Identités de genre et événement guerrier. Des expériences féminines du combat
Résumés
Dans cet article, en nous appuyant sur des travaux plus anciens et sur des enquêtes en cours, nous voulons interroger le rapport que des femmes ont entretenu avec le combat, autant du point de vue de la société que de celui de l’individu sexué dont l’expérience est saisissable en travaillant l’écriture de soi. C’est une des raisons pour lesquelles sont associés pour cette analyse les conflits de haute intensité et les contextes de lutte armée en interrogeant les mécanismes de la différence entre les sexes dans le temps long, qui repose en particulier sur un système de représentations du rapport singulier et collectif à la violence, au nombre des invariances anthropologiques mises en évidence par Françoise Héritier et par Paola Tabet. Dans un premier temps, l’analyse porte sur les réactions des sociétés et des Etats face à l’émergence de combattantes aux XIXe et XXe siècles dans le monde occidental ; on étudiera ensuite dans une deuxième partie la transmission des expériences féminines de la lutte armée.
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Mots-clés :
identité de genre, événement guerrier, guerre, féminisme, combat, représentation, violence, Héritier Françoise, Tabet Paola, XIXe siècle, XXe siècleKeywords:
gender identity, war event, war, feminism, combat, representation, violence, Héritier Françoise, Tabet Paola, 19th century, 20th centuryPlan
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- 1 Mosse, G. L., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Pari (...)
- 2 Anderson, B., L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La (...)
1Dans les sociétés contemporaines la guerre est appréhendée comme un moment d’exception en rupture avec le temps de paix censé être la norme des relations sociales et des rapports internationaux. Certes, l’une des caractéristiques de la guerre est de changer ponctuellement les systèmes de valeurs, de déplacer les seuils de sensibilité, par exemple en transgressant l’interdit de tuer pour en faire un devoir imposé au titre de la défense du groupe et de son identité – l’élévation des seuils de tolérance de la violence participant des dynamiques culturelles de l’événement1 –, ou plus encore comme le souligne Benedict Anderson2, en conduisant les communautés et les individus à se résoudre à mourir. Mais la guerre, comme tout événement historique, constitue également un lieu d’expérience et d’improvisation. En ce sens, les sociétés, les Etats, les armées, se sont dotés d’institutions censées réguler le chaos, afin de mettre de l’ordre dans le désordre.
- 3 Badinter, E., X Y, de l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992.
2C’est une des raisons pour lesquelles les études de genre ont investi les conflits armés comme un terrain privilégié. D’une part l’institution guerrière semble consolider la différence entre les sexes dans la longue durée. Selon des études féministes, elle serait même un des hauts lieux de la domination masculine et de la séparation homme/femme3. Mais, par ailleurs, la créativité de l’événement pourrait faire aussi de ce lieu, selon les contextes et les situations, un temps des possibles ouvrant sur une dynamique de rapprochement des conditions masculines et féminines, celui de la transgression des assignations de sexe, celui également d’une fragilisation des hommes et de l’autonomisation des femmes. Le débat est sans fin. Les arguments et les interprétations varient selon les moments historiques, selon les situations étudiées, en fonction des échelles choisies et des populations observées pour analyser les faits, ce qui souligne conjointement la richesse et la complexité de l’événement guerrier comme observatoire des dynamiques du genre. En ce sens, il interroge le rôle moteur de l’événement historique dans la transformation des sociétés, des institutions, comme lieu d’expérience individuelle et de construction des identités.
- 4 Héritier, F., Masculin/féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996 ; Tabet, P., L (...)
- 5 Guilaine, J. et Zammit, J., Le sentier de la guerre. Visages de la violence préhistorique, Paris, S (...)
3Nous voudrions dans le cas présent, en nous appuyant sur des travaux plus anciens et sur des enquêtes en cours, interroger le rapport que des femmes ont entretenu avec le combat, autant du point de vue de la société que de celui de l’individu sexué dont l’expérience est saisissable en travaillant l’écriture de soi. C’est une des raisons pour lesquelles sont associés pour cette analyse les conflits de haute intensité et les contextes de lutte armée. La question est immense. Elle ne peut donner lieu dans le cas présent qu’à proposer quelques éléments d’analyse et oser quelques réflexions. Néanmoins, elle permet d’interroger au cœur les mécanismes de la différence entre les sexes dans le temps long, qui repose en particulier sur un système de représentations du rapport singulier et collectif à la violence, au nombre des invariances anthropologiques mises en évidence par Françoise Héritier et par Paola Tabet4. Selon ces anthropologues, l’organisation des sociétés humaines aurait été construite dans la très longue durée sur un système de pensée binaire fondateur de la mise en ordre de la différence homme/femme. Le pôle masculin, caractérisé par la représentation du chaud, de l’activité, par l’exercice légitime de la violence, le maniement des armes et des outils, serait investi de la capacité symbolique à faire couler le sang et à ôter la vie ; tandis que le pôle féminin serait organisé autour du froid, de la passivité, de la douceur, de la réduction symbolique au corps et aux organes de la procréation et de la maternité, la contrainte de voir couler son sang et l’aptitude à donner la vie. L’exercice de la violence structurerait ainsi l’imaginaire de la différence entre les sexes depuis la préhistoire, dont les études archéologiques pourraient confirmer cette thèse5. Néanmoins, à l’échelle historique, en prenant en compte les sociétés dans leur ensemble, il existe des moments et des situations au cours desquels on observe des femmes en situation de combat, soit à l’échelle individuelle, soit à l’échelle du groupe.
4En s’intéressant au mouvement, le sens de l’histoire – et plus généralement des sciences sociales – est de porter l’attention sur les variations à l’échelle du temps, la diversité des situations, d’interroger les moments éphémères, extraordinaires, inédits, ouverts dans et par l’événement, autrement dit d’observer en quoi les individus et les sociétés ont été en condition de contester ces grands stéréotypes que sont les invariances anthropologiques, de les négocier ou de les confirmer. Dans un premier temps, l’analyse porte sur les réactions des sociétés et des Etats face à l’émergence de combattantes aux xixe et xxe siècles dans le monde occidental ; on étudiera ensuite dans une deuxième partie la transmission des expériences féminines de la lutte armée.
Genre et guerre, la volonté politique de maintenir l’ordre
Remarques à propos de l’absence des femmes dans la sphère combattante
- 6 Samuel, P., Amazones, guerrières et gaillardes, Bruxelles, éditions Complexe/PUG, 1975.
5Dans la plupart des sociétés les femmes sont absentes de la sphère combattante, dans les périodes régulières comme dans les moments de crise. Il s’agit d’un donné pratiquement universel, depuis les cultures néolithiques jusqu’aux sociétés industrielles, qui ne souffre que quelques rares exceptions à l’échelle historique participant le plus souvent de mythes tel celui des Amazones6. Trois principaux systèmes d’analyse mis en œuvre par les scientifiques se partagent les explications de ce qui apparaît comme un monopole masculin du combat.
- 7 van Creveld, M., Les femmes et la guerre, Monaco, Editions du Rocher, 2002 [2002].
6Représentatif de l’histoire militaire institutionnelle, Martin van Creveld, auteur de l’une des meilleures synthèses sur les femmes et la guerre dans la longue durée, défend, non sans provocation, une thèse essentialiste7. Revendiquant l’origine biologique de la différence des rôles sociaux de sexe selon que l’on naisse homme ou femme, ces dernières étant généralement physiquement plus faibles que leurs compagnons, la fonction « naturelle » des hommes serait de les protéger, voire de combattre pour elles. A partir d’une synthèse fournie et bien documentée, il vérifie la rareté historique du « fait » militaire féminin. Il déduit ensuite à partir des rares cas de femmes soldats qu’il a pu observer, que ces dernières « perdraient leur féminité » en vivant l’expérience du combat. In fine, il conclut que la féminisation des armées dans la conjoncture contemporaine participerait en fait du déclin de l’institution militaire. Autrement dit, les femmes rentreraient dans l’institution militaire depuis la fin du xxe siècle au moment même où celle-ci, en réalisant de plus en plus des tâches techniques, administratives et de service, cesserait d’assumer sa fonction essentielle qui est de faire la guerre.
- 8 Goldstein, J. S., War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambr (...)
7Dans la mouvance des études de genre, Joshua Goldstein, spécialiste en relations internationales, développe dans une somme consacrée au genre dans la guerre la thèse culturaliste de la différence historique entre les sexes8. En mettant en évidence un invariant qu’il nomme « universal gendering wars », selon lequel quelles que soient les sociétés en guerre les hommes accaparent le rôle guerrier, les femmes étant cantonnées dans des fonctions d’auxiliaires, Joshua Goldstein soutient que les différences physiques sont trop faibles pour expliquer la permanence de la dichotomie homme/femme dans le rapport au combat. Il vérifie à partir de situations historiques précises que lorsque des femmes sont impliquées dans les chocs elles se révèlent aussi efficaces que les hommes. Ainsi, l’explication résiderait dans la culture qui associe le masculin à la guerre. Autrement dit, ce qui a pu être une tendance issue du biologique serait devenu une institution humaine. D’un autre point de vue, on retrouve la thèse de Françoise Héritier selon laquelle ce serait à partir de l’observation des corps et des situations vécues que les êtres humains auraient élaboré depuis la préhistoire les systèmes de représentations qui ont structuré dans la durée l’imaginaire de la différence entre le masculin et le féminin, constitutif du socle des rapports sociaux de sexes.
- 9 Mosse, G. L., L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Abbeville, 1997 ; Capd (...)
- 10 Voir dans le cas du Brésil l’étude de Beattie, P. M., The Tribute of Blood. Army, Honor, Race, and (...)
8La troisième approche est celle des études historiques et sociologiques qui, en historisant des processus mis en œuvre par les sociétés, mettent en évidence des situations finalement plus variées et plus instables qu’on aurait tendance à l’imaginer. L’étude des moments historiques conduit ainsi à observer la dichotomie homme/femme dans la relation au combat non pas comme un donné biologique, ou une institution issue d’un imaginaire en suspens, mais comme une construction historique dynamique bâtie sur des rapports de force, des débats, des événements, des individus avec leur autonomie de décision, conduisant à des choix de civilisation. George L. Mosse, dans un essai tardif sur les stéréotypes de la virilité, ainsi qu’un numéro de la revue CLIO portant sur les relations de genre dans la sphère militaire, repère une crispation dans les sociétés occidentales aux XIXe et XXe siècles qui se serait traduite dans la cristallisation de l’identité masculine sur la fonction combattante9. La dynamique de ce mouvement culturel serait parallèle au processus de démocratisation, de sorte que, dans les sociétés nationales armées, la citoyenneté masculine aurait été fondée sur le projet d’universalisation du service militaire. Le phénomène est observable à l’échelle de la sphère occidentale, en Europe, en Amérique du nord comme en Amérique latine10, les chronologies étant sensiblement décalées. Conjointement à l’affirmation d’une identité masculine adossée sur la citoyenneté prolongée par la fonction combattante, les femmes ont été progressivement mais systématiquement expulsées des casernes et du champ de bataille au cours du XIXe siècle. Or les femmes reviennent par étape dans la sphère militaire au XXe siècle à la suite d’un double mouvement. Le premier correspond au temps court de l’événement. Les processus de totalisation des guerres mondiales en mobilisant les sociétés pour l’effort de guerre et en étendant le champ de bataille à l’espace social ont provoqué une militarisation ponctuelle d’une masse critique de femmes. Le second, dans la longue durée, consiste dans la poursuite du processus de démocratisation et de l’égalisation des conditions hommes/femmes dans la seconde moitié du xxe siècle, dont l’une des manifestations consiste en l’ouverture progressive de tous les corps d’armées aux femmes, qui désormais peuvent porter les armes et exercer la violence légale en temps de guerre comme en temps de paix.
- 11 Reynaud, E., Les femmes, la violence et l’armée, Paris, Fondation pour les études de la défense nat (...)
9Ainsi, on observe comment entre le XIXe et le XXe siècle s’est produit, dans un premier temps un mouvement d’expulsion des femmes de la sphère militaire et du champ de bataille alors que l’exercice du combattant était radicalement affirmé par les pouvoirs publics comme un rôle masculin exclusif, tandis qu’un mouvement de reflux se produirait dès le début du XXe siècle, le processus de « féminisation » des armées observable à l’extrême fin du XXe siècle étant inédit11.
Flux et reflux féminins de la sphère combattante
10Ainsi, dans la moyenne durée, il est remarquable d’observer en quoi l’Etat et ses agents ont mis en œuvre des dispositifs de contrôle et d’encadrement du genre, comment ont été déployés des systèmes de régulation dans la relation que les hommes et les femmes nouent individuellement avec le combat, y compris dans les moments les plus désespérés. Les situations les plus radicales de guerre totale qui se sont déroulées aux XIXe et XXe siècles vérifient en effet que, tant que l’Etat est resté valide, ses agents ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour limiter le plus possible l’accès des femmes à la manipulation des armes et au combat.
- 12 Capdevila, L., Une guerre totale, Paraguay 1864-1870. Essai d’histoire du temps présent, Rennes, PU (...)
- 13 En français, lire le roman historique de von Dombrowski, K., Terre des femmes, roman d’un peuple di (...)
11La guerre de la Triple Alliance, au cours de laquelle le Paraguay s’est affronté à la coalition du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay entre 1865 et 1870, présente un cas d’école12. L’évolution du rapport de force a fait que, au bout de quelques mois, la République paraguayenne a été contrainte de mobiliser toutes ses ressources pour alimenter le champ de bataille, le jusqu’auboutisme de ses dirigeants amenant le pays à un suicide collectif. Le Paraguay a été anéanti par cette guerre. En 1870, il avait perdu les deux tiers de sa population initiale dont 80 % des hommes en âge de porter les armes, c’est-à-dire âgés de dix ans et plus à la fin du conflit. En effet, dès les premiers mois le gouvernement s’était engagé dans une radicalisation de la mobilisation masculine en l’étendant à toutes les catégories sociales, aux invalides et aux malades, en remontant l’âge d’incorporation aux vieillards âgés de soixante ans et en le rabaissant progressivement à dix ans pour les plus jeunes. De sorte qu’à la fin du conflit les lambeaux d’armée paraguayenne étaient composés pour moitié de garçonnets âgés de dix à quatorze ans, que l’on aurait équipés de barbes postiches pour qu’ils impressionnent quelque peu l’adversaire. Or, malgré l’existence précoce et répétée de volontaires féminines, organisées, nombreuses, réclamant de servir les armes à la main, le pouvoir a toujours refusé de les conduire au combat. Elles furent en revanche militarisées et affectées aux activités de logistique, de soin et de ravitaillement. Au lendemain de la guerre, voyageurs étrangers et voisins parlaient du Paraguay comme du « pays des femmes »13.
- 14 Thébaud, F., La femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986.
- 15 Capdevila, L., Rouquet, F., Virgili, F., Voldman, D., Hommes et femmes dans la France en guerre (19 (...)
12Finalement, des situations comparables sont observables en Europe au cours de la première guerre mondiale, avec quelques nuances sur le front oriental. Au-delà de l’effort considérable accompli par les sociétés pour répondre aux besoins de la guerre, alors que la mobilisation des hommes fut effectivement générale, celle des femmes – malgré une fois encore l’expression d’un volontarisme soutenu pour certaines – fut beaucoup plus limitée et cantonnée dans les activités techniques, les tâches d’assistance, la logistique et le ravitaillement. Une minorité d’entre elles fut militarisée. Mais sauf des infirmières, une fois la guerre terminée, elles ne purent demeurer dans l’institution militaire14. De ce fait, une évolution remarquable se vérifie au cours du second conflit mondial avec le développement des unités féminines au sein des forces armées ; et en dehors des institutions militaires avec l’apparition significative d’une génération de partisanes à l’échelle européenne. Cette évolution tient aux changements intrinsèques à l’événement ; elle est également le fruit de l’expérience de la première guerre mondiale qui a été retenue par les sociétés occidentales pour s’organiser dans la conflagration15. Mais le plus remarquable est d’observer que, mis à part l’Union soviétique et certains mouvements de résistance, les hiérarchies militaires et les pouvoirs publics ont une nouvelle fois évité de mener les soldates au combat, même si elles pouvaient désormais être amenées à se trouver sous le feu et à circuler dans le théâtre des opérations.
- 16 Archive de l’Ecole supérieure d’application des transmissions (ESAT/Rennes), carton n° 386, « chans (...)
- 17 Comité français de la France libre, décret du 11 janvier 1944.
- 18 Caire, R., La femme militaire des origines à nos jours, Paris/Limoges, Lavauzelle, 1981.
13Surtout, les institutions prirent des dispositions pour préserver les enrôlées des risques de changement identitaire, leur permettant d’entretenir une féminité discrète sous l’uniforme, organisant des services sociaux pour maintenir le contact avec leurs familles, et surtout en annonçant haut et fort que la fin de la guerre induirait leur démobilisation, de sorte qu’elles pourraient renouer avec la maternité en retournant à la vie civile. « Toute ta vie, femme soldat, ta féminité garderas », ces vers terminaient la chanson des volontaires féminines de la 838e compagnie des forces de la France libre en 194416. Dans le cas français, s’il fut décrété un service militaire féminin obligatoire dans la phase d’organisation des forces de la France libre en janvier 1944 à Alger17 – qui finalement ne vit pas le jour –, les femmes furent une nouvelle fois expulsées de l’institution militaire après-guerre ; jusqu’à ce qu’en 1951 un décret fixât le statut des cadres militaires féminins et les y installe durablement18. Il en fut de même dans les autres pays occidentaux, y compris l’Union soviétique. Dans un premier temps, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la très grande majorité des femmes fut démobilisée, les différentes unités féminines démantelées, tandis que des effectifs résiduels étaient maintenus dans les services sanitaires. Puis, progressivement, à partir des années 1950-1960 certaines armées en Grande-Bretagne, en Norvège, aux Pays-Bas, au Brésil organisèrent pour la première fois en temps de paix des unités féminines permanentes.
14Dans une certaine mesure, jusqu’aux années 1980 – c’est-à-dire à partir du moment où on commence à voir des femmes entrer de manière significative dans les armées occidentales et être intégrées dans des unités de combat – le processus observable dans la première moitié du XXe siècle, de la première et la deuxième guerre mondiale, a consisté dans la régulation et la réglementation par les pouvoirs publics des situations qui existaient auparavant de manière empirique sur les champs de bataille –, autrement dit avant que la systématisation du service militaire ou d’une identité masculine tendue sur l’axe de la citoyenneté et de la défense nationale rejette par décret les femmes de la sphère militaire dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Dans les moments révolutionnaires
- 19 Godineau, D., « De la guerrière à la citoyenne : porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Rév (...)
- 20 Salas, E., Soldaderas in the Mexican Military. Myth and History, Austin, University of Texas Press, (...)
15Dans les moments d’urgence, dans les situations d’anomie, on vérifie régulièrement la présence de femmes combattantes, voire l’existence d’unités féminines de combat. Les exemples abondent, depuis la Révolution française au cours de laquelle des citoyennes ont combattu individuellement dans les armées de la République19, jusqu’aux soldaderas de la révolution mexicaine des années 1910 en particulier dans les armées d’Emiliano Zapata et de Venustiano Carranza20. On songe également aux « bataillons de la mort » constitués exclusivement de femmes soldats placées sous commandement féminin, organisés par le gouvernement Kerenski afin d’endiguer la vague de désertion qui mettait en péril le front russe durant l’été 1917. On pense aussi aux miliciennes qui se formèrent dans la contre-offensive pour riposter au coup d’Etat militaire du 18 juillet 1936 contre la République espagnole ; aux partisanes en Grèce, dans l’ex-Yougoslavie, en Italie, en France pendant la seconde guerre mondiale ; aux organisations combattantes juives en Palestine ; aux organisations de guérilla en Amérique du sud et en Amérique centrale dans les années 1960-1980, etc.
- 21 Godineau, D., « De la guerrière à la citoyenne : porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Rév (...)
- 22 Salas, E., Soldaderas in the Mexican Military, op. cit, p. 46-47.
- 23 Nash, M., « Republicanas en la Guerra Civil : el compromiso antifascista », dans Morant, I. (dir.), (...)
- 24 van Creveld, M., Les femmes et la guerre, op. cit., p. 234-235.
16Or, certes avec des différences selon les cultures et la chronologie, bien que les femmes demeurent minoritaires parmi les populations combattantes – elles représentent généralement entre 10 et 20 % des effectifs – et qu’elles soient souvent cantonnées dans des rôles d’appui aux hommes, tout en pouvant être affectées à des groupes de combat, on vérifie néanmoins une situation qui se répète : celle de leur désarmement lors des phases de « normalisation », ou correspondant à une volonté politique de « retour à l’ordre ». On le constate avec le décret du 30 avril 1793 de la Convention qui ordonne que « toutes les femmes inutiles au service des armées » quittent les cantonnements sous huit jours21. On l’observe de manière brutale dans le massacre de quatre-vingt à quatre-vingt-dix soldaderas commandé par Pancho Villa à Santa Rosalía Camargo en 1916 ; par la suite, les soldaderas démobilisées lors de la réorganisation de l’armée mexicaine touchèrent une pension de « veuve » en reconnaissance du service rendu à la révolution, mais pas de vétéranes22. On le vérifie également dans la décision du gouvernement républicain espagnol de désarmer les miliciennes et de les renvoyer à l’arrière, alors qu’il était en train de reconstituer l’appareil d’Etat. En effet, le décret militaire signé par le socialiste Largo Caballero à la fin de l’automne 1936 fut relayé par le discours de la communiste Dolores Ibárurri ; or c’était très exactement à partir des réseaux organisationnels du PSOE et du PCE que l’appareil d’Etat républicain était en cours de réorganisation à cette date. De ce fait, le nombre de miliciennes en armes a chuté dès le début de 193723. De même, l’état-major de la Hagana décida, le lendemain du vote aux Nations unies en faveur de la création de l’Etat d’Israël le 29 novembre 1947, de ne plus affecter des femmes à des opérations de combat. Certes la décision aurait été prise à la suite du massacre d’une patrouille mixte de la Hagana par des Palestiniens, la veille, dans le Néguev. Mais, de ce fait, alors que depuis 1949 le jeune Etat israélien astreignait par la loi les jeunes femmes au service militaire en temps de paix pour une durée de deux ans, il les avait entre-temps retirées des unités de combat24.
17On observe régulièrement parmi les responsables des pouvoirs publics confrontés au recrutement de femmes pour le champ de bataille l’inquiétude que le désordre moral et social provoqué par l’état de guerre soit accentué en prenant des libertés avec la mise en ordre de la différence entre les sexes et que dès lors, la société ne puisse se relever d’un événement dévastateur. Néanmoins, expliquer le pourquoi des choses et proposer un système causal univoque serait illusoire. On est tout au plus en mesure d’observer le comment, tout en constatant que si chaque moment historique présente un système d’explication d’ordre culturel, politique et conjoncturel qui lui est propre, l’ensemble converge vers un type de situations : le retour à la paix, la tentative d’un retour à l’ordre ou de la conservation d’un ordre social, se traduit, en ce qui concerne les femmes que la dynamique de l’événement a placées en position de combat, par leur désarmement, et de manière plus générale par leur éloignement de la sphère militaire.
18Il est ainsi intéressant d’isoler à travers ces situations les tensions entre les individus, la société et l’Etat, et d’observer finalement en quoi le genre est une construction historique sans cesse renouvelée – ainsi, la mise en ordre de la différence entre les sexes, qui semble stable dans la longue durée, apparaît comme le produit d’un rapport de forces sociales continu – et de voir en quoi l’événement, cadre propice à l’improvisation, est un lieu d’expérience individuelle et d’expérimentation collective.
Expériences sexuées de la lutte armée
Récits de guerre et écritures de soi au masculin et au féminin
- 25 Rieuneau, M., Guerre et révolution dans le roman français de 1919 à 1939, Genève, Slatkine Reprints (...)
- 26 Anonyme [Ida de Crombrugghe], Journal d’une infirmière, Paris, 1872, dans Krouck, C., Les combattan (...)
- 27 Mme W. Monod, La mission des femmes en temps de guerre, Paris, Nouvelle Bibliothèque des familles, (...)
- 28 de Trailles, P. et H., Les femmes de France pendant la guerre et les deux sièges de Paris, Paris, F (...)
- 29 Leonard, E. D., All the Daring of the Soldier. Women of the Civil War Armies, New York, Penguin Boo (...)
19Le récit de guerre, l’épopée des héros guerriers, constitue un genre installé « au plus haut de la tradition littéraire occidentale » depuis l’antiquité25. Mais les faits d’armes étant symboliquement associés à une excellence masculine, le récit de guerre est resté dans la « tradition » un domaine littéraire réservé aux hommes dans lequel ils ont valorisé l’accomplissement de leur trajectoire individuelle et grégaire. Dans le corpus qu’elle a constitué pour sa thèse sur l’écriture de soi des combattants français de la guerre de 1870-1871, Corinne Krouck a identifié une seule publication anonyme dont l’auteur est une femme : le journal d’une infirmière de la baronne Ida de Crombrugghe26. En effet, alors que les mémoires militaires publiés au XIXe siècle se comptent par milliers, les récits de guerre au féminin sont excessivement rares. Ils le sont encore plus lorsqu’il s’agit de faire part d’une expérience du combat. Les témoignages féminins confiant une expérience de guerre sont pratiquement inexistants pour cette période, les quelques textes publiés sont distanciés, ils traitent précisément du rôle des femmes dans la guerre27, certains ayant été écrits au demeurant par des hommes28. Ce n’est qu’aux Etats-Unis que le récit de guerre féminin commence à être un genre moins rare dans la seconde moitié du siècle29.
- 30 Notamment en France Eydoux-Démians, M., Notes d’une infirmière 1914, Paris, Plon, 1915 ; Thuliez, L (...)
- 31 Norton-Cru, J., Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en fran (...)
- 32 A titre d’exemple, Botchkareva, Y. M., Ma vie de soldat. Souvenirs de la guerre, de la révolution, (...)
- 33 Parmi les quelques ouvrages publiés dans l’immédiat après-guerre on notera Windsor, R., J’étais une (...)
- 34 Voir en particulier Friang, B., Regarde-toi qui meurs, Paris, Robert Laffont, 1970 ; Bohec, J., La (...)
20Le corpus des récits de guerre de femmes est davantage fourni et de ce fait plus exploitable au xxe siècle. Néanmoins il demeure maigre. Les récits de guerre écrits et publiés dans la mouvance de la première guerre mondiale par des femmes réunissent quelques témoignages d’infirmières, d’agents de renseignement, de civiles en guerre ou d’épouses de combattants30. On observera que, parmi les 250 auteurs présentés dans la somme consacrée aux souvenirs de combattants édités en français, Jean Norton Cru n’a pas retenu un seul texte écrit par une femme31. Au cours des années 1930, les ouvrages publiés par des femmes, ou à leur initiative, sur des expériences féminines de la guerre participent de la volonté de certaines d’entre elles de doter leur sexe de références héroïques32. Les récits de guerre féminins sont un peu plus nombreux au cours de la seconde guerre mondiale. Quelques-uns ont été publiés dans l’immédiat après-guerre : témoignages de civiles dans la tourmente, d’infirmières, de soldates, de combattantes, de déportées33. Mais les récits de femmes valorisant leur expérience du combat s’affirment vraiment à partir des années 197034, auxquels s’ajoutent depuis d’innombrables témoignages provoqués par les chercheurs en sciences sociales ou les professionnels des médias
- 35 Amar, M., « Les guerres intimes de Lee Miller », « Armées »/CLIO, op. cit., p. 180-192 ; « Les rout (...)
21La croissance des récits de guerre féminins est à mettre en relation avec l’évolution contemporaine de la condition féminine et celle des identités de genre qui lui sont liées. Mais il ne faudrait pas ignorer, au-delà de la très grande disproportion qui existe entre les témoignages livrés par les hommes et ceux présentés par des femmes, une différence sociologique selon l’appartenance de sexe des auteurs prégnante dans l’acte même d’écriture intime sur la guerre. Pour les hommes, la guerre est une expérience induite, voire subie en raison de leur appartenance de sexe ; alors que pour les femmes l’acte d’écriture traduit généralement le besoin de témoigner d’une immersion volontaire dans un territoire qui a priori leur était interdit. Dans une réflexion sur l’acte photographique de guerre réalisée à partir des clichés de Robert Capa et de Lee Miller, Marianne Amar montre de manière très convaincante la prégnance du genre. Selon elle, Robert Capa, reporter masculin, aurait inventé en quelque sorte une stratégie personnelle d’évitement du combat en utilisant son Leica – au lieu de prendre un fusil –, à travers lequel il prend le parti de la victime et témoigne sur les souffrances de la guerre ; tandis que Lee Miller, femme reporter, utiliserait son Rolleiflex pour faire « sa » guerre, se rapprocher le plus possible du feu, en photographiant l’ennemi en combattante35, puisque finalement le port des armes lui était impossible.
- 36 Voir en particulier Rieuneau, M., Guerre et révolution dans le roman français de 1919 à 1939, op. c (...)
- 37 Bourke, J., Dismembering the Male. Men’s Bodies, Britain and the Great War, Londres, Reaktion Books (...)
- 38 Aragon, L., « Beautés de la guerre et leurs reflets dans la littérature », Commune, décembre 1935.
- 39 On pense en particulier au changement de régime d’historicité caractéristique de la société contemp (...)
- 40 Lire notamment Herr, M., Putain de mort, Paris, éd. de l’Olivier, 1996 [1968].
- 41 Jeffords, S., Hard Bodies. Hollywood masculinity in the Reagan Era, New Brunswick, Rutgers Universi (...)
- 42 Gibson, J. W., Warrior Dreams. Paramilitary Culture in Post-Vietnam America, New York, Hill and Wan (...)
22Pour ce qui est des hommes, les études littéraires et historiques observent une rupture dans les représentations de l’excellence masculine sur le champ de bataille à la suite du premier conflit mondial36. Le combattant qui était héroïsé dans l’épreuve du feu devient progressivement une victime de l’artillerie, un fétu d’humanité soufflé par les bombes37. Désormais l’expérience masculine du champ de bataille est surtout rapportée en termes de souffrance, de peur, de traumatisme, de culpabilité, de frustration, d’humiliation. Le poète Aragon, qui s’était distingué sur le champ de bataille en recevant la croix de guerre, a écrit à propos d’un échange qu’il avait eu avec Maurice Barrès : « Comme je disais un jour chez lui à Maurice Barrès, vers 1923, que sur les morts au champ d’honneur il serait intéressant de savoir combien avaient perdu la vie dans l’acte héroïque de la défécation journalière, ce grand écrivain s’écria : « Aragon, vous n’arriverez pas avec ces paradoxes à me salir votre personnage ! » »38. C’est ici une tendance lourde – inscrite dans une conjoncture culturelle globale39 – qui ne cesse d’être renforcée au fil du xxe siècle, jusqu’aux conflits de la décolonisation40 puis de l’après-guerre froide ; certes, avec des moments de réinvestissement collectif dans l’imaginaire de la virilité de la guerre, comme par exemple dans le cinéma étatsunien des années Reagan41, et en tenant compte des milieux socioculturels pour lesquels les références héroïques résistent mieux42.
- 43 Jean-Darrouy, L., Vie et mort de Denise Ferrier aspirant. Conductrice au 25e Bataillon Médical, Alg (...)
- 44 Ibid., p. 124.
- 45 Friang, B., Regarde-toi qui meurs, op. cit., p. 41.
- 46 Salonne, M.-P., Fends la bise. Scènes du maquis breton, Paris, Bloud & Gay, 1945, p. 198.
- 47 Bohec, J., La plastiqueuse à bicyclette, op. cit., p. 160.
23L’expérience combattante féminine au XXe siècle telle qu’elle ressort des sources primaires (correspondances, archives des unités féminines, journaux, témoignages provoqués, récits sur des femmes écrits par d’autres femmes…), au-delà de l’ambivalence des sentiments, s’écarte de manière générale de la rhétorique de la souffrance et de la victimisation. Trois constellations de sentiments reviennent selon les témoignages. La première est inscrite dans l’action, qui dénote des sentiments d’exaltation, voire d’épanouissement, ou même de la jubilation de participer à l’événement, d’agir, que l’on soit sur le champ de bataille, ou dans la salle d’opération. « Il n’est plus question de repos pour l’instant. C’est l’attaque, la vraie, celle qui demande des hommes et aussi des ambulancières. Nous sommes là ! », écrivait une jeune infirmière conductrice à ses parents restés en Afrique du nord en octobre 1944, alors qu’elle participait à la libération de la France43. Lucienne Jean-Darrouy qui a rassemblé et publié les lettres de l’aspirante Ferrier ajoute : « par-dessus tant d’émotions, le sentiment dominant est la fierté et une sorte de fierté qu’on n’éprouverait pas à l’arrière… »44. La deuxième est formée par l’ambivalence des sentiments quant aux regards portés sur soi. D’abord la satisfaction d’être considérée comme l’égale des hommes dans l’action, d’être perçue comme une camarade de combat, une sœur d’arme. Brigitte Friang, membre des groupes actions de la France Libre pendant la seconde guerre mondiale, insiste dans ses mémoires sur la « chaleureuse complicité de lutte », les relations « exceptionnelles » entre hommes et femmes dans la clandestinité : « Je n’arrive à retrouver aucune trace d’esprit ségrégationniste dans nos relations entre garçons et filles », précisa-t-elle45. Mais ambivalence, en raison de la honte du travestissement lorsque le regard est porté sur soi par la société civile ou l’ennemi. Lors de la libération de Saint-Brieuc en août 1944, une jeune maquisarde qui défilait le fusil à l’épaule, avouait à l’un de ses compagnons, alors qu’elle était dévisagée par la foule : « je suis morte de honte »46. La troisième qui émane de l’après-événement témoigne des frustrations, le sentiment de n’avoir pu aller jusqu’au bout, voire d’avoir été instrumentée. « J’aurais voulu moi-même faire le coup de feu », rapporta Jeanne Bohec avec regret47. Mais on ne retrouve pas dans les sources féminines le glissement identitaire séculaire du héros à la victime que l’on observe pour les hommes dans les milieux combattants.
24Une nouvelle fois, il conviendrait d’interroger l’acte d’écriture qui conduit des femmes à parler de leur guerre. Les conditions de sexe de l’expérience de guerre sont très différentes pour les individus. Les hommes subissent de fortes contraintes institutionnelles, physiques et morales dans l’événement qui creusent un fossé profond entre l’idéal type et leur image de soi ; tandis que les femmes qui se sont rapprochées du combat en étant généralement volontaires ont sublimé leur représentation de soi. Pour les hommes le basculement dans l’armée correspond à une régression identitaire : de citoyens adultes ils deviennent des soldats, c’est-à-dire des subalternes placés sous l’autorité d’une hiérarchie ; tandis que les femmes mineures dans leur foyer jusqu’à la seconde guerre mondiale, se libèrent du carcan familial et gagnent en liberté en s’enrôlant. La vie quotidienne qui est celle du militaire ordinaire provoque également des distorsions identitaires dans l’accomplissement des activités. En étant placés sous les drapeaux, les hommes réalisent majoritairement des tâches ménagères assurées par les femmes dans le civil : nettoyage, lessive, cuisine ; alors que les femmes recrutées par l’armée le sont pour exercer des compétences techniques dans les domaines sanitaire, tertiaire, dans les transmissions, mais également pour certaines en accomplissant des activités réservées aux garçons dans la société telles que la conduite, la mécanique, la manipulation des armes, le sport.
Evénement et construction identitaire
- 48 Eydoux-Démians M., Notes d’une infirmière 1914, op. cit., p. 12.
- 49 Lebrun, M., Mes treize missions, op. cit., p. 22-28.
25Enfin, l’analyse des discours de soi met en évidence un changement dans l’expression des ressorts qui semblent avoir conduit des femmes à s’engager dans la guerre au fil du xxe siècle. Au moment du premier conflit mondial les systèmes d’explication de l’engagement féminin présents dans la presse de guerre et les témoignages publiés mettent en relief une identité de femme en position subalterne construite dans la relation avec un homme ou avec des hommes. Qu’il s’agisse d’un époux, d’un fils, d’un frère, ces femmes que l’on retrouve au front sont censées s’être approchées du feu pour venir s’occuper, protéger, voire venger un homme cher. C’est en ces termes que la presse présente à l’origine l’engagement de Yashka Botchkareva, avant qu’elle ne conduise les bataillons de la mort de l’armée Kerenski. De même, en étant profondément intériorisé, le système explicatif de l’engagement de l’infirmière M. Eydoux-Démians, comme celui de l’espionne Mathilde Lebrun est construit sur l’identité d’un patriotisme maternel défensif, cédant l’exclusivité de l’héroïsme à « [leurs] enfants » sans « oublier jamais leur titre sacré de soldats »48. Mathilde Lebrun dit aspirer à servir pour atténuer la souffrance des « petits soldats français », qu’elle assimile à ses enfants, tout en se mettant en position d’attente d’être sollicitée pour servir. Dans les premières pages, elle raconte, au moment de la mobilisation, la remarque d’une voisine qu’elle reçut comme une gifle : « – Parbleu, vous… vous êtes veuve et vos trois fils sont trop jeunes ! » Elle pense : « cette femme avait raison. Pour qui allais-je avoir à trembler, moi ? (...) Le soir même, une atroce pensée m’assaillit. Je ne puis retenir mes larmes (...) Nos petits soldats ! (...) je voulais jouer un rôle dans le drame qui débutait. (...) Je voulais, je voulais… je voulais faire quelque chose »49. On saisirait ainsi au début du siècle une identité de genre féminine davantage construite sur la passivité dans la relation avec un masculin qui occuperait le devant de la scène.
- 50 L’Herbier-Montagnon, G., Jusqu’au sacrifice, Paris, éditions ECLAIR, 1960, p. 29.
- 51 Bohec, J., La plastiqueuse à bicyclette, op. cit., p. 12.
- 52 Archives de l’Ecole supérieure d’application des transmissions (ESAT/Rennes), carton 389, dissertat (...)
26Il en va autrement avec les combattantes de la seconde guerre mondiale et de l’après-1945. On observera d’abord une fréquence plus importante des récits de guerre au féminin. Or ces témoignages manifestent un désir d’agir. Certainement aussi de servir. Mais ils expriment avant toute chose la volonté de faire son devoir en tant que femme. Berthe Finat, infirmière et pilote secouriste de l’Air (IPSA) « rêvait d’envol, de vie dangereuse dans le ciel » alors qu’elle était clouée au sol pendant la drôle de guerre50. Dans ses mémoires, Jeanne Bohec se souvient de ses rêveries de jeune fille : « je rêvais moi aussi de lutter un jour contre les ennemis de la patrie […mais] je ne me sentais aucunement la vocation d’une infirmière »51. « Nous les dures », c’est en ces termes qu’une jeune engagée dans les transmissions de la France libre se définissait en 194452. En effet, ces prises de parole expriment davantage un engagement patriotique ou politique individuel. Elles révèlent une identité féminine construite sur l’action, le besoin d’en découdre, l’identité d’un individu sexué qui, à la différence de la génération précédente, agit en son nom. C’est une tendance qui de fait se confirme dans la seconde moitié du siècle.
- 53 Scheibe Wolff, C., « Le genre dans la guérilla : jeux de genre dans la lutte armée au Brésil des an (...)
- 54 Araujo, A. M., Tupamaras, des femmes de l’Uruguay, Paris, Editions Des femmes, 1980.
- 55 van Creveld, M., Les femmes et la guerre, op. cit., p. 150-151.
- 56 Archives de l’Ecole supérieure d’application des transmissions (ESAT/Rennes), carton 386, Mme veuve (...)
- 57 Voir l’impact de l’exil des féministes brésiliennes et leur rencontre avec le MLF en France, lire P (...)
27Néanmoins, l’impact de l’événement sur la construction du genre ne semble pas aller de soi à l’échelle de l’individu. Ainsi, Cristina Scheibe Wolff n’observe pas de relation causale immédiate entre l’expérience de la lutte armée et l’évolution du féminisme au Brésil dans les années 197053. En effet, l’analyse des témoignages féministes de combattantes, telle Yashka Botchkareva qui a formé et commandé le bataillon de la mort en Russie en 1917, Jeanne Bohec agent du BCRA à Londres parachutée en France occupée en février 1944 pour instruire les maquisards au maniement des explosifs, Ana Maria Araujo membre de la guérilla uruguayenne des Tupamaros au début des années 197054, pourraient confirmer que ce n’est pas dans l’action que ces femmes ont pris conscience de leur condition de sexe, mais qu’elles auraient davantage entrepris une analyse féministe de leur trajectoire a posteriori, à la suite d’un retour sur soi. Dans le cas de Yashka, il est à préciser que sa biographie a été réalisée à la demande d’Emmeline Pankhurst alors qu’elle venait de se réfugier aux Etats-Unis en 1918, et commise in fine par un plumitif du nom de Don Levin55. Jeanne Bohec, comme Ana Maria Araujo, ont rédigé leurs mémoires à Paris dans les années 1970, au moment où les idées et les valeurs féministes portées par le MLF s’installaient dans la société. De fait, jusqu’à la seconde guerre mondiale, les témoignages de combattantes qui ont été produits dans l’instant de l’événement n’explicitent pas de frustration, ni d’analyse féministe de leur trajectoire. « Dans l’armée, moi une femme (...) les vieux préjugés inculqués dès l’enfance se dressent contre moi (...) où cela me mènera-t-il ? », se rappelait une soldate de la seconde guerre mondiale, à propos de son enrôlement à Alger en 194356. L’analyse féministe ultérieure éclaire en revanche l’expérience après l’événement, comme on peut l’observer à plus grande échelle par ailleurs57. Ainsi, autant le transfert d’expérience que l’expérience elle-même construiraient les individus et cristalliseraient les identités de genre.
28Certes, il faudrait nuancer, travailler avec des populations plus nombreuses, recouvrer les polyphonies du genre, isoler les voies multiples à partir desquelles les individus s’articulent au processus de civilisation. Il est néanmoins important, à travers l’analyse du rapport à la violence, d’observer en quoi la mise en ordre de la différence entre les sexes qui apparaît comme l’une des institutions les plus stables des sociétés humaines est le produit d’une négociation, d’un contrat, d’un rapport de force pérennes, et comment l’événement guerrier, dont l’un des enjeux pourrait consister dans la préservation de l’identité d’une population donnée, forme l’un des hauts lieux de la définition de la mise en ordre du genre, mais aussi de ses ajustements en raison de la puissance de l’événement. L’échelle individuelle, à travers l’écriture de soi, constitue un observatoire privilégié permettant d’appréhender les dynamiques identitaires.
- 58 Héritier, F., Masculin/féminin. La pensée de la différence, op. cit. ; Masculin/Féminin II. Dissoud (...)
- 59 Dauphin, C. et Farge, A. (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997 ; Cario, R (...)
29En nous situant dans le prolongement des travaux de Françoise Héritier58, nous concevons que le dimorphisme sexué du rapport à la violence correspond à une construction culturelle inscrite dans la très longue durée, qui se traduit concrètement, et statistiquement, dans les comportements de chacun/e59. Mais conjointement, on observe que l’historisation de ce rapport à la violence et la prise en compte des histoires de vie témoignent d’un jeu permanent des êtres humains avec le genre – la fluidité des identités faisant que les individus circulent entre les pôles datés du féminin et du masculin. L’analyse des ajustements du genre dans la relation à la guerre au fil des xixe et xxe siècles conduit à isoler une souffrance masculine qui ne cesse de se renforcer, tandis qu’en regard l’ego marqué par l’action s’affirmerait du côté féminin. Ainsi, le rapprochement des conditions de sexe et des imaginaires dans la société, dont la féminisation des armées constitue un jalon symbolique et politique important, est induit par des changements identitaires profonds.
Notes
1 Mosse, G. L., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999 [1990] ; Audoin-Rouzeau, S., Becker, A., 14-18 retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000.
2 Anderson, B., L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2002 [1983].
3 Badinter, E., X Y, de l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992.
4 Héritier, F., Masculin/féminin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996 ; Tabet, P., La construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps, Paris, L’Harmattan, 1998.
5 Guilaine, J. et Zammit, J., Le sentier de la guerre. Visages de la violence préhistorique, Paris, Seuil, 2001 ; Keeley, L., Les guerres préhistoriques, Monaco, Editions du Rocher, 2002 [1996].
6 Samuel, P., Amazones, guerrières et gaillardes, Bruxelles, éditions Complexe/PUG, 1975.
7 van Creveld, M., Les femmes et la guerre, Monaco, Editions du Rocher, 2002 [2002].
8 Goldstein, J. S., War and Gender. How Gender Shapes the War System and Vice Versa, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
9 Mosse, G. L., L’image de l’homme. L’invention de la virilité moderne, Paris, Abbeville, 1997 ; Capdevila, L. et Godineau, D. (éd.), « Armées »/CLIO. Histoire, Femmes et Sociétés, 20, Toulouse, Presses du Mirail, 2004.
10 Voir dans le cas du Brésil l’étude de Beattie, P. M., The Tribute of Blood. Army, Honor, Race, and Nation in Brazil, 1864-1945, Durham, Duke University Press, 2001.
11 Reynaud, E., Les femmes, la violence et l’armée, Paris, Fondation pour les études de la défense nationale, 1988 ; Weinstein, L. L. & White, C., Wives & Warriors. Women and the Military in the United States and Canada, Westport/Connecticut, Bergin & Garvey, 1997.
12 Capdevila, L., Une guerre totale, Paraguay 1864-1870. Essai d’histoire du temps présent, Rennes, PUR, 2007.
13 En français, lire le roman historique de von Dombrowski, K., Terre des femmes, roman d’un peuple disparu, Paris, Albin Michel/Le club du livre du mois, 1952 [1933].
14 Thébaud, F., La femme au temps de la guerre de 14, Paris, Stock, 1986.
15 Capdevila, L., Rouquet, F., Virgili, F., Voldman, D., Hommes et femmes dans la France en guerre (1914-1945), Paris, Payot, 2003.
16 Archive de l’Ecole supérieure d’application des transmissions (ESAT/Rennes), carton n° 386, « chanson des Merlinettes ».
17 Comité français de la France libre, décret du 11 janvier 1944.
18 Caire, R., La femme militaire des origines à nos jours, Paris/Limoges, Lavauzelle, 1981.
19 Godineau, D., « De la guerrière à la citoyenne : porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française », « Armées »/CLIO, op. cit., p. 43-69.
20 Salas, E., Soldaderas in the Mexican Military. Myth and History, Austin, University of Texas Press, 1990.
21 Godineau, D., « De la guerrière à la citoyenne : porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française », art. cit.
22 Salas, E., Soldaderas in the Mexican Military, op. cit, p. 46-47.
23 Nash, M., « Republicanas en la Guerra Civil : el compromiso antifascista », dans Morant, I. (dir.), Historia de las mujeres en España y América latina, tomo iv – Del siglo xx a los umbrales del xxi, Madrid, Cátedra, 2006, p. 123-150.
24 van Creveld, M., Les femmes et la guerre, op. cit., p. 234-235.
25 Rieuneau, M., Guerre et révolution dans le roman français de 1919 à 1939, Genève, Slatkine Reprints, 2000, p. 3.
26 Anonyme [Ida de Crombrugghe], Journal d’une infirmière, Paris, 1872, dans Krouck, C., Les combattants français de la guerre de 1870-1871 et l’écriture de soi : contribution à une histoire des sensibilités, thèse Paris 1, inédite, 2001.
27 Mme W. Monod, La mission des femmes en temps de guerre, Paris, Nouvelle Bibliothèque des familles, 1870.
28 de Trailles, P. et H., Les femmes de France pendant la guerre et les deux sièges de Paris, Paris, F. Polo libraire, 1872.
29 Leonard, E. D., All the Daring of the Soldier. Women of the Civil War Armies, New York, Penguin Books, 2001.
30 Notamment en France Eydoux-Démians, M., Notes d’une infirmière 1914, Paris, Plon, 1915 ; Thuliez, L., « Condamnée à mort par les Allemands. Récit d’une compagne de Miss Cavell », Revue des Deux Mondes, avril 1919, p. 648-681 ; Richer, M., Ma vie d’espionne au service de la France, Paris, éd. de la France, 1935 ; Lebrun, M., Mes treize missions, Paris, Arthème Fayard, 1935 ; Veuve Maupas, Le fusillé, Paris, Maison coopérative du Livre, 1934.
31 Norton-Cru, J., Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Nancy, PUN, 1993 [1929].
32 A titre d’exemple, Botchkareva, Y. M., Ma vie de soldat. Souvenirs de la guerre, de la révolution, de la terreur en Russie (1914-1918), Paris, Plon, 1934 [1919/1923] ; de Callias, S. et Vogt, B., Aux pays des femmes soldats. Finlande, Estonie, Danemark, Lituanie, Paris, Fasquelle, 1931.
33 Parmi les quelques ouvrages publiés dans l’immédiat après-guerre on notera Windsor, R., J’étais une volontaire, Paris, Cahiers de l’Office français d’édition, n° 54, 1945 ; Humbert, A., Notre guerre, Paris, Emile Paul, 1946 ; Terrenoire, E., Combattantes sans uniformes, Paris, Bloud & Gay, 1946.
34 Voir en particulier Friang, B., Regarde-toi qui meurs, Paris, Robert Laffont, 1970 ; Bohec, J., La plastiqueuse à bicyclette, Paris, Mercure de France, 1975.
35 Amar, M., « Les guerres intimes de Lee Miller », « Armées »/CLIO, op. cit., p. 180-192 ; « Les routes sensibles de Robert Capa », dans Liénart, M. (coord.), Voir/ne pas voir la guerre. Histoire des représentations photographiques de la guerre, Paris, Somogy, 2001, p. 91-93.
36 Voir en particulier Rieuneau, M., Guerre et révolution dans le roman français de 1919 à 1939, op. cit. ; Riegel, L., Guerre et littérature. Le bouleversement des consciences dans la littérature romanesque inspirée par la Grande Guerre, 1919-1939, Paris, Klincksieck, 1978 ; Touret, M., Histoire de la littérature française du xxe siècle, tome 1 – 1898-1940, Rennes, PUR, 2000 ; Capdevila, L., « Mémoire de guerre », Le Temps des savoirs. Revue interdisciplinaire de l’Institut universitaire de France – La Mémoire, 6, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 69-91.
37 Bourke, J., Dismembering the Male. Men’s Bodies, Britain and the Great War, Londres, Reaktion Books, 1996.
38 Aragon, L., « Beautés de la guerre et leurs reflets dans la littérature », Commune, décembre 1935.
39 On pense en particulier au changement de régime d’historicité caractéristique de la société contemporaine dans lequel les victimes prennent progressivement la place des héros dans les représentations du passé, lire notamment Chaumont, J.-M., La concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 2002 [1997] ; Eliacheff, C. et Soulez Larivière, D., Le Temps des victimes, Paris, Albin Michel, 2007.
40 Lire notamment Herr, M., Putain de mort, Paris, éd. de l’Olivier, 1996 [1968].
41 Jeffords, S., Hard Bodies. Hollywood masculinity in the Reagan Era, New Brunswick, Rutgers University Press, 1994.
42 Gibson, J. W., Warrior Dreams. Paramilitary Culture in Post-Vietnam America, New York, Hill and Wang, 1994.
43 Jean-Darrouy, L., Vie et mort de Denise Ferrier aspirant. Conductrice au 25e Bataillon Médical, Alger, Georges Dinesco, 1945, p. 104.
44 Ibid., p. 124.
45 Friang, B., Regarde-toi qui meurs, op. cit., p. 41.
46 Salonne, M.-P., Fends la bise. Scènes du maquis breton, Paris, Bloud & Gay, 1945, p. 198.
47 Bohec, J., La plastiqueuse à bicyclette, op. cit., p. 160.
48 Eydoux-Démians M., Notes d’une infirmière 1914, op. cit., p. 12.
49 Lebrun, M., Mes treize missions, op. cit., p. 22-28.
50 L’Herbier-Montagnon, G., Jusqu’au sacrifice, Paris, éditions ECLAIR, 1960, p. 29.
51 Bohec, J., La plastiqueuse à bicyclette, op. cit., p. 12.
52 Archives de l’Ecole supérieure d’application des transmissions (ESAT/Rennes), carton 389, dissertation de recrue CFT en formation initiale, mai 1944.
53 Scheibe Wolff, C., « Le genre dans la guérilla : jeux de genre dans la lutte armée au Brésil des années 1960-1970 », dans Bergère, M. et Capdevila, L. (dir.), Genre et événement. Du masculin et du féminin en histoire des crises et des conflits, Rennes, PUR, 2006, p. 119-136.
54 Araujo, A. M., Tupamaras, des femmes de l’Uruguay, Paris, Editions Des femmes, 1980.
55 van Creveld, M., Les femmes et la guerre, op. cit., p. 150-151.
56 Archives de l’Ecole supérieure d’application des transmissions (ESAT/Rennes), carton 386, Mme veuve FV, Souvenirs d’une merlinette, novembre 1964, manuscrit inédit.
57 Voir l’impact de l’exil des féministes brésiliennes et leur rencontre avec le MLF en France, lire Pedro, J. M., « Contraception et changement dans les rapports de genre au Brésil et en France », dans Capdevila, L. et al., Le genre face aux mutations..., op. cit., p. 371-381.
58 Héritier, F., Masculin/féminin. La pensée de la différence, op. cit. ; Masculin/Féminin II. Dissoudre la hiérarchie, Paris, Odile Jacob, 2002.
59 Dauphin, C. et Farge, A. (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997 ; Cario, R., Les femmes résistent au crime, Paris, L’Harmattan, 1997.
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Référence papier
Luc Capdevila, « Identités de genre et événement guerrier. Des expériences féminines du combat », Sextant, 28 | 2011, 11-25.
Référence électronique
Luc Capdevila, « Identités de genre et événement guerrier. Des expériences féminines du combat », Sextant [En ligne], 28 | 2011, mis en ligne le 21 juin 2011, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sextant/3420 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sextant.3420
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