- 1 Le terme « familiers » désigne « les personnes avec lesquelles l’enfant ou le jeune a des liens aff (...)
1En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), le décret portant le Code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la Jeunesse présente la participation des usagers comme l’un de ses principes directeurs (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018). Cependant, la notion de participation n’a pas toujours été mentionnée dans les textes légaux relatifs au secteur de l’Aide à la jeunesse. La loi du 15 mai 1912 est la première loi qui aborde la thématique de la protection de l’enfance, en Belgique. S’inscrivant dans une logique essentiellement pénale et répressive (Papazoglou, 2019), elle a pour finalité principale de lutter contre la délinquance juvénile (Moreau, 2016). Par la suite, la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse a consolidé cet objectif tout en introduisant une nouvelle approche. Elle met l’accent sur la prévention de la délinquance juvénile, instaure un tribunal de la jeunesse, axe son travail sur les familles (Papazoglou, 2019), et introduit la notion de mineur en danger (Moreau, 2016). En 1980, un transfert de compétences permet aux trois communautés fédérées de Belgique de légiférer en matière d’aide et de protection de la jeunesse (Papazoglou, 2019). La notion de participation transparaît alors à travers la prise en compte du mineur, en fonction de ses capacités, ainsi que de ses parents, comme parties prenantes dans sa prise en charge. Les années 1980 constituent également la période de l’avènement des droits de l’enfant à travers la signature de la Convention relative aux droits de l’enfant (Moreau, 2016). Cette convention internationale met en avant, pour les mineurs, la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs avis sur les interventions les concernant, ainsi que la reconnaissance de leur droit à participer à la vie de la collectivité, à la vie culturelle, etc. (Convention internationale relative aux droits de l’enfant, 1989). Le 4 mars 1991, un décret inspiré de cette convention est adopté par la Communauté française, réorientant l’action du secteur de l’Aide à la jeunesse selon plusieurs principes fondamentaux : la déjudiciarisation, la subsidiarité de l’aide contrainte par rapport à l’aide consentie, la priorité donnée à la prévention générale et l’aide en milieu de vie. Ce même décret amène également un esprit d’association et de participation des jeunes et de leurs familiers1 à l’élaboration et à l’exécution des mesures d’aide mises en œuvre en leur faveur (Ministère de la Communauté française, décret du 4 mars 1991). Par la suite, en 2018, un nouveau décret conserve et renforce la philosophie et les principes prévus par le décret du 4 mars 1991 et la loi du 8 avril 1965 (Papazoglou, 2019). La participation des bénéficiaires y est alors présentée comme vecteur de l’amélioration constante de la qualité de la prévention, de l’aide et de la protection apportées aux enfants, aux jeunes et à leur famille (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018).
2La participation est un processus qui demande du temps et qui doit constamment être actualisé et amélioré (Barissat et al., 2005). Dans le domaine du travail social, elle se définit comme l’implication des individus dans l’intervention et leur contribution aux prises de décision qui les concernent (Stark, 2011). En ce sens, la participation permet aux usagers d’être associés à l’élaboration de leur projet, de coconstruire et de coévaluer leur plan d’accompagnement (Loubat, 2019), permettant ainsi le passage d’une position passive à une position d’acteur (De Robertis, 2007). Toutefois, si cette approche de la participation induit le consentement des personnes vis-à-vis de l’aide qui leur est proposée, de nombreuses interventions sociales s’exercent également dans la contrainte. Dans le cadre de la protection de l’enfance et de la jeunesse, obliger une personne à se faire aider est une pratique courante. Les autorités judiciaires ou administratives ont recours à l’aide contrainte dans l’optique de transformer la personne et de susciter chez elle l’envie de changer. Alors que certaines personnes adhèrent à cette aide, d’autres adoptent une position de refus, de repli, voire feignent leur adhésion (Hardy, 2012), impactant de fait leur participation (Anesm, 2014), d’autant plus que celle-ci ne peut être imposée (Barissat et al., 2005).
3Au sein de la FWB, certains services peuvent être mandatés pour apporter une aide aux enfants, à leurs familles et familiers. C’est le cas des services d’accompagnement socio-éducatif (SASE) qui interviennent dans le milieu de vie des jeunes et des familles, en dehors des contextes de placement. Ces services ont pour mission d’offrir une aide éducative permettant d’améliorer les conditions d’éducation de l’enfant quand elles sont compromises soit par le comportement de l’enfant lui-même, soit par les difficultés rencontrées dans l’exécution de leurs obligations par les personnes qui assument en droit ou en fait l’hébergement de l’enfant (Ministère de la Communauté française, arrêté du 5 décembre 2018). Les SASE peuvent être mandatés, dans le cadre d’une aide consentie, par le Service d’aide à la jeunesse (SAJ) ou, dans le cadre d’une aide contrainte, par le Service de protection de la jeunesse (SPJ).
4Les SASE étant confrontés aux deux formes d’aide, et l’absence d’adhésion des parents aux mesures d’aide pouvant complexifier la perception qu’auront les professionnels de leur participation (Anesm, 2014), il est pertinent d’interroger l’impact de l’aide consentie et de l’aide contrainte sur la participation des usagers dans un tel contexte. C’est dans cette perspective que s’inscrit cette étude ayant pour objectif de comprendre de quelle manière les intervenants des SASE se représentent la participation des familles dans leur pratique professionnelle. Elle vise à répondre à la question suivante : comment les intervenants familiaux perçoivent-ils la participation des usagers dans les contextes d’aide consentie et d’aide contrainte au sein des services d’accompagnement socio-éducatif ?
5L’Aide à la jeunesse est constituée, en FWB, d’une multiplicité d’acteurs publics et privés dont l’objectif est de mettre en place une aide spécialisée au service des jeunes rencontrant des difficultés (Dormont, 2018). Le décret portant le Code de la prévention, de l’Aide à la jeunesse et de la protection de la Jeunesse répertorie les missions de ces acteurs dans cinq livres distincts : le premier est consacré à la prévention, le deuxième aux autorités administratives sociales, le troisième et le quatrième à l’aide à la jeunesse et à sa protection, et le dernier aux mesures de protection des jeunes ayant commis un fait qualifié d’infraction avant l’âge de 18 ans. Les personnes visées par ces actions sont âgées de moins de 18 ans, ou moins de 22 dans certaines conditions. Alors que le terme « enfant » est utilisé dans le cadre des mesures d’aide et de protection, le terme « jeune » est privilégié dans le cadre des actions de prévention et des mesures relatives aux mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018).
6Il existe principalement deux procédures en matière d’aide : l’aide consentie et l’aide contrainte. La distinction de ces deux mesures est fondamentale dans l’organisation de l’aide apportée au jeune et de sa protection (Delens-Ravier, 2003).
7L’aide consentie se caractérise par l’accord des parents et du jeune concernant les programmes d’aide mis en place et les mesures d’aide proposées par le SAJ (Goedseels et Ravier, 2020). En ce sens, l’aide consentie, négociée entre le conseiller SAJ, la famille ou les familiers, et éventuellement le jeune (Delens-Ravier, 2003), prévoit une collaboration entre les usagers et les services concernés dans l’objectif d’éviter une judiciarisation et un passage à l’aide contrainte (Bonjean et De Clercq, 2009). Le SAJ peut être informé des difficultés rencontrées par un jeune lorsqu’un signalement est effectué par des intervenants de première ligne tels que les centres psycho-médico-sociaux, un proche ou des intervenants extérieurs à la famille, comme les enseignants. Les parents sollicitent plus rarement l’aide de manière proactive par crainte des mesures qui pourraient découler de leur démarche (Delens-Ravier, 2003). Une fois la situation problématique portée à la connaissance du SAJ, et le programme d’aide négocié avec les personnes concernées (Ruppy, 2015), un mandat définissant les objectifs du travail à mener est mis en place (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018). Ensuite, selon la situation et l’accord convenu avec les parents, la mesure d’aide peut, par exemple, porter sur un écartement du jeune de son milieu de vie ou sur un accompagnement socio-éducatif de la famille à domicile.
8En revanche, l’aide contrainte, caractérisée par l’organisation de l’exécution de mesures de protection judiciaire (Jaspart, 2010), est considérée comme une condition à respecter, une règle obligatoire réduisant la liberté de l’individu (Bouquet, 2021). Ce type d’aide intervient en cas de danger grave pour le jeune et lorsque la collaboration est négligée ou refusée par les parents (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018). Dans cette situation, le dossier est transmis au tribunal de la jeunesse (TJ) et l’aide envers le jeune, sa famille ou ses familiers est alors imposée (Delens-Ravier, 2003). Le TJ peut en ce cas ordonner un accompagnement social, psychologique ou éducatif au jeune et à sa famille, voire procéder à un hébergement provisoire du jeune en dehors de son milieu de vie (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018). L’application des mesures ordonnées par le TJ est mise en œuvre par le SPJ (Ruppy, 2015).
9Que les situations soient traitées par le SAJ ou le SPJ, plusieurs solutions peuvent être proposées afin d’apporter une aide adéquate et cohérente en fonction des besoins de la famille (Bonjean et De Clercq, 2009). L’objectif premier des mesures est d’éviter un retrait de l’enfant de son milieu de vie (Goedseels et Ravier, 2020). Les SASE figurent parmi les services agréés pouvant être sollicités pour prendre en charge les situations en maintenant l’enfant dans son milieu de vie.
10Les SASE ont pour mission d’offrir une aide éducative permettant d’améliorer les conditions d’éducation de l’enfant quand elles sont compromises soit par le comportement de l’enfant lui-même, soit par les difficultés rencontrées dans l’exécution de leurs obligations par les personnes qui assument en droit ou en fait l’hébergement de l’enfant. Pour ce faire, ils apportent une aide ou une action éducative dans le milieu de vie du jeune, pour une durée maximale de 6 mois, renouvelable plusieurs fois (Ministère de la Communauté française, arrêté du 5 décembre 2018). Intervenant dans le cadre de l’application d’un mandat provenant du SAJ ou du SPJ, les SASE sont tenus d’adresser au mandant concerné un premier rapport au plus tard à la moitié du mandat, ainsi qu’un autre au moins cinq jours avant l’échéance de celui-ci. Des rapports complémentaires, contenant une analyse de la situation et les particularités de l’aide apportée, peuvent également être demandés en tout temps par l’autorité mandante (Ministère de la Communauté française, arrêté du 5 décembre 2018). La nature de l’aide éducative mise en place par les SASE se décline en différentes modalités variant selon les spécificités du mandat et les caractéristiques familiales. Elle repose principalement sur des rencontres à domicile avec les parents et les enfants, axées sur la transmission de conseils éducatifs portant, entre autres, sur les pratiques éducatives des parents ou sur la relation parents-enfants. Cette aide est souvent amorcée par un soutien socio-administratif, tel que des recherches d’école, un accompagnement dans des démarches auprès de services de première ligne ou un soutien dans des recherches d’activités (Messaoudi, 2023).
11La participation est un concept assez flou (Bouchard-Bastien et al., 2023), pouvant être défini comme un processus par lequel les personnes peuvent participer activement et véritablement aux questions les concernant et à la prise de décisions affectant leur vie (World Health Organization, 2002). Les individus ont ainsi la possibilité de contribuer à la recherche et à la mise en place de solutions liées aux décisions pour lesquelles le pouvoir des individus est inaliénable (Chiapparini et al., 2020 ; Zerbe et Lefèvre-Utile, 2021). La participation est alors caractérisée par une implication active, une mobilisation (Chevrier et Panet-Raymond, 2013) et une prise de pouvoir (Arnstein, 1969) des individus. En ce sens, elle met en valeur la place des individus conscients de leurs responsabilités, de leurs droits et de leur possibilité de concourir à l’amélioration de leur milieu de vie (Chevrier et Panet-Raymond, 2013).
12Les définitions multiples de la participation démontrent la complexité de ce concept (Carrel, 2013). Le décret portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la Jeunesse mettant l’accent sur le partenariat avec les parents (Ministère de la Communauté française, décret du 18 janvier 2018), leur participation est un élément essentiel pour caractériser les interventions socio-éducatives mises en œuvre à leur égard (Tillard, Vallerie et Rurka, 2016). Toutefois, celle-ci peut être mise à mal en raison de la relation entretenue avec les autorités ou des injonctions parfois sous-entendues par les autorités envers les parents (Leborgne, 2008).
13Plusieurs principes doivent être respectés afin que la participation des bénéficiaires se déroule dans les meilleures conditions (Chiapparini et al., 2020). En premier lieu, l’engagement des individus, qui offre aux différentes parties la possibilité de s’investir dans une construction commune des solutions. En deuxième lieu, la transparence tout au long du processus de participation, qui permet l’instauration d’un lien de confiance entre participants en leur assurant l’accès à une information vulgarisée, pertinente et fiable (Chiapparini et al., 2020). En dernier lieu, l’objectif de créer un climat d’ouverture et de respect entre participants en garantissant, à chacun, l’opportunité de s’exprimer librement (Bouchard-Bastien et al., 2023). L’instauration d’un rapport d’égalité entre individus est un élément clé, et une condition indispensable à la relation entre l’individu et l’intervenant social (Chiapparini et al., 2020).
14La signature d’un accord d’aide par les parents n’est pas synonyme d’une adhésion entière de la part de la famille au travail proposé ou encore imposé (Leborgne, 2008). Dans un contexte d’aide contrainte, les parents peuvent être confrontés à une injonction paradoxale, traduisant la volonté du professionnel d’obtenir un changement chez l’usager. Celui-ci devant être conditionné par la propre volonté de changement de l’usager, le professionnel lui enjoint alors de vouloir changer. Or, l’usager se retrouve dans l’impossibilité de répondre à cette injonction étant donné que la demande n’émerge pas d’un désir de changement de sa part (Hardy, 2012). Face à cette injonction paradoxale, les usagers adoptent des réponses différentes. La première réponse est le refus ou le repli, qui sera perçu comme un signe de non-collaboration, de résistance à s’engager. Cette réponse confortera alors les professionnels dans leur idée qu’une aide est nécessaire. La deuxième réponse, l’adhésion, consiste en une reconnaissance par l’usager de l’importance et de l’intérêt de l’aide proposée. Il acceptera alors l’aide suggérée par l’intervenant et finira, après la découverte du problème, par demander de l’aide par lui-même. La dernière réponse consiste en une adhésion stratégique de l’usager qui traduit une feinte d’adhésion en élaborant un problème sur mesure afin de susciter un sentiment de satisfaction chez l’intervenant quant à l’aide qu’il propose. Que l’individu choisisse l’adhésion réelle ou stratégique, il court le risque de paraître suspect aux yeux de l’intervenant, ce qui l’obligera à mesurer ses propos et ses gestes lors des rencontres (Hardy, 2012).
15Cette étude s’inscrit dans une démarche exploratoire (Van der Maren, 1996) visant à mettre en avant la perception qu’ont les intervenants familiaux de la participation des bénéficiaires au sein des SASE en FWB. Cette recherche poursuivant l’objectif d’identifier de nouvelles connaissances (Trudel, Simard et Vonarx, 2007) et traduisant la volonté de s’intéresser au point de vue des intervenants, une approche qualitative inductive a été privilégiée afin de saisir leur expérience, de mettre en avant leurs pratiques et stratégies tout en conservant leur complexité (Padgett, 2016).
16Dix intervenants sociaux de cinq SASE ont été rencontrés, sur la base du volontariat, selon une méthode d’échantillonnage par choix raisonné. Les sujets d’étude ont été sélectionnés selon les critères d’inclusion suivants (Berthier, 2023) : travailler actuellement dans un SASE en FWB et avoir une expérience professionnelle d’au moins 3 ans dans ce type de service. Parmi les participants rencontrés, on compte trois assistants sociaux, trois éducateurs spécialisés et quatre psychologues. L’échantillon est composé de sept femmes et de trois hommes.
17La collecte de données auprès de ces différents intervenants sociaux s’est opérée à travers la réalisation d’entretiens semi-directifs. Nécessitant une relation directe avec le sujet de la recherche (Berthier, 2023), ces entretiens ont pour avantage de récolter les propos des acteurs et leurs interprétations dans le respect de leurs cadres de référence. Cela permet ainsi une analyse plus fine et plus profonde des éléments recueillis (Van Campenhoudt, Marquet et Quivy, 2017). Afin d’explorer et d’approfondir les thèmes souhaités en vue de répondre à la question de recherche, un guide d’entretien a été construit, au préalable, à partir d’une revue de la littérature. Le guide d’entretien est utilisé comme un outil permettant de s’assurer que tous les thèmes répertoriés ont bien été abordés durant l’entretien (Berthier, 2023). Dans le cadre de la présente recherche, les thèmes repris dans le guide d’entretien concernent l’accompagnement et la prise en charge des familles, leur participation, la relation avec elles, la notion de contrainte, les différents types d’aide et la relation avec le cadre mandant. Les entretiens menés ont, avec l’accord des participants, été enregistrés à des fins de retranscription. Un formulaire de consentement garantissant le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) a été signé par les participants, avant la réalisation des entretiens. Les dix entretiens menés ont une durée moyenne de 1 heure 08 minutes.
18Une fois les entretiens retranscrits, ils ont fait l’objet d’une analyse thématique. Cette méthode d’analyse qualitative se traduit par la thématisation des entretiens menés, consistant à relever et comparer les différents thèmes abordés par les répondants qui sont cohérents par rapport à l’objectif de la recherche. L’analyse thématique permet donc de repérer la récurrence des thèmes, mais aussi de vérifier s’ils se complètent, se contredisent ou présentent des similitudes. Les différentes thématiques et sous-thématiques identifiées ont ensuite été regroupées et classées par rubriques. Un arbre thématique répertoriant les rubriques principales subdivisées en sous-rubriques, thèmes et sous-thèmes a alors été créé dans l’objectif de répondre à la question de recherche (Paillé et Mucchielli, 2021). Au terme de cette classification, la présentation rédigée des résultats vient synthétiser la structure de l’arbre thématique ainsi constitué. Des verbatims, correspondant aux extraits d’entretien retenus lors de l’étape précédente, sont utilisés de manière illustrative afin d’ancrer l’analyse dans le discours des participants.
19L’analyse de résultats fait apparaître les composantes principales de la perception de la participation des familles par les intervenants familiaux au sein des SASE. Ces composantes ont été réparties en cinq catégories : la participation des usagers, le mandat, la famille, l’intervenant social et le mandant.
20La participation des usagers est une notion que chaque professionnel interprète de manière variable en fonction de ses acquis, de son expérience et de sa pratique. Cette diversité d’interprétations conduit à une pluralité de définitions, spécifiques à chaque intervenant. Toutefois, deux tendances ressortent quant à la compréhension du terme. Certains considèrent la notion de participation des usagers de manière holistique tandis que d’autres la placent en interaction avec la notion de collaboration. Dans la perspective holistique du terme, la participation des usagers est perçue comme une implication positive et proactive de la famille dans le dispositif d’accompagnement. Elle induit une appréciation positive des objectifs et modalités du dispositif d’aide, favorisant une application par la famille des éléments issus des échanges avec les intervenants, comme le montre l’extrait suivant :
« Pour moi la participation c’est que la famille adhère, a minima, à ce qui lui est demandé ou qu’elle s’interroge au moins sur son fonctionnement et qu’elle ait envie, pour moi, qu’il y ait des choses qui bougent. » (Entretien 4)
21Cette interprétation positionne la notion de participation au sommet, voire à un niveau idéal, des attentes des intervenants, ce qui constituerait un facteur soutenant la réussite de l’accompagnement. D’un autre côté, certains intervenants distinguent les notions de participation et de collaboration, l’une caractérisant une simple présence aux séances d’accompagnement tandis que l’autre exprime un véritable engagement de la part du public. Cependant, il n’y a pas de consensus sur l’attribution de l’un ou l’autre terme à l’une de ces définitions.
22Le point de convergence des perceptions des professionnels de l’échantillon concerne le lien entre la participation des familles et la notion d’adhésion. Dans leur perspective, les pratiques éducatives, les modalités d’accompagnement et in fine la participation du public sont étroitement liées à l’adhésion de la famille au dispositif d’aide mis en place. Ce rapprochement entre la participation et l’adhésion est influencé par le contexte de l’accompagnement sous mandat, au sein duquel l’intervenant familial se trouve dans une position intermédiaire entre les usagers et les objectifs fixés par l’autorité mandante. D’une part, la famille, perçue comme inadéquate, est insérée dans un processus d’aide qu’elle a très rarement choisi. D’autre part, les intervenants familiaux doivent suivre les objectifs d’un mandat auquel ils n’ont pas toujours contribué. Cette double contrainte, pesant à la fois sur les usagers et les intervenants, conduit à un travail socio-éducatif principalement centré sur la compréhension du mandat, l’implication dans l’accomplissement des objectifs et la prise en compte de la parole et du vécu des usagers. Dans ce contexte, l’adhésion de la famille est considérée comme un facteur déterminant pour garantir une participation effective. Ces éléments expliquent l’accent mis sur cette notion lorsqu’il est demandé aux intervenants familiaux de définir leur conception de la participation des usagers.
23La notion d’adhésion, telle que décrite par les professionnels rencontrés, se structure autour de deux concepts : le rapport à l’aide et la mise en action. Le rapport à l’aide correspond à la relation établie entre, d’une part, le sens donné par les usagers aux difficultés vécues et les moyens jugés nécessaires pour les surmonter et, d’autre part, la forme, la nature et le contenu de l’aide proposée. Cette relation se situe sur un continuum allant de la congruence à la discordance – la congruence représentant une correspondance parfaite entre la représentation des difficultés vécues et l’aide proposée, tandis que la discordance manifeste une opposition entre ces deux aspects. Elle est en outre orientée par l’évaluation subjective de l’aide par la famille, qui joue un rôle déterminant dans l’intention de la famille de s’engager dans le dispositif d’accompagnement instauré par le professionnel. Quant à la mise en action, elle concerne la réalisation d’une action concrète. Elle implique la transformation d’une intention en une activité réelle et tangible, et peut être positive ou négative. À travers la mise en action positive, l’usager prend une part active dans l’accompagnement, ce qui est essentiel pour qu’il aboutisse favorablement. À l’inverse, la mise en action négative correspond à des actions allant à l’encontre du dispositif d’accompagnement et qui vont risquer d’entraîner une détérioration de la situation.
24En plus de ces éléments liés à la définition de la notion de participation, les intervenants évoquent régulièrement la temporalité de celle-ci lorsqu’ils s’expriment sur la participation des familles au sein du dispositif d’accompagnement. En effet, la participation des familles faisant l’objet d’une aide consentie ou d’une aide contrainte doit être envisagée dans une perspective dynamique, fluctuant entre différents degrés d’adhésion, de rapport à l’aide et de mise en action. L’évolution de la participation des familles va dépendre de différents facteurs internes et externes développés dans les autres points d’analyse tels que les évènements quotidiens, les difficultés vécues, la qualité de la relation avec l’intervenant, la qualité de la relation avec le mandant, etc.
25Le mandat, qu’il s’agisse d’une aide consentie SAJ ou d’une aide contrainte SPJ, est vu par les intervenants familiaux comme un élément déterminant de la participation des familles. Ce mandat, avec les objectifs éducatifs qu’il comporte, va guider les axes de travail sur lesquels les professionnels devront se focaliser dans leur accompagnement. L’analyse met en évidence deux sous-catégories : la contrainte implicite de l’aide consentie, et le paradoxe de l’aide contrainte.
26L’aide consentie mise en œuvre par le SAJ constitue généralement la première étape d’une prise en charge dans le secteur de l’Aide à la jeunesse. Les intervenants des SASE la décrivent comme étant une forme d’aide dont les objectifs sont négociés et coconstruits avec les usagers, ce qui leur confère la liberté d’accepter ou de refuser les modalités proposées par le mandant. La structuration et l’application du mandat se faisant avec les familles, cela devrait induire de leur part une posture d’adhésion active et une participation élevée dans l’accompagnement et dans son élaboration. Toutefois, les modalités d’entrée dans le dispositif de l’Aide à la jeunesse et le cadre d’intervention des SASE engendrent une perception différente de l’aide consentie. En effet, très peu de familles sollicitent elles-mêmes les services de l’Aide à la jeunesse : la grande majorité se retrouve dans ce dispositif à la suite d’un signalement. Par ailleurs, en cas de refus de l’aide, de stagnation ou d’aggravation de la situation, l’aide consentie peut évoluer vers une aide contrainte, impliquant une judiciarisation de la situation de la famille.
27L’ensemble de ces éléments amène, selon les intervenants, de nombreuses familles à se sentir contraintes d’accepter les objectifs de l’aide consentie, par peur d’un durcissement de leur prise en charge ou du placement de leur(s) enfant(s), transformant ainsi l’aide consentie en une aide contrainte implicite.
« Je trouve que des fois au SAJ, ce n’est pas plus facile parce qu’ils acceptent un peu sous contrainte. Certaines familles ont peur des répercussions s’ils refusent. Passer par le tribunal, ça leur fait vraiment peur. Donc, certains acceptent, non pas par envie, mais un peu parce qu’ils se sentent obligés. » (Entretien 1)
28Cette dynamique de contrainte implicite dans un dispositif d’aide normalement consentie crée un cadre flou où la participation des familles pourrait plus facilement être restreinte. Il en découle que la mise en action des familles qui se retrouvent dans cette situation est davantage motivée par la crainte du placement de l’enfant que par une réelle volonté de changement. Par conséquent, cela va complexifier l’instauration d’une relation de confiance entre la famille et l’intervenant social, qui se retrouve dans une position intermédiaire entre l’autorité mandante, à qui il doit remettre des rapports, et la famille qu’il doit accompagner. Les professionnels seront ainsi plus fréquemment confrontés à des postures d’adhésion résultant d’un désaccord non exprimé par la famille sur une partie ou la totalité des objectifs du mandat.
29Les intervenants familiaux expliquent que l’origine de la demande constitue l’indicateur principal pour déterminer les situations où la mesure d’aide sera réellement consentie. En effet, comme mentionné précédemment, les familles peuvent solliciter elles-mêmes les services de l’Aide à la jeunesse pour bénéficier d’une aide. Dans les situations où l’origine de la demande émane de la famille, qui souhaite recevoir une aide socio-éducative dans un contexte tel que de graves difficultés relationnelles avec l’enfant, l’aide consentie sera généralement appliquée avec l’accord de celle-ci sur l’ensemble de ses composantes.
« Les situations où ce sont les parents qui viennent interpeller eux-mêmes le SAJ pour une aide bien spécifique, ce n’est pas la majorité, mais, dans ces situations-là, on se retrouve avec des parents qui sont déjà en action vu qu’ils ont fait cette démarche d’aller au SAJ. » (Entretien 7)
30D’un autre côté, l’aide contrainte, appliquée par le SPJ sur décision du juge de la jeunesse, est perçue par les intervenants familiaux comme une mesure d’aide imposée, à laquelle la famille ne peut pas se soustraire. Elle est principalement caractérisée par son aspect obligatoire et par un cadre rigide défini indépendamment du consentement de la famille qui en fera l’objet, laissant supposer une participation biaisée, voire inexistante. Pourtant, de manière paradoxale, les intervenants familiaux observent que les familles sous aide contrainte peuvent présenter un rapport à l’aide congruent avec une mise en action positive. Certaines vont même jusqu’à exprimer le souhait de demeurer sous l’aide contrainte du SPJ, alors qu’elles pourraient repasser à l’aide consentie du SAJ, comme le décrit l’extrait suivant :
« On a des parents qui supplient le directeur ou la directrice de ne pas faire une homologation afin de pouvoir rester au SPJ, parce qu’ils ne veulent pas repasser au SAJ. » (Entretien 7)
31Le paradoxe de la préférence de certaines familles pour un accompagnement sous aide contrainte plutôt que sous aide consentie est expliqué par les professionnels de deux manières. Le premier élément d’explication tient à la clarté et à la rigidité du dispositif. Contrairement au cadre flou que l’on peut retrouver dans des contextes d’aide consentie, l’aide contrainte impose un cadre et des objectifs qui ne sont pas négociés. Cette fermeté peut être vécue de manière positive par certaines familles qui apprécient une vision plus claire des objectifs et des attentes des autorités mandantes. Ainsi, un cadre plus directif peut avoir un effet contenant et sécurisant pour des familles pouvant être déstabilisées par des objectifs plus flous et implicitement contraints dans l’aide consentie.
32La deuxième explication du paradoxe de l’aide contrainte soulevée par les intervenants réside dans l’expérience négative de la trajectoire des familles au sein du dispositif institutionnel de l’Aide à la jeunesse. Les familles qui font l’objet d’une aide contrainte du SPJ ont souvent préalablement bénéficié d’une aide consentie du SAJ, où elles ont rencontré des difficultés à atteindre les objectifs de leur mandat. Ces échecs les ont amenées à être accompagnées par différents services et à interagir avec de nombreux intervenants sociaux, jusqu’à ce que leur situation soit judiciarisée et qu’une aide contrainte soit mise en place. Si cette spirale d’échecs a trouvé une issue positive dans le cadre plus rigide du SPJ, alors la famille peut ne pas souhaiter revenir à une aide consentie en raison de la représentation négative qu’elle aura gardée de son expérience passée.
« Je pense que les parents se disent qu’au SAJ on les considérera toujours comme de mauvais parents et qu’ils ne verront aucun changement […]. C’est l’image que les parents gardent. Pas tous ! Mais parfois, quand on leur dit qu’ils vont retourner au SAJ c’est ‘‘Ah non, surtout pas.’’ » (Entretien 5)
33Les familles occupent une place centrale dans l’accompagnement socio-éducatif mis en œuvre par le dispositif de l’Aide à la jeunesse, étant donné qu’elles sont l’objet principal de l’aide consentie ou de l’aide contrainte. Les entretiens réalisés auprès des intervenants des SASE mettent en évidence plusieurs facteurs déterminant leur participation dans le processus d’accompagnement : des éléments liés au contexte, à la trajectoire et aux postures d’adhésion.
34Les intervenants familiaux s’accordent pour souligner l’impact du contexte familial sur le niveau de participation des familles. L’un des principaux éléments contextuels concerne la prise en considération des problématiques et des difficultés vécues par la famille au-delà des problématiques éducatives. En effet, la situation qui a engendré la prise en charge par les services de l’Aide à la jeunesse est souvent la conséquence d’autres difficultés auxquelles les familles doivent faire face et qui ne sont pas nécessairement prises en considération dans les mandats, lesquels portent généralement sur des aspects éducatifs.
« On nous demande d’intervenir dans des situations où les besoins de base ne sont pas remplis, avec des familles qui sont très précarisées et qui vivent dans des logements où ils n’ont pas le minimum vital. » (Entretien 10)
35Cette occultation des problématiques sous-jacentes peut provoquer une discordance entre les objectifs formulés dans le mandat et les réels besoins des familles, risquant ainsi d’entraîner une faible implication voire une opposition de celles-ci. En outre, les contextes de précarité vécus par les familles engendrent régulièrement un manque de disponibilité pour les activités d’accompagnement. Les familles confrontées à ces difficultés sont souvent contraintes de prioriser la résolution de leurs besoins fondamentaux aux dépens d’autres activités jugées moins importantes. Cette hiérarchisation implicite des besoins peut se manifester à travers une dépendance accrue à l’égard des événements du quotidien qui viennent fragiliser un fonctionnement familial souvent instable.
« Nous on vient en se disant qu’on va travailler tel objectif. Puis, finalement, hier, il s’est passé quelque chose chez la famille et cet objectif-là, on ne va pas le travailler. Ça sera pour une autre fois. » (Entretien 3)
36Enfin, l’accumulation des problématiques entraverait la perception du contexte de danger ou de difficulté autour de l’enfant. Les familles qui doivent quotidiennement faire face à de telles situations tendent à normaliser ces contextes extrêmes, et peinent parfois à comprendre les attentes des intervenants, ainsi que l’exprime l’extrait suivant :
« Je pense qu’il y a toujours des gens qui ont vécu avec certaines difficultés, ça fait partie de leur quotidien. Dès lors, ce qui est un problème pour nous ne l’est pas forcément pour eux. » (Entretien 2)
37Par conséquent, la discordance de représentation du contexte de danger ou de difficulté entre les intervenants et la famille peut faire émerger un sentiment d’incompréhension voire d’injustice. Dans cette perspective, les intervenants soulignent l’importance de la prise de conscience de ses difficultés par la famille en tant qu’élément clé de sa participation, comme l’illustre cet entretien :
« S’il n’y a pas de sens pour eux, s’ils ne se rendent pas compte de la difficulté qu’ils ont avec leurs enfants ou avec eux-mêmes, il n’y a pas de remise en question qui est là, donc pas de travail qui peut se faire. » (Entretien 1)
38Parmi les éléments liés au contexte, la structure familiale va également influencer la dynamique de participation. Les familles accompagnées par les intervenants des SASE présentent régulièrement des structures non traditionnelles telles que celles des familles recomposées ou monoparentales. Ces modèles familiaux peuvent plus facilement faire émerger des désaccords entre les parents, par exemple lorsque l’absence de participation de l’un d’eux freine le processus d’accompagnement mis en place par le SASE, ainsi que le soulève cet extrait :
« Généralement, c’est des parents séparés. On a parfois un parent avec qui on collabore super bien et un parent avec qui on ne collabore pas du tout ou un tout petit peu. Du coup, la non-collaboration de cette personne a un impact sur le reste de la famille. » (Entretien 1)
39En plus des éléments liés au contexte familial, l’échantillon met en évidence la trajectoire des familles au sein de l’Aide à la jeunesse comme un facteur influençant la participation. Cette trajectoire institutionnelle se caractérise souvent par sa non-linéarité, reflétant un parcours complexe qui implique de nombreux services, une démultiplication de modalités d’accompagnement et d’intervenants sociaux.
« S’ils ont un long parcours dans l’Aide à la jeunesse, on est déjà un peu catalogués quand on arrive. Si on arrive là, c’est qu’il y a toujours une situation compliquée, voire une situation d’échec. » (Entretien 5)
40L’extrait ci-dessus rappelle, comme mentionné au sujet du paradoxe de l’aide contrainte, que la complexité du parcours institutionnel peut être le résultat d’échecs répétés dans les tentatives de prise en charge par d’autres services de première ligne et/ou de l’Aide à la jeunesse, engendrant une représentation négative des services sociaux au sens large. C’est ce dont témoigne l’extrait qui suit :
« On a beaucoup de familles qui restent bloquées sur ce qu’elles ont vécu avec d’autres services. Nous on arrive à un moment donné et parfois suite à plus de dix ans dans le circuit de l’Aide à la jeunesse. » (Entretien 6)
41Les entretiens soulignent la diversité des postures dites d’adhésion adoptées par les familles à l’égard de l’intervention du SASE. L’adhésion va ici se caractériser par des niveaux de rapport à l’aide congruents ou discordants et de mise en action positifs ou négatifs. Ainsi, cinq postures émergent de l’analyse de données : l’adhésion active, l’adhésion partielle, l’adhésion passive, l’adhésion de façade et l’opposition.
42La première, la posture d’adhésion active, se définit par l’engagement total des familles dans l’accompagnement proposé par les intervenants. Cet investissement peut être identifié par un rapport à l’aide congruent et une mise en action positive de la famille. Il se manifestera par une mise en œuvre des conseils éducatifs fournis par les professionnels, une compréhension approfondie des objectifs du mandat, une prise de conscience des difficultés vécues et une relation de confiance bien ancrée.
43La seconde posture concerne l’adhésion partielle des familles. Dans cette forme de collaboration, la famille adhère uniquement à une partie des objectifs définis dans le mandat, comme l’indique l’extrait suivant :
« Il y en a d’autres qui vont être à un niveau faible de participation parce qu’ils ne veulent pas travailler sur ce truc-là, mais ils vont se mettre en route sur autre chose. » (Entretien 3)
44L’adhésion partielle implique un rapport à l’aide et une mise en action variant également selon l’objectif. Dès lors, les membres de la famille s’engageront uniquement sur les éléments correspondant à leurs propres attentes, adoptant ainsi une posture différente pour les autres objectifs du mandat.
45En troisième lieu, la posture d’adhésion passive se manifeste lorsque les familles acceptent les termes du mandat et interagissent positivement avec les intervenants, mais sans se mettre en action, en raison d’une incapacité à le faire.
« Tu peux avoir des familles qui participent fort, mais qui ne sont pas capables de bouger. Imaginons, les parents sont super participatifs, nous reçoivent toujours. Nous on explique ce qui ne va pas, mais quand tu leur dis que s’ils veulent que l’enfant ait d’autres comportements, les adultes doivent bouger, ils ne vont pas comprendre. » (Entretien 3)
46Cette posture est caractérisée par un rapport à l’aide congruent et une mise en action neutre, située entre le positif et le négatif. Elle peut se manifester au sein de familles qui ne comprennent pas la nécessité d’agir pour obtenir un changement, ainsi que l’illustre l’extrait précédent.
47La quatrième posture est celle de l’adhésion de façade. Les familles qui présentent cette posture cherchent principalement à ne plus être soumises à un mandat du secteur de l’Aide à la jeunesse, ou à empêcher l’évolution de leur situation vers une judiciarisation ou le placement de l’enfant en dehors du milieu familial. Dès lors, elles vont faire le minimum requis pour que le mandat se clôture, ou du moins pour qu’il n’évolue pas négativement, comme le souligne cet intervenant :
« Moi j’appelle ça des faux collaborants. Des parents qui nous reçoivent, qui répondent à nos interpellations, mais qui ne se mettent pas systématiquement au travail. Qui font juste le minimum pour répondre à nos attentes, rentrer dans les clous, et qui ne se mettent pas vraiment au travail. » (Entretien 1)
48Cette posture se définit par un rapport à l’aide discordant et une mise en action positive ou partielle. L’adhésion de façade se distingue de l’adhésion passive par le fait que les familles en adhésion de façade sont en désaccord avec le mandat et choisissent d’éviter une posture d’opposition afin de prévenir toute aggravation de leur situation.
49Enfin, la cinquième posture correspond à l’opposition. Les familles adoptant cette posture vont rejeter l’accompagnement des intervenants du SASE. Le refus peut aller jusqu’à une absence de réponse aux sollicitations et aux propositions de rencontre avec les professionnels. Le rapport à l’aide et la mise en action seront, par conséquent, discordants et négatifs. Ces situations peuvent trouver leur origine dans l’incorporation de valeurs familiales qui ne concordent pas avec celles transmises par les intervenants ou les autorités mandantes, comme exprimé dans l’extrait suivant :
« Il y a des familles qui sont construites sur un modèle où l’école n’est pas importante. Donc, ça ne fait pas partie des valeurs familiales et si ça ne fait pas partie des valeurs familiales, c’est compliqué de tenir le changement sur du long terme. » (Entretien 4)
50L’opposition conduit généralement à une intensification des mesures prises par les autorités mandantes ou à un recours à l’aide contrainte.
51À l’instar de la participation, les cinq postures d’adhésion familiale identifiées dans les entretiens s’inscrivent dans un cadre dynamique et évolutif. En d’autres termes, une famille qui présente une posture d’adhésion de façade peut, au fil de l’accompagnement, évoluer vers une posture d’adhésion active. Un tel changement de posture est souvent la conséquence de l’instauration d’une relation de confiance avec l’intervenant, ou d’une prise de conscience des difficultés familiales et de la plus-value des modalités d’accompagnement offertes par le SASE.
52Pour conclure sur les éléments relatifs à la famille, l’analyse des entretiens met en évidence l’importance que revêt la compréhension du dispositif institutionnel de l’Aide à la jeunesse par les membres de la famille. En effet, certaines familles peuvent éprouver des difficultés à saisir le fonctionnement du service qui les accompagne ainsi que la complexité du dispositif institutionnel dans lequel il s’inscrit, ce qui peut engendrer une participation réduite ainsi qu’une non-activation de certains droits auxquels elles peuvent prétendre, comme le révèle l’extrait suivant :
« Les gens ils ne s’y retrouvent de toute façon pas. Il y a des gens ils ne savent pas dire si c’est SAJ ou SPJ. Je pense que le cadre, de manière générale, ils ne comprennent pas d’où ça vient. Ils savent généralement qui a dénoncé, mais après ils ne savent pas la structure et tout ça. » (Entretien 3)
53Cette incompréhension peut découler soit d’une communication défaillante entre les professionnels et la famille, soit de circonstances familiales telles que des problématiques de santé mentale ou des situations de handicap que les intervenants sociaux peuvent difficilement prendre en charge.
« On a quand même pas mal de familles qui peuvent rencontrer des problèmes psychiques ou psychiatriques et ça, ça peut aussi mettre un frein à la collaboration. Pour des suivis dans le domaine social, on est de plus en plus confrontés à ce genre de situations et pareil, on n’est pas non plus outillés. » (Entretien 6)
54Les entretiens mettent en évidence le rôle de l’intervenant social dans la dynamique de participation au sein du dispositif d’accompagnement en milieu de vie proposé par les SASE. L’analyse fait ressortir quatre sous-catégories liées à cet acteur : la qualité de l’interaction avec les usagers, le travail sur les besoins fondamentaux, la posture pédagogique et la constitution du réseau.
55Les aspects de la participation des familles qui se trouvent impactés par la pratique de l’intervenant sont principalement associés à la qualité de l’interaction entre ces deux acteurs. La dimension centrale de cette interaction concerne l’établissement d’une relation de confiance dans les premiers instants de l’accompagnement, laquelle joue un rôle déterminant dans la posture d’adhésion des familles. Bien que cette relation s’amorce dès le début de la prise en charge, son instauration peut s’étendre sur plusieurs semaines voire plusieurs mois. En effet, les familles qui présentent une posture d’opposition, une trajectoire institutionnelle complexe et/ou un contexte familial précaire peuvent développer une perception négative des intervenants, nécessitant ainsi davantage de temps pour la mise en place d’une relation de confiance. De plus, une fois cette relation établie, il est essentiel de l’entretenir, car il s’agit parfois d’un lien fragile susceptible de se rompre facilement.
56Outre la question de la temporalité, le développement de cette relation est individualisé et conditionné par l’adéquation entre les caractéristiques individuelles du professionnel, telles que des traits de personnalité ou une formation spécifique, et les attentes de la famille. En effet, les acteurs de terrain considèrent que, du fait de la diversité des situations et des contextes familiaux, il ne peut exister de méthode prédéfinie pour la création du lien de confiance, ainsi que l’exprime ce professionnel :
« Toutes les familles sont différentes, donc on n’a pas de modèle préétabli pour entrer en relation. » (Entretien 4)
57Par conséquent, ils doivent s’adapter aux caractéristiques de leur public en mobilisant des ressources internes afin d’élaborer une approche individualisée, qui va implicitement interagir avec les attentes de la famille, comme en témoigne l’extrait suivant :
« Ça reste du relationnel et on a tous une façon de faire un peu différente. On a tous notre manière de rentrer en relation avec les autres, donc ça conviendra mieux à certaines familles et moins bien à d’autres. » (Entretien 5)
58Ainsi, les intervenants considèrent que le contexte d’aide consentie ou d’aide contrainte n’influence que très peu cette dynamique d’interaction, car ils ne différencient pas leur approche en fonction du type d’aide, mais plutôt en fonction des attentes et du profil de la famille. Enfin, le genre de l’intervenant est un élément qui peut impacter l’instauration de la relation de confiance. En fonction de leur vécu et des difficultés rencontrées, certaines familles vont plus facilement créer du lien avec des intervenants de genre masculin ou féminin.
59La relation de confiance doit s’étendre à tous les membres de la cellule familiale, tant les parents que les enfants. En effet, dans certaines situations, l’établissement de cette confiance dépend largement du lien parent(s)-enfant(s). Les parents seront plus enclins à participer s’ils constatent que l’intervenant interagit positivement avec leur enfant. De même, un enfant se sentira rassuré s’il voit que ses parents sont satisfaits de l’accompagnement.
« Moi je partirais vraiment de cette relation de confiance et aussi le lien qu’on peut créer avec les enfants. Je pense que quand les parents voient que ça se passe bien entre nous et les enfants, ça peut aussi être rassurant pour eux. » (Entretien 4)
60En termes de pratique professionnelle, il ressort que, en plus de la relation de confiance, la qualité de l’interaction avec les familles est améliorée par la transparence de l’intervenant et l’intelligibilité de son discours. La transparence renvoie au fait d’exprimer clairement aux usagers ce qui sera inscrit dans les rapports envoyés aux autorités mandantes afin qu’ils puissent être pleinement conscients de l’évolution de leur situation.
« Je travaille avec une famille avec qui on a une bonne relation et la maman renvoie qu’elle s’est sentie parfois piégée par les services qui, face à elle n’ont jamais dit les choses qu’ils ont écrites dans les rapports. » (Entretien 6)
61Ce principe de transparence implique également de communiquer avec la famille sur les difficultés rencontrées par l’intervenant ou le sentiment de stagnation ressenti lorsqu’il y a une posture d’adhésion de façade. Quant à l’intelligibilité du discours, cela revient à s’assurer de ne pas employer un jargon professionnel qui serait difficilement compréhensible pour des personnes n’appartenant pas à ce secteur. Cette disposition permet d’éviter que les familles fassent preuve d’une faible participation du fait d’une incompréhension des mandats dont elles font l’objet.
62En dehors de l’aspect interactionnel, la participation des familles au sein des dispositifs d’aide déployés par les intervenants des SASE est intrinsèquement liée à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, que l’aide soit consentie ou contrainte. Comme mentionné précédemment, un grand nombre de familles qui font l’objet d’une aide consentie ou contrainte dans le secteur de l’Aide à la jeunesse sont confrontées à des contextes de vie précaires, voire extrêmes, qui font que les objectifs fixés par le mandat peuvent ne pas être une priorité pour elles. Il arrive régulièrement que l’intervenant doive veiller à ce que les besoins élémentaires soient satisfaits avant de pouvoir réellement débuter la poursuite des objectifs du mandat. Cette inadéquation entre les objectifs du mandat et les besoins réels des familles nécessite souvent une relecture des objectifs et la fixation de modalités qui sortent parfois du cadre prévu par les autorités mandantes, telles qu’un accompagnement dans des démarches administratives ou la recherche d’un logement.
« C’est vrai qu’avant de commencer les objectifs de travail qui nous sont demandés, on commence par voir […] si les besoins de base peuvent être rencontrés, parce que quand les gens ont besoin de se loger, ont besoin de manger, ont besoin des apports de base, eh bien travailler des objectifs éducatifs, c’est très compliqué. » (Entretien 4)
63De ce fait, les intervenants doivent faire preuve de flexibilité en ajustant continuellement leur pratique et leur approche pédagogique en fonction du public, de leur contexte et des problématiques rencontrées. Il découle de cette interaction entre le professionnel et son environnement de travail qu’il n’existe pas de modèle d’action prototypique, mais plutôt des modalités d’accompagnement individualisées et différenciées selon les familles concernées, voire même selon les membres d’une même famille. Ces modalités visent à trouver un équilibre entre la satisfaction des besoins et la réalisation des objectifs du mandat dans une approche globale qui se concrétise par la valorisation des compétences parentales, la décomposition des objectifs complexes du mandat en différentes tâches, ou encore l’accompagnement dans les tâches du quotidien.
64Toutefois, l’adaptation constante du professionnel aux situations rencontrées comporte certaines limites. L’intervenant peut ne pas parvenir à créer une relation de confiance, à maintenir une interaction positive avec la famille ou à poursuivre les objectifs du mandat. Face à ce type de difficultés, les intervenants font état de trois possibilités : la communication à la famille des difficultés rencontrées, le renvoi à l’équipe et le renvoi au mandant. La communication des difficultés rencontrées dans l’accompagnement sous-entend leur expression directe à la famille afin d’induire un changement de posture. Le renvoi au mandant représente la dernière étape, car cela peut engendrer un arrêt de l’accompagnement et un durcissement du mandat. Quant au renvoi à l’équipe, il constitue un levier activable dans les situations où l’intervenant se retrouve dans l’impossibilité de poursuivre l’accompagnement d’une famille pour des raisons telles que la rupture du lien de confiance ou des problématiques familiales qui font écho au vécu de l’intervenant. Ainsi, l’intervenant peut s’appuyer sur l’équipe pour obtenir des conseils dans le cadre d’une supervision, voire se faire remplacer par un collègue qui optera pour une autre approche.
« Je pense aussi qu’on se confronte à des situations qui peuvent faire résonance chez nous, à nos propres difficultés qu’on peut avoir chez nous et ça, ça pourrait être un frein. C’est quelque chose qu’il faut pouvoir dire pour passer le relais suffisamment tôt à un collègue. » (Entretien 2)
65Pour terminer, les intervenants soulignent l’importance de la constitution d’un réseau autour des familles dans le cadre de leur pratique. Étant donné que les mandats limitent la durée des interventions, une part substantielle de leur travail consiste à assurer la pérennité de leur démarche et à favoriser l’autonomie des familles qui, en raison de leurs difficultés, se retrouvent souvent isolées et dépourvues de ressources. Cette dimension implique le développement d’un réseau composé de services psycho-médico-sociaux pouvant intervenir sur certaines difficultés actuelles et agir de manière préventive sur des problématiques futures. Cependant, il est nécessaire de veiller à éviter la démultiplication des prises en charge du réseau, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur la participation du public en le laissant désorienté face à une multitude d’acteurs sociaux, comme le rappelle l’extrait suivant :
« On a des familles où parfois, il y a dix services qui interviennent et où on peut se dire qu’on est un peu de trop dans la situation. » (Entretien 7)
66Outre le réseau professionnel, la constitution du réseau s’appuie également sur des acteurs tels que la famille élargie, l’école et les relations sociales de la famille.
67La dernière composante principale de la participation des familles concerne l’autorité mandante, représentée par le SAJ, le SPJ ou le juge de la jeunesse. Cette composante se répartit en deux volets : l’implication dans le suivi et l’identification des objectifs du mandat.
68Les intervenants familiaux indiquent que l’implication de l’autorité mandante dans le suivi des familles va être perçue comme un levier ou un obstacle à la participation. En effet, les mandants sont ceux qui définissent le cadre d’intervention en négociant les objectifs du mandat, s’ils sont au SAJ, ou en présentant les objectifs fixés par le juge, s’ils sont au SPJ. Ce sont également eux qui vont mandater le SASE pour réaliser l’accompagnement et qui vont donc présenter initialement le service et ses missions. Ces interactions, qui interviennent en amont de l’accompagnement, sont déterminantes dans la posture que les familles vont adopter dans les premiers contacts avec les intervenants, comme le révèle l’extrait suivant au sujet du mandant :
« Je le vois comme un facilitateur pour la collaboration parce que c’est lui aussi qui négocie, surtout dans un cadre SAJ où la famille n’est pas sous contrainte. Il y a aussi la façon dont le mandant nous présente. Ça c’est hyper important. » (Entretien 2)
69Si les SASE ont une action limitée dans le temps par le mandat, les autorités mandantes, quant à elles, suivent les familles tout au long de leur trajectoire dans le dispositif de l’Aide à la jeunesse. La nature de leur relation a donc une influence considérable sur l’adhésion de la famille aux modalités d’accompagnement.
70Enfin, la formalisation des objectifs par l’autorité mandante est essentielle pour la mise en œuvre de l’accompagnement et la compréhension des familles. Outre les éléments mentionnés précédemment concernant l’adéquation entre les objectifs et les besoins réels des familles, les intervenants mettent en évidence la différence de représentation entre l’autorité mandante, qui incarne les attentes et les normes sociétales, et les familles, qui peuvent parfois avoir des modes de fonctionnement différents, comme en témoigne cet extrait :
« Le SAJ et le SPJ ce sont quand même des services de la société entre guillemets. Donc, ils ont un peu une vision de comment ça doit se passer dans une famille entre guillemets normale […] et parfois c’est complètement décalé avec les familles. » (Entretien 3)
71Les familles accompagnées par les services du secteur de la protection de l’enfance sont susceptibles de présenter un niveau de vulnérabilité élevé, incluant des risques accrus de précarité et/ou de pauvreté (Lahaye et al., 2021 ; Sellenet, 2007). En FWB, bien qu’on ne puisse pas généraliser ce constat à l’ensemble du public de l’Aide à la jeunesse (Lahaye et al., 2021), les intervenants familiaux des SASE constatent une démultiplication et une aggravation des difficultés vécues par les familles, caractérisées par leur complexité multidimensionnelle et leur impact sur la capacité des familles à participer ainsi que sur la réalisation d’un accompagnement. Cette description des difficultés fait écho à l’approche de la pauvreté (Vranken, 2012) mettant en avant son aspect multidimensionnel ainsi que l’exclusion sociale qui accentue le fossé entre les personnes en situation de pauvreté et le reste de la société. De plus, le constat des obstacles rencontrés par les familles pour satisfaire leurs besoins élémentaires rejoint le lien entre précarité et problématique d’accès aux droits fondamentaux (Wresinski, 1987).
72L’évolution de la société fait émerger de nouvelles formes de pauvreté et de précarité, aggravant ainsi les difficultés rencontrées par les familles (Glineur et al., 2023). Il en résulte des contextes de crise perpétuelle (Kagan et Schlosberg, 1989) forçant les familles les plus précaires à s’inscrire dans une dynamique d’adaptation constante, en priorisant la résolution des problématiques à l’origine de leur vulnérabilité (Ausloos, 2024). Cette dynamique éclaire la nécessité de la prise en compte et de l’accomplissement des besoins fondamentaux en amont de l’accompagnement éducatif (Minary, 2011), ainsi que la dépendance des familles face aux événements du quotidien venant déstabiliser un fonctionnement déjà fragile.
73L’adhésion des usagers émerge comme un concept central dans le discours des professionnels rencontrés lorsqu’ils sont amenés à définir la participation. Elle se distingue des conceptions de démocratie participative, où le public prend une part active dans les décisions le concernant (World Health Organization, 2002 ; Loubat, 2019 ; De Robertis, 2007). Cette approche de la participation par l’adhésion, pouvant être qualifiée de « participation-conformité » (Lacharité, 2011, p. 67), s’inscrit dans une logique où l’enjeu est d’atteindre une collaboration et une acceptation, souvent passive, des usagers autour d’objectifs prédéfinis (Pouchadon, 2015) à partir d’une interprétation des difficultés construite par les mandants (Lacharité, 2009). Dès lors, l’injonction paradoxale décrite par Hardy (2012) se manifestera d’autant plus que les familles ne seront que très rarement en posture de demande d’aide, et si elles le sont, ce sera au risque de ne pas être vues comme sincères.
74Une telle perception découle du principe même de l’aide mandatée, où les familles se sentent perçues comme inadéquates (Delens-Ravier, 2003) et engagées dans une relation asymétrique entre aidant et aidé (Boucenna, 2017 ; Zielinski, 2011), marquée par une distance sociale forte entre ces deux acteurs (Lafantaisie et al., 2018). L’asymétrie dans la relation entre les usagers et les professionnels va réduire les possibilités de participation du fait de la nature contrôlée et dirigée du mandat (Sellenet, 2023). Les familles se retrouvent ainsi dans un partenariat où elles sont tenues de remplir des objectifs fixés par des professionnels, qui imposent une vision institutionnelle de la parentalité, ne prenant que très peu en compte le point de vue des usagers (Van Houte et al., 2015).
75Pourtant, le recueil de la parole et des besoins de l’usager reste un élément essentiel dans la pratique des intervenants familiaux de cette étude. Il ne s’inscrit pas dans un cadre de collectivisation et de coconstruction (Sellenet, 2023), mais plutôt dans une démarche compréhensive du vécu et des besoins afin d’ajuster les modalités d’accompagnement. Ce regard des professionnels de l’étude sur la participation de leur public rejoint l’analyse de Pouchadon (2015) qui explique que, pour les professionnels de la protection de l’enfance, l’enjeu de la participation n’est pas de rendre les usagers acteurs en vue d’infléchir les mesures qui les concernent, mais plutôt de les amener à adhérer à l’aide qui leur est proposée, à ses éventuels ajustements et à accepter l’analyse faite par les professionnels sur leur fonctionnement.
76La recherche par les intervenants d’une adhésion active des familles implique une correspondance entre les normes sociétales incarnées par le mandat et les professionnels d’un côté, et les normes familiales de l’autre (Puech, 2013 ; Hardy, 2012). Dans certaines situations, l’écart entre ces deux modèles culturels et éducatifs (Lacharité et al., 2022) est si important que cette correspondance prend plutôt la forme d’une confrontation pouvant s’expliquer par le fait que les personnes normaliseraient des comportements ancrés de longue date en raison de contextes de vie extrêmes, produisant ainsi des rapports au monde, à soi et aux autres – c’est-à-dire le sens que la personne donnera au monde, à soi et aux autres (Charlot, 1999) – perçus comme anormaux par les professionnels. L’ensemble de ces constructions de sens va développer chez les usagers une représentation des difficultés vécues et des ressources perçues comme nécessaires pour les surmonter, qui va se mettre en relation avec l’aide déployée par le secteur de l’Aide à la jeunesse. Cette relation à l’aide déterminera la forme d’implication prise par les usagers dans leur posture d’adhésion.
77L’intervenant doit alors faire preuve d’adaptation afin de comprendre la forme de relation à l’aide dans laquelle les usagers s’inscrivent pour coconstruire un accompagnement qui correspondra mieux aux réalités vécues (Puech, 2013), et doit déployer des stratégies éducatives appropriées, mettant ainsi en évidence des compétences de la famille plutôt que de souligner ses lacunes (Ausloos, 2024). Comme le soulignent les intervenants, l’adéquation de l’accompagnement avec les normes familiales favorise la prise de conscience de la famille sur ses difficultés ainsi que l’émergence d’une adhésion active.
78S’interroger sur la notion de participation des usagers de l’Aide à la jeunesse dans des contextes d’aide consentie ou d’aide contrainte au sein d’un service proposant un accompagnement socio-éducatif en milieu de vie met en lumière la complexité des interactions entre l’usager, le professionnel et l’autorité mandante. Ainsi, cette étude révèle que les intervenants familiaux rencontrés perçoivent la participation des usagers dans leur pratique non pas comme un processus de coconstruction, mais plutôt comme une adhésion progressive aux dispositifs d’accompagnement et aux objectifs fixés par le mandat. Dans cette perception, l’enjeu de la participation ne réside pas dans le fait de rendre les usagers acteurs afin de coconstruire ou d’infléchir les objectifs de l’accompagnement, mais plutôt dans la manière de les amener à adopter une posture participative au sein du dispositif d’aide.
79Cette perception découle du fait que dans la plupart des cas l’aide est perçue, de manière explicite ou implicite, comme contraignante, les usagers y prenant majoritairement part de manière involontaire. Ces derniers étant intégrés dans un cadre imposé, leur voix est rarement prise en considération par les mandants dans la définition des objectifs et des modalités de l’aide, ce qui limite leur engagement. Par conséquent, les usagers adopteront difficilement une posture participative s’ils n’adhèrent pas aux modalités qui leur sont imposées. Les intervenants familiaux, situés à l’interface entre les autorités mandantes et les usagers, doivent ainsi structurer leur pratique autour des objectifs de l’aide à mettre en place tout en s’efforçant d’impliquer les usagers et de favoriser leur adhésion, dans une logique participative.
80Bien que cette étude ouvre des pistes de réflexion sur la manière dont la participation est perçue et mise en œuvre par les professionnels évoluant dans ces contextes, elle présente certaines limites, notamment en se focalisant uniquement sur la perception des professionnels et ce à partir d’un échantillon restreint. Une confrontation de ces résultats avec les perceptions des autres acteurs impliqués dans cette dynamique, tels que les mandants et, surtout, les usagers eux-mêmes, permettrait d’approfondir les constats de cette recherche. Cela contribuerait à une compréhension plus approfondie des dynamiques de participation au sein des services de l’Aide à la jeunesse en vue d’enrichir les pratiques d’accompagnement socio-éducatif.