Genre, sexualité et colonisation. La colonisation française au Maghreb
Résumés
Coloniser a toujours été perçu comme un acte essentiellement masculin. C’est sans doute pour cette raison que l’histoire de la colonisation (et de la décolonisation) n’a fait que peu de place aux femmes. Au point que l’on peut à juste titre se demander aujourd’hui si la colonisation française a bien eu, à un moment de son histoire, un genre ? Si coloniser − c’est-à-dire conquérir par la force − est un acte violent dont les femmes semblent de facto exclues, il n’en va pas de même du processus de pérennisation de la colonisation et de l’injonction à la maternité qu’il sous-tend pour les femmes françaises. Or, les Françaises sont peu nombreuses au début de l’Algérie coloniale. La question de l’émigration féminine devient alors d’autant plus préoccupante que le sex ratio reste au désavantage des Français (mais aussi des Européens) et empêche leur repliement sexuel et conjugal sur leur communauté d’origine. Dans un contexte colonial lâche, celui des années 1830-1870, leur place paradoxale – les femmes a grande fertilité, par exemple les Espagnoles et les Maltaises – appartiennent évidemment à la minorité hégémonique blanche mais sont, en même temps, du fait de leur sexe et de la hiérarchie coloniale, dominées par les hommes, a fortiori quand ceux-ci sont Français − pose donc des problèmes concrets et spécifiques à l’administration coloniale française et au gouvernement en métropole qui cherche à construire une nouvelle France en Algérie.
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Mots-clés :
XIXe siècle, colonialisme, Maghreb, masculinités, colonisation, décolonisation, femmes françaises, genre, sexualité, féminisme, Algérie, Empire colonial françaisKeywords:
19th century, colonialism, Maghreb, masculinity, colonisation, decolonisation, French women, gender, sexuality, feminism, Algeria, French Colonial EmpirePlan
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1Coloniser a toujours été perçu comme un acte essentiellement masculin. C’est sans doute pour cette raison que l’histoire de la colonisation (et de la décolonisation) − qui, jusqu’à une date récente, était le plus souvent écrite par des hommes − n’a fait que peu de place aux femmes, aux rapports sociaux de sexe, à la construction des identités de genre et plus encore à l’histoire de la sexualité en situation coloniale. Considérées comme quantités négligeables dans les périodes belliqueuses (de guerre ou de pacification), les femmes n’ont certes pas eu une visibilité plus importante en temps de paix alors même qu’elles se trouvent, comme agents d’une mission civilisatrice française dont le triptyque fondateur est « éduquer, moraliser, convertir », au cœur de l’affirmation de la puissance nationale et de la domination coloniale.
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- 3 Depuis une vingtaine d’années, l’historiographie en langue anglaise a d’ailleurs bien démontré comm (...)
2Au point que l’on peut à juste titre se demander aujourd’hui si la colonisation française a bien eu, à un moment de son histoire, un genre ? Un premier élément de réponse peut être apporté, en dehors de la rhétorique impérialiste qui utilise couramment le concept de « mère patrie »1, en questionnant, sur le versant de la population féminine, les discours coloniaux sur le peuplement européen en Algérie d’abord, et en Tunisie et au Maroc ensuite. Car si coloniser − c’est-à-dire conquérir par la force − est un acte violent dont les femmes semblent de facto exclues2, il n’en va pas de même du processus de pérennisation de la colonisation et de l’injonction à la maternité qu’il sous-tend pour les femmes françaises3.
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- 5 On ne sait pas grand’chose sur l’histoire de la migration et de l’implantation de ces femmes céliba (...)
3Or, précisément, les Françaises sont peu nombreuses au début de l’Algérie coloniale. La question de l’émigration féminine devient alors, dans ce contexte précis, d’autant plus préoccupante que le sex ratio reste au désavantage des Français (mais aussi des Européens) et empêche leur repliement sexuel et conjugal sur leur communauté d’origine. La surmasculinisation de la première population coloniale, composée de très nombreux célibataires (militaires, artisans, commerçants, paysans, spéculateurs…) n’est, en effet, guère en adéquation avec une sexualité étanche respectant les catégories d’appartenance et la ségrégation communautaire du sexe, pas plus qu’avec un enracinement, dans le long terme, nécessaire à la colonisation. Pas assez nombreuses pour pallier la demande masculine – notamment à l’extérieur des grandes zones urbaines et des premiers fronts de colonisation – les premières Françaises et Européennes qui débarquent au Maghreb posent, de surcroît, des problèmes spécifiques à l’administration coloniale, notamment quand elles arrivent, ce qui n’est apparemment pas rare, en dehors du regroupement familial, c’est-à-dire sans la protection d’un homme4. Que faire de ces femmes exploratrices, aventurières, journalistes, religieuses, rentières, commerçantes, agricultrices, artistes, prostituées qui prennent le chemin des possessions françaises du nord de l’Afrique dans l’espoir d’une vie meilleure ou affranchie5 ?
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4Au demeurant, même les Européennes « en recherche de mari » ou mariées occasionnent des désagréments. Leur fécondité devient ainsi, alors même que les Français se sentent isolés non seulement parmi les Européens mais encore plus face à la masse des « indigènes », un enjeu colonial, donc national, de premier ordre. Les femmes à grande fertilité – par exemple les Espagnoles et les Maltaises − sont d’autant plus surveillées (l’administration coloniale tente même de limiter leur arrivée et préconise pour elles le mariage mixte avec des Français pour « diluer » le sang espagnol et maltais) qu’elles sont suspectées de ne pas jouer le jeu colonial français et de ne pas en respecter la hiérarchie. Dans un contexte colonial lâche, celui des années 1830-1870, leur place paradoxale − ces femmes appartiennent évidemment à la minorité hégémonique blanche mais sont, en même temps, du fait de leur sexe et de la hiérarchie coloniale6, dominées par les hommes, a fortiori quand ceux-ci sont Français − pose donc des problèmes concrets et spécifiques à l’administration coloniale française et au gouvernement en métropole qui cherche à construire une nouvelle France en Algérie.
Sexualité et mixité sexuelle
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- 8 Si on ne peut faire venir des Françaises, il faut utiliser à plein celles qui se trouvent déjà sur (...)
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5Dans ce contexte très particulier, on se doute que la question de la sexualité et de la mixité sexuelle (entre Européens d’abord et entre Européens et populations locales ensuite) se trouve elle aussi au cœur de l’entreprise coloniale7, tant elle est liée à celle du peuplement8. En maintenant la mixité sexuelle − c’est-à-dire le fait pour une femme membre d’une communauté confessionnelle (chrétienne, juive ou musulmane) d’avoir des relations sexuelles extra-conjugales avec un homme membre d’une autre communauté confessionnelle9 − dans le cadre contrôlé de la marginalité prostitutionnelle, l’administration coloniale, militaire d’abord et civile ensuite, visait plusieurs objectifs. Dans un premier temps, il s’agissait de protéger l’armée d’Afrique et les premiers Européens d’une société « indigène » perçue comme dangereuse.
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6Au drame vénérien, abondamment discuté dans une littérature médicale en pleine expansion à partir du milieu du XIXe siècle, s’ajoutait le risque patent d’une « contamination » raciale et religieuse inhérente, au Maghreb, à la situation coloniale. Se posait en effet la question de relations sexuelles et/ou amoureuses inter-communautaires qui auraient pu s’exercer au détriment de la race blanche et au bénéfice de l’islam. Dans les années 1830-1870, quelques unions – certes isolées mais combien symboliques, notamment quand elles concernaient des officiers ou des sous-officiers de l’armée d’Afrique – s’étaient soldées, en vertu du principe coranique interdisant aux femmes « indigènes » d’épouser des non-musulmans – par des conversions à l’islam ou/et par des mariages devant le cadi qui donnaient lieu ensuite à des reconnaissances, en bonne et due forme, d’enfants métis10.
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7Après l’écroulement de l’Empire en 1870 – et de l’idée chère à Napoléon III d’un Royaume arabe − et les débuts de la IIIe République, il ne s’agissait plus de tolérer ni fusion des communautés11 ni mélange des races12, mais d’imposer une ségrégation raciale et communautaire qui visait à limiter au maximum la « contamination » et la « décivilisation » (on ne parle pas encore « d’embougnoulement ») des Européens et des Européennes. Pensé dès lors dans le cadre d’une compétition raciale et confessionnelle13 – rendue plus complexe encore par la référence récurrente, chez les colonisés, à la « dégradation » et à la « corruption » des femmes « indigènes » au contact des nasrani (des chrétiens) − le mariage mixte était condamné à n’être, au cœur du dâr al islam14 et de la ségrégation coloniale, qu’un phénomène marginal fortement stigmatisé15. Le rejet du mariage mixte – comme forme « classique » dans la région16, à la fois de régulation de la sexualité intercommunautaire et de l’enracinement dans la société d’un pouvoir acquis par la force17 – a alors logiquement débouché sur le développement d’une marginalité prostitutionnelle qui, tout en traduisant évidemment le droit du conquérant, était aussi le produit d’un statu quo (une majorité de femmes préservée contre une minorité sacrifiée)18 globalement accepté, dès la fin du XIXe siècle, par l’ensemble des hommes, « indigènes » et Européens. En somme, bien que les nasrani aient renversé un statut séculaire – celui de dhimmi (en terre d’islam, les chrétiens et les juifs sont des « protégés ») – et qu’ils aient réduit l’un des tabous les plus prégnants de la sexualité pré-coloniale, celui de la ségrégation confessionnelle du sexe19, le « partage » des femmes, pourtant nécessaire puisque le sex ratio, comme nous l’avons vu, s’exerçait toujours à leur désavantage, restait problématique20. La majorité des musulmanes étant intouchables, l’administration coloniale utilise alors une population féminine de l’entre-deux qu’elle constitue, en raison de sa nature même, en minorité sexuelle dominée. L’imposition du stigmate prostitutionnel – l’égout séminal conceptualisé au XIXe siècle, en métropole, par le docteur réglementariste Alexandre Parent-Duchatelet – a en effet consubtantiellement agrégé, en contradiction avec le fantasme récurrent des colonies comme « édens sexuels », la sexualité vénale maghrébine au monde de la marginalité sexuelle21. Ce faisant, l’administration coloniale réglait en sus l’épineux problème de la filiation – c’est-à-dire des métis qui auraient pu naître de ces unions illégitimes et devenir un enjeu majeur de lutte entre les communautés confessionnelles. Or, enfants de prostituées « indigènes » avant tout, ces derniers sont renvoyés, du fait du double statut discriminant de leurs mères, à la « honte » et au « vice » de leur naissance. Ils disparaissent d’ailleurs fort symboliquement des archives coloniales où il est très difficile, voire impossible, de retrouver leur trace, créant ainsi, par comparaison avec d’autres parties de l’empire et notamment avec l’Indochine22 et la Nouvelle Calédonie, une « exceptionnalité maghrébine » troublante23.
Rentabiliser le sexe « indigène »
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8Prenant assise sur une population européenne dont le profil change progressivement à partir des années 1860-1880 – une classe moyenne socialement plus intégrée remplace la cohorte de réprouvés, déportés, orphelins et filles « perdues »24 qui avaient jusque-là peuplé en majorité les « possessions françaises dans le nord de l’Afrique »25 − l’administration coloniale impose à tous une exigence de respectabilité qui passe, y compris dans le domaine de la sexualité, par une moralisation et une racialisation de la société coloniale en construction26. A partir de 1881 – c’est-à-dire à partir de l’instauration du code de l’indigénat en Algérie – la politique de la colonisation, jusque-là encore fluctuante, se rigidifie en effet autour d’un projet qui lie irrémédiablement capitalisme, moralisme et racialisme27. Il ne s’agit plus seulement de faire la promotion d’une « colonisation sociale », dans le but de transformer des prolétaires français et européens en petits propriétaires terriens, mais d’imposer un Etat colonial néo-féodal et des structures mentales esclavagistes. La République coloniale fait d’ailleurs la promotion de la mission civilisatrice et du modèle assimiliationniste en même temps qu’elle instaure un régime législatif qui vise à institutionnaliser l’infériorité raciale, religieuse, politique et économique des « Indigènes ».
- 28 En 1927, les deux premières revendications inscrites au programme de l’Etoile nord-africaine sont a (...)
9A partir de cette date, la colonisation entre donc dans une phase nouvelle où le réglementarisme colonial trouve toute sa place. Il y a en effet une évidente corrélation entre la mise en place, sur une vaste échelle, d’un système prostitutionnel axé sur le développement d’une industrie du sexe essentiellement alimentée par des femmes « indigènes » et l’organisation d’une société coloniale dont la ségrégation raciale, posée en principe, n’est concrètement imposée dans le domaine de la sexualité illicite qu’aux membres des échelons inférieurs de la hiérarchie coloniale – c’est-à-dire aux « Indigènes » musulmans pauvres. L’indigénat permet d’ailleurs de faire, selon la terminologie de l’époque, « suer le burnous » en s’attachant corps et biens une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci28.
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10Dans une large mesure, le réglementarisme colonial mobilise, dans le domaine de la sexualité vénale, le même arsenal idéologique et économique. A travers le statut unique de « fille soumise », il s’agit bien évidemment d’uniformiser le commerce du sexe pré-colonial, qui échappait jusque-là à l’administration coloniale et aux investisseurs européens puisque le marché de la traite était aux mains des Maghrébins, en même temps que de mettre à la disposition de la première population coloniale des femmes « indigènes » dont on s’assure, par la force et la contrainte, de la « disponibilité », en instaurant notamment des lieux spécifiques de l’échange sexuel, maisons de tolérance et quartiers réservés29. Ce faisant, l’administration coloniale retranche de la population féminine maghrébine une catégorie de femmes – celles qui sont de facto « condamnées » à la mixité sexuelle et stigmatisées en tant que telles – et rigidifie par là-même les frontières de la sexualité illicite en imposant à l’ensemble des communautés concernées, européennes et « indigènes », la limite répulsive de la femme « partagée », donc « dégradée ».
- 30 Christelle Taraud, Mauresques. Femmes orientales dans la photographie coloniale, 1860-1910, Paris, (...)
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11L’ouverture de ce marché du sexe, financièrement très rentable pour les Européens, traduit donc d’abord une situation de domination exemplaire – autant économique que raciale – qui organise la possession, non pas de l’ensemble « des femmes des autres » comme voudrait le faire croire la propagande coloniale30, mais d’une catégorie spécifique de femmes « sacrifiées » à une nécessité coloniale qui est un mélange complexe de « droit au coït » (lié au statut de conquérant) et de désir d’altérité sexuelle (élément récurrent de l’orientalisme enchâssé dans un mode de vie très particulier : la colonial way of life)31.
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12Stigmatisées comme « indigènes », les prostituées le sont aussi incontestablement comme femmes « partagées ». Soumises alors à un système prostitutionnel carcéral et hygiéniste qui vise autant la rentabilité de l’activité (séparation des services et développement généralisé de la passe, qui permet un rendement démultiplié de l’activité) et des établissements − donc des investissements – que la moralisation et la marginalisation croissante des individus, les prostituées « indigènes » sont progressivement transformées en « ouvrières du sexe », cantonnées dans ce qu’il faut bien appeler de véritables « usines sexuelles ». Couplé à une industrie du tourisme en formation qui propose ses propres clichés racoleurs, le taylorisme sexuel – c’est-à-dire la forme la plus triviale du commerce sexuel : l’abattage – devient, en effet, dès le début du XXe siècle, dans l’ensemble du Maghreb « utile », l’unique modèle d’organisation de la sexualité illicite vénale prôné par l’administration coloniale32.
Genre, nationalisme et colonisation
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13Or, en même temps que la colonisation organise un commerce du sexe alimenté essentiellement par une catégorie de femmes « indigènes » mise à la disposition de la population masculine européenne, cette dernière construit aussi un discours très structuré et normatif sur la masculinité de l’empire. Il s’agit, dans ce cadre, de produire d’abord, en miroir, une image stigmatisante de « l’homme arabe »33, qui oscille constamment entre le profil de l’homosexuel34 plus ou moins éfféminé et du prédateur sexuel à la morphologie (hypertrophie du pénis)35 et aux mœurs anormales (hypersensualité qui explique harem et polygamie, perversité36 et violence sexuelles)37, et une représentation valorisée du Français ou de l’Européen francisé, pensée et perçue dans une évidente virilité triomphante.
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14Cette vision ne produit pas seulement, on s’en doute, des clichés sur la sexualité des uns et des autres, elle sert une politique de domination qui vise à inférioriser les uns (les Arabes) pour assurer la supériorité, y compris sexuelle, des autres (les Français et assimilés). Elle conforte donc clairement une « colonisation virile »38 dont le nationalisme exacerbé se traduit, notamment, par la mise en scène et la mise en pratique d’une puissance sexuelle revendiquée comme un élément structurant de l’hégémonie. Dans les périodes de guerre ou de pacification, cette « colonisation virile » peut se manifester d’une manière paroxystique à travers le recours aux mutilations sexuelles ou au viol par exemple39 ; elle peut aussi, en temps de paix, prendre des formes moins évidentes tout en traduisant une violence tout aussi exemplaire40.
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15D’une manière générale d’ailleurs, cette « colonisation virile » organise un ordre sexuel qui produit une double contrainte, vis-à-vis des hommes « indigènes »41, comme nous venons de le voir, et vis-à-vis de l’ensemble des femmes (Européennes et « indigènes »). Des mécanismes de coercition très spécifiques et très violents sont en effet exercés contre elles. Sur les femmes européennes d’abord dont l’administration coloniale contrôle sévèrement, dans un souci d’honneur et de prestige national et racial et de pérennité coloniale, les ventres et la moralité42. Sur les femmes « indigènes » ensuite que cette dernière souhaite « civiliser » pour qu’elles deviennent les relais efficaces, notamment dans les familles, de l’assimilation et de la francisation. Dans ce vaste et ambitieux projet de domestication des femmes « indigènes », les Européennes sont mobilisées pour assurer, auprès des premières, la diffusion de l’idéologie coloniale et se mettre au service de ses valeurs civilisatrices. Elles en deviennent d’ailleurs apparemment, quoique les études sur la question soient encore très rares pour l’empire colonial français, les agents zélés – assurant avec constance la mission qui leur a été confiée d’éduquer, de soigner, de moraliser et de convertir43. Ce maternalisme colonial − véritable bras armé de la colonisation dans le monde des femmes − ne remet nullement en cause l’ordre sexuel et moral et fait évidemment la promotion d’une certaine idée de la République et de la nation française. En ce sens il s’oppose nettement à des sociétés locales, jugées dangereusement archaïques, et à un patriarcat arabo-musulman, condamné comme passéiste et violent.
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- 45 Beaucoup de choses restent à faire sur les rapports éminemment complexes entre féminisme français e (...)
16A partir du début du XXe siècle, le statut des femmes « indigènes » devient d’ailleurs un marqueur central de l’état de civilisation. L’administration coloniale s’engage alors à mettre en place un programme ambitieux visant à moderniser et à moraliser les femmes tout en les émancipant de « leurs hommes ». Cette politique a pour effet essentiel de placer les femmes « indigènes » dans une position paradoxale très inconfortable. L’appropriation symbolique (par l’iconographie notamment) et réelle (dans le cadre d’un marché du sexe organisé par le réglementarisme colonial en zone civile et dans les BMC en zone militaire) d’une partie d’entre elles avait déjà entraîné, chez les hommes, un processus très net de repliement et de protection autour des règles du harâm44. A cela s’ajoute le fait que le féminisme colonial – qui a été globalement, pendant toute la période coloniale, anti-arabe et anti-musulman − a fait, lui aussi, de la question des femmes un des enjeux de la « mission civilisatrice » et de la politique assimilationniste de la France45.
- 46 Marie Bugeja, « Pour l’évolution des femmes musulmanes », La Française, 28 avril 1934.
- 47 E.F. Gauthier, Mœurs et coutumes des musulmans, Paris, Payot, 1955, p. 42.
17Les auteurs de l’époque, féministes ou pas, le confirment d’ailleurs très explicitement. Ainsi de Marie Bugéja qui écrit : « La conquête morale ne doit pas comprendre que la population masculine, la femme doit être d’autant plus comprise, dans cet essor, que c’est par elle, en tous pays, que le rapprochement s’opère complètement »46 à E.F. Gauthier qui note : « Nous sommes pleins de pitié pour les femmes musulmanes cloîtrées et tyrannisées, leur émancipation nous paraît un devoir d’humanité, une loi du progrès »47, le discours est homogène et repose sur deux idées forces.
18La première est que la colonisation va porter secours aux femmes « indigènes » et les libérer du carcan patriarcal qui les opprime, tout en le transformant en « agents » de l’assimilation de l’ensemble de la société (notamment par le biais de l’éducation donnée aux enfants). La seconde est – en instrumentalisant et en manipulant une présentation pourtant souvent réaliste de la condition des femmes que les hommes maghrébins doivent intérioriser, parce qu’ils sont les oppresseurs – de créer chez eux un sentiment d’infériorité qui prend racine dans leur « arriération », tout en leur faisant intégrer une image négative d’eux-mêmes qui légitime la supériorité morale et civilisationnelle de la colonisation et l’abandon des valeurs arabo-musulmanes de leur société d’origine.
- 48 A noter que, à l’exception notable du livre de Djamila Amrane, Les femmes dans la guerre d’Algérie, (...)
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19On comprend que ce double discours, qui fait la part belle à la mission civilisatrice − sans tenir compte du fait que l’administration coloniale n’a pas fondamentalement modifié, malgré le discours officiel, ni le statut des femmes, ni les rapports sociaux de sexe − ait entraîné des processus de rejet assez significatifs dans les sociétés « indigènes ». On ne s’étonnera donc pas que la décolonisation apparaisse aussi comme un phénomène viril, comme une réaffirmation vigoureuse de la puissance masculine et des principes organisationnels qui la sous-tendent. Ce « Maghreb viril » qui s’exprime alors dans le cadre de la lutte pour l’indépendance − fabrique des héros et des martyrs par excellence48 − impose ensuite, dans l’Etat post-colonial, un projet politique reposant sur une normalisation, une uniformisation et une moralisation des sociétés qui se fait, en Algérie et au Maroc, entre honneur viril et honneur national49, au détriment de l’émancipation des femmes.
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Notes
1 Les relations entre dominants et dominés, gouvernants et gouvernés sont souvent circonscrits à un langage maternel : « Si tu sers la France comme ta mère, elle te traitera comme un fils ».
2 Encore qu’aucune étude globale ne se soit vraiment intéressée au rôle des femmes françaises, européennes et maghrébines dans la guerre de conquête en Algérie. A ma connaissance, cette réflexion concerne l’ensemble de l’Empire colonial français en Afrique, mais aussi en Indochine, en Nouvelle Calédonie et à Madagascar.
3 Depuis une vingtaine d’années, l’historiographie en langue anglaise a d’ailleurs bien démontré comment la maternité (procréation et rôle social de mère) était au cœur de l’entreprise coloniale : voir notamment Jean Allman, « Making Mothers, Missionaries, Medical Office and Women’s Work in Colonial Asante », History Workshop Journal, 38, 1994, p. 23-48 et Carol Summers, « Intimate Colonialism : The Imperial production of Reproduction in Uganda, 1907, 1945 », Signs, 16/4, 1991, p. 449-471 ; Anne Hugon, « La redéfinition de la maternité en Gold Coast, des années 1920 aux années 1950 : projet colonial et réalités locales », in Anne Hugon (dir.), Histoire des femmes en situation coloniale. Afrique et Asie, XXe siècle, Paris, Khartala, 2004, p. 145-171.
4 Claudine Guiard, « Des femmes méconnues : les premières Européennes venues en Algérie aux lendemains de l’expédition d’Alger (juillet 1830-décembre 1840) » (article à paraître) ; aussi Cécile Swaisland, Servants an gentlewomen to the Golden Land : the emigration of single women from Britain to Southern Africa, 1820-1939, Oxford, University of Natal Press, 1993.
5 On ne sait pas grand’chose sur l’histoire de la migration et de l’implantation de ces femmes célibataires qui ont joué un rôle important non seulement dans le système de production de la colonie mais aussi dans la construction de la société coloniale.
6 La question de l’inégalité structurelle, à l’intérieur du peuplement européen, est peu traitée par l’histoire coloniale française. Sur cette question : Fanny Colonna et Christelle Taraud, « La minorité européenne d’Algérie (1830-1962) : inégalités entre « nationalités », résistances à la francisation et conséquences sur les relations avec la « majorité musulmane » », intervention au colloque d’histoire franco-algérienne, organisé par Gilbert Meynier, Lyon, ENS, juin 2006.
7 Christelle Taraud, « Genre, classe et « race » en contexte colonial : une approche par la mixité sexuelle », in Irène Thery (dir.), L’aspect sexué de la dimension sociale, Paris, Ed. de l’EHESS, coll. Enquêtes, décembre 2007.
8 Si on ne peut faire venir des Françaises, il faut utiliser à plein celles qui se trouvent déjà sur place et qui peuvent produire immédiatement de « bons Français ».
9 La mixité sexuelle n’est pas toujours liée à la prostitution. Dans les premiers temps de la conquête, il y a probablement eu beaucoup de « collages » intercommunautaires. Il faudrait ainsi étudier avec beaucoup d’attention ce que font les Européennes de basse classe quand elles arrivent seules – donc sans protection masculine – dans les possessions françaises du nord de l’Afrique. Il est possible qu’un certain nombre d’entre elles, considérées comme des « aventurières » et des « filles perdues » se marient ou s’installent « en ménage » avec des « indigènes ». A l’autre bout de la hiérarchie sociale, c’est le cas, par exemple, d’Isabelle Eberhardt qui s’est convertie à l’Islam, parle l’arabe et a épousé un des rares Français musulman de l’époque du nom de Slimène Ehnni. C’est d’ailleurs grâce à son mariage qu’elle obtient la nationalité française.
10 Annie Rey-Goldzeiguer signale ainsi les cas de De Neveu et Berbrugger bientôt suivis, nous dit-elle, par nombre d’officiers des bureaux arabes et notamment Morris, Martineau-Deschenez et Dargent, Le Royaume Arabe, Alger, Société nationale d’édition et de diffusion, 1977, p. 74.
11 Ainsi, Pélissier de Reynaud préconise-t-il, pour favoriser le phénomène de l’endosmose, la généralisation des mariages mixtes dans le but d’une « fusion des communautés » qui verrait l’émergence d’un nouveau peuple.
12 Malgré sa crainte d’une « dégénérescence de la race blanche », le comte Arthur de Gobineau encourage en effet le « mélange des races » dans le but d’améliorer les « races inférieures ». Selon lui, l’attirance des Blancs pour les femmes « indigènes » s’expliquerait par leur « désir » de participer à cette « amélioration ».
13 Des voix s’élèvent, au début de la conquête, contre cette opposition tranchée Islam/chrétienté. Ainsi le capitaine Richard – un officier des bureaux arabes polytechnicien et fouriériste – qui s’exclame : « Nous avons des citoyens français qui sont juifs, protestants, catholiques ; pourquoi n’ajouterions-nous pas à cette liste des musulmans ? ».
14 Littéralement la « maison de l’Islam ».
15 A noter que les mariages mixtes femmes blanches/« indigènes » ne sont pas mieux acceptés des deux côtés de la frontière coloniale. Dans les années 1930, en Tunisie, les « indigènes » qui prennent femme chez l’occupant n’ont plus le droit d’être enterrés au cimetière musulman. En 1934, l’Association des étudiants musulmans nord-africains condamne les mariages mixtes que ses adhérents pourraient contracter en France : Guy Perville, Les étudiants algériens de l’université française, 1880-1962, Paris, Ed. CNRS, 1984, p. 91.
16 Ainsi dans la Régence d’Alger, les Kulughli (métis nés d’un père turc ou assimilé et d’une mère algérienne) avaient-ils toute leur place, y compris dans le jeu politique… mais bien sûr, ces hommes étaient musulmans.
17 Comme l’explique un Marocain à un contrôleur civil, « Les Français pour nous, c’étaient des envahisseurs, plus forts que nous, bien armés, calculant tout, réfléchissant à tout. On a cru qu’ils allaient dominer le pays et se donner comme les nouveaux chefs. Ils allaient épouser les filles des meilleures familles de la contrée. S’ils avaient vraiment fait cela, ils auraient dominé les tribus » : cité dans Yvonne Knibiehler, Geneviève Emmery et Françoise Legauay, Des Français au Maroc, Paris, Denoël, 1992, p. 80-81.
18 En 1830, après la victoire des Français, l’acte de reddition du Dey d’Alger stipule que « l’exercice de la religion restera libre ; la liberté de toutes les classes d’habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce, leur industrie, ne recevront aucune atteinte. Les femmes seront respectées » ; cité par Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette, 2002, p. 112.
19 A la veille de l’intervention militaire française à Alger, les femmes libres de confession musulmane, surprises avec des chrétiens ou des juifs, étaient enfermées dans des sacs et jetées à la mer. C’est dire la force du tabou religieux (harâm) brisé par la présence coloniale.
20 Dans le cadre européen, l’administration coloniale systématise, a contrario, le mariage mixte. Les couples franco-espagnols et franco-italiens sont, par exemple, très nombreux.
21 Pour une comparaison avec un autre Empire colonial, voir notamment Luise White, The conforts of home : prostitution in colonial Nairobi, Chicago, University Press of Chicago, 1990 et Isabelle Tracol, La prostitution au Tonkin colonial, 1873-1954, mémoire de maîtrise de l’Université Lyon II, 2007.
22 En Indochine, les personnages de la congaï et de l’enfant métis appartiennent très officiellement à la société coloniale.
23 Pour une étude comparative avec l’Indochine : Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007. L’exemple calédonien est aussi très intéressant. La question des enfants métis (produits des couples mixtes kanak/caldoche) semble se régler de la manière suivante : les enfants appartiennent aux pères qui, en les reconnaissant, leur donnent aussi (quelle que soit leur couleur de peau) leur propre statut communautaire (ainsi un enfant noir peut être socialement caldoche et réciproquement). Sur cette question, une étude reste à mener.
24 Au point que Napoléon III rappelle que l’Algérie ne doit pas devenir « le dépôt de mendicité de l’Europe ».
25 On disait aussi « établissement français sur la côte septentrionale de l’Afrique ». C’est seulement le 14 octobre 1839, dans une correspondance adressée à Vallée par le ministre de la Guerre, le maréchal Soult, que pour la première fois le terme « Algérie » est employé.
26 Ainsi Ismayl Urbain se rendant à une réception au palais du gouverneur général de l’Algérie se voit interdire l’entrée car il est accompagné de sa femme, une musulmane.
27 J’opère ici une distinction entre le racisme, défini comme panoplie d’attitudes discriminatoires, et le racialisme qui en est la forme institutionnelle (les lois…).
28 En 1927, les deux premières revendications inscrites au programme de l’Etoile nord-africaine sont ainsi, fort symboliquement, « l’abolition immédiate de l’odieux code de l’indigénat et de toutes les mesures d’exception » et « l’amnistie pour tous ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale ou exilés pour infraction au code de l’indigénat ou pour délit politique ».
29 Sur les catégories « pré-coloniales » de la sexualité vénale – licite et illicite – voir Christelle Taraud, La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962), Paris, Payot & Rivages, 2003, p. 25-53.
30 Christelle Taraud, Mauresques. Femmes orientales dans la photographie coloniale, 1860-1910, Paris, Albin Michel, 2003.
31 Pour une comparaison avec l’empire colonial belge : Amandine Lauro, Coloniaux, ménagères et prostituées au Congo belge (1885-1930), Loverval, Editions Labor, 2005.
32 Maghreb « utile » : expression utilisée par l’administration coloniale pour désigner la zone géographique côtière (correspondant grossièrement au premier front de colonisation) allant d’Agadir à Gabès où vit l’essentiel de la population européenne.
33 Il y a ici distinction nette avec l’homme « berbère », guerrier farouche, bon travailleur et connaissant un embryon de démocratie avec l’assemblée de village (djamâa).
34 L’histoire de l’homosexualité dans le Maghreb colonial reste à faire. Histoire très difficile à mettre en œuvre car les archives traditionnelles (policières, judiciaires, médicales, militaires, administratives…) ne traitent quasiment pas de la question. Il faut donc, dans ce cadre, avoir recours aux sources littéraires (Maupassant, Gide, Genet, Burroughs…) et, pour les périodes plus récentes, à l’histoire orale.
35 Cette particularité anatomique est ainsi présentée par le docteur Jacobus après que des cadavres d’Arabes ont été disséqués à l’amphithéâtre : « Le pénis, au lieu d’être rétracté et réduit à un petit volume comme celui de l’Européen, présentait encore un développement considérable » : Docteur Jacobus, L’Art d’aimer aux colonies, Paris, Editions G. Anquetil, 1927.
36 Dans les perversités, la sodomie (avec des hommes ou avec des femmes) est la plus unanimement décriée, comme le souligne à nouveau le docteur Jacobus : « C’est avec un tel appareil qu’il recherche le coït anal. Il n’est pas difficile dans le choix et tout lui est bon, l’âge comme le sexe », Ibid.
37 L’image de l’Arabe violeur de femmes blanches est récurrente. Sur cette question : Christelle Taraud, « Angélique et l’Orient : une certaine vision de l’altérité ? », in Nicole Beaurain, Larry Portis, Christiane Passevant, Christelle Taraud (dir.), « Le cinéma populaire et ses idéologies », L’Homme et la société, 154, L’Harmattan, octobre-décembre 2004, p. 9-29.
38 J’emprunte ici cette expression à Fabrice Virgili, La France virile. Des femmes tondues à la libération, Paris, Payot & Rivages, 2000.
39 L’histoire du viol, dans le cadre colonial, reste à faire. Sur cette question, voir cependant Raphaëlle Branche, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 75, juillet-septembre 2002, p. 123-132.
40 Christelle Taraud, « Donne « indigene » sulle staffe : discorso igienista e violenza fotografica nel Marocco coloniale degli anni 30 » (« Femmes « indigènes » sur étriers : discours hygiéniste et violence photographique dans le Maroc colonial des années 1930 »), in Jöelle Beurier, Ilsen About (dir.), « Regards du XXe siècle. Photographies de la violence, violences photographiques », Memoria & Ricerca, 20, septembre-décembre 2005, p 39-56.
41 Et par extension vis-à-vis des Français. On ne sait rien sur ce que cette obligation de virilité induit/produit chez eux en contexte colonial, en temps de paix comme en tant que guerre.
42 Ainsi, même la grande militante féministe Hubertine Auclert a dû – alors qu’elle avait simplement suivi en Algérie son compagnon, Antonin Lévrier avec qui elle vivait en union libre à Paris – se marier à Alger sous les pressions du milieu conservateur de la société coloniale.
43 Voir l’article de Catherine Jacques et de Valérie Piette sur le Congo belge : « L’Union des femmes coloniales (1923-1940). Une association au service de la colonisation », in Anne Hugon, op. cit., p. 95-117.
44 A titre d’exemple, voilà comment Féline décrit les femmes de Fès : « Fez ! Cité orgueilleuse où règnent encore les plus belles captives du monde… Je saurais les attirer dans le cycle de mes pensées ». Pierre Feline, Les deux femmes de Moulay Ali, Alger, Imprimerie Braconnier, 1947, p. 18.
45 Beaucoup de choses restent à faire sur les rapports éminemment complexes entre féminisme français et discours colonial sur les femmes « indigènes ». Voir cependant Julia Clancy Smith, « Islam, Gender and Identities in the Making of French Algeria, 1830-1962 », in Julia Clancy-Smith et Frances Gouda, Domesticating the Empire: Gender, Race & Family Life in the Dutch and French Empires, Charlottesville, University Press of Virginia, 1998, p. 154-174.
46 Marie Bugeja, « Pour l’évolution des femmes musulmanes », La Française, 28 avril 1934.
47 E.F. Gauthier, Mœurs et coutumes des musulmans, Paris, Payot, 1955, p. 42.
48 A noter que, à l’exception notable du livre de Djamila Amrane, Les femmes dans la guerre d’Algérie, Paris, Plon, 1991, aucune étude ne prend en compte le rôle des femmes maghrébines dans la guerre de décolonisation et dans l’élaboration du projet nationaliste. La question des positions et du rôle des femmes européennes n’est d’ailleurs pas mieux traitée.
49 Se pose dans ce cadre, par exemple, les questions de la collaboration charnelle ou de l’aliénation à l’Occident (donc à la colonisation). Sur ces problèmes : Christelle Taraud, La prostitution coloniale…, p. 327-363.
50 Pour une approche de ce type : Christelle Taraud, « La condition des femmes marocaines au sortir de la colonisation : entre tradition et émancipation », in Mohammed Kenbib (dir.), actes du colloque international Du Protectorat à l’indépendance, Rabat, Editions de l’Université Mohammed V, mars 2006, p. 115-125.
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Référence papier
Christelle Taraud, « Genre, sexualité et colonisation. La colonisation française au Maghreb », Sextant, 25 | 2008, 117-127.
Référence électronique
Christelle Taraud, « Genre, sexualité et colonisation. La colonisation française au Maghreb », Sextant [En ligne], 25 | 2008, mis en ligne le 21 mai 2008, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sextant/3935 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sextant.3935
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