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Dossier

Reconstitution et typologisation de parcours biographiques de jeunes mineures en situation de prostitution à partir des représentations des professionnels

Reconstruction and typologization of biographical course of young minors in prostitution based on representations of professionals
Reconstrucción y tipologización de los recorridos biográficos de jóvenes menores en situación de prostitución a partir de las percepciones de los profesionales.
Gillonne Desquesnes et Nadine Proia-Lelouey

Résumés

Le texte rend compte des résultats d’une étude réalisée auprès de professionnels ayant participé à la prise en charge de mineur·es en situation de prostitution par l’Aide sociale à l’enfance. L’objectif était de (re)construire les parcours biographiques de ces jeunes à partir d’un dialogue entre l’approche sociologique d’analyse des parcours de vie et l’approche psychanalytique. Nous interrogeant sur la dynamique conduisant ces jeunes à entrer dans une activité prostitutionnelle, nous avons cherché les éléments communs mais aussi les particularités de chacun des parcours dans différentes sphères de l’existence au cours de l’enfance et de l’adolescence ainsi que les tournants dans leur vie.

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Texte intégral

  • 1 Comme précisé par la suite, notre panel comprenait 12 jeunes filles et 1 garçon, raison pour laquel (...)
  • 2 Ce que les Anglo-Saxons appellent actuellement des enfants victimes d’exploitation sexuelle commerc (...)

1Le présent travail rend compte des résultats d’une étude qualitative de données recueillies auprès de professionnels ayant participé à la prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de jeunes mineures1 en situation de prostitution2. Il s’inscrit dans le second volet d’un programme de recherche pluridisciplinaire visant à étudier les parcours de vie des mineurs pour comprendre leur implication dans une activité prostitutionnelle (Lavaud-Legendre et al., 2023 ; Lavaud-Legendre, Plessard et Encrenaz, 2020). Deux types de données ont été recueillies : certaines issues des procédures pénales et d’autres, présentées ici, issues d’entretiens réalisés expressément pour l’étude auprès de professionnels directement confrontés à des mineurs prostitués.

2À partir de données biographiques secondaires, nous nous sommes donné comme objectif de (re)construire les parcours de ces jeunes, mise en récit réalisée à partir d’un référentiel pluridisciplinaire associant à l’approche sociologique d’analyse des parcours de vie une approche psychanalytique. Souscrivant à l’idée que la prostitution juvénile est un phénomène au carrefour de plusieurs déterminants – économiques, sociologiques et psychologiques –, cette approche interdisciplinaire s’imposait d’elle-même.

Revue de littérature, éléments de problématique et méthodologie

3Nous avons procédé à une revue systématique de la littérature internationale (Proia-Lelouey et Desquesnes, à paraître) qui a mis en évidence plusieurs points :

  1. Cette littérature implique actuellement de nombreux champs disciplinaires : médecine (pédiatrie, psychiatrie), psychologie, recherche en soins infirmiers, recherche en intervention sociale, sciences juridiques, sociologie.

    • 3 Afin de ne pas alourdir le texte, nous nous limitons à cette seule référence et renvoyons le lecteu (...)
    • 4 Pour les mêmes raisons, nous nous limitons à cette seule référence pour la littérature contemporain (...)

    Cette littérature est exponentielle depuis les années 2000, surtout aux États-Unis, et en particulier celle sur les facteurs de risque (15 revues de littérature). Pourtant notre analyse historique comparative montre aussi que les facteurs de vulnérabilité à une entrée dans des pratiques prostitutionnelles sont identifiés dès les années 1980 (Weisberg, 19853) et ce de façon très concordante avec les facteurs présentés dans les études les plus récentes (Benavente, Diaz-Faes, Ballester et Pereda, 20224).

  2. Les chercheurs actuels justifient les études récentes par un changement de paradigme ayant fait passer les jeunes concernés de déviants à mineurs en danger. Cependant, si les évolutions des législations des pays occidentaux datent bien des années 1990-2000 (en France, lois de 1998 puis 2002), le changement de paradigme intervient dix à quinze ans plus tôt dans le domaine de la recherche. Ce sont d’ailleurs les travaux de quelques pionniers (Weisberg, 1985) ainsi que des investigations journalistiques (Sereny, 1984) qui conduiront les pouvoirs publics à cesser de traiter ces jeunes comme des délinquants et à organiser leur protection.

  3. Les nombreuses terminologies employées rendent les contours de cette littérature très flous (le terme de « prostitution » y est banni depuis les années 1990-2000 car jugé discriminatoire et disqualifiant). Plusieurs auteurs ont récemment tenté de clarifier ces notions (Laird, Klettke, Hall et Hallford 2023). Ces derniers, se référant à la définition des Nations unies de 2017, retiennent l’expression « child sexual exploitation » :

« For example, but not limited to street based sexual exploitation ; trafficking for sexual exploitation ; technology facilitated sexual exploitation and abuse […] ; survival sex ; commercialized or organized sexual exploitation […] ; gang involvement (…) ; sexual exploitation parties ; relational […] ; and/or peer to peer […] » (Laird et al., 2023, p. 15.)

4Ces auteurs font néanmoins une distinction entre l’« exploitation sexuelle des enfants » et l’« exploitation sexuelle commerciale des enfants » (child sexual commercial exploitation) selon qu’il y ait rétribution monétaire ou non.

  • 5 Ce point est contesté par certains auteurs qui considèrent que la prostitution des jeunes garçons r (...)

5Au final, émerge de cette littérature un tableau du jeune à risque d’exploitation sexuelle qui peut être résumé selon le descriptif suivant : les plus « à risque » sont de très jeunes filles5 dont les familles sont unanimement décrites comme étant dysfonctionnelles (mère en précarité sociale et psychologique, père le plus souvent absent ou violent). La précarité socio-économique est un facteur déterminant pour nombre de ces jeunes filles. Elles sont souvent aussi issues de minorités linguistiques et culturelles. Elles ont fréquemment subi des violences et/ou des négligences, souvent associées à des violences sexuelles. Elles sont rapidement en situation de décrochage scolaire, très souvent fugueuses. Elles doivent parfois subvenir elles-mêmes à leurs besoins élémentaires (nourriture…) même en dehors des fugues et sont parfois un soutien financier de la famille (puînés, parents). Une entrée précoce dans la sexualité, surtout si elle est associée à une stigmatisation par le milieu scolaire ou par le « quartier », est un facteur aggravant. Les motivations à l’entrée dans la prostitution sont certes économiques mais aussi de l’ordre d’une quête d’« amour » et de « reconnaissance ». Il ne s’agit pas toujours d’un acte conscient (glissement progressif d’une faveur sexuelle liée aux circonstances à une prostitution instituée). La consommation d’alcool et/ou de stupéfiants est quasi systématiquement associée, qu’elle soit cause et/ou conséquence de la prostitution. Un point saillant est à souligner dans ces études : nombreuses sont celles qui relèvent que le fait d’être suivi par les services de protection de l’enfance est un facteur de risque supplémentaire (Benavente et al., 2022 ; Frithmann et Gavens, 2022). Ce constat peut s’entendre de deux manières : les enfants suivis par ces services concentrant tous les facteurs cités précédemment, il est normal de les trouver dans la catégorie des populations à risque ; le fait d’être suivi par les services de protection de l’enfance est en soi un risque (ciblage des foyers par les proxénètes, influence de pairs du foyer déjà impliqués dans ces pratiques).

6Enfin, les années 2005-2010 vont mettre en évidence une forme spécifique de prostitution, celle dite des « banlieues » ou des « cités » incluant différents éléments nouveaux : l’utilisation des nouvelles technologies de communication, une modification du rapport à la sexualité qui favorise le glissement vers la prostitution mais aussi la faible différence d’âge entre prostituées et proxénètes, tous issus des mêmes zones sociogéographiques (« banlieue ») ainsi qu’une souplesse et une mobilité de l’organisation de l’activité prostitutionnelle. Ce dernier point a conduit à l’émergence dans la littérature anglo-saxonne (fin 2000) de la notion de « domestic minor sex trafficking » (Choi, 2015) – ce qui sera aussi décrit plus tard dans les études françaises comme « prostitution par plan » (Lavaud-Legendre, Plessard et Encrenaz, 2020) ou comme « une configuration organisationnelle adhocratique : flexible et située dans un environnement dynamique » (Paché, 2022).

Référentiels théoriques et éléments de problématique

7Après avoir été pionnière dans le domaine, la sociologie, qu’elle soit anglophone (Weisberg, 1985) ou francophone (Feschet, 1974), semble avoir déserté le domaine à l’exception notable des travaux canadiens de Dorais (Dorais et Ménard, 1987 ; Dorais et Corriveau, 2009 ; Corriveau et Dorais, 2010).

8Si, en France, un certain nombre de sociologues depuis les années 1990 s’intéressent au phénomène de prostitution (souvent de rue), ils n’évoquent jamais, ou à la marge, la prostitution des mineurs. Il faut attendre les années 2000-2010 pour que le sujet de la prostitution des mineurs soit à nouveau abordé. Trellet-Flores (2001) l’aborde sous l’angle de la prévention. « Sujet délicat », la prostitution des mineurs recouvre une réalité multiforme que l’on ne peut pas vraiment chiffrer. O’Deye et Joseph (2006) définissent le phénomène comme « diffus et polymorphe » (p. 20) et émettent des préconisations pour améliorer son repérage.

9Les travaux récents de Collet et Baudry (2022) sur les parcours d’entrée « des mineur·es en situation de prostitution », menés à partir d’observations, d’entretiens individuels et collectifs avec différents acteurs (jeunes, parents, professionnels) dans différentes villes françaises, s’attachent à montrer comment les jeunes s’inscrivent dans des conduites prostitutionnelles et les problèmes posés tant aux parents qu’aux professionnels. Bien qu’utilisant l’expression « parcours de vie », ces auteures précisent que d’un point de vue théorique leur étude « inscrit sa réflexion dans les études sur l’adolescence, notamment la sexualité des adolescent·es, des rapports de genre, explorant les questions d’identification et des stéréotypes genrés » (Collet et Baudry, 2022, p. 167). Les auteures montrent que les portes d’entrée sont plurielles, que les jeunes femmes ont subi une série de violences de nature diverse et que leur vulnérabilité est extrême.

10Dans le champ psychanalytique, les travaux portant directement sur la prostitution des jeunes sont également peu nombreux. Les quelques articles identifiés sont en français (Dubol, 2003 ; Carra, 2016 ; Roman, 2022). La prostitution juvénile s’inscrit dans deux problématiques psychiques plus globales : celle des négligences et des violences, en particulier sexuelles, vécues dans l’enfance et celle des conduites à risque et mises en danger des adolescents (conduites externalisées). Problématiques qui se potentialisent l’une l’autre pour produire à l’adolescence un « cocktail » détonant avec un risque important de troubles externalisés. Concernant les jeunes filles, la littérature évoque essentiellement les troubles alimentaires, les scarifications et les tentatives de suicide. Il est en revanche peu fait mention des conduites sexuelles à risque (Troussier, Benghozi et Ganem, 2012) pourtant très présentes dans la clinique des jeunes filles (Proia-Lelouey, 2021).

11Aucun des travaux susmentionnés n’aborde spécifiquement la prostitution des mineurs sous l’angle des parcours de vie (life course), que nous considérons à la fois comme un concept sociologique majeur et un champ interdisciplinaire dont l’objet est l’étude du déroulement des vies individuelles (Bessin, 2009 ; Cavalli, 2007). Le parcours de vie se définit comme l’ensemble et l’interaction des trajectoires. La trajectoire représente finalement un segment du parcours de vie dans un domaine particulier : familial, scolaire, professionnel, résidentiel (Sapin, Spini et Widmer, 2007). Les parcours sont également marqués par des tournants ou des bifurcations (Bidart, 2006), événements majeurs, prévus ou non (Grossetti, 2006), qui vont produire un changement d’orientation. La théorie des parcours de vie comprend cinq grands principes formalisés à l’origine par Elder (1985) : le développement tout au long de la vie, la temporalité des événements de la vie, l’insertion des vies dans un temps historique et dans l’espace, le principe des vies dépendantes les unes des autres et l’intentionnalité des individus (ou agentivité) qui agissent en fonction des contraintes et du contexte.

12En bref, l’intérêt d’une telle approche, croisant l’individuel et le social, réside dans l’analyse multidimensionnelle qu’elle propose. Au cours des différentes étapes de la vie (dimension temporelle), il s’agit d’observer les interactions de l’individu avec les différents contextes de vie ou cadres dans lesquels se déroulent ses actions et de se centrer sur les événements qui pourraient constituer des ruptures et (ré)orienter son parcours dans des modalités qui lui seraient propres – les mêmes faits ne produisant pas les mêmes effets. Pour Zimmermann (2011), le parcours est finalement la résultante de choix ou de décisions individuelles mais aussi de contraintes plurielles.

13La période pubertaire constitue un traumatisme en soi qui vient potentialiser les éventuels traumatismes précoces et nécessite un important travail psychique pour tout sujet (Gutton, 1991, 1997 ; Cahn, 1991). Il s’agit de métaboliser les poussées pulsionnelles, d’intégrer les angoisses suscitées par l’accès à une sexualité adulte, de s’assurer de son intégrité psychique (narcissisme) tout en reconnaissant l’altérité d’autrui (objectalité). Qualifiés de « travail d’adolescence » (Gutton, 1996), l’ensemble de ces processus sont intersubjectifs avant d’être intrapsychiques. Ils dépendent des dynamiques familiales (groupale, sociale et culturelle) mais aussi institutionnelle et sociétale dans lesquelles évolue le jeune. Ces processus tout à la fois réactivent et sont entravés par d’éventuels traumatismes résultant de négligences et de violences subies dans l’enfance, en particulier des violences sexuelles intra mais aussi extrafamiliales. Parce que le sujet se trouve contraint à subir passivement les événements et/ou actes auxquels il est soumis, ces traumatismes menacent en particulier l’intégration du féminin (Lesourd, 2007). Filles et garçons ont à intégrer du féminin et du masculin dans des proportions variables conduisant à une large palette d’identités de genre. Le masculin, source de l’agentivité, porte sur la prise de possession du monde et d’autrui qui renvoie à l’emprise, au sadisme. Le féminin, au contraire, vise à accepter une dépossession de soi (Lesourd, 2007) qui renvoie à la passivité, au masochisme. Processus différencié d’intégration du sexuel que, de manière caricaturale, la scène prostitutionnelle (et/ou pornographique) vient à représenter avec proxénète et client d’un côté, prostitué·e de l’autre (Proia-Lelouey, 2023). Elle peut alors être pensée comme une sorte de mise en acte externalisée de ce qui devrait (ou aurait dû) constituer un processus de mise en fantasme interne (Proia-Lelouey, article à paraître).

14Au final, l’hypothèse soutenue est que l’approche bifocale retenue permet, au-delà de leur repérage (Benavente et al., 2022), d’appréhender les facteurs de vulnérabilité comme un processus de vulnérabilisation qui implique les niveaux individuel, relationnel, contextuel (Brodiez-Dolino, 2015) et psycho-traumatique (développemental ou événementiel) y compris dans ses effets cumulatifs (Khan, 1963 ; Coen, 2003). Plus finement, nous chercherons à mieux comprendre comment, dans les parcours, des événements de vie déterminants survenus durant l’adolescence (Gutton, 1991, 1996) peuvent être cause et/ou conséquence d’un pubertaire à vif (Gutton, 1991) et entraver le travail d’adolescence sous forme de mise en danger pouvant déboucher sur des conduites prostitutionnelles.

Méthodologie

15Les entretiens de recherche ont eu lieu durant l’année 2021 dans deux établissements de la protection de l’enfance ayant le statut de maisons d’enfants à caractère social (MECS) dans le Grand Ouest français. Les professionnels interviewés étaient volontaires pour participer à la recherche, préalablement présentée en réunion d’équipe. Ils occupaient majoritairement les fonctions d’éducateur·trice (11), de psychologue (1) ou d’infirmière (1). Les professionnels interviewés étaient ou avaient été en contact avec des mineurs en situation de prostitution, ces mineurs ayant fait l’objet d’une mesure de placement par l’ASE. Les entretiens semi-directifs auprès du psychologue ou de l’éducateur·trice référent·e du jeune ont été majoritairement individuels (8). Certains entretiens (5) se sont déroulés collectivement en présence du psychologue et des éducateurs·trices ; à cette configuration s’est ponctuellement ajoutée l’infirmière de la structure. Les professionnels étaient interrogés sur les grandes étapes (enfance, jeunesse) de l’existence de ces jeunes dans différents domaines (vie familiale, scolarité, logement, santé, etc.). Souvent, pour répondre, ils consultaient les dossiers papier des jeunes.

16Notre analyse ne relève pas à proprement parler d’une approche biographique au sens de « se raconter », elle se sert de données de nature biographique pour reconstruire des parcours de vie exemplaires. Les entretiens ont été enregistrés puis intégralement retranscrits et soumis à une analyse de contenu thématique à deux niveaux, horizontale et verticale. Nous avons également procédé à une analyse du discours permettant de différencier les segments narratifs factuels des segments plus interprétatifs.

  • 6 Dans le cadre d’une approche qualitative, plus que de représentativité entachée d’un sens statistiq (...)

17Notre panel était constitué de 13 situations (12 jeunes filles et 1 jeune homme) impliqués dans l’activité prostitutionnelle. Ces situations de jeunes ont été choisies par les équipes socio-éducatives parmi la population accueillie ou suivie à partir de deux critères d’inclusion : minorité et pratique de la prostitution – donc à partir de leur « pertinence théorique par rapport au phénomène étudié » (Imbert, 2010, p. 26). Les jeunes dont il est question étaient originaires des régions Grand Ouest et parisienne (une seule mineure vivait en milieu rural). Il est impossible de savoir si ces cas sont représentatifs des jeunes en situation de prostitution (répartition par genre et appartenance socioculturelle). En revanche, on peut penser qu’ils étaient exemplaires6 d’un certain type de jeunes placés dans des foyers de l’ASE – ceux dont les manifestations comportementales (fugues, délits, prostitution) perturbent le groupe de jeunes accueillis et mettent en tension les établissements qui les reçoivent (Desquesnes et Proia-Lelouey, 2012 ; Desquesnes, Proia-Lelouey et Drieu, 2011). Nous ne prétendons pas dans cette étude atteindre une quelconque validité expérimentale. Nous nous situons dans une démarche compréhensive visant à mettre au jour, à travers les différentes narrations ou histoires (Becker, 2002), le processus qui fait que, à un moment donné de leur trajectoire, des jeunes entrent dans des conduites prostitutionnelles et, ainsi, à mettre du sens sur des comportements souvent jugés incompréhensibles par les équipes éducatives.

18Sur un plan plus concret, nous avons dans un premier temps reconstitué leurs parcours puis nous avons tenté de repérer les éléments communs et les dissemblances dans les diverses sphères de l’existence aux différentes étapes de la vie (enfance et adolescence). Nous avons aussi cherché à identifier des moments-clés, événements majeurs, prévisibles ou pas, qui ont pu constituer un tournant déterminant dans leur vie. Au final, notre but était de comprendre comment l’activité de prostitution venait à s’insérer dans ces parcours et ce que ces derniers donnaient à voir en termes d’éléments marquants d’un processus de vulnérabilisation.

  • 7 Si au départ de cette recherche, dans le volet qualitatif, des entretiens auprès des jeunes en situ (...)

19La portée de nos analyses souffre de limites majeures. Tout d’abord, celle liée au statut même du matériau recueilli, qui se compose finalement de données biographiques que l’on peut qualifier de secondaires puisque non produites par la personne, sujet de la recherche (c’est-à-dire le ou la jeune)7. Ensuite, le fait que nous n’accédons qu’à des parcours reconstitués à partir de la narration qu’en faisaient les professionnels. Même si les professionnels s’aidaient durant les entretiens d’informations puisées dans les dossiers, ces narrations sont inévitablement marquées par des représentations et des interprétations sur la jeune. Nous avons d’ailleurs pu constater lors des entretiens collectifs que les professionnels n’étaient pas toujours d’accord sur les éléments biographiques de la jeune ou de son parcours institutionnel, montrant que les différents acteurs de l’institution disposaient de niveaux d’information et de représentations différents. Ainsi, avons-nous été contraintes de faire avec des données comportant de nombreuses lacunes et imprécisions (dans les dates, les événements, leur chronologie) à travers des récits par ailleurs émaillés d’un grand nombre d’anecdotes. Certains parcours sont de ce fait plus complets et plus riches que d’autres.

20Fréchon et Robette (2013), qui ont étudié et typologisé les itinéraires institutionnels d’une cohorte d’enfants placés, se sont également servis de données biographiques secondaires issues des dossiers archivés à l’ASE et dans les tribunaux des deux départements enquêtés. Ces chercheurs en protection de l’enfance précisent que « les éléments composant les trajectoires analysées doivent donc se comprendre comme ce que retient l’institution pour prendre en charge un enfant en danger » (p. 125).

21Nous présenterons dans un premier temps trois types de parcours biographiques illustrés par leur parangon. Ensuite, nous identifierons les dimensions communes aux différents itinéraires pouvant contribuer à l’entrée dans la situation de prostitution. Enfin, nous évoquerons l’activité prostitutionnelle elle-même, objet elle aussi d’une tentative de typologie, tout en précisant que l’appartenance à ces types n’est pas exclusive, d’autant que les individus peuvent glisser d’un type à l’autre au fil du temps.

Histoires de vie : « Des parcours terrifiants »

22Bien que de nombreux points communs existent entre les itinéraires des 13 jeunes mineures en situation de prostitution, il est impossible, au vu de leur complexité, de dresser un portrait unique et stéréotypé signe d’une vulnérabilité prostitutionnelle. Nous avons donc cherché à identifier les critères de vulnérabilité en amont de l’activité prostitutionnelle. Nous nous sommes appuyées sur différents indicateurs comme les caractéristiques du milieu familial, les événements difficiles (nature et nombre) vécus durant l’enfance et l’adolescence et les modes d’entrée dans l’activité prostitutionnelle. Au final, et bien que leurs contours restent poreux et évolutifs, trois grands types de parcours biographiques ont pu être mis au jour, permettant de saisir les situations de vie et leur enchaînement.

Des parcours « cabossés » (N = 5)

  • 8 Nous utilisons le terme « réseau de prostitution » en référence aux travaux de nos collègues défini (...)

23Ce type, décrit dès les années 1980 (Weisberg, 1985), recouvre des parcours de jeunes « cabossés ». Il cumule la plupart des facteurs de risque identifiés dans la littérature contemporaine (Benavente et al., 2022) : ces mineurs ont vécu dans un milieu familial précaire et souvent marginal voire délictuel (trafic, incarcération, addiction à la drogue ou à l’alcool d’un des parents, familles présentées comme « ayant une réputation »). Majoritairement, le foyer est monoparental ; la vie des jeunes a été ponctuée de violences physiques et/ou sexuelles durant l’enfance et l’adolescence ; ils sont aussi décrits comme isolés. Il s’agit le plus souvent d’enfants non reconnus par leurs pères. Qualifiés de jeunes « à la dérive » par Dorais (2003), ces mineurs se retrouvent, comme on le verra plus loin, dans des formes prostitutionnelles de type « troc » / survie/économique, insérées ou pas dans un réseau de prostitution8.

Cas de Martin

24Le jeune homme est issu de la communauté des gens du voyage sédentarisée depuis quelques générations. Il évolue dans un environnement familial monoparental précaire (mère qui « fait des ménages » et vit d’allocations) et dysfonctionnel : non reconnu par son père qu’il ne connaît pas, il est maltraité physiquement par ses frères mais aussi victime d’abus sexuels par certains d’entre eux ; il est également négligé et malmené par sa mère. La relation avec celle-ci est décrite comme « fusionnelle ». Cette terminologie, fréquemment utilisée par les intervenants sociaux, dénote souvent ce qui en réalité relève d’une relation mère/enfant à tonalité incestueuse (cf. infra). Il est probablement plus soutenable pour eux de la qualifier de « fusionnelle » alors même qu’ils soulignent immédiatement qu’il « a toujours dormi avec elle [sa mère] ». Au décès de la mère, reconnue, selon l’intervenant social, comme « pilier de la famille », Martin a 13 ans et devient pupille de l’État. C’est à partir de ce moment-là qu’aurait commencé son activité prostitutionnelle (exclusivement homosexuelle et hors réseau) à des fins économiques mais aussi affectives. Ce deuil, survenant en période pubertaire sur fond de violence, peut-il être vu comme un tournant dans la vie de Martin – la prostitution venant « suppléer » à ses besoins vitaux matériels et affectifs sur le mode connu depuis l’enfance du donnant/donnant (nourriture/tendresse contre contacts dits « fusionnels ») ? La prostitution, au-delà de ses aspects économiques, manifesterait alors chez Martin la position passive à laquelle mère et frères l’ont assigné et à partir de laquelle il organiserait sa scène adolescente (Gutton, 1996). Le fait de « gérer » son activité en toute autonomie lui donnerait en contrepartie le sentiment d’y occuper une position active.

Des parcours marqués par la migration (N = 5)

25Le parcours de vie de ces jeunes est en lien avec le parcours migratoire des familles (arrivée séparée des parents, aller-retour d’un des parents dans le pays d’origine, difficulté à parler la langue, problèmes de logement). Si l’origine ethnique est identifiée comme facteur de risque dans la littérature internationale, la migration (dans le jeune âge ou par la génération précédente) n’est citée que par Benavente et al. (2022).

26Souvent les mères sont en outre présentées comme démunies intellectuellement (3 sur 4), « ne posant aucun cadre » ; le milieu de vie demeure précaire (ressources, conditions matérielles de vie, langue parlée), une mère sur deux a connu l’errance à son arrivée (ou plus tard) en France, il s’agit le plus souvent de femmes en situation de monoparentalité (4 sur 5) et pour la plupart avec un unique enfant (3 cas sur 5). Les pères, quand ils sont connus, sont souvent présentés comme se trouvant dans des conduites délictuelles. Enfin, les parcours des jeunes sont marqués par l’existence d’abus sexuels extrafamiliaux à l’adolescence.

27Ces jeunes insérées dans un réseau de prostitution sont souvent prises en charge pour des faits de prostitution par le dispositif de protection de l’enfance vers 14-15 ans. L’activité prostitutionnelle est « délibérée » et vue comme une solution aux problèmes économiques. Déjà décrite dans les années 1980 (Weisberg, 1985), cette forme de prostitution est actuellement revendiquée sous le vocable d’« escorting ». Les jeunes femmes concernées, dénommées par Bigot (2008) « entrepreneuses par vengeance », revendiquent explicitement leur agentivité. Ces profils mettent d’ailleurs à mal le paradigme victimaire tel qu’il a pu être défini dans la littérature anglo-saxonne dans les années 1990-2010 au point de le voir, depuis quelques années, questionné (Litam et Lam, 2021 ; Baird et Connolly, 2023).

Cas de Fatou

  • 9 Parmi les différents rôles des personnes impliquées dans l’activité de prostitution, Lavaud-Legendr (...)

28Fatou est née en Afrique ; arrivée quand elle était bébé en France (région parisienne), elle fait actuellement des démarches pour obtenir la nationalité française. Enfant unique, elle n’a pas connu son père ; elle vit dans un logement social avec sa mère qui l’élève seule et dispose de peu de ressources (« fait des ménages dans un hôtel »). L’entrée dans l’activité prostitutionnelle s’effectue sur fond d’absentéisme scolaire et dans des circonstances dont on ne saurait exactement retracer l’enchaînement : l’invitation d’une copine-tutrice9 à une soirée festive avec drogues et garçons, un premier rapport sexuel non consenti avec un petit ami/proxénète. Une enquête de police a lieu à la suite d’autres événements dans lesquels elle était impliquée (guet et récupération de l’argent lors d’activités prostitutionnelles) au sein d’un réseau alors qu’elle avait 14-15 ans. Ces faits entraîneront, après une mesure d’éloignement, son placement judiciaire en MECS. Fatou ne nie pas son activité prostitutionnelle, qu’elle aurait ponctuellement reprise lors de fugues au début de son placement en MECS, lieu où elle a en outre côtoyé d’autres jeunes impliquées elles aussi dans une pratique similaire.

29Fatou coche à peu près toutes les cases des jeunes à risque d’exploitation sexuelle (Laird et al., 2020) mais fait partie de ces jeunes qui poursuivent délibérément leurs activités prostitutionnelles. Elle est en cela exemplaire des jeunes qui ne répondent pas au profil de « la victime parfaite » (Litam et Lam, 2021) :

  • 10 Les citations proviennent des entretiens de recherche réalisés auprès des professionnels (éducateur (...)

« Mais en tout cas elle est constamment au téléphone avec un garçon, et parfois elle part, elle dit : “oh bah, je vais réserver un appartement AirBnB”, et elle en parle aux filles comme ça librement devant nous : “On va faire des soirées, il y aura des garçons”10. »

30Cette situation perdure alors même qu’elle a bénéficié d’une bonne prise en charge par les services éducatifs, ce qui les laisse dans un grand désarroi :

« Quand elle est ici, on a l’impression qu’il y a une vraie volonté de s’en sortir, elle adhère à ce qu’on lui propose, elle se sert bien des outils qu’on lui propose, mais quand elle est sur Paris… »

31Les professionnels s’expliquent ce fonctionnement déroutant par l’« emprise » que Fatou subirait :

« En fait, il y a quand même quelque chose à rajouter je pense, c’est qu’elle n’aime pas cette activité mais il y a quand même une forte emprise aussi de la part de ce proxénète qui agit un peu comme lover boy. »

32Attribuée à son proxénète actuel alors que Fatou en a changé plusieurs fois et a joué divers rôles dans l’activité prostitutionnelle avant de le rencontrer, cette emprise paraît davantage relever du « réseau » qui lui « offre » l’opportunité d’une appartenance et d’une reconnaissance sociale, ce que ni famille ni école n’avaient réussi à lui procurer. James (1980) et Silbert et Pines (1982) ont bien décrit ce processus (cf. infra) qui permet à la jeune de trouver une source d’affiliation « valorisante » (appartenance à un groupe « dominant », nanti, dispendieux et festif…). Cette emprise du groupe n’est bien sûr pas exclusive et peut se cumuler avec celle d’un individu particulier :

« Elle a dit qu’elle a eu différents proxénètes, mais celui-là, elle espérait peut-être une relation plus… du côté plus affectif. »

33L’emprise du lover boy est régulièrement décrite dans la littérature (Silbert et Pines, 1982 ; Baird et Connolly, 2023) et source de nombreuses interrogations. Reid (2016) avance comme explication un « attachement dysfonctionnel ». Elle s’applique certainement à Fatou dont la mère n’a probablement pas pu, au vu de son propre parcours, lui offrir les conditions d’un attachement sécure. Souffrant de vécus abandonniques, Fatou, comme beaucoup d’autres, est en recherche de tendresse et d’amour mais aussi de valorisation. À l’orée de la puberté, cette demande s’adresse aux hommes : le père que Fatou tente de retrouver mais aussi l’« amoureux ». Ces demandes anaclitiques et narcissiques la rendent d’autant plus vulnérable qu’en plein processus pubertaire, elle est confrontée au sexuel et soumise à de nombreuses confusions (amour = sexualité, fantasme = réalité, désir de l’autre = désir propre).

34Le viol (peut-être collectif) perpétré par ou sous couvert de son premier petit ami n’est jamais énoncé comme tel. On retrouve les mêmes minimisations et évitements que dans la présentation de Martin, signe probable du malaise des professionnels. Pourtant, ce viol constitue probablement le tournant déterminant de son parcours. Les agressions sexuelles sont un facteur connu de risque d’exploitation sexuelle (Franchino-Olsen, 2021) et sont souvent identifiées comme « rite d’initiation » à la pratique prostitutionnelle (Baird et Connolly, 2023). L’agentivité déployée par la jeune fille peut être vue comme une défense psychique contre les effets traumatiques des agressions subies en lui donnant l’illusion de retrouver la maîtrise de sa vie.

Des parcours moins marqués par les aspects socio-économiques et la violence intrafamiliale (N = 3)

35Il s’agit ici d’une catégorie hétérogène composée de parcours marqués globalement par des conditions de vie socio-économiques moins précaires et une enfance a priori plus « ordinaire » masquant souvent des dysfonctionnements familiaux. On note pour les trois jeunes concernées des faits marquants : handicap pour l’une ; délaissement des parents et mort récente du frère suite à des conduites suicidaires pour la deuxième ; séparation des parents, suivie d’un refus de la mère d’accueillir sa fille (restée avec le père) pour la troisième. Cette dernière sera aussi victime de harcèlement sexuel avec une suspicion d’agression sexuelle. On retrouve ces jeunes dans des formes prostitutionnelles plutôt occasionnelles ; certaines « tombent dedans » par contact avec d’autres jeunes lors de leur placement.

Cas de Gabrielle

36Jeune femme atteinte d’un handicap, elle est appareillée depuis peu, ce qu’elle ne supporte pas. Elle est scolarisée au collège mais le fait qu’elle soit en classe spécialisée ne facilite guère l’intégration au sein des groupes de pairs. Gabrielle vient d’un milieu aisé (père cadre). La mère semble cependant « déclassée » socialement depuis la séparation des parents. Aux dires rapportés de Gabrielle, elle se serait prostituée « pour sa mère qui aurait besoin d’argent ». Les parents se sont séparés quand elle avait 10 ou 11 ans ; elle vit depuis chez son père. Depuis que père et fille vivent seuls, la relation ne cesse de se détériorer et Gabrielle multiplie les fugues. Elle finit par être placée en urgence à l’âge de 15 ans avant de l’être dans un foyer éloigné du domicile du père (et de celui de la mère). Elle serait entrée dans des conduites prostitutionnelles durant ce placement mais lors d’une synthèse, les professionnels « découvrent » que la prostitution aurait finalement commencé bien avant :

« J’avais noté, donc le 18/05, “Madame … [la référente ASE] nous informe que Gabrielle était déjà dans les activités prostitutionnelles avant son arrivée […] et avant son placement, environ depuis 1 an”. »

37Les conduites prostitutionnelles de Gabrielle auraient donc commencé vers 14 ans (voire plus tôt). Elles semblent s’inscrire dans une problématique adolescente perturbée par une vie familiale dysfonctionnelle. Les parents continuent à se fréquenter (ils s’hébergent mutuellement) tout en poursuivant leurs interactions conflictuelles :

« La relation entre le père et la mère reste conflictuelle, chacun discréditant l’autre, tout diverge dans les discours, la manière d’amener l’éducation, par contre ils s’hébergent mutuellement à leurs domiciles afin de faciliter les rencontres avec Gabrielle, ce qui ajoute de la confusion pour Gabrielle, elle est prise dans le conflit parental […]. »

38Le handicap de Gabrielle a pu conduire son père à la surprotéger. À l’adolescence, faute d’un réaménagement de cette dynamique, la situation devenait explosive du fait de la réactivation des motions pulsionnelles incestueuses.

« Et il y a aussi un climat incestueux un peu à la maison quand même […] avec le huis clos avec son père. »

39La distanciation ne peut alors opérer que par le conflit, la violence et la fuite (fugues à répétition). Pour autant, Gabrielle n’échappe pas à ces motions qu’elle vient probablement inconsciemment mettre en acte dans ses pratiques prostitutionnelles.

Parcours de mineures prostituées : des points communs dans des configurations diverses

Des trajectoires familiales et scolaires en échec

40En accord avec la littérature dès les travaux de Feschet (1974) ou de Weisberg (1985), la population étudiée dans cette enquête est constituée de jeunes venant essentiellement de milieux populaires et précaires : une seule jeune est issue d’un milieu plus aisé (père cadre). Certaines familles, insérées dans des activités délictuelles, sont bien connues des services sociaux et craintes dans leur quartier ou commune. La migration, très peu évoquée dans la littérature, est présente dans la plupart des histoires de ces jeunes (3 sont arrivées enfant en France, 6 ont des parents de nationalité étrangère) ; les professionnels disposent de peu d’éléments sur les trajectoires migratoires (raisons du départ de la famille, arrivée en France, dates, etc.). Pourtant, le déracinement culturel et social que la migration induit et les éventuels événements tragiques vécus avant ou au cours de la migration constituent des sources de traumatismes majeurs, directs et/ou transgénérationnels, qui peuvent expliquer pour partie le parcours de ces jeunes filles.

41Le rapport des jeunes à l’école est pour le moins erratique. Bien qu’il ne soit pas toujours fait mention de difficultés d’apprentissage, le niveau relevé en moyenne est celui d’un élève de 4e ou 3e sans diplôme. La scolarité de ces jeunes au collège est avant tout émaillée d’un absentéisme important. Si ce facteur apparaît systématiquement, des études anciennes (James, 1980 ; Silbert et Pines, 1982) précisent qu’au-delà de l’échec scolaire, la déscolarisation indique la mise en échec du processus de socialisation dans le groupe de pairs. L’isolement au sein de la famille se double alors d’un isolement au sein de la communauté éducative. Cet isolement, émaillé de problèmes de comportement (insolences, bagarres, insultes, tenues et attitudes inadaptées dans l’enceinte scolaire), pousse ces jeunes vers des groupes déviants disposés à les accueillir. Lieu des premières mises en danger, le collège est souvent aussi le donneur d’alerte (rédaction du recueil d’informations préoccupantes) qui fait entrer le jeune dans le dispositif de protection de l’enfance (cf. supra, cas de Fatou).

La prégnance des violences subies durant l’enfance et l’adolescence

42Les violences intrafamiliales subies, facteur de risque identifié dès les années 1980 (Weisberg, 1985), marquent les parcours de vie. Néanmoins, dans deux situations, rien de cet ordre n’est mentionné. Ces violences sont avant tout physiques (7), parfois liées à un décalage entre culture d’accueil et culture d’origine dans le mode d’éducation. Les jeunes peuvent aussi être témoins de violences conjugales (3). Quatre cumulent différentes maltraitances dès l’enfance. Concernant les agressions sexuelles intrafamiliales, une seule situation présente des faits avérés et deux autres font l’objet de suspicions. De très nombreuses études aux résultats contradictoires ont été réalisées sur le lien causal entre abus sexuel et prostitution. Selon l’étude de Seng (1989), le lien serait transitif : abus sexuel > fugue > prostitution. Dans les entretiens analysés, les professionnels adoptent une attitude fataliste à l’égard des fugues (reconnues dans toutes les études comme un facteur de risque majeur).

43Les violences extrafamiliales (à l’adolescence ou préadolescence) concernent des situations de harcèlement scolaire et des agressions sexuelles ; pour certaines il s’agit de rapports sexuels non consentis et non identifiés comme agression par les victimes. Ces agressions sont liées aux mises en danger, en particulier lors des fugues (4), et constituent un facteur de risque d’exploitation sexuelle surajouté à ceux déjà identifiés (Weisberg, 1985 ; Benavente et al., 2022).

44Ces jeunes vont par ailleurs être doublement victimisées : du fait des agressions sexuelles subies mais aussi du fait de l’absence de traitement social et judiciaire de celles-ci. Par connaissance tardive et/ou trop lacunaire des agressions, certaines ne sont tout simplement pas signalées. D’autres sont laissées sans suite car la jeune n’a pas été jugée crédible soit par ses parents, soit par l’institution. Soulignons aussi que lorsque ces événements ont été signalés, les faits de violence n’ont donné lieu – à ce jour – à aucune suite sur un plan judiciaire. Ainsi, au défaut de protection de la famille, s’ajoute un défaut de protection de la société et de ses institutions. Ces constats font écho aux propos de DeCoux Hampton et Lieggi (2020), qui soulignent que les jeunes sexuellement exploités perçoivent les institutions négativement : l’école est vécue comme inhospitalière (indifférente aux jeunes). Quant aux interventions de la protection de l’enfance, ils les considèrent même comme aggravant leurs problèmes.

Des configurations familiales multiples et déstructurées

45Les configurations familiales sont dominées par les conflits au sein du couple et entre parents et enfants. Sans recours possible à la conflictualité entendue comme capacité à accepter, parler et gérer les conflits, ceux-ci sont mis en acte et provoquent instabilité, violences, rupture des liens sur fond de multiples problématiques addictives, qui constituent autant d’événements biographiques difficiles.

« En fait, ils [les parents] se sont séparés, ça allait bien avant, et quand ils se sont séparés, c’est là où les problèmes ont commencé à arriver pour Gabrielle. » (Situation de Gabrielle.)

46Pour d’autres, c’est la remise en ménage du couple après une séparation qui va avoir des conséquences dévastatrices :

« Elle [la mère de Darika] avait fait les démarches avec une assistante sociale, elle avait trouvé un logement, et Darika était contente, elle pensait pouvoir emménager avec sa mère parce que tant qu’il y avait son père, elle ne pouvait pas retourner au domicile, et quand ça a été décidé, finalement elle a appris que son père allait déménager avec sa mère. Et alors là, ça a été très très difficile […]. Sa fille a été dévastée d’apprendre que sa mère allait aménager avec son père, rendant de ce fait son retour inenvisageable ; elle n’a pas compris la décision de sa mère. » (Situation de Darika.)

47Les relations avec la mère sont complexes, souvent qualifiées de « fusionnelles ». Les descriptions semblent surtout rendre compte de mères au profil immature, débordées, elles-mêmes en quête de liens affectifs sur un mode infantile. Ces contextes sont propices à des relations perturbées avec l’enfant dans lesquelles la mère assigne à l’enfant, non reconnu dans son altérité, la fonction d’objet anaclitique de remplacement. Cette assignation comme objet antidépressif se double souvent d’une confusion entretenue (inconsciemment) par la mère entre les registres maternel et sexuel.

« Et il y a une relation aussi avec sa mère, très très fusionnelle, elles ont dormi jusqu’à ses 17 ans dans le même lit, ça faisait un peu… Et quand la mère a rencontré quelqu’un, ça a été terrible pour elle parce qu’elle était très jalouse de ce statut-là, elle avait perdu quelque chose, une partie d’elle. » (Situation de Rose.)

« Tout tournait autour d’elle [la mère], et tous les frères et sœurs ont pu reprocher à Martin d’être responsable de la mort de la maman… parce que la maman avait une relation… très fusionnelle avec Martin […]. Et oui, le décès de la mère a été un chamboulement pour tout le monde, et en même temps les violences qu’il y avait entre les uns et les autres, bah je pense que la mère était un peu là quand même pour calmer les choses, les contenir, et vu que la mère n’est plus là, bah du coup c’est une catastrophe. » (Situation de Martin.)

48Cette confusion des registres de la tendresse et du sexuel (Ferenczi, [1932] 1982 ; Farkas, 2021), l’enfant va la faire sienne, ce qui le conduit à accepter des propositions sexuelles car perçues comme des offres d’affection.

« Ce n’est pas ce qu’elle cherche, elle cherche certainement autre chose, elle cherche peut-être de l’affection… Sa demande n’est pas celle qui… Elle est mal interprétée sa demande apparemment […]. Elle se retrouve souvent dans des situations où finalement elle est victime, mais elle communique mal en fait, ou c’est mal interprété par l’autre, par les garçons, par les hommes. » (Situation de Darika.)

49Les pères sont souvent signalés comme absents ou « de passage » ; ceux qui sont présents sont décrits comme violents (réellement ou fantasmatiquement). Dans aucune de ces configurations, ils ne semblent incarner une figure d’autorité qui serait limitante pour la mère et référente de la loi symbolique et sociale pour l’enfant. Sans légitimité, leurs interventions sont alors vécues dans les propos rapportés des jeunes comme une violence insupportable.

« Et Rose disait : “Mon père, ce n’est pas quelqu’un en qui on peut faire confiance, ce n’est pas un homme de confiance.” » (Situation de Rose.)

« Déjà, son père l’avait beaucoup déçue, enfin il l’avait utilisée dans ses trafics [de stupéfiants] » (Situation d’Élodie.)

« Il y a une fois, une éducatrice a accompagné Sita dans un appel avec son père, mais elle a très peur de son père hein. » (Situation de Sita.)

50Certains sont décrits par les professionnels comme générant un climat ou une atmosphère « incestueuse/ incestuelle » sans qu’il soit fait mention de faits réels rapportés par la jeune. Pour autant, ils ont peut-être perçu, comme chez Gabrielle, les dimensions inconscientes sous-jacentes aux interactions familiales.

Événements de vie difficiles et imprévus

51Des événements familiaux difficiles qui s’ajoutent à des configurations déjà complexes parsèment les parcours de ces jeunes et sont identifiés comme des moments-clés dans les itinéraires entraînant un changement dans leur vie. Pour Martin et Julie, ce sont les décès respectivement de la mère et du frère :

« La mère était vraiment tyrannique, c’était un petit peu elle qui gérait tout, et en fait quand elle est décédée, du coup, toute la famille s’est un peu effondrée. Tout tournait autour d’elle. » (Situation de Martin.)

« À 11 ans donc, son frère est décédé [suite à des conduites suicidaires], ça a été à moitié caché, pas dit clairement, accident… Donc madame en dépression totale à la perte de son fils, dépression totale mais c’était aussi son préféré, son fils c’était… il est décédé et elle ne s’en est jamais remise. » (Situation de Julie.)

52Ces événements combinés à la traversée du pubertaire vont favoriser les passages à l’acte (fugues) et les mises en danger :

« Après le décès de la maman, je pense que dès le décès de la maman du coup, à la maison il fallait bien payer les factures […]. Il a pris entre guillemets un peu le relais et il a commencé à faire des passes, puis il a été placé en famille d’accueil. » (Situation de Martin.)

« Et le problème c’est qu’elle a laissé un peu à l’abandon sa fille, puis comme elle était qu’avec sa fille la semaine puisque monsieur revenait que le week-end eh ben elle s’est sentie aussi abandonnée par son père, qui lui, n’a pas pris le relais. Et du coup elle a été sur les réseaux sociaux, elle s’est accrochée avec un garçon sur B., elle est partie sur B. et elle s’est faite violer. » (Situation de Julie.)

53L’intervention des adultes (famille et institutions) se révèle souvent tardive, inappropriée et sans suite :

« Monsieur et madame ont eu du mal à le croire, voilà, à pouvoir… Donc ce qui a été compliqué au niveau du dépôt de plainte […]. Eh ben il y a eu un dépôt de plainte mais ça n’a pas du tout abouti, je ne sais pas quel élément il manquait mais en tout cas, ça n’a pas abouti. » (Situation de Julie.)

Puberté et adolescence, une crise maturative à haut risque

  • 11 Du fait de sa charge sexuelle, la pulsion se révèle traumatisante et au même titre qu’un événement (...)

54Comme indiqué plus haut, l’adolescence nécessite un travail psychique intense de la part de l’adolescent (et de son entourage). Le jeune doit trouver des ressources internes et externes alors même qu’il en manque du fait du pubertaire, d’où le recours à l’acte (addiction, passage à l’acte auto et/ou hétéro-agressif) comme mode de défense privilégié (Jeammet, 1985). La fugue est un recours à l’acte très fréquemment mis en œuvre par les jeunes, elle peut même être le symptôme cardinal de la crise pubertaire par lequel le jeune cherche à fuir le contexte familial mais, aussi, à se fuir (vainement) lui-même – en fait à fuir la charge effractive pulsionnelle11 et la proximité des objets primaires (parents). Or, la fugue est propice aux (mauvaises) rencontres déterminantes pour la suite de leur parcours. Ces jeunes livrés à eux-mêmes et démunis sont en effet des proies faciles pour des adultes et/ou d’autres jeunes malveillants :

« Elle s’était débrouillée, donc elle devait avoir 11 ans et demi ou 12 ans, et elle s’était débrouillée à prendre un train, voilà, d’aller à B., quoi, très démerde quoi. Elle l’a rencontré, ça devait être quelqu’un qui était là quand maman, papa n’étaient pas là […]. Oui, avec qui elle avait échangé [sur les réseaux] et ils s’étaient donné rendez-vous et donc il l’a violée. » (Situation de Julie.)

55Ces mises en danger sont d’autant plus présentes que ces jeunes n’ont pas pu s’approprier leur corps propre et sont en quête de limites psychiques et corporelles tout en étant en grande demande affective. Le pubertaire, les troubles liés aux vécus infantiles (négligences, violences sexuelles), l’intérêt sexuel, le leur mais aussi celui des autres, les mettent au comble de la confusion quant à leurs propres besoins physiques et psychiques et les conduisent à accepter l’inacceptable.

Multiplicité de formes prostitutionnelles

56La typologie proposée a été construite selon le mode d’entrée et de maintien dans la prostitution (Baird et Connolly, 2023 ; Reid, 2016), la position dans l’activité (prostituée, rabatteuse, guetteuse, initiatrice, proxénète), l’appartenance ou non à un réseau de prostitution et les raisons supposées données à l’entrée dans la prostitution. L’entrée par incitation/contrainte du petit ami reste le mode le plus fréquent ; cette relation au petit ami a été beaucoup décrite dans la littérature (Gray, 1973 ; Baird et Connolly, 2023).

57Un point commun traverse toutes les configurations : la prostitution s’exerce par l’entremise d’Internet (Laird et al., 2020 ; Baird et Connolly, 2023), notamment sur des sites spécialisés (Sex model), d’annonces ou de rencontres (Vivastreet, Wannonce), avec pseudo (Alicia 144) et photographies des jeunes dénudées, ou bien encore sur les réseaux sociaux (Snapchat, Facebook, Instagram). Comme l’ont montré Dorais (2003) pour la prostitution masculine ou Bigot (2008) pour les femmes pratiquant l’« escorting », ou bien encore Maes (2018) pour la prostitution étudiante et de rue, les formes de prostitution des jeunes sont plurielles. On les présentera en tentant de faire le lien avec les types de parcours biographiques identifiés précédemment. Au fur et à mesure de leur histoire, les jeunes peuvent passer d’une forme prostitutionnelle à une autre.

Prostitution hors réseau de type survie (N = 3)

58On retrouve ici les parcours biographiques qualifiés de « cabossés », ceux de jeunes qui ont évolué dans un milieu familial particulièrement dysfonctionnel. Les activités prostitutionnelles servent à combler les besoins élémentaires des jeunes qui se retrouvent désaffiliés (à la rue et/ou en conflit avec leur famille). Deux sous-types sont identifiés.

La prostitution hors réseau de type « survie » circonstancielle

59Nous la qualifions ainsi car cette forme serait liée aux circonstances ; elle prend plutôt la forme d’un échange ou « troc » (un service sexuel contre de la drogue, du cannabis, des cigarettes, etc.) ou se pratique parfois contre un peu d’argent. Cette forme constitue une porte d’entrée ou le premier stade dans la « carrière » de prostitution plus formelle et encadrée (réseau).

« Élodie, pour s’en sortir, pour avoir en tout cas, pour survivre à toutes les journées difficiles parce que chaque jour était plutôt un combat bah “je vais boire, je vais fumer, puis bah pour ça il faut de l’argent donc, si je ne vole pas du coup qu’est-ce que j’ai, je vais aller faire une fellation, voilà, je vais aller coucher avec quelqu’un d’autre”. » (Situation d’Élodie.)

« C’était comme ça qu’elle pouvait se payer sa drogue, et c’était comme ça qu’elle pouvait se payer de temps en temps un hôtel en dehors de chez la famille, c’était comme ça qu’elle pouvait se payer à manger, c’était comme ça qu’elle pouvait se payer des vêtements, c’était comme ça qu’elle pouvait vivre, mais du coup elle ne nous disait pas où, quand, quoi, comment. » (Situation de Jasmine.)

La prostitution hors réseau de type « survie » structurée

60Le cas de Martin illustre cette forme de prostitution autogérée. Dans son parcours, l’activité débute vers l’âge de 13-14 ans au domicile de sa mère :

« Pour payer les factures […] c’était pour s’acheter des clopes et puis bah pour… pouvoir se faire un McDo […]. Ça se passait par Facebook. Via Facebook pour lui, alors ce n’est pas un gros réseau lui, il n’est pas dans un réseau ou quoi que ce soit, il n’y a personne au-dessus de lui. […] C’est vraiment lui, de lui-même, qui décide, il n’a pas de mac ou quoi que ce soit, c’est vraiment lui qui gère ses passes. » (Situation de Martin.)

Prostitution au sein d’un réseau de prostitution de type survie et/ou économique (N = 3)

61L’entrée dans l’activité s’est faite par le petit ami, la jeune entre dans un réseau de prostitution et le « mac », selon les termes utilisés par les professionnels, exerce une relation d’emprise. Les trois jeunes dans ce type de prostitution sont issues d’un foyer monoparental relativement précaire. Les professionnel·les constatent un déni de l’activité.

« Elle faisait ça pour une grande, elle lui donnait ses rendez-vous, ce n’était pas elle qui avait la main ni le contact avec les clients, c’était des rendez-vous organisés par quelqu’un de plus âgé qu’elle, qui du coup était à la tête d’un réseau prostitutionnel. » (Situation de Sara.)

Prostitution au sein d’un réseau de prostitution, « assumée », et revendication du « métier d’escort » (N = 4)

62On retrouve dans cette forme les jeunes ayant connu un parcours migratoire et qui valorisent le « métier d’escort », expression – et euphémisme – utilisée par ces mineures. Ces jeunes femmes seraient animées par la perspective de gagner, par elles-mêmes, de l’argent facilement, d’obtenir une « reconnaissance sociale », d’atteindre une forme de réussite sociale à travers ce que l’on pourrait qualifier d’« activités d’autoentrepreneuriat » avec banalisation du sexe présenté comme un travail : « Elle disait : j’ai bossé », « savoir gérer leur agenda, les rendez-vous », « être une femme d’affaires ». Les jeunes peuvent parler de cette activité. L’entrée se fait par le petit ami ou bien une copine. Cette pratique, qui a commencé bien avant la prise en charge en protection de l’enfance, est associée à la consommation de drogues dures.

« C’est une jeune femme qui se dit heureuse, qui aime l’argent, qui ne supporte pas l’autorité, et elle était dans des conduites prostitutionnelles à partir de 15 ou 16 ans je crois. Et elle en parle facilement, elle idéalise parce qu’elle a dit qu’elle aime bien l’argent. […] Elle avait un petit ami, et c’est ce petit ami qui l’a fait rentrer. […] Elle avait beaucoup investi dans cette relation, et je crois qu’il lui avait dit qu’il a eu des problèmes d’argent… Enfin, comme souvent, ils vont dire : “Oh, tu ne peux pas m’aider ? Je galère là c’est difficile”. En tout cas, c’est avec lui qu’elle a commencé à se prostituer, pour l’aider. » (Situation de Kenza.)

« Sur un week-end de fugue, sur un week-end elle a eu un client toute la nuit, c’est ce qu’elle expliquait. Et elle ne parle pas de prostitution par contre, elle dit qu’elle a une activité d’escort. » (Situation de Fatou.)

« Moi je pense qu’elle est essentiellement dans la recherche de l’argent, elle aime l’argent, elle le dit hein, elle en a besoin. Elle flambe tout, tout de suite […]. Elle parle d’escort-girl. Elle s’organise ses agendas, ses soirées en fonction de ça quand même, elle est très active… Il y a des moments totalement de banalisation et de dissimulation, et il y a d’autres moments où elle se revendique, elle veut en faire un métier. » (Situation d’Assa.)

La prostitution au cours du placement en foyer (N = 5)

63Cette dernière forme de prostitution concerne les activités prostitutionnelles organisées par des jeunes du foyer durant le placement en protection de l’enfance. Période de vie instable, le placement est malheureusement reconnu dans la littérature comme un facteur de vulnérabilité pouvant mener à la prostitution (Benavente et al., 2022 ; Frithmann et Gavens, 2022). L’entrée s’effectue par contact et influence des pairs en situation de prostitution :

« Je sais uniquement qu’elle partageait la chambre aussi avec une jeune qui était dans les conduites prostitutionnelles [Fatou], et elle n’était pas du tout là-dedans dans un premier temps, et puis elle s’était toujours positionnée de façon à ce qu’elle soit complètement contre ces conduites hein. » (Situation de Darika.)

64Les « initiées » en viennent à reproduire les modes de recrutement qu’elles ont elles-mêmes vécus :

« […] Voilà comment ça a commencé… Et donc du coup bah… Rose et Sita ont commencé à bosser ensemble, à visualiser les filles vulnérables, les mettre sous leur aile, et après à fuguer avec elles sur Paris et à se prostituer avec elles, en créant leurs annonces sur Wannonce. Et puis bah voilà, ça s’est fait un peu comme ça. » (Situation de Rose.)

Activités de prostitution et de prestataire (N = 6)

65Souvent ces jeunes effectuent des activités annexes dans le réseau de prostitution : recrutement, aide au transport de drogue, guet, rôle de « rabatteuse/racoleuse », récupération de l’argent. Ces activités, cumulées avec celles de prostitution, relèvent de la fonction de « prestataire » dans l’organisation du réseau de prostitution selon Lavaud-Legendre, Plessard et Encrenaz (2020). Ce type d’activités se situent plutôt en amont de la « carrière » de prostitution.

« Elle était en tout cas impliquée dans le recrutement, ça c’est sûr, ça s’est avéré… On a eu plusieurs témoignages d’autres jeunes qui disaient que voilà, elle approchait les nouvelles hein. On avait eu notamment une jeune qui est arrivée, d’origine maghrébine, assez fragile aussi, tout de suite elle l’a très vite approchée. » (Situation de Sita.)

La « carrière » de prostitution

66Une même jeune peut relever, par les caractéristiques de son activité et au fil du temps, de plusieurs formes prostitutionnelles. En particulier, comme le soulignait déjà la littérature des années 1980-1990 (Silbert et Pines, 1982), la prostitution proprement dite (un commerce sexuel organisé) est souvent précédée d’une phase de « sexe de survie » qui crée une habituation à vivre des expériences sexuelles non souhaitées. En reprenant le concept de « carrière » au sens de Becker (1985, p. 47) comme « suite de passages d’une position à une autre », nous nous sommes efforcées de retracer la succession de séquences ou d’étapes dans la carrière déviante de prostitution, mais aussi de choix successifs. Nous nous appuierons sur le cas d’Élodie.

67La jeune est d’abord utilisée par son père qui l’insère dans son réseau (de trafic de stupéfiants). Déclarée en danger dans sa famille, à 13 ans, elle est placée et entre dans une prostitution de type troc lors de son séjour au foyer de l’enfance, avec parallèlement une activité de prestataire :

« Je pense qu’au foyer de l’enfance, comme elle s’est retrouvée hors de chez ses parents, elle voulait avoir de l’argent pour la journée parce qu’en fait elle ne faisait rien… enfin voilà, il fallait de l’argent, même à 13 ans et demi. Donc je pense qu’elle a gratté un peu ses parents en foyer de l’enfance, elle a toujours gratté ses parents, et dès qu’elle ne pouvait pas, c’est là où ça a été un peu du troc, “tiens je vais faire le guet sur ça, toi tu me donnes 10 balles, moi je vais aller m’acheter un peu de cannabis ou des clopes”, je pense que ça a commencé. »

68Décrite comme violente et dans des conduites délinquantes, Élodie est continuellement en fugue durant sa prise en charge éducative. Vers 17 ans, placée en autonomie dans un appartement situé dans un quartier à forte délinquance, elle rencontre une « copine » prostituée, ce qui contribuera à son intégration progressive dans le groupe déviant ou « gang ».

« Je pense que ça a commencé un peu au foyer de l’enfance et que ça s’est très accentué [après]. Et puis, parce qu’aussi elle a commencé à traîner à la gare, que le foyer n’était pas loin de la gare, elle a commencé à être avec des communautés […]. Ça a commencé à se mettre en place, toujours pas forcément bien, besoin de consommation, traîner avec des gens à la gare qui l’ont entraînée aussi là-dedans, alcool, cannabis, c’est là qu’elle a touché aussi cocaïne, héroïne, donc besoin d’argent et voilà. »

69Elle entretient au sein du gang une relation avec un garçon, probablement son proxénète, dont elle tombera enceinte ; elle sera alors accueillie dans une structure adaptée et se sortira de ce milieu.

Conclusion

70Reposant sur une mise en récit du passé des jeunes et de leur histoire, redonnant ainsi à leurs vécus une temporalité à la fois événementielle et psychique (inter et intrasubjective), le travail réalisé permet de mieux comprendre le devenir et l’entrée dans la prostitution de ces mineures. Le croisement des approches microsociologique et psychodynamique montre la nécessité de penser les problématiques de ces jeunes selon une épistémologie multicausale incluant des registres hétérogènes (économique, social, culturel, relationnel, intersubjectif et intrapsychique). Si tantôt les unes, tantôt les autres dominent le tableau, elles n’en sont pas moins toutes à l’œuvre dans chacune des situations.

71Au-delà d’une simple corroboration des données de la littérature (dysfonctionnements familiaux, violences diverses subies durant l’enfance et l’adolescence, addictions des parents, milieux populaires, etc.), notre étude met en évidence une constellation de vulnérabilités qui vont s’organiser selon des combinatoires spécifiques à chaque jeune. Si elles conduisent toutes à une désaffiliation progressive (Silbert et Pines, 1982 ; Castel, 1995), elles montrent néanmoins que chaque parcours est singulier et qu’il n’est donc pas possible de soutenir l’idée d’un parcours de vie type menant à l’activité prostitutionnelle. Les vécus antérieurs, les contextes de vie (familiaux et institutionnels), les « tournants » provoqués par des événements de vie prévisibles ou non, les rencontres également, sont autant d’éléments qui, dans cette phase existentielle particulièrement délicate qu’est l’adolescence, vont constituer un processus de vulnérabilisation.

72Ces variations se retrouvent également dans les pratiques prostitutionnelles, qui, si elles répondent aux besoins (économiques et affectifs) identifiés de longue date dans la littérature, prennent des formes multiples. Toutes les jeunes n’entrent pas dans la prostitution au même âge ni de la même manière : entrée par glissement progressif sous forme de « trocs », par incitation (copine, petit copain), insertion ou pas dans un réseau de prostitution. Le vécu de cette activité peut n’être ni nommé ni assumé en tant que tel par les jeunes ou au contraire être « revendiqué » et valorisé par l’usage de termes comme celui d’« escort ». Ces pratiques évoluent aussi dans le temps : si certaines en sortent, d’autres s’y enfoncent sous des formes de plus en plus structurées, ce qui souligne l’importance d’une intervention précoce des services socio-éducatifs.

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Notes

1 Comme précisé par la suite, notre panel comprenait 12 jeunes filles et 1 garçon, raison pour laquelle chaque fois que nous parlons de ces jeunes, nous utiliserons le féminin. En revanche, quand nous rendrons compte d’éléments de la littérature, nous emploierons le masculin grammatical plutôt que l’écriture inclusive afin de faciliter la lecture du texte.

2 Ce que les Anglo-Saxons appellent actuellement des enfants victimes d’exploitation sexuelle commerciale.

3 Afin de ne pas alourdir le texte, nous nous limitons à cette seule référence et renvoyons le lecteur aux nombreuses références répertoriées dans notre revue de littérature.

4 Pour les mêmes raisons, nous nous limitons à cette seule référence pour la littérature contemporaine. Elle a été choisie parmi de nombreuses autres parce qu’elle reprend des études européennes et, de plus, cite la quasi-totalité des autres revues de littérature récentes. Nous renvoyons aussi le lecteur à notre revue de littérature (Proia-Lelouey et Desquesnes, à paraître).

5 Ce point est contesté par certains auteurs qui considèrent que la prostitution des jeunes garçons reste encore trop peu connue (ce qui est à relativiser car nous avons identifié de nombreux articles et ouvrages qui leur sont consacrés). Plus justement, d’autres auteurs évoquent l’absence de travaux sur les jeunes LGBTQIAþ.

6 Dans le cadre d’une approche qualitative, plus que de représentativité entachée d’un sens statistique, on parlera d’exemplarité des cas (Le Gall, 1988), ce qui permet de questionner les contours de la catégorie mineur·e·s prostitué·e·s et de mettre en évidence l’hétérogénéité des profils.

7 Si au départ de cette recherche, dans le volet qualitatif, des entretiens auprès des jeunes en situation de prostitution étaient envisagés, ce projet a dû être abandonné pour diverses raisons. Dans l’une des deux structures enquêtées, l’équipe a témoigné d’une réticence à nous mettre en contact avec les jeunes, arguant de la difficulté voire l’impossibilité pour les jeunes de mettre en mots et de nommer leurs expériences de prostitution et les réactions émotionnelles parfois très vives engendrées par ce sujet.

8 Nous utilisons le terme « réseau de prostitution » en référence aux travaux de nos collègues définissant celui-ci comme une configuration relationnelle rassemblant l’ensemble des personnes impliquées dans l’activité de prostitution et liées entre elles par des liens spécifiques (Lavaud-Legendre, Plessard et Encrenaz, 2020).

9 Parmi les différents rôles des personnes impliquées dans l’activité de prostitution, Lavaud-Legendre, Plessard et Encrenaz (2020) identifient, outre le patron (proxénète) et le ou la prostitué·e, le tuteur ou la tutrice, autrement dit celui ou celle qui accompagne et initie la personne qui se prostitue ; il ou elle peut également servir d’intermédiaire (p. 78 et suiv.).

10 Les citations proviennent des entretiens de recherche réalisés auprès des professionnels (éducateurs et psychologues) ayant accompagné les jeunes durant leur prise en charge en protection de l’enfance.

11 Du fait de sa charge sexuelle, la pulsion se révèle traumatisante et au même titre qu’un événement traumatique extérieur, elle va désorganiser la personnalité du sujet.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gillonne Desquesnes et Nadine Proia-Lelouey, « Reconstitution et typologisation de parcours biographiques de jeunes mineures en situation de prostitution à partir des représentations des professionnels »Sociétés et jeunesses en difficulté [En ligne], 30 | Printemps 2024, mis en ligne le 01 avril 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sejed/12634

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Auteurs

Gillonne Desquesnes

Gillonne Desquesnes est maître de conférences à l’université de Caen Normandie et rattachée au Centre de recherche sur les risques et les vulnérabilités (CERReV – UR 3918). Elle s’intéresse au phénomène de maltraitance envers les enfants à partir de l’étude des relations personnelles et du soutien social des familles. Elle a aussi travaillé sur les parcours de jeunes dits incasables.
gillonne.desquesnes[at]unicaen.fr

Articles du même auteur

Nadine Proia-Lelouey

Nadine Proia-Lelouey est professeure de psychologie clinique et pathologique, enseignante-chercheure à l’université de Caen Normandie au LPCN (Laboratoire de psychologie de Caen Normandie – EA 7452). Elle travaille, dans différents contextes, sur les troubles de la subjectivation en lien avec le féminin et la passivité. Elle travaille en particulier sur les impasses du processus pubertaire chez la jeune fille.
nadine.proia-lelouey[at]unicaen.fr

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