirs, la vente des travaux d’aiguille de leurs élèves leur assurant un petit financement34. Ce type d’enseignement, fondé exclusivement sur l’apprentissage de la couture et de la broderie, fut mieux accepté car – probablement – jugé plus conforme aux rôles traditionnels dévolus aux femmes.
- 35 On ne connaît pas avec certitude son prénom.
- 36 Charles Desprez, op. cit.
- 37 Sylviane Illio, L’enseignement des métiers féminins en Algérie, thèse en Droit, Paris, 1937.
16Ces ouvroirs s’ajoutèrent aux quelques ouvroirs existant déjà. Il est à remarquer qu’en Algérie, ce furent des laïques et non des religieuses qui créèrent les premiers ouvroirs spécifiquement destinés aux jeunes musulmanes. Il semble que le premier ouvroir vit le jour à peu près en même temps que l’école de Mme Allix. La responsabilité en revint à Mme Barroil35. Née à Alger où sa famille résidait avant 1830, celle-ci se contenta d’enseigner aux jeunes musulmanes de menus travaux de couture. Son établissement aurait apparemment connu une réussite immédiate36. Par la suite, ces ouvroirs laïques se multiplièrent. Créés par l’initiative privée, ils furent subventionnés à partir de l’entre-deux-guerres par la direction des Affaires indigènes37. Leur objectif était davantage d’ordre social et politique qu’éducatif ; il s’agissait d’aider les familles pauvres en apprenant aux filles la broderie et le tissage, et, par ce biais, d’approcher les femmes musulmanes. Les Européennes à l’origine de ces premières écoles-ouvroirs et de ces ouvroirs s’attelèrent, en outre, à leur manière, à la conservation de certains « arts mineurs » traditionnels d’Algérie. Au lieu d’initier leurs jeunes élèves aux broderies et tissages pratiqués en Europe, ces enseignantes utilisèrent les points et procédés anciens de broderie, de tissage et de teinture qui pouvaient encore exister dans quelques régions ou familles d’Algérie.
- 38 La première école pour filles indigènes fut ouverte en 1885-1886 mais en 1904, on ne dénombre encor (...)
17C’est seulement à la fin du XIXe siècle que ces initiatives privées furent relayées par l’Etat et par certaines communautés religieuses, dont celle des Sœurs blanches. L’enseignement méthodique des tissages et broderies d’Algérie, organisé dans les centres et cours d’apprentissage pour filles musulmanes créés en 1903, a donc été balisé par les initiatives spontanées de femmes européennes, dont les motivations étaient probablement fort diverses : recherche de reconnaissance sociale, volonté de participer à « l’œuvre coloniale », intérêt sincère pour le sort des femmes musulmanes ou simple quête d’un gagne-pain. Mais ce qui importe, c’est leur refus de laisser les fillettes musulmanes à l’écart de toute forme d’éducation ou d’apprentissage, alors qu’au XIXe siècle une sorte de connivence régnait entre colonisateurs et colonisés pour laisser les musulmanes enfermées dans leurs foyers. Ces Européennes ouvrirent ainsi la porte d’un enseignement qui, de purement pratique, devint progressivement plus théorique. Ce ne fut pourtant pas sans difficulté que les familles musulmanes acceptèrent la scolarisation de leurs filles dans les quelques écoles primaires pour filles indigènes, timidement à partir de la fin du XIXe et du début du XXe siècle38.
18L’éducation des filles musulmanes resta confiée uniquement à des institutrices. Durant l’entre-deux-guerres, les institutrices, qui étaient plus nombreuses que leurs collègues masculins, assuraient aussi, fréquemment, l’enseignement des petites classes dans les écoles de garçons indigènes. Et comme les écoles indigènes étaient non seulement des lieux d’enseignement mais aussi des petits dispensaires, la charge des menus soins à donner aux enfants des deux sexes incombait également aux maîtresses. Les enseignantes avaient l’avantage, par rapport à leurs collègues masculins, de pouvoir pénétrer dans des foyers musulmans. Toutefois, elles n’ont jamais joué le rôle de conseiller polyvalent que certains instituteurs pouvaient être amenés à assurer dans le bled. En tant que femmes, elles n’étaient guère consultées qu’à propos de problèmes infantiles ou domestiques.
- 39 Y. Turin, op. cit. Est cité le cas d’une sœur de Saint-Joseph-de-l’Apparition, arrivée en 1842 en A (...)
- 40 ANOM – Algérie – F 80 – 1425. Il est question de services rendus aux Arabes du voisinage par une sa (...)
19Ce furent aussi des Françaises qui incitèrent le gouvernement d’Algérie à créer un service hospitalier doté d’un personnel spécifique, réservé aux femmes musulmanes. Dès les premières décennies de la colonisation, certaines soignantes se préoccupèrent du sort des femmes musulmanes. Très tôt, des religieuses franchirent le seuil de certaines demeures arabes39 et, dans le bled, elles continuèrent, jusqu’en 1939, à être les intermédiaires privilégiées des médecins au chevet des femmes. Ce fut aussi parfois le cas de sages-femmes françaises qui prodiguaient des conseils aux matrones indigènes, et cela, dès les premières années de la colonisation40.
- 41 ANOM – Algérie – F 80 – 1846. Les archives ne permettent pas de savoir si Mme Mahé rouvrit un cours (...)
20Les archives rapportent également l’existence d’un cours d’accouchement pour les musulmanes créé à Alger à l’initiative d’une sage-femme, entre 1850 et 1859. Cette Française ouvrit ce cours d’abord à titre gratuit, avant d’obtenir une subvention. Dans un courrier adressé au ministre de l’Algérie, elle affirme avoir eu jusqu’à quatre-vingts élèves. La création d’un cours d’accouchement par l’école préparatoire de médecine d’Alger entraîna la suppression de la subvention et le départ de cette sage-femme à Constantine41. Mais ce nouveau cours ainsi créé n’était guère accessible aux musulmanes car il exigeait un niveau d’instruction et de connaissances techniques que peu d’entre elles possédaient à cette époque. Ce ne fut qu’à partir du début des années trente que des musulmanes commencèrent à suivre des études de sage-femme. Les parturientes indigènes n’étaient plus, alors, dépendantes des seules matrones ; des services hospitaliers et infirmiers avaient été créés spécifiquement pour elles ; initiatives qui reviennent d’ailleurs principalement à des femmes françaises.
- 42 Voir Christelle Taraud, La prostitution coloniale : Algérie, Tunisie, Maroc 1830-1962, Paris, Payot (...)
- 43 Le rôle de la doctoresse Legey a fait l’objet d’une communication aux Etats-généraux du féminisme d (...)
- 44 Douze infirmeries pour femmes musulmanes furent créées avant la guerre de 1914, suivies de beaucoup (...)
21Les colonisateurs étaient pourtant loin d’être aussi indifférents à la santé des musulmanes qu’ils le furent à leur éducation. Dès les premières années de la colonisation, des médecins signalent que les seules musulmanes qui viennent aux consultations des dispensaires ou des hôpitaux sont des prostituées42 et ils s’inquiètent de n’être jamais appelés pour soigner des femmes à domicile. Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour voir des musulmanes, vivant dans les grandes villes, consulter des médecins de sexe masculin. Auparavant, et dans le bled au moins jusqu’en 1939, les femmes musulmanes refusaient d’être examinées par des hommes et même de recevoir les soins dispensés par des infirmières dans des lieux accessibles aux deux sexes. Consciente de cette situation, la doctoresse Legey43, dès son installation à Constantine en 1900, demanda la création de deux services réservés aux femmes indigènes : un service de consultation dans la ville arabe et un service de maternité dans un pavillon de l’hôpital, – ce qui lui fut refusé. Elle parvint cependant à convaincre le gouverneur général Jonnart de l’intérêt de son projet. Bien que celui-ci fût persuadé que les musulmanes refuseraient de sortir pour se faire soigner, il accepta qu’un essai soit tenté et mit à la disposition de la doctoresse Legey un petit local à Alger, et un faible crédit. Le succès fut immédiat, de sorte que le gouverneur accepta la création de la première infirmerie pour femmes indigènes (1902). D’autres infirmeries s’implantèrent rapidement dans les principales villes d’Algérie mais leur nombre resta limité, du moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en raison du manque de doctoresses européennes susceptibles de prendre en charge ces dispensaires réservés aux femmes colonisées44.
22Ce fut donc par le biais des femmes musulmanes qu’indirectement les Françaises d’Algérie prirent des initiatives dans la colonisation. Les hommes et le gouvernement acceptèrent leur « intrusion » dans un champ décisionnel qui leur appartenait, non sans réticence au début, dans la mesure où ces initiatives restaient circonscrites aux domaines traditionnellement reconnus aux femmes : l’éducation des enfants et l’assistance aux familles.
23Peut-on parler pour autant de solidarité féminine ? Bien que ce ne soit pas l’objet de cette contribution, il faut signaler que ces femmes ne remettaient jamais en question le bien-fondé de la colonisation. Tout comme les hommes, elles étaient intimement persuadées de la supériorité de la civilisation occidentale, plus particulièrement de la civilisation française – une vision largement partagée par les Français de métropole. Détentrices du savoir occidental, elles estimaient avoir, en tant que femmes, une mission spécifique à remplir auprès des musulmanes. Leurs rencontres ne débouchèrent que très exceptionnellement sur des amitiés, mais elles permirent néanmoins une approche et une ébauche de connaissance, même superficielle, entre femmes colonisatrices et colonisées.
- 45 Les voies de recherche sont en fait beaucoup plus larges puisqu’elles mettent en évidence l’impact (...)
24Et à travers l’image de l’autre, quelle image d’elles-mêmes ces Européennes purent-elles entrevoir ? Le patriarcat n’existait pas seulement au sein de la société musulmane, le conditionnement éducatif auquel les Européennes étaient soumises leur faisait prendre conscience très tôt de leur dépendance à l’égard du pouvoir masculin européen, tout en leur inculquant leur situation privilégiée de colonisatrices. Le genre maintenait son pouvoir hiérarchique à l’intérieur de la communauté européenne comme de la communauté musulmane45.
Une place « genrée » dans l’ordre colonial
25Dans l’espace public, femmes européennes et hommes musulmans se retrouvaient parfois en situation de quasi-concurrence. Ordre colonial et ordre capitaliste cohabitaient étroitement, et le deuxième a contribué à établir une hiérarchie socio-économique intégrant autant la partition de genre que la partition ethnique.
- 46 ANOM – Algérie-Série K.
26Le monde du travail était à la fois colonial, capitaliste et sexiste. Dans l’industrie, le personnel d’encadrement était toujours masculin et français. Les postes subalternes des manufactures de tabac, des fabriques de biscuits, de pâtes ou d’espadrilles ainsi que des bouchonneries furent occupés, au XIXe siècle, par des Européennes, puis, à partir du début du XXe siècle, par des ouvrières européennes et des ouvriers musulmans travaillant parfois côte à côte, et enfin, après la Seconde Guerre mondiale, exclusivement par des musulmans. Lors des grèves de 1936, Européennes et musulmans furent ainsi amenés à occuper ensemble les locaux de certaines entreprises. Les salaires étaient faibles, la législation du travail, peu appliquée et les revendications, mal acceptées dans les entreprises employant peu d’Européens de sexe masculin. C’est sans doute pour cette raison que la plus longue occupation d’usine eut lieu en 1936, dans une biscuiterie algéroise dont la main-d’œuvre était formée en grande majorité de femmes européennes et d’ouvriers musulmans. Il fallut plus de quatre semaines d’occupation des locaux pour que la direction de cette entreprise consente à renoncer au travail à la tâche et à respecter le repos hebdomadaire46. Dans la sphère publique du travail, le genre était donc infléchi par l’ordre colonial, plutôt que réellement « supprimé ».
27Un dernier exemple laisse entrevoir toute la complexité de l’articulation des rapports de genre et de race en situation coloniale. L’extension à l’Algérie, en 1883, de la législation scolaire de Jules Ferry, posa immédiatement le problème de l’élargissement de ces lois aux garçons « indigènes ». En métropole, il paraissait sans doute difficile de ne pas concéder aux jeunes musulmans les bénéfices d’une loi accordée à des filles, fussent-elles Européennes. Mais, devant l’émotion soulevée en Algérie par cette possibilité, Paris y renonça et il fallut plusieurs décrets en 1887, 1892 et 1895 pour que l’enseignement primaire des garçons musulmans soit organisé sans être, pour autant, rendu obligatoire dans toute l’Algérie. Quand, en 1919, les institutrices françaises obtinrent l’égalité des salaires avec leurs collègues masculins, le gouvernement français imposa l’année suivante les mêmes traitements aux instituteurs musulmans dont la rémunération était jusque-là demeurée inférieure à celle des instituteurs français. Que des colonisateurs et colonisés de sexe masculin ne fussent pas également rétribués était acceptable en France comme en Algérie. Pour la métropole, il était inconcevable que des hommes, fussent-ils indigènes, soient moins payés que des femmes européennes, ce qui ne semblait pas déranger outre mesure la société coloniale.
- 47 Par le sénatus-consulte de 1865, tous les indigènes d’Algérie étaient devenus Français tout en rest (...)
- 48 Ce projet concernait environ 21 000 musulmans considérés comme l’élite algérienne.
- 49 Femmes de demain, 33, 1er mars 1937 – Motion au président du Conseil.
28En fait, l’intégration du genre à l’ordre colonial a donné aux femmes européennes et aux hommes musulmans des places intermédiaires qui ont rendu leur émancipation réciproque parfois étroitement liée. Les Françaises étaient certes citoyennes, alors que les musulmans n’étaient que sujets français47, mais en tant que « citoyennes passives », elles ne pouvaient pas plus voter que les musulmans. L’Union française pour le suffrage des femmes, créée en métropole en 1909, était représentée dans les grandes villes d’Algérie entre les deux guerres, même si ses adhérentes ne paraissent pas avoir été très nombreuses. En 1937, le projet Blum-Viollette, qui prévoyait d’accorder la citoyenneté française complète à une petite minorité de musulmans diplômés48, réactiva le combat des féministes d’Algérie en faveur du vote des femmes françaises. Bien que ces féministes fissent partie des rares pieds-noirs favorables à ce projet, elles furent indignées de ne pas obtenir les mêmes droits. Elles adressèrent au président du Conseil une motion révélatrice de l’ambiguïté de leur position. D’un côté, il leur était difficile de refuser à une minorité de musulmans l’accès au droit de vote qu’elles revendiquaient pour l’ensemble des Françaises d’Algérie ; mais en tant que colonisatrices, elles ne pouvaient accepter qu’un droit dénié à des Françaises soit accordé à des indigènes. Aussi réclamèrent-elles un droit prioritaire : « Considérant la part importante que les femmes françaises ont prise à la colonisation et à la prospérité de l’Algérie, soit personnellement en tant qu’éducatrices, cultivatrices, médecins, mères de famille, soit en collaborant à l’activité de leurs maris » elles demandèrent que « la totalité des droits civiques et politiques leur soient accordés en priorité »49. Tout en contestant l’ordre des sexes, elles entérinaient ainsi l’ordre colonial.
Notes
1 Le terme d’Européennes a été préféré à celui de Françaises car, jusqu’aux lois dites de naturalisation automatique des étrangers européens de juin 1889 et juillet 1893, les étrangers des deux sexes, Italiens, Maltais mais surtout Espagnols, étaient presque aussi nombreux que les Français. Et par la suite, jusqu’à l’indépendance, un certain flux d’immigrés étrangers persiste.
2 On compte, parmi la population européenne, 511 016 femmes et 468 953 hommes.
3 Comité Bugeaud, Le peuplement de l’Algérie par Bugeaud d’après les écrits et discours du Maréchal. Mémoire sur la colonisation de l’Algérie, 1847, Editions du Comité Bugeaud (sans date).
4 Archives nationales d’Outre-mer d’Aix en Provence – Algérie – Série F 80-1425.
5 Docteur Cabrol, De l’Algérie sous le rapport de l’hygiène et de la colonisation, Strasbourg, 1863.
6 Telles les « ménagères » étudiées par Amandine Lauro dans Coloniaux, ménagères et prostituées au Congo belge (1885-1930), Loverval, Labor, 2005.
7 A partir de la puberté, les filles ne sortent plus que voilées et sont constamment soumises à une surveillance familiale draconienne.
8 Le nombre de mariages mixtes fut dérisoire (moins de trois pour mille mariages annuels en moyenne au XIXe siècle) et les unions libres affichées n’existèrent guère que dans quelques quartiers populaires d’Alger.
9 La guerre fut pratiquement incessante jusqu’en 1857, année de la conquête de la Kabylie, et l’Algérie connut encore presque jusqu’à la fin du XIXe siècle des révoltes et insurrections sporadiques.
10 Dans les convois organisés de 1849 et de 1872-1873, la priorité est donnée aux familles. Et les femmes qui souhaitaient partir de France pour l’Algérie recevaient souvent un passage gratuit, même quand ce n’était pas pour rejoindre un époux ou de la famille. En outre, le contrôle de l’immigration féminine étrangère fut longtemps inexistant.
11 Si les femmes représentent au milieu du XIXe siècle 32 % des émigrants français, toutes destinations confondues, 42 % des migrants allant vers l’Algérie sont des femmes. Une femme sur trois choisit l’Algérie.
12 Les épouses de quinze à dix-sept ans sont nombreuses au XIXe siècle parmi les Européennes d’Algérie.
13 Sur le taux de natalité, de mortalité et de croissance de la population européenne, voir Claudine Robert-Guiard, Les Européennes d’Algérie de 1830 à 1939, Thèse Doct. Histoire, 3 vol. , Aix-Marseille 1, 2005, chapitre XIII (la thèse paraîtra aux Presses universitaires de Paris).
14 ANOM d’Aix-en-Provence – Algérie – F 80 1424.
15 ANOM d’Aix-en-Provence – Algérie – F 80 1424 – Rapport d’inspection des colonies du Constantinois en 1849 par le Général Herbillon.
16 ANOM d’Aix-en-Provence – Annuaire statistique de l’Algérie de 1843-1844, Etablissements hospitaliers. Conseils du gouvernement aux sœurs de Saint-Vincent-de-Paul en 1843.
17 Ce terme n’a commencé à être utilisé pour désigner les Européens d’Algérie qu’à partir de la guerre d’indépendance mais comme antérieurement les Européens étaient désignés par le terme d’« Algériens », pour éviter toute ambiguïté, nous avons décidé d’utiliser parfois ce qualificatif pour des témoignages d’immigrés ou de descendants d’immigrés européens.
18 Marie Absalon. Ayant émigré de Lorraine en Algérie en 1849, elle a écrit ses souvenirs à la fin de sa vie dans un cahier d’écolier, déposé au Centre de documentation de l’histoire de l’Algérie à Aix-en-Provence. Des extraits en ont été édités par un de ses descendants, René Lenoir, dans son ouvrage, Mon Algérie tendre et violente, Paris, Plon, 1994.
19 Biographie de Marianne Hein, rapportée par le journal Les femmes algériennes, en avril 1937.
20 Voir Les récits de vie des agriculteurs français de 1830 à 1960, rapportés par Nicole Barthe-Hugon, Montpellier, Africa Nostra, 1987.
21 Ce n’est que tardivement que les Européens utilisèrent la main-d’œuvre indigène pour défricher et moissonner. Pour Michel Launey, ce serait vers 1900 pour les hommes et seulement en 1927-1928 pour les femmes : Paysans algériens, la terre, la vigne et les hommes, Paris, Seuil, 1960.
22 Louis de Baudicour, La colonisation de l’Algérie. Ses éléments, Paris, Lecoffre, 1856, p. 146.
23 Pour la période étudiée (1830-1939), le seul dénombrement complet de la population active d’Algérie, par sexe et distinguant Européens et musulmans, a été réalisé en 1936. Pour les années 1906 et 1910, un relevé officiel des professions déclarées par les époux et épouses lors de leur mariage a été effectué. Auparavant, pour tout le XIXe siècle, seuls les actes de mariage et de décès ainsi que les listes d’émigrés fournissent parfois les professions de femmes. Ce qui permet seulement une estimation.
24 Seul Marc Baroli affirme que dès 1900, des musulmanes se plaçaient comme femmes de ménage à Alger (La vie quotidienne des Français en Algérie, Paris, Hachette, 1967, p. 203).
25 Le recensement professionnel de 1936 comptabilise 14 539 domestiques musulmanes et 12 972 domestiques européennes : Annuaire statistique de l’Algérie, Tableau VI, p. 26.
26 Bien que devenus officiellement français par le décret Crémieux de 1871, les juifs furent toujours l’objet d’une certaine ségrégation dans l’Algérie coloniale. Même l’administration française d’Algérie les distingue le plus souvent des autres Français dans les relevés démographiques.
27 En 1936, le secteur secondaire employait 21 813 Européennes et 2 725 musulmanes. Ces dernières étaient essentiellement employées dans des manufactures de tapis.
28 Selon les données chiffrées fournies par le gouvernement général de l’Algérie, la scolarisation des filles a été supérieure à celle des garçons entre 1851 et 1882. La scolarisation obligatoire rétablit alors l’équilibre.
29 Le prénom de Madame Allix n’est pas connu avec certitude.
30 ANOM – Algérie – Série F 80 1732 – Ecole de Madame Allix.
31 Même carton. Brochure à l’intention des membres du conseil supérieur d’administration d’Alger, Alger, 1846.
32 Zénaïde Tsourikoff, L’enseignement des filles en Afrique du Nord, thèse en Droit, Paris, 1935. En fait sur les quatre écoles prévues, seules celles d’Alger et de Constantine ont fonctionné.
33 Il faut attendre le décret de 1892 qui étend l’obligation d’un enseignement primaire aux garçons musulmans pour que la décision d’ouvrir des écoles pour filles musulmanes soit reprise.
34 Yvonne Turin, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, 1830-1880, Paris, Maspero, 1971.
35 On ne connaît pas avec certitude son prénom.
36 Charles Desprez, op. cit.
37 Sylviane Illio, L’enseignement des métiers féminins en Algérie, thèse en Droit, Paris, 1937.
38 La première école pour filles indigènes fut ouverte en 1885-1886 mais en 1904, on ne dénombre encore que sept écoles.
39 Y. Turin, op. cit. Est cité le cas d’une sœur de Saint-Joseph-de-l’Apparition, arrivée en 1842 en Algérie et qui soignait des femmes arabes à domicile.
40 ANOM – Algérie – F 80 – 1425. Il est question de services rendus aux Arabes du voisinage par une sage-femme de Mondovi en 1849.
41 ANOM – Algérie – F 80 – 1846. Les archives ne permettent pas de savoir si Mme Mahé rouvrit un cours à Constantine.
42 Voir Christelle Taraud, La prostitution coloniale : Algérie, Tunisie, Maroc 1830-1962, Paris, Payot, 2003.
43 Le rôle de la doctoresse Legey a fait l’objet d’une communication aux Etats-généraux du féminisme de 1931, rapportée dans la brochure éditée à cette occasion. Yvonne Knibiehler et Régine Goutelier évoquent aussi le rôle des premières femmes médecins en Algérie dans Les femmes au temps des colonies, Paris, Stock, 1985.
44 Douze infirmeries pour femmes musulmanes furent créées avant la guerre de 1914, suivies de beaucoup d’autres entre les deux guerres. Ces infirmeries prirent des formes diverses : clinique pour femmes indigènes à Alger, secteurs réservés dans les hôpitaux des principales villes, simples dispensaires réservés aux musulmanes ou même journées pour les femmes dans les dispensaires du bled.
45 Les voies de recherche sont en fait beaucoup plus larges puisqu’elles mettent en évidence l’impact différentiel de la colonisation et de la décolonisation sur les colonisés selon leur sexe. Parmi les derniers bilans de la recherche francophone, on peut citer l’ouvrage dirigé par Anne Hugon, Histoire des femmes en situation coloniale, Paris, Karthala, 2004.
46 ANOM – Algérie-Série K.
47 Par le sénatus-consulte de 1865, tous les indigènes d’Algérie étaient devenus Français tout en restant régis par la loi musulmane ou juive selon les cas. Pour devenir citoyens français, il leur fallait demander la naturalisation et renoncer à leur législation. Pour les musulmans c’était une forme d’apostasie et très peu le firent.
48 Ce projet concernait environ 21 000 musulmans considérés comme l’élite algérienne.
49 Femmes de demain, 33, 1er mars 1937 – Motion au président du Conseil.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Claudine Guiard, « La place des Européennes dans la colonisation de l’Algérie (1830-1939). Place impartie, place occupée », Sextant, 25 | 2008, 129-140.
Référence électronique
Claudine Guiard, « La place des Européennes dans la colonisation de l’Algérie (1830-1939). Place impartie, place occupée », Sextant [En ligne], 25 | 2008, mis en ligne le 21 mai 2008, consulté le 16 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sextant/3939 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sextant.3939
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