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AccueilNumérosVol. 54 - n° 3Comptes rendusLa santé à cœur ouvert. Sociologi...

Comptes rendus

La santé à cœur ouvert. Sociologie du bien-être, de la maladie et du soin, M. Drulhe, F. Sicot (Eds.)

Presses universitaires Mirail, Toulouse (2011). 306 p.
Marc Loriol
p. 406-408
Référence(s) :

Marcel Drulhe et François Sicot (dir.), La santé à cœur ouvert. Sociologie du bien-être, de la maladie et du soin, Presses universitaires Mirail, Toulouse, 2011, 306 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif, rédigé par une équipe de sociologues toulousains, entend montrer la richesse, tant au niveau micro-social des interactions qu’au niveau macro-social des institutions de soin, des différentes formes d’imbrication du sanitaire et du social. À partir d’une relecture des grandes enquêtes canoniques en sociologie de la santé (par exemple Michel Foucault, Talcott E. Parsons, Norbert Elias, Erving Goffman, Anselm Strauss ou Eliot Freidson), chaque auteur s’efforce d’apporter des outils d’analyse pour penser la socialisation du corps, les maladies mentales ou chroniques, les inégalités de santé, les transformations des politiques sanitaires et sociales, la crise de l’hôpital ou encore la prise en charge du vieillissement et du mourir.

2Un premier constat, dressé notamment dans les trois premiers chapitres (rédigés par Anastasia Meidani, Pascal Ducourneau et François Sicot) a trait à la médicalisation d’un grand nombre d’émotions et de comportements humains qui participe d’une recherche d’auto-contrôle, de valorisation de la performance individuelle, de responsabilisation croissante des individus. Les auteurs en déduisent l’avènement d’un nouveau paradigme sociétal moins fondé sur la contrainte directe et plus sur le consentement, qui induit un raffinement de l’emprise des normes. Dans le domaine de la maladie mentale, différentes formes de déviance deviennent autant d’étiquettes pathologiques ou de catégories cliniques. Chaque époque, chaque catégorie sociale, chaque sexe possède ses formes privilégiées pour exprimer les souffrances ressenties et parler de la maladie.

3Les exemples du vieillissement (Monique Membrado) — de plus en plus perçu comme un moment pathologique avec les notions de dépendance, de fragilité et l’oubli du contexte social dans l’évaluation de l’autonomie — ou de la mort (Marcel Drulhe) — expropriée par la médecine avec le modèle de la « bonne mort » proposée par les soins palliatifs, mais accessible à une fraction seulement des malades en fin de vie — témoignent de cette normalisation sanitaire de l’existence.

4Malgré l’expansion quantitative et qualitative du médical et l’amélioration des grands indicateurs sanitaires, les inégalités sociales de santé se sont accrues depuis une cinquantaine d’années, comme le rappelle Valentine Hélardot. Non seulement l’utilisation du système de soin par les différentes catégories sociales peut être très variable (par exemple, les démarches de prévention sont plus fréquentes dans les milieux aisés), mais les conditions de vie et de travail, le cumul des inégalités et des difficultés tout au long de la vie, expliquent la majeure partie des écarts d’espérance de vie en bonne santé entre ouvriers et cadres. Le travail, qui a longtemps été le grand oublié des politiques de santé publique, occupe une place importante dans cet ouvrage (un chapitre rédigé par Valentine Hélardot est consacré au sujet, mais la question du travail et de l’emploi est aussi présente dans d’autres chapitres comme ceux consacrés aux inégalités ou à la protection sociale). L’intensification du travail, l’utilisation dans l’industrie de nombreuses substances chimiques aux effets encore mal connus, la concentration des dangers et des expositions sur certains emplois précaires ou intérimaires, l’alternance de périodes de chômage et de petits boulots pénibles, expliquent, selon les auteurs, pourquoi les conditions de travail et de vie peuvent être particulièrement délétères dans certains emplois.

5Le champ de la santé au travail, comme le précise Valentine Hélardot, s’est construit en dehors de celui des politiques sanitaires et a été historiquement un lieu de recherche de compromis et de compensation plutôt que de prévention en amont des dangers. La logique de la loi sur les accidents du travail, de 1898, ou les maladies professionnelles, de 1919, est celle de la réparation et de la responsabilité sans faute. De plus, ce système ne peut saisir qu’une petite partie des atteintes à la santé dans le travail. Non seulement une bonne part des maladies ou accidents qui pourraient être déclarés ne le sont pas pour différentes raisons (méconnaissance de la part des malades ou des médecins traitants, survenue tardive des troubles, pressions des employeurs, etc.), mais beaucoup de problèmes multifactoriels et complexes ne rentrent pas dans le cadre causaliste simple des tableaux de maladies professionnelles. Les transformations contemporaines des mondes du travail seraient notamment à l’origine de nouvelles formes d’insatisfaction et de souffrance au travail : injonctions contradictoires, manque de reconnaissance, perte de sens d’un travail de plus en plus rationalisé, etc.

6Confrontées à ces enjeux, les institutions de protection sociale et de soin sont placées dans une situation paradoxale de devoir prendre en charge des attentes et des inégalités croissantes dans un contexte de rationnement des dépenses publiques pensées comme des charges. La coordination entre les différents agents du soin semble à la fois de plus en plus nécessaire (comme le montrent les chapitres sur la relation de soin, l’hôpital et la protection sociale) pour faire face à des problématiques dans lesquelles le social et le médical sont intimement imbriqués (vieillissement et autonomie, maladies chroniques, pathologies sociales, soins palliatifs, etc.). Mais elle est rendue difficile par la complexité du système, l’existence de différents modes de régulation financière (paiement à l’acte, budget global, tarification à l’activité, etc.). L’hôpital est soumis à une nouvelle gouvernance qui entend donner plus de place au gestionnaire et à l’usager alors qu’il doit assurer la coordination d’un nombre de plus en plus grand d’acteurs (multiplication des spécialités, technicisation des soins, diversification des paramédicaux, etc.) et le retour de la question sociale avec, notamment, l’utilisation croissante des urgences par des populations défavorisées ou exclues des soins. Il s’agit de plus en plus, selon Valentine Hélardot et Monique Membrado, d’un ordre négocié complexe au sein duquel les rapports de pouvoir peuvent être variables d’un établissement à un autre, d’un service à un autre. Le sentiment des soignants est alors d’avoir affaire à un environnement hostile, dégradé, tendu.

7Dans l’ensemble, cet ouvrage offre un panorama actuel et accessible d’un certain nombre de travaux en sociologie de la santé, mais la dimension collective de l’entreprise rend délicate une lecture plus transversale des modes d’analyse conceptuels des imbrications du sanitaire et du social. Certains chapitres privilégient une analyse plus foucaldienne et macro-sociale des phénomènes de normalisation tandis que d’autres mettent plutôt l’accent sur l’interaction entre acteurs en situation. Si la notion de construction sociale est abondamment mobilisée, plusieurs auteurs se limitent à la mise en lumière de la construction des représentations, des théories ou des catégories cliniques, tandis que d’autres, moins nombreux, explorent également l’aspect performatif de ces catégories, théories ou représentations. Un chapitre conclusif plus élaboré aurait permis de mieux rendre compte de l’intrication complexe entre facteurs culturels, économique, sociaux, professionnels, institutionnels dans le façonnement sociétal de la santé. L’opposition plusieurs fois évoquée entre approche médicale (naturalisation par la biologie, la génétique ou la psychologie) et sociologique (prise en compte des déterminismes et interactions sociales) aurait ainsi pu être affinée, voir relativisée (mise en forme psycho-sociale du malaise, imbrication du psychologique, du social et du somatique, découvertes récentes en épigénétique, en épidémiologie sociale, etc.). De même, l’histoire, présente dans différents chapitres du livre, aurait pu être mieux exploitée. Ainsi, le moment des assurances sociales (1928–1930), si important pour comprendre notre système de santé et les rapports entre médecins et pouvoir publics, la régulation des professions de santé et l’implication des médecins libéraux dans les politiques sanitaires ou les enjeux de société comme le vieillissement de la population, est-il pratiquement oublié.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marc Loriol, « La santé à cœur ouvert. Sociologie du bien-être, de la maladie et du soin, M. Drulhe, F. Sicot (Eds.) »Sociologie du travail, Vol. 54 - n° 3 | 2012, 406-408.

Référence électronique

Marc Loriol, « La santé à cœur ouvert. Sociologie du bien-être, de la maladie et du soin, M. Drulhe, F. Sicot (Eds.) »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 54 - n° 3 | Juillet-Septembre 2012, mis en ligne le 15 novembre 2018, consulté le 26 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/6954 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/sdt.6954

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Auteur

Marc Loriol

IDHE, CNRS - université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 16, boulevard Carnot, 92340 Bourg-la-Reine, France
marc.loriol[at]orange.fr

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