Noëlline Castagnez et Gilles Morin (dir.), Le Parti socialiste d’Épinay à l’Élysée. 1971-1981
Noëlline Castagnez et Gilles Morin (dir.), Le Parti socialiste d’Épinay à l’Élysée. 1971-1981, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2015, 260 p.
Texte intégral
1Issu d’un colloque qui s’est tenu en 2011, l’ouvrage collectif analyse la décennie qui a mené le Parti socialiste au pouvoir, du congrès de la refondation à Épinay de 1971 aux victoires électorales de 1981. Les plus de 20 contributions au volume sont de nature différente : elles vont de l’exercice de synthèse à l’enquête historique précise et de l’étude nationale à la monographie locale. Dans l’ensemble, les travaux présentés jouent avec la chronologie proposée par l’ouvrage en fonction de leurs objets particuliers et interrogent aussi les « frontières » de l’organisation partisane, en la saisissant dans ses liens avec d’autres éléments de son environnement, notamment les nombreux mouvements sociaux de l’après-Mai 68. L’ouvrage lie analyse de la production de l’homogénéité du parti à celle de la diversité des implantations du socialisme.
- 1 Section française de l’Internationale ouvrière (NDLR)
2La production d’une entreprise socialiste homogène est analysée dans des chapitres traitant des multiples dimensions pratiques du travail organisationnel : analyse de l’histoire des techniques de répartition du pouvoir dans l’organisation (Pierre Simon, Bibia Pavard), études prosopographiques des transformations de la composition du personnel politique socialiste (Gilles Morin), ou encore analyse du travail de la mémoire socialiste dans la contribution de Noëlline Castagnez. Cette dernière met ainsi en évidence la construction immédiate du congrès d’Épinay de 1971 comme une rupture avec la vieille SFIO1. De son côté, Bibia Pavard met à plat les conséquences organisationnelles, électorales et idéelles du militantisme féministe au sein du parti. Elle éclaire les modes de structuration des groupes féministes dans le parti et esquisse une histoire de l’usage du quota de femmes en son sein. Cet instrument est crucial pour l’augmentation de la représentation des femmes dans les instances dirigeantes du parti et l’amélioration de leur accès aux mandats électifs jusqu’à la loi sur la parité de juin 2000. Contribuant à cette histoire organisationnelle et à l’étude de la division partisane du travail, Pierre-Emmanuel Guigo offre une analyse de la constitution et de la professionnalisation d’un service de communication dédié au sein du PS. Il montre encore que ce service s’articule aux savoirs et aux techniques militantes préexistantes et explore les usages qui sont faits de ce service par la direction du parti. Quelques contributions prennent en charge directement les questions idéologiques — comme l’économie (Mathieu Fullla, Matthieu Tracol) ou le rapport du socialisme à l’État, par exemple.
3En écho aux travaux de référence de Frédéric Sawicki sur le milieu socialiste, l’ouvrage se penche sur les relations établies entre le parti et d’autres organisations politiques et syndicales. Sans suivre pas à pas les contributions qui traitent de ces questions, on peut dire qu’elles fonctionnent suivant un double modèle : celui des relations interinstitutionnelles et celui du réseau interconnecté. Cette deuxième piste est, pour en prendre un exemple, mise en œuvre dans le chapitre de Karel Yon sur la progressive neutralisation politique (dans le discours public) du syndicat Force ouvrière. K. Yon pose donc la question de l’indépendance syndicale en partant des interrelations concrètes et en sortant d’une illusion institutionnelle qui ferait des limites formelles de l’organisation les limites réelles d’un réseau d’interrelation. C’est une même analyse d’une nébuleuse laïque, c’est-à-dire d’un système de relations entre des individus appartenant à différentes institutions, que propose le chapitre d’Ismail Ferhat. En parlant de « galaxie laïque », I. Ferhat s’intéresse aux liens concrets qui unissent des syndicalistes, des loges maçonniques, des institutions mutualistes et des courants du PS, et aux efforts réalisés pour unifier une nébuleuse en grande partie informelle. Par ailleurs, les études localisées restent utiles pour rendre compte des formes de l’implantation socialiste et de la constitution d’identités socialistes locales (comme le « socialisme breton » étudié par François Prigent).
4La juxtaposition d’études de cas pourrait apparaître comme une limite inhérente à la construction d’un tel ouvrage issu d’un colloque, avec quelques (rares) textes restés proches de leur version orale. Il est vrai, du reste, que quelques-unes de ces études pourront sembler difficiles pour des lecteurs qui ne seraient pas familiers avec les noms çà et là mentionnés indépendamment des caractéristiques sociales ou politiques des individus. L’hétérogénéité des contributions a, cependant, un effet productif. La diversité des constructions d’objets et des problématisations, tout comme les différences dans les dynamiques sectorielles décrites, « désorientent » l’histoire du socialisme des années 1970 en n’en faisant pas la simple histoire d’une victoire électorale annoncée. D’un chapitre à l’autre, les « grands hommes » du parti font place à l’analyse de nébuleuses, de groupements infrapartisans, d’hommes et de femmes politiques locaux ou d’acteurs de la production de biens symboliques. L’ouvrage offre donc la description complexe d’une organisation au travail.
Pour citer cet article
Référence électronique
Karim Fertikh, « Noëlline Castagnez et Gilles Morin (dir.), Le Parti socialiste d’Épinay à l’Élysée. 1971-1981 », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 60 - n° 4 | Octobre-Décembre 2018, mis en ligne le 29 novembre 2018, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/8732 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.8732
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