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IV – Sources

Un témoignage inédit des milieux intellectuels queer parisiens en 1888

Le journal intime de Sigismond Justh
An original account of queer intellectual circles in Paris in 1888. The diary of Sigismond Justh
Alain Servantie

Résumés

Sigismond Justh (1863-1894), écrivain hongrois, fait plusieurs séjours à Paris, particulièrement en janvier-mai 1888. Il tient pendant ce séjour un journal en hongrois dont jusqu’à présent seuls quelques passages ont été publiés en français et dans lequel il note assidûment ses fréquentations dans les salons littéraires, les bals et les théâtres et évoque les écrivains et artistes qu’il rencontre. Son intérêt le porte vers les écrivains dandys (Barbey d’Aurevilly, Huysmans), les jeunes célibataires (Pierre de Coubertin, Melchior de Polignac), les bohèmes entourant Sarah Bernhardt, ou ceux que sa compatriote Jean de Néthy appellera les « dilettantes » : un « ménage » de peintres – Rupert Bunny, Alaistair Cary Elwes et le poète Jean Berge – avec lequel il entretient une relation passionnelle. L’article propose une présentation de cette source en grande part encore inédite en français et de son potentiel pour l’analyse de l’homosociabilité parisienne à la fin du XIXe siècle et de son atmosphère proustienne.

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Texte intégral

  • 1 Le manuscrit du journal intime est conservé à la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest et a é (...)

1L’écrivain hongrois Sigismond Justh (1863-1894) note dans son journal intime ses impressions des milieux littéraires, mondains et artistiques parisiens qu’il fréquente lors d’une visite dans la capitale française entre janvier et mai 1888. Des fragments traduits en français de ce document ainsi que le journal intégral en hongrois ont été publiés ; cependant, une nouvelle traduction française initiée par l’auteur de ces lignes et en attente de publication permet de mettre en lumière les liens de Justh avec des écrivains et des peintres queer1. Cet article a pour vocation de présenter cette source peu connue dans le monde francophone et de mettre en relief son potentiel, non seulement pour l’analyse du parcours d’un intellectuel hongrois queer encore trop mal connu, mais aussi pour l’histoire plus large de l’homosociabilité parisienne à la fin du XIXe siècle. Nous complétons ce rare témoignage par des lettres inédites adressées à Justh par Melchior de Polignac, Rupert Bunny et Jean Berge, conservées dans ses archives à la Bibliothèque nationale Széchényi de Budapest. Cette documentation donne à voir sous un angle inédit toute une scène artistique et mondaine d’atmosphère proustienne et montre que les collaborations entre intellectuels queer ne se manifestent pas seulement au début du XXe siècle – et qu’elles prennent en outre des formes diverses. Par exemple, Sigismond Justh se lie d’une amitié proche avec les peintres Rupert Bunny et Alastair Cary-Elwes, qui l’immortalisent dans des dessins et des tableaux. Ces derniers, qui vivent en couple, s’inspirent également de la prose de Justh pour créer leurs œuvres artistiques. Jean Berge et Sigismond Justh, qui ont sans doute eu une liaison, échangent des conseils au sujet de leur poésie et de leurs textes en prose. Ainsi, la préface au recueil Voix nocturnes (1892) de Berge prend la forme d’une lettre adressée à Justh dans laquelle il le remercie pour son aide. Berge entame de son côté la traduction de Müvész szerelem (1888), l’un des romans de Justh. Les observations minutieuses de Justh de certains milieux parisiens et de la vie intime des personnes qu’il rencontre retiennent également l’attention. Nous nous proposons ainsi d’examiner les liens que tisse Sigismond Justh au sein de la société parisienne lors de ses séjours dans la capitale.

Sigismond Justh et ses amis parisiens : « dandys ; gommeux ; dilettantes »

2Sigismond Justh séjourne une première fois à Paris comme étudiant en 1882-1883, puis une deuxième fois de janvier à mai 1888, période durant laquelle il se rend dans les salons et les milieux artistiques et fait la connaissance d’écrivains et d’artistes, dont un grand nombre partagent ses sentiments du côté des amours queer. À l’instar de Proust, le journal qu’il écrit quotidiennement (en hongrois) pendant son séjour parisien en 1888 décrit avec humour ses multiples rencontres. Il fréquente essentiellement des célibataires aux « mœurs modernes », des écrivains dandys comme Barbey d’Aurevilly, des bohèmes dilettantes et des milieux marginaux, comme celui des « Tantales », expression qu’il utilise pour qualifier ceux qui pratiquent les « amours d’Alcibiade », à savoir l’amour à la grecque, entre hommes. Justh s’inspire de ses contemporains parisiens pour ses articles et pour ses romans hongrois et s’appuiera sur certaines de ses relations pour publier des traductions françaises d’œuvres hongroises. En sus du journal intime, la correspondance adressée à Justh par Jean Berge, par des peintres comme Rupert Bunny et Alastair Cary Elwes ou par Melchior de Polignac révèle des relations passionnées et montre que l’une des formes les plus communes de collaboration entre intellectuels queer est la sociabilité et l’entraide, plus particulièrement celles qui visent à aider à faire publier leurs travaux.

  • 2 M. Galos, Sigismond Justh et Paris. Contributions à l’histoire des relations littéraires franco-hon (...)
  • 3 M. Galos, ibid., p. 26.
  • 4 On lira, au sujet de l’amitié de Justh et d’Emmy de Néméthy, l’article suivant : F. Dede, « “Âmes j (...)

3La France est à la mode en Hongrie, comme pays résistant à la germanisation, à la fin du XIXe siècle2. Des voyages « littéraires » d’écrivains français à Budapest sont alors favorisés par le développement du chemin de fer ; l’Orient-Express est mis en service en 1883 et assure une liaison rapide entre les deux pays. À Paris, la communauté hongroise comprend des familles libérales réfugiées dans la capitale française après les événements de 1848 : Marguerite de Nemeskér, fille du colonel Kiss de Nemeskér, président du Conseil hongrois de Paris3, écrira par exemple que Justh avait toujours un couvert à leur table comme à celle d’autres familles, parmi lesquelles celle d’Emmy de Néméthy4.

  • 5 Marguerite de Kiss de Nemeskér (1861-1944), épouse de Louis de Coudekerque-Lambrecht, femme de lett (...)

4Sigismond Justh (Justh Zsigmond en hongrois) est né en 1863 à Pusztaszenttornya, dans le sud-est de la Hongrie, dans une famille se targuant d’être d’origine aristocratique. Grand lecteur de romans dès son adolescence, Sigismond poursuit ses études à Budapest, puis à Kiel et Zurich et, enfin, en 1882-1883, à Paris, où il étudie les sciences sociales auprès d’Hippolyte Taine qui l’oriente vers la littérature. Il se dit « attiré par le mouvement incessant de cette fournaise d’idées où les cerveaux de tous les pays [viennent] se sustenter et s’entre-combattre » et note dans une lettre à l’une de ses proches amies, Marguerite de Coudekerque-Lambrecht, en 18855 :

  • 6 Lettre du 13 janvier 1885 à Marguerite de Coudekerque-Lambrecht, citée dans M. de Coudekerque-Lambr (...)

Il y a à Paris mille choses qu’un Français ne comprend pas, ne sent pas, à commencer par Paris lui-même ; ce n’est donné qu’aux étrangers. Le Français regarde Paris d’un côté trop frivole, il s’amollit dans ses douceurs et ne sent pas ce qu’il y a vraiment entre ses murs. Il ne sent pas que Paris est ce qu’ont été autrefois Rome, Athènes, Babylone. Il ne sent pas que nulle part au monde, l’homme ne se manifeste aussi magnifiquement que là. Je sentais ici le besoin d’un ami de mon âge qui ait ma façon de penser, auquel je puisse raconter, faire comprendre ce que je vois, ce que j’expérimente, avec qui je puisse voyager dans Paris – et voilà que je l’ai trouvé6.

5Marguerite de Coudekerque-Lambrecht quant à elle décrit Sigismond Justh en ces termes :

  • 7 Cet ami est nommé Étienne Tisza par Marguerite de Coudekerque-Lambrecht. Nous l’identifions, sans a (...)
  • 8 M. de Coudekerque-Lambrecht, op. cit., p. 265.

[D]e taille moyenne, très mince, très blond, très pâle, des yeux bleus d’une douceur lumineuse éclairant son visage allongé encadré d’un collier de barbe dorée très légère, semblait un peu irréel à côté de la robustesse de son ami7. À une distinction parfaite, il alliait une réserve souriante qui dès le premier contact lui attirait les sympathies. Sa voix était musicale, et il possédait la langue française comme un Français8.

  • 9 Voir M. Galos, op. cit., p. 112-119.
  • 10 Lettre de M. de Polignac à M. de Coudekerque-Lambrecht, 16 juin 1894, citée dans M. de Coudekerque, (...)

6Sigismond Justh lance à Budapest la revue littéraire A Hét (La Semaine), donnant des extraits et faisant l’éloge d’auteurs français9. Il invite à plusieurs reprises ses amis dans sa propriété de Szenttornya, où il a installé un petit théâtre champêtre et fait jouer par les paysans des pièces classiques de Shakespeare, Plaute ou Molière10.

  • 11 Zs. Justh, A puszta könyve, Budapest, Singer és Wolfner, 1892 ; traduit comme S. de Justh, Le Livre (...)
  • 12 M. Galos, op. cit., p. 42-45.

7En Hongrie, Justh a publié de nombreux articles sur la vie parisienne et quelques romans et nouvelles dépeignant la vie rurale hongroise : A puszta könyve (Le Livre de la pousta), traduit en français en 1891 par Guillaume Vautier, ancien consul de France à Budapest, le seul des ouvrages de Justh à être publié dans cette langue11. Il s’est aussi inspiré de la vie et des auteurs parisiens pour écrire quelques romans : dans Páris elemei (Éléments de Paris) (1887), il propose que l’homme raffiné fin-de-siècle soit incapable d’aimer, avide de jouissances et désillusionné ; dans Müvészszerelem (Amour artiste) (1888), c’est, selon la définition de Justh, le « portrait de l’homme malheureux »12. Enfin, deux romans traitent de l’aristocratie hongroise : A Pénz legendaja (La Légende de l’argent) (1893) et Fuimus (1894). Dans ce dernier ouvrage, le personnage principal, un romancier moderne, est basé sur la vie de l’auteur dont le personnage du meilleur ami a pour modèle László Mednyánszky (1852-1919), peintre bohème queer qui a longtemps séjourné à Paris. Dans le récit, leurs amours avec deux femmes, platoniques et en quête d’un idéal absolu, échouent. Fuimus montre bien la façon dont le romancier transforme en version fictive ses fréquentations dans les milieux queer parisiens.

  • 13 M. de Coudekerque, op. cit., p. 264-283.
  • 14 S. Justh, « Journal : époque parisienne », La Nouvelle Revue française, 274, octobre 1975, p. 5-18.
  • 15 Le comte Péter Vay de Vaya et Luskod (1863-1948), converti au catholicisme, rejoint l’Université po (...)

8Entre le 1er janvier et le 30 mai 1888, Justh tient un journal en hongrois truffé d’expressions françaises, notant les rencontres et visites quotidiennes qui émaillent son séjour parisien. Comme indiqué précédemment, son journal est publié en hongrois en 1941 et en 1977. Des extraits sont publiés en français en annexe de l’article de Marguerite de Coudekerque-Lambrecht en 194013 ainsi que dans la Nouvelle Revue française en 197514. Selon Coudekerque-Lambrecht, il trouve, dans le Tout Paris, les noms et adresses des personnes à qui il souhaite rendre visite : aristocrates, banquiers, écrivains et peintres. Il est introduit dans certaines maisons par le comte Pierre Vay, un ami intime qui lui a servi de modèle pour le roman La Légende de l’argent15.

Photographie de Sigismond Justh s.d.

Photographie de Sigismond Justh s.d.

© National Széchényi Library Budapest

  • 16 Lettre de Justh à Marguerite de Coudekerque-Lambrecht de février 1893. M. Galos, op. cit., p. 78. D (...)

9Atteint de phtisie, Justh multiplie par la suite les séjours sous des climats tempérés pendant l’hiver, en Égypte, en Algérie et à Tanger. Fin 1892, il part même en Inde retrouver Lionel d’Arcy Dunsterville, militaire anglais rencontré à Paris : « Dunsterville est un des hommes les plus supérieurs que j’ai jamais rencontrés. Sa vie était pleine de luttes, d’angoisses, de malheurs, et il restait intact ; il a conservé son équilibre et rien ne peut détruire ce sourire calme sur ses lèvres qui le caractérise tellement. Il m’est un peu comme mes paysans, il me donne de la force – il me rajeunit ! »16 Sigismond Justh décède à Cannes le 9 octobre 1894.

Les salons

  • 17 M. de Coudekerque, op. cit., p. 267.

10Dans son journal, Justh décrit les soirées dans les salons parisiens qu’il fréquente où l’on fait des lectures d’œuvres littéraires récentes : les salons de l’aristocratie du faubourg Saint-Germain (princesse Mathilde, les Fitz-James), ceux des banquiers (les Jameson, les Hottinguer, les Goldsmith) ou de négociants collectionneurs (les Hayem). On l’invite souvent à jouer du piano. Il se rend chez les Taine, chez le peintre Munkácsy, chez Hoyos, ambassadeur de l’Empire austro-hongrois, mais rarement deux fois au même endroit. Il se rend également à une dizaine de bals, où il a la réputation d’être l’un des plus élégants danseurs, quoiqu’il s’essouffle rapidement17. Ses relations avec ses partenaires féminins restent de pure convenance, il ne leur parle guère et ne mentionne dans son journal qu’Emmy de Néméthy, avec qui il semble ne jamais avoir dansé. Il « savoure les mouvements anguleux, maladroits des jeunes hommes, ils bougent comme des marionnettes. Ils [lui] font penser à l’amour stérile » (Journal, 2 avril).

  • 18 Marie Joséphine de Suin (1829-1899), comtesse de Beausacq par son mariage, organise chaque semaine (...)
  • 19 M. Galos, op. cit., p. 26.

11Le salon que Justh fréquente le plus est celui que tient tous les vendredis la comtesse Diane (comtesse de Beausacq)18 ; « Pythie moderne de Paris », pouvant réunir jusqu’à deux cents personnes dans ce qu’on appelle une « académie de la conversation »19. Justh y rencontre, entre autres, les hommes et les femmes de lettres Sully Prudhomme, José-Maria de Heredia, Hélène Vacaresco, Laurent Tailhade, Jean Berge et Jean Aicard. Il y prend part à un bal costumé habillé en martyr primitif (comme saint Sébastien) :

[Je porte] un voile brodé d’or, soutenu par un ruban or sur la tête, et enveloppé dans un burnous arabe descendant jusqu’à terre et qui tombe en plis pittoresques. Sous le burnous, une chemise en tissu transparent, brodée d’or. Aux poignets, deux bracelets d’or reliés par une chaîne ; aux pieds, des sandales primitives et incommodes. À la main, je tiens un narcisse à longue tige, et prends une attitude à la Puvis de Chavannes. (Journal, 4 mai)

12Il apprécie le théâtre, assistant à la représentation de L’Aveu de Sarah Bernhardt à l’Odéon (Journal, 16 mars). Pour « s’encanailler », il assiste, à Montmartre, au cabaret Le Chat noir, aux représentations de La Tentation de saint Antoine et du Fils de l’eunuque, qu’il estime « très français et très drôle, des Ange Pitous modernes » (Journal, 12 janvier). Il écrit y avoir étudié l’« amour huîtré des gommeux » (Journal, 14 février) et décrit à la suite le…

Frascati tout à fait canaille […] ici on ne trouve en quelque sorte que des macquereaux [sic]. Les hommes à moitié nus et les femmes qui le sont presqu’entièrement dansent sous des lampes qui dégagent de la fumée… mais on ne fait attention qu’à une seule personne : la Goulue, la plus fameuse danseuse de cancan de Paris.

  • 20 Le café de la Paix est un lieu notoire de rencontres queer, tout comme les autres établissements qu (...)

13Plus tard le soir, il amène ses amis aux cafés sur les grands boulevards, autour de l’Opéra, surtout ceux égayés par la musique d’orchestres tziganes, comme le café de la Paix, le Grand Café ou le Café oriental20, en évitant les cocottes qui « frauduleusement promettent beaucoup d’amour… » (Journal, 20 avril).

Les écrivains dandys, Sarah Bernhardt et les célibataires « mariés »

  • 21 M. de Coudekerque, op. cit., p. 268.
  • 22 F. Coppée, « Préface », in Melchior de Polignac (éd.), Poètes hongrois. Poésies magyares de Petöfi, (...)
  • 23 E. Hanus, op. cit., p. 107.

14Justh rend visite à quelques écrivains célèbres comme Alexandre Dumas fils et François Coppée : il revoit ce dernier par la suite « assez intimement » – selon l’expression de Marguerite de Coudekerque-Lambrecht – à Alger21. Coppée évoque Justh dans la préface de l’anthologie de poésie hongroise publiée par Melchior de Polignac : « J’eus le plaisir, voici quelques années, de retrouver à Alger M. de Justh, que je connaissais déjà, et je l’appréciai davantage en le connaissant mieux. »22 Il lui consacre une petite étude publiée en hongrois à Budapest où il écrit : « Je l’aimais vraiment et c’est par lui que j’aimais davantage votre belle patrie, la Hongrie. »23

15Toutefois, les écrivains qui intéressent le plus Justh sont les dandys Jules Barbey d’Aurevilly et Joris-Karl Huysmans. Il décrit ainsi Barbey d’Aurevilly :

[Le] fameux dandy, [et] le dernier dandy et romantique… Le vieux gentilhomme était assis en face de la cheminée, portant une longue robe de chambre et un tricorne sur la tête et avec laquelle il s’est fait aussi photographier… Parmi les nombreuses images de beautés féminines placées devant son miroir, j’ai vu mon portrait en costume hongrois, entre Sarah Bernhardt et Melle Brandes… J’ai été touché lorsqu’il m’a caressé le front de ses longs doigts osseux ; j’ai eu l’impression de voir tomber en poussière la dernière pierre des ruines d’une époque artistique qui a rapidement pris fin. (Journal, 21 mai)

  • 24 Il publie sous le pseudonyme de Sire de Chambley, La Légende des sexes. Poëmes hystériques, Bruxell (...)

16Justh est chaleureusement accueilli par Sarah Bernhardt ; il assiste à sa représentation de L’Aveu, il l’accompagne chez le sculpteur Antokolsky, chez Louise Abbéma, peintre et amante de Sarah. Chez elle, il rencontre nombre d’artistes et d’écrivains : Walford Graham Robertson, un jeune peintre anglais, timide, efféminé, ami d’Oscar Wilde ; Jean Lorrain, dandy et poète queer, aux moustaches et aux cheveux teints, bagué ; le peintre Georges Clairin, au sujet duquel il note : « Jojotte, comme ses amis artistes le surnomment » (Journal, 3 mars) ; Edmond Haraucourt24, décrit comme « une tête bouffie de sensualité, des traits efféminés, mais des yeux vifs, un regard intelligent. Sa mise est fort négligée, ses habits pendillent… auteur de La Légende des sexes, des Amis et de plusieurs autres livres intéressants » (Journal, 14 janvier). En visite chez ce dernier, il y admire une collection de photos de seins et des gravures de Félicien Rops (Journal, 6 mars et 3 mai).

17Justh s’intéresse à plusieurs hommes qui, bien que mariés, ont, d’après lui, une relation avec leur épouse qui suggère des désirs queer. Il retrouve au cirque ou au restaurant le comte Robert de Mailly-Nesle, « une de mes plus étranges et des plus intéressantes connaissances parisiennes » dont l’épouse a, « de sa propre initiative, choisi la chasteté » (Journal, 16 janvier). Le comte Fitz-James, un homme « blond, aux yeux bleu foncé, une sorte de rêveur, comme dans les romans de Loti, efféminé, parfumé à l’eau de mer » et au sujet duquel il note que « tout le monde le sait, [il a] de très “modernes passions” » (Journal, 2 et 8 mars). Justh remarque également que l’épouse de Fitz-James est « restée marjolaine » (Journal, 2 mars), indiquant par là qu’elle est vierge.

  • 25 Lettre de Pierre de Coubertin à Sigismond Justh, 1892, citée dans M. Galos, op. cit., p. 97.

18Reçu à plusieurs reprises à déjeuner chez Pierre de Coubertin, Justh y fait la connaissance de jeunes aristocrates du faubourg Saint-Germain. Coubertin a fait l’éloge du Livre de la pousta : en lisant, « je m’arrêtais comme pour écouter le son de votre voix, tant vos personnages vous reflétaient bien vous-même »25. Après le décès de Justh, Pierre de Coubertin publie même un In Memoriam émouvant sur le défunt :

  • 26 P. de Coubertin, « Sigimond de Justh », Nouvelle Revue, 108, septembre-octobre 1897, p. 261-270.

La rencontre d’une âme vraiment droite est une surprise délicieuse […]. La finesse exagérée de sa nature, l’acuité habituelle de ses sensations faisaient que dans les mélodies de Zsiga, cette nostalgie se manifestait au plus vite que dans celles d’un autre. Les demi-tons se succédaient sous ses doigts ralentis ; ses yeux, ses grands yeux si clairs et si inquiets à la fois se fixaient vers un horizon invisible […] son enthousiasme s’exalte jusqu’au lyrisme26.

Amis intimes

  • 27 M. de Coudekerque, op. cit., p. 268.
  • 28 M. Galos, op. cit., p. 25.
  • 29 Božidar (écrit aussi Bojidar) Karađorđević (1862-1908), membre de la famille royale serbe, habite à (...)

19Marguerite Coudekerque-Lambrecht écrit que Justh « ne [lui] parlait jamais de sa “Bohème” », expression par laquelle il entendait le monde du théâtre, les jeunes artistes non encore arrivés et quelques personnes « originales, mais douteuses » qu’il fréquentait. Justh lui aurait affirmé : « Tout cela n’est pas pour vous, me disait-il en riant : c’est ma boisson d’oubli. »27 Les queer Rupert Bunny, Alastair Cary Elwes, Jean Berge et Emmy de Néméthy constituent quant à eux le « petit cercle de ses amis intimes de Paris », écrit Magda Galos28. Justh évoque avoir connu Bojidar Karageorgevitch, écrivain et peintre queer29, ami du peintre anglais George Graham, au sujet duquel il note :

[Il] est du type de snob superficiel, une sorte de sangsue, très doux avec moi, il m’embrasse, et montre une joie débordante quand je viens dîner, mais il est aussi froid qu’un bloc de glace. Toute sa douceur est dans l’espoir que je vais le présenter à quelques endroits, comme je l’ai fait pour Bunny et Elwes. (Journal, 25 avril)

Jean Aicard

  • 30 Jean Aicard (1848-1921), poète, romancier et dramaturge, élu à l’Académie française en 1909.

20Pendant son séjour parisien de 1888, Sigismond Justh fréquente le poète Jean Aicard30, qu’il décrit ainsi :

[U]ne tête qui sort de l’ordinaire, ressemble à Daudet avec des traits plus virils. Un homme au sang chaud, un Provençal fiévreusement passionné, c’est du sang sarrasin qui coule dans ses veines. Un nerveux à sang noir, comme chez nos tziganes […] spontané, de facto l’opposé de tout formalisme français de convention […]. Je sens déjà (après ces quelques poèmes qu’il m’a récités) qu’il y a quelque chose d’un Tantale dans sa personnalité. (Journal, 20 avril)

  • 31 Jean Aicard voyage en Algérie et Tunisie en 1887 et publie Au bord du désert, Paris, Ollendorff, 18 (...)

21Aicard héberge un petit prince tunisien, Mohamed Bakouch31, qu’il embrasse sur le front et que Justh rencontre :

[U]ne grande chemise aux couleurs vives, une cravate, des pantalons très étroits à la Paulus, un manteau aux manches arrangées… À quatre heures du matin nous fraternisons avec Bakouch, il m’invite au désert, m’embrasse, je l’assois dans un sapinet dans ce moment Mahomed roule, roule dans le sapin vers son hôtel garni, sous le ciel plein d’étoiles pâlies par les blafardes lumières du crépuscule du matin. (Journal, 15 mai)

Rupert Bunny et Alastair Cary Elwes

  • 32 Justh a publié un article sur Rupert Bunny : S. Justh, « Rupert C. W. Bunny », Magyar Bazár, 1890.

22Justh noue également d’étroites relations avec deux peintres : l’Australien Rupert W. Bunny et l’Écossais Alastair G. F. Cary Elwes, qui habitent ensemble 86, rue Notre-Dame-des-Champs32. Justh écrit à leur sujet :

La comtesse Diane parle avec enthousiasme du ménage Bunny-Elwes, comme elle est touchée par ces deux garçons qui sont venus loin de leurs parents, ont abandonné leur confort, tout laissé derrière, pour se consacrer à l’art. Il y a beaucoup d’aspects émouvants dans ce ménage, que la comtesse Diane peut-être ne peut pas voir… Je remarque un phénomène curieux dans ce milieu d’artistes, c’est qu’Elwes, qui paraît nerveux, faible, domine Bunny, aux grandes épaules, et six pieds de haut. Par ailleurs c’est naturel que ce personnage simple, naïf, au corps d’athlète soit conduit par ce compagnon aux nerfs très sensibles… Pourquoi cela me frappe-t-il que quand il est en compagnie de Bunny, c’est comme s’il était le chef de ce « ménage d’amis » ? C’est touchant de voir comme ils s’aiment. Seul un Anglais est capable de choses aussi intimes, de ce niveau d’amitié, par exemple. Les Français sont aveugles aux pénombres et aux nuances subtiles de l’intimité. (Journal, 25 mai)

23Dans son journal, il écrit encore sur Alastair Cary-Elwes :

J’ai tellement aimé mon « filleul » que je ne me ferais pas de problème s’il n’était plus exactement la même personne que j’avais aimée… l’énergique et le rêveur, l’expansif et l’introverti, l’inexplicable, une collection de contradictions – un Shakespeare au cœur d’or… Je finirai par croire qu’il n’a jamais aimé, mais si un jour il va aimer, ça résistera à bien des choses – même peut-être à son bonheur. (Journal, 10 mars)

  • 33 Les archives de Sigimond Justh à la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest conservent des diza (...)

24Plus tard, Justh les fera venir à Szenttornya. Les peintres l’invitent à leur tour à passer des vacances en Bretagne avec eux, où des photos montrent Bunny et Cary-Elwes dénudés en présence d’autres hommes – mais Justh ne s’y est pas rendu. Les deux peintres finiront par se séparer : Cary-Elwes rejoindra les franciscains et ses œuvres disparaîtront ; Bunny épousera l’une de ses modèles avant de rentrer en Australie où sa carrière parisienne en fera l’un des premiers peintres célèbres de son pays33.

Jean Berge

  • 34 A. Servantie et M. Rosenfeld, « Jean Berge ou les illusions d’un dilettante », in N. G. Albert et p (...)

25Justh rencontre Jean Berge34, jeune poète français, chez la comtesse Diane et le décrit ainsi :

Grand, svelte, mais légèrement disproportionné, le jeune homme est d’environ vingt-six ans. Des épaules étroites tombantes, des bras et jambes féminins. Des cheveux noirs qui se redressent sur la tête, sourcils noirs, yeux vert-bleu, moustache blonde et bouc pointu, également blond. On croirait qu’il se teint les cheveux et les sourcils. Nez crochu, tombant. Voix profonde, mais douce. Tout le personnage est complexe, composé d’extrêmes Son corps est comme son caractère : très homme et très femme. (Journal, 19 février)

26Jean Berge, venu de Bordeaux grâce à l’héritage reçu de sa mère, dirige à Paris La Revue littéraire et artistique, où il publie entre autres des articles de Laurent Tailhade et de Pierre de Coubertin.

Jean Berge en 1889

Jean Berge en 1889

© Collection Alain Servantie

  • 35 Dix-sept lettres inédites de Jean Berge à Sigismond Justh sont conservées dans la collection de man (...)

27Jean Berge et Sigismond Justh se lient rapidement d’une amitié intime qui se lit dans les lettres du premier et dans le Journal intime du second35. Plus révélatrices sans doute sont leurs collaborations littéraires, et plus particulièrement leur travail à deux sur les textes qui racontent les amours entre hommes, sujet qui revient souvent entre eux. Ainsi, Sigismond Justh raconte qu’en sortant de chez la comtesse Diane avec Berge et M. de Vieuxville, un vieil habitué des salons parisiens, ils entament une discussion sur l’amour dans un café :

  • 36 Sandor Vay (1859-1918), né Sarolta (Charlotte), publie en tant que Sándor Vay plusieurs œuvres litt (...)

On passe en revue toute la gamme de l’amour, en l’illustrant d’exemples. Jean Berge nous dit, en tant que poète, quels sentiments il éprouverait s’il devait flirter avec les charmes de 65 ans de madame Brochot.
Il coucherait plutôt avec des petits garçons.
De là, la conversation tombe bien entendu sur l’amour lesbien. Vieuxville le considère comme hideux et scandaleux, et il est désespéré que Paris soit déjà si pervertie.
On n’arrive pas à le convaincre, Berge et moi, que cela a depuis toujours existé, à toute époque, et qu’il repose autant sur les lois de la nature que l’amour et la reproduction. Si une espèce est très vieillie, elle va produire des individus incapables de progéniture.
D’après Schopenhauer, un tiers de l’humanité ferait partie de cette espèce. À cette espèce appartiennent deux sous-classes : ceux qui ont des penchants pour les deux sexes (mais cela arrive chez les peuples exubérants comme les Italiens, Grecs, etc.), comme par exemple (à ce qu’on dit) la princesse de Sagan, Thérèse, madame de Belbeuf et Dieu sait combien de grandes dames d’ici.
À la deuxième sous-classe appartiennent ceux qui ont un corps masculin et une âme féminine ou vice-versa, comme par exemple la célèbre comtesse de Mailly-Nesle (l’épouse de Robert) et chez nous, Sarolta Vay36.

28Beaucoup de gens affirment que Pierre Loti, Bourget et Sully-Prudhomme feraient aussi partie de cette catégorie d’hommes, des Tantales modernes. (Journal, 10 février)

29Un soir, Justh raccompagne Berge chez lui :

Dans sa chambre à coucher, on se met dans deux énormes fauteuils. Sur la cheminée, une immense lampe dont la lumière est estompée par un abat-jour lilas ; sur la tablette, toutes sortes de parfums et de maquillages, gestes d’attention pour les « passantes ».

La lumière lilas pâle danse à travers la grande pièce peinte en couleurs claires et confère une aura mystique au poète qui, à présent, endossant une longue chemise de soie, enfouit son profil bien dessiné, aux cheveux frisés, dans ses mains et déraisonne. J’ai du mal à le calmer. Il ne pourrait me dire pourquoi il se trouve dans cet état. En proie à la maladie de tout un chacun, il aimerait pleurer, foncer la tête contre le mur. Pourquoi ? Qui le sait ?...

Je reste chez lui jusqu’à quatre heures du matin. J’ai vu à peu près cinq Jean Berge différents et chacun m’a intéressé. (Journal, 16 février)

  • 37 S. Justh, Művész szerelem, Budapest, Pallas Páholy, 1888.

30En mars-avril 1888, Justh lit à ses amis une traduction française de son roman Müvész szerelem, qui raconte les amours ambiguës d’un romancier aux traits de Justh37. Jean Berge écrit dans plusieurs lettres de 1889-1891 qu’il travaille sur la traduction de cette œuvre et à une « mise au net », sans toutefois jamais évoquer le sujet de l’œuvre. Cette traduction semble avoir été perdue.

  • 38 Jean-Pierre Cabanes (1857-1905), avocat de formation, poursuit une carrière de journaliste et de po (...)
  • 39 Lettre du 27 mai 1888, Bibliothèque nationale Széchény.

31Après plusieurs rencontres littéraires, Berge rentre à Arcachon, où sa sœur possède une villa, puis se rend chez son cousin Jean-Pierre Cabanes38. De Casteljaloux, ce dernier écrit à Justh le 2 mai 1888 : « J’espère bien vous retrouver à Paris à mon retour et passer quelques jours de vraie joie dans votre bonne et solide amitié… » Il se propose de traduire et de publier des poèmes de Justh dans sa revue. Berge écrit le 2 mai 1888 à Justh, à qui il rendra visite en Hongrie fin 1888 ou début 1889 : « Vous, pensez un peu à votre ami absent, et gardez-moi toujours une grande place au meilleur de votre cœur. » Dans une lettre ultérieure, il signe : « Celui qui vous aime. J. B. »39

32Par la suite, Jean Berge donne à Justh des nouvelles de leurs amis communs. En décembre 1889, il écrit de Paris :

Mlle de Nemethy et la comtesse de Schoeffenberg sont toujours ici. Je dînais chez elles quand leur est arrivée votre lettre du Caire, où vous vous plaignez des mœurs et des cris orientaux. Oh ! moi qui aime tant l’Orient et rêve de devenir pacha vicieux et cruel ! j’irai vous voir en Hongrie et je veux vous y trouver tout à fait rétabli et pouvoir vous ramener août et septembre à Royan, au bord de la mer où j’ai une villa. Ce serait si bon de revivre encore ensemble, dans cette possession intellectuelle, exempte de feintes et de mensonges, qui dédommage si bien du leurre cruel des possessions physiques dans lesquelles, malgré notre soif d’amour idéal et complet, l’on sent toujours se dérober et l’âme et le cœur… 
Aimez-moi bien toujours ; j’ai tant besoin d’aimer et d’être aimé.

  • 40 J. Berge, Voix nocturnes, Paris, Lemerre, 1892.

33En mars 1891, Justh et Berge séjournent une semaine à Tanger, ville où se trouvent nombre de peintres en quête d’inspiration orientaliste. Ils ne semblent pas se revoir ensuite, mais leurs lettres et leurs hommages réciproques montrent bien que leur affection mutuelle perdure. Berge utilise une lettre à Justh comme préface à son recueil Voix nocturnes publié en 189240. Le 12 septembre de cette même année, Berge annonce à Justh qu’il travaille sur un roman :

  • 41 Lettre du 12 septembre 1891, Bibliothèque nationale Széchény.

[O]ù sera en pied Mademoiselle Emmy et que vous traverserez. Le titre sera : Princesse Ladislas, le titre général de celui-là et des suivants : La Vie irréelle. Je serai pourtant un vériste, mais je ne peins que des gens qui ne vivent pas la vie commune, c’est-à-dire qui, menant la vraie vie, la vie d’âme, mènent une vie irréelle pour le vulgum pecus… Celui qui ne peut vous oublier. Janino41

  • 42 S. de Justh, « Au Retour », in Le Livre de la pousta, Paris, Paul Ollendorff, 1892, p. 14-15.

34Cette œuvre ne paraîtra finalement pas. De son côté, Justh fait brièvement allusion, dans Le Livre de la pousta, à son voyage à Tanger avec Jean Berge : « [E]mpire du bulbul et de la ouarda. J’ai encore les mains parfumées d’essence de rose, le henné se voit encore sur mes ongles. »42

  • 43 Laurent Tailhade écrira au sujet de ce séjour : « [J]e suis rentré plus que fourbu de Bagnères où C (...)

35Dans une lettre du 22 septembre, Berge raconte à Justh son séjour à Bagnères-de-Bigorre à l’été 1891, en compagnie de son cousin Cabanes et de Laurent Tailhade, avec qui « nous avons fait des vers fumistes à outrance ». Il déclare envisager de publier ce texte sous le titre soit de Tercets fumistes, soit de Fumisteries, en rimes outrecuidantes et mètres baroques43. Le 5 décembre 1891, Berge envoie à Justh une longue lettre, citant des fragments des Tercets fumistes, l’un sur un léger Cupidon à Venise où les flèches prennent une symbolique phallique, un autre, « Luxe d’amour », décrivant un lit dressé sur une estrade colossale pour des « rites persiques » où l’on peut baiser des corps sveltes et gras. Mais le héros manque d’argent :

L’or s’en allant, ô jours tristes !,
Dans la poche des fumistes
Et de ces bons sodomistes.

36Puis il cite la préface de Romances sans sexe, où il parle de Lesbos et d’amour queer :

Un doux Virgile en l’ombre des bois
Aux éphèbes blonds les scande à mi-voix.
Car l’amour n’est pas fixe dans un spasme.
Nous lui connaissons maint et maint phantasme.
Il est un rayon très subtil et clair
Qui surgit soudain au vif de nos âmes,
Luit en la prunelle ou meurt dans la chair,
S’en va vers le ciel, le rêve ou les femmes,
Éclat de nos cœurs diffusé dans l’air.

37Ces textes restent inédits et les manuscrits semblent avoir été perdus. De Bordeaux, en janvier 1892, Berge écrit à Justh qui voyage alors en Égypte :

Je ne veux pas laisser passer les jours de l’an sans vous rencontrer et presser ma tête sur votre cher cœur aimé. C’est donc aujourd’hui la petite visite de cérémonie. Nous sommes en face l’un de l’autre et nous pensons à la vie qui coule, dans la production pour vous, dans le gaspillage pour moi, des miens et du temps pour moi. Et puis nous nous embrassons et nous repartons après la halte, qui sait où ? Votre Janino. 

38Dans la dernière lettre que Berge envoie à Justh le 7 octobre 1893, depuis Bordeaux, il fait l’éloge du Livre de la pousta :

  • 44 Lettre du 7 octobre 1893, Bibliothèque nationale Széchény.

J’ai aimé le Livre de la pousta autant que son auteur, avec lequel j’ai pourtant communié le meilleur temps de ma jeunesse psychique et sentimentale. Et maintenant, à l’heure où les illusions et les enthousiasmes dégringolent avec les cheveux, j’aime bien à me souvenir de ces jours et de vous. […] Et vous, frère bien-aimé, qu’êtes-vous ? que devenez-vous ? Toujours l’intellectuel mondain, le cérébral à outrance toujours heureux et fêté dans la satisfaction de ses passions esthétiques dont vous avez atteint l’idéal.
Dites-moi que vous êtes heureux et que vous marchez, vous développant vers le but entrevu. Votre réussite ne me rendra pas jaloux, au contraire, je jubilerai dans mon affection que, lorsque je la cherche, je retrouve, au fond des souvenirs avec la même jeunesse et le même degré d’intensité. Du reste, mon abrutissement ne m’a pas aigri, et l’âme et le cœur gardent la franchise et la loyauté que vous savez… Je vous embrasse de tout cœur, mon vieux bon Ziga. Votre ancien Jeannino44.

  • 45 A. Servantie et M. Rosenfeld, op. cit., p. 258-260.

39Les trois recueils publiés par Jean Berge et sa revue ne rencontrent guère le succès. Ayant épuisé son héritage, il doit arrêter la publication de sa revue en 1889 et ne publie par la suite plus qu’un poème dans Akademos, en août 1909, « Pour te faire aimer »45. Rejeté de sa famille pour son homosexualité, il finit ses jours dans une maison de retraite à Saint-Macaire (Gironde) en 1936.

Melchior de Polignac

  • 46 Melchior-Marie-Henri-Georges de Polignac (1856-1925) publie Notes sur la littérature hongroise, Par (...)

40Sigismond Justh fréquente également Melchior de Polignac46, dont il fait la connaissance au bal de la duchesse de Maillé. Il le décrit ainsi :

[U]n jeune homme que j’avais déjà remarqué, parce qu’il bougeait avec plus d’aisance et plus de noblesse que les autres… Il trouve fade l’atmosphère de ces bals blancs. C’est un garçon vif, autour de vingt-sept ans, les cheveux coupés presque à ras, des yeux grisâtres qui expriment une vitalité scintillante, encore de la force vitale… Je suis tout à fait enchanté de Melchior, voilà un garçon qui a son cœur à sa place. (Journal, 2 avril)

  • 47 M. de Coudekerque, op. cit., p. 270.
  • 48 M. de Polignac (éd.), Poètes hongrois. Poésies magyares de Petöfi, Arany, Tompa, Gyulay, Josef Kiss (...)

41Ils ont dans les deux dernières années de Justh, en 1893-1894, une « relation très intime » et collaborent sur des projets littéraires47. Polignac met en vers français la traduction de poésies hongroises choisies par Justh, qu’il publie dans une anthologie en 189648. Polignac écrit à Marguerite de Coudekerque-Lambrecht : « Je lui porte une véritable affection… », sentiments qu’on retrouve dans les lettres de Polignac à Justh. En janvier 1894, Polignac lui écrit qu’il souhaite le retrouver seul dans son hôtel à Nice ; en juin de cette même année, il propose de venir le voir à Szenttornya. Les extraits suivants de lettres révèlent la nature de leur amitié :

  • 49 Lettre du 11 février 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

Votre souvenir l’habite [ma solitude] maintenant, vous avez été le rayon de soleil au milieu de mon ciel ordinairement si sombre et de ce furtif éclat, il m’est resté comme une lueur douce au fond de l’âme… vous en arriverez à détester mes sermons avant de me détester moi-même, mais tant pis, ce ne sera pas dit que quelqu’un qui vous a frictionné, avec soin, le dos et le ventre, reste insensible devant cette manière artistique de se soigner49.

  • 50 Lettre du 5 mars 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

Vous m’aimez, dites-vous parce que je suis simple et je suis simple parce que je suis voluptueusement paresseux. Je jouis des pensées qui partent de l’esprit en spectateur indolent et avec vous en ami inquiet de votre perpétuel bouillonnement cérébral ; inconsciemment, je cherche à être votre émollient, votre tasse de camomille ; si les sifflements de la tempête ont des accents superbes et grandioses, la douceur sereine des claires nuits d’été ont un charme plein de langueur. Le calme a quelque chose d’immense, d’infini avec un horizon sans bornes… Pour le goûter vraiment, il faut se résigner à être un peu passif, et c’est le contraire que vous êtes50.

  • 51 Lettre du 8 mars 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

On me boude et on m’accuse de mener une existence immorale puisqu’elle est retirée. La foule ne comprend pas les joies de la solitude et suppose, chez celui qui la recherche, des motifs secrets et inavouables. J’en vois qui me demandent, d’un petit air discret, à quelle heure on peut venir me voir, et jamais une femme n’a mis les pieds chez moi ! Si le corps a des exigences, sa satisfaction est suivie d’un tel dégoût que les tentations deviennent moins fréquentes. Je voudrais me retirer dans une atmosphère calme et vraie, loin des mensonges et des canailleries humaines qui sont, par-dessus le marché, d’une banalité à faire hurler – et ne plus communiquer qu’avec quelques bonnes âmes nourries de rêves, sensibles et bonnes qui veuillent des fleurs pour en respirer le parfum et non pour chercher si elles sont bienfaisantes dans les cas de constipation ou si on peut les employer dans les cataplasmes contre l’échauffement de l’anus51

  • 52 Lettre du 5 juillet 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

Pauvre vieux, je ne sais pas si vous comprenez bien que je vous aime comme si je vous connaissais et aimais depuis 20 ans. Je vous embrasse bien affectueusement52.

42Melchior de Polignac accompagnera Justh jusqu’à ses derniers moments. Il épouse Constance Loppin de Montmort (1866-1960) à Paris le 29 novembre 1897, sans postérité.

Emmy de Néméthy : Les Dilettantes

43Emmy de Néméthy, issue d’une famille aristocratique autrichienne, vit à Paris avec sa grand-mère et fréquente les salons littéraires. Sous le pseudonyme de Jean de Néthy, elle publie un premier article sur « Nietzsche – Zarathustra » dans La Revue blanche en avril 1892. Deux ans plus tard, elle publie un volume de Nouvelles scandinaves qui contient des nouvelles de sept écrivains, dont Knut Hamsun et Strindberg. En 1907, elle traduit de l’allemand vers le français la pièce L’Éveil du printemps (Frühlings Erwachen) de Frank Wedekind, « tragédie enfantine » sur la découverte de la sexualité chez trois jeunes personnes, jugée pornographique à l’époque.

  • 53 M. Galos, op. cit., p. 31.
  • 54 J. de Néthy [Emmy de Néméthy], Ballades et chansons populaires de la Hongrie, Paris, Lemerre, 1891. (...)
  • 55 Elle semble être également l’auteure de Die mystische Hochzeit des heiligen Franziskus mit der Frau (...)

44Elle entretient des relations très intimes avec Sarah Bernhardt, qui sculpte d’elle un buste qu’elle considérera comme son chef-d’œuvre53. Emmy de Néméthy est proche de Justh ; elle séjourne à Szenttornya et publie les traductions que l’auteur hongrois lui a confiées dans un recueil intitulé Ballades et chansons populaires de la Hongrie, où elle renvoie à « l’étrangeté ensorcelante de la musique czigány »54. Justh publie un article sur elle dans Vasárnapi Ujság en 189155, tandis que Berge lui dédie, dans son recueil Voix nocturnes, le poème « Dans la vie ».

  • 56 E. de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire 1887-1896, Robert Ricatte (éd.), Paris, Laff (...)
  • 57 La barbe noire et l’âge pourraient faire penser à une osmose entre les personnages de Jean Berge et (...)
  • 58 Allusion au cercle des sodomites dans La Divine Comédie de Dante.

45Emmy de Néméthy publie en 1894 Les Dilettantes, roman à clé qui fait état de la liaison entre Justh et Berge. Pour sa publication, elle sollicite en vain une préface auprès d’Edmond de Goncourt, qui évoque cette demande dans son journal56. Dans le roman, Resa, jeune aristocrate hongroise (autrement dit l’auteure), tombe amoureuse de l’écrivain hongrois Marc de Szelény, chétif et efféminé, aux mains de femme d’une blancheur de marbre, alter ego de Justh. Szelény lit une de ses nouvelles à son ami Mayrignac57 (Jean Berge), homme d’une quarantaine d’années, qui a une « belle tête d’Arabe », des « yeux jaunâtres » et qui fait « glisser à plusieurs reprises sa main blanche dans sa barbe noire ». Mayrignac est l’« auteur maudit du Septième Cercle de l’Enfer »58 et vient de terminer un poème intitulé Les Fiançailles de la Vierge. Il déclare au sujet de ce poème qu’il l’a rédigé « hier en écoutant les Czigány au Grand Café », lieu que Berge fréquentait avec Justh. Le roman raconte que « Marc seul était subjugué par la voix et la poésie de Mayrignac. Il se leva vivement et lui serra la main avec effusion » ; la scène reflète l’admiration de Justh pour Berge. La comtesse Resa commente jalousement que Marc de Szelény s’est « engoué » de Mayrignac et à la fin du roman, elle se suicide quand son amour pour Marc ne lui est pas rendu. Les Dilettantes, publié peu après la mort de Justh, ne semble pas avoir eu de succès.

Conclusion

46Après son décès en 1894, Justh semble avoir été largement oublié par ses contemporains, à l’exception de Pierre de Coubertin. Il est intéressant de noter que ce sont surtout des femmes qui se sont intéressées à son personnage, notamment pour ses relations avec la France, mais elles semblent minimiser son « engouement », comme Emmy de Néméthy désigne ses amours queer, ou en tout cas elles ne le rendent pas visible. La liaison avec Jean Berge en particulier est pourtant féconde en moments de visibilité queer : les poèmes contenus dans les recueils de Berge font souvent allusion aux amours entre hommes, comme c’est par exemple le cas du poème « Les voix » que Berge dédie explicitement à Justh dans Les Extases (1888). Dans la lettre-préface aux Voix nocturnes (1892) encore, Berge parle de la « fraternité de [leurs] âmes similaires ». Plusieurs textes de ce recueil évoquent ouvertement les amours entre hommes et sont dédiés à d’autres amis queer, dont Rupert Bunny.

47Les observations de Sigismond Justh dans son journal intime et les lettres qui lui sont adressées donnent à voir les cercles d’intellectuels queer dans la capitale française, ou encore les manières dont circulent les rumeurs au sujet des préférences sexuelles des uns et des autres. Les liens que tisse Sigismond Justh à Paris en 1888 lui permettent de collaborer avec plusieurs écrivains queer, que ce soit sur des traductions ou sur des œuvres inédites. Tandis que Melchior de Polignac travaille avec lui sur des traductions du hongrois, Emmy de Néméthy en fait un personnage de son roman à clé. La publication intégrale des lettres à Sigismond Justh et de son journal intime permettrait sans doute de documenter davantage les manières dont ces liens ont permis à ces intellectuels queer de travailler ensemble pour défendre leurs amours.

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Notes

1 Le manuscrit du journal intime est conservé à la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest et a été publié en hongrois en 1977 : Zs. Justh, Naplója és Levelei [Journal et correspondance], Budapest, Szépirodalmi Könyvkiadó, 1977. Des parties du journal de Justh ont été traduites en français et publiées dans G. Halász, « Le journal parisien de Sigismond Justh », Nouvelle Revue de Hongrie, avril 1940, p. 264-283. Nous citons ici la traduction française inédite de ce journal par Andras Kanyadi et Cecilia Szakolczay, réalisée en vue d’une publication future, ci-après Journal avec indication de la date. Les soulignements du manuscrit sont indiqués dans les citations par des italiques.

2 M. Galos, Sigismond Justh et Paris. Contributions à l’histoire des relations littéraires franco-hongroises dans la deuxième moitié du XIXe siècle, travail préparé à l’Institut français de l’Université Elisabeth de Pécs, Budapest, 1933, p. 22 ; E. Hanus, « Le Paris des années 1880. Mallarmé, Justh et leurs contemporains », Revue d’études françaises, 5, 2000, p. 101-108.

3 M. Galos, ibid., p. 26.

4 On lira, au sujet de l’amitié de Justh et d’Emmy de Néméthy, l’article suivant : F. Dede, « “Âmes jumelles”. L’amitié magyare francophone de Jean de Néthy (Emmy de Néméthy) et de Sigismond de Justh », Francofonia, 83, 2022, p. 9-24.

5 Marguerite de Kiss de Nemeskér (1861-1944), épouse de Louis de Coudekerque-Lambrecht, femme de lettres parisienne.

6 Lettre du 13 janvier 1885 à Marguerite de Coudekerque-Lambrecht, citée dans M. de Coudekerque-Lambrecht, « Le Journal parisien de Sigismond Justh. Un ami de ma jeunesse », Nouvelle Revue de Hongrie, avril 1940, p. 264-283.

7 Cet ami est nommé Étienne Tisza par Marguerite de Coudekerque-Lambrecht. Nous l’identifions, sans aucune certitude, comme István Tisza (1861-1918), Premier ministre de Hongrie de 1903 à 1905 et de 1913 à 1917.

8 M. de Coudekerque-Lambrecht, op. cit., p. 265.

9 Voir M. Galos, op. cit., p. 112-119.

10 Lettre de M. de Polignac à M. de Coudekerque-Lambrecht, 16 juin 1894, citée dans M. de Coudekerque, op. cit., p. 270.

11 Zs. Justh, A puszta könyve, Budapest, Singer és Wolfner, 1892 ; traduit comme S. de Justh, Le Livre de la pousta, Guillaume Vautier (trad.), Paris, Paul Ollendorff, 1892.

12 M. Galos, op. cit., p. 42-45.

13 M. de Coudekerque, op. cit., p. 264-283.

14 S. Justh, « Journal : époque parisienne », La Nouvelle Revue française, 274, octobre 1975, p. 5-18.

15 Le comte Péter Vay de Vaya et Luskod (1863-1948), converti au catholicisme, rejoint l’Université pontificale grégorienne en 1891 et est nommé protonotaire apostolique. Il publie des récits de voyage en Mandchourie et en Corée en français dans La Revue des deux mondes en 1904 et 1908. M. Galos, op. cit., p. 8.

16 Lettre de Justh à Marguerite de Coudekerque-Lambrecht de février 1893. M. Galos, op. cit., p. 78. Dunsterville écrit que Justh était « a very lovable and remarkable character […] very delicate and of an extremely sensitive disposition ». L. d’Arcy Dunsterville, Stalky’s reminiscences, Londres, Jonathan Cape, 1928, p. 110-111.

17 M. de Coudekerque, op. cit., p. 267.

18 Marie Joséphine de Suin (1829-1899), comtesse de Beausacq par son mariage, organise chaque semaine dans son appartement du 41, rue d’Amsterdam des soirées littéraires réunissant jusqu’à 200 personnes. Elle publie sous le pseudonyme de Raymond Emmeline La Civilité non puérile, mais honnête (1875), Le Livre d’Or de la Ctesse Diane (1889) et Mémoires de la comtesse Diane (Marie de Suin de Beausacq) (1903 – posthume).

19 M. Galos, op. cit., p. 26.

20 Le café de la Paix est un lieu notoire de rencontres queer, tout comme les autres établissements que fréquente Justh et qu’il évoque dans son Journal, notamment le Grand Café et le Café américain (probablement le Bar américain, situé au 18, rue du Louvre, dans le 1er arrondissement de Paris). On lira à ce sujet : R. Revenin, Homosexualité et prostitution masculines à Paris. 1870-1918, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 47, 56, 58 et 110.

21 M. de Coudekerque, op. cit., p. 268.

22 F. Coppée, « Préface », in Melchior de Polignac (éd.), Poètes hongrois. Poésies magyares de Petöfi, Arany, Tompa, Gyulay, Josef Kiss, Jules de Reviczky, Bartók, Paris, Ollendorff, 1896, p. III.

23 E. Hanus, op. cit., p. 107.

24 Il publie sous le pseudonyme de Sire de Chambley, La Légende des sexes. Poëmes hystériques, Bruxelles, 1882.

25 Lettre de Pierre de Coubertin à Sigismond Justh, 1892, citée dans M. Galos, op. cit., p. 97.

26 P. de Coubertin, « Sigimond de Justh », Nouvelle Revue, 108, septembre-octobre 1897, p. 261-270.

27 M. de Coudekerque, op. cit., p. 268.

28 M. Galos, op. cit., p. 25.

29 Božidar (écrit aussi Bojidar) Karađorđević (1862-1908), membre de la famille royale serbe, habite à Paris la plus grande partie de sa vie. Journaliste, il contribue au Figaro, à La Revue de Paris, au Magazine of Art, fréquente les cabarets de Montmartre, Sarah Bernhardt, Montesquiou et Sergei Diaghilev. Son biographe S. K. Pavlowitch écrit que le prince est ouvertement queer. Voir S. K. Pavlowitch, Bijou d’art : histoires de la vie, de l’œuvre et du milieu de Bojidar Karageorgévitch, artiste parisien et prince balkanique (1862-1908), Lausanne, L’Âge d’homme, 1978. Karađorđević a traduit de l’allemand Le Troisième Sexe d’Ernst von Wolzogen, Paris, Calmann-Lévy, 1904.

30 Jean Aicard (1848-1921), poète, romancier et dramaturge, élu à l’Académie française en 1909.

31 Jean Aicard voyage en Algérie et Tunisie en 1887 et publie Au bord du désert, Paris, Ollendorff, 1888 ; il dédie le poème « Le départ du jeune Arabe » à Chadly Baccouch.

32 Justh a publié un article sur Rupert Bunny : S. Justh, « Rupert C. W. Bunny », Magyar Bazár, 1890.

33 Les archives de Sigimond Justh à la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest conservent des dizaines de lettres inédites de Rupert Bunny.

34 A. Servantie et M. Rosenfeld, « Jean Berge ou les illusions d’un dilettante », in N. G. Albert et p. Cardon (éds), Akademos, mode d’emploi, Montpellier, GayKitschKamp, 2022, p. 237-260.

35 Dix-sept lettres inédites de Jean Berge à Sigismond Justh sont conservées dans la collection de manuscrits de la Bibliothèque nationale Széchényi à Budapest. Nous les citons ici avec leur date.

36 Sandor Vay (1859-1918), né Sarolta (Charlotte), publie en tant que Sándor Vay plusieurs œuvres littéraires. On lira à ce sujet : G. Mak, « Sandor/Sarolta Vay: from passing woman to sexual invert », Journal of Women’s History, 16/1, 2004, p. 54-77.

37 S. Justh, Művész szerelem, Budapest, Pallas Páholy, 1888.

38 Jean-Pierre Cabanes (1857-1905), avocat de formation, poursuit une carrière de journaliste et de polémiste sous le pseudonyme de Jean-Paul Clarens.

39 Lettre du 27 mai 1888, Bibliothèque nationale Széchény.

40 J. Berge, Voix nocturnes, Paris, Lemerre, 1892.

41 Lettre du 12 septembre 1891, Bibliothèque nationale Széchény.

42 S. de Justh, « Au Retour », in Le Livre de la pousta, Paris, Paul Ollendorff, 1892, p. 14-15.

43 Laurent Tailhade écrira au sujet de ce séjour : « [J]e suis rentré plus que fourbu de Bagnères où Clarens, Jean Berge et quelques autres éphébisâmes [sic] d’une rude vigueur... » G. Picq, Laurent Tailhade ou De la provocation considérée comme un art de vivre, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, p. 275-276. Justh a rencontré Tailhade chez la comtesse Diane, mais ne l’a guère apprécié : il l’a jugé bizarroïde, « tellement artificiel, mesquin et indifférent. Tailhade habille même le vide de parures et le voile soigneusement. L’art décadent courra les rues, car son succès est garanti par des ânes, postulant que celui qui ne comprend pas et ne s’enthousiasme pas est un âne » (Journal, 10 mai).

44 Lettre du 7 octobre 1893, Bibliothèque nationale Széchény.

45 A. Servantie et M. Rosenfeld, op. cit., p. 258-260.

46 Melchior-Marie-Henri-Georges de Polignac (1856-1925) publie Notes sur la littérature hongroise, Paris, p. Ollendorff, en 1900. Voir aussi la lettre à Marguerite de Coudekerque-Lambrecht d’octobre 1893, citée dans M. Galos, op. cit., p. 79.

47 M. de Coudekerque, op. cit., p. 270.

48 M. de Polignac (éd.), Poètes hongrois. Poésies magyares de Petöfi, Arany, Tompa, Gyulay, Josef Kiss, Jules de Reviczky, Bartók, Paris, Ollendorff, 1896.

49 Lettre du 11 février 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

50 Lettre du 5 mars 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

51 Lettre du 8 mars 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

52 Lettre du 5 juillet 1894, Bibliothèque nationale Széchény.

53 M. Galos, op. cit., p. 31.

54 J. de Néthy [Emmy de Néméthy], Ballades et chansons populaires de la Hongrie, Paris, Lemerre, 1891. Magda Galos donne les clés du récit dans M. Galos, ibid., p. 32-33.

55 Elle semble être également l’auteure de Die mystische Hochzeit des heiligen Franziskus mit der Frau Armut. Nach einem Text des XIV. Jahrhunderts in deutscher Sprache, Jena, Eugen Diederichs, 1913, réédité en 1923, et de Die Legende der heiligen Maria Magdalena, Jena, Diederichs, 1929. Nous n’avons pas trouvé d’autres informations la concernant après cette date.

56 E. de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire 1887-1896, Robert Ricatte (éd.), Paris, Laffont, 1889, t. III, p. 282 et p. Baron, « Une correspondance Edmond de Goncourt-Emmy de Néméthy », Cahiers Edmond et Jules de Goncourt, 16, 2009, p. 153-159.

57 La barbe noire et l’âge pourraient faire penser à une osmose entre les personnages de Jean Berge et Jean Aicard.

58 Allusion au cercle des sodomites dans La Divine Comédie de Dante.

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Table des illustrations

Titre Photographie de Sigismond Justh s.d.
Crédits © National Széchényi Library Budapest
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Titre Jean Berge en 1889
Crédits © Collection Alain Servantie
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Pour citer cet article

Référence électronique

Alain Servantie, « Un témoignage inédit des milieux intellectuels queer parisiens en 1888 »Sextant [En ligne], 40 | 2023, mis en ligne le 26 avril 2024, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sextant/2553 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sextant.2553

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Auteur

Alain Servantie

Alain Servantie est né à Bordeaux en 1947 et a été fonctionnaire à la Commission européenne de 1971 à 2012. Il est l’auteur de nombreuses publications sur la Turquie et plus récemment d’articles sur le poète français Jean Berge et les voyages de Casanova en Turquie.

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