1Au Québec et ailleurs dans le monde, les politiques et les structures d’intervention ont longtemps considéré les jeunes comme des personnes bénéficiaires passives des services, en particulier lorsqu’elles étaient retirées de leur milieu familial et placées dans des dispositifs d’accueil (Bessell, 2011 ; Munro, 2001). On assiste depuis quelques années au passage progressif d’une approche paternaliste, guidée par des dynamiques relationnelles asymétriques et centrées sur les perceptions de l’adulte (Alvarez-Lizotte et Caron, 2022), à une approche dans laquelle les jeunes personnes sont considérées comme des parties prenantes aux décisions (Cashmore, 2002 ; Crowe, 2007 ; Forenza, 2018 ; Lushey et Munro, 2015 ; Munro, 2001) et qui témoigne de la valeur accordée à leur opinion sur les questions qui les concernent. Néanmoins, plus de trente ans après l’adoption et la ratification de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989), qui reconnaît sa participation comme relevant d’un droit fondamental (art. 12, 13,14,15 et 17), l’approche centrée sur l’enfant et sa considération comme une personne actrice sujet de droit est loin de représenter l’orientation pratique dominante des politiques dans le champ de la protection de la jeunesse (PJ). Précisons que la participation « est le processus qui consiste à impliquer les jeunes dans les institutions et les décisions qui affectent leur vie », mais d’une manière active ayant une réelle influence (Checkoway, 2011, p. 341).
2En vertu de cette disposition des Nations unies, les États sont pourtant tenus de faciliter la participation des enfants et des jeunes au processus décisionnel, en l’adaptant à leur âge, à leur niveau de maturité, au développement de leurs capacités (Rap et al., 2019), et de les reconnaître comme des personnes actrices compétentes dans l’exercice de leur citoyenneté (Eudier, 2007). En outre, nul doute aujourd’hui que la participation des enfants « a pris une forme bien juridique dans le domaine des droits de l’enfant » (Paré et Bé, 2020, p. 240). Certains auteurs soulignent d’ailleurs qu’il serait important de penser la question des droits de l’enfant comme partie intégrante des droits humains, guidés par des principes de protection (ibid.).
3Au Québec, l’un des principes fondamentaux introduits en 2007 dans la loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) repose sur la participation des enfants et des jeunes aux décisions qui les concernent. Ce principe vise à « privilégier […] les moyens qui permettent à l’enfant et à ses parents de participer activement à la prise de décision et au choix des mesures » (LPJ 2007, chap. P-34.1, art .2.3(b)). Bien que l’on puisse depuis peu constater une volonté progressive de prise en compte du point de vue des jeunes dans l’élaboration des politiques et des services en PJ, il n’en demeure pas moins que subsiste un écart important entre les politiques qui prônent la participation et leur mise en œuvre effective dans le système de PJ (Alfandari, 2017b, 2017a ; Bessell, 2011 ; Lacroix et al., 2020 ; McPherson et al., 2021 ; Rap et al., 2019).
4Ce constat se reflète d’ailleurs de manière vive ces dernières années dans le contexte des débats sociétaux autour de l’intervention auprès des jeunes dans le système de PJ au Québec. Dans ce sens, le rapport récent de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ) faisait état, en 2021, de la faible participation des jeunes dans les questions qui les concernent et reconnaissait la nécessité de promouvoir et de respecter les droits des enfants (CSDEPJ, 2021). Les conditions actuelles de placement des enfants et des jeunes ainsi que les revendications pour un pouvoir d’action accru du Commissaire aux droits et au bien-être, garant de la protection de leurs droits, témoignent justement de l’urgence de porter la voix des enfants et des jeunes au cœur des questions qui les concernent.
5Dans le domaine spécifique de la PJ, la participation des jeunes personnes peut aussi bien relever des activités de la vie quotidienne, de la planification des interventions ou encore des aspects institutionnels et politiques (Faisca, 2021). En plus d’être un droit fondamental, la participation des enfants et des jeunes contribue de manière positive à l’accroissement de leur confiance en soi, de leur estime de soi, de leur sentiment de contrôle, de maîtrise sur leur vie (Healy et Darlington, 2009 ; Rap et al., 2019) ainsi que leur résilience (McPherson et al., 2021). Elle permet aussi de s’assurer que les décisions sont mieux adaptées à leurs besoins (Cashmore, 2002 ; ten Brummelaar et al., 2018) et favorise leur adhésion au plan d’intervention (Bessell, 2011 ; Cashmore, 2002 ; Rap et al., 2019). Ainsi, selon Eudier (2007), la participation individuelle et collective des jeunes pendant le placement « peut être envisagée non seulement comme un droit, mais également comme un outil éducatif de socialisation » (p. 93). Participer à la prise de décision est un élément essentiel pour préparer les enfants et les jeunes à leur future indépendance et à leur autonomie de décision (Cashmore, 2002 ; Lansdown, 2005 ; ten Brummelaar et al., 2018). La participation individuelle et collective sert également de socle de protection sociale pour ceux et celles en transition vers l’âge adulte (Lacroix et al., 2020). Cependant, les jeunes personnes placées qui doivent transiter vers une vie indépendante ont souvent peu d’expérience en matière de prise de décision, ce qui fragilise énormément ce passage à l’âge adulte (Cashmore, 2002). Plusieurs chercheurs estiment d’ailleurs que leur participation est bénéfique aussi bien pour les enfants et les jeunes que pour la société dans son ensemble, dans la mesure où ils jouent un rôle clé dans l’amélioration des services et des politiques en PJ (Day et al., 2012 ; Holland et Gorey, 2004 ; Lacroix et al., 2020 ; Lushey et Munro, 2015 ; Munro, 2001).
6Si de multiples facteurs peuvent faciliter ou entraver la participation des jeunes en PJ, la littérature s’accorde sur le fait que les conditions de la relation avec les personnes professionnelles en constituent le principal facteur (Niang et al., 2023 ; Sinclair et al., 2019 ; ten Brummelaar et al., 2018). Augsberger souligne par exemple que la création d’une proximité relationnelle avec les jeunes, pouvant se traduire par une démonstration de l’intérêt porté aux jeunes ou encore une continuité relationnelle, constitue une des conditions favorables à la participation dans le contexte du placement (Augsberger, 2014). Or, les conditions organisationnelles telles que le roulement de personnel et la discontinuité relationnelle subséquente (Diaz et al., 2018 ; van Bijleveld et al., 2015), la bureaucratie (McPherson et al., 2021 ; Vis et Fossum, 2015), la lourdeur des tâches administratives (Ferguson, 2017 ; Vis et Fossum, 2015), le manque de temps (Cossar et al., 2016) et la gestion du risque ainsi que l’aversion à son égard (McPherson et al., 2021) ne sont pas propices à la création d’une telle relation. En plus des aspects structurels, plusieurs chercheurs ont montré l’étroite connexion entre la question de la participation des jeunes et celle de leur protection (Paré et Bé, 2020), qui plonge les personnes intervenantes dans une tension permanente entre ces deux principes (Faisca, 2021). Tout cela s’ajoute à la variabilité de l’effectivité de la participation due au type de milieu de placement (Vis et Fossum, 2015).
7Lorsque l’on interroge de plus près la manière dont s’exerce la participation en contexte de placement, la littérature fait état de nombreuses failles dans son exercice réel par les jeunes. Ces failles peuvent d’abord se refléter dans les domaines où s’exerce la participation des jeunes, ces derniers étant souvent restreints aux décisions liées à la vie quotidienne (McPherson et al., 2021 ; ten Brummelaar et al., 2018), au détriment d’autres espaces dans lesquels les jeunes auraient fort intérêt à s’exprimer (plan d’intervention, milieux de vie, éducation, transition à la vie adulte, prise de médicaments, etc.). Elles se manifestent également sur le plan informationnel, notamment par l’inexactitude ou le manque d’informations (van Bijleveld et al., 2015), ainsi que par leur incompréhensibilité pour les jeunes (Cossar et al., 2016), ce qui rend le processus d’autant plus imprévisible (van Bijleveld et al., 2015). Ces barrières à l’accès informationnel sont préoccupantes, car elles peuvent réduire la possibilité pour les jeunes personnes d’exercer leur droit de participer aux décisions et, par conséquent, de se sentir concernées par et impliquées dans la production des décisions finales (Faisca, 2021 ; McPherson et al., 2021). Elles peuvent alors ressentir de la colère, de l’inquiétude (Wilson, 2020), de l’impuissance, un manque de confiance en elles-mêmes (Bessell, 2011), voire adopter des comportements d’opposition tels que les fugues (Alfandari, 2017b ; ten Brummelaar et al., 2018) ou de passivité vis-à-vis du processus d’intervention (ten Brummelaar et al., 2018).
8Un nombre important de recherches qui traitent de la participation des enfants et des jeunes personnes placées et ex-placées en PJ le font paradoxalement du point de vue des personnes professionnelles (Alfandari, 2017b, 2017a ; Archard & Skivenes, 2009 ; Berrick et al., 2015 ; Rap et al., 2019). Jusqu’à présent, très peu de recherches se sont intéressées à l’expérience de la participation du point de vue des premières personnes concernées (ex. Bessell, 2011 ; Day et al., 2012 ; Lacroix et al., 2020 ; Lushey et Munro, 2015 ; Munro, 2001) et encore moins à leur participation au processus décisionnel pendant le placement (Bessell, 2011), ou en tant qu’agentes de changement dans les services et les politiques en PJ (Larkins et al., 2014). À notre connaissance, au Québec, une seule recherche a porté sur la participation des jeunes personnes anciennement placées en PJ, mais celle-ci se focalise sur le rôle des associations d’entraide dans leur transition vers l’âge adulte (Lacroix et al., 2020). Aucune recherche n’aurait été menée sur l’expérience de participation individuelle et collective de jeunes pendant leur placement dans le système québécois de PJ.
9Le présent article vise justement à présenter les résultats d’une recherche-action participative, menée au Québec, par six jeunes personnes ex-placées et membres du Collectif Ex-Placé DPJ, une chercheuse universitaire et une assistante de recherche, dont l’objectif était de connaître l’expérience de participation des jeunes pendant et après leur placement en protection de la jeunesse. Cet article traitera spécifiquement de l’expérience de participation pendant le placement, notamment dans les milieux de vie et dans le processus clinique, ainsi que des impacts de cette participation.
10La présente recherche est guidée par l’approche théorique et méthodologique de la recherche-action participative (RAP) – en ce qu’elle tient compte des inégalités expérimentées par les jeunes ayant vécu des expériences de placement au sein de la PJ – et permet de placer les jeunes au cœur de l’action et de la production de connaissances sur les questions qui les concernent (Robin et al., 2015). Cette approche participative suppose un changement paradigmatique et méthodologique qui exige que les personnes concernées puissent être pleinement impliquées et que leur savoir soit reconnu tout au long du processus de recherche et de mobilisation des connaissances.
11La RAP repose sur un processus itératif de transformation de la réalité du terrain soutenu par la coproduction de connaissances entre personnes chercheuses et participantes et « venant ébranler les structures et les attitudes qui perpétuent l’injustice sociale, l’oppression et l’avilissement » (Gélineau et al., 2012, p. 37). En établissant une relation dialectique entre les connaissances et les actions, la RAP permet alors de susciter le changement social, la recherche devenant en elle-même un mode de réponse aux préoccupations des communautés concernées (Anadón, 2007). Cette approche permet ainsi de contrebalancer le déséquilibre entre les connaissances de personnes considérées comme expertes et les connaissances tirées de l’expérience, et de reconnaître et valoriser ces formes alternatives de production de connaissances (Gélineau et al., 2012 ; Lushey et Munro, 2015). Les personnes participantes (des jeunes personnes ex-placées) deviennent des personnes cochercheuses paires, ce statut constituant un levier de reconnaissance de leurs savoirs expérientiels. La création d’un espace de coconstruction entre personnes chercheuses et jeunes personnes cochercheuses paires ouvre dès lors à une dimension nouvelle, riche en expériences et en connaissances mutuelles (Robin et al., 2015). Cet espace favorise l’expression collective des voix et des parcours, et constitue un moteur dans les prises de position et paroles individuelles et collectives des personnes actrices dans l’espace public. La synergie entre personnes actrices engagées devient ainsi un levier de mobilisation et d’influence des personnes décideuses politiques, afin d’améliorer les conditions de vie des jeunes personnes placées et de celles qui transitent vers la vie adulte (Anadón, 2007).
- 1 Le comité de jeunes de la recherche EDJeP était composé de jeunes de 18 à 35 ans ayant connu une ex (...)
- 2 Ceci présente des limites, car les jeunes moins dotés de ces ressources ne seront pas retenus pour (...)
12La RAP a justement été engagée en 2020 dans le cadre d’un postdoctorat à la Chaire de recherche du Canada sur l’évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CREVAJ) à l’École nationale d’administration publique de la chercheure responsable. Elle a ensuite été poursuivie avec le soutien d’une subvention obtenue du Fonds de recherche du Québec – Société et culture en 2023. Une cellule de recherche-action participative impliquant six personnes cochercheuses paires, alors membres du Comité des jeunes EDJeP1, a été constituée. Non seulement elles témoignent toutes d’une expérience de participation à la recherche2, mais elles ont également été et demeureront au cœur de la poursuite de la recherche auprès d’autres jeunes personnes ex-placées, avec la chercheure responsable.
13Plus spécifiquement, et en cohérence avec les principes de la RAP, les six personnes cochercheuses paires se sont impliquées à toutes les étapes de la présente recherche, depuis sa conception jusqu’à la mobilisation des connaissances (y compris dans la rédaction du présent article), et en passant par la planification et la réalisation de la collecte des données – demande éthique, conception d’outils méthodologiques (canevas d’entrevue, journal de bord…), stratégie de recrutement et analyse des données, notamment.
14La RAP vise ultimement à engendrer des actions concrètes, ce qui, dans le cas de cette recherche, se traduit par deux volets principaux. D’une part, des actions ont été définies pour sensibiliser, informer et former les professionnels et gestionnaires concernant l’importance de la participation des jeunes, tout en développant, en collaboration avec eux, des outils concrets qui favorisent une participation effective des jeunes au sein du système. D’autre part, des procédés ont été mis en place pour sensibiliser, informer et former les jeunes placés, quel que soit leur âge, afin de leur faire connaître leurs droits et de développer des stratégies permettant de renforcer leur socialisation à la participation, tant sur le plan social qu’institutionnel.
15Les données collectées dans cette recherche reposent sur la conduite d’une vingtaine d’entrevues individuelles semi-structurées en face-à-face ou en ligne avec des jeunes personnes âgées entre 18 et 35 ans ayant quitté le système de PJ, en favorisant une diversité de la population sur le plan sociodémographique (genre, origine, etc.). Elles ont été recrutées par l’intermédiaire d’organismes d’entraide de jeunes personnes ex-placées et d’organismes communautaires de proximité, en mobilisant différentes stratégies de recrutement (notamment par des affiches, des vidéos), mais aussi à partir d’une mobilisation des réseaux dans l’entourage des personnes sollicitées (échantillonnage par effet « boule de neige »). Les entrevues ont été enregistrées et retranscrites intégralement.
16L’analyse de données a été faite en équipe lors des rencontres périodiques, en deux étapes (description et interprétation). La première étape (description) a consisté à discuter collectivement du contenu des entrevues, de l’expérience des personnes cochercheuses paires et de la démarche de recherche. Cette étape a permis une familiarisation avec les données, une organisation préliminaire de celles-ci, ainsi que la mise en évidence des éléments qui échappaient à la compréhension commune et nécessitaient une clarification. La deuxième étape (interprétation-comparaison) a été consacrée à la recherche d’explications, de tendances et de catégories, afin d’établir des comparaisons et de relier les découvertes à un ensemble plus vaste de connaissances (Neale, 2016). Les données ont aussi fait l’objet d’une analyse systématique visant à organiser les éléments émergents en unités de sens, et ceux-ci ont été d’abord organisés de manière provisoire dans des notes descriptives et analytiques. Dans cette étape, la stratégie d’analyse a reposé sur une analyse récursive. En effet, l’analyse verticale de chaque entrevue a d’abord permis d’examiner en profondeur la trajectoire de vie et de participation de chaque jeune. Cette technique a ensuite permis de dégager des thèmes généraux et de les relier aux éléments observés et vécus par les jeunes personnes cochercheuses paires dans leurs propres expériences. Une analyse horizontale a, dans un second temps, permis de mettre en relation les entrevues et de dégager des éléments de résonance et de différence dans leurs expériences. La dernière étape (validation) a consisté en un processus d’approbation collective systématique et progressive de la démarche d’analyse. Ainsi, chaque description et chaque interprétation ont été validées par les personnes cochercheuses paires de manière constante tout au long du processus.
17Notre étude met en lumière des limites significatives quant à la participation effective des jeunes pendant leur placement. Les personnes participantes ont exprimé un sentiment de frustration et de limitation quant à leur implication dans les décisions qui les concernent, notamment en ce qui concerne des aspects essentiels de leur vie en placement. Elles ont témoigné d’un décalage entre les discours promouvant la participation des jeunes et la réalité de leur expérience pendant le placement. Les propos d’une des jeunes personnes participantes illustrent bien cette perception :
- 3 Les entrevues ont été anonymisées afin de garantir la confidentialité des personnes participantes. (...)
« Tsé, je dis souvent la politique des centres jeunesse c’est deux frères. Bien, c’est ça. […] Oui, c’est deux frères. La politique des centres jeunesse, c’est deux frères là. C’est que, c’est fait sur le même moule. Je m’explique. C’est que le centre jeunesse nous dit on a une voix, les politiciens nous disent qu’on a une voix, sauf que la plupart du temps, on n’en a pas. » (J183)
18La relation entre les jeunes et les personnes adultes significatives qui les entourent, notamment les personnes travailleuses sociales et éducatrices du milieu de vie, revêt une importance cruciale dans le contexte du placement. Les jeunes personnes expriment unanimement que pour pouvoir participer activement dans les décisions qui les concernent, elles doivent d’abord se sentir en confiance avec ces personnes professionnelles. Cette confiance repose sur un contact authentique et une affection sincère.
« C’est elle qui est venue s’asseoir avec moi […] c’est elle, tsé comme, j’ai développé tellement de liens avec elle, puis elle a pas eu à faire rien, la seule chose qu’a faite c’est de me tendre la main, puis de me donner un bisou sur la tête, c’est juste ça qui a fait la différence. Fait que c’est ça où je veux en venir, c’est, faut que t’aille l’approche. […] Puis, quand à mettons on était triste ou qu’on allait pas bien, a nous ramenait toute dans cuisine, a nous chantait des chansons, puis, je sais pas, on dirait qu’a l’amenait comme la vie. » (J11)
19Les jeunes ont besoin de sentir que les adultes qui les accompagnent sont des personnes alliées, guidant de manière bienveillante, et non pas des figures autoritaires. En effet, les personnes adultes significatives jouent un rôle pivot : elles peuvent soit encourager la prise en compte de la voix des jeunes, soit, malheureusement, la réprimer.
« À cause que ma TS [travailleuse sociale]… heu… elle disait que “ah ah” elle était inquiète pour ma sécurité et tout. Mais tous les éducs y disaient “ah ben nous on n’est pas inquiets”‘ et tout pis là… heu… Y avait comme les éducs, au moins ils nous défendaient. Pis là j’ai changé de TS pis là ils m’ont laissé sortir. Facque c’est ça j’étais contente. » (J3)
« Tsé, moi j’ai été, tsé exactement la situation, où justement j’avais été, j’avais eu un épisode dépressif, puis qu’on m’avait envoyé à l’hôpital, puis que finalement on m’avait ramené à la maison, puis qu’on m’avait dit que c’était juste de l’attention, tsé, j’aurais aimé, tsé je pense que ça c’est une situation de crise qui aurait pu être prise plus au sérieux […] je ne sentais pas les gens ouverts à entendre ce que j’avais à dire. Tsé, moi, on me donnait juste des menaces, on me disait “Ah, si t’en parle, on va devoir te mettre dans un foyer. Ah, si t’en parle, tu vas devoir partir d’ici”. […] ça m’a plus fait peur. » (J7)
20Les témoignages recueillis illustrent un sentiment d’exclusion des décisions les concernant et plusieurs d’entre elles ont été vécues plutôt comme des impositions. La majorité des jeunes se sentent peu ou pas entendus dans un univers dominé par les adultes. Les jeunes expriment la place qui leur était accordée dans la prise de décision comme étant réduite à un rôle passif où leurs opinions n’étaient pas considérées comme pertinentes ni influentes. Pour beaucoup de ces jeunes, dans ce contexte, l’écart entre les adultes et les enfants se creuse, les laissant en marge de la capacité d’influencer leur propre vie.
« Le gros problème c’est pas qu’on nous sous-estime, c’est qu’on nous traite comme des enfants. » (J18).
« Puis, je n’avais souvent pas mon mot à dire parce que j’étais mineur puis que mes parents n’étaient pas dans le décor. » (J5)
21Cette perception d’une exclusion est renforcée par le constat que même lorsque des opportunités de participation sont présentées, elles tendent souvent à être limitées à de simples consultations. En effet, les jeunes ont souvent l’impression que leur participation est davantage symbolique et superficielle, sans que leurs opinions ne soient réellement intégrées ou valorisées dans les décisions finales qui affectent leur vie quotidienne.
« Euh, pour moi, j’ai vraiment pas été écouté. J’ai peut-être entendu, on m’écoutait peut-être, mais on prenait pas en considération ce que je disais et c’était comme un… La façon que je recevais, c’était vraiment comme si c’était moi le problème. Il fallait juste que je me plie à la société, aux règlements et à tout le système. » (J9)
22Cette dynamique renforce le sentiment d’exclusion des jeunes et alimente leur frustration quant au manque de véritable autonomie et de pouvoir sur leur propre existence. Ces jeunes se retrouvent ainsi dans une position marquée par l’impression d’être à la périphérie des processus décisionnels, plutôt que d’être des personnes actrices à part entière de leur propre parcours.
« Ah, bien c’est clairement ça là. Ouais, ils m’ont pas laissé le droit de parler. Étant donné que, tsé moi je me suis tout le temps dit, étant donné que j’étais mineur, y a personne qui m’ont laissé le droit de parler. Les psychiatres, les psychologues, y a personne, la travailleuse sociale, y a personne qui a accepté d’entendre un enfant parler. Donc, j’ai vraiment été forcé à faire des choix que, aujourd’hui, j’aurais fait autrement. » (J13)
23Certaines jeunes personnes expliquent que même lorsqu’elles se sont exprimées, elles n’ont pas été entendues ou crues, ou que leurs expériences ont été minimisées. Cela crée un manque de reconnaissance de leurs besoins et de leurs préoccupations, un sentiment d’être négligées et incomprises, et peut également susciter des sentiments de frustration et de colère.
« J’ai demandé souvent au centre jeunesse de me changer minimalement d’unité puisque moi j’étais avec les jeunes contrevenants, mais moi j’étais rentré là pour protection et moi j’étais avec les jeunes contrevenants, donc j’ai déjà fugué avec une fille de mon unité, et puis je me suis retrouvé chez deux hommes, euh, je me suis fait agresser sexuellement par les deux hommes, j’me suis faite juter, j’ai eu du GHB dans mon corps, et puis, j’me suis fait violer par ces deux hommes-là. Lorsque je suis revenue au centre jeunesse, je leur ai expliqué mon histoire et puis la seule chose qu’on me répétait c’est “Mais non, c’est impossible, c’est impossible. La jeune, on la connaît. C’est impossible. C’est impossible.” » (J13)
24Pendant leur placement, les jeunes ont la possibilité de participer aux comités de personnes résidentes et usagères. Ces comités offrent aux jeunes une plateforme collective pour exprimer leurs opinions, préoccupations et besoins, et celles de leurs pairs dans les unités. Cela leur permet de participer activement aux décisions qui affectent leur vie quotidienne dans l’établissement. Les jeunes qui ont pu participer comme personnes représentantes de leurs unités disent avoir senti qu’elles détenaient un certain pouvoir d’influence dans l’amélioration des services pour les jeunes de leurs unités.
« J’avais une voix assez forte au comité des résidents qui se répétait jusqu’au comité des usagers. Juste en termes de stabilité des intervenants, en termes de ressources en santé mentale, j’ai réglé une chose et je me rappelle très bien de ce que j’ai dit à l’agent de liaison, j’ai dit : “J’ai besoin qu’on me confirme que la personne a au moins fait une intégration en service de santé mentale, peu importe où, je m’en fous que ça soit aux plus jeunes, aux plus vieux, aux moins vieux, j’ai besoin qu’elle fasse une intervention en service santé mentale, pour qu’elle comprenne la dynamique qu’on a dans ces foyers-là ou dans ces unités-là”, et là il me regarde, il dit : “Mais, pourquoi on y a pas pensé avant ? ” “Mais, parce que vous êtes pas à l’intérieur du réseau, vous le voyez pas, vous le voyez pas les gens qui capotent là, les intervenants qui capotent parce qu’ils savent pas c’est quoi notre système” […] J’ai pour mon dire, que chaque jeune a droit à sa voix, chaque jeune a droit à son opinion et l’important c’est [de les] écouter. » (J18)
25De cette manière, les comités de personnes résidentes et usagères contribuent à identifier les problèmes que rencontrent les jeunes dans leurs unités, qui ne sont souvent pas évidents pour les personnes professionnelles, et à proposer des solutions adaptées aux réalités des centres. Les changements que les jeunes parviennent à apporter sont une source de fierté et de reconnaissance. Les jeunes personnes affirment que dans ces espaces, elles sont reconnues pour leur engagement envers leurs pairs et pour leur contribution à la vie collective. Beaucoup ressentent que la participation est encouragée dans ces espaces, car elles peuvent s’exprimer avec franchise. Ce qui fait de ces espaces un lieu significatif pour celles qui parviennent à y accéder.
« J’ai fait partie de deux groupes dans le centre jeunesse […] puis j’ai été très reconnaissante. […] Fait que, oui j’ai été très bien accueillie là-bas, ils m’ont, ils ont été reconnaissants envers moi pour ce genre de trucs parce qu’on parlait de comment changer les trucs dans l’unité, des lits plus confortables, puis aujourd’hui, je sais très bien que dans les unités où j’allais, y ont des lits énormément plus confortables, que durs comme de la roche. Euh, y ont des gros changements que… des très gros changements et tout ça grâce, pas grâce à moi, mais grâce aux gens qui ont fait partie des comités. […] Mais, sinon, oui, j’ai été vraiment reconnue pour avoir un franc-parler et être respectueuse et responsable dans certaines activités. Fait que oui, j’ai été reconnue pour le bien que j’ai pu apporter aux autres filles et à… au centre jeunesse en fait. » (J8)
26Cependant, cette participation est restreinte à certains profils de jeunes personnes. En effet, il semble que seules celles qui correspondent le mieux aux normes établies soient choisies comme personnes représentantes. Cela peut entraîner un manque de diversité des voix dans ces espaces collectifs. Par exemple, une jeune explique qu’elle résidait dans une unité pour jeunes avec des problèmes de santé mentale qui n’avaient pas de personnes représentantes dans les comités de personnes résidentes. Elle a dû se battre pour obtenir une place. Cela soulève la question de la représentativité et de la diversité des voix, surtout pour les jeunes personnes confrontées à cette double vulnérabilité d’être sous protection de la jeunesse et de faire face à des enjeux de santé mentale.
« Dans ma tête, je l’ai pas dit tout de suite parce que je savais pas si y existait un comité de résidents. C’est plus tard que j’ai appris qu’y avait un comité des résidents. Tsé, quand qu’on parle de santé mentale, là je rentre dans un sujet un peu épineux là, parce que y a fallu que je me batte pour […] un foyer pour jeunes en difficulté d’adaptation et santé mentale, [et pour] une place à ce comité-là […] C’est ça qui m’énerve le plus, c’est ça le problème que je vois le plus depuis que je suis arrivé au centre jeunesse, c’est qu’on est considérés des enfants en bas âge, de notre entrée à notre sortie. » (J18)
27Les jeunes personnes soulignent également un manque de recours pour exprimer leurs préoccupations ou contester des décisions qu’elles jugent injustes. Cette absence de mécanismes clairs pour faire valoir leurs droits ou pour porter plainte accentue leur sentiment d’impuissance face au système de protection de la jeunesse. Cette impuissance perçue contribue à une détérioration du sentiment d’appartenance et de l’investissement dans les processus décisionnels qui les affectent directement.
« Donc, je peux dire c’était le poste 4848, je m’en rappelle encore, pour donner une idée. J’essaie de porter plainte souvent contre certaines affaires, j’ai essayé de dire mes points de vue, j’ai essayé de faire des changements, puis tout. Puis, souvent, bien évidemment tu n’as pas de cell, fait que souvent je n’avais pas de retour d’appel, ils ne me rappelaient pas à mon unité. On ne les voyait jamais ces personnes-là. Ils ne se présentaient jamais. Tout ce qu’on avait, c’était une boîte là, de suggestions, qu’on devait mettre nos papiers. Puis, tu voyais que la boîte était pleine, puis qu’ils ne venaient jamais vider ça, puis que c’était là juste pour faire beau. […] C’est juste pour nous dire “Ah, vous pouvez donner votre point de vue ou vous pouvez porter plainte au comité des usagers ou à ce numéro-là”, mais c’était juste du flashing parce qu’ils ne nous rappelaient pas. Il n’avait rien qui changeait. » (J5)
28Le manque d’informations et de voies formelles pour soulever des inquiétudes ou contester des décisions est une source majeure de frustration pour les jeunes. Ce déficit empêche une réelle prise en compte de leur voix et limite leur capacité à influencer les conditions de leur placement.
29La participation des jeunes personnes placées dans le processus clinique est un aspect fondamental qui influence non seulement leur bien-être actuel, mais aussi leur parcours futur. Les témoignages collectés révèlent une variété d’expériences, soulignant à la fois l’importance de cette participation et les défis auxquels les personnes sont confrontées dans sa réalisation effective.
30Une des étapes cruciales du processus clinique est l’élaboration du plan d’intervention. La plupart des jeunes personnes signalent ne pas avoir été impliquées dans sa conception et l’avoir généralement reçu alors qu’il était déjà terminé, prêt pour la signature et la présentation signée. D’autres expliquent que la majeure partie du travail était effectuée par les personnes professionnelles, parfois en consultant des personnes adultes comme les parents ou la famille d’accueil.
« Tsé, c’est ça je dis, c’est que les jeunes n’ont pas de voix. C’est l’autorité de la travailleuse sociale avant tout. […] Avant, mes plans d’intervention étaient signés même si j’étais pas présent […] Parce que tsé, ça m’est arrivé de me faire bypasser un plan d’intervention, puis j’étais comme “Quoi ? Mais, j’ai même pas eu connaissance qu’y avait un plan d’intervention” […] C’est ça que je dis. C’est que le jeune n’est pas pris en considération dans les décisions qui le concernent. Normalement, la loi l’exige hein ! Si je me rappelle bien le texte de loi que j’ai vu, le jeune doit être au cœur et doit prendre les décisions qui le concernent. […] Normalement c’est ça, c’est écrit noir sur blanc. » (J18)
31Cependant, l’implication active des jeunes dans la construction de leur plan d’intervention reste un défi. Les raisons évoquées incluent une priorisation des perspectives des adultes, une rotation fréquente du personnel créant une discontinuité dans les relations, et un manque de considération pour les points de vue des jeunes. Ces obstacles soulignent un écart significatif entre la théorie et la pratique de la participation des jeunes au processus clinique.
« Je me suis jamais assis avec ma travailleuse sociale, puis mes éducatrices [pour regarder le plan d’intervention] c’est fuck top, je le sais là […] vu que ma travailleuse sociale changeait tellement souvent, que c’était difficile, tsé il fallait toujours commencer à zéro, fait […] j’ai eu mes 17 ans, c’est là où y a eu un plan d’intervention, puis ça bien été jusqu’à mes 18 ans. » (J11)
32Certaines jeunes personnes ont exprimé avoir ressenti qu’elles n’étaient pas écoutées au sujet de décisions fondamentales les concernant directement, comme les contacts avec leurs parents. Ce témoignage souligne une tension entre les besoins tels que perçus par les personnes professionnelles et les désirs véritables des jeunes. Ce jeune affirme que sa voix n’a pas été prise en compte, celle de la personne intervenante ayant prévalu, ce qui a été ressenti comme une forme de pression.
« Oui, ils m’ont extrêmement poussée [à voir ma mère], je te dirais pendant au moins six ou sept rencontres, la seule chose qu’y venaient me voir, pour me dire “Ouais, mais faudrait que tu penses à aller voir ta mère.” Puis, moi je leur disais : “Ouais, mais j’ai pas envie d’aller voir ma mère.” […] Et puis, pendant six à sept rencontres, pour eux, c’était important le lien, comme qu’ils me disaient, “c’est important le lien mère et fille. Faut que tu retournes voir ta mère.” Mais moi, je leur disais toujours que moi je ne voulais pas. Et puis, pour eux, on dirait que, désolée mon expression, mais on dirait qu’ils s’en foutaient. » (J13)
33Les jeunes personnes insistent sur la nécessité de ne pas seulement recevoir des options, mais aussi d’être pleinement informées et impliquées dans les décisions qui les concernent. Pour elles, il ne s’agit pas simplement de choisir parmi des alternatives préétablies, mais plutôt de comprendre les tenants et aboutissants de ces choix. Les jeunes soulignent l’importance d’une communication transparente et respectueuse de la part du personnel en travail social, ce qui n’est pas toujours le cas. Le manque de compréhension et la peur des services proposés peuvent également entraver leur participation effective.
« Euh, moi, mes travailleuses sociales, honnêtement, elles étaient un peu froides. Y en a juste eu une, vers la fin, qui était un petit peu plus chaleureuse, qui respectait, dans le fond ; elle a me donnait toutes les informations que je devais avoir. Par exemple, avant elle, je ne savais pas qu’un plan d’intervention, on n’était pas obligé de le signer. Je l’ai su à l’âge de 16 ans. Fait que, celle-là, je l’ai vraiment plus appréciée que les autres. Puis, en tout, je me rappelle juste de deux travailleurs sociaux, parce que les autres venaient, un, deux, trois fois, puis ils repartaient, puis là j’en avais une autre. » (J7)
« Sinon, on m’a souvent proposé des services psychologiques. J’ai toujours refusé parce que tsé moi je comprenais pas nécessairement, à ce moment-là, un psychologue ça servait à quoi. Fait que tsé, j’ai tout le temps refusé, je pense que j’avais plus peur qu’autre chose. » (J7)
34Il ressort que l’écoute active des jeunes personnes ne signifie pas nécessairement se conformer à toutes leurs demandes mais plutôt considérer leur perspective dans un cadre plus large tenant compte de ce qui est bénéfique pour elles, notamment en ce qui concerne les contacts avec leurs parents ou leur désir de retourner à la maison.
« Puis, l’intervenante était tellement occupée qu’elle venait nous voir, elle nous amenait manger au McDo, “T’aimes-tu ça aller chez ton père ?” “Ben, oui…” “T’aimes-tu ça aller chez ta mère ?” “Ben oui, moi je veux retourner habiter chez maman, puis papa n’importe quand” […] Fait que tsé, en tout cas, parce que je sais qu’il y a une partie aussi que, je sais que là ils se questionnent, “tsé, on doit plus écouter l’enfant, on doit l’écouter”. Oui, on doit l’écouter, mais l’enfant ça reste que ça reste un enfant, puis il n’a pas une compréhension d’adulte aussi tsé. Fait que je trouve que c’est un point qui est important à soulever parce que des fois on veut en tant qu’enfant mais ce n’est pas ce qui est bon pour nous tsé. » (J2)
35Dans ces situations, même lorsque la personne intervenante décide de prendre une décision qui ne correspond pas à ce que la jeune personne souhaite, il est fondamental de lui expliquer les raisons pour lesquelles une décision différente a été prise.
« Commence par consulter le jeune avant de prendre une décision. Je dis pas que ça va être la décision qui va être la meilleure pour le jeune, mais commence par consulter le jeune, après le jeune va pouvoir te le dire. Après, tsé, explique au jeune, j’ai pris cette décision-là pour telles, telles raisons. » (J18)
« Je pense que c’était ça, ouais, sûrement, mais moi je voyais plus ça comme, moi, je pense que ce que j’aurais aimé c’est que, peut-être que, on me laisse à l’hôpital, quitte à m’envoyer dans un centre psychiatrique, je sais pas là, mais qu’on prenne le temps de s’asseoir avec moi, puis qu’on me parle, mais ça c’est quelque chose que j’ai dit après. » (J11)
36Certains jeunes expliquent également qu’il est important que l’environnement de ces interactions cliniques soit propice à leur participation. La présence d’autres adultes lors des rencontres peut inhiber l’expression libre, comme le rapporte un jeune, suggérant un besoin d’espaces privés et sécurisés pour ces échanges.
« Tsé, moi personnellement, le seul défaut dans mon parcours de famille d’accueil que j’ai peut-être moins apprécié, c’est le fait que, quand moi mes intervenants y venaient, j’ai jamais vraiment parlé. Je gardais tout pour moi, d’un parce que ma mère de famille d’accueil était tout le temps là, tout le temps à côté de moi. Fait que je me sentais pas, tsé je pouvais rien dire parce que je le savais qu’elle allait le prendre personnel, puis je ne voulais pas faire de peine. Fait que tsé, j’ai jamais parlé. Moi, à chaque fois qu’on me posait des questions, je répondais tout le temps “Ah, je sais pas” juste “Je sais pas”. Mais, dans le fond je le savais, j’étais juste pas confortable qu’elle soit là. Puis, on ne m’a jamais proposé “Ah, veux-tu une rencontre tout seul ?” Tsé, ça, on me l’a jamais proposé, j’aurais aimé qu’on me propose. Ça aurait été plus facile de dire “oui” que de dire “ah, j’aime pas ça qu’elle soit là” tsé. » (J7)
37Ces témoignages mettent en évidence une nécessité d’adapter les pratiques cliniques pour favoriser une participation plus significative des jeunes dans le processus clinique.
38La variabilité de la participation des jeunes personnes placées constitue un élément crucial, mais souvent négligé, de leur vécu. D’une institution à l’autre, d’une famille à l’autre, et même d’une ville à une autre, les chances de participer peuvent différer de façon notable. Cette disparité peut découler de plusieurs facteurs, notamment des ressources dont dispose chaque établissement, qui peuvent influencer les types d’activités proposées aux jeunes. La culture participative de l’institution semble jouer également un rôle dans cette variabilité. Certaines appliquent des règles strictes limitant les déplacements des jeunes ou restreignant leur accès à certaines activités, en fonction de leur comportement ou de leur passé. En revanche, d’autres privilégient une approche plus souple, favorisant activement l’engagement des jeunes dans une diversité d’activités.
« C’est sûr que généralement ça dépend des centres et des villes que j’étais. Quand j’étais plus dans le Nord […] je ne pouvais pas faire d’activités, je ne pouvais pas aller à l’école à l’extérieur. Tsé, c’est des villes qui n’ont pas grand-chose. Donc, c’est sûr que mon dernier placement, le plus gros, le plus officiel […] ça m’a permis d’aller dans des vraies écoles régulières, ça m’a permis de faire des activités à l’extérieur et tout. Fait que à ce moment-là, c’était le fun. » (J5)
- 4 Un centre de réadaptation est un milieu de vie institutionnel qui offre un soutien spécifique aux j (...)
39Un contraste notable émerge entre les expériences vécues dans les foyers de groupe et celles vécues dans les centres de réadaptation4. Les jeunes personnes placées dans des foyers rapportent souvent une plus grande ouverture au dialogue, une meilleure considération de leurs opinions et besoins, ainsi qu’une plus grande possibilité de participation sociale.
« Puis, euh, mon expérience en foyer de groupe, c’était différent du centre jeunesse. C’était moins strict, euh, c’était plus de liberté […]. Je passais du foyer pour aller à l’école, puis ils me faisaient énormément confiance, euh, j’ai aimé énormément mon expérience en foyer de groupe aussi. » (J8)
« Pis chu quand même calme. Facque c’est ça ils, ils m’ont dit qu’ils allaient me mettre en foyer mais moi j’étais contente parce qu’il y a plus de libertés et tout. […] Ben le foyer c’était cool, c’tait vraiment cool le foyer ouais. On avait beaucoup plus de libertés, les filles elles étaient cool. » (J3)
40Dans les foyers, les jeunes rapportent souvent une atmosphère moins rigide, marquée par une plus grande liberté et plus de confiance de la part du personnel intervenant. Cette approche plus flexible favorise un climat dans lequel les jeunes personnes se sentent valorisées et écoutées, leur expérience individuelle étant prise en compte dans le quotidien du foyer. En effet, certains jeunes ont témoigné de leur expérience d’influence directe sur les règles et les normes de leur environnement de vie dans certains foyers. Par exemple, dans le cadre d’un projet pilote pour jeunes dans un foyer de santé mentale, les jeunes ne se contentent pas de suivre les règles établies par le personnel intervenant, mais jouent un rôle actif dans leur création et leur adaptation.
« [Au foyer] J’avais une place pour m’exprimer parce que les intervenants prenaient souvent en considération ce que je disais. […] Les jeunes, c’est nous autres, qui créaient les règles, c’est même pas les intervenants, c’est nous autres. Il y avait quelques règles qu’eux créaient, comme manger, toutes ses affaires-là tsé, pas manger dans le salon, mais même à ça, on les a bougées ces règles-là parce qu’on s’est dit “Écoute, tsé, on est capables de le faire”. » (J18)
41Ce contexte semble refléter un environnement plus propice au développement personnel et à l’intégration sociale. Cette dynamique participative paraît renforcer le sentiment d’agentivité des jeunes personnes, leur montrant qu’elles ont non seulement une voix, mais aussi un pouvoir d’action sur leur environnement immédiat.
42À l’opposé, les jeunes personnes placées dans les centres de réadaptation ont fréquemment mentionné se sentir limitées dans leur capacité à s’exprimer et, plus encore, à influencer les aspects quotidiens et critiques de leur existence. Cela dépendait du type de gradation de la sécurité du centre, qui pouvait passer d’un système ouvert à un système fermé, ce dernier étant considéré comme moins favorable à la participation.
« [La participation varie] en fonction de ça. En même temps, aussi, ça dépendait, est-ce que j’étais en centre ouvert ou fermé, comme qu’on dit dans le milieu. J’ai quand même été en centre fermé pendant deux ans. […] c’était la parfaite dictature. » (J11)
43L’expérience de placement dans des centres de réadaptation est souvent décrite comme étant plus restrictive, et offrant moins d’occasions de participer activement aux discussions ou aux prises de décisions importantes. En effet, les jeunes personnes s’y sentent souvent ignorées ou marginalisées dans les discussions importantes. Un participant explique que leur marge de manœuvre était limitée à des choix plus triviaux de la vie en centre, mais qu’il n’y avait pas de place pour participer aux décisions jugées fondamentales pour mener une vie dite plus « normale ».
« Tsé, des petits trucs, genre, pas de ballon chasseur à soir. On négocie pour du hockey, exemple, pour l’heure de sport dans les centres. Ça, c’était négociable, puis on s’en sortait quand même bien parce qu’en réalité eux, ils s’en foutent là, que soit du ballon chasseur ou du hockey. Mais, genre, aller voir tes parents plus souvent ou avoir des sorties, des heures de sortie, ça, c’est catastrophique, négocier ça, tout ce qui est heure, pouvoir aller voir tes parents, revenir plus tard, mettons, des changements à ce niveau-là, des changements qui sont plus, je ne dirais pas dramatiques, mais plus orientés vers une vie normale, ça, il n’y avait pas moyen de rien faire de ça. » (J5)
44Dans ce contexte, de nombreux jeunes expriment ressentir une certaine déconnexion avec le monde extérieur. Leur placement dans des centres de réadaptation peut souvent les couper de la société et limiter leur participation sociale. En effet, ces centres peuvent créer un environnement clos où les jeunes ont peu d’opportunités d’interagir avec la société au sens large.
« C’est pas comme si j’étais chez mes parents non plus, mais c’était chiant pas mal comme tous les jeunes là parce que tu sors pas pis tu fais toutes les activités là-bas, pis tu fais l’école là-bas. Qu’aussi pendant les premiers mois ils ne voulaient pas me laisser sortir. Comme avoir des sorties. » (J3)
45Cette déconnexion les prive d’un accès essentiel à des sources d’information et de réseautage, indispensables pour la socialisation et la participation sociale. Un jeune explique que l’incapacité à utiliser les outils en ligne peut placer les jeunes dans une situation de désavantage significatif et les limiter dans leur accès à certains apprentissages, pourtant plus accessibles pour les jeunes de la population générale (par exemple, à travers des vidéos sur YouTube). Leur principale source d’apprentissage provenait d’autres jeunes personnes placées, ce qui peut renforcer leur sentiment de marginalisation et d’exclusion de la société.
« Il ne faut pas oublier qu’en centre jeunesse, l’accès à Internet est très faible, voire pas du tout. On n’a souvent même pas de cellulaire. Tsé, aujourd’hui quelqu’un qui vit chez ses parents, il a accès à Internet, il a accès à YouTube, tu peux apprendre plein d’affaires sur YouTube, ’bien sur Internet tout court. Ils ont accès à des cellulaires, donc s’ils ont des questions, ils peuvent demander à leurs parents ou à leurs amis via un SMS qui s’envoie en même pas 3 secondes. Tandis que quand tu es en centre jeunesse, on n’avait pas de cellulaire, on n’avait pas d’Internet, on n’avait pas de YouTube. Donc, il fallait, tout ce que j’ai appris, je l’ai appris des autres jeunes là tsé. Je n’ai rien réellement appris des intervenants. » (J5)
46Plusieurs jeunes personnes disent néanmoins avoir eu accès à de nombreuses activités et en sont reconnaissantes. Cependant, elles regrettent souvent que ces activités n’aient pas nécessairement correspondu à leurs préférences et de ne pas avoir participé à la décision concernant les options d’activités, que ce soit au centre ou dans les activités parascolaires, choisies par le personnel professionnel.
« C’est sûr qu’à l’intérieur même des centres, on faisait quand même des activités, du sport quand c’était possible […]. Justement, dans ce centre-là, on avait des gymnases intégrés à l’intérieur même du centre. […] J’ai fait même plus de sport, puis de jeux de société que du monde qui aurait, qui sont à la maison. Donc, j’ai quand même beaucoup développé à ce moment-là, mes capacités. […] Est-ce que c’était nécessairement ça que je voulais ? Non. Ça, c’est ça qui est dommage. C’est que c’est tout le temps choisi par, justement le centre. Puis, même quand c’est à l’extérieur, bien vu que ce n’est pas toi qui paies souvent, que ça soit les activités parascolaires, puis tout, ce n’était pas moi qui choisissais non plus. Fait que je n’ai pas vraiment choisi ce que je voulais, au moins jusqu’à 16 ans. » (J5)
47Souvent, la possibilité de s’exprimer ou de participer à des activités était subordonnée aux comportements. Ainsi, les jeunes qui se comportaient bien ou se conformaient aux normes avaient accès à certaines activités ou même la possibilité d’exprimer leur opinion.
« Moi, je ne participais pas vraiment durant mon placement. J’étais plutôt le gars qui fuguait des centres jeunesse fermés donc. […] J’ai tout le temps pas aimé comme l’autorité sur moi, ça a été la même affaire avant mon placement et durant mon placement, c’était juste pire. » (J9)
48Cette réalité s’observe également dans le contexte scolaire. Par exemple, un jeune raconte que pendant son placement, il ne lui était pas permis d’aller à l’école après avoir eu une crise. Cela, de son point de vue, marquait une grande inégalité avec les jeunes personnes en dehors du système, car non seulement il sentait qu’elles étaient traitées différemment, mais en plus, lors de son retour, il n’y avait pas de soutien pour se reprendre.
« Puis, ça arrêtait là, c’est ça, tsé, des semaines complètes que j’ai manqué l’école parce que ce n’était pas possible d’y aller ou parce que les centres jeunesse quand tu fais des crises ou quoi que ce soit, ils se donnent le droit par exemple, de te garder à l’intérieur, puis de ne pas t’envoyer à l’école. […] puis quand l’école voit que tu es à la DPJ, bien, pour l’école, eux autres, ils s’en foutent, parce que pour eux, tu n’es pas un élève normal, fait que tu sois là ou pas, ça ne change rien. Tandis que quand tu es chez tes parents, si tu manques l’école souvent, bien là tsé, ils te donnent des récupérations, ils te permettent de voir, tsé ils s’inquiètent si on veut. Mais, quand tu es dans les centres jeunesse, tu n’as pas de récupération, tu retournes à l’école où qu’ils sont rendus, puis tu t’arranges avec ça là. » (J5)
49Il est intéressant de noter que malgré les récits souvent mitigés des jeunes personnes placées en centres de réadaptation, certaines d’entre elles, même si peu nombreuses, témoignent d’expériences positives de participation qui leur ont semblé significatives. Quelques-unes rapportent avoir été impliquées dans la prise de décisions concernant les activités programmées dans leur lieu de vie. Cette implication dépasse parfois les frontières des établissements, s’étendant même à des choix d’activités à l’extérieur. Ayant pu contribuer activement à la planification des activités, ces jeunes ont senti que la programmation était organisée en fonction de leurs préférences et besoins.
« Puis, est-ce qu’on a été impliqués, je dirais en famille d’accueil non, mais la plus belle expérience que j’ai c’est vraiment en centre jeunesse là où est-ce que je pense qu’on était comme plus considérés. […] Ils nous demandaient, tsé, quel genre d’activités qu’on voulait faire, si ça nous tentait, ils nous impliquaient dans toutes mettons, tsé autant, tsé je veux dire mettons, on sortait comme je pense genre le vendredi, tsé on allait comme en autobus faire la marche-dépanneur qu’eux autres ils appellent là. Fait qu’après ça pour la programmation des activités ils nous donnaient toujours un choix. » (J17)
« En fait, eux, ils étaient vraiment ouverts par rapport à toutes les activités que je voulais essayer. Ils m’ont jamais dit non. J’ai tout fait ce que je voulais faire. Donc, là-dessus, je suis vraiment reconnaissante […] tsé, moi j’étais vraiment sportive au secondaire. Puis, je pense que le sport m’a justement permis d’évacuer toutes les mauvaises émotions que je pouvais garder à l’intérieur de moi. […] Puis, je me suis fait aussi des amis dans le sport, donc c’était un petit peu plus facile. » (J7)
50Dans l’ensemble, la variabilité de la participation des jeunes personnes placées dans leurs milieux de vie ressort clairement à travers leurs témoignages. Les différences notables d’un établissement à l’autre, ainsi que les disparités dans les opportunités de participation, soulignent l’importance des facteurs contextuels dans leur existence. Alors que certaines ont la possibilité de contribuer activement aux décisions et aux activités de leur lieu de vie, d’autres se sentent limitées dans leur capacité à s’exprimer et à influencer les aspects essentiels de leur quotidien. Cette variabilité met en lumière les défis et les enjeux de la participation des jeunes personnes placées.
51La participation des jeunes dans les décisions les concernant, ou son absence, a un impact profond sur leur sentiment d’agentivité, leur bien-être et leur processus de transition vers la vie adulte. Certaines jeunes personnes ont eu la possibilité de vivre des expériences de participation dont elles estiment que les impacts ont été positifs sur elles. Elles expliquent que lorsqu’elles se sont senties écoutées et impliquées dans les décisions, cela a contribué à renforcer leur sentiment d’appartenance et d’agentivité personnelle. Elles rapportent avoir développé un plus grand sentiment d’appartenance dans leurs environnements et un engagement accru dans leur processus clinique. C’est le cas d’une jeune femme qui attribue sa résilience et sa force à son expérience en centre de jeunesse.
« Ils m’ont vraiment permis énormément de trucs […] ils me permettaient d’aller prendre des marches, c’était… c’était vraiment cool, puis j’aimais ça, puis ils me permettaient aussi de m’exprimer. […] Je faisais du piano, puis je chantais, parce que, ils m’ont permis énormément de trucs. Puis, euh, j’ai vraiment aimé ça. C’est pas toutes les filles qui ont le droit, puis en foyer de groupe, ils me permettaient d’avoir mon cellulaire aussi, jusqu’à l’heure du coucher […] si j’aurais pas eu mon expérience en centre jeunesse, je le dis souvent, je ne serais pas la femme forte que je suis aujourd’hui et j’aurais pas la mentalité que j’ai. » (J8)
52Lorsque les personnes éducatrices et les travailleuses sociales facilitent la participation des jeunes personnes, ces dernières développent des relations de confiance et osent s’exprimer librement. Cela garantit des décisions prises dans le cadre du processus clinique alignées sur les besoins des jeunes, tout en les encourageant à s’impliquer activement dans le processus.
« Ça été là où je me suis ouvert à elle, c’est là où j’ai toute déballé mon sac […] Fait que là, ensuite, le lendemain, on a mis des plans de match, elle est devenue […] mon éducateur de suivi, c’est elle qui a pris en charge mon dossier. […] Elle a commencé à me donner beaucoup plus de liberté. Elle m’a donné des thérapies, en tout cas, elle m’a aidé à faire du… elle m’a inscrit dans un cours de yoga, elle m’a inscrit dans un cours de méditation, pendant que j’avais des cours de danse, aussi, quoi d’autre qu’elle a fait ? Elle a mis des moyens en place, elle m’a fait un plan d’intervention avec des moyens pour m’aider. » (J11)
53Les jeunes impliqués dans des comités des usagers ou des résidents ont exprimé que leur participation leur donnait une voix dans les affaires les affectant directement et leur permettait de plaider pour des améliorations de leurs conditions de vie dans les milieux de vie, comme de meilleurs matelas et des activités plus engageantes, conduisant à des changements tangibles dans leur environnement. Les rencontres de personnes résidentes permettaient de participer collectivement au processus décisionnel sur leur milieu et de recueillir les opinions pour les rapporter au comité des personnes usagères.
« À partir de 12 ans, dans les foyers 12-18, y a toujours une réunion de résidents. […] elle permet d’un, tous se voir, de deux, elle permet de pouvoir être en groupe pour pouvoir décider des trucs parce que tsé, dans les foyers, on a un bassin intéressant de gens, tsé c’est pas tous les mêmes qui ont les mêmes préoccupations, mais chacun a droit à son droit de parole pour certaines préoccupations. […] ça permettait aussi au représentant, en occurrence moi, de pouvoir poser mes questions qui venaient du Comité des résidents du mois dernier et d’avoir l’opinion des jeunes. […] c’est pas imposé pour nous, c’est plus un moyen pour nous de se voir. » (J18)
54L’engagement dans ces comités a permis aux jeunes personnes de développer des compétences de vie importantes, y compris la négociation, l’expression publique et la résolution de problèmes. Elles y ont appris à naviguer dans les systèmes et à plaider efficacement pour leurs besoins, ce qui contribue à un plus grand sentiment d’auto-efficacité.
55Toutefois, plusieurs des jeunes personnes sollicitées dans cette enquête ont eu très peu d’espaces de participation, ce qui a eu des conséquences importantes sur leur développement personnel et leur bien-être. Certaines rapportent que l’impossibilité de faire entendre leur voix les a entraînées dans un repli sur soi et un désarroi, où le désir de communiquer leurs expériences et leurs besoins s’est progressivement éteint. Ce silence, résultant du manque d’espaces adaptés à l’expression de leurs besoins, les a poussées à s’isoler, témoignant d’un environnement peu propice à leur expression et désocialisant.
« Fait que tsé, moi honnêtement, je me suis, pendant toute mon adolescence, j’ai jamais senti que je pouvais m’exprimer. Tsé, j’ai même développé des symptômes dépressifs. Puis, quand j’ai voulu en parler, la réponse qu’on m’a dit c’est que je cherchais l’attention. Donc, j’ai arrêté d’en parler, puis euh, tsé j’avais même ma travailleuse sociale qui était venue me voir, puis qui m’avait dit que la prochaine fois que j’allais en parler, j’allais me retrouver en foyer d’accueil. Donc à ce moment-là, moi j’ai juste arrêté de parler. J’ai gardé mes problèmes pour moi […], j’ai souvent juste dû arrêter de parler parce que personne répondait vraiment à mon besoin de m’exprimer. » (J7)
« En arrivant ici, je me suis fait énormément intimider, même quand j’en parlais, personne faisait rien, puis tsé je pense que c’est à ce moment-là que j’ai compris que je pouvais pas vraiment compter sur eux parce que tsé, j’essayais quand même, mais non tsé, ç’a vraiment été négatif. » (J7)
56Cette absence de participation suscite chez les jeunes un désintérêt envers les résultats des décisions prises sans leur implication, alimentant ainsi un sentiment d’aliénation par rapport à leur propre vie. L’expérience d’une jeune personne illustre cette réalité ; n’ayant pas été impliquée dans l’élaboration de son plan d’intervention ni dans le choix des objectifs qui y sont fixés, elle ne s’est jamais investie dans ce processus et remet en question la légitimité des décisions prises en son absence.
« Comme mon plan d’intervention, par rapport aux objectifs, j’ai jamais participé. On m’a tout le temps, c’est tout le temps ma mère de famille d’accueil qui a dit “Ah, elle pourrait améliorer ça, elle pourrait améliorer ci”, mais moi j’ai jamais été en accord avec ce qui a été écrit sur la feuille, donc j’ai jamais essayé d’améliorer quoi que ce soit. » (J7)
57En l’absence de canaux pour une expression libre et sérieuse, les jeunes développent une perception de marginalisation au sein des structures censées les protéger et les soutenir. Cette situation peut engendrer un sentiment d’impuissance, une perte de confiance en soi, ou conduire à des comportements d’opposition ou de passivité vis-à-vis du processus d’intervention.
« En fait j’allais [nom de l’école], quand que j’étais [en foyer], je vivais de l’abus physique, mais ça, puis j’en parlais à ma travailleuse sociale […] Fait que là, moi je suis retournée là, j’ai vécu encore plus d’intimidation, […] j’étais toute déboussolée, je pétais des coches parce que j’arrivais pas à m’exprimer, puis quand je réussissais à m’exprimer c’était soit que j’étais un show, soit je dramatisais […] Fait que tsé, c’est, on dirait personne essayait de me m’écouter, j’étais juste toujours en réaction […] j’étais comme une boule que tu secouais puis qu’a pouvait crinquer n’importe quand. » (J11)
58Les impacts du manque de participation des jeunes dans le système de protection ne se limitent pas seulement à leurs expériences pendant le placement, mais affectent également significativement leur transition vers l’âge adulte une fois qu’ils sortent du système. Cette transition peut être particulièrement difficile pour les jeunes qui ont connu un manque d’opportunités de participer et de prendre des décisions pendant leur placement.
59Les jeunes personnes expriment que le manque d’espaces pour participer et prendre des décisions les laisse dans une situation de plus grande vulnérabilité. Elles se sentent mal préparées à affronter les défis de la vie quotidienne, n’ayant pas eu la chance de développer des compétences en prise de décision et en autonomie. Même des tâches apparemment simples, comme faire des courses, gérer leur budget ou cuisiner, peuvent leur sembler écrasantes. Pendant leur placement, elles ont reçu très peu de préparation à la participation dans la société et se sentent en conséquence mal préparées voire non préparées à la vie autonome, ne connaissant pas les ressources disponibles pour les aider ou la manière dont on peut y accéder.
« J’ai appris mettons des activités que les intervenants faisaient mais ce n’était pas nécessairement des activités en lien avec la majorité. […] j’étais rendu bon à Mario Kart sur la Wii, mais c’était dans ces années-là, puis j’étais rendu bon au hockey, puis au basket. Puis, c’est à peu près tout ce que je pouvais faire à 18 ans. Ça ne me rapportait pas d’argent, ça ne me rapportait pas un logement, ça. […] Les centres jeunesse, on n’apprend rien du tout […] sinon les vrais trucs, que ça soit prendre un budget, que ça soit te faire faire un CV pour aller travailler […] tsé tout ce que j’ai appris, je l’ai appris par moi-même […] Tsé, même faire ma barbe exemple, je cherchais, faire ma barbe, c’est niaiseux, mais c’est un jeune qui me l’a appris parce que lui arrivait à 18 ans, puis il se l’était fait apprendre […] Ce n’est rien que pour donner c’est un exemple concret d’un truc que tu es supposé de travailler pendant la puberté, donc, bien c’est ça. » (J5)
60Le manque de préparation à la vie adulte et à la participation sociale pendant leur placement entraîne chez les jeunes personnes un profond sentiment d’angoisse au moment où elles doivent quitter le système et transitionner vers la vie adulte. Elles se retrouvent soudainement confrontées à la perspective d’être livrées à elles-mêmes, sans avoir été équipées des compétences nécessaires pour naviguer dans le monde social. Ce manque de préparation les laisse seules, déconcertées et incertaines quant à la manière de participer pleinement à la société en dehors du système de protection. Elles regrettent de ne pas avoir eu la possibilité de bénéficier d’une socialisation qui les aurait aidées dans cette transition.
« C’est tu moi ou on est comme un, en tout cas, moi c’est l’expression que j’aime dire à mes amis proches, mais là je vais m’le permettre de te le dire à toi, sûrement tu me comprends, on se sent comme un chien qui est envoyé dans l’eau, puis qui a la tête sortie de l’eau, puis qui patauge pour essayer de se rendre jusqu’au rivage. » (J11)
61Permettant de rendre compte des expériences de participation des jeunes pendant leur placement en protection de la jeunesse, les résultats mettent en lumière la variabilité de ces expériences, mais montrent que la participation demeure très faible malgré les discours politiques et cliniques qui en font la promotion.
62Les résultats présentés dans cet article exposent les expériences de participation des jeunes durant leur placement en protection de la jeunesse. Ils confirment les constats du rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ, 2021), révélant que, malgré les politiques favorisant la participation des jeunes, une asymétrie relationnelle et une primauté du point de vue des adultes persistent dans le système de protection de la jeunesse (Alvarez-Lizotte et Caron, 2022). Cette situation reflète un écart notable entre les discours et la pratique, avec de nombreuses jeunes personnes se sentant marginalisées et exclues des décisions les affectant (Alfandari, 2017b ; Lacroix et al., 2020 ; McPherson et al., 2021 ; Rap et al., 2019) ou limitées à prendre des décisions plus superficielles (McPherson et al., 2021). Cela peut avoir des conséquences négatives sur leur bien-être, entraînant des sentiments d’impuissance (Bessell, 2011), de frustration, un repli sur soi, et des comportements réactifs ou passifs face aux interventions (ten Brummelaar et al., 2018).
63L’étude met également en évidence des disparités significatives dans les expériences de participation des jeunes, influencées par leur contexte de placement, les conditions institutionnelles, la culture de l’institution, et les attitudes du personnel professionnel. Cette variabilité soulève des questions importantes sur l’équité, l’inclusion et l’accès à la participation pour toutes les jeunes personnes en protection de la jeunesse. Ces observations soulignent l’importance de reconnaître les jeunes comme des personnes actrices compétentes dans l’exercice de leur citoyenneté (Paré et Bé, 2020) et de réfléchir aux moyens de promouvoir la participation au sein des différentes structures d’accueil, afin d’assurer une expérience de participation équitable et inclusive pour l’ensemble des jeunes, indépendamment de leur conformité aux normes établies.
64Les résultats de l’étude renforcent l’idée que la participation active des jeunes dans les décisions les concernant est cruciale pour leur développement personnel et social, et essentielle pour répondre de manière adaptée à leurs besoins (Cashmore, 2002 ; ten Brummelaar et al., 2018). Cela nécessite une relation de confiance et de proximité des jeunes avec les personnes professionnelles (Augsberger, 2014 ; Niang et al., 2023 ; Sinclair et al., 2019 ; ten Brummelaar et al., 2018), le développement de pratiques d’écoute active et la prise en compte sérieuse de leurs perspectives dans les processus décisionnels, ainsi que la mise en place de moyens efficaces pour que ces jeunes puissent exercer leurs droits et exprimer leurs préoccupations. Les témoignages recueillis auprès des jeunes démontrent comment une participation significative dans le processus clinique, la vie quotidienne dans leurs milieux de placement et dans la société peuvent renforcer leur sentiment d’agentivité et contribuer à leur résilience (McPherson et al., 2021), améliorer la confiance en soi, l’estime de soi, et le sentiment de contrôle sur leur propre vie (Healy et Darlington, 2009 ; Rap et al., 2019).
65La participation sociale, entre autres au travers de la création d’environnements de placement qui favorisent la participation sociale des jeunes, est un élément essentiel du développement des jeunes personnes. À travers les interactions avec les autres et l’engagement dans des activités significatives, la création de liens avec la communauté locale, l’organisation d’activités sociales et récréatives au sein des milieux d’accueil, ainsi que la promotion d’opportunités d’engagement civique et de bénévolat, elles apprennent à naviguer dans le monde qui les entoure, à développer des compétences sociales, à se préparer à leur future indépendance et à renforcer leur autonomie décisionnelle (Cashmore, 2002 ; Lansdown, 2005 ; ten Brummelaar et al., 2018). Les résultats de cette étude mettent en lumière l’importance de la participation des jeunes personnes en protection de la jeunesse, non seulement comme un droit fondamental, mais aussi comme un levier de socialisation (Eudier, 2007). Lorsqu’elles sont privées des possibilités d’exercer leur droit à participer, leurs possibilités de s’intégrer et de contribuer à la société peuvent être compromises. En offrant aux jeunes personnes des occasions de s’impliquer activement dans la société, cette dernière devient un espace dans lequel elles peuvent se sentir connectées, valorisées et pleinement intégrées dans leur communauté. En mettant l’accent sur la participation des jeunes comme levier de transformation sociale, il est possible de contribuer à une transition plus réussie vers l’âge adulte pour les jeunes personnes placées en protection de la jeunesse, tout en renforçant leur capacité à devenir des personnes citoyennes actives et engagées (Lacroix et al., 2020).
66En conclusion, les implications de ces résultats sont multiples. Premièrement, il est essentiel de reconnaître et de valoriser la voix des jeunes dans toutes les sphères du système de protection de la jeunesse. Cela nécessite une réflexion approfondie sur les pratiques professionnelles et organisationnelles pour s’assurer que les jeunes personnes ne soient pas seulement consultées, mais activement impliquées dans les décisions qui les concernent. Deuxièmement, il est important de développer et de renforcer les mécanismes permettant une participation effective des jeunes, en tenant compte de leurs besoins, de leur âge et de leur niveau de maturité (Rap et al., 2019). Cela pourrait inclure la formation du personnel professionnel à l’approche centrée sur le jeune, la mise en place de structures de participation dans les milieux de placement et l’encouragement des initiatives menées par les jeunes. Pour arriver à des changements cohérents et durables, un engagement collectif des académiques, des personnes professionnelles des milieux de pratique institutionnels, des milieux communautaires, de la population en général, des décideurs politiques et des jeunes personnes elles-mêmes est nécessaire pour travailler ensemble à l’amélioration des pratiques de participation dans le système de protection de la jeunesse. Cette recherche propose un changement de paradigme en matière de participation des jeunes dans l’intervention et la recherche, en les intégrant pleinement au processus clinique et de recherche, ainsi qu’aux décisions critiques qui en résultent.