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Médecine et dépendances : comment la « pathologie professionnelle » a trouvé sa place à l’hôpital (1930-2020)

Getting involved in hospitals to achieve institutionalisation: the professionalization of occupational medicine in France
Sylvain Brunier, Jean-Noël Jouzel et Giovanni Prete

Résumés

La médecine du travail se situe en bas de la hiérarchie symbolique des professions médicales. En son sein, le sous-segment hospitalo-universitaire n’est cependant pas dénué d’un certain prestige. Dans une perspective attentive à l’évolution des liens entre les groupes professionnels et leur environnement institutionnel, nous éclairons le processus socio-historique de constitution de ce sous-segment depuis près d’un siècle. À partir d’une enquête réalisée auprès de praticiens de Centres de consultation de pathologie professionnelle, nous montrons que, par contraste avec leurs collègues travaillant pour les entreprises, ils sont parvenus à se détacher de leurs liens fonctionnels avec les intérêts patronaux. Nous mettons cependant en évidence d’autres dépendances, plus discrètes, qui lient ces praticiens à une série d’acteurs institutionnels : les directions d’hôpitaux, les agences sanitaires ou les ministères de tutelle. Nous soulignons comment ces dépendances ont contribué à l’évolution des activités de ces médecins, de plus en plus marquées par un investissement dans la recherche et l’attention aux facteurs environnementaux. Nous pointons également que ces dépendances pèsent sur leur capacité à développer une offre de consultation pour la reconnaissance des maladies professionnelles.

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Notes de la rédaction

Premier manuscrit reçu le 22 décembre 2023 ; article accepté le 3 juin 2024.

Texte intégral

  • 1 Cet article n’est pas rédigé en écriture inclusive. Compte tenu de son caractère historique et de l (...)

1La médecine du travail est classiquement considérée comme occupant l’un des échelons les plus bas de la hiérarchie symbolique des professions médicales. Les choix des étudiants à l’issue des épreuves classantes nationales, qui ont remplacé le concours de l’internat en 2004, jouent à cet égard un rôle de révélateur (Hardy-Dubernet et Faure, 2006). En 2023, la médecine du travail faisait partie des cinq spécialités (avec la médecine générale, la gériatrie, la psychiatrie et la santé publique) à disposer de places vacantes une fois ces choix effectués. Le faible prestige de la médecine du travail auprès des étudiants tient pour partie à l’interdiction de prescrire faite à cette catégorie de praticiens. Il est également lié à leur statut de salariés d’entreprises ou de services inter-entreprises, dévalorisé auprès des étudiants en médecine au regard des statuts libéraux et hospitalo-universitaires (Lecomte-Ménahès, 2017). Nombre de travaux sociologiques ont en effet montré que ce statut se paie d’une perte d’autonomie professionnelle. Stigmatisés comme des « médecins du patron » (Marichalar, 2014), les médecins du travail apparaissent de fait comme des spécialistes dont la pratique n’est pas « purement médicale » (Barlet, 2015) mais relève d’arbitrages complexes dans des contextes d’entreprise conflictuels et très éloignés des connaissances théoriques reçues au cours de leur formation, à rebours des spécialistes qui dominent la hiérarchie symbolique des professions médicales (Abbott, 1981)1.

2Les médecins du travail constituent un « segment professionnel » (au sens de Bucher et Strauss, 1961) reconnu de la médecine, dans la mesure où il peuvent revendiquer en fait et en droit ce que les auteurs de la tradition interactionniste d’analyse des professions appellent une « licence », c’est-à-dire la permission d’exercer certaines activités — par exemple signer des avis d’inaptitude au travail — et un « mandat », soit une mission de dire ce qui est bon ou juste sur certains aspects de la vie sociale — par exemple en validant des plans de prévention dans les entreprises (Hughes, 1959). Cependant, comme celle d’autres segments professionnels de la médecine dont l’expertise propre n’est indexée ni à un organe du corps, ni même à un type de pathologie (Baszanger, 1990 ; Dumoulin, 1999), la « consolidation » (Bucher, 1988) de la médecine du travail a été très progressive et reste aujourd’hui fragile.

  • 2 On trouvera en annexe une liste récapitulative des sigles utilisés dans l’article (NDLR).

3Ce constat bien connu ne doit pas faire oublier qu’il existe au sein de ce « segment dévalorisé de la médecine » (Barlet, 2017) un sous-segment hospitalo-universitaire, constitué par des praticiens hospitaliers maîtres de conférences et professeurs des universités (MCU-PH et PU-PH)2. Ces derniers bénéficient du fort prestige associé à leur statut universitaire (Balasz et Rosenberg-Reiner, 2005). Aux yeux des médecins du travail dont ils assurent la formation, ils font figure d’« establishment de la profession » (Barlet, 2019), particulièrement dotés en capitaux symboliques en raison de leurs titres universitaires, de leur capacité à embrasser une carrière académique et de la reconnaissance de leur expertise par les pouvoirs publics, qui de fait les sollicitent souvent dans l’élaboration des politiques publiques de prévention et de réparation des risques professionnels (Brunier et al., 2024, à paraître). A priori dégagés, par leur statut d’emploi au sein de la fonction publique hospitalière, des contraintes managériales qui limitent l’autonomie de leurs confrères exerçant en entreprise et dans les services de santé au travail, ils forment un groupe dont la spécialité est dévalorisée mais dont le statut reste prestigieux.

4Les sciences sociales sont peu disertes sur ce sous-segment professionnel. On croise des universitaires de médecine du travail dans des recherches en sociologie politique qui s’intéressent à l’expertise médicale dans le cadre de la négociation des « tableaux » de maladies professionnelles (Marchand, 2018 ; Ghis-Malfilatre, 2020). Les consultations de pathologies professionnelles qu’ils assurent à l’hôpital ont pu servir de voies d’accès et de terrains d’enquête à des travaux centrés sur les parcours des victimes de maladies professionnelles (Pillayre, 2017 ; Primerano, 2019). En France, aujourd’hui, une soixantaine de spécialistes de médecine du travail exercent dans les Centres hospitalo-universitaires (CHU), où ils animent — avec des collègues praticiens hospitaliers — des Centres de consultations de pathologies professionnelles (CCPP), assurent des enseignements et participent à diverses activités d’expertise et de recherche. Mais les dynamiques qui structurent ce sous-segment professionnel, ainsi que les contraintes qui résultent de son contexte institutionnel d’exercice, n’ont jamais fait l’objet d’une analyse spécifique.

5Pour rendre compte de ces dynamiques, nous proposons, à la suite des travaux d’histoire de la médecine (Pinell, 2005 ; Weisz, 2006), d’étudier la formation des spécialités médicales non pas comme un simple jeu de différenciation interne à la profession médicale — un conflit de juridictions surdéterminé par le progrès thérapeutique —, ni comme le pur produit de stratégies délibérées d’une élite professionnelle pour défendre les frontières du groupe qu’elle représente, mais comme un processus « écologique ». Ces spécialités forment en effet une écologie, traversée de frontières qui délimitent des juridictions et des mandats constitués au cours d’interactions multiples avec d’autres écologies « liées » (Abott, 2005), au sein de l’État, de l’Université ou de l’Hôpital. L’évolution des groupes professionnels résulte de leur capacité à s’adapter aux réformes successives de l’action publique et à nouer des alliances avec les entrepreneurs institutionnels qui les portent (Bezès et al., 2011 ; Hénaut et Poulard, 2018).

6Ainsi, nous montrons que le sous-segment professionnel de la médecine universitaire du travail s’est constitué en déployant de multiples investissements d’ordre organisationnel, épistémique et politique qui lui ont permis de survivre — en dépit de réformes hospitalières a priori contraires à ses intérêts — en gagnant des alliés et en sécurisant des ressources matérielles. Sur le temps long, sa structuration résulte de relations de dépendance avec un ensemble d’acteurs institutionnels : le ministère de la Santé, le ministère du Travail, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), mais aussi les directions d’hôpital. Nous soulignons qu’au cours de son histoire, le sous-segment professionnel de la médecine hospitalo-universitaire du travail a joué un rôle central dans la structuration du groupe des médecins du travail d’entreprise tout en s’en différenciant de manière croissante. Au terme de cette histoire, les universitaires de médecine du travail apparaissent comme un groupe professionnel à la croissance démographique limitée, pris dans un réseau de contraintes différent de celui qui enserre leurs confrères salariés d’entreprises et de services inter-entreprises mais pas moins dense pour autant, qui leur permet de trouver localement une place dans l’hôpital mais limite leur autonomie.

7Cet article s’appuie sur une enquête au cours de laquelle nous avons interrogé 25 médecins exerçant ou ayant exercé dans des services hospitalo-universitaires de médecine du travail. Au-delà des entretiens formels avec ces acteurs, l’article s’appuie plus marginalement sur des échanges que certains de ses auteurs ont pu avoir avec eux dans des groupes d’expertise. Nous avons également réalisé des entretiens complémentaires avec des acteurs administratifs avec lesquels ces médecins sont en lien dans différentes institutions (Caisses d’assurance retraite et de santé au travail, Agence nationale de sécurité sanitaire, ministère de la Santé). Enfin, nous avons collecté aux Archives nationales, ainsi qu’au sein d’un centre de consultations hospitalières de pathologie professionnelle, un ensemble de documents (rapports d’activité, bilans financiers, échanges de courriers avec le ministère du Travail ou les Caisses de Sécurité sociale) remontant aux années 1960 et allant jusqu’à la période contemporaine.

8Nous revenons d’abord sur l’émergence de la médecine hospitalo-universitaire du travail et soulignons la difficulté qu’elle a eu à trouver sa place dans un univers médical non seulement tourné vers le soin, mais également de plus en plus structuré par l’hôpital dans la deuxième moitié du XXe siècle. Nous décrivons comment elle a profité de fenêtres d’opportunité ouvertes à la suite de mobilisations syndicales ou de controverses publiques sur les questions de santé au travail pour affermir, avec l’aide de différentes institutions, le contrôle de son mandat et de sa licence. Nous montrons dans un deuxième temps comment, depuis une trentaine d’années, les universitaires de médecine du travail ont consolidé leur position en formalisant leurs relations avec les pouvoirs publics, notamment le ministère de la Santé, en diversifiant leurs missions au sein des hôpitaux et en investissant plus fortement le champ de la recherche en santé publique. Ces multiples investissements ont permis à la médecine hospitalo-universitaire du travail de trouver sa place à l’hôpital, mais ce nouveau système de dépendances éloigne les praticiens de leurs confrères qui exercent en entreprise, et affaiblit leurs capacités communes à défendre les frontières de la médecine du travail comme spécialité.

1. Une professionnalisation problématique : la genèse des Instituts universitaires de médecine du travail (1919-1990)

9La naissance de la médecine hospitalo-universitaire du travail est profondément liée à l’histoire de la médecine du travail tout court. Dans cette section nous revenons sur la création des premières chaires universitaires de pathologie professionnelle, en soulignant les difficultés qu’elles ont rencontrées pour exister au sein de l’espace hospitalier français, et les soutiens qu’elles ont progressivement reçus de la part des institutions en charge de la prévention et de la réparation des risques professionnels.

1.1. Se dégager du poids des intérêts patronaux

  • 3 Loi étendant aux maladies d’origine professionnelle la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du tra (...)

10Dans certains secteurs (armée, mines, marine…), l’existence de médecins dédiés à la surveillance de la santé des travailleurs est ancienne. Mais l’exercice de ce type de médecine devient moins rare à partir de la fin du XIXe siècle, dans le contexte de la montée, au sein de la profession médicale, d’une perspective d’hygiène industrielle soucieuse de rendre compatibles le progrès technique et économique, d’une part, et la protection des corps des ouvriers, de l’autre (Moriceau, 2009). La Première Guerre mondiale légitime l’idée d’une médecine chargée de la sélection de la main-d’œuvre dans les usines d’armement, dans un but ouvertement productiviste assorti d’une visée de surveillance des expositions à des facteurs de risque (Buzzi et al., 2006). Parallèlement à cette ouverture des espaces productifs au regard médical, des évolutions légales font entrer la catégorie de maladie professionnelle dans le droit. Voté par le Parlement en 1913 à l’issue d’une décennie de luttes sociales (Gordon, 1993), mais adopté uniquement au sortir de la Guerre, le texte de la loi du 25 octobre 19193 étend en effet aux maladies d’origine professionnelle les principes d’indemnisation qui président à la prise en charge des accidents du travail depuis 1898. Il ouvre aux salariés la possibilité d’obtenir une compensation partielle du manque à gagner résultant d’une maladie causée par le travail sans avoir à faire la preuve du lien entre leur emploi et la dégradation de leur état de santé. Pour obtenir cette indemnisation forfaitaire et automatique, il leur faut satisfaire les conditions médico-administratives fixées par des « tableaux de maladies professionnelles », qui relient des pathologies à des listes de postes exposant à des agents pathogènes pouvant causer la maladie, sous réserve d’un « délai de prise en charge » indiquant la durée maximale entre l’arrêt de l’exposition et le diagnostic.

11Cette loi conduit des professeurs titulaires de chaires de médecine légale, une spécialité alors récemment constituée dont les frontières font encore l’objet de débats (Juston Morival, 2020), à s’intéresser à la « pathologie professionnelle » comme nouveau champ relevant de leurs compétences. Outre l’examen clinique de patients susceptibles d’obtenir une reconnaissance de maladies professionnelles, ils entreprennent des recherches sur les effets du travail sur la santé et participent à des processus d’expertise scientifique nationaux (au sein de la Commission d’hygiène industrielle, qui sert d’appui au ministère du Travail pour la création de nouveaux tableaux de maladies professionnelles) ou internationaux (comme la Commission internationale permanente pour l’étude des maladies professionnelles, créée en 1906 à Milan). Ils s’investissent dans la formation des premiers « médecins d’usine » au sein de l’Institut d’hygiène industrielle et de médecine du travail (IHI), rattaché à la faculté de médecine de Paris (Buzzi et al., 2006). Les trois premiers Instituts universitaires de médecine du travail (IUMT) apparaissent alors : en 1930, Pierre Mazel et Etienne Martin créent celui de Lyon, bientôt imités par Jules Leclercq à Lille en 1933 et Maurice Duvoir à Paris l’année suivante.

12Les professeurs qui occupent ces chaires de pathologie professionnelle sont souvent très liés aux intérêts patronaux locaux qui financent largement leurs activités. Jules Leclercq participe ainsi à des recherches subventionnées par le patronat de la Chambre des Houillères de Douai sur la silicose du mineur, et œuvre au niveau international pour freiner la reconnaissance de cette pathologie comme maladie professionnelle (Devinck et Rosental, 2009). Avec Pierre Mazel, il défend dès la Première Guerre mondiale une vision eugéniste et tayloriste de la médecine du travail comme médecine de tri de la main-d’œuvre ayant pour vocation de l’adapter aux besoins des employeurs (Davezies, 2007). Plus rares sont ceux qui, sans rompre avec une conception productiviste de la médecine du travail, sont plus proches des intérêts des travailleurs et désireux de construire une médecine du travail engagée dans la prévention et la réparation des dégâts causés par le travail industriel sur les corps ouvriers. C’est le cas de Guy Hausser, médecin légiste reconverti à la médecine du travail, qui crée en 1937 l’Institut d’étude et de prévention des maladies professionnelles avec l’appui de la CGT pour dépister et prévenir les pathologies des ouvriers de l’industrie (Bieder, 2004).

13Par-delà leurs divergences politiques, tous ces médecins convergent pour estimer que la légitimation de la médecine dédiée au travail est indispensable et passe par la structuration d’une discipline académique adossée aux facultés de médecine (Marchand, 2018). Réunis à Lyon en 1929 pour le quatrième congrès de la Commission internationale permanente pour l’étude des maladies professionnelles, ils lancent une première revue spécialisée, La médecine du travail, suivie neuf ans plus tard par Les archives des maladies professionnelles, qui constitueront pendant des décennies la publication de référence pour les médecins du travail français. La sociologie des professions médicales a bien montré que la quête de légitimité scientifique est au principe de leur revendication de professionnalité (Freidson, 1984). Dans le cas des universitaires de médecine du travail, cette revendication se heurte cependant à des obstacles importants. En premier lieu, elle ne peut s’articuler aux principes qui sont au fondement de la délimitation des spécialisations en médecine dans « l’espace de la médecine clinique » (Pinell, 2009), comme la capacité à soigner certains organes ou certaines pathologies. De plus, l’expertise dont ces médecins peuvent se prévaloir est enchâssée dans des catégories médico-administratives (maladie professionnelle, aptitude, etc.) issues du droit au moins autant que de la science. Enfin, le sous-segment universitaire de la médecine du travail reste fortement dépendant de l’appui du patronat. L’effort universitaire pour la médecine du travail ne se déploie que dans les régions les plus industrialisées (Île-de-France, Nord, Rhône-Alpes), les gros employeurs de main-d’œuvre ouvrière constituant les principales sources de fonds pour les premiers IUMT (Buzzi et al., 2006, p. 24), par le biais du financement d’activités de recherche et d’expertise conduites dans leurs usines et auprès de leurs salariés.

1.2. Une place incertaine dans l’univers hospitalo-universitaire

  • 4 Archives nationales (AN), 19960504/10, Direction des relations du travail, Inspection médicale du t (...)

14Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, deux grandes réformes permettent à la médecine universitaire du travail de consolider sa place et d’amoindrir sa dépendance aux financements patronaux. D’une part, l’instauration en 1946 d’une médecine du travail obligatoire pour l’ensemble des entreprises débouche sur la création, en 1957, d’un cursus spécifique, le Certificat d’études spéciales (CES) de médecine du travail et d’hygiène industrielle, dont la délivrance est attribuée aux IUMT. De nouveaux IUMT sont alors créés sur le territoire français : à Marseille en 1961, à Clermont-Ferrand en 1968, à Caen en 1972, à Toulouse en 1973, à Bordeaux en 1974, à Grenoble en 1975… La quasi-totalité des facultés de médecine se dotent d’un institut ou, à défaut, financent la création d’une association locale dédiée à la formation des médecins du travail (comme à Tours en 1965 ou à Dijon en 1975)4.

  • 5 L’osmopile était un appareil de mesure permettant d’analyser l’air et d’en déceler les composants d (...)
  • 6 AN, 19760241/92, Rapports d’activité de l’IUMT de Lyon (1970-1974).

15D’autre part, la création de la Sécurité sociale en 1945 ouvre un nouveau guichet pour ces universitaires en médecine du travail. Les Caisses régionales de sécurité sociale — devenues Caisses régionales d’assurance maladie (CRAM) en 1967 et Caisses d’assurance retraite et santé au travail (CARSAT) en 2010 —, par l’intermédiaire de leur Service de prévention des risques professionnels (Viet et Ruffat, 1999 ; Dreyfus et al., 2006), assurent aux IUMT présents sur leur territoire un budget de fonctionnement annuel. Ces nouvelles ressources permettent à certains IUMT de se développer, à l’image de celui de Lyon à partir des années 1960 (Brunier et al., 2024, à paraître). En sus des deux médecins universitaires (un professeur et un maître de conférences) de la Faculté de médecine effectuant des consultations de pathologies professionnelles « non spécialisées », une convention annuelle avec la CRAM Rhône-Alpes permet à l’Institut d’embaucher des vacataires assurant des consultations spécialisées — un dermatologue, un oto-rhino-laryngologue et un toxicologue (250 vacations de 4 heures en 1971). Elle finance également un poste de secrétariat, ainsi que les coûts de fonctionnement et d’équipement d’un laboratoire de toxicologie, progressivement doté de machines coûteuses : un appareil « osmopile » en 19695, un chromatographe à phase gazeuse permettant de doser dans l’air les solvants benzéniques (produits cancérogènes pour le sang) en 1972, et deux audiomètres l’année suivante6. Ces équipements procurent aux médecins de l’Institut une expertise rare, intéressante pour les services de prévention de la Sécurité sociale ou les entreprises environnantes.

16Cette trajectoire ascendante est cependant loin d’être le lot commun de tous les IUMT. Ainsi, le chef de l’IUMT de Lille, professeur de toxicologie, en est l’unique médecin au début des années 1970. Assisté d’un pharmacien également universitaire, il utilise la subvention de la CRAM du Nord-Pas-de-Calais pour salarier trois laborantines. Dans cette configuration, l’IUMT ne propose pas de consultation de pathologies professionnelles, même si des avis peuvent être rendus auprès de collègues d’autres services hospitaliers. L’Institut consacre l’essentiel de ses ressources à réaliser, principalement pour le compte de la CRAM, des analyses de produits industriels et d’atmosphères de travail soupçonnés d’être dangereux pour la santé des travailleurs.

17Jusqu’au milieu des années 1970, les IUMT demeurent de fait des institutions fragiles, très dépendantes des financements des CRAM. Ils peinent à trouver leur place dans un système de santé qui se réorganise autour des centres hospitalo-universitaires (CHU) à partir de la réforme Debré de 1958 qui intègre les missions de soin et d’enseignement des médecins hospitaliers (Jamous, 1969 ; Steudler, 1974). Au sein de l’Université, ils peinent parfois à convaincre les doyens de la nécessité de renforcer l’offre de formation en médecine du travail par des recrutements, d’autant plus que la mise en œuvre de l’obligation de médecine du travail est loin d’être toujours assurée dans les entreprises et qu’elle repose en grande partie sur le travail de médecins non titulaires du CES de médecine du travail (Buzzi et al., 2006), les IUMT ne parvenant pas à s’imposer comme des points de passage obligé pour leur formation. Au sein de l’hôpital, du fait de leur éloignement des activités de soin et de leur faible implication dans la recherche clinique, ils ont des difficultés à obtenir l’ouverture de consultations de pathologie professionnelle et sont mal placés dans les luttes pour les recrutements de personnels administratifs.

18Dans les années qui suivent la réforme de l’hôpital, plusieurs rapports rédigés à l’initiative de figures éminentes du sous-segment universitaire de la médecine du travail témoignent de cette difficulté. Ainsi, le rapport du professeur Mossinger, directeur de l’IUMT de Marseille, adressé au ministre du Travail et de la Sécurité sociale en 1964, souligne :

« Cette grande discipline n’a pas reçu la place qui lui revient, dans le cadre de la réforme des études médicales et des centres hospitalo-universitaires, malgré son importance pour la santé des travailleurs et des cadres » (AN, 19760241/92, Direction de la Sécurité sociale, Courrier du Pr. Mossinger à Gilbert Grandval, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, 14 novembre 1964).

19Dix ans plus tard, trois professeurs de médecine du travail rendent compte dans le rapport dit « Dumortier » d’une enquête auprès des médecins des IUMT qui met en évidence « les difficultés soulevées » par l’« intégration hospitalo-universitaire » de la médecine du travail, et déplorent les moyens limités à disposition des seize universités habilitées à délivrer le CES de médecine du travail :

« Si l’on veut que la médecine du travail, au même titre que les autres formes de médecine préventive, occupe au sein de la profession médicale le rang éminent auquel elle devrait prétendre, il faut qu’elle obtienne, là où se font les progrès de la médecine [à l’hôpital], une place à part entière » (AN, 19960504/10-11, Direction des relations du travail, Rapport Dumortier, p. 53).

20Mais cette place reste alors à construire.

1.3. La publicisation des enjeux de santé au travail : une opportunité à saisir

  • 7 Loi n°76-1106 du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travai (...)
  • 8 L’Inspection médicale du travail est un service du ministère du Travail réunissant quelques dizaine (...)

21À partir de la fin des années 1970, les universitaires de médecine du travail bénéficient de nouveaux appuis pour trouver leur place dans le système hospitalo-universitaire. Le renouveau des luttes sociales pour la reconnaissance des maux du travail (Marichalar et Pitti, 2013) entraîne des transformations politiques et légales et renforce la prévention des risques professionnels comme un « référentiel d’action publique » (Mias, 2010). Par exemple, en 1976 est votée une loi importante sur la prévention dans les entreprises sous la supervision du médecin du travail7. Ce contexte ouvre une fenêtre d’opportunité pour les universitaires de médecine du travail qui parviennent à actionner des leviers politiques et administratifs leur permettant d’obtenir des ressources humaines nouvelles et de renforcer leur licence sur la formation des médecins du travail. C’est tout particulièrement le cas au sein du ministère du Travail, où Armand Rothan, chef du service de l’Inspection médicale du travail à partir de 19748 , cherche à s’appuyer sur ces médecins pour produire des données sur les pathologies du travail en sus des seuls chiffres annuels de reconnaissance des maladies professionnelles. Sa carrière le situe à l’intersection entre l’administration et les professeurs de médecine du travail (Viet, 2015). Médecin inspecteur régional du travail de la région Centre de 1959 à 1974, Armand Rothan a été associé à la formation des médecins du travail à l’université de Tours dès les années 1960 et a été un des trois co-fondateurs, en 1965, de l’Institut de médecine du travail du Val de Loire. En 1975, il obtient le statut de maître de conférences en médecine du travail à l’université de Tours, qu’il cumule avec ses fonctions au ministère. De fait, il constitue le relais, au sein de cette administration, des demandes des professeurs de médecine du travail en vue de légitimer leur spécialité et de pérenniser les IUMT :

« Les Instituts de médecine du travail sont habituellement insérés dans les facultés de Médecine et animés par les enseignants de la médecine du travail. Les Instituts ne disposent d’aucune dotation budgétaire provenant de fonds publics. Certains d’entre eux vivent de subventions de recherche. L’existence de ces Instituts est donc précaire, alors qu’ils constituent un élément de référence et d’indépendance pour les médecins du travail. Il est donc important que ces Instituts soient soutenus par l’aide financière du ministère dont relève la tutelle de la Médecine du travail » (Note d’Armand Rothan, 25 mai 1976, AN, 19960504/10, Direction des relations du travail, Inspection médicale du travail et de la main-d’œuvre).

22Suite à la publication du rapport Dumortier, Armand Rothan participe, en 1975, à une « commission chargée d’étudier le problème des Instituts de médecine du travail » avec plusieurs universitaires de médecine du travail. Il obtient que son administration soutienne le développement de la médecine du travail, et en particulier de son sous-segment hospitalo-universitaire. Ce soutien prend plusieurs formes.

  • 9 AN, 19960504/10, Rapport du VIIe Plan de développement économique et social, p. 118.
  • 10 AN, 19960504/10, « Proposition no 6 pour réformer la médecine du travail. Évaluation des coûts », 1 (...)
  • 11 Cette reconnaissance se fait en plusieurs étapes. La médecine du travail est d’abord incluse dans u (...)
  • 12 Un ancien responsable de la Consultation de pathologie professionnelle de Lyon, interviewé par les (...)

23Il porte tout d’abord sur la formation et les modalités d’exercice des médecins du travail. Dans le cadre du 7e Plan de développement économique et social (1976-1980) est inscrite une exigence d’amélioration de l’efficacité de la médecine du travail9. Il est prévu une « refonte » de la formation initiale et permanente des médecins du travail, qui repose sur une dissociation « de l’enseignement de la médecine du travail et de la médecine légale » pour faire de la première une spécialité à part entière10. Armand Rothan obtient du ministère de la Santé que les postes de professeurs, maîtres de conférences, assistants et chefs de travaux en médecine du travail laissés vacants suite aux départs à la retraite soient réservés à des recrutements en médecine du travail et non remis au « contingent annuel normal ». En 1979 paraît un décret qui rend la détention du Certificat d’études spéciales (CES) obligatoire pour tous les praticiens exerçant en tant que médecins du travail et qui revoit à la baisse le nombre maximum de salariés surveillés par médecin, ce qui suscite une importante vague de recrutement au sein des services de médecine du travail (Lecomte-Ménahès, 2017). L’engagement du ministère favorise la création de cinq nouvelles chaires de médecine du travail au début des années 1980. Après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, il se traduit également par la reconnaissance de la médecine du travail comme spécialité à part entière, sanctionnée par un Diplôme d’études spécialisées (DES) et adossée à un internat11, et non plus comme une simple activité de complément ou une voie de réorientation en cas d’absence de débouché au sein de la spécialité initialement choisie12.

24La création de l’internat de médecine du travail permet l’arrivée dans les IUMT d’internes en médecine du travail qui contribuent au fonctionnement des services. En outre, elle homogénéise progressivement les profils des universitaires de médecine du travail. Alors que, jusqu’à la fin des années 1970, ils venaient tous de spécialités variées (médecine légale, pneumologie, cardiologie, gastro-entérologie…), attirés par l’horizon d’une carrière hospitalo-universitaire parfois bouchée dans leur propre discipline, la constitution de l’internat de médecine du travail permet d’unifier leurs formations, en les distinguant à la fois de leurs confrères exerçant en entreprise et des médecins de spécialités cliniques :

« Avant, on était cardiologue et on avait un diplôme de médecine du travail, ou on était pneumologue et on avait [un diplôme de médecine du travail]… Après [la création du DES], on est devenu simplement médecins du travail. […] On a tous eu des histoires un peu différentes, qui se recoupent, mais enfin ce qui nous réunit, c’est quand même d’être des universitaires de médecine du travail, des responsables dans les hôpitaux, dans des services hospitaliers, qui sont des services de pathologie professionnelle. Ce n’est donc pas du tout la même chose que la médecine du travail institutionnelle qui a ses règles, qui obéit au Code du travail et où c’est complètement différent, ce sont deux mondes différents » (Entretien avec une ancienne cheffe d’une consultation de pathologie professionnelle d’Île-de-France, octobre 2020).

  • 13 400 000 francs de crédits dès 1977, puis 600 000 en 1978 et plus de 800 000 en 1979.

25Le renforcement de la médecine du travail universitaire passe également par l’obtention de soutiens financiers pour développer des activités de recherche. À partir de 1977, le ministère du Travail débloque en effet des crédits dans le but explicite de soutenir les IUMT13. Ces fonds, qui s’ajoutent aux subventions annuelles versées par les CRAM, permettent aux Instituts de développer des recherches sur des facteurs de risque, principalement des toxiques (poussières de bois à Bordeaux, toluène à Clermont-Ferrand, etc.), ou de participer à des actions de surveillance systématique de populations de travailleurs (ouvriers retraités exposés aux poussières d’amiante à Caen, travailleurs postés à Besançon, etc.). Ces activités de recherche contribuent à légitimer le mandat des médecins universitaires du travail sur la question des effets du travail sur la santé.

26Une nouvelle opportunité d’accroître leurs ressources et de renforcer leur position s’ouvre pour les médecins universitaires du travail au début des années 1990, lorsque la sous-reconnaissance des maladies professionnelles devient un thème de préoccupations syndicales et administratives (Thébaud-Mony, 1991). Les hospitalo-universitaires sont alors sollicités par le gouvernement pour évaluer et prendre en charge le problème. En 1993, le ministère du Travail charge ainsi un professeur de médecine du travail de l’IUMT de Lyon d’estimer le nombre de cancers liés au travail qui ne sont pas reconnus comme maladies professionnelles chaque année. Le rapport montre que ce nombre est très important et légitime l’utilité des données collectées par les IUMT à travers leurs activités de recherche et de consultation (Bergeret et al., 1994). À la même période, le dispositif de réparation des maladies professionnelles est modifié pour créer une voie de reconnaissance complémentaire aux tableaux, dans laquelle les hospitalo-universitaires en médecine du travail jouent un rôle central. Sous la pression de la Communauté européenne, le gouvernement français institue en effet des Comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) chargés d’instruire les demandes d’indemnisation ne remplissant pas l’ensemble des critères des tableaux existants ou pour lesquelles aucun tableau n’existe (Platel, 2009). La création de ces comités, auxquels participent systématiquement les hospitalo-universitaires de médecine du travail et où ils ont une voix prépondérante (Primerano et Marchand, 2019), marque une reconnaissance institutionnelle de leur expertise.

27Au cours des années 1990, plusieurs médecins du travail universitaire travaillent à mettre en réseau les consultations hospitalières afin qu’elles constituent non seulement des lieux d’accompagnement clinique mais aussi des infrastructures productrices de connaissances agrégées sur les liens entre travail et santé. Dès 1995, la CRAM de Rhône-Alpes favorise le rapprochement des consultations de pathologie professionnelle des hôpitaux de Lyon et Grenoble, afin de compiler l’ensemble de leurs données de consultation, dans l’espoir de pouvoir détecter d’éventuelles pathologies en quantité anormalement élevée et devant faire l’objet d’une surveillance spécifique. Dans le même temps, le contexte de crise de l’amiante favorise l’intérêt de la CNAM pour ce réseau. Elle soutient son extension à l’échelle nationale en conditionnant l’attribution de subventions annuelles aux centres à leur participation au réseau. Ces derniers prennent alors officiellement le nom de Centres de consultations de pathologie professionnelle (CCPP). Le Réseau national de vigilance des pathologies professionnelles (RNVPP) agrège, de façon standardisée, de nombreuses données collectées dans les consultations de pathologie professionnelle conduites au sein des CHU. Cette mise en réseau produit plusieurs effets qui favorisent la consolidation du sous-segment hospitalo-universitaire de la médecine du travail. En premier lieu, elle officialise et uniformise l’existence administrative des CCPP. Deuxièmement, elle produit un effet d’homogénéisation des pratiques des universitaires de médecine du travail. Le fonctionnement du réseau nécessite en effet une harmonisation des pratiques de codage des données collectées, progressivement renforcée via un certain nombre d’initiatives (« école de codage » rassemblant les médecins de l’ensemble des CCPP tous les 2 à 3 ans, liste mail dédiée, etc.) qui constituent des espaces de rencontre et d’échanges sur le remplissage de la base de données, mais aussi sur les pratiques cliniques.

2. Une consolidation sous contrainte (des années 2000 à ce jour)

28La « résolution » de la crise de l’amiante (Henry, 2004) au milieu des années 1990 est suivie de nombreuses autres affaires liées à des risques professionnels, chimiques (Jouzel, 2013 ; Marichalar, 2017) ou « psycho-sociaux » (Lhuillier, 2010 ; Ponge, 2020), dans les décennies suivantes. Celles-ci auraient pu constituer de nouvelles fenêtres d’opportunité permettant au sous-segment hospitalo-universitaire de la médecine du travail de renforcer ses ressources et sa visibilité. Cependant, ce dernier s’est confronté à trois obstacles limitant sa croissance : d’abord une accélération des réformes visant à rationaliser le travail de consultation à l’hôpital ; ensuite, une difficulté accrue à recruter de nouveaux médecins hospitaliers dans un contexte de démographie médicale défavorable ; enfin, une incitation institutionnelle à la diversification des missions des CCPP, bien au-delà des seules activités de formation et de consultation de pathologie professionnelle.

2.1. Faire avec les réformes hospitalières

29Un premier facteur limitant la croissance du sous-segment hospitalo-universitaire de la médecine du travail tient aux évolutions du contexte hospitalier au cours des dernières décennies. Dans les années 1980, la pression budgétaire s’accroît sur les hôpitaux, poussés à rationaliser leurs dépenses et l’organisation du soin (Pierru, 2012 ; Vincent, 2021), ce qui pose la question du coût des activités de consultation en médecine du travail hospitalo-universitaire. Souvent longues, elles sont de fait faiblement rémunératrices pour les hôpitaux :

« Vraiment on était déficitaires un maximum pour l’hôpital, un maximum. Deux postes de praticiens hospitaliers, une secrétaire, et quoi derrière ? Quelques consultations ? Des consultations qui n’étaient pas itératives, hein, c’était une consultation de type expertise. On nous envoyait un patient, on le voyait pendant deux heures pour reconstituer son histoire professionnelle, éliminer une autre cause médicale, enfin vous vous imaginez bien que ça représente un travail énorme. Et tout ça à la fin du compte pour une tarification [très basse]… Donc quand on voyait trois ou quatre malades dans la matinée, on avait quand même bien travaillé, et pour l’hôpital c’était peanuts » (Entretien avec une ancienne cheffe d’une consultation de pathologie professionnelle d’Île-de-France, octobre 2020).

30Cette tendance s’intensifie nettement au début des années 2000, avec la mise en place de la tarification à l’activité, dite T2A (Belorgey, 2010 ; Juven, 2016). Celle-ci impose un mode de financement des services hospitaliers indexé sur le nombre de consultations effectuées, ce qui pénalise fortement les hospitalo-universitaires de médecine du travail. En compensation, le déploiement de la T2A prévoit que l’ensemble des services faiblement rémunérateurs pour l’hôpital soient financés par l’intermédiaire de « missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation » (MIGAC), allouées par la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS) du ministère de la Santé. Les ressources ainsi obtenues sont cependant marquées par une certaine incertitude : leur redistribution transite par les directions d’hôpitaux, qui les affectent en fonction de leurs propres priorités, d’une manière qui est souvent difficile à tracer pour les responsables de Consultations de pathologie professionnelle.

« Alors ça, c’est mon problème. C’est vrai qu’on a fait des efforts pour développer les MIGAC, etc. Et puis, ben, tu n’as pas le retour sur investissement, parce que l’hôpital te dit “ah ben oui, mais moi j’ai besoin des sous pour faire autre chose”, c’est-à-dire que tu n’arrives pas à récupérer les finances qui te sont affectées [...] Un moment, je voyais des sommes qui m’étaient affectées avec des postes de médecins [il prend l’exemple d’un tabacologue qui ne faisait pas de médecine du travail mais qui était comptabilisé dans le budget alloué à son service]. Ils te font des trucs… Si tu ne regardes pas à la ligne près, c’est très compliqué. C’étaient des vrais... C’est-à-dire, escrocs c’est peut-être un peu gros, mais c’est vraiment extrêmement compliqué de récupérer les sous… » (Entretien avec un ancien chef d’une consultation de pathologie professionnelle du Nord-Ouest, février 2023).

  • 14 Entretien avec un ancien chef de consultation de pathologie professionnelle, au moment où il était (...)

31Dans certains CHU, les choix effectués par les directions sont défavorables aux CCPP, ce qui peut conduire à décourager les médecins titulaires des chaires de médecine du travail. C’est le cas de cette consultation de pathologie professionnelle ouverte en 2006 par un jeune maître de conférences praticien hospitalier en médecine du travail dans un hôpital du Sud-Ouest. Il évoque en entretien le temps que lui prennent les consultations qu’il réalise, mais aussi le temps de travail hors consultation (recherche bibliographique, calculs de niveaux d’expositions probables, rédaction de courriers, etc.) que représente la préparation d’un dossier de maladie professionnelle dans les cas les plus complexes, qui peuvent se présenter plusieurs fois par an14. Après dix années passées à tenter de convaincre, en vain, sa direction de lui donner davantage de moyens, il renonce à sa carrière hospitalo-universitaire pour rejoindre un service de santé au travail inter-entreprises. Sans remplaçant, le départ du praticien entraînera la fermeture de la consultation de pathologie professionnelle de l’hôpital auquel il était rattaché. Des négociations locales défavorables sur les moyens et sur les postes fragilisent ainsi la couverture territoriale de l’expertise hospitalo-universitaire en pathologie professionnelle. Au cours des dix dernières années, par exemple, des consultations ont fermé à Dijon, Tours, Poitiers ou Limoges. Parallèlement, il n’existe aujourd’hui pas de centre de consultation opérationnel dans les Outre-mer.

  • 15 Notamment, le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi (...)

32Face à la pression managériale, la capacité des consultations de pathologies professionnelles à s’ancrer dans l’hôpital dépend fortement des ressources relationnelles dont disposent les médecins hospitalo-universitaires et de leur capacité à développer des activités jugées utiles par les directions des hôpitaux. La principale option à leur disposition consiste à proposer de prendre en charge la médecine du travail du personnel hospitalier (MTPH). En effet, au cours des années 1980, plusieurs textes réglementaires15 formalisent les obligations de suivi médical du personnel des hôpitaux et impose à ces derniers la création de services dédiés de médecine du travail. Proposer de prendre en charge ces services constitue pour les universitaires un moyen, non seulement de faire connaître leurs consultations au sein de l’hôpital, mais aussi de négocier des ressources avec les directions des hôpitaux :

« Alors, au départ, je n’étais pas chef de service de la médecine du travail […]. Puis à un moment, on m’a nommé chef de service, puis j’ai fait la fusion des deux [la consultation de pathologie professionnelle et la MTPH] en 1996. On était peu nombreux, en France, à avoir ça. Et on nous disait [les collègues] : “non, non, il ne faut surtout pas vous occuper de la MTPH, vous allez vous faire bouffer votre temps”, etc., mais on n’avait pas le choix. […] Ici j’ai réussi à faire nommer un MCU-PH dans la discipline de médecine du travail, mais de façon autoritaire, la direction de l’hôpital l’a affecté uniquement sur le personnel hospitalier. Il ne met pas les pieds au centre de patho pro » (Entretien avec un ancien chef d’une consultation de pathologie professionnelle du Nord-Ouest, février 2023).

33Aujourd’hui, une large majorité de CCPP s’investissent sous des modalités différentes et plus ou moins intensément dans cet enjeu : animer un pôle hospitalier regroupant la MTPH et d’autres activités (consultations de pathologie professionnelle, suivi qualité, etc.) ; superviser directement la MTPH ; assurer des consultations de médecine du travail pour les personnels hospitaliers. Cet investissement peut néanmoins poser problème aux médecins du travail hospitalo-universitaires. Il les entraîne à effectuer des activités considérées comme peu prestigieuses et en décalage avec leur formation et leur expertise. Comme nous l’a laconiquement résumé l’ancien chef de service d’une consultation de pathologie professionnelle du Nord de la France :

« Pour moi, l’enseignant hospitalo-universitaire, il n’a pas fait 15 ans d’études pour être devenu le médecin du travail d’un hôpital. Il est là pour faire de la recherche, il est là pour faire de l’enseignement » (Entretien, mars 2023).

  • 16 Une anecdote illustre cette difficulté : dans un CCPP, il nous a été rapporté comment le conflit qu (...)

34Cet investissement expose par ailleurs les hospitalo-universitaires à recevoir — comme les médecins du travail exerçant au sein de grandes entreprises — des pressions de la part des directions des hôpitaux quand ils font remonter des problèmes gênants pour ces dernières. Cette problématique est faiblement ressortie des entretiens, mais a néanmoins été évoquée sous forme anecdotique, soulignant sa possibilité16. Surtout, cette mission peut diminuer l’autonomie des services en mobilisant leurs ressources. Car si l’accepter permet de négocier des ressources humaines (postes de médecins, d’infirmières, de secrétaires) ou des espaces de travail, elle occupe aussi du temps de travail qui pourrait être consacré à des consultations de pathologie professionnelle.

35Le fait que les hospitalo-universitaires n’aient pas toujours la possibilité de refuser cette mission traduit plus largement leur lien de dépendance avec les directions hospitalières. Celles-ci ne sont pas leurs employeurs directs, comme le sont par exemple les entreprises qui embauchent des médecins du travail, mais elles ont la capacité de réduire leur autonomie dans la gestion de leurs activités. La période de gestion de la crise du Covid a été un révélateur de l’importance accordée par l’hôpital à l’animation de la MTPH et du risque d’accaparement qu’elle a fait naître : une large partie des CCPP ont focalisé leurs actions sur le suivi médical du personnel hospitalier dans les périodes de début de la crise, au détriment de leurs missions tournées vers l’ensemble des populations du territoire, ce qui a entraîné une baisse du nombre de consultations dans un contexte où l’exposition des travailleurs et des travailleuses « de première ligne » au risque Covid était pourtant l’objet de toutes les attentions (figure 1).

Figure 1. Évolution du nombre de consultations dans les CCPP entre 2001 et 2020

Figure 1. Évolution du nombre de consultations dans les CCPP entre 2001 et 2020

Source : Anses, RNV3P, Rapport Indicateurs d’activité 2020.

36Les chiffres indiqués dans la figure émanent du report des consultations dans la base centralisée du Réseau national de vigilance des pathologies professionnelles (RNVPP), mise en place en 2001, rebaptisée en 2006 Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P). Ces données reflètent imparfaitement les activités de consultation des CCPP. En effet, l’augmentation observée du nombre de consultations entre 2001 et 2010 est dans une large mesure (difficile à préciser) attribuable à la généralisation des activités de renseignement de la base par les centres, et ne reflète pas réellement une augmentation de l’activité de consultation. Ces chiffres illustrent surtout une stagnation du nombre de consultations dans les centres au cours de la dernière décennie, et une baisse au moment de la période de Covid. Cette fragilité des CCPP au sein des hôpitaux a pour conséquence de limiter leur capacité de recrutement de nouveaux médecins, pour lesquels les hospitalo-universitaires de médecine du travail doivent mener des négociations difficiles avec leurs directions. Représentants de services considérés comme peu rentables, peu prestigieux car peu techniques et non orientés vers le soin, ils sont rarement en position de force pour emporter les arbitrages de création et d’attribution de postes, dans un contexte politique global où les recrutements sont limités. Cette difficulté est redoublée dans un contexte démographique rendu particulièrement défavorable par la pénurie chronique de médecins du travail.

2.2 Une difficulté à assurer la relève

  • 17 En 1998 : 33 PU-PH, 25 MCU-PH (« Attractivité et formation des professions », Rapport IGAS n° 2017- (...)
  • 18 Dont 27 PU-PH, 20 MCU-PH (Rapport IGAS/IGAENR sur l’attractivité et la formation des professions de (...)

37Les effectifs en médecins hospitalo-universitaires de la médecine du travail se sont étoffés tout au long des années 1980 et 1990, sur fond de montée de l’attention des pouvoirs publics pour la santé au travail. Au début des années 1980, il y a une vingtaine d’hospitalo-universitaires de médecine du travail. Quinze ans plus tard, on compte 58 titulaires de la spécialité17. Mais le groupe connaît depuis lors une lente érosion : en 2017, il n’est plus constitué que de 47 individus18. Ces difficultés de recrutement sont bien identifiées par les médecins eux-mêmes :

« Alors oui, il y a […] le problème du renouvellement des médecins hospitalo-universitaires. Et ça, c’est un gros problème, parce que pendant très longtemps […] toutes les consultations étaient tenues par des gens de ma génération. Et on est tous arrivés à des âges canoniques et il n’y a pas eu forcément toujours de relève derrière pour reprendre l’activité. Et le problème c’est d’une part la difficulté d’avoir des postes, la difficulté du parcours hospitalo-universitaire pour arriver à un statut convenable, et puis le fait que… bah la médecine du travail en entreprise offre des salaires tout à fait attractifs avec des contraintes horaires beaucoup plus limitées. Un jeune qui n’a pas la foi dans une activité de recherche et d’enseignement, bah il va assez facilement céder aux appels du pied des entreprises » (Entretien avec un ancien chef d’une consultation de pathologie professionnelle d’Île-de-France, septembre 2020).

  • 19 Selon P. Marichalar (2011, p. 58), les chiffres de l’Inspection médicale du travail évoquent un nom (...)
  • 20 Rapport d’information du Sénat n° 10, « Pour un service universel de santé au travail », déposé le (...)
  • 21 Rapport IGAS/IGAENR sur l’attractivité et la formation des professions de santé au travail (op. cit (...)

38Ces difficultés sont à replacer dans le contexte du manque d’attractivité général de la médecine du travail. Depuis une trentaine d’années, de nombreux observateurs s’inquiètent de la faiblesse du nombre de praticiens. S’il n’existe pas de statistique publique fiable sur ce sujet, les recherches de Pascal Marichalar (2011) montrent par exemple que le nombre de nouveaux médecins formés a largement diminué à partir du milieu des années 1980, avec la mise en place du CES, et que l’évolution du nombre de médecins du travail depuis les années 1970 a entraîné une forte augmentation du nombre moyen de salariés suivis par chacun d’entre eux19. Les chiffres plus récents présentés dans des rapports publics montrent que les problèmes démographiques sont de plus en plus aigus : le nombre de médecins du travail était estimé à 5 131 en 2015, et à 4 275 en 202120. Cette faible attractivité de la spécialité est attestée par exemple par le fait que, dans les formations hospitalo-universitaires, nombre de postes d’internes ne sont pas pourvus21. Ce manque chronique de médecins du travail en entreprise a conduit les pouvoirs publics — au grand dam de certains universitaires en médecine du travail (Conso, 2005) — à imaginer des voies alternatives d’accès à ces fonctions. Dès 1992, un concours dit « européen », destiné aux médecins ayant au moins trois années d’exercice et souhaitant se réorienter vers la médecine du travail, est mis en place. En 1998, les médecins exerçant sans les diplômes requis dans les services de médecine du travail obtiennent une régularisation massive qui limite temporairement la chute du nombre de médecins du travail — celui-ci augmentant légèrement entre 1988 et 2001. Enfin, en 2002 est instaurée une formation diplômante en alternance sous forme de capacité de médecine en santé au travail et de prévention des risques professionnels, dont l’obtention est conditionnée à une promesse d’embauche dans un service de santé au travail.

39Parmi les étudiants en médecine du travail, ceux qui se projettent dans le sous-segment hospitalo-universitaire sont peu nombreux, la plupart étant attirés par les conditions d’emploi favorables proposées par les services d’entreprise ou inter-entreprises. Une PU-PH cheffe de CCPP résume précisément la situation dans un échange :

« C’est le début de carrière qui pose problème. Avant d’être MCU-PH il faut passer par le statut d’Assistant hospitalo-universitaire [AHU] pendant 4 ans […]. Un AHU gagne environ 3000 euros nets alors que le salaire net en inter-entreprises en sortie d’internat dépasse 6000 euros nets. L’AHU devra travailler beaucoup pour publier, faire une thèse de science, faire des cours, avoir une activité clinique. Pour cela il faut compter plus de 50 heures hebdomadaires. En service inter-entreprises, de plus en plus, le temps plein de 35 heures hebdomadaires est effectué sur 4 jours » (Échange avec la cheffe d’une consultation de pathologie professionnelle du Sud-Est, février 2023).

40En conséquence, les profils des nouvelles recrues se diversifient au-delà des seuls internes en médecine du travail :

« Moi je viens de la santé publique […]. Et puis en fait on a quand même de gros problèmes de recrutement de médecins dans notre activité de santé au travail, qui font que C., qui est maintenant aussi maître de conférences chez nous, elle vient de la santé publique, […] que F. […] vient de la santé publique. Donc quand même finalement, petit à petit, la santé publique étant très forte chez nous, on a une espèce d’interpénétration de disciplines » (Entretien avec une PU-PH d’une consultation de pathologie professionnelle du Sud-Ouest, novembre 2021).

41La formation initiale en santé publique offre moins d’opportunités de débouchés professionnels dans le privé. En choisissant la médecine du travail, les recrues sont principalement attirées par les activités de recherche, activités collectives et intellectuellement stimulantes, auxquelles l’accès peut être plus simple qu’en santé publique. Cette transformation des recrutements n’est pas seulement tributaire du vivier des candidats mais renvoie, plus généralement, à la diversification des missions des CCPP au cours des vingt dernières années.

2.3. Un mandat de plus en plus large à moyens constants

42Nous l’avons vu, au fil de son histoire le sous-segment hospitalo-universitaire de la médecine du travail a fortement bénéficié du soutien des caisses de Sécurité sociale et du ministère du Travail. Cependant, la crise de l’amiante entraîne le transfert de certaines prérogatives de ces acteurs en matière de risques professionnels vers d’autres organisations de la santé publique. En 2006, le pilotage du RNVPP (rebaptisé pour l’occasion Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles, RNV3P) est ainsi transféré de la CNAM à la nouvelle Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET). Au niveau local, les CARSAT (Caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, qui remplacent les Caisses régionales d’assurance maladie en 2010) sont soumises à des pressions budgétaires croissantes (Capuano, 2015) et à des incitations à augmenter la part de leurs ressources consacrées à la prévention plutôt qu’à la réparation (Rossignol et al., 2016). Elles aussi se désengagent donc progressivement — de manière variable selon les régions — de leur soutien aux activités hospitalo-universitaires de médecine du travail, et en particulier du financement de vacations de médecins venus d’autres services pour augmenter l’offre de consultations de pathologie professionnelle.

  • 22 Entretien avec un haut fonctionnaire de la Direction générale de l’organisation des soins au minist (...)
  • 23 Décret n° 2019-1233 du 26 novembre 2019 relatif aux centres régionaux de pathologies professionnell (...)

43Les responsables de ces consultations sont ainsi incités à se tourner vers des acteurs extérieurs aux politiques de santé au travail pour sécuriser leurs ressources. À partir de 2015, certains d’entre eux, investis dans des instances d’animation du sous-segment professionnel hospitalo-universitaire de la médecine du travail — sous-section médecine du travail du Conseil national des Universités (CNU) ; Collège des enseignants de médecine du travail —, entament des négociations avec la Direction générale de l’organisation des soins au sein du ministère de la Santé afin que les CCPP soient reconnus officiellement comme des entités spécifiques, apparaissent à ce titre dans les lois de finance de la Sécurité sociale et bénéficient directement de fonds pérennes22. Ces négociations aboutissent à la publication en 2019 d’un décret23 créant officiellement des Centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE), qui se substituent aux anciens CCPP. La publication de ce décret formalise l’intégration des consultations de pathologie professionnelle au sein des CHU. Elle marque le rapprochement de ces dernières avec le ministère de la Santé et, symétriquement, elle illustre leur éloignement relatif des institutions dédiées aux politiques de santé au travail, en particulier le ministère du Travail :

« Alors, comment je vais dire ça ? Je suis politiquement correct. Disons que… c’est ça, oui, on leur a montré [au ministère du Travail] le décret et on le leur a fait co-signer. […] Maintenant, en termes d’équilibre institutionnel, il est important pour nous de montrer que ce sont des structures hospitalières, donc que ce sont des structures santé » (Entretien avec un haut fonctionnaire de la Direction générale de la Santé au ministère des Solidarités et de la Santé, décembre 2021).

  • 24 Circulaire n° DGOS/R1/2022/110 du 15 avril 2022 relative à la première campagne tarifaire et budgét (...)
  • 25 Le « score SIGAPS » (pour Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scienti (...)
  • 26 Voir le rapport d’expertise collective du Groupe de travail « Maladies Professionnelles », Saisine (...)

44Ce décret, s’il clarifie le statut des consultations de pathologie professionnelle et sécurise l’attribution de leurs ressources, implique aussi la diversification de leurs missions. Publiée à sa suite, une circulaire24 explicite les critères de financement des CRPPE. Cette circulaire consacre les activités de consultation comme principale source d’attribution des fonds aux CRPPE (tableau 1), mais valorise également d’autres types de missions telles que la formation, l’expertise via la participation à des groupes de travail, et la recherche. Elle acte la diversification des tâches qui entrent dans la juridiction des médecins hospitalo-universitaires. La place croissante dévolue à la recherche, encouragée par la prise en compte du « score SIGAPS » dans l’allocation des financements MIGAC25, se traduit par des collaborations de plus en plus nombreuses avec des équipes de recherche en santé publique, et en particulier dans la recherche épidémiologique (Brunier et al., 2024). Ces projets prennent souvent la forme de collaborations avec d’autres services de l’hôpital, spécialistes de pathologies pour lesquelles il existe des étiologies professionnelles suspectées. Ils participent parfois à la mise en évidence de liens nouveaux, ou à confirmer des suspicions de liens, entre des facteurs de risques professionnels et des pathologies. Ce faisant, ils peuvent contribuer à inciter les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à engager la négociation de nouveaux tableaux de maladies professionnelles. Récemment par exemple, plusieurs médecins hospitalo-universitaires engagés dans un groupe de travail de l’ANSES dont la mission est de réaliser le travail d’expertise préalable à la révision ou création de tableaux de maladies professionnelles se sont appuyés sur leurs propres travaux et, plus généralement, sur leur connaissance de la littérature épidémiologique internationale pour pointer l’absence de tableaux pour de nombreux facteurs de risques au sujet desquels des données robustes existent pourtant26.

Tableau 1. Critères de pondération des dotations MIGAC allouées aux CRPPE

Évaluation

Pondération

Mode de calcul

Critère 1 : activité de recours pour la prise en charge personnalisée de certains patients

Patients

50 %

Nombre de patients vus
en consultation validée du centre

Critère 2 : initiation, participation et coordination d’actions de recherche

Score SIGAPS

10 %

Somme des scores SIGAPS du centre

Équipe labellisée

5 %

Oui/Non = 1/0

Participation à l’élaboration de recommandations nationales

5 %

Oui/Non = 1/0

Critère 3 : participation à des actions de santé publique, notamment veille sanitaire en santé-travail

Jours dans des groupes de travail

20 %

Nombre de jours

Critère 4 : participation à la formation des acteurs en santé-travail

Accueil d’internes les trois dernières années

5 %

Oui/Non = 1/0

Accueil de stagiaires hospitaliers les trois dernières années

5 %

Oui/Non = 1/0

Source : décret n° 2019-1233 du 26 novembre 2019.

  • 27 Dès 2009, suite au « Grenelle des ondes » — un débat sur l’électrosensibilité organisé à l’initiati (...)

45La reconnaissance croissante de leur légitimité académique par les pouvoirs publics va cependant de pair avec un élargissement des missions des CCPP au-delà de la santé au travail, vers la prise en compte des pathologies imputables à l’environnement extra-professionnel. Ces dernières années, les pouvoirs publics les ont incités à développer la prise en charge de ce type de problèmes, en ciblant certaines nuisances environnementales controversées (radiofréquences, perturbateurs endocriniens)27. En particulier, l’intérêt du ministère de la Santé et des agences régionales de santé pour les consultations de pathologie professionnelle porte essentiellement sur leur capacité à produire de l’expertise et de la recherche sur des enjeux sanitaires extra-professionnels. Le décret de 2019 consacre cette évolution en ajoutant explicitement l’environnement dans l’intitulé des centres (CRPPE). Cette extension apparaît logique à la plupart des hospitalo-universitaires dans la mesure où beaucoup de maladies sont multifactorielles. D’une manière générale, ce déplacement vers des institutions, des méthodes, des problématiques et des financements liés à la santé publique leur permet de consolider leurs ressources et d’élargir progressivement leur mandat au-delà des enjeux de santé au travail. Mais cette diversification a deux autres effets. D’une part, en travaillant à moyens constants avec un périmètre d’actions de plus en plus large, les médecins hospitalo-universitaires du travail ne sont souvent pas en mesure de développer l’offre de consultations spécialisées en pathologie professionnelle dans leurs centres respectifs. D’autre part, ce mandat élargi les éloigne mécaniquement des médecins du travail des entreprises et des centres de santé au travail du simple fait que les tâches dévolues à ces derniers ont peu évolué depuis les années 1980 : alors que les premiers sont de plus en plus intégrés aux arènes d’élaboration des politiques de santé publique, les seconds demeurent dans le giron des entreprises et des institutions du champ de la santé au travail.

3. Conclusion

46Alors que certaines spécialités ont tiré une partie de leur propre légitimité de la transformation des pathologies dont elles ont la charge en problèmes publics, comme l’illustre le cas de la cancérologie (Castel et al., 2019), la médecine hospitalo-universitaire du travail n’est pas toujours parvenue à profiter de l’attention croissante qu’ont reçue, depuis la fin du siècle dernier, les effets du travail sur la santé. Ce sous-segment professionnel a certes tiré parti de la publicisation de ces enjeux à partir des années 1970 pour renforcer ses appuis institutionnels au sein du ministère du Travail et des caisses d’assurance maladie. Mais ces institutions ont perdu en légitimité au moment de la crise de l’amiante dans les années 1990, et le soutien qu’elles ont apporté aux médecins hospitalo-universitaires spécialistes du travail s’est progressivement affaibli. Ces derniers ont in fine sécurisé leur position en diversifiant leurs tâches à l’hôpital (en assurant en particulier le suivi médical du personnel hospitalier), en profitant d’un rapprochement avec les institutions du champ de la santé publique et en s’investissant de manière croissante dans la recherche scientifique.

47Notre article montre comment, au cours de son histoire, le sous-segment de la médecine hospitalo-universitaire du travail a vu ses savoirs, ses missions et ses frontières évoluer, alors même que le mandat des médecins du travail d’entreprise est resté relativement stable. Cette évolution implique une transformation de ses relations de dépendance. Contrairement à leurs confrères exerçant en entreprise ou en service inter-entreprises, les médecins du travail assurant les consultations de pathologies professionnelles à l’hôpital n’ont pas de lien fonctionnel systématique avec les employeurs de main-d’œuvre, le suivi des personnels hospitaliers n’étant qu’une composante variable de leur activité. En raison tant de cette indépendance que de leurs compétences, ils apparaissent comme d’indispensables recours pour faire la lumière sur les cas de pathologies dont l’étiologie professionnelle est particulièrement incertaine. Pourtant, les activités de ce sous-segment professionnel sont contraintes par des dépendances multiples, plus discrètes, avec d’autres institutions du champ de la santé : les directions d’hôpitaux, les agences sanitaires ou les ministères de tutelle. C’est en se liant avec ces acteurs que la médecine hospitalo-universitaire du travail a trouvé sa place à l’hôpital. Les conséquences de ce processus d’institutionnalisation ne sont pas sans paradoxe quant à la situation de ce groupe dans le segment professionnel de la médecine du travail : bien que son expertise scientifique soit devenue de plus en plus légitime aux yeux des pouvoirs publics, sa capacité à garder le contrôle de l’accès au titre de médecin du travail s’est érodée.

48Cette position d’expertise permet aux médecins hospitalo-universitaires spécialistes du travail de contribuer à la reconnaissance des maladies professionnelles en militant par exemple pour la création de nouveaux tableaux et en publiant des connaissances sur les facteurs de risque. Ce déplacement se fait au prix de l’élargissement de leurs missions aux pathologies environnementales sans lien avec le travail et d’une stagnation de leur offre de consultations de pathologie professionnelle. L’accès des salariés atteints de pathologies non inscrites dans des tableaux de maladies professionnelles à une expertise médicale de pointe reste difficile. Alors que les connaissances disponibles sont de plus en plus nombreuses et viennent attester de manière croissante de l’ampleur de la sous-reconnaissance des maladies professionnelles, les organisations susceptibles de prendre en charge ces maladies sont de moins en moins proportionnées aux missions qui sont les leurs.

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Annexe

Liste alphabétique des sigles utilisés dans l’article

AFSSET

Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail

AHU

Assistant hospitalo-universitaire

AN

Archives nationales

ANSES

Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

CARSAT

Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail

CCPP

Consultation de pathologie professionnelle

CES

Certificat d’études spéciales

CGT

Confédération générale du travail (syndicat de travailleurs)

CHU

Centre hospitalo-universitaire

CNAM

Caisse nationale d’assurance maladie

CNRS

Centre national de la recherche scientifique

CNU

Conseil national des Universités

CRAM

Caisse régionale d’assurance maladie

CRPPE

Centre régional de pathologies professionnelles et environnementales

CRRMP

Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles

DES

Diplôme d’études spécialisées

DGOS

Direction générale de l’organisation des soins

IGAENR

Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche

IGAS

Inspection générale des affaires sociales

IHI

Institut d’hygiène industrielle et de médecine du travail

IUMT

Institut universitaire de médecine du travail

MCU-PH

Maître de conférences praticien hospitalier

MIGAC

Mission d’intérêt général et d’aide à la contractualisation

MTPH

Médecine du travail du personnel hospitalier

PU-PH

Professeur des universités praticien hospitalier

RNV3P

Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles

RNVPP

Réseau national de vigilance des pathologies professionnelles

SIGAPS

Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques

T2A

Tarification à l’activité

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Notes

1 Cet article n’est pas rédigé en écriture inclusive. Compte tenu de son caractère historique et de la variation des rapports de genre dans l’univers professionnel au cours du temps (marqué notamment par une forte domination masculine dans les postes universitaires pendant longtemps), qui ne sont pas étudiés en tant que tels dans l’article, il a été considéré que l’emploi de ce procédé pourrait conduire à des anachronismes dans l’interprétation de l’article.

2 On trouvera en annexe une liste récapitulative des sigles utilisés dans l’article (NDLR).

3 Loi étendant aux maladies d’origine professionnelle la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail, Journal officiel de la République française n° 0292 du 27/10/1919.

4 Archives nationales (AN), 19960504/10, Direction des relations du travail, Inspection médicale du travail et de la main-d’œuvre, Note d’Armand Rothan, 25 mai 1976.

5 L’osmopile était un appareil de mesure permettant d’analyser l’air et d’en déceler les composants dangereux pour l’homme, inventé par le chimiste Alain Berton, alors maître de recherche au CNRS et chef du laboratoire de toxicologie à la Direction nationale de la Caisse régionale d’assurance maladie de Paris.

6 AN, 19760241/92, Rapports d’activité de l’IUMT de Lyon (1970-1974).

7 Loi n°76-1106 du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail.

8 L’Inspection médicale du travail est un service du ministère du Travail réunissant quelques dizaines de médecins du travail contractuels, rattachés à l’administration centrale du ministère ou à ses services déconcentrés en régions, et qui sont chargés d’assurer la mise en réseau des acteurs locaux de la prévention des risques professionnels.

9 AN, 19960504/10, Rapport du VIIe Plan de développement économique et social, p. 118.

10 AN, 19960504/10, « Proposition no 6 pour réformer la médecine du travail. Évaluation des coûts », 19 janvier 1976, archives de l’Inspection médicale du travail.

11 Cette reconnaissance se fait en plusieurs étapes. La médecine du travail est d’abord incluse dans un DES de Santé publique (de 1984 à 1987), puis dans un DES de spécialités médicales (1987-1990). Le DES de médecine du travail est créé en 1990.

12 Un ancien responsable de la Consultation de pathologie professionnelle de Lyon, interviewé par les auteurs en décembre 2020, évoque le CES en le qualifiant d’« assurance de réorientation » pour les étudiants.

13 400 000 francs de crédits dès 1977, puis 600 000 en 1978 et plus de 800 000 en 1979.

14 Entretien avec un ancien chef de consultation de pathologie professionnelle, au moment où il était encore en poste, novembre 2011.

15 Notamment, le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique et le décret n° 85-947 du 16 août 1985 relatif à l’organisation et au fonctionnement des services médicaux du travail dans les établissements mentionnés à l’article L. 792 du code de la santé publique et dans les syndicats inter-hospitaliers.

16 Une anecdote illustre cette difficulté : dans un CCPP, il nous a été rapporté comment le conflit qui avait opposé un jeune PU-PH faisant office de médecin du travail à la direction de l’hôpital, celle-ci l’accusant d’être « plus syndicaliste que les syndicats », avait certainement joué dans son départ inopiné du service.

17 En 1998 : 33 PU-PH, 25 MCU-PH (« Attractivité et formation des professions », Rapport IGAS n° 2017-023R / IGAENR n° 2017-053, Août 2017, p. 64).

18 Dont 27 PU-PH, 20 MCU-PH (Rapport IGAS/IGAENR sur l’attractivité et la formation des professions de santé au travail, op. cit.).

19 Selon P. Marichalar (2011, p. 58), les chiffres de l’Inspection médicale du travail évoquent un nombre de nouveaux formés d’environ 500 médecins par an avant le milieu des années 1980, et de moins de 100 dans les années 1990.

20 Rapport d’information du Sénat n° 10, « Pour un service universel de santé au travail », déposé le 2 octobre 2019.

21 Rapport IGAS/IGAENR sur l’attractivité et la formation des professions de santé au travail (op. cit.) : en 2016, sur les 150 postes offerts à l’internat de médecine du travail, 78 n’ont pas été pourvus.

22 Entretien avec un haut fonctionnaire de la Direction générale de l’organisation des soins au ministère des Solidarités et de la Santé, décembre 2021.

23 Décret n° 2019-1233 du 26 novembre 2019 relatif aux centres régionaux de pathologies professionnelles et environnementales.

24 Circulaire n° DGOS/R1/2022/110 du 15 avril 2022 relative à la première campagne tarifaire et budgétaire 2022 des établissements de santé.

25 Le « score SIGAPS » (pour Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques) est un outil de mesure scientométrique fonction du nombre des publications et de la « qualité » perçue des revues dans lesquelles elles paraissent (Gingras et Khelfaoui, 2021). Des points SIGAPS ne sont attribués qu’aux revues référencées dans les bases de données internationales comme Medline. La revue Archives des maladies professionnelles, publication historique de référence en langue française de médecine du travail, ne l’étant pas, elle ne rapporte aujourd’hui aucun point SIGAPS. Son équipe de rédaction cherche à obtenir aujourd’hui ce référencement.

26 Voir le rapport d’expertise collective du Groupe de travail « Maladies Professionnelles », Saisine n° 2023-SA-0061 et MAJ TMP, 2024. Un des auteurs du présent article participe à ce groupe de travail en tant que représentant des sciences sociales.

27 Dès 2009, suite au « Grenelle des ondes » — un débat sur l’électrosensibilité organisé à l’initiative du secrétariat d’État à l’économie numériques, réunissant des acteurs économiques, des experts scientifiques et des associations représentant les personnes malades —, les CCPP sont désignés par le gouvernement comme un lieu où pourraient être pris en charge les patients souffrant de cette pathologie. Cette désignation est répétée à l’occasion d’autres questions parlementaires jusqu’à ce jour et est évoquée notamment dans les Plans nationaux santé environnement.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Évolution du nombre de consultations dans les CCPP entre 2001 et 2020
Crédits Source : Anses, RNV3P, Rapport Indicateurs d’activité 2020.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Sylvain Brunier, Jean-Noël Jouzel et Giovanni Prete, « Médecine et dépendances : comment la « pathologie professionnelle » a trouvé sa place à l’hôpital (1930-2020) »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 66 - n° 3 | Juillet - Septembre 2024, mis en ligne le 15 septembre 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sdt/46679 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ati

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Auteurs

Sylvain Brunier

Centre de sociologie des organisations (CSO), UMR 7116 CNRS et Sciences Po
1, place Saint-Thomas d’Aquin, 75007 Paris, France
sylvain.brunier[at]sciencespo.fr

Articles du même auteur

Jean-Noël Jouzel

Centre de sociologie des organisations (CSO), UMR 7116 CNRS et Sciences Po
1, place Saint-Thomas d’Aquin, 75007 Paris, France
jeannoel.jouzel[at]sciencespo.fr

Articles du même auteur

Giovanni Prete

Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS), UMR 8156 CNRS, EHESS, INSERM et Université Sorbonne Paris Nord
Campus Condorcet, Bâtiment Recherche Sud
5, cours des Humanités, 93322 Aubervilliers cedex, France
prete[at]sorbonne-paris-nord.fr

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