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Notes de lecture

Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse

Paris, Éd. du Seuil, coll. « La République des idées », 2022, 109 p.
Madani Dayak
Référence(s) :

Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse, Paris, Éd. du Seuil, coll. « La République des idées », 2022, 109 p.

Texte intégral

1Professeur de sociologie à l’université Paris-Saclay, Camille Peugny a axé plusieurs de ses travaux sur les questions de mobilité sociale, de déclassement et d’inégalités. Il a notamment travaillé sur l’école, le passage de la jeunesse à l’âge adulte, l’accès à l’emploi des jeunes et l’incidence des politiques publiques en la matière. Pour une politique de la jeunesse alerte sur la situation de cette part de la population française. L’auteur observe en effet un « sentiment de frustration ressenti par une partie des jeunes en France, confrontés à une société qui promeut la méritocratie », « très libérale », « avec un système éducatif très élitiste, dont la démocratisation réelle reste limitée dans les faits, et des politiques publiques qui font largement peser sur la famille l’expérience et le coût de cet âge de la vie » (p. 96). Cet ouvrage est un plaidoyer pour une nouvelle gestion par les institutions de ce temps « fragile » de la vie.

2En s’appuyant sur un vaste corpus, composé de travaux de recherche, d’enquêtes et de statistiques, l’auteur caractérise la jeunesse, son niveau de précarité critique, et déploie une réflexion sur les fractures liées aux inégalités et sur les responsabilités de l’État dans leur prise en charge. Plusieurs concepts sont mobilisés à cet égard : « ensemble générationnel », « citoyennetés diverses », « effet cicatrice », « paradoxe », « démocratisation ségrégative ». Une approche historique ainsi qu’une comparaison internationale sont également proposées pour introduire des recommandations visant à impulser une « révolution dans la manière de considérer la jeunesse » (p. 107). De manière progressive, le livre définit et décrit les jeunes adultes et leurs particularités (chapitre 1), met en évidence la situation socio-économique critique dans laquelle ils se trouvent (chapitre 2), expose précisément les grandes difficultés d’insertion pour ceux issus de milieux populaires (chapitre 3), pour, enfin, évoquer la gestion par les pouvoirs publics de cette problématique (chapitre 4). Ce raisonnement conduit, en finalité, à un « plaidoyer pour un retour de la question sociale au cœur du débat intellectuel et politique » (p. 108), considérant que « le désir de réussite et d’émancipation que l’on inculque aux jeunes sans leur donner les moyens de le satisfaire les condamne au supplice de Tantale » (p. 109).

3En introduction, la jeunesse est présentée comme un « objet politique incontournable » (p. 9) du XXe siècle, dont la présence massive « dans les discours politiques tranche avec l’absence de vraie politique de la jeunesse » (p. 10). La question de la place des jeunes dans la société et de sa prise en compte par les pouvoirs publics est posée, de même que le caractère sensible de ce sujet : près de 100 000 jeunes quittent l’école chaque année sans diplôme et ceci constitue un frein puissant à leur insertion professionnelle. Les hommes politiques sont invités à mener une action plus cohérente pour lutter efficacement contre deux dangers : les fractures générationnelles liées au vieillissement de la population et les inégalités entre jeunes.

  • 1 Karl Mannheim, Le Problème des générations, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2011 [1928], 162 p.

4Le premier chapitre vise à caractériser les jeunes des années 2020. Il s’appuie sur les travaux de Karl Mannheim (1928)1, sociologue allemand qui définit un « ensemble générationnel » (p. 16) à partir de critères basés sur les expériences communes aux personnes nées au même moment. Par exemple, les personnes nées en 1890 auraient vécu les guerres et crises de 1918, 1929 et 1940 avant 50 ans, ce qui aurait engendré une conscience collective spécifique. Les trentenaires des années 1970, dits babyboomers, auraient, quant à eux, connu « l’essor des valeurs caractéristiques d’un libéralisme culturel » et exercé « un rôle essentiel dans l’alternance politique et la victoire de la gauche en 1981 » (p. 19). Les jeunes pourraient ainsi être catégorisés en référence à leurs « valeurs » communes. Les deux enquêtes exploitées (European Value Survey et European Social Survey, 2018) montrent que les seules différences observables avec les personnes âgées de 60 ans portent sur les questions d’immigration, d’ouverture sur l’Europe et d’urgence climatique. « Parmi les 18/59 ans, en dépit de quelques nuances, le constat est plutôt celui d’une relative homogénéité des attitudes » (p. 25).

  • 2 Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la po (...)

5Le regard sociologique se recentre par la suite sur les jeunes, constatant que les écarts entre les niveaux d’études et le type d’emploi occupé produisent de fortes divergences au sein de la jeunesse française, notamment en matière de citoyenneté. Camille Peugny mobilise les travaux de Vincent Tiberj2 sur la citoyenneté « déférente » et « distante » pour caractériser ces jeunes informés, conscients des enjeux socio-économiques et écologiques mais déçus de l’offre électorale. Ce chapitre s’intéresse également aux évolutions dans le rapport au travail des personnes nées en 1980 et 1990. Marqué par une recherche de sens, d’engagement collectif et d’articulations équilibrées entre vie privée et professionnelle, celui-ci expliquerait des comportements d’emploi plus mercenaires, une relation moins fidèle aux organisations que chez leurs aînés. Dans un tel contexte, les managers se devraient d’adopter de nouvelles approches pour encadrer ces publics. Enfin, considérant que « ces indicateurs statistiques “moyens” ne peuvent suffire à rendre compte de la complexité de la réalité sociale » (p. 36), ce chapitre s’intéresse au caractère hétérogène d’une jeunesse, composée de plusieurs fractions, allant de l’ouverture au multiculturalisme à l’approbation partielle des théories de l’extrême droite. Il expose, pour finir, ce qui réunit les jeunes, au-delà de la diversité de leurs situations : l’expérience commune d’une situation économique et sociale très complexe.

  • 3 Malik Koubi, « Les carrières salariales par cohorte de 1967 à 2000 », Économie et statistique, no 3 (...)
  • 4 Camille Peugny, Le Déclassement, Paris, Grasset, 2009.
  • 5 Christian Baudelot et Roger Establet, Avoir 30 ans en 1968 et en 1998, Paris, Seuil, 2000.

6Les chocs pétroliers, la fin des Trente Glorieuses et la montée rapide du chômage ont fragilisé les fins d’études et l’insertion dans le monde du travail. Face à la forte croissance du chômage des jeunes, abondamment documentée par les enquêtes thématiques produites par l’INSEE depuis la fin des années 1970, la précarité constitue désormais un risque majeur. À la différence de leurs aînés, les jeunes sont confrontés à la baisse des salaires depuis 19603. Ceux qui sont issus des classes populaires font face à de plus faibles probabilités de promotion sociale que leurs aînés tandis que ceux qui ont grandi dans des milieux favorisés connaissent des risques de déclassement plus élevés4. Dans le deuxième chapitre, Camille Peugny présente trois dynamiques qui façonnent les contours d’une expérience commune : le déclin économique de la jeunesse, la dégradation des perspectives de mobilité sociale ainsi que l’exclusion symbolique et politique. Bien que le niveau d’éducation ait considérablement évolué entre 1960 et 1990, la jeunesse diplômée apparaît globalement désenchantée. La poursuite d’études n’a, en définitive, pas ou peu d’influence positive sur les parcours. Le concept de « paradoxe » peut permettre de caractériser cette dimension de l’expérience des jeunes. Cette situation découle notamment de l’accaparement des positions de pouvoir par les plus âgés, autrement dit de la « gérontoclassie5 ». Les premiers-nés du babyboom auraient creusé un fossé générationnel, marqué par une aggravation des inégalités. C’est à cette situation que renvoie, entre autres, le terme de « génération sacrifiée », dans un débat qui « met en scène un conflit de générations » entre ces mêmes babyboomers « aisés et égoïstes », ayant « dilapidé les fruits de l’État-providence », et les générations suivantes (p. 44). Or, des débuts compliqués dans la vie active laissent des traces durables. Et cet « effet cicatrice » n’est pas marginal : nombreux sont les jeunes pour lesquels l’entrée dans la vie active s’opère dans la précarité, avec des incidences en matière d’accès au logement, mais aussi de vie conjugale et de projections dans l’avenir. C’est ainsi que l’« insécurité sociale » s’installe dans une société vieillissante, où un quart de la population a plus de 60 ans. Ce panorama des « moyennes » témoigne du passage d’une génération de la promotion sociale à une génération du déclassement. Il donne une visibilité globale sur les évolutions par génération mais occulte certaines spécificités qui occasionnent clivages et fractures, au sein d’une même génération, reproduisant, voire aggravant, ainsi, les inégalités.

  • 6 Jean-Claude Chamboredon, « Classes scolaires, classes d’âge, classes sociales. Les fonctions de sca (...)

7Si les deux chapitres précédents mettent en avant l’hétérogénéité de la jeunesse et son exposition à la précarité, bien plus marquée et plus marquante que pour les générations précédentes, le troisième chapitre se focalise, quant à lui, sur certaines difficultés propres aux jeunes. Le chômage élevé et la précarisation grandissante des emplois sont identifiés comme deux facteurs centraux pour expliquer leur situation critique. La comparaison avec les premiers-nés du babyboom, « référence statistique » des travaux « alertant sur l’ampleur des inégalités intergénérationnelles » (p. 61), est sans appel. Comme le souligne Jean-Claude Chamboredon6, dans les années 1960, la jeunesse est avant tout perçue par le biais de son statut d’élève ou d’étudiant. C’est donc sur la situation des étudiants que porte une grande partie de la recherche – étudiants qui, en 2010, ne représentent pourtant qu’une petite moitié des 18/25 ans. Une différenciation est faite entre les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures, qui continuent davantage les études (environ 60 %), et les enfants d’ouvriers et d’agriculteurs, qui sont moins nombreux à poursuivre leur cursus (environ 30 %). On retiendra que « l’origine sociale des jeunes continue à exercer des effets très importants sur leurs parcours » (p. 65).

  • 7 Alain Girard, Henri Bastide et Guy Pourcher, « Enquête nationale sur l’entrée en sixième et la démo (...)
  • 8 Olivier Schwartz, La notion de « classes populaires », habilitation à diriger des recherches (HDR), (...)
  • 9 Pierre Merle, « Le concept de démocratisation de l’institution scolaire : une typologie et sa mise (...)
  • 10 Centre national d’étude des systèmes scolaires.
  • 11 Mathieu Ichou, Évolution des inégalités au lycée : origine sociale et filières, contribution au rap (...)
  • 12 Cindy Reist, « Les jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) : quels profils et que (...)

8Un regard sur l’histoire du système éducatif français nous invite à remarquer qu’en 1962, 55 % des enfants nés en 1950 entrent en classe de 6e dont seulement 40 % pour les classes populaires7. Plus largement, penser l’entrée de la jeunesse dans l’institution scolaire implique de considérer deux dates décisives, avec des implications en matière d’« explosions scolaires » : 1960 (généralisation de l’accès au secondaire) et 1980 (généralisation de l’accès au lycée). De ces évolutions découlent l’allongement de la scolarité pour les enfants issus des milieux populaires et des formes d’acculturation, voire d’extraversion8. Pour autant, la massification scolaire va de pair avec la reproduction des inégalités. Comme le souligne Camille Peugny, « les jeunes issus des classes populaires ont franchi les portes de l’enseignement supérieur, tout en ne disposant pas des ressources économiques et culturelles de leurs homologues “mieux nés” » (p. 66). Les filières dites « plus prestigieuses » restent « statistiquement réservées aux enfants des milieux les plus favorisés ». Le sociologue emprunte le concept de « démocratisation ségrégative » à Pierre Merle9 pour caractériser un accès aux filières universitaires restreint par l’origine sociale des individus. L’enquête du CNESCO10 confirme ces inégalités entre étudiants11. Pour une politique de la jeunesse s’intéresse également aux « vaincus de la compétition scolaire », qui représentent, en moyenne, environ 100 000 jeunes quittant chaque année le système scolaire « avec, au plus, le brevet des collèges » (p. 71). L’auteur convoque à ce propos une catégorie aujourd’hui au cœur des politiques publiques : les NEET (ni en études, ni en emploi, ni en formation), soit plus d’un million de personnes aujourd’hui12. « Dans une société qui fonctionne au diplôme, c’est-à-dire dans laquelle le diplôme exerce une forte emprise tout au long de la carrière professionnelle et du cycle de vie, le sort des “vaincus” de la compétition scolaire est particulièrement préoccupant » (p. 70).

  • 13 Organisation de coopération et de développement économiques. Site : https://www.oecd.org/fr/
  • 14 Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

9Le troisième chapitre évoque également le passage d’une société aristocratique, dans laquelle le statut social se transmettait (en 1920), à une société plus démocratique, où ce statut s’acquiert. Si cette évolution a influé sur la mobilité sociale, elle n’a pas pour autant réussi à endiguer la reproduction des inégalités. Qu’il s’agisse des rapports de l’OCDE13 ou des enquêtes Pisa14, les constats sont persistants et démontrent l’influence décisive du milieu social sur les résultats scolaires des élèves français. Considérant le fait que les diplômes se dévalorisent à mesure qu’ils se diffusent, et qu’ils ne permettent pas aux jeunes des classes populaires d’accéder à des emplois équivalents à ceux des jeunes issus de milieux plus aisés, titulaires des mêmes diplômes, l’auteur affirme que ces « mérites scolaires différents » jettent « les fondations d’un discours légitimant une bonne partie des inégalités sociales » (p. 80).

  • 15 Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses (...)

10Dans le quatrième et dernier chapitre du livre, la place des jeunes dans la société française est mise en discussion. Le rôle des pouvoirs publics dans la prise en compte des besoins spécifiques de cette génération est questionné. Camille Peugny détaille la gestion politique de ce segment de la population depuis le début du XXe siècle pour introduire l’idée d’un « millefeuille de dispositifs », en lieu et place d’une politique au sens propre du terme. Au regard d’une analyse historique réalisée par Ludivine Bantigny15 sur la manière dont les responsables politiques ont traité les questions de jeunesse, il affirme que les politiques gouvernementales auraient, à travers les décennies, engagé de nombreuses actions sans réflexion de fond ni cohérence lisible pour les acteurs en présence – jeunes et professionnels de la jeunesse, particulièrement.

  • 16 Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, PUF, 2008

11La comparaison internationale est à nouveau mobilisée pour mettre en évidence les manquements du système français. Parmi les travaux qui s’intéressent à la façon dont les jeunes accèdent à l’autonomie et à l’âge adulte en Europe, Camille Peugny s’appuie sur l’enquête de Cécile Van de Velde16 qui compare les pratiques dans quatre pays (France, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne). Pour chaque pays, l’approche institutionnelle est résumée par un verbe, illustré par les orientations principales de l’action publique. En France, il s’agit pour les jeunes de « s’insérer », avec un système de bourses, d’allocations et une aide familiale de plus en plus nécessaire. Au Danemark, les jeunes doivent « se trouver », en s’appuyant sur un système éducatif tourné vers l’autonomie et des bons mensuels universels de formation d’une valeur de 800 € pour les étudiants. En Espagne, l’idée est d’aider les jeunes à « s’installer ». Dans ce pays où le chômage est très élevé, l’âge moyen de décohabitation est de 28 ans et l’État n’est pas en mesure d’agir de manière significative. La famille devient l’acteur et le soutien principal pour l’accès à l’autonomie des jeunes. Enfin, pour la Grande-Bretagne, il est question de « s’assumer ». Encore une fois, la responsabilité des pouvoirs publics est moins engagée. Ce sont plutôt les marchés du travail et financiers qui soutiennent cette période (travail et emprunts pour les étudiants). L’auteur note ici que le terme propre à la France, « s’insérer », est moins « désirable » que ceux des autres pays. Il renvoie, en effet, à un sentiment d’urgence et d’angoisse. Le système scolaire, dans cette idée, encourage et stimule les élèves à finir vite leurs études pour une insertion rapide. On peut entendre qu’il ne faut pas « perdre une année ». La réalité est tout autre : « ces détours sont coûteux et socialement très situés : tous les jeunes ne disposent pas des ressources permettant de prendre le temps de trouver sa voie » (p. 92).

  • 17 Tom Chevalier, La jeunesse dans tous ses états, Paris, PUF, 2018.

12Les travaux de Tom Chevalier sur les types de citoyenneté socio-économique17, observables en Europe, sont également mobilisés pour analyser les modes d’accompagnement de la jeunesse vers l’autonomie et l’emploi. Deux types de citoyenneté sont distinguées, chacune subdivisée en deux dimensions : la citoyenneté économique, inclusive ou sélective, et la citoyenneté sociale, familialisée ou individualisée. Sur ce format, il présente et qualifie les différentes citoyennetés dans quatre espaces européens. Pour les pays scandinaves, la conjugaison entre citoyenneté économique inclusive et citoyenneté sociale individualisée offre aux jeunes une citoyenneté « habilitante ». En Allemagne, l’approche économique inclusive et sociale familialisée rend cette citoyenneté « encadrée ». Pour ce qui concerne le monde britannique, les citoyennetés économique sélective et sociale individualisée placent les jeunes face à une citoyenneté « de seconde classe ». Enfin, la citoyenneté économique sélective et la citoyenneté sociale familialisée, que l’on retrouve en France et dans les pays du sud de l’Europe, confrontent les jeunes à une citoyenneté « refusée ». Même majeurs, ils restent considérés comme enfants de leurs parents pour l’attribution d’aides. Camille Peugny soutient l’idée qu’un système reposant sur la famille favorise la reproduction des inégalités et constitue un frein à l’autonomisation des jeunes. À cela viennent s’ajouter les limites de l’école française qui, faute de moyens financiers, ne permet pas à bon nombre d’élèves d’acquérir le socle de compétences minimal pour accéder à l’emploi. « Une nation qui se préoccuperait de démocratisation scolaire et d’égalisation des conditions se fixerait comme objectif impératif, en l’espace d’un quinquennat, d’aligner la dépense moyenne par étudiant sur celle effectuée pour un élève de classe préparatoire ou de grande école, et il s’agirait encore d’une ambition minimale » (p. 100). En guise de solutions, l’auteur préconise de développer le dispositif « Garantie jeunes », d’inspiration scandinave, expérimenté depuis 2013 dans les missions locales, ou encore de proposer un revenu mensuel universel pour les étudiants, des allocations pour les jeunes ayant moins de 25 ans (âge minimum pour bénéficier du RSA). Il précise pour conclure ce chapitre qu’un « projet politique qui ne placerait pas ces questions au cœur de ses réflexions et de ses actes serait impuissant à dessiner les contours d’un avenir plus heureux pour les générations à venir » (p. 104).

13Ce livre est un « plaidoyer pour le retour de la question sociale », comme le mentionne le titre de la conclusion. Il met en avant les « failles des politiques publiques en direction des jeunes depuis de longues années » et leurs conséquences (p. 105). Cinq leçons tirées de la crise sanitaire sont présentées : 1) le discours public appréhende mal les questions de jeunesse ; 2) il existe une grande diversité des conditions de vie et beaucoup de fractures liées aux inégalités ; 3) les « peu ou pas diplômés » se sentent abandonnés, inquiets pour leur avenir ; 4) la jeunesse ne doit pas être uniquement une course à l’insertion et 5) la France n’a pas de réelle politique pour la jeunesse. Camille Peugny plaide pour une « expérimentation nordique » et pour « considérer les jeunes comme des individus autonomes qui accèdent à la citoyenneté sociale en même temps que la citoyenneté politique » (p. 108). Il met l’accent sur les dangers des clivages économiques et sociaux, sur l’intensité des inégalités et des mécanismes qui favorisent leur reproduction. L’auteur conclut sur un constat pessimiste – « attaquée de toute part, notre digue sociale est devenue impuissante à retenir les assauts de la mise en concurrence généralisée des individus et des entreprises » – et termine en affirmant que « la reproduction des inégalités installe le poison lent de la défiance, du pessimisme et du ressentiment dans une société qui continue de défendre les valeurs d’une méritocratie à laquelle plus personne ne peut croire » (p. 108).

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Notes

1 Karl Mannheim, Le Problème des générations, 2e éd., Paris, Armand Colin, 2011 [1928], 162 p.

2 Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, PUF, 2017, 281 p.

3 Malik Koubi, « Les carrières salariales par cohorte de 1967 à 2000 », Économie et statistique, no 369-370, 2003, p. 149-171.

4 Camille Peugny, Le Déclassement, Paris, Grasset, 2009.

5 Christian Baudelot et Roger Establet, Avoir 30 ans en 1968 et en 1998, Paris, Seuil, 2000.

6 Jean-Claude Chamboredon, « Classes scolaires, classes d’âge, classes sociales. Les fonctions de scansion temporelle du système de formation », Enquête, no 6, 1991.

7 Alain Girard, Henri Bastide et Guy Pourcher, « Enquête nationale sur l’entrée en sixième et la démocratisation de l’enseignement », Population, vol. 18, no 1, 1963, p. 9-48 ; Alain Girard et Henri Bastide, « La stratification sociale et la démocratisation de l’enseignement », Population, vol. 18, no 3, p. 435-472, 1963.

8 Olivier Schwartz, La notion de « classes populaires », habilitation à diriger des recherches (HDR), Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 1998.

9 Pierre Merle, « Le concept de démocratisation de l’institution scolaire : une typologie et sa mise à l’épreuve », Population, vol. 55, no 1, 2000, p. 15-50.

10 Centre national d’étude des systèmes scolaires.

11 Mathieu Ichou, Évolution des inégalités au lycée : origine sociale et filières, contribution au rapport scientifique Comment l’école amplifie les inégalités sociales et migratoires ?, CNESCO, 2016.

12 Cindy Reist, « Les jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) : quels profils et quels parcours ? », Dares Analyses, no 6, février 2020.

13 Organisation de coopération et de développement économiques. Site : https://www.oecd.org/fr/

14 Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

15 Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Paris, Fayard, 2007.

16 Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris, PUF, 2008.

17 Tom Chevalier, La jeunesse dans tous ses états, Paris, PUF, 2018.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Madani Dayak, « Camille Peugny, Pour une politique de la jeunesse »Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], 31 | Automne 2024, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sejed/12713

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Auteur

Madani Dayak

Professionnel de l’éducation populaire et titulaire d’un master en sciences de l’éducation, Madani Dayak s’intéresse à la sociologie de la jeunesse et, particulièrement, aux parcours des jeunes résidant dans les quartiers populaires.

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